A. Introduction
Le présent chapitre traite de certains aspects du droit qui pourraient améliorer l’accès aux soins de fin de vie s’ils étaient éclaircis, simplifiés ou mieux mis en œuvre. Il traite de nombreux enjeux nouveaux qui doivent de toute urgence faire l’objet d’une réforme, selon ce que la CDO a entendu de la part des Ontariens.
Les débats sur l’aide médicale à mourir retiennent beaucoup l’attention médiatique, mais les enjeux abordés dans le présent chapitre ont plutôt trait à l’autonomie, à l’autodétermination, à la bienfaisance et aux protections contre les mauvais traitements. La Cour suprême a tranché, dans l’arrêt Carter, qu’il n’y a pas de raison de penser que des personnes qui reçoivent certains soins de fin de vie « sont moins vulnérables ou moins susceptibles de prendre une décision faussée que ceux qui pourraient demander une assistance plus active pour mourir[486] ». En fait, les façons de faire dont il est question dans le présent chapitre sont plus courantes et répandues.
Les décisions d’accepter ou non la RCP, de retirer le maintien des fonctions vitales ou de continuer à manger et à boire, la disponibilité de mesures de soutien pour garantir des soins culturellement adaptés, et les options juridiques de la planification préalable sont toutes des enjeux qui touchent un grand nombre d’Ontariens.
Nous examinons ces questions et d’autres dans les sections suivantes du présent chapitre :
A. Outils professionnels visant le consentement et la planification préalable des soins
B. Pouvoir décisionnel concernant les traitements essentiels au maintien de la vie
C. Attestation des décès planifiés à domicile
D. Réglementation visant la thérapie de sédation palliative
E. Conditions de travail des spécialistes aidants
F. Mesures d’accommodement et de soutien pour les groupes confessionnels et culturels
Des renseignements sommaires sur ces questions ont été présentés tout au long du document jusqu’à maintenant, en particulier au chapitre 2. B, « Récents débats sur les droits en fin de vie ». Les cadres juridiques sous-jacents, pertinents dans le contexte de ces questions, sont également expliqués dans les chapitres précédents, par exemple le chapitre 3 intitulé « Le droit et les soins dans les derniers moments de la vie » et le chapitre 4, « Législation, orientations et programmes de l’Ontario ». Nous conseillons donc aux lecteurs de consulter ces chapitres avant d’entreprendre la lecture des problèmes particuliers décrits ci-après.
Pour faciliter la consultation, nous posons les questions à aborder à la consultation à la fin de chaque section.
B. Planification préalable des soins : élaboration de stratégies et d’outils pour une mise en œuvre efficace
1. Importance cruciale du consentement aux soins de santé et de la planification préalable des soins
Une prise de décision axée sur la personne est indispensable pour s’assurer de lui prodiguer des soins de qualité, conformes à ses préférences et à ses valeurs.
Tout comme la demande de soins s’intensifie dans les derniers moments de la vie, la demande de moyens pour planifier ce qui s’en vient, de même que la prise de décision à l’avenir augmente aussi. En Ontario, il est possible d’effectuer une démarche appelée planification préalable des soins. Celle-ci peut comprendre de préciser qui, selon la volonté de la personne, pourra prendre des décisions en son nom lorsqu’elle ne le pourra pas et elle peut faire part de ses désirs, de ses valeurs et de ses croyances pour aider son mandataire spécial à exercer son rôle. C’est ce qu’on entend par la planification préalable des soins. Il est avéré que les conversations sur cette planification et la démarche de consentement subséquente améliorent la satisfaction du patient et de la famille à l’égard des soins de fin de vie[487]. La planification préalable des soins fait partie d’un continuum dont font aussi partie les discussions sur les objectifs des soins et le consentement aux soins de santé et qui forme le processus décisionnel axé sur la personne en matière de soins de santé. Ensemble, ces démarches garantissent que les valeurs et les traitements d’un patient concordent, elles atténuent les inquiétudes de la famille, diminuent les hospitalisations et les admissions dans les unités de soins intensifs et diminuent aussi les enquêtes, les interventions et les traitements non voulus, entre autres avantages[488]. La planification préalable des soins [traduction] « respecte [en outre] le droit d’un patient incapable à l’autodétermination en cas de maladie grave et de la fin de sa vie[489] ».
Tant dans le présent projet que dans notre projet sur la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle, la CDO a entendu à de nombreuses reprises qu’on craignait que la législation ne soit mal comprise et que sa mise en œuvre soit défaillante. Pour répondre aux difficultés de la mise en œuvre, de nombreux outils professionnels ont été créés pour aider les personnes concernées, les mandataires spéciaux et les prestataires de soins à mettre en œuvre avec cohérence et exactitude les lois en vigueur. Le projet de la CDO vise à clarifier les zones grises du droit qui restent non résolues ou contestées comme celles-ci. De plus, la CDO veut, par son projet, examiner les difficultés d’une mise en œuvre efficace du cadre législatif actuel.
2. Augmentation de la demande d’outils professionnels pour la planification des soins dans les derniers moments de la vie
Les conversations sur le consentement et la planification préalable des soins sont devenues une pierre angulaire des soins palliatifs chez les défenseurs des droits de certains groupes et dans les établissements de soins. Diverses provinces, dont l’Ontario, ont pris des mesures pour promouvoir la planification préalable des soins et des établissements de soins ont élaboré des orientations, des façons de procéder et des formulaires connexes pour encourager les patients à préciser leurs préférences quant à leurs soins de santé futurs ou pour les obliger à le faire[490].
Notre définition des « outils professionnels » |
Dans ce projet, nous faisons mention de diverses orientations, trousses d’outils et formulaires pour le consentement et la planification préalable des soins utilisés dans des établissements de soins de l’Ontario comme « outils professionnels » parce qu’ils servent à appliquer la législation en matière de consentement et de planification préalable des soins. |
Même si les outils professionnels ont pour raison d’être l’application de la loi, cela ne veut pas dire que les outils professionnels actuels reflètent fidèlement le cadre juridique de l’Ontario. On a dit à la CDO que ces outils posent des difficultés généralisées qui sèment la confusion parmi les prestataires de soins, vont à l’encontre des droits au consentement et rendent difficile l’exécution des préférences individuelles au sujet des décisions importantes de la vie[491].
La présente section a pour but de décrire les difficultés que créent les outils professionnels actuels pour la planification préalable des soins, les objectifs des soins et le consentement aux soins de santé en Ontario, et d’examiner les possibilités d’appuyer une prise de décisions véritable et de mettre les lois en œuvre efficacement.
Il n’y avait pas jusqu’à maintenant de faits probants sur les outils professionnels en Ontario. La CDO a donc commandé à des spécialistes en la matière le rapport de recherche intitulé Health Care Consent, Advance Care Planning and Goals of Care Practice Tools: The Challenge to Get it Right[492].
Les auteures du rapport, Judith Wahl, Mary Jane Dykeman et Tara Walton, ont évalué et examiné en profondeur les outils professionnels en Ontario et recueilli de nouvelles données qualitatives au cours d’entrevues et de groupes de réflexion. Ce document représente la ressource faisant le plus autorité en la matière dans notre province et nous nous y reportons considérablement dans le présent document.
- Pour lire tout le document de recherche commandé par la CDO sur les outils professionnels pour la prise de décision, visitez notre site Web à lco-cdo.org.
3. Cadre juridique du consentement et de la planification préalable des soins
Le chapitre 4 du présent document définit les éléments fondamentaux du cadre juridique de l’Ontario concernant le consentement, la planification préalable des soins et la prise de décision au nom d’autrui en vertu de la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé et de la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui. Ce cadre représente un équilibre prudent entre les besoins d’une prise de décision efficace pour les personnes qui n’en ont pas la capacité juridique, la préservation de l’autonomie des patients et la capacité de s’adapter à des circonstances changeantes.
La CDO sait que les lois sur la prise de décision en Ontario sont souvent mal comprises et nous recommandons aux lecteurs de consulter les parties portant sur ce sujet avant de lire la présente section. Cela dit, nous donnons ici un résumé des principaux aspects du droit et les méconnaissances courantes qu’il faut connaître pour évaluer les outils professionnels.
i. Processus d’obtention du consentement et rôle de la planification préalable des soins
Ce résumé est structuré de façon à montrer comment le processus décisionnel doit se faire en vertu de la législation. Les lois qui traitent du consentement et de la planification préalable des soins insistent sur le fait que les décisions doivent toujours s’appliquer spécifiquement à la situation et à l’état de santé actuels d’une personne. De plus, le fait de considérer la prise de décision comme un processus souligne la démarche par étapes que les prestataires de soins et les décisionnaires doivent suivre pour en arriver à une décision valable.
Le processus d’obtention du consentement d’un patient (ou d’un mandataire spécial, si le patient est incapable), est primordial : il permet aux prestataires de soins d’offrir des soins de qualité, de protéger ces derniers contre des poursuites, de veiller à ce que les décisions soient éclairées et il traduit dans les faits les droits et les préférences du patient.
Il est important de signaler que la planification préalable des soins est distincte de l’obtention du consentement et qu’elle en déclenche en fait le processus. Elle permet à une personne soit de confirmer le mandataire spécial implicite, précisé dans la LCSS, soit de désigner le mandataire spécial de son choix et de guider ce dernier dans la prise de décisions qui seront conformes à ses désirs, à ses valeurs et à ses croyances. Le mandataire spécial doit faire preuve de jugement pour appliquer ces désirs, valeurs et croyances dans le contexte d’une décision précise. Il peut, par exemple, y avoir des situations où un désir exprimé est tout simplement impossible à réaliser.
La planification préalable des soins ne dégage pas le prestataire de soins de son devoir de toujours obtenir le consentement d’un patient capable ou d’un mandataire spécial. En Ontario, les prestataires de soins doivent obtenir le consentement éclairé d’un patient ou d’un mandataire spécial avant de traiter, sauf dans des cas d’urgence très limités[493].
Les prestataires de soins doivent parler avec les patients pour leur expliquer leur état de santé, discuter des objectifs des soins et examiner avec eux les options de traitement. Le consentement éclairé d’un patient capable est exigé par la loi et il constitue la priorité du processus décisionnel. Si les prestataires de soins ont des raisons de croire qu’un patient est incapable, ils doivent l’évaluer pour déterminer son incapacité avant de se tourner vers un mandataire spécial qui prendra les décisions au nom de cette personne[494].
Lorsqu’un mandataire spécial est autorisé à prendre des décisions au nom d’une personne incapable, il doit suivre la procédure de prise de décision décrite dans la LCSS. Celle-ci commence par le respect des désirs exprimés par la personne alors qu’elle était capable, s’ils s’appliquent dans les circonstances et s’il est possible de les réaliser[495]. Une personne peut exprimer ses désirs verbalement ou par écrit, par exemple dans une procuration relative au soin de la personne. Les désirs plus récents, s’ils sont exprimés pendant que le patient est capable, l’emportent sur les moins récents[496]. Cette observation souligne l’importance de la planification préalable des soins comme moyen d’orienter les mandataires spéciaux dans les décisions qu’ils doivent prendre au nom des patients incapables.
Si, à ce que l’on sache, une personne n’a pas antérieurement exprimé de désirs qui répondent à ces critères, le mandataire spécial doit alors prendre des décisions dans l’intérêt véritable de la personne, en tenant compte de divers facteurs, dont le bien-être, les valeurs et les croyances de cette personne[497].
Les prestataires de soins ont une responsabilité, à savoir donner au patient et au mandataire spécial toute l’information nécessaire à un consentement éclairé. La LCSS prévoit les types de renseignements visés[498]. Le consentement qui n’est pas éclairé ne constitue pas un consentement légal aux termes de la LCSS.
En dernier lieu, le consentement aux décisions de traitement peut être obtenu immédiatement avant l’administration de ce dernier ou dans le contexte d’un plan de traitement. Un plan de traitement est un plan élaboré par un ou plusieurs prestataires de soins et porte sur les problèmes de santé qu’une personne présente ou présentera vraisemblablement à l’avenir étant donné son état de santé actuel[499]. Il prévoit l’administration à la personne de divers traitements ou séries de traitements, en fonction de son état de santé actuel[500].
Il ne faut pas confondre plans de traitement et planification préalable des soins. Comme les plans de traitement exigent un consentement éclairé, les patients et les mandataires spéciaux peuvent consentir à un plan de traitement, alors que seul un patient peut établir une planification préalable des soins[501].
ii. Relation entre les « objectifs des soins » et le cadre juridique
Un autre concept crucial du processus décisionnel en matière de soins de santé est celui des « objectifs des soins ». Les prestataires de soins peuvent utiliser l’expression « objectif des soins » pour désigner un cadre pertinent lorsque des décisions doivent être prises au sujet de maladies graves. Le langage des objectifs des soins ne se trouve pas dans la LCSS ni dans la LPDNA, et les cliniciens ne s’entendent pas tous sur leur objectif général, les résultats attendus et la façon de faire dans les discussions à ce sujet[502]. La CDO s’est fait dire que les discussions sur les objectifs des soins, associées au processus décisionnel en vertu de la loi, prêtaient à confusion.
Les Drs Jeff Myers, Leah Steinberg et Nadia Incardona expliquent que les discussions sur les « objectifs des soins » relèvent de deux « orientations conceptuelles » principales : les discussions axées sur les traitements et les discussions axées sur la personne. Dans les discussions axées sur les traitements, l’objectif est d’en arriver à des décisions sur les traitements à privilégier, par exemple un transfert aux soins palliatifs ou la précision, dans un plan de traitement, du désir de ne pas être réanimé[503]. Dans les discussions axées sur la personne, il est plutôt question des préférences et des objectifs de vie personnels d’un patient en ce qui concerne les soins à lui prodiguer, en préparation d’une prise de décision juridique ultérieure[504].
Dans la première interprétation, les discussions sur les objectifs des soins peuvent être assimilées à une prise de décision juridique en vertu de la LCSS et de la LPDNA parce qu’elles sont axées sur la prise d’une décision sur un traitement précis. La confusion est compréhensible parce qu’ailleurs, l’expression est expressément utilisée pour parler de la prise de décision juridique[505]. La CDO a toutefois entendu que cette définition pourrait accentuer les incompréhensions au sujet du cadre juridique unique de l’Ontario et par conséquent, minerait systématiquement le consentement éclairé.
Dans la seconde interprétation, les discussions sur les objectifs des soins ne visent pas à prendre une décision au sujet d’un traitement précis[506]. Il s’agit plutôt de voir ce qui importe aux yeux des patients, leur compréhension de leur état, et d’approfondir la compréhension entre les prestataires de soins, les patients et les mandataires spéciaux sur le lien entre les soins et l’atteinte des objectifs du patient, conformément à leurs valeurs personnelles. Dans ce contexte, les discussions sur les objectifs des soins visent à mieux connaître la personne pour formuler des préférences véritables. Ces dernières sont les fondements des discussions ultérieures sur des décisions précises (qui exigent un consentement éclairé). En ce sens, les discussions sur les objectifs des soins peuvent améliorer la prise de décision éclairée et axée sur la personne. Selon Myers et ses collaboratrices,
- [traduction] [l]e but [des discussions sur les objectifs des soins] serait de se préparer à la prise de décision pour mieux saisir la personne, comment ses valeurs se reflètent dans les objectifs qu’elle a exprimés pour ses soins et comment ces derniers concordent avec le tableau clinique et les modes de traitement envisagés. La discussion peut, entre autres, porter sur ses expériences antérieures, ses espoirs, ses valeurs, ses priorités, sa perception de la qualité de vie et ce qu’elle considère comme important. Le clinicien éclaircit ce que la personne comprend de son état actuel, comment elle définirait ou décrirait ses objectifs pour ses soins (autrement dit, être capable de faire ou de vivre quelque chose), de même que le sens et le rôle de ces objectifs.
Vue de cette manière, la discussion [sur les objectifs des soins] permet à un clinicien de saisir comment le patient voit son propre tableau clinique. Elle peut faire ressortir les renseignements erronés et les incompréhensions, de même que tout [objectif de soins] qui ne correspond pas au tableau clinique, comme le comprend le clinicien, voire qui y est incompatible[507].
Dans leur document commandé par la CDO sur les outils professionnels de la prise de décision, Wahl et ses collègues préconisent la seconde interprétation des objectifs des soins parce qu’elle [traduction] « “correspond le mieux” au cadre juridique ontarien de la prise de décision en matière de soins de santé[508] ». La CDO en convient. Les discussions sur les objectifs des soins peuvent aider à la fois les prestataires de soins et les décisionnaires à comprendre les types de soins à envisager et à proposer avant d’obtenir un consentement éclairé, compte tenu de ce qui est important pour les patients et possible pour atteindre leurs objectifs :
- [traduction] Une fois les besoins d’information comblés et grâce à une discussion axée sur la personne, le clinicien comprend [les objectifs des soins du patient] et il peut aborder la question des décisions à prendre. Pour ce, il faut explorer les traitements et les décisions en matière de soins qui correspondent le mieux à ces objectifs. Ainsi, les discussions [sur les objectifs des soins] axées sur la personne sont des précurseurs indispensables des discussions visant la prise de décision[509].
Même si les discussions sur les objectifs des soins peuvent améliorer la qualité de ces derniers en fin de vie, elles ne constituent pas une prise de décision au sens juridique. Par conséquent, nous proposons de les considérer comme une base d’un consentement éclairé de grande qualité en vertu de la LCSS et de la LPDNA.
iii. Incidences du processus décisionnel de l’Ontario sur les outils professionnels
La démarche juridique de l’obtention d’un consentement éclairé et des conversations sur la planification préalable des soins ont plusieurs répercussions nuancées. Il faut comprendre ces répercussions pour examiner les outils professionnels existants et voir si ces outils – ou de nouveaux – peuvent refléter la législation.
Comme nous l’expliquons ci-après dans la présente section, de nombreux outils professionnels ne reflètent pas avec exactitude le droit en raison d’une méconnaissance des paramètres du consentement et de la planification préalable des soins, de même que des objectifs de ces derniers. Il faudra donc tenir compte des cinq répercussions clés suivantes du processus décisionnel en Ontario à mesure que nous avancerons dans notre projet :
- Les conversations sur la planification préalable des soins, les discussions sur les objectifs des soins et le consentement éclairé sont des processus distincts qui forment un continuum.
- La planification préalable des soins permet à des personnes de prévoir, en cas d’incapacité juridique possible, leur consentement à un traitement.
- Par la planification préalable des soins, les personnes peuvent confirmer ou préciser un mandataire spécial qui prendra pour elles les décisions concernant les traitements.
- La planification préalable des soins permet aux personnes de préciser leurs valeurs, leurs désirs et leurs croyances en ce qui concerne les traitements.
- Les conversations sur les objectifs des soins créent une occasion de parler de l’état d’une personne et de définir les objectifs de vie que s’est fixés cette personne en particulier.
- La discussion sur les objectifs des soins crée un fondement pour la prise de décision ultérieure, dans le contexte juridique ontarien en matière de consentement éclairé.
- Dans la prise de décisions juridique, le consentement est distinct de la planification préalable des soins.
- Recevoir un consentement d’une personne juridiquement capable est la priorité des prestataires de soins qui proposent un traitement.
- Des personnes capables doivent elles-mêmes accepter ou refuser un traitement; le pouvoir décisionnel ne peut pas être délégué à un mandataire spécial ou à un prestataire de soins si la personne est capable.
- Les prestataires de soins doivent présumer qu’une personne est capable de prendre des décisions et établir qu’elle en est incapable avant de faire appel à un mandataire spécial.
- Les prestataires de soins peuvent obtenir le consentement du patient capable ou de son mandataire spécial (si le patient est incapable) pour décider du traitement en proposant un plan de traitement en fonction de l’état de santé actuel de la personne.
- Les conversations avec les prestataires de soins sur l’information nécessaire à la prise de décision font partie intégrante du processus de consentement.
- Le processus décisionnel est dynamique et continu – le consentement est lié à une décision en particulier et doit être mis à jour lorsque de nouveaux renseignements sont connus. Une personne peut en tout temps modifier ou retirer son consentement.
Le processus en matière de prise de décision juridique suppose également que les personnes ne peuvent être liées à l’égard de traitements futurs par une « directive » à l’intention des prestataires de soins. En Ontario, la planification préalable des soins a pour objet de permettre à un patient capable de déléguer à un mandataire spécial d’accepter ou de refuser un consentement en son nom, un consentement éclairé, adapté au contexte et conforme aux préférences de ce patient, s’il devenait incapable.
Dans le projet de la CDO sur la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle, nous avons examiné des propositions de réforme des lois ontariennes visant à autoriser les directives sur les soins ultérieurs qui existent dans d’autres provinces et pays. Le rapport préliminaire donne toutefois à penser que le cadre juridique ontarien établit un bon équilibre qui met l’accent sur le rôle du mandataire spécial dans l’interprétation et la transmission des désirs d’un patient auparavant capable et la communication d’un consentement éclairé lorsque des problèmes particuliers surviennent[510].
Tout outil professionnel que pourrait utiliser l’Ontario ne devrait pas être un outil qui, dans d’autres ressorts, autorise les directives qui préconisent de s’adresser directement aux prestataires de soins. La CDO croit plutôt que tout outil professionnel éventuel doit être conforme au libellé de la LCSS et de la LPDNA et promouvoir le consentement et la planification préalable des soins dans un processus continu, dynamique et nuancé.
4. Difficultés soulevées par les outils professionnels actuellement utilisés pour la prise de décision
i. Outils professionnels utilisés dans les établissements de soins de l’Ontario
Les organismes de santé, les éthiciens et les prestataires de soins disposent d’une foule d’outils professionnels qu’ils ont créés ou adaptés à partir de sources en ligne ou autres et que différents cadres de soins utilisent. Lors des consultations préliminaires de la CDO, des intervenants ont décrit les outils professionnels comme des outils appartenant à plusieurs groupes, dont les suivants :
Formulaires sur les niveaux de soins : formulaire comportant des cases à cocher, régulièrement utilisé au moment de l’admission dans des foyers de soins de longue durée pour y consigner les préférences concernant les interventions médicales dans les derniers moments de la vie, selon des catégories normalisées.
Formulaire de confirmation d’ordonnance de ne pas réanimer : formulaire officiel créé par le MSSLD qui informe les premiers intervenants, dans une situation d’urgence, de ne pas réanimer une personne vivant dans la collectivité ou dans un foyer de soins de longue durée. Ce formulaire de confirmation a une portée étroite et n’a aucune valeur juridique dans d’autres situations[511].
