I.    Introduction

En 2008, le Conseil des gouverneurs de la Commission du droit de l’Ontario (CDO) a approuvé un projet pluriannuel visant à définir un cadre cohérent pour le droit touchant les personnes âgées. Ce projet n’a pas pour but de faire des recommandations précises à propos de la réforme des lois touchant les personnes âgées, bien qu’une telle réforme soit nécessaire dans plusieurs cas. Il vise plutôt à énoncer un ensemble de principes et de considérations reposant sur les expériences concrètes des personnes âgées et pouvant servir de fondement à l’élaboration d’un cadre d’analyse cohérent de ce domaine du droit, qui est à la fois vaste, hétérogène et complexe. Le but ultime de ce projet est de prendre appui sur les travaux déjà réalisés pour établir une base solide qui permettra d’élaborer ou d’évaluer des lois et des politiques en s’assurant que celles-ci tiennent compte des droits et des réalités des personnes âgées.  

La démarche adoptée par la CDO pour mener à bien ce projet tient compte des considérations suivantes :

1.      La nécessité d’aller au-delà de la clarté, de l’efficience et de l’efficacité du droit pour examiner les enjeux normatifs afin de garantir l’accès à la justice.

2.      L’importance d’intégrer et, dans la mesure du possible, de synthétiser les initiatives nationales et internationales d’envergure qui ont été menées récemment dans le domaine du droit et du vieillissement.

3.      Le besoin de comprendre les contextes social, économique et médical au sein desquels les personnes âgées ont des interactions avec le droit afin de permettre au législateur et aux décideurs de tenir compte de ces contextes dans la conception et la mise en œuvre de lois et de politiques susceptibles d’avoir une incidence sur les personnes âgées.

4.      Les avantages d’un cadre fondé sur un ensemble de principes pouvant fournir une orientation générale tout en demeurant souple et adaptable à diverses situations.

5.      Le rôle central que jouent les expériences et les points de vue des personnes âgées dans le cadre et dans son application.

6.      L’importance de concevoir un cadre pouvant servir de fondement solide à d’éventuelles recherches, analyses et discussions, compte tenu de la nature évolutive du vieillissement et du droit des aînés.

Le présent rapport provisoire repose sur les résultats des consultations et des recherches approfondies menées par la CDO et vise à servir d’assise à la tenue de consultations supplémentaires avant l’achèvement du rapport final.

 

II.  Tenir compte des réalités des personnes âgées 

Pour élaborer une démarche anti-âgiste dans le domaine du droit, il faut d’abord reconnaître que les personnes âgées forment un groupe dont les besoins et les expériences diffèrent, sur certains aspects, de ceux des autres, que ce soit en raison de leurs parcours de vie, des structures sociales ou de la marginalisation et des stéréotypes dont elles sont victimes, et de tenir compte des besoins et des réalités qui leur sont propres dans l’élaboration des lois, des politiques et des programmes. 

Le recours à l’âge pour catégoriser les gens est une pratique si courante qu’elle passe pratiquement inaperçue. Bien que l’utilisation des catégories fondées sur l’âge risque de renforcer les opinions âgistes, de telles catégories sont aussi essentielles pour relever et décrire les formes d’âgisme ancrées dans les institutions et pour tenter de remédier à ses effets. 

Le droit utilise fréquemment l’âge, autant à une extrémité du spectre qu’à l’autre, comme catégorie permettant de faire des distinctions. L’appartenance au troisième âge constitue souvent une condition d’admissibilité à certains avantages, un jalon entraînant des obligations supplémentaires, ou encore la base sur laquelle certaines personnes sont exclues d’activités ou d’avantages particuliers. Si l’on reconnaît la nécessité d’utiliser l’âge comme catégorie dans certains cas, la difficulté qui se pose consiste à définir l’appartenance à cette catégorie qu’est le « troisième âge ». Ce projet de la CDO vise toutes les personnes considérées comme « âgées » ou « plus âgées », selon les cadres juridiques ou stratégiques et selon les attitudes et les perceptions sociales, ou qui se perçoivent comme telles.  