Ordonnances de ne pas réanimer et de ne pas procéder à une RCP : inscrites dans le dossier d’un patient hospitalisé pour indiquer que la RCP n’est pas indiquée ou que le patient a donné son consentement à ne pas être réanimé (se reporter à la section C, ci-dessous, pour les litiges sur le pouvoir juridique de délivrer ces ordonnances).
Orientations, guides, formulaires et trousses de planification préalable des soins : documents très variables qui peuvent se trouver en ligne et être utilisés dans tous les cadres de soins.
Formulaires sur les objectifs des soins : formulaires servant à documenter les objectifs des soins, souvent utilisés dans les établissements de soins palliatifs.
Trousses d’outils : ces trousses comprennent habituellement de l’information et des formulaires sur des sujets qui se recoupent, par exemple la planification préalable des soins, les objectifs des soins et le consentement.
Comme la liste qui précède donne à penser, il n’y a pas qu’un seul outil professionnel qui serve au consentement ou à la planification préalable des soins ou aux deux en Ontario. Il existe plutôt de nombreux outils mis au point dans le cadre d’actions individuelles. La CDO a commandé un document sur ce sujet à Wahl et ses collègues qui ont examiné et évalué plus de 100 de ces outils professionnels[512]. Ces derniers servent à diverses fins (le consentement, la planification préalable des soins, les objectifs des soins par exemple) et seulement 18 d’entre eux recoupent deux sujets ou plus[513].
Il n’y a pas « qu’une seule voix qui fasse autorité » ni « d’organisme de réglementation » qui coordonne les ressources au nom des organismes de santé et des prestataires de soins[514]. Vu la fragmentation du système de santé entre les secteurs, les prestataires de soins peuvent être orientés différemment sur la façon d’établir les priorités et d’intégrer le consentement et la planification préalable des soins dans leur pratique. Pour cette raison [traduction] « les prestataires de soins et d’autres en première ligne reçoivent à l’occasion des messages mixtes sur ce qui est une bonne pratique en matière [de consentement aux soins de santé, de planification préalable des soins et d’objectifs des soins][515] ». Autrement dit, la prolifération des outils professionnels, de même que les fréquentes incohérences et inexactitudes dans ces outils ont tous la même origine : la décentralisation en la matière en Ontario, ce qui pousse les institutions et les professions à rechercher la clarté et une orientation.
Nous abordons ci-après des problèmes particuliers concernant les outils professionnels actuels qui découlent de ces préoccupations.
ii. Problèmes liés aux outils professionnels actuels
La CDO a reçu des commentaires des prestataires de soins, des éthiciens, des juristes et des organismes communautaires sur les problèmes profonds posés par les outils professionnels actuels en Ontario. On nous a dit que ces outils équivalent à des formulaires obligatoires dans de nombreux établissements de soins, en particulier les foyers de soins de longue durée, même si la planification préalable des soins est une démarche volontaire. Le simple nombre d’outils professionnels et les incohérences qu’on y trouve sont des causes de confusion et, en général, ils en réduisent la crédibilité lorsque différents cadres de soins les utilisent (lorsqu’un formulaire sur les « niveaux de soins » sert dans un hôpital).
De plus, on nous a souvent dit que de nombreux outils professionnels ne reflètent pas fidèlement la législation sur le consentement éclairé et la planification préalable des soins dans la province : ils sont proposés comme des « directives » sur le consentement (qui n’ont aucun fondement légal en Ontario); ils peuvent demander aux mandataires spéciaux d’exprimer des désirs au nom d’une personne; et ils donnent une fausse hiérarchie des mandataires spéciaux prévue dans la LCSS, entre autres problèmes.
La recherche commandée par la CDO à Wahl et ses collègues confirme l’existence de nombreux problèmes liés aux outils professionnels, à la suite de l’évaluation empirique d’un grand échantillon de documents et de consultations. Nous recommandons de consulter directement les résultats de ces travaux pour des renseignements détaillés, mais voici au moins quelques-unes des difficultés observées :
- Manque d’exactitude en ce qui concerne tous les éléments de la législation, en particulier le consentement éclairé: de nombreux outils professionnels contiennent des erreurs concernant le cadre juridique en vigueur en Ontario[516]. Ils ne soulignent pas, en particulier, la priorité d’obtenir le consentement dans un processus dynamique et continu qui commence par la participation du patient. La plupart des outils professionnels n’expliquent pas les droits et responsabilités respectifs des prestataires de soins, des patients et des mandataires spéciaux[517]. Certains indiquent que le mandataire spécial est le « plus proche parent », au lieu de suivre la liste des mandataires spéciaux obligatoires donnée dans la LCSS. De plus, les outils professionnels peuvent chercher à demander au mandataire spécial d’exprimer des désirs au nom du patient, ce que la loi interdit[518].
- Utilisation incorrecte des outils pour obtenir le consentement ou limiter les options de traitement : les outils professionnels sont souvent utilisés pour obtenir le consentement à un traitement, y compris le retrait et l’abstention des traitements, d’une manière qui s’apparente à une « directive » aux prestataires de soins[519]. Ils sont souvent utilisés aussi pour demander un résultat précis ou une décision au sujet d’un traitement (le consentement à refuser la RCP par exemple) au lieu de se concentrer sur le processus décisionnel. À moins qu’il ne s’agisse toutefois d’un plan de traitement valable (voir la définition ci-dessus), des personnes ne peuvent pas consentir à des traitements futurs; elles ne peuvent qu’exprimer des désirs qui seront interprétés par un mandataire spécial, si elles deviennent incapables.
- Absence de liens entre la planification préalable des soins, les objectifs des soins et le consentement éclairé: il existe des incompréhensions fondamentales qui se reflètent dans les outils professionnels au point d’intersection de la planification préalable des soins, des discussions sur les objectifs des soins et du consentement éclairé[520]. Les objectifs des soins peuvent actuellement être traités comme un consentement ou une planification préalable des soins, alors que chacun devrait être envisagé séparément, dans le contexte d’un continuum[521]. Le consentement et la planification préalable des soins peuvent également être assimilés l’un à l’autre[522]. Cette imprécision nuit à la bonne utilisation des outils professionnels et accentue les inexactitudes sur les rôles respectifs des prestataires de soins, des patients et des mandataires spéciaux.
- Utilisation de documents obtenus d’ailleurs: un médecin traitant doit s’assurer d’obtenir le consentement éclairé. Cela veut dire qu’il lui incombe de confirmer le consentement exprimé précédemment à un autre prestataire de soins avant son transfert[523]. Il est particulièrement difficile d’utiliser les outils professionnels qui ont servi à indiquer qu’une personne a consenti à s’abstenir de mesures essentielles au maintien de la vie parce qu’on ne peut pas vérifier la qualité de l’information fournie au patient et que les circonstances peuvent avoir changé[524]. Le mésusage des formulaires de confirmation de l’ordonnance de ne pas réanimer, qui s’adressent uniquement aux premiers intervenants, en est un exemple[525]. Ces formulaires sont une solution limitée à un problème pratique (combler une lacune dans l’étendue de la pratique des premiers intervenants); pourtant, on les utilise dans les hôpitaux pour confirmer l’ordonnance de ne pas réanimer au moment de l’admission, ce qui peut ne pas tenir compte d’un changement dans l’état de santé de la personne et est simplement interdit par la loi[526].
- Évaluation juridique limitée: les juristes semblent participer rarement à l’examen des outils professionnels[527]. Les éthiciens et les prestataires de soins peuvent se voir demander d’évaluer des documents ou sont appelés à gérer des projets d’élaboration d’outils, mais les juristes ne font d’ordinaire pas partie des équipes[528]. De plus, même si les foyers de soins de longue durée sont tenus de faire attester par un juriste les documents portant sur le consentement et des questions de planification préalable des soins pour s’assurer qu’ils sont conformes à la loi, cela ne semble pas se faire généralement dans la pratique[529]. Les protocoles d’inspection du MSSLD en ce qui concerne les foyers de soins de longue durée ne semblent pas non plus exiger une évaluation précise de cette exigence, même si les inspecteurs étudient effectivement les documents réglementés lorsqu’une plainte est portée ou qu’une préoccupation énoncée pendant une inspection de la qualité des services aux résidents a trait à des accusations portées par ces derniers ou met en cause un document réglementé[530].
Il existe d’autres problèmes liés aux outils professionnels, mais nous attirons pour le moment l’attention sur une dernière difficulté qui a trait au rôle de la vulgarisation juridique, car nous reviendrons sur ces problèmes dans nos conversations avec les membres du public, à la phase de consultation qui leur est réservée.
Nous vous invitons à nous faire part de vos expériences concernant d’autres difficultés que nous pourrions ajouter à notre évaluation des outils professionnels.
iii. Le rôle de la vulgarisation juridique
Au cours des consultations préliminaires sur le projet, et de manière plus approfondie au cours du projet pluriannuel de la CDO sur la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle, les intervenants ont perçu en grand nombre que la méconnaissance de ce domaine du droit est endémique à tous les niveaux et qu’il s’agit là d’une cause importante et grave d’une application erronée de la loi.
La vulgarisation est une solution à cette méconnaissance répandue et de nombreux intervenants ont souligné l’importance d’une vulgarisation plus efficace et approfondie dans ce domaine.
Il est important toutefois de se rappeler que la vulgarisation en soi n’est pas une panacée qui résoudra le problème si les formulaires et les outils que les spécialistes utilisent sont inexacts, si les façons de procéder normalisées ne comprennent pas de mécanismes pertinents pour le consentement ou s’il y a des obstacles ou des sources systémiques de découragement à la bonne mise en œuvre de la loi. Autrement dit, la vulgarisation n’est qu’un aspect de toute action plus large pour une mise en œuvre efficace des lois de l’Ontario en matière de planification préalable des soins et de consentement.
Cela dit, l’absence de vulgarisation auprès des prestataires de soins et du public en ce qui concerne la planification préalable des soins, les objectifs des soins et le consentement constitue un thème prépondérant des consultations préliminaires de la CDO et de la recherche réalisée à l’externe. On a dit des prestataires de soins qu’ils avaient des « connaissances de base » de ces processus, [traduction] « mais qu’ils ne reconnaissent pas toujours la distinction à faire entre ces concepts[531] ». L’application des connaissances du concept à la pratique ne se fait pas sans heurts[532]. Des outils professionnels inexacts ou déficients peuvent également mener à des habitudes erronées[533].
Le projet de la CDO sur la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle comprend un examen de la vulgarisation juridique sur laquelle nous nous appuyons dans le présent projet. Notre rapport provisoire dans ce projet a abouti à des résultats de recherche approfondis sur les lacunes en matière de vulgarisation, après plusieurs années de consultation dans la province. Ce rapport présente également des recommandations sur les solutions possibles à ce problème.
Pour faciliter les renvois, nous vous donnons ci-dessous un aperçu des conclusions et des projets de recommandation principaux de ce projet, également pertinents ici.
- Pour en savoir plus sur l’ampleur du projet de la CDO, reportez-vous à voir C « La portée du projet intègre les faits de l’actualité » et à 1.D.2 « Élaboration du projet, recherches et consultation ».
Propositions de la CDO touchant la vulgarisation juridique
Les auteurs du Rapport préliminaire sur la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle de la CDO ont observé qu’il n’y a pas assez de vulgarisation et d’orientation pour que les prestataires de soins puissent évaluer la capacité de prendre des décisions au sujet des traitements[534]. L’absence de normes claires en vertu de la LCSS ainsi que les lacunes de la vulgarisation dans certaines professions ont occasionné de la confusion et de l’anxiété au sujet des évaluations[535]. De plus, de nombreux prestataires de soins connaissent peu leurs obligations en ce qui concerne l’évaluation de la capacité et la présentation de l’information sur leurs droits aux patients qu’ils déterminent incapables[536].
Compte tenu de ces facteurs et d’autres, la CDO a proposé d’élaborer des lignes directrices officielles pour les évaluations en vertu de la LCSS. Nous avons proposé un certain nombre de principes de base et de droits procéduraux à inclure dans ces lignes directrices[537]. Nous avons recommandé des modes de communication de l’information sur leurs droits aux patients que l’exigence de normes minimales en vertu de la LCSS pourrait modifier[538]. Nous avons en outre proposé de modifier la LCSS pour y inclure un devoir clair et explicite pour les prestataires de soins d’informer les mandataires spéciaux de leurs rôles et de leurs responsabilités, indiquant que la création d’un formulaire normalisé pourrait les appuyer à cet égard[539].
D’autres recommandations pertinentes ont trait à la vulgarisation, à la formation, à l’information, à l’assurance de la qualité et à l’attribution des pouvoirs réglementaires à ces égards. Nous ne pouvons décrire toutes les propositions de la CDO vu les limites du présent document de travail. Nous vous invitons donc à lire nos rapports pour en savoir plus, mais nous soulignons que nos recommandations portent sur le rôle des institutions suivantes pour renforcer ces domaines, compte tenu de leurs mandats respectifs :
- Établissements de formation professionnelle
- Ordres des professions de la santé réglementées
- Qualité des services de santé Ontario
- Réseaux locaux d’intégration des services de santé
- Ministère de la Santé et des Soins de longue durée[540].
Les auteurs du rapport proposent, par exemple, que les établissements de formation professionnelle réexaminent leur curriculum et envisagent de renforcer l’étude des questions liées à la capacité, à la prise de décision et au consentement[541]. De plus, nous proposons que les ordres des professions de la santé réglementées fassent des questions concernant ces domaines du droit une priorité dans leurs programmes d’assurance de la qualité, y compris la détermination et l’évaluation des compétences de base[542].
Nos recommandations dans le projet sur la capacité et la prise de décision proposent également que le gouvernement de l’Ontario dirige l’élaboration d’une stratégie générale visant la vulgarisation, la formation et l’information qui serait déléguée à un établissement approprié[543].
Cette dernière recommandation s’adressait aux spécialistes qui donnent des conseils sur la loi et qui l’appliquent, de même qu’aux utilisateurs directement touchés par la capacité et la prise de décision. Ainsi, tout établissement futur faciliterait la vulgarisation auprès du public et la formation professionnelle pour les prestataires de soins et autres en cette matière de capacité et de prise de décision.
- Le rapport définitif de la CDO sur la capacité et la prise de décision a été publié en mars 2017. On peut le consulter dans notre site Web, à lco-cdo.org.
5. Possibilités d’améliorer la compréhension des lois en matière de consentement et de planification préalable des soins
On a demandé à la CDO d’examiner des stratégies afin de résoudre les problèmes découlant de la multiplicité, de l’incohérence et de l’inexactitude des outils professionnels utilisés pour la prise de décision en fin de vie. Le présent projet ne revoit pas le processus décisionnel en matière de consentement éclairé et de planification préalable des soins en Ontario.
Nous croyons que la LCSS crée un bon équilibre en ce qui concerne l’importance accordée au consentement, c’est-à-dire d’exiger d’abord le consentement éclairé d’une personne capable. Si cette personne devient incapable, le fait de demander à un mandataire spécial qu’il interprète et applique les désirs, les valeurs et les croyances exprimés antérieurement dans les circonstances favorise l’autonomie et l’autodétermination du patient. Cette solution réduit également les risques inhérents à l’obligation de respecter des instructions visant des soins futurs qu’on ne peut pas correctement comprendre s’il ne s’agit pas de l’état de santé actuel d’une personne.
Par conséquent, notre tâche a trait à l’application concrète des lois ontariennes en matière de consentement et de planification préalable des soins à l’intention des prestataires de soins, des patients et des mandataires spéciaux. Cette tâche soulève diverses questions que nous aimerions approfondir par d’autres consultations.
La première question vise à déterminer si la création d’outils professionnels normalisés serait souhaitable, voire possible en Ontario.
Plusieurs provinces au Canada et aux États États-Unis ont créé des outils professionnels normalisés, par exemple la trousse Green Sleeve du ministère de la Santé de l’Alberta, qui contient une « directive personnelle » (pour la désignation d’un mandataire spécial) et une « désignation des objectifs des soins » (inscrite comme une ordonnance médicale)[544]. Les lois de ces ressorts, y compris l’Alberta, diffèrent cependant de celles de l’Ontario et elles ne correspondraient pas à nos normes du consentement éclairé[545].
La documentation de la Fraser Health Authority de la Colombie-Britannique en est un autre exemple et, dans ce cas également, les lois diffèrent de celles de l’Ontario en raison des distinctions juridiques entre le consentement et la planification préalable des soins et l’insistance que met l’Ontario sur le consentement comme processus continu[546].
Étant donné que les lois ontariennes exigent un processus continu de prise de décisions qui dépendent toujours du contexte susceptible de changer, la CDO se demande si ces documents normalisés pourraient être conformes à la loi.
Après leur évaluation experte du cadre juridique, des outils professionnels existants et des expériences des intervenants en Ontario, Wahl et ses collègues concluent [traduction] « [qu’]un ensemble d’outils et de méthodes normalisés ne serait pas possible[547] ». Les auteures expliquent d’abord que l’habitude des outils professionnels est trop répandue et enracinée pour qu’elle disparaisse. Elles constatent ensuite qu’il « n’y a pas un ensemble “parfait’ d’outils et de méthodes » qui répondrait à tous les besoins différents de services de santé[548].
Selon ce que nous entendrons pendant nos consultations dans ce projet, la deuxième question de la CDO portera sur les solutions de rechange à la conception d’outils normalisés. Wahl et ses collègues proposent la mise en œuvre d’une solution systémique qui viserait à changer les comportements dans le système de santé, y compris les organismes de santé et les prestataires de soins, de même que le public. Cette solution est axée sur les quatre éléments suivants :
- l’utilisation de la terminologie de la LCSS dans tous les outils professionnels existants,
- la vulgarisation auprès de tous les intervenants,
- l’assurance de l’exactitude juridique de tous les outils professionnels,
- la promotion du respect de la loi par des méthodes d’application de cette dernière.
Les auteures recommandent une stratégie à volets multiples pour intégrer avec créativité ces aspects de changement systémique dans lequel interviennent tous les niveaux de gouvernance, y compris le MSSLD, les RLISS, QSSO, les ordres de réglementation des professions de la santé, les exploitants de foyers de soins de longue durée, le protecteur des patients, les organismes d’accréditation et d’autres.
Il est intéressant de signaler dans ce contexte les efforts importants d’organismes communautaires ontariens pour réunir et évaluer les outils professionnels existants en fonction du cadre juridique, et coordonner l’échange des connaissances sur les pratiques exemplaires.
L’ACE et la communauté de pratique du consentement et de la planification préalable des soins d’HPCO, par exemple, sont deux centres d’excellence de l’intégration des lois ontariennes dans les outils professionnels. En plus d’un comité consultatif directeur centralisé, qui comprend un représentant de l’ACE, le projet de l’HPCO fait appel à des dirigeants régionaux qui représentent chacun des RLISS de la province[549]. L’ACE et la communauté de pratique de l’HPCO examinent tous deux les outils professionnels, font de la vulgarisation juridique auprès du public et tiennent des ateliers à l’intention des prestataires de services[550]. On constate donc que de véritables efforts sont faits partout dans la province pour susciter un changement systémique, même si parfois ils ne sont pas assez approfondis qu’il le faudrait pour susciter un réel changement de culture.
La CDO voudrait savoir si les efforts en cours pourraient être intensifiés pour être intégrés dans nos autres systèmes communautaires ou réglementaires. Nous souhaiterions en particulier savoir s’il conviendrait de préciser dans le présent projet nos recommandations du projet sur la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle sur le renforcement de l’information et de la vulgarisation pour y inclure un volet d’assurance de la qualité des outils professionnels.
En dernier lieu, la CDO aimerait plus d’opinions sur le contenu d’éventuels outils professionnels ou d’autres solutions pour la vulgarisation et la mise en œuvre. Le contenu de ces outils pourrait peut-être différer selon les établissements de soins, en soulignant toutefois qu’il devrait toujours y figurer un ensemble de droits et de principes fondamentaux reconnus dans la LCSS et la LPDNA.
L’élaboration du contenu devrait s’appuyer sur des objectifs précis, par exemple comment marquer le fait que la prise de décision juridique est un processus ou comment mieux intégrer les objectifs de bonnes communications et de bons objectifs des soins à la préparation à la prise de décision. On pourrait aussi chercher des moyens d’intégrer la primauté du consentement éclairé (y compris les plans de traitement) dans les actions axées sur la planification préalable des soins.
Nous vous invitons à consulter l’annexe du document de recherche subventionné qui présente des recommandations sur les contenus en fonction des auditoires cibles (les prestataires de soins, les patients, les mandataires spéciaux, les organismes de soins de santé) pour y lire d’autres exemples.
6. Questions à discuter
10. Comment peut-on mieux soutenir les institutions, les spécialistes et la population pour l’obtention de consentements en matière de soins de santé qui soient utiles et respectueux de la loi?
11. Comment des outils professionnels peuvent-ils permettre d’atteindre l’objectif de dispenser des renseignements exacts, cohérents et utiles sur le consentement et la planification préalable des soins?
C. Pouvoir décisionnel en matière de traitements essentiels au maintien de la vie
1. Introduction
De nombreux Ontariens ont, dans leur vie, eu à prendre des décisions sur des traitements essentiels au maintien de la vie en raison de leur propre état de santé ou de celui de membres de leur famille et d’amis. Certaines de ces décisions ont trait à des interventions nécessaires à la survie (RCP, par exemple) ou à des traitements essentiels au maintien de la vie (maintien des fonctions vitales). Mis à part les traitements médicaux, l’assistance pour les besoins essentiels tels que manger et boire devient aussi de plus en plus indispensable dans les derniers moments de la vie.
La prise de décisions dans ces situations est extrêmement difficile; elle nous oblige à regarder en face nos propres valeurs et émotions et à les définir. Elle soulève également des préoccupations d’ordre éthique chez les prestataires de soins pour qui leur rôle consiste seulement à offrir les traitements qu’ils jugent bénéfiques sur le plan clinique. Les valeurs du patient et du mandataire entrent parfois en contradiction avec celles des prestataires de soins dans les situations où il faut décider d’administrer ou non des traitements essentiels au maintien de la vie à une personne qui vit les derniers moments de sa vie. Ces situations peuvent être bouleversantes et stressantes, en particulier lorsque la législation sur le pouvoir décisionnel n’est pas tranchée.
La difficulté, pour un grand nombre d’entre nous, à communiquer et à prendre des décisions efficaces dans les situations stressantes et émotionnelles ajoute à la difficulté. Des patients et des familles peuvent ne pas être bien préparés aux conversations sur les derniers moments de la vie. Des intervenants ont laissé entendre que la culture populaire encourage les attentes irréalistes à l’égard de la médecine moderne. Dans un document préparé pour la CDO, Cartagena et ses collègues ont signalé qu’il était difficile, voire impossible, pour certains patients de parler de la souffrance à la fin de la vie : ces conversations les obligent à faire face à ce qui les attend et exigent d’eux beaucoup de courage[551].
De plus, des familles peuvent, on le comprend, être réticentes à se parler de la possibilité de la mort. Pour cette raison, certaines familles et certains patients peuvent ne pas être prêts à accepter les réalités de leur situation et continuer d’espérer « un miracle ». Les membres de la famille peuvent ne pas être prêts au fardeau émotionnel et éthique des décisions à prendre en fin de vie : ils peuvent hésiter à assumer la responsabilité de décisions qui entraînent la mort, même s’ils croient que ces décisions peuvent être ce qu’il vaut mieux pour leur être cher ou que ces décisions reflètent les désirs et les valeurs de ce dernier.
Par ailleurs, certains prestataires de soins peuvent aussi trouver ces conversations difficiles. Selon Cartagena et ses collègues, le temps, la formation et les ressources sont des contraintes à la capacité de ces prestataires de répondre aux besoins des patients et des familles dans les derniers moments de la vie[552].
La CDO reconnaît la nécessité d’un équilibre entre les intérêts des patients, des mandataires spéciaux et des prestataires de soins dans la prise de décisions en général, mais d’importantes questions sur le pouvoir juridique de prendre des décisions dans des circonstances particulières dans les derniers moments de la vie sont à clarifier.
Nous passons ici en revue l’état du droit sur le sujet et les débats éthiques qui l’entourent. Plus précisément, nous examinons qui a le pouvoir de décider si une personne se verra offrir ou recevra des mesures essentielles au maintien de sa vie aux deux égards susmentionnés :
- les soins de santé
- les choses nécessaires à l’existence (les aliments et l’eau par exemple).
La législation est claire à certains égards, mais elle n’est pas fixée à de nombreux autres. La présente section porte donc sur ce que devrait être la législation.
- Pour faciliter la compréhension, nous utilisons l’expression « traitements essentiels au maintien de la vie » pour désigner les différents types de traitements dont il est question dans le présent chapitre.
2. Définition des valeurs et des concepts qui influencent les décisions
Les décisions sur le retrait et l’abstention des traitements essentiels au maintien de la vie peuvent être influencées par diverses valeurs et divers concepts, brièvement décrits ci-dessous. Ces valeurs peuvent être les fondements de la loi, des cadres éthiques ou des obligations professionnelles. Elles peuvent également influencer les façons de voir ou les décisions des patients, des familles ou des prestataires de soins. Elles peuvent trouver leurs sources dans des cadres éthiques ou juridiques, ou plus largement dans des valeurs religieuses ou spirituelles.
Les paragraphes suivants ne se veulent pas une liste exhaustive des valeurs ou des concepts pertinents ni une exploration approfondie des uns ou des autres. Ils visent plutôt à fournir quelques notions de départ dont il convient de tenir compte.
Autonomie et autodétermination : l’autonomie et l’autodétermination sont généralement reconnues comme des principes cruciaux de l’administration de tout traitement, car ils reconnaissent l’importance fondamentale de l’intégrité physique.
Le principe d’autonomie est tout particulièrement reconnu dans le contexte des décisions sur des traitements. Dans Fleming c. Reid, la Cour d’appel de l’Ontario a souligné que [traduction] « sous le régime de la common law, le droit à l’intégrité physique et à l’autonomie personnelle est si profondément enraciné dans les traditions de notre droit qu’il est considéré comme un droit fondamental méritant la protection la plus stricte. […] Le droit, en common law, de disposer de son propre corps et le droit constitutionnel à la sécurité de la personne, tous deux fondés sur la croyance à la dignité et à l’autonomie de chacun, peut être traité comme un droit coextensif[553] ». La LCSS précise, dans ses objets, d’accroître l’autonomie[554].
Les principes de base de l’autonomie et de l’indépendance sont tous deux pris en compte dans les deux projets récents de la CDO, soit le Cadre du droit touchant les personnes handicapées et le Cadre du droit touchant les personnes âgées (les « Cadres »)[555]. Dans les deux Cadres, les définitions mettent l’accent sur le fait que l’atteinte de l’autonomie ou de l’indépendance qui exiger des mesures de soutien et que l’autonomie doit se comprendre dans le contexte des relations de la personne. Ces remarques valent tout particulièrement dans le contexte des derniers moments de la vie, quand les personnes deviennent plus fragiles et que les relations familiales tendent à prendre plus de place.
Les points de vue qui favorisent les principes d’autonomie et d’autodétermination font ressortir de graves inquiétudes à la « voix » que pourraient perdre les personnes mêmes à qui le traitement doit bénéficier[556]. L’expérience de la mort est incroyablement personnelle. Elle touche au cœur même de notre identité en tant que personne, membre d’une famille et participant à une communauté. Certains craignent beaucoup que des prestataires de soins à qui on donnerait le pouvoir de décider de traitements essentiels au maintien de la vie puissent ne pas bien saisir l’importance des valeurs personnelles, non médicales dans le processus de la mort.
Pour certains, nous avons peut-être, en tant que culture, accordé trop de poids à l’autonomie, tant culturellement que juridiquement, particulièrement dans les derniers moments de la vie, lorsque la nature même du processus en fait un processus de moins en moins autonome, de moins en moins en maîtrise et de moins en moins sensible. Cartagena et ses collègues citent un prestataire de soins :
- [traduction] « Lorsque nous nous sentons menacés, nous n’utilisons pas notre cortex frontal. Notre réflexion est très limitée et nos seules pensées sont axées sur “comment vais-je assurer ma sécurité”? Ainsi, si quelqu’un se sent menacé et qu’il a peur de mourir d’une mort horrible, il peut lui sembler sensé de dire, évidemment : “précipiter ma vie a du sens. Tout sera bientôt fini”. […] Ainsi, si l’on parle de capacité, je crois que si une personne se sent menacée, elle peut prendre une décision qui différerait de celle qu’elle prendrait si elle était dans la partie de son cerveau qui réfléchit, ne se sentirait pas seule et isolée et ressentirait les liens qui l’unissent à son entourage et à sa propre force[557]. »
Des prestataires de soins ont en outre souligné que l’autonomie n’a pas nécessairement autant d’importance pour nombreuses autres cultures et qu’il pourrait nuire à l’expérience de la fin de vie de de certaines personnes que de présumer automatiquement que l’autonomie devrait l’emporter sur d’autres valeurs[558].
Bienfaisance : le principe de la bienfaisance désigne les obligations éthiques et professionnelles d’un prestataire de soins d’atténuer les souffrances et d’administrer des traitements bénéfiques pour le patient. De même, le principe de la non-malfaisance exige que les prestataires de soins s’abstiennent d’administrer des traitements néfastes au patient[559].
La Commission de réforme du droit du Manitoba souligne que le but premier d’un traitement médical est de rétablir ou de maintenir dans la mesure du possible la santé du patient, de maximiser les avantages et de réduire au minimum les méfaits[560].
Dans un document commandé par la CDO sur la souffrance et la capacité en fin de vie, les auteurs ont souligné que les prestataires de soins peuvent éprouver de la détresse morale s’ils administrent des traitements non bénéfiques qui entraînent des souffrances[561].
Utilité : il est souvent question des concepts d’utilité dans les discussions sur la bienfaisance et les deux termes sont parfois confondus ou assimilés l’un à l’autre.
Lorsqu’un traitement proposé est inutile ou inefficace, il peut ne pas convenir d’offrir le traitement ou de le maintenir. La Commission de réforme du droit du Manitoba distingue fort utilement deux aspects de la « futilité » :
- [traduction] La futilité physiologique décrit un traitement qui ne fonctionnera pas ou qui ne peut pas atteindre l’objectif souhaité. Il s’agit en grande partie d’une question de jugement médical clinique. La futilité qualitative introduit le concept très controversé du traitement qui n’en vaut pas la peine ou qui ne produira pas un résultat souhaitable. Le mot « futile » tend à mettre l’accent sur la connotation qualitative du mot et donne à penser qu’il s’agit avant tout d’un jugement de valeur. Cette connotation a fait tomber le mot en discrédit. En particulier, il suscite l’inconfort dans les groupes vulnérables tels que les personnes handicapées et les personnes âgées[562].
Selon la Commission de réforme du droit du Manitoba, il serait plus utile de se concentrer sur « l’inopportunité médicale » pour souligner les aspects cliniques de la prise de décision.
Les deux concepts de la bienfaisance et de l’utilité sont enracinés dans le jugement clinique expert du prestataire de soins et les normes de pratique.
La compréhension de l’application possible de ces principes exige des connaissances fondamentales sur les conséquences physiologiques et sociales possibles des traitements essentiels au maintien de la vie, de même que les croyances populaires dans la profession de la santé. En Ontario, il n’existe pas de définition juridique de ce qui constitue l’utilité, la pertinence médicale, la bienfaisance et la malfaisance dans ce contexte.
Justice distributive : dans un document récent, Downie, Wilmott et White ont indiqué que la justice distributive était un aspect pertinent dont il fallait tenir compte dans le retrait et l’abstention d’un traitement qui pourrait être essentiel au maintien de la vie. Aucun système de santé n’a des ressources illimitées, et les ressources telles que les lits de soins intensifs coûtent cher et sont limitées. Les auteurs soulignent qu’il [traduction] « n’est pas immoral de rationner les ressources. Cela arrive souvent et c’est nécessaire : aucun pays ne peut avoir les moyens de fournir tout ce qui est médicalement possible à tout le monde […] s’il existe des politiques justes, il peut alors être défendable, sur le plan éthique, de refuser un traitement à certaines personnes[563]. »
Dans l’étude du concept de la justice distributive, il est important de reconnaître les préoccupations des personnes âgées et des personnes handicapées, par exemple. Des hypothèses négatives et stéréotypées sur la qualité ou la valeur de la vie de certains groupes pourraient influencer e manière inopportune des décisions sur l’administration de traitements essentiels au maintien de la vie. Le Cadre du droit touchant aux personnes âgées, par exemple, fait état d’attitudes qui voient les personnes âgées comme des personnes n’ayant plus rien à apporter et attendant simplement la mort[564].
Valeur de la vie : la valeur de la vie est un point de départ fondamental de toute discussion sur l’abstention et le retrait de traitements essentiels au maintien de la vie. Dans certains cas, cette valeur vient de convictions religieuses du caractère sacré de la vie, mais elle a également des racines dans les cadres éthiques et juridiques plus généraux qui voient en la vie une valeur intrinsèque. Dans Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), la Cour suprême a souligné le caractère sacré de la vie dont il faut tenir compte, de même que la liberté et la sécurité de la personne dans l’examen des questions liées à la fin de vie[565].
Dans certaines décisions, ces valeurs seront harmonieuses. Dans d’autres, des tensions s’exprimeront. Downie, Wilmott et White ont laissé entendre qu’un cadre réglementaire clair qui s’inscrirait dans des processus légitimes et accessibles pourrait être utile pour tenir dûment compte des valeurs sur lesquelles il faut s’appuyer pour prendre ces décisions difficiles[566].
3. Décisions sur le retrait et l’abstention d’un traitement essentiel au maintien de la vie
i. Définition du retrait et de l’abstention d’un traitement essentiel au maintien de la vie
L’abstention d’un traitement essentiel au maintien de la vie désigne le fait de laisser la mort se produire naturellement lorsque survient un incident mortel, par exemple un infarctus du myocarde. Généralement, l’expression est utilisée dans des situations limitées où la RCP pourrait être offerte. Celle-ci peut être donnée ou non administrée, quel que soit le cadre où se trouve la personne, chez elle, dans un foyer de soins de longue durée ou à l’hôpital.
Par contraste, le retrait d’un traitement essentiel au maintien de la vie veut dire cesser d’administrer des mesures de maintien des fonctions vitales déjà fournies, par exemple la respiration artificielle et la nutrition en milieu hospitalier. Le résultat du retrait d’un traitement essentiel au maintien de la vie est semblable à l’abstention en ce sens que la mort peut survenir naturellement.
Le retrait et l’abstention d’un traitement essentiel au maintien de la vie ne sont pas synonymes des soins palliatifs. Ils peuvent toutefois les précéder et ils sont intimement liés à la prestation de soins palliatifs, dont la gestion de la douleur et des symptômes et les accompagnements[567].
ii. Domaines du pouvoir décisionnel selon la loi
Au Canada, les personnes capables et les mandataires spéciaux qui parlent au nom d’une personne incapable peuvent légalement refuser un traitement essentiel au maintien de la vie[568].
Dans l’affaire Malette c. Shulman, la Cour d’appel de l’Ontario a tranché qu’en common law, les personnes capables peuvent refuser un traitement essentiel au maintien de la vie, conformément aux droits à l’autonomie et à l’autodétermination[569]. La Cour suprême a également reconnu la légalité du consentement à ces traitements de fin de vie dans plusieurs cas[570]. Récemment, la Cour suprême a affirmé dans Carter que même si la mort peut découler de la décision d’une personne, cela ne la prive pas de son droit à l’autodétermination[571]. La LCSS codifie également le droit de refuser un traitement[572].
La loi est claire, les personnes (ou leurs mandataires spéciaux) ont le droit de refuser un traitement essentiel au maintien de la vie. Toutefois, la loi est moins claire – ou à tout le moins controversée – pour la question de savoir si les prestataires de soins sont tenus de proposer un traitement qui, de leur avis, ne serait pas utile aux patients et si ces derniers (ou les mandataires spéciaux) peuvent insister pour le recevoir lorsque les prestataires de soins sont en désaccord.
Par exemple, les prestataires de soins peuvent-ils choisir de ne pas offrir la RCP s’ils sont d’avis qu’elle ne sera pas bénéfique pour le patient? Les mandataires spéciaux peuvent-ils exiger que tous les traitements possibles soient administrés pour prolonger la vie d’un patient?
Dans ces situations, [traduction] « [l]e problème réside dans les conflits entre l’intérêt des patients (ou des familles) dans la détermination du traitement médical et l’intérêt des médecins de ne pas être tenus d’exercer une médecine contraire à leur éthique professionnelle[573] ».
iii. Points de vue divergents sur le pouvoir décisionnel selon la loi
Il existe deux principaux points de vue divergents sur le détenteur du pouvoir décisionnel lorsqu’il est question de retrait et d’abstention des traitements essentiels au maintien de la vie.
Selon certains, les prestataires de soins devraient avoir le pouvoir de choisir quels traitements sont offerts, selon leur jugement clinique sur ce qui conviendrait le mieux au patient. Selon d’autres, les prestataires de soins doivent offrir des traitements essentiels au maintien de la vie de sorte que les patients ou les mandataires spéciaux puissent eux-mêmes décider.
Ces deux façons de voir ne sont pas toujours contradictoires : il pourrait arriver qu’elles coïncident lorsque les patients ou les mandataires spéciaux partagent l’avis du prestataire de soins sur les conséquences d’un traitement bénéfique.
Il survient néanmoins des conflits entre les prestataires de soins, les patients et les mandataires spéciaux sur la pertinence de l’administration d’un traitement essentiel au maintien de la vie. La CDO a observé que les conflits sont particulièrement courants lorsque la personne la plus vulnérable dans le litige – le patient – est inconsciente ou autrement incapable et qu’une décision doit être prise en son nom.
Une personne extrêmement fragile peut se rétablir d’un incident de maladie grâce à la RCP, mais demeurer aux soins intensifs jusqu’à sa mort. Une personne qui reçoit des traitements vitaux peut ne pas redevenir consciente, décliner indéfiniment et développer des complications au fil du temps. D’autres personnes pourraient ne plus pouvoir vivre de manière aussi indépendante qu’avant de recevoir le traitement. D’autres encore pourraient se rétablir pleinement et recouvrer leurs capacités physiques et psychologiques. Ce sont des exemples de situations que les prestataires de soins, les patients et les mandataires spéciaux pourraient juger différemment si l’on pense à la qualité de vie, aux avantages ou aux inconvénients des traitements.
Dans un milieu clinique, les prestataires de soins peuvent avoir leurs propres définitions de la bienfaisance et de la malfaisance. Selon une étude d’experts commandée par la CDO, [traduction] « les cliniciens canadiens ont généralement des définitions semblables d’un “traitement non bénéfique”[574] ». En citant une recherche qualitative antérieure, les auteurs, Downar ses collègues, expliquent :
- [traduction] […] Les médecins des soins intensifs, les infirmiers et infirmières et les inhalothérapeutes définissaient généralement un traitement non bénéfique comme « l’utilisation de ressources considérables sans espoir raisonnable que le patient retrouve un état d’indépendance relative ou puisse interagir avec son environnement ». Un sondage subséquent a fait constater que les définitions les plus couramment acceptées d’un traitement non bénéfique sont les suivantes : « traitement curatif/avancé de prolongation de la vie qui se traduirait presque sans contredit par une qualité de vie que le patient a précédemment déclaré qu’il ne voudrait pas » et « traitement curatif/avancé de prolongation de la vie qui ne correspond pas aux objectifs des soins (définis par le patient)[575] ».
Ainsi, Downar et ses collègues expliquent que les prestataires de soins tiennent souvent compte des valeurs du patient lorsqu’ils déterminent un traitement bénéfique. Ces auteurs reconnaissent que lorsqu’ils ne connaissent les valeurs du patient ou lorsqu’ils perçoivent que les valeurs connues sont irréalistes ou incorrectement transmises, les prestataires de soins ne peuvent pas toujours intégrer facilement les valeurs du patient dans leur évaluation des soins nécessaires[576].
En général, les prestataires de soins n’ont pas besoin d’offrir des traitements qui ne sont pas indiqués sur le plan clinique : [traduction] « Les médecins ne devraient pas prescrire d’antibiotiques pour des maladies virales [ou] effectuer une chirurgie thérapeutique sans indicateurs cliniques de maladie ou de lésion[577] ». De plus, comme nous l’avons expliqué précédemment, il n’existe pas de droit positif en matière de soins de santé au Canada.
Toutefois, comme la Commission de réforme du droit du Manitoba le décrit dans son rapport de 2003 intitulé Withholding or Withdrawing Life Sustaining Medical Treatment, le pouvoir du prestataire de soins de choisir quel traitement administrer diffère indéniablement lorsqu’il est question de soins de fin de vie :
- [traduction] Le caractère sacré et la valeur de toute vie humaine, les conséquences profondes et irréversibles […] les circonstances personnelles de la famille du patient, la vie spirituelle et culturelle et la peur du patient de perdre la maîtrise au moment le plus vulnérable de son existence expliquent tous l’attrait émotionnel et intuitif pour la notion de l’autonomie personnelle et du soutien du droit d’un patient non seulement de refuser un traitement essentiel au maintien de sa vie, mais également d’exiger des mesures qui le maintiendront en vie[578].
La CDO a également entendu que l’absence de normes uniformes et transparentes pour l’évaluation d’un traitement bénéfique[579] suscitait des inquiétudes. Des juristes, en particulier, ont dit craindre qu’il y ait des préjugés à l’égard de certains groupes qui peuvent être fragiles ou vulnérables, par exemple les personnes âgées et les personnes handicapées, lorsque des jugements de nature qualitative sur la qualité de la vie sont en cause[580]. Nous avons entendu des craintes que dans certains cas, les ressources financières aient priorité sur la vie de ces groupes qui peuvent être considérés (à tort) comme des groupes qui valent moins la peine de recevoir des soins. On nous a également dit qu’on ne tienne pas compte des convictions religieuses et des croyances culturelles que les prestataires de soins peuvent ne pas toujours partager avec leurs patients[581].
Des décisions de la CCC confirment, par exemple, des désaccords entre les prestataires de soins et les mandataires spéciaux qui divergent d’opinions quant à l’équilibre entre la foi et les croyances culturelles, la qualité de vie et les perceptions du bienfait médical[582]. De plus, plusieurs décisions de la CARPS prouvent des allégations portées par des mandataires spéciaux que des traitements essentiels au maintien de la vie n’ont pas été proposés aux membres de la famille en raison des préjugés liés au vieil âge[583].
La CDO a entendu plusieurs personnes lui donner des exemples de situations où les prestataires de soins ont versé, sans consulter, une ordonnance de « non-réanimation » aux dossiers médicaux du membre de leur famille à l’hôpital (ce qui empêcherait l’administration de la RCP en cas d’arrêt cardiaque). On a dit avoir eu un choc, avoir été en colère et avoir ressenti des sentiments d’injustice. Les décisions de la CARPS font également ressortir les conflits que suscitent le pouvoir des prestataires de soins de rendre des ordonnances de non-réanimation et le rôle du consentement, des communications et de la documentation[584].
Même les défenseurs d’un pouvoir accru aux prestataires de soins parlent des avantages généraux de communications sensibles et ouvertes avec les patients et les mandataires spéciaux, d’une meilleure vulgarisation des risques des traitements essentiels au maintien de la vie et de meilleures méthodes de collaboration pour la prise de décisions.
iv. Cadre juridique en vigueur en Ontario
Comme nous y avons fait allusion précédemment, le pouvoir décisionnel concernant les traitements essentiels au maintien de la vie est clair dans certains cas, mais pas dans d’autres.
En particulier, il faut obtenir un consentement pour retirer un traitement à une personne déjà traitée, mais la loi n’est pas claire pour ce qui est de la légalité, pour les prestataires de soins, de s’abstenir d’administrer un traitement en omettant simplement de l’offrir au patient ou au mandataire spécial dès le début (ou en refusant de l’administrer, si on le lui demande). Cela dit, certains continuent de préconiser une réforme juridique dans des domaines déjà arrêtés.
Sujets de débat concernant le pouvoir décisionnel |
Il existe de multiples sujets de débats permanents sur qui devrait détenir le pouvoir décisionnel en matière de traitements essentiels au maintien de la vie.