Il peut être difficile de comprendre les réalités des personnes âgées, et ce, pour plusieurs raisons. Les personnes âgées représentent une proportion importante de la population de l’Ontario et du Canada. Par conséquent, on peut difficilement faire des généralisations valables à propos de leurs réalités et de leurs expériences. En raison des bouleversements démographiques en cours, des attitudes sociales changeantes et des contextes législatifs et stratégiques qui évoluent rapidement, les réalités des personnes âgées ne cessent de changer. Les expériences vécues par les personnes âgées aujourd’hui peuvent être différentes de celles d’hier et ne seront peut-être pas celles de demain. La vie et les réalités des personnes âgées sont grandement façonnées non seulement par les lois et les politiques actuelles, mais aussi par celles qui étaient en vigueur lorsqu’elles étaient des enfants, de jeunes adultes et des personnes d’âge mûr.  

Les niveaux de scolarité et d’alphabétisation, la participation à la vie active, la sécurité du revenu, les milieux de vie, les relations et les réseaux de prestations de soins, ainsi que la participation au sein de la collectivité sont tous des facteurs pertinents, tout comme le sont notamment l’orientation sexuelle, la racialisation ou l’origine ethnique, l’appartenance à un groupe autochtone, le lieu de résidence, le statut socioéconomique et le statut de citoyen. Le sexe est un facteur particulièrement important, puisqu’une majorité de personnes âgées sont des femmes, et que le parcours de vie de celles-ci diffère, en plusieurs points essentiels, de celui des hommes. Le croisement entre l’âge et l’incapacité, les limitations d’activité et la déficience soulève également des enjeux complexes et de taille. 

Les personnes âgées sont souvent considérées comme « vulnérables » dans l’ensemble, et cette vulnérabilité sert parfois à justifier des mesures qui briment considérablement leur autonomie. Il est inexact de présumer que toutes les personnes âgées sont des êtres fragiles, dépendants et, par le fait même, à protéger. Il est également problématique de supposer que la seule solution, ou la plus appropriée, à la vulnérabilité est de limiter leur autonomie, une forme courante de paternalisme envers les personnes âgées.  

Cependant, il est aussi faux de présumer que toutes les personnes âgées sont privilégiées, vivent dans l’abondance et sont en pleine possession de leurs moyens. Certaines sont défavorisées en raison de leurs expériences de vie, alors que pour d’autres, la vieillesse en soi peut poser des risques et des difficultés. Pour ces personnes âgées qui subissent de plus grands préjudices, qui sont exposées à des risques plus élevés ou qui sont plus défavorisées que d’autres, un niveau d’attention ou de protection plus élevé de la part du législateur ou des décideurs peut se révéler essentiel.  

Pour comprendre le risque, il faut le remettre dans un contexte social plus vaste. Les relations qu’une personne âgée entretient avec les membres de sa famille et d’autres personnes, ses conditions de vie, ses sources et son niveau de revenu et son accès à des mesures de soutien et au droit constituent des facteurs qui, selon leur qualité et leur importance, peuvent contribuer à hausser ou à diminuer le niveau de risque et d’inégalité auquel elle est exposée. Ainsi, bien que les lois, les programmes et les politiques doivent reconnaître les capacités et l’individualité des personnes âgées, cette reconnaissance doit être contrebalancée par la prestation de mesures de soutien supplémentaires aux personnes âgées plus défavorisées ou vulnérables de manière à garantir que le droit favorise la dignité, l’autonomie, la participation et la sécurité de toutes les personnes âgées.

 

III. Combattre l’âgisme : élaboration d’une démarche fondée sur des principes

Aux fins du présent rapport, l’âgisme désigne une façon systématique de percevoir le vieillissement comme un processus négatif et les personnes âgées, comme des membres à part et différents de la population générale auxquels est attribué un ensemble de caractéristiques négatives. L’âgisme comprend la tendance à structurer des lois et des institutions sociales fondées sur l’a priori que tout le monde est jeune. L’âgisme peut se manifester par le traitement négatif et l’exclusion sociale des personnes âgées, la discrimination envers celles-ci et la tendance à ignorer leur existence, de même que par des attitudes paternalistes visant à les contrôler et à les priver de leur autonomie sous le prétexte de protéger leurs intérêts. 

L’âgisme est ancré dans un ensemble de stéréotypes persistants et d’attitudes négatives à l’endroit des personnes âgées, dont plusieurs sont traités dans ce rapport provisoire (par exemple, les stéréotypes selon lesquels les personnes âgées forment un groupe homogène, imposent un fardeau à la société et sont résistantes au changement). 

L’âgisme se manifeste couramment sous la forme du paternalisme, c’est-à-dire une tendance à priver les personnes âgées de certains choix sous pr