Le premier traitement médical qui suscite des débats est la RCP – est-ce que s’abstenir (ne pas offrir) d’effectuer la RCP exige le consentement du patient ou du mandataire spécial en vertu de la loi? Ou encore, le prestataire de soins, en usant de son jugement, peut-il ne pas offrir la RCP? Il n’en demeure pas moins que certaines personnes proposent également de réévaluer les lois en vigueur en Ontario qui exigent le consentement du patient ou du mandataire spécial de retirer des mesures de maintien des fonctions vitales. |
La source la plus fiable pour le cadre juridique de l’Ontario est l’arrêt de la Cour suprême dans Cuthbertson c. Rasouli[585]. Autrement, la jurisprudence est contradictoire[586]. Nous résumons ci-dessous l’affaire Rasouli et d’autres sources importantes du droit qui sont au cœur du débat public.
Retrait d’un traitement essentiel au maintien de la vie dans l’affaire Rasouli
Dans Rasouli, la Cour suprême a confirmé que la LCSS exige des prestataires de soins qu’ils obtiennent le consentement d’un patient ou du mandataire spécial avant de retirer un traitement de maintien de la vie[587].
M. Rasouli a contracté une infection qui lui a causé de graves lésions cérébrales à la suite d’une chirurgie pour une tumeur bénigne. On a d’abord diagnostiqué qu’il était dans un état végétatif permanent, puis ce diagnostic a changé pour passer à celui « d’état de conscience minimale ». Le fonctionnement cognitif de M. Rasouli était gravement atteint et il était maintenu en vie artificiellement (M. Rasouli demeure dans cet état encore aujourd’hui[588]). Selon les médecins traitants de M. Rasouli, le fait de continuer à lui administrer le traitement qui le maintient en vie ne comportait aucun effet bénéfique pour lui, et ils ont proposé à son épouse de lui administrer plutôt des soins palliatifs, ce qu’elle a refusé en tant que mandataire spécial. Les prestataires de soins ont répondu qu’ils n’avaient pas besoin de ce consentement, soutenant que le retrait des moyens artificiels n’était pas un traitement aux termes de la LCSS. La mandataire spéciale a déposé une requête devant les tribunaux pour interdire le retrait du traitement de maintien de la vie[589].
La Cour suprême a interprété le libellé de la LCSS pour établir que le retrait d’un traitement constitue un traitement et, par conséquent, exige un consentement. Comme l’expliquent Handelman et Gordon :
- [traduction] Selon la définition du traitement dans la LCSS, le retrait d’un traitement de maintien de la vie équivaut à un traitement. Il est fait pour des raisons thérapeutiques, palliatives ou autres raisons liées à la santé. Sauf dans les situations d’urgence, entreprendre un traitement exige un consentement – même s’il s’agit d’un traitement qui consiste à retirer les mesures de maintien des fonctions vitales[590].
La Cour suprême a également confirmé dans Rasouli la démarche à suivre pour obtenir le consentement d’un mandataire aux termes de la LCSS et les recours possibles des mandataires spéciaux et des prestataires de soins, en cas de désaccords. Les aspects importants de cette démarche prévue dans la LCSS peuvent se résumer de la manière suivante :
- les mandataires spéciaux doivent respecter le processus décisionnel précisé dans la LCSS, ce qui commence par l’exécution des désirs du patient lorsqu’il était capable de les exprimer, s’ils s’appliquent aux circonstances. Si on ne connaît pas les désirs du patient, qu’ils ne sont pas applicables ou qu’ils sont impossibles à exécuter, le mandataire spécial doit prendre des décisions au mieux des intérêts du patient;
- le critère de l’intérêt véritable oblige à considérer divers facteurs, dont les valeurs et les croyances du patient, de même que les risques et les avantages du traitement;
- les prestataires de soins de santé ont l’obligation d’obtenir le consentement éclairé d’un mandataire spécial qui respecte les principes de la prise de décision aux termes de la LCSS;
- si les prestataires de soins ne croient pas que le mandataire spécial se conforme à la LCSS et qu’ils sont incapables de résoudre le litige, ils peuvent demander à la CCC de rendre une décision sur les désirs ou l’intérêt véritable du patient, selon le cas.
Dans le contexte du projet de la CDO, plusieurs éléments de cette démarche sont à préciser.
Tout d’abord, la législation ontarienne vise déjà à mettre en équilibre les principes d’autonomie, d’autodétermination et de sécurité et les principes de bienfaisance et de non-malfaisance. Au-delà du respect des valeurs et des croyances du patient, les mandataires spéciaux doivent considérer d’autres facteurs, dont la question de savoir si le traitement est susceptible d’améliorer l’état ou le bien-être de la personne et empêcher sa détérioration, et si l’effet bénéfique l’emporte sur le risque d’effets néfastes[591].
La LCSS ne donne pas cependant d’orientation sur la façon dont ces divers facteurs doivent être mis en équilibre. Par conséquent, l’application du critère de l’intérêt véritable aux termes de la LCSS (ou des soins du patient à cet égard) peut aboutir à des résultats très différents, selon les soins, les valeurs et les croyances du patient et son état de santé[592]. En fait, contrairement à Rasouli, dans la majorité des cas où la CCC a examiné des litiges concernant des soins en fin de vie, elle a adopté les arguments des prestataires de soins de santé selon lesquels le traitement ne serait pas dans l’intérêt véritable du patient[593].
Par ailleurs, les prestataires de soins ont dit à la CDO que le critère de l’intérêt véritable n’englobe pas suffisamment les principes de bienfaisance et de non-malfaisance et qu’ils devraient avoir un pouvoir décisionnel accru pour prendre des décisions unilatérales sur les traitements essentiels au maintien de la vie. Une partie de leurs préoccupations a trait à l’efficacité du processus de la CCC, dont nous parlons au chapitre 7 sur le mode substitutif de résolution des différends (MSRD). Les prestataires de soins s’opposent en outre à la perspective d’être tenus par la loi d’administrer des traitements qui, à leur avis, vont à l’encontre de leurs responsabilités professionnelles et éthiques.
Rasouli est une affaire d’interprétation de la loi. Par conséquent, la Cour suprême ne s’est pas prononcée sur qui devrait avoir le pouvoir décisionnel selon des questions de légitimité « philosophique » et éthique[594] ». Elle a donc interprété la LCSS au pied de la lettre pour déterminer ce que le droit législatif ontarien applique à l’heure actuelle.
La Cour suprême n’a pas reconnu les préoccupations des prestataires de soins au sujet de leurs responsabilités éthiques. À la fin, cependant, elle a tranché qu’on ne peut reprocher à des prestataires de soins de santé de suivre la loi et que des solutions créatives peuvent s’imposer lorsqu’il existe des contradictions entre la loi et l’éthique d’un prestataire de soins qui ne peuvent être résolues :
- [… bien que] le médecin puisse estimer que son obligation juridique de ne pas retirer le traitement de maintien de la vie entre en conflit avec son éthique professionnelle ou personnelle, de telles tensions sont inhérentes à la pratique de la médecine.[…]
- Lorsqu’on tente de trancher, les médecins ont forcément à composer avec des conflits éthiques concernant le retrait d’un traitement de maintien de la vie. Aucun principe juridique ne saurait écarter tous les dilemmes éthiques. Il faudrait plutôt trouver une solution pratique permettant aux médecins de se conformer à la loi et de respecter leur éthique professionnelle et personnelle[595].
Débats en cours sur l’abstention de RCP
La Cour suprême a limité sa décision dans Rasouli à l’ensemble des faits limités de cette affaire[596]. Elle n’a pas explicitement tranché que le fait de ne pas offrir un traitement, par exemple la RCP, exige le consentement aux termes de la LCSS[597]. Pour cette raison, les débats sur le pouvoir décisionnel ou non des prestataires de soins de ne pas offrir la RCP sont très controversés en Ontario. Le projet de la CDO est en partie conçu pour résoudre certaines de ces controverses et présenter des recommandations réfléchies.
Dans sa politique de 2016 sur la planification et la prestation de soins de vie de qualité (Planning for and Providing Quality End-of-Life Care), l’OMCO reconnaît que [traduction] « la loi manque actuellement de clarté en ce qui concerne les exigences du consentement pour une ordonnance de non-réanimation[598]. Il existe un nombre considérable de cas, de décisions de tribunaux administratifs et de documents d’orientation professionnelle qui en arrivent à des conclusions contradictoires sur le sujet[599]. Une décision récente de la CARPS a interprété l’arrêt Rasouli dans le sens qu’il faut obtenir un consentement avant que les prestataires de soins ne rendent une ordonnance de non-réanimation qui est versée au dossier d’un patient hospitalisé[600]. Cette interprétation a, elle aussi, suscité la critique et de vives réactions dans les professions de la santé.
L’un des documents d’experts commandé par la CDO dans le cadre du présent projet examine diverses positions des intervenants à ce sujet. Les auteurs soutiennent qu’en pratique, la RCP est devenue un traitement « par défaut » pour diverses raisons. Elle n’exige pas le consentement du patient ou du mandataire spécial, car l’on considère qu’il s’agit d’un traitement d’urgence aux termes de la LCSS[601]. Cependant, la loi entourant le fait de ne pas offrir la RCP est très ambiguë. Ainsi, même s’il est inopportun d’offrir des traitements qui ne sont pas bénéfiques par défaut dans de nombreux autres contextes, les auteurs affirment qu’il existe une « double norme » lorsqu’il s’agit de la RCP[602]. Par ailleurs, de nombreux prestataires de soins de santé, disent les auteurs, [traduction] « souhaitent éviter la RCP chez les patients en fin de vie, soutenant que ce traitement peut entraîner des souffrances sans avantage médical manifeste[603] ».
Il faut rappeler que le pouvoir juridique de décider si un traitement essentiel au maintien de la vie est administré n’équivaut pas à un résultat, ainsi que le souligne l’arrêt Rasouli à propos du retrait d’une mesure de maintien des fonctions vitales. La LCSS et l’arrêt Rasouli requièrent le consentement à ce retrait, car celui-ci équivaut à un résultat (la mort probablement). Le fait de ne pas proposer la RCP dans des cas très limités peut être à la discrétion du prestataire (c’est-à-dire dans les cas où la RCP n’aboutirait pas à son objectif physiologique). Si les patients et les mandataires spéciaux ont le pouvoir juridique de prendre la décision, ils peuvent très bien choisir une mort naturelle et des soins palliatifs, étant donné, en particulier, que ces choix sont de plus en plus acceptés socialement.
La CDO sait que les prestataires de soins, les patients, les mandataires spéciaux et les juristes ont toutes sortes d’opinions sur les traitements essentiels au maintien de la vie en général, de même que sur la personne qui devrait, au bout du compte, avoir le pouvoir de décider de l’offre ou non de ces traitements.
La politique de l’OMCO sur les soins de fin de vie propose un certain compromis. Reconnaissant que la loi n’est pas claire, elle donne aux médecins une orientation axée sur la démarche qui prévoit ce qui suit :
- Les médecins qui souhaitent verser au dossier d’un patient une ordonnance de non-réanimation ne peuvent pas le faire unilatéralement. Ils doivent d’abord en discuter avec le patient ou le mandataire spécial et expliquer les raisons pour lesquelles la RCP n’est pas prescrite.
- Si le patient ou le mandataire spécial est en désaccord et qu’il insiste pour la RCP, les médecins doivent entamer un mode de règlement des différends (ce dont la CDO traite au chapitre 7).
- Pendant le règlement d’un différend, les médecins ne peuvent pas rendre d’ordonnance de non-réanimation.
- S’il se produit un incident exigeant dans les faits la RCP, les médecins doivent l’administrer à moins que l’état du patient n’empêche l’obtention des objectifs physiologiques voulus de la RCP (autrement dit, fournir un flux sanguin oxygéné au cœur et au cerveau).
- Outre le règlement non officiel des différends (une consultation en matière de déontologie par exemple), si un litige survient à la suite d’une interprétation par le mandataire spécial d’un désir ou parce que le médecin croit que le mandataire spécial ne respecte pas la LCSS, il peut déposer une requête à la CCC[604].
L’orientation de l’OMCO date de mai 2016, elle tient compte donc de l’arrêt Rasouli, de la décision de la CARPS et des présentations des intervenants au sujet de l’orientation. Comme on le constate à la lecture de ce qui précède, elle interdit aux prestataires de soins de santé de rendre des ordonnances de non-réanimation sans consentement; elle les autorise toutefois à ne pas offrir la RCP si un incident réel survient et que la RCP n’aura aucune efficacité physiologique. L’orientation reconnaît des considérations temporelles dans les deux cas (il peut y avoir du temps pour discuter des ordonnances de RCP à l’hôpital) et le pouvoir discrétionnaire du prestataire de soins de santé dans des circonstances limitées, quand une évaluation qualitative de la qualité de vie serait moins probable.
L’orientation de l’OMCO a reçu peu de commentaires jusqu’à maintenant, bien que certains aient soutenu qu’elle n’est pas encore assez claire ni assez souple pour les prestataires de soins de santé[605].
v. Clarté et uniformité juridiques
Il devrait être évident, compte tenu de l’orientation de l’OMCO et des divergences d’opinions en ce qui concerne le retrait d’un traitement vital et le fait de ne pas offrir la RCP, les possibilités de réforme législative sont multiples. Les principes de bienfaisance, de non-malfaisance, d’autonomie, d’autodétermination et de sécurité peuvent mener à des solutions nuancées pour les différents types de traitements.
La CDO est d’avis que la loi doit être claire et uniforme pour tous les intervenants lorsqu’il s’agit de décisions concernant les traitements essentiels au maintien de la vie[606]. L’uniformité ne veut pas nécessairement dire que chaque pratique médicale doit être réglementée de la même manière. Dans certaines provinces, dont l’Ontario, des traitements de fin de vie différents sont gérés différemment. Ces différences ne doivent cependant pas être arbitraires; elles doivent refléter un équilibre des principes justifiable.
Le cadre juridique actuel de l’Ontario comprend la LCSS, l’arrêt de la Cour suprême dans Rasouli, une jurisprudence contradictoire et diverses politiques. L’orientation de l’OMCO établit des distinctions entre les exigences relatives au consentement pour différents types de traitement de fin de vie. Il y est dit que la LCSS et Rasouli exigent le consentement pour le retrait de traitements vitaux et que les ordonnances de non-réanimation exigent également un consentement, mais que la décision de ne pas offrir la RCP dans des circonstances limitées appartient au prestataire de soins (c’est-à-dire dans les cas où la RCP ne donnerait pas le résultat physiologique attendu).
D’autres ressorts ont fait face aux mêmes problèmes que ceux auxquels nous nous heurtons dans ce projet et ont retenu diverses réponses.
L’État australien du Queensland, par exemple, a un cadre assez semblable à l’orientation de l’OMCO[607]. Il faut le consentement pour rendre une ordonnance de non-réanimation dans le dossier médical d’un patient, car il peut y avoir du temps pour la consultation et la discussion. Les prestataires de soins peuvent toutefois s’abstenir d’exécuter la RCP sans obtenir le consentement d’un mandataire spécial dans les « urgences graves », si le patient est incapable, si le prestataire de soins ne connaît pas de désirs contraires et s’il croit raisonnablement que la RCP ne constituera pas un bon traitement médical[608]. La loi du Queensland définit des règles encore plus nuancées dans d’autres circonstances, dont le retrait d’un traitement vital avec consentement[609].
Au Royaume-Uni, les médecins ont généralement le droit de déterminer la pertinence d’un traitement essentiel au maintien de la vie[610]. Ils doivent toutefois obtenir une ordonnance de la Cour des tutelles à la fois pour le retrait et l’abstention d’un traitement essentiel au maintien de la vie dans le cas des patients qui sont dans un état végétatif permanent ou à peine conscient[611].
De nombreux ressorts donnent simplement la priorité au pouvoir discrétionnaire du prestataire de soins[612]. Après l’examen d’un éventail considérable d’options de réforme, la Commission de réforme du droit du Manitoba a recommandé cette formule, maintenant réglementée par le truchement du Collège des médecins et chirurgiens du Manitoba[613]. Le rapport de la Commission de réforme du droit du Manitoba a été publié avant l’affaire Rasouli et il n’est pas certain que cette formule résisterait à une contestation étant donné la décision de la Cour suprême[614].
Compte tenu de la situation ailleurs et du contexte particulier de l’Ontario, la CDO souhaiterait savoir si notre amalgame actuel de façons de faire permet le meilleur équilibre possible pour les Ontariennes et les Ontariens.
En concluant cette partie, nous aimerions reconnaître les difficultés que comporte ce secteur du droit, outre les préoccupations sur la vulgarisation et les communications, les outils pour le consentement et la planification préalable des soins, ainsi que le règlement des différends. Les publications montrent un manque flagrant de vulgarisation et de communication chez les prestataires de soins, les patients et les mandataires spéciaux, et l’inefficacité des stratégies actuelles à résoudre les conflits.
Diverses propositions soulignent les avantages de ces autres méthodes dans la conclusion de règlements à l’aimable entre les parties concernées :
[traduction] dans la plupart des cas, lorsque les médecins, les patients et les mandataires spéciaux discutent de l’administration ou non d’un traitement essentiel au maintien de la vie, tous les intervenants parviennent à s’entendre. Les cliniciens, les patients et les mandataires spéciaux expriment tous une forte préférence pour les consensus dans la prise de décision plutôt que les décisions unilatérales. Les désaccords et les différends irréconciliables sont plutôt rares[615].
Comme ces questions touchent à de nombreuses autres préoccupations, la CDO a choisi d’en traiter ultérieurement dans le présent document (se reporter à la section D, ci-dessous et au chapitre 7).
- Pour de plus amples renseignements sur les opinions de la population ontarienne sur le pouvoir décisionnel en matière de traitements essentiels au maintien de la vie, veuillez consulter le rapport commandé par la CDO, Downar et coll., « Balancing the interests of patients, substitute decision-makers, family and health care providers in decision-making over the withdrawal and withholding of treatment », http://www.lco-cdo.org.
4. Décisions d’offrir les choses nécessaires à l’existence dans l’aide aux activités de la vie quotidienne
i. Définir les choses nécessaires à l’existence dans l’aide aux activités de la vie quotidienne
Sans compter ce qu’on pourrait qualifier de « traitement », des mesures essentielles au maintien de la vie sont courantes dans les derniers moments de la vie. Nous examinerons dans la présente section les lois régissant les décisions sur la fourniture des choses nécessaires à l’existence dans l’aide aux activités de la vie quotidienne, en l’occurrence la nourriture et l’eau.
L’aide pour manger et boire diffère des traitements, dont la nutrition et l’hydratation artificielles qui peuvent faire partie de traitements vitaux même si, de toute évidence, ils ne servent qu’à maintenir la vie. La nourriture et l’eau peuvent être proposées aux personnes qui reçoivent des soins dans un foyer privé, un foyer de soins de longue durée, une maison de retraite, un hospice ou même un hôpital. Pendant les consultations préliminaires de la CDO, les intervenants ont principalement parlé des résidents des foyers de soins de longue durée qui peuvent grandement dépendre d’autrui pour leurs activités de la vie quotidienne.
Les problèmes évoqués dans cette section du document viennent principalement du contexte des personnes qui ont un mandataire spécial qui prend des décisions sur les activités de la vie quotidienne. Lorsqu’elles sont capables, des personnes peuvent volontairement cesser de manger et de boire. Certains patients capables peuvent volontairement arrêter de manger et de boire pour précipiter leur décès[616].
Des faits anecdotiques laissent croire que des mandataires spéciaux ont à l’occasion donné l’instruction aux infirmières ou infirmiers et aux préposés au soutien à la personne de ne pas offrir de la nourriture et de l’eau afin de respecter des désirs exprimés précédemment par la personne ou en raison de leur interprétation du critère de l’intérêt véritable selon la LCSS. Une affaire survenue récemment en Colombie-Britannique, Bentley c. Maplewood, a porté cette question à l’attention du public (discutée plus avant ci-après[617]).
On a donc demandé à la CDO d’examiner si les mandataires spéciaux ont le droit de refuser leur consentement à la fourniture de nourriture et d’eau. On nous a aussi demandé de déterminer s’il y a un devoir juridique contradictoire dans ces situations qui obligent les prestataires de services tels que les préposés au soutien à la personne et les infirmiers et infirmières à offrir de la nourriture et de l’eau aux résidents confiés à leurs soins.
Il est important, dans ce contexte, de faire la différence entre offrir de la nourriture et de l’eau et obliger une personne à les consommer. Les propos de la présente section portent sur la question de savoir si les prestataires de soins ont le devoir d’offrir de la nourriture et de l’eau.
À cet égard aussi, la loi n’est pas fixée non plus en raison, cette fois, du chevauchement de lois qui peuvent être contradictoires. Nous traitons de cette interaction en cherchant à répondre aux deux questions énoncées ci-dessus.
ii. Les mandataires spéciaux peuvent-ils refuser leur consentement à la nourriture et à l’eau?
Il est normal que des personnes en fin de vie perdent l’appétit ou éprouvent des difficultés à manger et à avaler[618]. Ils peuvent cesser de manger et de boire s’ils choisissent de le faire pour des raisons d’autodétermination et d’intégrité physique. Notre interrogation sur le consentement à la nourriture et à l’eau concerne moins les personnes qui refusent de se nourrir que les possibilités pour les mandataires spéciaux de refuser leur consentement à la nourriture et à l’eau au nom d’une autre personne.
L’affaire Bentley susmentionnée illustre comment cette question touche les gens dans la réalité. Dans l’affaire Bentley, les membres de la famille ont demandé qu’un établissement de soins cesse de nourrir Mme Bentley à la cuiller, une femme âgée à un stade avancé de l’Alzheimer. Mme Bentley avait auparavant écrit le désir que si elle en venait à n’avoir aucune attente raisonnable de rétablissement d’une invalidité physique ou mentale extrême, elle souhaitait qu’on la laisse mourir, y compris ne plus lui fournir de « nourriture ou de liquides »[619]. Elle avait également demandé d’être « euthanasiée » si elle devenait incapable de reconnaître les membres de sa famille[620]. Contrairement à la demande de la famille, l’établissement de soins a continué de nourrir Mme Bentley à la cuiller, soutenant que ses employés devaient lui assurer les « choses nécessaires à l’existence » en vertu de la législation provinciale et du Code criminel.
L’affaire Bentley est complexe dans le cadre du présent projet parce que les lois sur la prise de décision en Colombie-Britannique diffèrent de celles de l’Ontario. En Ontario, un cas semblable aurait bien pu avoir une issue différente. Il est important de se rappeler que le tribunal a tranché que Mme Bentley était capable de prendre ses propres décisions. La cour a néanmoins fait quelques observations qui pourraient être pertinentes ici.
La cour a tranché que se nourrir dans un établissement de soins constitue un soin personnel et non un traitement. Elle a également dit que de retirer la nourriture et l’eau à une personne incapable n’est pas autorisé par la loi en vertu de la législation provinciale en matière de soins parce que cela équivaudrait à de la négligence. Elle n’a pas abordé les questions entourant le Code criminel[621].
Ci-dessous, nous examinons si la loi interdit à un mandataire spécial de consentir au retrait de la nourriture et de l’eau. Nous examinons d’abord si un mandataire spécial pourrait refuser son consentement à la nutrition, selon les sources pertinentes du droit provincial.
Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé
La LCSS aborde divers sujets qui ont trait à l’aide aux activités de la vie quotidienne appelée « services d’aide personnelle[622] ». Cette notion s’applique uniquement aux services assurés dans les foyers de soins de longue durée. Dans sa définition des services d’aide personnelle, la Loi englobe l’aide pour manger et boire. Elle exclut toutefois les services d’aide personnelle de la définition de traitement[623]. Pour cette raison, l’exigence positive d’obtenir le consentement au traitement dans la LCSS ne s’applique pas à la fourniture de la nourriture et de l’eau. La LCSS ne contient pas non plus de disposition explicite exigeant qu’un prestataire de soins obtienne le consentement avant d’apporter son aide aux activités de la vie quotidienne, ce qui contraste avec l’exigence d’obtenir le consentement dans le cas d’un traitement[624].
On peut peut-être soutenir que l’exigence du consentement est néanmoins implicite dans la LCSS. La Loi prévoit, par exemple, qui peut se substituer à la personne pour consentir à des services d’aide personnelle. Elle permet également d’exprimer au préalable ses désirs au sujet des services d’aide personnelle et elle exige des mandataires spéciaux qu’ils suivent une démarche semblable pour la prise de décisions au nom d’une autre personne, comme ils le feraient dans le cas d’un traitement[625].
Loi de 2007 sur les foyers de soins de longue durée
Selon la Loi de 2007 sur les foyers de soins de longue durée, ces derniers doivent obtenir le consentement des résidents pour les évaluer et établir leur « programme de soins ». Elle prévoit aussi que « la présente loi n’a pas pour effet d’autoriser un titulaire de permis à évaluer les besoins d’un résident ou à fournir des soins ou des services à un résident sans le consentement de celui-ci[626] ». La « déclaration des droits des résidents » affirme également le droit des résidents de foyers de longue durée de participer pleinement à l’élaboration, à la mise en œuvre et à la révision de leur programme de soins, de même qu’à toute décision concernant tout aspect de leurs soins, et à donner ou à refuser leur consentement à un traitement, à des soins ou à des services pour lesquels la loi exige leur consentement[627]. Par conséquent, il faut le consentement d’un résident pour offrir des soins; de plus, un mandataire spécial peut fournir un consentement au nom d’une personne incapable qui réside dans un foyer de soins de longue durée. Il est également utile de placer ces dispositions dans le contexte plus large du devoir d’un titulaire de permis non seulement de protéger les résidents des mauvais traitements, mais également de veiller à ce qu’ils ne soient pas, de sa part ou de celle de son personnel, victimes de négligence[628].
Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui
L’aide aux activités de la vie quotidienne est appelée « soin à la personne[629] » dans la LPDNA. Cette loi décrit les modes de nomination d’un tuteur ou d’un procureur titulaire d’une procuration relative au soin de la personne. Ces soins, en vertu de la LPDNA, ne visent pas uniquement les foyers de soins de longue durée, ils s’appliquent aussi aux soins à domicile et aux soins communautaires et ils comprennent expressément « l’alimentation[630] ». La LPDNA précise également que si une personne accorde une procuration relative au soin de la personne, cette procuration « peut contenir des instructions à l’égard des décisions que le procureur est autorisé à prendre[631] ».
Loi de 1994 sur les services de soins à domicile et les services communautaires
La Loi de 1994 sur les services de soins à domicile et les services communautaires traite explicitement du consentement dans une disposition qui s’apparente à celle sur les soins de longue durée, à savoir que les prestataires de soins ne peuvent pas « offrir un service communautaire à une personne, sans son consentement [632] ». Le Guide des politiques à l’égard des services aux clients des Centres d’accès aux soins communautaires affirme qu’un mandataire spécial peut accorder le consentement lorsqu’un service communautaire comporte l’alimentation[633].
Politiques des ordres et des associations des professions de la santé
La plupart des orientations des ordres de réglementation et des associations de prestataires de soins de l’Ontario n’abordent pas précisément cette question. Même si le consentement est souvent indiqué comme un aspect important et obligatoire des soins, les normes d’exercice en matière de soins de fin de vie soulignent généralement qu’il faut fournir assez d’eau et de nourriture[634]. Il est conseillé aux prestataires de soins dans un document d’élaborer un programme de soins concernant [traduction] « les règles en matière d’alimentation et d’hydratation » et « d’offrir des liquides et des aliments selon ce que le résident tolère et souhaite[635] ». On a également dit à la CDO que des établissements adoptent des orientations non officielles contradictoires sur la question de savoir s’il faut continuer à offrir ou non de la nourriture et de l’eau en fin de vie.
Pour résumer cette section, le cadre juridique de l’Ontario dit implicitement que le consentement d’un mandataire spécial est obligatoire pour s’abstenir de fournir de l’eau et de la nourriture à une personne incapable.
En pratique, toutefois, la CDO sait que le lien entre les prestataires de soins et les mandataires spéciaux sont beaucoup plus fluides et que le consentement n’est pas régulièrement donné dans les établissements, les foyers de soins de longue durée et de soins communautaires. Cette situation pourrait créer des attentes différentes entre les prestataires de soins et les mandataires spéciaux sur leurs pouvoirs décisionnels respectifs.
iii. Les prestataires de soins sont-ils tenus par la loi de fournir la nourriture et l’eau?
Toute exigence éventuelle d’obtenir le consentement avant de fournir la nourriture et l’eau, dont nous venons de parler ci-dessus, semblerait en contradiction avec d’autres dispositions de la Loi de 2007 sur les foyers de soins de longue durée et le Code criminel. Ces mesures législatives ont pour objet de veiller à ce que les personnes qui ont un lien de dépendance avec des prestataires de soins reçoivent régulièrement de la nourriture et de l’eau conformément à la loi.
Selon le Code criminel, toute personne est légalement tenue, dans des circonstances précisées, de fournir les « choses nécessaires à l’existence », à moins d’avoir une « excuse légitime[636] ». La nourriture et l’eau entrent dans la définition des choses nécessaires à l’existence[637]. L’article pertinent du Code criminel est le suivant :
Devoir de fournir les choses nécessaires à l’existence
Toute personne est légalement tenue :
c) de fournir les choses nécessaires à l’existence d’une personne à sa charge, si cette personne est incapable, à la fois :
(i) par suite de détention, d’âge, de maladie, de troubles mentaux, ou pour une autre cause, de se soustraire à cette charge,
(ii) de pourvoir aux choses nécessaires à sa propre existence[638].
L’application de cette disposition dans les circonstances qui nous occupent n’est pas claire[639]. La professeure Jocelyn Downie a soutenu que [traduction] « l’absence de consentement ou, plus précisément encore, le refus explicite des choses nécessaires à l’existence à la suite d’une instruction claire et explicite […] est, on peut le prétendre, une excuse légitime » pour ne pas fournir de la nourriture et de l’eau[640]. Dans la mesure où une « excuse légitime » signifierait qu’un refus n’entraînerait pas d’infraction pénale, selon cette interprétation, un mandataire spécial pourrait refuser le consentement à la nourriture et à l’eau au nom d’une autre personne.
La Loi de 2007 sur les foyers de soins de longue durée est une autre source du droit susceptible d’obliger les prestataires de soins à offrir la nourriture et l’eau à certaines personnes. Selon cette Loi, les titulaires de permis « veillent à ce que les résidents reçoivent des aliments et des liquides sains […], et le règlement stipule que les établissements doivent offrir à chaque résident trois repas par jour, des boissons à intervalles réguliers et une collation dans l’après-midi et la soirée[641]. La Loi contient aussi des dispositions détaillées qui visent à protéger les résidents contre la négligence et à corriger les situations où elle se produirait en interdisant, peut-être, de cesser la nourriture et l’eau[642].
Là encore, on pourrait soutenir que refuser le consentement supprimerait les préoccupations au sujet de la négligence. En même temps, toutefois, il pourrait être difficile de soutenir que les foyers de soins de longue durée ne devraient pas continuer à offrir simplement de la nourriture et de l’eau (sans force), comme l’exige la loi[643].
iv. Clarté et uniformité des lois
Tout comme dans le cas de notre analyse de l’abstention et du retrait des traitements, la CDO se préoccupe de la clarté et de l’uniformité des lois pour garantir l’égalité d’accès aux soins aux Ontariennes et aux Ontariens. Des lois ontariennes semblent actuellement se contredire pour la question de savoir si les mandataires spéciaux peuvent refuser le consentement à la nourriture et à l’eau. Cette situation, à son tour, pourrait influencer la réalisation des désirs exprimés précédemment de mourir de cette manière, tout comme Mme Bentley l’avait fait.
Si les mandataires spéciaux ne peuvent refuser le consentement à la nourriture et à l’eau, il pourrait y avoir des incohérences dans les lois qui leur interdisent de refuser le consentement au traitement, par exemple les traitements essentiels au maintien de la vie. Il faut tenir compte, dans le présent projet, du fait que ces incohérences doivent être des questions de principe et non arbitraires.
À l’instar des démarches actuelles pour la réglementation différente pour divers types de traitements essentiels au maintien de la vie, le fait de fournir les choses nécessaires à l’existence à domicile et dans la communauté pourrait, de toute évidence, être réglementé différemment dans la législation. Notre projet a pour objet de se demander si de refuser le consentement aux aliments et à l’eau diffère considérablement du refus du consentement au traitement, même si l’issue ultime peut être semblable.
La CDO aimerait entendre comment la prise de décisions sur les choses nécessaires à l’existence devrait être réglementée d’un point de vue de la réforme du droit. Par exemple, pourrait-on définir la fourniture de la nourriture et de l’eau comme un « traitement » en vertu de la LCSS pour clarifier que le consentement d’une personne (ou du mandataire spécial) est exigé dans ces situations? Ou encore, la Loi de 2007 sur les foyers de soins de longue durée et la Loi de 1994 sur les services de soins à domicile et les services communautaires pourraient-elles être modifiées pour exclure explicitement et expressément que les mandataires spéciaux puissent refuser le consentement à la fourniture de la nourriture et de l’eau?
5. Questions à discuter
12. | Il existe des lois, des principes et des orientations connexes relativement à la prise de décision pour les traitements essentiels au maintien de la vie – RCP, non-réanimation, nutrition notamment. Quels sont les atouts, les faiblesses et les failles du cadre juridique ontarien en vigueur vis-à-vis de ce pouvoir décisionnel? |
13. | Qui devrait être habilité à décider si ces traitements et ceux qui sont vitaux (RCP, non-réanimation par exemple) sont proposés ou retirés – la personne concernée (ou son mandataire spécial) ou les prestataires de soins? Dans quels cas? |
14. | Est-ce que l’Ontario devrait réglementer le fait de proposer de la nourriture et de l’eau aux personnes en fin de vie, notamment le pouvoir du mandataire spécial de consentir au refus de prodiguer les choses nécessaires à l’existence? |
D. Thérapie de sédation palliative
1. Compréhension de la thérapie de sédation palliative
La thérapie de sédation palliative est un traitement de fin de vie cliniquement et légalement accepté au Canada. Elle consiste à administrer des médicaments ayant pour effet de réduire l’état de conscience des patients qui vivent des souffrances intolérables en raison de symptômes réfractaires[644].
La thérapie n’a pas pour objet la sédation en elle-même, mais l’atténuation des symptômes[645]. Les symptômes réfractaires sont présents si tous les autres traitements possibles ont échoué ou si, dans la situation du patient, il n’y a pas d’autres moyens disponibles ou acceptables de soulager les symptômes[646]. La thérapie de sédation palliative peut quand même être combinée à d’autres traitements et accompagnements des soins palliatifs, par exemple la gestion de la douleur[647].
La thérapie de sédation palliative est prévue comme une réponse proportionnelle à la gravité des symptômes, ce qui veut dire que le degré de sédation et la durée varient[648]. Voici les deux principales formes de sédation palliative :
- La sédation palliative continue est administrée jusqu’à ce qu’une personne meure suivant le cours naturel de la maladie. La sédation palliative continue peut être indiquée sur le plan clinique dans les derniers jours ou les dernières heures de la vie. Elle n’est habituellement pas recommandée pour les patients qui ont plus de deux semaines à vivre[649].
- La sédation de répit est administrée temporairement, au besoin, et elle est surveillée. Elle nécessite une entente avec le patient quant à sa durée (de 24 à 48 heures par exemple), après quoi le patient est éveillé pour déterminer s’il retirerait des bienfaits de la poursuite de la thérapie ou si le repos et l’atténuation du stress ont amélioré sa capacité à tolérer les symptômes[650].
La thérapie de sédation palliative soulève d’importantes préoccupations d’ordre éthique, en particulier lorsqu’elle est prodiguée en continu. En général, ce traitement fait intervenir les mêmes principes que ceux qui prévalent dans le contexte d’autres traitements de fin de vie, notamment la bienfaisance, la non-malfaisance, l’autonomie, l’autodétermination et la sécurité (se reporter à nos propos sur ces principes en 6.C.2).
De plus, comme nous l’avons dit ci-dessus, la proportionnalité est un principe fondamental de la thérapie de sédation palliative[651]. La proportionnalité est en cause lorsqu’on évalue si la sédation palliative devrait être utilisée dès le début étant donné qu’elle n’est pas cliniquement indiquée lorsqu’il y a des interventions moins invasives qui pourraient être efficaces[652]. La proportionnalité signifie également que lorsqu’on a recours à la sédation palliative [traduction] « la dose de sédatifs administrés au patient ne doit pas dépasser celle qui est nécessaire pour atténuer ses souffrances[653] ».
La définition des symptômes soulève en outre des préoccupations éthiques. En particulier, la présence de souffrance psychologique (parfois appelée « existentielle ») est un motif très controversé à l’égard de la thérapie de sédation palliative[654]. La plupart des lignes directrices et des orientations ne recommandent pas que les symptômes psychologiques suffisent à justifier une intervention, sauf dans de rares cas et seulement en consultation avec une équipe de soins palliatifs qui peut conseiller des solutions de rechange[655]. Il n’en demeure pas moins que la souffrance psychologique est reconnue comme un élément qui contribue à l’incapacité de tolérer les symptômes réfractaires physiques[656]. Certains soutiennent également que la courte espérance de vie et les préférences du patient pourraient justifier que la thérapie serve également à atténuer les souffrances psychologiques[657].
La possibilité d’utiliser la sédation palliative pour précipiter la mort est une autre crainte d’ordre éthique dans laquelle interviennent tous les principes énumérés ci-dessus. Même si la sédation palliative peut être donnée jusqu’au moment de la mort et qu’elle peut parfois comprendre le retrait des mesures de maintien des fonctions vitales, d’un point de vue éthique, cette thérapie n’a pas pour objet de précipiter la mort[658]. On aborde parfois cette question dans les termes de la doctrine du « double effet » : comme l’intention du prestataire de soins en administrant les sédatifs est de limiter les souffrances à la fin de la vie et non pas de raccourcir cette dernière, la pratique se distingue sur le plan éthique de celle de la mort intentionnelle[659].
Le principe de proportionnalité est essentiel dans les préoccupations sur la précipitation de la mort parce que la sédation palliative continue sans mesures de maintien des fonctions vitales pourrait influencer l’espérance de vie lorsqu’elle est administrée à une personne dont la mort n’est pas imminente.
La relation entre la sédation palliative et l’aide médicale à mourir est complexe. La CDO s’est fait dire que certains patients, des membres de la famille et des amis cherchent effectivement à utiliser la sédation palliative comme forme d’aide médicale à mourir[660]. On a aussi dit à la CDO qu’il y avait un risque que la sédation palliative soit utilisée par les patients qui ne sont pas admissibles à l’aide médicale à mourir, par exemple ceux dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible ou qui doivent compter sur un mandataire spécial pour consentir à un traitement en raison d’une incapacité. (Consultez le chapitre 4.E en ce qui concerne les critères d’admissibilité à l’aide médicale à mourir) Certains patients peuvent renoncer à la sédation palliative maintenant que l’aide médicale à mourir est possible. Comme cette dernière fait partie du paysage juridique, stratégique et pratique, les façons de procéder en ce qui concerne la sédation palliative pourraient être adaptées.
Pour les personnes dont la mort est imminente, rien ne prouve que la nutrition ou l’hydratation soit physiologiquement pertinente pour ce qui est de précipiter la mort d’une personne sous sédatifs[661].
Même si la thérapie de sédation palliative est cliniquement et juridiquement acceptée, elle n’est pas encore réglementée en vertu d’une loi ou intégrée à des orientations normalisées qui s’appliquent partout en Ontario. Étant donné que, dans la pratique, l’on craint les mauvais traitements ou les abus et qu’on s’inquiète de la capacité et du consentement éclairé, et que l’on se préoccupe de l’égalité d’accès, le projet de la CDO examine si la question devrait être étudiée et, si oui, comment.
2. Cadre juridique de la thérapie de sédation palliative
La sédation palliative n’est actuellement pas dans réglementée en vertu des lois ontariennes. Contrairement au retrait et à l’abstention de traitement de même qu’à l’aide médicale à mourir, la sédation palliative ne fait pas l’objet d’une contestation constitutionnelle ni autre contestation juridique. Par conséquent, il n’y a pas de jurisprudence pour orienter la façon de faire en ce qui concerne les critères d’admissibilité, les exigences procédurales et les sauvegardes contre la maltraitance. Il n’existe pas non plus en Ontario de loi qui traite spécifiquement de la thérapie de sédation palliative[662].
La Cour suprême a parlé de la thérapie de sédation palliative dans Carter comme une question de dignité et d’autonomie en présence de problèmes de santé graves et irrémédiables[663]. En comparant la sédation palliative et d’autres mesures de fin de vie à l’aide médicale à mourir, la Cour suprême a indiqué que la sédation palliative soulève des inquiétudes semblables au sujet de la capacité et de la prise de décision, de la vulnérabilité et des possibilités de partialité et de mésusage, soulignant que « les préoccupations au sujet de la capacité décisionnelle et de la vulnérabilité se posent dans tous les cas de décisions médicales concernant la fin de vie[664] ».
Il n’y a pas d’exigences procédurales ou autres exigences spéciales pour la thérapie de sédation palliative en Ontario[665]. En ce qui concerne le consentement et la prise de décision, la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé s’applique à la sédation palliative comme elle s’applique à toute autre décision concernant des traitements de fin de vie. Ainsi, les prestataires de soins doivent obtenir le consentement du patient ou du mandataire spécial si le patient est incapable pour administrer la thérapie. La personne (ou le mandataire spécial) doit pouvoir comprendre les renseignements pertinents pour prendre la décision en cause et en évaluer les conséquences raisonnablement prévisibles[666].
L’application du même cadre juridique à la sédation palliative que le cadre des autres traitements s’apparente à la réglementation ontarienne sur le retrait et l’abstention de traitement, mais elle diffère de l’aide médicale à mourir. Dans ce dernier cas, les sauvegardes contre la maltraitance sont accrues, y compris l’obligation d’obtenir une deuxième opinion, une demande documentée, des témoins signataires et la présence de la capacité mentale jusqu’à ce que la personne reçoive le traitement[667]. Dans toutes les prises de décisions en fin de vie, la capacité s’applique à la décision qui doit être prise en l’espèce.
Même si la législation ou la jurisprudence ne contient aucune exigence relative à la thérapie de sédation palliative en Ontario, divers organismes et régions ont adopté des orientations et des lignes directrices pour la réglementer.
Par exemple, en 2012, des cliniciens de la Société canadienne des médecins de soins palliatifs ont élaboré le cadre intitulé Framework for Continuous Palliative Sedation Therapy in Canada qui aborde un large éventail de questions, dont les définitions, les objectifs, les considérations d’ordre éthique, la prise de décision et les stratégies d’orientation. Le cadre propose que les établissements et les programmes de soins palliatifs adoptent des orientations, en concertation peut-être avec les organismes de réglementation et les pouvoirs juridiques[668]. Il est entre autres recommandé dans le cadre d’améliorer les conversations sur le consentement éclairé en ce qui concerne la thérapie de sédation palliative et les documents qui s’y rapportent[669].
L’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario et le groupe d’intérêt des infirmiers et infirmières des soins palliatifs de l’Association des infirmières et infirmiers autorisés de l’Ontario (AIIAO) fournissent d’autres orientations organisationnelles[670]. La CDO a trouvé des lignes directrices distinctes publiées par trois régions en Ontario[671]. Nous savons également que certains cliniciens de l’Ontario favorisent les normes élaborées par d’autres ressorts, par exemple celles de la Fraser Health en Colombie-Britannique, soit Refractory Symptoms and Palliative Sedation Therapy Guideline[672].
Des études ont montré qu’une vaste majorité des médecins canadiens s’entendent sur les questions de base liées aux aspects cliniques de la thérapie de sédation palliative, par exemple les types de symptômes que cette thérapie a pour objet de traiter, l’exercice de la prudence concernant la souffrance psychologique et l’utilisation de certains médicaments[673]. Il n’en demeure pas moins que les sources disponibles en Ontario et au Canada varient pour ce qui est du niveau de détail et des recommandations.
Par exemple, les lignes directrices de Fraser Health s’appliquent aux adultes de 19 ans et plus, tandis que d’autres documents ne précisent pas de limites d’âge et la CDO sait que, dans la pratique, des enfants reçoivent la sédation palliative.
Une étude récente d’un hôpital ontarien a également révélé un manque de cohérence dans les définitions et la documentation opérationnelle[674]. Les auteurs de l’étude ont constaté que les dossiers des patients ne contenaient aucune documentation de la sédation palliative dans 65 % des cas, aucune identification des symptômes dans 46 % des cas et aucun dossier sur le consentement éclairé dans 41 % des cas. Lorsque le consentement était documenté, [traduction] « les personnes qui avaient donné le consentement n’étaient souvent pas claires » et « il n’y avait eu aucune discussion documentée sur la nutrition et l’hydratation artificielles avant le début [de la sédation palliative][675] ».
En fait, l’absence de documentation dans cette seule étude n’indique pas si des discussions sur la sédation palliative avaient en fait eu lieu[676]. Il n’y est pas question non plus des façons de faire dans d’autres cadres de soins. Il ne ressort pas moins de ce qui précède que le cadre réglementaire existant en matière de sédation palliative en Ontario suscite des craintes en ce qui a trait au consentement, à la vulnérabilité, à la terminologie non uniforme, à l’absence de la documentation et à la fragmentation des normes.
3. Solutions possibles aux problèmes liés à la thérapie de sédation palliative
Il existe de nombreuses possibilités d’améliorer la clarté, l’uniformité, la sécurité et d’autres aspects de la thérapie de sédation palliative. Les options de réforme pourraient inclure ce qui suit :
- créer un cadre législatif,
- élaborer des lignes directrices cliniques par l’entremise d’un groupe de travail ou d’un réseau (p. ex., avec la participation de l’Ontario Palliative Care Network et du MSSLD),
- demander que les ordres de réglementation adoptent des directives cliniques exhaustives.
En examinant les moyens de clarifier les problèmes entourant la sédation palliative, il est important de réfléchir consciencieusement aux avantages et aux inconvénients des méthodes législatives et non législatives.
Les solutions mises de l’avant ailleurs peuvent donner une idée du fonctionnement possible de ces options. Par exemple, la Loi concernant les soins de fin de vie du Québec établit un cadre législatif pour la demande et la documentation de la thérapie de sédation palliative. La loi québécoise ne s’applique qu’à la thérapie de sédation palliative continue. Elle prévoit ce qui doit être fourni pour qu’un consentement soit « éclairé » et exige une demande du patient ou du mandataire spécial, documentée dans un formulaire prescrit à verser au dossier du patient[677].
L’Alberta a procédé différemment. Les Alberta Health Services ont recommandé qu’une ligne directrice clinique provinciale sur la sédation palliative soit élaborée par un comité d’experts, en collaboration avec le gouvernement et un comité directeur provincial qui suit les progrès plus larges en matière de soins palliatifs[678]. Les recommandations de l’Alberta s’inscrivent dans une stratégie provinciale générale, le Palliative and End-of-Life Care Provincial Framework (cadre provincial des soins palliatifs et de soins de vie).
Lorsque l’Ontario décidera d’élaborer sa propre stratégie provinciale en matière de soins palliatifs, nous pourrons peut-être aussi tirer profit des leçons qu’auront données les lignes directrices organisationnelles et régionales déjà en vigueur dans la province.
4. Question à discuter
15. | Est-ce que l’Ontario devrait réglementer la clarté, l’uniformité et la sécurité de la thérapie de sédation palliative, en tenant compte des enjeux éthiques, de l’aide médicale à mourir et de la nécessité de disposer de garanties comme le consentement éclairé? |
E. Gestion des décès planifiés au domicile
1. Mourir dans le confort de son foyer
Les Canadiens préféreraient, dans leur majorité, mourir à leur domicile[679]. L’expression « à leur domicile », dans ce contexte, désigne divers emplacements, y compris, mais sans s’y limiter une résidence privée, des centres de soins palliatifs, des maisons de retraite et des foyers de soins de longue durée. Cette expression veut dire ailleurs que dans un centre hospitalier où des soins aigus sont offerts, une unité de soins intensifs par exemple.
Malgré cette préférence, plusieurs études montrent que les décès surviennent souvent dans les hôpitaux au Canada. Dans un rapport commandé par la CDO, Wilson et Birch ont constaté que 41,2 % des Ontariens décédés en 2014-2015 étaient décédés à l’hôpital[680]. Divers déterminants sociaux influencent le lieu du décès et des rapports de Qualité des services de santé Ontario, entre autres, renseignent sur ce que ces déterminants peuvent être[681].
La consultation préliminaire de la CDO a ciblé deux facteurs qui peuvent contribuer à un décès à domicile conforme sur le plan juridique. Il s’agit de la pertinence des outils de prise de décision qui appuient le consentement et la planification préalable des soins (que nous abordons à la section D ci-dessus) et de l’accessibilité des démarches qui attestent du décès d’une personne à son domicile.
Le présent chapitre traite des obstacles juridiques à la planification et à la gestion des décès qui, selon les prévisions, se dérouleront dans le confort de son foyer.
2. Difficultés vécues par la famille et les amis lorsqu’une personne meurt à son domicile
Lorsqu’une personne meurt chez elle, la famille et les amis qui l’entourent ne sont pas toujours bien informés de ce qu’ils doivent faire. En Ontario, il existe des démarches pour faciliter le transfert direct de la personne décédée du foyer aux pompes funèbres, à savoir les protocoles EDITH (acronyme anglais pour Expected Death in the Home) et les lignes directrices du coroner concernant un décès planifié au domicile. Les gens peuvent, par ailleurs, ne pas avoir planifié ou ne pas connaître les démarches qui se rattachent à un décès au domicile et comme on peut le comprendre, ils composent le 911 pour obtenir de l’aide[682].
Une fois un appel lancé au 911, les intervenants d’urgence comme les agents de police, les ambulanciers, les pompiers et le bureau du coroner entrent en scène[683]. Cette situation peut mener à des complications administratives éprouvantes et déconcertantes qui perturbent le processus naturel de deuil que vivent de nombreux membres de la famille et amis immédiatement après le décès d’une personne.
Si les membres de la famille ou les amis ne téléphonent pas au 911 et communiquent directement plutôt avec des pompes funèbres, la CDO s’est fait dire que ce service demandera d’ordinaire aux membres de la famille de se procurer un certificat de décès avant le transport du défunt. L’obtention des certificats de décès prend souvent beaucoup de temps, ce qui, selon ce qu’ont dit de nombreux intervenants à la CDO, est une source de souffrances et de peine pour les familles endeuillées.
Au cours des consultations préliminaires de la CDO, les intervenants ont cité l’amélioration de la planification et de la gestion des décès planifiés au domicile comme l’une des difficultés qui les préoccupaient le plus. De plus, même si l’OMCO a mis à jour son orientation sur les soins en fin de vie, il a publié un mémoire dans lequel il a dit que ce domaine devait changer[684].
3. Cadre juridique visant le transfert d’un défunt à des pompes funèbres
Il existe en Ontario deux outils particuliers pour faciliter les décès planifiés au domicile : les protocoles EDITH et les lignes directrices du Bureau du coroner en chef de l’Ontario. Cette section examine les failles du cadre législatif qui ont donné lieu à des formules provisoires. Nous examinons les protocoles EDITH et les lignes directrices du Bureau du coroner en chef de l’Ontario dans la section suivante sur les stratégies de réforme.
Lorsque des personnes en arrivent aux derniers moments de leur vie et qu’ils peuvent mourir de mort naturelle à leur domicile plutôt qu’à l’hôpital, les membres de leur famille et leurs amis ne sont pas tenus de lancer une enquête de police ou du coroner lorsque le décès survient. Dans les situations normales, des pompes funèbres peuvent venir chercher le défunt pour le préparer en vue de l’inhumation, de la crémation ou autre. Dans des situations inusitées, le coroner ou un agent de police doit être informé aux termes de la Loi sur les coroners s’il y a des raisons de croire que la mort était suspecte ou qu’elle nécessite une enquête (violence, négligence, mort soudaine et inattendue[685]). Autrement, les pompes funèbres peuvent venir prendre le défunt pour le préparer en vue de l’inhumation, de la crémation ou autre.
La Loi sur les statistiques de l’état civil (LSEC) impose des restrictions à la façon dont le défunt peut être traité. Par exemple, l’inhumation, la crémation, les services funéraires et le transport à l’extérieur d’une municipalité ne peuvent pas se faire avant d’avoir obtenu les documents nécessaires[686]. Ces derniers, selon la LSEC, englobent divers documents que le directeur des pompes funèbres contribue à coordonner; ils comprennent toutefois un « certificat médical de décès » que d’autres que les pompes funèbres doivent préparer[687]. En Ontario, les certificats de décès ne peuvent être délivrés que par l’un des trois spécialistes suivants : un médecin, une infirmière ou un infirmier praticien ou le coroner[688]. Un projet a récemment été déposé et s’il est adopté, il éclaircira l’application de la LSEC dans les cas où l’aide médicale à mourir intervient dans le décès (4.E).
Que les choses soient claires, la LSEC n’oblige pas les pompes funèbres à obtenir un certificat de décès avant de transporter le défunt dans la mesure où ce service reste dans la municipalité. Par conséquent, rien n’interdit de décharger rapidement la famille et les amis des tâches organisationnelles que suppose l’obtention d’un certificat de décès. En pratique, toutefois, les pompes funèbres refusent souvent de répondre à une demande de transport. On a dit à la CDO que les pompes funèbres craignaient la responsabilité susceptible de se rattacher au transport d’un défunt dans les cas où la mort est en fait suspecte et ces services préfèrent la garantie préalable d’un certificat de décès. On nous a aussi dit que si les pompes funèbres se chargent du défunt, il peut être difficile pour elles d’assumer le fardeau d’obtenir le certificat de décès.
On nous a dit, parallèlement, qu’il peut être incroyablement difficile pour la famille et les amis d’obtenir qu’un médecin, une infirmière ou une infirmier praticien se rende chez le défunt pour délivrer un certificat de décès, car il n’est pas d’usage courant pour de nombreux spécialistes de faire des visites à domicile après les heures normales ou les weekends. Dans le contexte d’un décès accompagné d’une aide médicale à mourir, un médecin peut être sur place ou pas, car les malades ont le droit de s’autoadministrer la médication. Par conséquent, la famille et les amis peuvent finir par communiquer avec les services de police ou le bureau du coroner, s’il s’agit d’une mort naturelle ou assistée pour réduire les retards associés au lourd processus de prévoir la présence d’un médecin, d’une infirmière ou d’un infirmier praticien.
Le cadre législatif est cependant clair : un médecin qui a aidé une personne à mourir ou qui connaît la maladie doit délivrer un certificat de décès. La disposition pertinente du Règlement pris aux termes de la LSEC est le suivant :
- [Tout médecin] qui a prodigué des soins lors de la dernière maladie de la personne décédée ou qui a une connaissance suffisante de cette maladie remplit et signe immédiatement après le décès un certificat médical de décès […] et le remet au directeur des services funéraires[689].
L’orientation de l’OMCO sur la planification et la prestation de soins de fin de vie de qualité souligne la nature obligatoire de ce rôle et conseille aux médecins :
- [traduction] Lorsqu’il est décidé qu’un patient demeurera chez lui aussi longtemps que possible ou qu’il mourra à son domicile, il est recommandé aux médecins de planifier préalablement en désignant le ou les médecins ou l’infirmière ou infirmier praticien qui pourra se trouver auprès de la personne décédée afin de remplir et de signer le certificat médical de décès. Il est également recommandé aux médecins d’informer les aidants de ce plan[690].
Le Règlement pris aux termes de la LSEC renferme des dispositions analogues au sujet des infirmières ou infirmiers praticiens qui ont eu la responsabilité principale de soigner la personne décédée. Ils ont aussi le mandat de délivrer un certificat de décès et de le remettre immédiatement au directeur des services funéraires, mais dans des conditions plus limitées[691]. Comme ils seront les prestataires de soins avec lesquels la personne aura eu les contacts les plus fréquents, l’AIIAO, l’OIIO et l’Ontario ont mis au point plusieurs outils pédagogiques à leur intention[692].
Malgré les responsabilités juridiques simples dans ce domaine, il n’en demeure pas moins que les personnes, les familles et les amis ne sont pas informés (ce qui explique le manque de planification) et que les prestataires de soins ne sont pas ouverts à se rendre au domicile du défunt pour délivrer un certificat de décès en temps opportun.
4. Stratégies pour une meilleure planification et gestion des décès au domicile
Nous avons parlé ci-dessus des deux stratégies provisoires actuellement utilisées en Ontario pour permettre un transfert en temps opportun d’un défunt à un salon funéraire sans avoir à faire intervenir le coroner. La première évite en même temps les services d’urgence et le bureau du coroner : les protocoles EDITH.
Ces protocoles sont nés en réaction à la perception d’une lacune. Il s’agit d’outils venant de la collectivité, élaborés en fonction de principes et de besoins communs, mais adaptés aux régions en fonction des besoins locaux; ils diffèrent aussi quelque peu dans leurs contenus respectifs. Les protocoles EDITH sont extrêmement populaires dans la communauté des soins palliatifs partout en Ontario et constituent l’outil utilisé par les communautés pour faciliter les décès au domicile. De plus, l’orientation de l’OMCO sur les soins de fin de vie fait mention des protocoles EDITH lorsqu’elle conseille aux médecins de tenir compte des stratégies communautaires[693].
Il est important de comprendre qu’il n’existe pas qu’un seul protocole EDITH. Action Cancer Ontario et plusieurs CASC, ainsi que les RLISS diffusent un protocole EDITH et des instructions[694]. Le contenu précis des protocoles EDITH varie.
Ces protocoles fournissent aux pompes funèbres l’assurance qu’ils peuvent transporter le défunt après que le décès ait été « prononcé », mais avant qu’un certificat de décès ait été établi. Ces protocoles permettent aux infirmières et infirmiers autres que les infirmières et infirmiers praticiens, de prononcer le décès et de déclarer qu’un médecin fournira aux services funéraires un certificat de décès dans les 24 heures. Les pompes funèbres obtiennent ainsi la garantie voulue et les médecins ont plus de temps pour délivrer le certificat de décès. Les protocoles EDITH renferment aussi de l’information pour confirmer que la RCP n’est pas prévue dans le plan de traitement, indiquent le nom du médecin traitant et le nom d’un autre prestataire de soins, les coordonnées pour les joindre en dehors des heures, et d’autres mesures à prendre en cas de problèmes[695].
Bien que la CDO ait entendu des critiques sur le contenu particulier de certains protocoles EDITH, on lui a aussi dit qu’ils étaient des outils efficaces et faciles à utiliser. La principale préoccupation tient au fait que leur adoption est inégale dans la province parce que l’outil est facultatif et que peut-être tout le monde ne le connaît pas.
Le Bureau du coroner en chef a créé le deuxième outil provisoire sous forme de lignes directrices visant à simplifier l’obtention d’un certificat de décès lorsque le coroner a déjà été appelé sur place[696]. Les lignes directrices décrivent des mesures que les employés du Bureau du coroner en chef prennent pour gérer la situation rapidement et éviter les procédures d’enquête. On a en outre dit à la CDO que les lignes directrices du coroner ont été mises à jour au fil du temps et qu’elles fonctionnent très bien dans la pratique.
Comme le coroner a pour mandat d’enquêter sur les morts inattendues et suspectes, sa contribution à ce que les décès au domicile soient moins difficiles découle de la vision généreuse du coroner en chef à l’égard d’un bon service public. Le coroner ne devrait toutefois pas être appelé pour faciliter le transfert d’un défunt à une entreprise funéraire à un moment très privé et délicat[697]. La CDO s’est fait dire que la famille et les amis préfèrent se retrouver avec des médecins ou des infirmières qu’ils connaissent déjà plutôt que de voir des visages nouveaux et inconnus immédiatement après le décès d’un être cher.
Comme les protocoles EDITH donnent de bons résultats, bon nombre d’intervenants ont proposé que la CDO recommande des mesures de réforme de la loi qui normalisent ces protocoles. Veiller à ce que les prestataires de soins abordent ces questions de la planification des décès au domicile constituerait un volet important de cette stratégie.
La CDO a également constaté que la Colombie-Britannique a adopté une formule novatrice pour instituer un protocole applicable dans l’ensemble de la province, appelé Joint Protocol for Expected/Planned Home Deaths in British Columbia (protocole mixte visant les décès prévus ou planifiés à domicile en Colombie-Britannique)[698]. Il permet à la famille et aux amis de passer outre à l’annonce du décès et du certificat de décès avant que les pompes funèbres ne transportent le défunt.
Le protocole de la Colombie-Britannique peut être utilisé lorsque le médecin du patient remplit le formulaire, l’envoie aux services funéraires avant le décès et accepte de remplir le certificat de décès dans les 48 heures qui suivent ce dernier. Dans ces situations, la famille et les amis peuvent communiquer eux-mêmes directement avec les pompes funèbres pour organiser le transport sans qu’un prestataire de soins ait à intervenir. Comme les services funéraires ont été avisés et ont reçu les documents au préalable, ils doivent être prêts au moment opportun.
Les participants au protocole sont entre autres le gouvernement provincial, le Bureau du coroner en chef, les ordres de réglementation des professions de la santé et la Funeral Services Association of British Columbia[699]. Le protocole est en outre renforcé par des dispositions de la législation provinciale qui précisent qui a le droit de communiquer avec les services funéraires après le décès[700]. La législation dresse aussi une liste hiérarchique des délégués, à commencer par le représentant personnel nommé dans le testament du défunt, puis le conjoint ou la conjointe et d’autres ensuite[701].
Compte tenu de l’éventail des options possibles, la CDO souhaiterait entendre d’autres commentaires pendant nos consultations sur les types de réformes utiles à l’Ontario. Les protocoles EDITH sont déjà largement utilisés dans la province et ont montré leur efficacité. Par ailleurs, le modèle de la Colombie-Britannique limiterait les obligations officielles de voir à ce que les services funéraires transportent le défunt sans tarder. La CDO souhaiterait, en particulier, des commentaires sur les avantages et les inconvénients possibles d’une réponse législative ou réglementaire par opposition, par exemple, à des orientations ou à des protocoles normalisés.
5. Questions à discuter
16. | Quelles options sont à privilégier pour mieux planifier et gérer les décès prévus au domicile? Serait-il utile qu’il existe une stratégie provinciale ou une réglementation officielle? |
F. Situation des spécialistes qui dispensent du soutien
1. Examen des préoccupations des spécialistes de la santé et des juristes
L’amélioration des derniers moments de la vie passera dans une grande mesure par la compréhension et l’amélioration de ce que vivent les spécialistes qui apportent leur soutien aux personnes sur le point de mourir, aux membres de leurs familles et à leurs amis. Les spécialistes eux-mêmes ont besoin d’aide sur les plans pratique, éthique et moral pour être en mesure d’aider efficacement les autres. Ce sont des personnes à part entière qui méritent dignité et égalité en vertu de la loi.
Le projet de la CDO porte sur les moyens qui peuvent être mis en œuvre pour réduire au minimum les difficultés professionnelles de deux types de spécialistes qui jouent un rôle essentiel dans ce domaine : les prestataires de soins de santé et les juristes. Les prestataires de soins auxquels nous nous intéressons offrent principalement des services aux patients, aux mandataires spéciaux, à la famille et aux amis, alors que les juristes conseillent ces personnes, de même que les prestataires de soins, les établissements, les pouvoirs publics et les organismes tels que les ordres de réglementation.
Dans la section suivante, nous examinons les protections d’emploi à la disposition des prestataires de soins qui éprouvent de la détresse mentale et morale à force de travailler continuellement au chevet de personnes qui vivent les derniers moments de leur vie et les personnes endeuillées qui les entourent. Nous examinons ensuite les difficultés qu’éprouvent les juristes à recevoir l’orientation sur la pratique et l’éthique dans ce domaine en croissance du droit.
2. Détresse mentale et morale chez les prestataires de soins
i. Explication de la portée de l’examen de la CDO relativement aux intérêts des prestataires de soins
La CDO a reçu de nombreux commentaires de la part de la population sur les difficultés qu’éprouvent les prestataires de soins lorsqu’ils prodiguent des soins palliatifs. L’absence de mesures de soutien moral en cas de détresse psychologique, l’absence de formation clinique (en particulier pour les prestataires des soins primaires) et l’utilité d’élargir des aspects de la portée de la pratique des infirmières et des infirmiers autorisés pour accroître l’accessibilité à une gamme de services (les médicaments, les certificats de décès, les traitements par exemple) ont été les difficultés les plus souvent évoquées.
Le projet de la CDO s’intéressera uniquement aux mesures d’aide psychologique offertes aux prestataires de soins dans le cadre de leur emploi pour diverses raisons. Premièrement, lorsque nous avons interrogé les intervenants sur les limites du projet de la CDO, ils nous ont conseillé de ne pas aborder des questions de pratique clinique et nous sommes de leur avis. La CDO est d’avis que l’analyse de l’étendue de la pratique des prestataires de soins ne relève pas de son mandat en tant qu’organisme de réforme du droit. Deuxièmement, la CDO craint que des recommandations sur le renforcement de la formation des prestataires de soins en matière de soins palliatifs doublent les efforts permanents du ROSP et du MSSLD.
De plus, tout examen de la formation des prestataires de soins sur la capacité, le consentement et la planification préalable des soins recouperait le propre projet de la CDO sur la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle. La CDO a publié dans son site Web un rapport final contenant des recommandations détaillées au début de 2017.
Un aperçu des principales constatations et recommandations sur la formation, la vulgarisation et l’assurance de la qualité du projet sur la capacité et la prise de décision figure en 6.D.3.
- Pour en savoir plus sur la portée du projet de la CDO, consulter C « La portée du projet intègre les faits de l’actualité » et 1.D.2 « Élaboration du projet, recherches et consultation ».
ii. Détresse mentale et morale liée au travail
Le stress mental et moral important que vivent les prestataires de soins parce qu’ils travaillent assidûment auprès de personnes qui vont bientôt mourir a été un thème récurrent pendant les consultations de la CDO. Des intervenants ont demandé à la CDO d’examiner les possibilités, en vertu des lois, d’appuyer les prestataires de soins dans tous les cadres de soins pour assurer leur mieux-être psychologique.
Les publications confirment que l’incidence du stress et de l’épuisement professionnel était supérieure chez les prestataires de soin que chez les employés d’autres secteurs[702]. L’épuisement professionnel est un « état d’esprit persistant et néfaste lié au travail », caractérisé par des sentiments de grande fatigue et de détresse et « la manifestation d’attitudes et de comportements dysfonctionnels[703] ». Outre le stress et l’épuisement professionnel, on a aussi dit à la CDO que les prestataires de soins peuvent éprouver des problèmes de santé mentale en raison d’événements traumatisants et de dépression, s’ils ne reçoivent pas des soins appropriés.
Les prestataires de soins ont naturellement des réactions psychologiques à leurs milieux professionnels, entre autres des réactions émotionnelles au contact avec des patients souffrants et sur le point de mourir[704]. Les prestataires de soins palliatifs, en particulier, affichent un taux d’épuisement très élevé, en particulier le personnel infirmier, les travailleurs sociaux et les aumôniers[705]. Leurs sources de stress précises sont les suivantes :
- [traduction] […] l’absorption de réactions émotionnelles négatives, l’annonce de mauvaises nouvelles, la mise en cause de ses croyances personnelles, l’impuissance devant l’incapacité de guérir, l’immersion dans des confrontations émotionnelles, des rôles mal définis, l’exposition récurrente à la mort, le travail dans un domaine marqué par l’incertitude, la souffrance des patients et des événements traumatisants secondaires[706].
On a observé que le personnel des soins palliatifs [traduction] « court le risque de contrecoups psychologiques parce qu’il parvient mal à composer avec ces exigences[707] ».
Le personnel infirmier et les responsables des services de soutien à la personne dans les foyers de soins de longue durée sont aussi aux prises avec des facteurs de stress causés par les soins constants à prodiguer à des personnes à la santé déclinante ou atteintes de démence et l’exposition régulière à la mort[708]. Les auteurs d’une étude réalisée en Ontario par la Quality Palliative Care in Long-Term Care Alliance ont constaté que le personnel passe souvent par une période de profonde tristesse et de deuil après le décès d’un résident. De 80 à 90 % des services de soins de longue durée sont assurés par des préposés aux services de soutien à la personne qui offrent des formes d’aide très personnelles, par exemple le bain, la nutrition, l’habillement et les soins psychologiques[709]. Les résidents et le personnel peuvent développer des liens étroits par ces contacts intimes et le personnel peut éprouver une profonde tristesse à la mort d’un résident[710].
Ces mêmes auteurs ont toutefois constaté qu’il n’y avait pas de formation ni de mesures d’aide systémiques pour le bien-être mental de ces soignants.
- [traduction] Les établissements de soins de longue durée offrent peu de soutien officiel aux membres du personnel pour gérer leur tristesse et leur deuil lorsqu’un résident meurt […] et le personnel ne reçoit pas de formation sur la tristesse et le deuil, même si les décès sont chose courante. Vu le nombre grandissant de personnes qui vivent et meurent dans des foyers de soins de longue durée, il est important que le personnel ait accès à de l’aide qui améliorera sa capacité de continuer à offrir des soins bienveillants et de qualité[711].
Ces constatations au sujet des foyers de soins de longue durée correspondent à ce que la CDO a entendu sur l’insuffisance des mesures de soutien émotionnel pour les prestataires de soins dans d’autres cadres de soins.
Malheureusement, il n’y a pas de recherche véritable ni de compréhension réelle des mesures de soutien pour les prestataires de soins qui atténueraient les facteurs de stress, la tristesse et le deuil[712]. Il est donc implicite dans notre propos sur les cadres juridiques visant les protections d’emploi que nous reconnaissons qu’il faut plus d’information fiable pour comprendre ce que pourraient être les interventions utiles.
iii. Cadre juridique des protections de la santé et de la sécurité au travail
Certains prestataires seront visés par le champ d’application de la Loi sur la santé et la sécurité au travail de l’Ontario. Cette loi protège les employés contre les « dangers » pour la santé et la sécurité que comporte le lieu de travail et qui pourraient leur faire du tort[713]. La Loi exige des employeurs qu’ils internalisent les responsabilités au travail en imposant diverses obligations juridiques afin de réduire au minimum les dangers et de réagir aux méfaits. Dans la plupart des situations, les employeurs portent le fardeau le plus lourd de la protection de la santé et de la sécurité de leurs employés[714].
Les protections en milieu de travail se limitent plutôt à des types particuliers de dangers au travail, par exemple les milieux physiques dangereux et le harcèlement[715]. En plus de protections particulières, toutefois, la Loi sur la santé et la sécurité au travail établit un devoir général de prendre des précautions et de fournir des ressources pour protéger les travailleurs.
Devoirs de l’employeur
Paragraphe 25(2) […] l’employeur
(a) fournit au travailleur les renseignements, les directives et la surveillance nécessaires à la protection de sa santé et de sa sécurité;
[…]
h) prend toutes les précautions raisonnables dans les circonstances pour assurer la protection du travailleur[716].
Aucune disposition ne porte expressément sur la santé mentale des travailleurs. De plus, la CDO s’est fait dire qu’on ne considère pas que les milieux de travail susceptibles de nuire à la santé mentale des employés soient des « dangers » qui peuvent donner lieu à une obligation juridique en vertu de cette loi.
En 2013, le Conseil canadien des normes, une société d’État fédérale, a publié des normes volontaires sur la protection des employés contre les problèmes de santé mentale au travail appelées Norme nationale du Canada sur la santé et la sécurité psychologiques en milieu de travail[717]. La Direction générale de la santé et de la sécurité au travail du ministère du Travail a cependant préparé une orientation à l’intention des inspecteurs selon laquelle cette norme ne doit pas être considérée comme une précaution raisonnable que les employeurs sont tenus de prendre pour respecter leur devoir général de protéger les travailleurs.
La protection de la santé mentale des travailleurs est cependant un domaine en évolution. En 2014, le ministère du Travail a reçu le mandat de promouvoir la santé mentale au travail en collaborant avec les sociétés qui ont mis en œuvre de vigoureux programmes de santé mentale au travail à l’intention de leurs employés et en travaillant de concert avec des employeurs en vue d’élargir les services qu’ils fournissent aux travailleurs ontariens[718]. L’année suivante, le ministère du Travail a tenu un sommet sur le stress mental traumatique lié au travail[719]. Ces actions ont mené en 2016 à une nouvelle mesure législative qui a modifié la Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail et qui vise à mieux tenir compte de la prévalence du trouble de stress post-traumatique (TSPT) chez les premiers intervenants, y compris les auxiliaires médicaux et les ambulanciers[720].
Selon ce nouveau projet de loi, la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (CSPAAT) doit présumer que le TSPT est lié au travail, à moins de preuves contraires, ce qui allège le fardeau de l’employé qui demande des prestations[721]. Le ministère du Travail est en outre autorisé maintenant à ordonner aux employeurs de soumettre leurs plans pour la prévention du TSPT lié au travail[722].
Inutile de dire que ces gains sont extraordinairement positifs. Les modifications de la Loi de 1997 sur la santé et la sécurité au travail demeurent cependant limitées en ce qui concerne les types de prestataires qui peuvent être touchés par les facteurs de stress envisagés dans le présent projet. Bon nombre d’entre eux ne font pas partie des personnes susceptibles d’éprouver de la détresse au travail — infirmières, travailleurs sociaux, préposés aux services de soutien à la personne notamment[723]. La législation vise aussi les employés dont les atteintes correspondent à la gravité d’un trouble psychiatrique diagnostiqué (le TSPT par exemple)[724].
Pour cette raison, au-delà de ces gains récents, la CDO examine dans son projet si les prestataires de soins qui appuient généralement les patients dans les derniers moments de leur vie tireraient profit d’un élargissement semblable de l’étendue de la législation sur la santé et la sécurité au travail afin de résoudre les répercussions émotionnelles de leur situation de travail ou si d’autres réformes législatives ou stratégiques pourraient être efficaces ou pertinentes.
iv. Droits contradictoires dans le contexte des soins de santé
Au cours de ses consultations préliminaires, la CDO a entendu des spécialistes de la santé expliquer comment des droits ou des obligations contradictoires peuvent amplifier les difficultés d’administrer des soins pendant les derniers moments de la vie. Ces difficultés sont particulièrement complexes en raison de la diversité des cadres dans lesquels les derniers moments de la vie surviennent, y compris les domiciles des patients.
Vu la diversité incroyable de la société ontarienne, il n’est pas étonnant qu’il arrive des situations dans lesquelles les droits entrent en contradiction et selon toute vraisemblance, l’incidence de ces types de conflits ne fera qu’augmenter.
Il peut y avoir des conflits entre des droits de la personne contradictoires. Le droit d’être exempt de discrimination en raison du sexe ou de l’orientation sexuelle peut entrer en conflit avec les droits liés aux croyances, par exemple lorsqu’un patient demande qu’en raison de ses croyances, ses soins lui soient prodigués par un spécialiste de tel ou tel sexe ou de telle orientation sexuelle.
Il peut y avoir des différends entre différents types de droits et de responsabilités. Par exemple, un patient peut, pour des raisons liées à ses croyances ou à sa culture, demander qu’un prestataire de services se déchausse dans la maison ou dans certaines pièces, ce qui peut entrer en conflit avec les exigences de la santé et la sécurité en ce qui a trait à la protection des pieds.
Les patients peuvent parfois adopter sans le vouloir des comportements offensants qui enfreignent les droits des prestataires de soins, en raison de démence par exemple.
Les spécialistes de la santé nous ont donné de nombreux exemples de ces types de conflits.
Ces difficultés ne sont pas particulières aux cadres de soins et dans ces cadres, elles ne sont pas particulières aux soins de fin de vie. La gravité et le poids émotionnel des soins de fin de vie peuvent toutefois ajouter à la pression et à la difficulté de gérer et de résoudre ces conflits dans les derniers moments de la vie.
Dans sa volonté d’aider les Ontariens à résoudre ces difficultés, la Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) a publié en 2012 une Politique sur les droits contradictoires. Cette politique a été conçue pour procurer à la population et aux organisations un outil et un processus d’analyse et de conciliation des droits contradictoires[725].
La Politique de la CODP signale qu’aucun droit n’est absolu et qu’aucun droit en particulier n’est plus important qu’un autre. Il faut tenir compte de tous les droits. Ces derniers ont des limites lorsqu’ils empiètent considérablement sur les droits d’autrui[726].
La Politique propose des processus pour résoudre les plaintes de droits contradictoires en matière de droits de la personne, entre autres des modèles de règlement extrajudiciaire des différends et des démarches plus officielles. Dans certains cas, les litiges peuvent être entendus par le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario.
Les droits contradictoires soulèvent des enjeux qui dépassent considérablement la portée du présent projet et la CDO n’a pas l’intention de les examiner largement. Ils sont toutefois un aspect important à considérer pour comprendre les besoins en mesure de soutien des personnes dont le travail consiste à prodiguer des soins en fin de vie. Les stratégies mises de l’avant pour améliorer les mesures de soutien devront tenir compte des difficultés que nous venons de décrire.
v. Possibilités d’améliorer les mesures de soutien en santé mentale au travail
On a indiqué qu’il n’y a pas assez d’informations sur les interventions fructueuses pour prévenir la détresse mentale et y réagir pour les prestataires qui assurent des soins auprès des personnes en phase terminale. Voici néanmoins quelques suggestions des publications sur le sujet :
- intégrer la vulgarisation et la sensibilisation à la santé mentale au travail, y compris des stratégies de gestion du deuil et de la perte;
- déléguer clairement la responsabilité de la planification et de la mise en œuvre des mesures de protection de la santé mentale dans l’organisation;
- former les dirigeants afin de promouvoir la santé psychologique des employés et d’y veiller (superviseurs, gestionnaires et syndicats par exemple);
- réduire les obstacles financiers aux soins par une assurance des prestations de soins de santé;
- encourager le soutien par les pairs et les conversations sur les expériences vécues[727].
La CDO aimerait savoir si ces stratégies devraient être intégrées à la législation sur la santé et la sécurité au travail (soit la Loi sur la santé et la sécurité au travail), aux cadres sectoriels tels que la Loi de 2007 sur les foyers de soins de longue durée, ou au mandat des RLISS aux termes de la Loi de 2006 sur l’intégration du système de santé local. De meilleures mesures de soutien pour les prestataires de soins palliatifs pourraient aussi faire partie de la stratégie provinciale sur les soins palliatifs en cours d’élaboration en Ontario.
La CDO croit qu’un examen plus approfondi des possibilités d’amélioration des services psychologiques à l’intention des prestataires de soins pourrait faire fond sur les progrès réalisés pour les premiers intervenants qui risquent de développer un TSPT; les améliorations pourraient aussi s’inspirer des programmes systémiques de protection contre les torts qui ne sont pas toujours physiques, mais qui ont été de plus en plus acceptés au fil du temps, le harcèlement en milieu de travail par exemple[728].
3. Difficultés liées à la pratique et à la déontologie des juristes
1.Rôle des juristes dans les derniers moments de la vie
Lorsque des personnes tombent malades ou arrivent à un vieil âge, elles se tournent souvent vers les juristes pour les aider à rédiger un testament ou une procuration ou encore pour obtenir des avis sur leurs droits. Les juristes sont habituellement des défenseurs : ils représentent leurs clients dans des litiges et leur offrent des services pour les aider à s’y retrouver dans le système de santé, les systèmes sociaux et juridiques complexes de l’Ontario. En plus des particuliers, les juristes peuvent conseiller le gouvernement, les ordres de réglementation, les prestataires de soins et les établissements de soins de santé. Les juristes peuvent aussi jouer le rôle d’éducateurs et d’arbitres dans des tribunaux administratifs ou judiciaires.
Les juristes peuvent éprouver diverses difficultés lorsqu’il leur faut conseiller des clients sur le point de mourir et des membres de leur entourage. Tout comme dans le cas des prestataires de soins, le présent projet ne porte pas sur les difficultés liées à la formation des juristes en matière de prise de décision en raison de notre travail sur ce sujet dans le projet sur la capacité, la prise de décision et la tutelle (3.D). Les juristes qui travaillent auprès de personnes sur le point de mourir vivent cependant des situations particulières qu’il faut reconnaître.
Pour mieux comprendre leurs intérêts, la CDO a organisé une activité pour réunir des faits probants auprès de juristes compétents dans ce domaine de leur pratique, intitulée « Table ronde sur la déontologie et l’exercice de la profession juridique en ce qui concerne les dernières étapes de la vie ». Cette table ronde a été exposée brièvement en 1.D.2, et plus en profondeur à l’annexe E. Nous nous appuyons principalement sur les renseignements recueillis lors de cette table ronde dans la présente section.
2. Situation des juristes qui ont à résoudre des problèmes de fin de vie
Dans l’exercice de leurs fonctions, les juristes peuvent éprouver des difficultés ou avoir besoin d’aide pour comprendre leurs responsabilités concernant la pratique du droit (conseiller des clients, résoudre des différends par exemple) et les obligations déontologiques qui découlent de la pratique. Le Barreau du Haut-Canada (BHC) réglemente les avocats et les parajuristes de l’Ontario, conformément à la Loi sur le Barreau[729].
Les juristes doivent se comporter selon le Code de déontologie du BHC et ses règlements (Code)[730]. À l’instar des prestataires de soins, les règles établies sous le régime du common law ou les connaissances acquises dans le cadre du perfectionnement professionnel et des réseaux communautaires peuvent être d’autres sources d’orientation des juristes.
Étant donné que le domaine de travail des juristes est le droit, les ambiguïtés du système juridique leur posent, par définition, des problèmes importants. Sans des lois claires, il peut être stressant de conseiller avec confiance et certitude les options dont disposent leurs clients. Pour cette raison, les avocats peuvent aussi perpétuer par inadvertance dans la communauté des renseignements erronés. Comme nous l’a dit un avocat : [traduction] « les avocats ne savent pas qu’ils ne savent pas[731] ». Pendant la table ronde, certains avocats ont dit qu’il serait bénéfique d’avoir des éclaircissements sur le retrait ou l’abstention des mesures essentielles au maintien en vie et l’utilisation des ordonnances de non-réanimation (voir la section B ci-dessus).
Outre les complications liées à la législation, les juristes qui ont participé à la table ronde ont fait état d’un certain nombre de difficultés liées à la pratique et à la déontologie. Voici des exemples de problèmes de base auxquels ils se heurtent :
- Obligations envers les personnes sur lesquelles peuvent indirectement se répercuter les décisions des clients immédiats : dans les derniers moments de la vie, la planification et la prise de décision peuvent impliquer les patients, les membres de la famille, les mandataires spéciaux, les prestataires de soins et les exploitants d’établissements. Lorsqu’un avocat représente l’une ou l’autre de ces personnes, d’autres parties peuvent être touchées. Les avocats ont un devoir de loyauté envers leurs clients et le Code de déontologie les oblige à les défendre, mais il ne parle pas des obligations plus générales envers autrui (sauf quand la santé, le bien-être ou la sécurité d’un enfant sont mis en cause)[732]. Certains avocats se sont demandé, par exemple, si un avocat qui représente un prestataire de soins qui traite un patient devrait avoir des obligations envers ce patient, étant que son client comme tel (le prestataire de soins) a des devoirs envers le patient. Qu’en serait-il si un avocat représente un mandataire spécial qui n’agit pas dans l’intérêt véritable du patient? Des participants à la table ronde ont dit à la CDO que l’étendue des responsabilités d’un avocat pourrait être revue pour y inclure d’autres personnes vulnérables lorsque des questions de soins de santé essentiels sont en jeu.
- Détermination du rôle de l’avocat dans l’évaluation de la capacité : nous nous sommes concentrés dans le présent document sur la capacité d’accorder une procuration au soin de la personne et de prendre des décisions au sujet des traitements, mais il existe aussi d’autres domaines où la capacité de prendre des décisions doit s’exercer. La capacité est liée à la décision à prendre. Les avocats peuvent, par exemple, devoir déterminer si un client a la capacité de donner des instructions à un conseiller juridique. Selon les juristes qui ont participé à la table ronde, il faut une meilleure orientation concrète en ce qui concerne la norme sur la capacité de donner des instructions à un conseiller juridique et la façon d’effectuer une évaluation. Les juristes souhaitent en outre plus d’orientation sur les questions liées à la pratique et à la déontologie lorsqu’il s’agit de représenter des clients qui peuvent être légalement incapables de décider de traitements. Le Code oblige l’avocat à « [maintenir] autant que faire se peut, une relation avocat-client normale » lorsque son client présente une capacité amoindrie[733]. Le commentaire du BHC à propos de cette règle est cependant général et n’aborde pas la question de l’interaction de différents problèmes de capacité. Ces derniers ont été abordés dans le projet de la CDO sur la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle et ont fait l’objet de propositions de réforme dans les recommandations 33 et 34.
- Connaissance de la gestion de la dynamique des relations familiales : il arrive régulièrement que les membres d’une famille, ensemble ou séparément – un conjoint, un parent, un frère ou une sœur ou un enfant –, demandent à un avocat de représenter un patient. Les relations familiales dans les derniers moments de la vie peuvent susciter des différends, exacerber les émotions et donner lieu à des conflits d’intérêts pour les avocats qui se retrouvent mêlés à la dynamique familiale. Des membres de la famille peuvent communiquer avec des avocats pour obtenir des renseignements privés sur la santé ou le droit. De plus, des patients capables peuvent s’en remettre à des membres de la famille pour prendre des décisions de traitement en leur nom. Le Code de déontologie conseille les avocats sur la gestion des conflits d’intérêts et de la confidentialité[734]. Les juristes ont toutefois exprimé le désir d’obtenir une orientation plus pratique et précise sur ces questions.
- Représentation des enfants en fin de vie : la représentation d’enfants peut être difficile en raison de la dynamique entre la famille et l’équipe de soins. La CDO s’est fait dire, par exemple, que la voix des enfants n’est pas toujours entendue dans le contexte des modèles de prise de décision en vigueur lorsque des enfants sont malades. Les prestataires de soins recourent souvent à une équipe formée des parents, de l’enfant et d’eux-mêmes pour prendre des décisions; on a toutefois dit à la CDO que la voix des enfants est parfois modulée ou influencée par celle de leurs parents. Les prestataires de soins peuvent ne pas évaluer la capacité d’un enfant à prendre des décisions et les enfants peuvent ne pas connaître leurs droits – les adultes parlent d’eux, mais ne leur parlent pas à eux. Selon les participants à la table ronde, les enfants ont deux options en ce qui concerne la représentation juridique : la défense (dans le cas où l’avocat représente l’enfant) et la protection de l’enfant. Les avocats trouvent difficile de répondre aux questions entourant la représentation d’un enfant, sa protection ou le recours à d’autres conseillers indépendants. Même si le Code de déontologie exige des avocats qu’ils conseillent à leurs clients de tenir compte des intérêts suprêmes de l’enfant dans les procédures contradictoires, il n’est pas question de ce qu’ils devraient faire lorsqu’ils représentent des enfants[735].
- Divulgation de renseignements sur l’aide médicale à mourir : globalement, les juristes ne voyaient pas de nombreux dilemmes d’ordre pratique ou déontologique en ce qui concerne la disponibilité de l’aide médicale à mourir parce qu’elle est l’apanage des prestataires de soins. Ils ont toutefois signalé deux sujets à examiner : la création de règles sur les objections de conscience et les renvois des avocats et la révision des règles actuelles sur la divulgation de renseignements confidentiels. Le Code de déontologie autorise actuellement les avocats à divulguer des renseignements s’ils estiment qu’il existe un risque imminent de mort du client[736]. Les juristes ont dit craindre que cette règle ne mène à la divulgation de renseignements délicats sur l’aide médicale à mourir à la famille et aux amis que le client préférerait ne pas informer.
- Reconnaissance des limites de la compétence de l’avocat et la facilitation des renvois : les juristes peuvent avoir une expertise limitée des pratiques cliniques, des croyances religieuses, des mesures de rechange ou d’autres connaissances et compétences en matière de soins de santé. Selon le Code de déontologie, lorsque les avocats n’ont pas les compétences, ils devraient refuser le mandat ou demander les conseils d’un avocat compétent, collaborer avec ce dernier ou demander l’avis d’experts d’autres domaines que le droit[737]. On a cependant dit à la CDO que les juristes ne peuvent être rémunérés s’ils jouent un rôle de « liaison » ou s’ils renvoient l’affaire à des experts qui ne sont pas en droit, par exemple des chefs religieux ou des travailleurs sociaux. Les participants hésitaient à dire que les avocats devraient assumer cette responsabilité et certains ont plutôt dit qu’il serait préférable de renforcer la défense des droits indépendante, par exemple par le recours à un coordonnateur des soins de fin de vie.
3. Promotion de l’orientation à l’intention des juristes
Les opinions diffèrent quant aux difficultés auxquelles se heurtent les juristes et à ce qu’il faudrait faire pour y remédier, mais il semblait y avoir consensus à la table ronde de la CDO sur le fait que les juristes souhaitent une orientation sur le droit et les moyens à prendre pour s’acquitter avec efficacité et à-propos de leurs obligations, en particulier dans le contexte des derniers moments de la vie. Les participants ont souligné qu’il s’agit là d’un domaine spécialisé du droit qui exige un degré de compétence que de nombreux avocats ne possèdent pas actuellement. Ils estiment que de nouvelles stratégies s’imposent et ils ont fait diverses suggestions à cet égard.
Les stratégies pourraient consister, par exemple, à éclaircir la loi lorsqu’elle n’est pas limpide – l’un des objectifs de la CDO dans le présent projet. On a aussi proposé l’option d’une défense communautaire indépendante et améliorée pour aider les clients qui doivent consulter des experts autres que juridiques et obtenir des mesures de soutien social qui ne relèvent pas de la compétence des avocats.
La plupart des propositions de réforme avaient trait à des modifications du Code de déontologie du Barreau du Haut-Canada qui tiendraient compte de l’augmentation de la base de la clientèle des centres de soins palliatifs, des foyers de soins de longue durée, des maisons de retraite et des soins à domicile en Ontario. Ces modifications pourraient prendre la forme de modification des règles susmentionnées, de commentaires additionnels aux règles ou d’outils de formation et d’orientation supplémentaires.
La CDO souhaiterait entendre les commentaires du public sur les autres options susceptibles d’améliorer les conseils aux juristes qui appuient les personnes qui vivent les derniers moments de leur vie.
4. Questions à discuter
17. | Comment les stratégies visant les besoins des prestataires de soins de santé peuvent-elles aider à gérer le stress psychologique et moral? Comment les praticiens peuvent-ils être mieux préparés à gérer les différends? |
18. | Les juristes ont-ils besoin de formation et d’orientation spécifiques pour les questions relatives à la fin de vie? Quels seraient les formats à préférer? |
G. Mesures d’accommodement et de soutien pour les groupes confessionnels et culturels
1. Introduction
Les principes généraux des soins palliatifs ont été initialement conçus par une personne profondément religieuse, Cicely Saunders, qui a cherché à intégrer la gestion de la douleur aux milieux communautaires et à l’engagement spirituel[738]. C’est pourquoi « la religion joue un très grand rôle pour structurer l’élaboration du mouvement international des maison de soins palliatifs », de même que le respect de l’appartenance à la collectivité[739].
Cicely Saunders emploie le terme « spirituel » selon sa propre confession[740], d’une façon antérieure à l’acception contemporaine du terme – système de valeurs distinct de la religion, qui ne lui est pas forcément corrélé[741]. Avant d’entrer dans le vif de l’analyse, on examine dans la présente section le rapport entre les notions de « religion », de « foi », de « spiritualité » et de « culture », afin de comprendre comment ils se recoupent et en quoi ils diffèrent.
On examine ensuite l’importance de la foi et de la culture pour les soins de qualité dans les derniers moments de la vie. Puis on étudie les droits confessionnels et culturels que prévoit la législation ontarienne en vigueur. On analyse enfin les possibilités de réforme, et ses défis.
La présente section s’appuie beaucoup sur un rapport que la CDO a commandé à des spécialistes externes, Integrating Religious and Cultural Supports into Quality Care in the Last Stages of Life in Ontario. Le rapport présente de nouvelles données qualitatives que les auteurs ont recueillies en consultation avec des prestataires de soins de santé, des responsables religieux et des représentants de communautés culturelles ontariennes[742].
- On peut lire sur le site de la CDO lco-cdo.org l’intégralité de ce rapport sur les questions culturelles et confessionnelles, qu’elle a commandé.
2. Importance de la foi et de la culture dans les derniers moments de la vie
i. Définition de « foi » et de « culture »
La CDO a retenu ces deux termes pour son rapport en raison de leur portée large et de leur emploi fréquent par les intervenants qu’elle a consultés. Elle vise à ce qu’ils englobent d’autres termes liés aux questions qu’elle étudie dans son projet – « religion », « ethnicité », « ascendance », « langue », tout en reconnaissant qu’ils peuvent recouper d’autres concepts sociaux, « race » par exemple.
La Commission ontarienne des droits de la personne reconnaît que l’on se voit et que l’on voit les autres comme une combinaison unique d’identités[743]. Dans les droits de la personne, des éléments distinctifs sont associés à chaque motif d’inégalité (genre, âge, race par exemple), mais les gens ont aussi des identités qui se recoupent, qu’un motif ne peut saisir à lui seul. En cas de discrimination, il n’est pas facile de séparer les idées sur l’identité – la foi et la culture par exemple.
Pour l’étude des questions se rapportant à la foi, il est utile de se référer à la définition de « croyance » par la Commission ontarienne des droits de la personne : elle désigne les traditions religieuses et « d’autres systèmes de convictions non confessionnels qui, comme la religion, ont une influence considérable sur l’identité, la vision du monde et le mode de vie d’une personne[744]. Selon la Commission, la « croyance :
- est sincère, profonde et adoptée de façon volontaire;
- est intégralement liée à l’identité de la personne et à la façon dont cette personne se définit et s’épanouit;
- constitue un système particulier de convictions qui est à la fois exhaustif et fondamental, et régit la conduite et les pratiques de la personne;
- aborde les questions ultimes de l’existence humaine, dont les idées sur la vie, son sens, la mort et l’existence ou non d’un Créateur et (ou) d’un ordre d’existence supérieur ou différent;
- a un lien quelconque avec une organisation ou une communauté professant un système commun de convictions, ou une connexion à une telle communauté »[745].
La notion de « croyance » continue de susciter la controverse. La CDO est sensible aux inquiétudes que la définition du terme par la Commission soit trop large, car elle peut s’appliquer à des « mouvements sociaux » qui ne concernent pas tous la religion (le culte des extraterrestres par exemple)[746]. D’un point de vue pratique, les définitions trop vastes peuvent prêter à confusion ou diluer les efforts pour définir les accommodements en matière religieuse. La CDO a constaté lors de ses consultations préliminaires une confusion considérable à propos de la façon d’appliquer correctement la définition dans ce contexte.
En même temps, la CDO apprécie la définition de la CODP, car elle peut s’appliquer à des variations dans les traditions, et entre les croyances individuelles et celles des groupes. Cette définition valide des croyances et des pratiques qui sont intimement liées à l’histoire, à la tradition, à l’ethnicité et à la culture – à la spiritualité des Autochtones par exemple.
La « compétence culturelle » est une expression consacrée dans le domaine de la santé. La culture n’est pas un motif qu’énumèrent le Code des droits de la personne, ni la Charte. Il existe toutefois des rapports avec des motifs qu’énumère le Code ontarien – l’ascendance, le lieu d’origine, l’origine ethnique, la race, la croyance notamment. La possibilité de chevauchement de ces notions est évidente dans la définition suivante de « culture » :
[traduction] Mode de vie commun à un groupe – ensemble de croyances et de mentalités, conceptions communes, comportements qui permettent au groupe de vivre ensemble dans une harmonie relative, et le distinguent des autres personnes. Ces pratiques produisent des comportements dont les variations, selon les membres du groupe, sont correctes et acceptables[747].
Le présent document de travail traite des deux notions de foi et de culture réunies, et au besoin établit une distinction. Des nouveaux arrivants au Canada peuvent par exemple appartenir à une communauté culturelle sans avoir de croyance particulière. On explique ci-après que ce sont deux dispositions différentes de la Charte qui protègent la liberté de religion et les droits à l’égalité[748]. Ceux-ci s’appliquent certes à la religion, mais ils protègent aussi des personnes et des groupes qui ne sont peut-être pas religieux (ou qui n’ont peut-être pas fait l’objet de discrimination fondée sur la religion). Les critères juridiques applicables pour revendiquer des droits sur le fondement de ces dispositions de la Charte diffèrent.
« Spiritualité » — précisions |
Le terme peut désigner l’expérience religieuse. Dans son acception moderne toutefois, il ne s’applique pas à une seule tradition religieuse officielle. Des athées ou des agnostiques peuvent estimer qu’ils ont aussi de la spiritualité[749].
Dans les soins palliatifs actuels, les mesures de soutien psychosociales « spirituelles » ne sont généralement pas liées à la religion. Ce soutien peut être apporté par des prestataires de soins de santé, des aumôniers et des travailleurs sociaux qui dirigent des entretiens sur des questions existentielles sur le sens et la perte[750]. Ainsi comprise, l’application des cadres juridiques aux droits spirituels et aux accommodements à leur égard est ambiguë. |
ii. Comment foi et culture influent sur l’accès à des soins de qualité
- [traduction] Les soins spirituels et ceux fondés sur la foi sont un mode de vie. C’est ainsi qu’ils se connaissent, c’est ainsi qu’on les connaît pour leur façon d’interagir. […] Dans le monde médical nous disons que nous fournissons des soins complets, vous savez. Ils ne sont pas complets si les soins spirituels et ceux fondés sur la foi [sont absents], et surtout […] si on ne considère pas la culture à laquelle […] le client nous dit qu’il appartient ou qui pour lui est importante[751]. Personnel infirmier autorisé
La foi et la culture font partie des opinions sur les soins en fin de vie et sur la qualité des services de santé. L’Ontario tente certes d’améliorer des soins palliatifs équitables et de qualité élevée, mais la province devrait réfléchir à renforcer des services qui reflètent profondément les valeurs des patients et leurs désirs de mobilisation communautaire. Selon le rapport Fraser, les Ontariens estiment qu’il est important « de s’assurer que tous les patients ont accès à des soins palliatifs et en fin de vie, soins sûrs et adaptés à leur culture »[752].
Peut-être est-ce parce que la foi et la culture ont un sens profond dans les derniers moments de la vie que les désaccords – les malentendus même – sur l’adaptation des soins peuvent entraîner des différends. Pour presque toutes les personnes auxquelles la CDO a parlé, la foi et la culture sont des facteurs qui mènent à des différends entre les patients, les mandataires spéciaux et les prestataires de soins de santé. La plupart de la jurisprudence qui affirme des droits relatifs à la prise de décisions dans ce domaine découle de différends entre des prestataires et des personnes ayant des convictions religieuses[753]. Outre qu’il favorise la qualité des soins, le fait d’éviter les différends justifie donc indéniablement l’intégration de la foi et de la culture dans le système de la santé.
Les différends peuvent surgir de diverses façons. La foi peut influencer la décision de demander ou de rejeter un traitement précis, en contradiction avec la recommandation du prestataire des soins. Dans des cas où le patient a perdu sa capacité légale, il y a eu des différends sur le point de décider comment sa foi devrait influer sur l’interprétation des documents pour la planification préalable de ses soins. Ces différends peuvent être particulièrement difficiles dans les cas où les croyances des personnes ne correspondent pas exactement au dogme institutionnel. La foi peut parfois être à l’origine d’une demande que des services soient fournis par un homme ou par une femme ou par une personne ayant une orientation sexuelle spécifique. Ou bien des prestataires de soins peuvent s’opposer en conscience à dispenser le traitement demandé.
Quelques-uns de ces différends suscitent des préoccupations à propos des droits opposés. Une demande fondée sur la foi de recevoir des traitements ou des services uniquement de la part de prestataires femmes, ou hommes, ou de ne pas recevoir de services de la part d’homosexuels, de bisexuels ou de transsexuels peut constituer de la discrimination à l’égard du prestataire des services. La CODP a analysé ces questions dans sa Politique sur les droits de la personne contradictoires[754], et celles-ci ont été détaillées en 6. F ci-dessus.
Le rapport commandé par la CDO explique ces deux façons intimement liées par lesquelles la foi et la culture influent sur l’accès à des soins de qualité :
- [traduction] L’acceptation et la reconnaissance de l’importance des convictions religieuses et culturelles en tant qu’éléments essentiels façonnant la façon dont les Ontariens choisissent et dirigent leurs soins à la fin de leur vie reviennent régulièrement dans notre recherche. Et pourtant, ces croyances font obstacle de façon inattendue à la prestation des meilleurs services de santé aux Ontariens qui sont en fin de vie[755].
Plutôt que de présenter de façon réductrice des exemples de croyances et de pratiques dans les divers groupes ontariens, la CDO recommande à la fin de la présente section des sources dans lesquelles figurent ces renseignements.
Afin de définir les moments pendant lesquels il faut davantage prêter attention à la foi et à la culture, la CDO illustre ci-dessous des façons dont celles-ci influencent les soins aux mourants.
- Décisions relatives aux traitements : les patients et les mandataires spéciaux peuvent tenir compte des convictions religieuses et culturelles dans leurs décisions relatives aux traitements essentiels au maintien de la vie. Dans certaines confessions, on est gêné par les services de santé classiques; dans d’autres, on juge que de tels traitements devraient être dispensés indéfiniment jusqu’au décès de la personne. Il existe entre ces deux extrêmes une gamme d’avis sur le refus et le retrait de ces traitements, sur l’aide médicale à mourir et sur la prestation de traitements non traditionnels[756].
- Pratiques pendant la maladie : des groupes confessionnels et culturels ont peut-être des pratiques constructives pendant la maladie – prières, cérémonies. Des pratiques sont expressives et peuvent nécessiter des lieux adaptés, où l’on puisse chanter, jouer de la musique, fumer, se recueillir, et qui puissent accueillir des visites des membres du groupe, ce qui peut dépasser les autorisations normalisées[757]. Des cérémonies peuvent avoir lieu aux moments majeurs de la maladie, nécessitant des ajustements aux procédures de routine.
- Personnalités éminentes du groupe: elles peuvent incarner un sens de l’histoire et de l’expérience collective du groupe. Des personnes âgées ayant survécu à des atrocités causées par la haine et la discrimination peuvent par exemple être particulièrement importantes pour les membres de leur groupe[758]. Ceux-ci, ainsi que la famille, s’attendront peut-être à ce que ces personnalités soient traitées avec un respect tout particulier.
- Pratiques mortuaires: elles peuvent être diverses, depuis les prières jusqu’aux soins du cadavre et aux cérémonies d’inhumation. L’ordre des pratiques peut être important. Des membres du groupe peuvent demander à participer aux soins mortuaires et à ce que des prestataires de soins de santé soient exclus. Dans de nombreuses fois et cultures, il est essentiel que le cadavre soit conservé « entier », et le don d’organe ou l’autopsie peuvent choquer[759].
Cette description des moments de l’agonie dans lesquels la foi et la culture interviennent est certes limitée. On a souvent fait part à la CDO d’autres éléments – préférences alimentaires, besoins linguistiques, rapports continus avec les membres de son groupe confessionnel ou de sa communauté culturelle, surtout dans les foyers de soins de longue durée.
Les sources suivantes fournissent des exemples détaillés des croyances et des pratiques courantes en Ontario.
Résumés des croyances et des pratiques dans les derniers moments de la vie |
Ruby Latif, Omar Ha-Redeye, Kashif Pirzada, Integrating Religious and Cultural Supports into Quality Care in the Last Stages of Life in Ontario, 2016[760] |
Harold Coward, Kelli Stajduhar, dir., Religious Understandings of a Good Death in Hospice Palliative Care, 2012[761] |
Paul Bramadat, Harold Coward, Kelli Stajduhar, dir., Spirituality in Hospice Palliative Care, 2013[762] |
Canadian Multifaith Federation, Multifaith Information Manual, 2011[763] |
iii. Sécurité culturelle des Premières Nations, des Inuits et des Métis
La responsabilité légale des soins de santé chez les Premières Nations, les Inuits et les Métis de l’Ontario est complexe, car elle est partagée entre les autorités autochtones, fédérales et provinciales. Les principaux obstacles aux soins de santé pour les peuples autochtones qui vivent en Ontario ont été discutés au chapitre 5. On réfléchit ci-après à la nécessité d’intégrer les croyances et les pratiques autochtones aux soins de fin de vie en tant que « sécurité culturelle ».
L’expression « sécurité culturelle » a été forgée en Nouvelle-Zélande à propos des soins de santé des Maoris, et a évolué pour s’entendre de soins de santé adaptés à la culture des peuples autochtones du monde entier, y compris à ceux du Canada[764].
Il n’existe pas de définition unique de l’expression « sécurité culturelle ». De façon générale, elle vise à exprimer les liens étroits qui existent entre la santé des Autochtones et les conséquences permanentes de la colonisation, de l’assimilation culturelle et sociale et de la discrimination systémique persistante, qui ont traumatisé les collectivités et entraîné la perte de leur culture[765]. On considère que les soins de santé qui ne tiennent pas compte de ces facteurs créent des « risques » pour la sécurité[766].
La sécurité culturelle est parfois située près de « compétence culturelle »; certains estiment toutefois qu’il s’agit d’un « changement de paradigme » — d’un changement de perspective plus radical[767]. On peut considérer que la compétence culturelle est celle que les prestataires de soins de santé acquièrent par une formation à la sensibilité à diverses cultures (un modèle de prestation de services donc), tandis que la sécurité culturelle est un résultat, du point de vue des patients. Celle-ci suppose donc que l’on connaît l’inégalité des rapports entre les prestataires des soins de santé et les patients autochtones, et que le pouvoir se déplace vers la façon dont ceux-ci bénéficient de soins de qualité[768].
L’Assemblée des Premières Nations explique en ces termes ce changement de détenteur du pouvoir et du contrôle, qu’entraîne la sécurité culturelle :
- [traduction] la personne qui reçoit les services établit s’ils sont adaptés à sa culture, le détenteur du pouvoir n’étant plus alors le prestataire, mais la personne qui a besoin du service. C’est là une méthode intentionnelle pour comprendre l’inégalité des rapports inhérente à la prestation des services de santé[769].
Le Centre de collaboration nationale pour la santé autochtone a réuni les définitions de « sécurité culturelle » par des organisations qui avalisent cette terminologie – Organisation nationale de la santé autochtone, Indigenous Physicians Association of Canada, Canadian Indigenous Nurses Association of Canada. Voici les principaux éléments de leurs définitions :
- analyse des relations coloniales, de la discrimination et de l’inégalité des rapports,
- obtenir que les prestataires de services réfléchissent sur leur propre culture et sur ses conséquences sur leur prestation,
- compréhension de l’omniprésence des problèmes de santé dans les collectivités autochtones,
- respect de la définition de « service sûr » par les patients[770].
Dans la pratique, la notion de sécurité culturelle exige que les décideurs, les prestataires de services et les collectivités reformulent les modèles de soins de santé. Elle exige que l’on y intègre les conceptions autochtones de la mort et de l’agonie, des pratiques de guérison, l’alimentation traditionnelle, la spiritualité, la traduction linguistique et culturelle, et une véritable participation des membres de la collectivité à la planification et à la prestation des services.
La CDO a entendu que l’absence de soins palliatifs et de soins de longue durée dans les réserves et dans les collectivités rurales et isolées, le manque de traducteurs rémunérés, et la nécessité de disposer de lieux pouvant accueillir des cérémonies et de grands groupes – famille, proche, aînés, communauté élargie – sont des obstacles spécifiques à ces objectifs. On a affirmé que l’intégration de la médecine traditionnelle aux modèles de soins palliatifs est importante pour de nombreux groupes divers, même si toutes les personnes des Premières Nations, les Inuits et les Métis ne voudront pas avoir accès à des modes de guérison traditionnels[771].
Un rapport sur l’élaboration d’un programme de soins palliatifs communautaire et novateur sur le territoire des Six Nations de la rivière Grand expose plusieurs défis stratégiques pour les Premières Nations qui tentent de mettre en place des soins palliatifs – accès aux ressources humaines et à l’équipement, problèmes de compétence faisant obstacle au financement, besoin d’éducation et de formation pour former des spécialistes de la santé qualifiés dans la collectivité, absence de fonds précisément affectés aux soins de fin de vie dans les Premières Nations[772].
La CDO pourrait tout d’abord réfléchir à des recommandations qui s’inspirent des nombreuses méthodes exemplaires que des membres des collectivités ont portées à son attention. Outre le programme sur le territoire des Six Nations de la rivière Grand cité ci-dessus, le Sioux Lookout Meno Ya Win Health Centre, qui dessert surtout les collectivités anishinaabe du Nord de l’Ontario, et le projet « Improving End-of-Life Care in First Nations Communities » de l’Université Lakehead, modèle ascendant de mise en valeur locale du potentiel des Premières Nations, sont des exemples de méthodes exemplaires en Ontario[773]. Ces actions sont basées sur les principes de la mobilisation communautaire, de l’autodétermination et de la sécurité culturelle.
3. Cadre juridique des droits confessionnels et des droits culturels
i. Liberté de religion, régimes provinciaux des droits de la personne, droits ancestraux
On a résumé dans des chapitres précédents les droits à l’égalité que garantissent l’article 15 de la Charte et le Code des droits de la personne ainsi que d’autres garanties et principes juridiques applicables pour garantir l’égalité et la justice réelle dans les services de santé. Au chapitre 5, on a examiné en particulier la législation touchant les groupes ayant des besoins non satisfaits. Les groupes confessionnels et culturels font partie de ces groupes, et la législation présentée précédemment s’applique à eux. (Voir aussi 3.C Les garanties et les principes juridiques concernant les soins de santé.)
La présente section complète ces chapitres avec un bref exposé des autres garanties et principes susceptibles de s’appliquer aux groupes confessionnels et culturels : la liberté de religion en vertu de l’alinéa 2a) de la Charte, la politique de la CODP relative à la croyance, et les droits ancestraux.
Dans l’ensemble, ces textes ne donnent pas une idée convaincante des garanties que peuvent concrètement invoquer des groupes confessionnels et culturels dans les demandes de services de santé de fin de vie qui soient positifs, culturellement adaptés et sûrs. Ceci est en partie dû aux tensions dans les relations entre les textes. Les droits confessionnels et les droits culturels se trouvent compliqués de par leur relation avec la législation touchant la capacité, la prise de décision et la protection des enfants. Parfois, ces autres textes prévoient déjà des considérations visant la foi et la culture, ne serait-ce que comme facteurs à concilier avec d’autres garanties et principes (surtout la sécurité et le bien-être).
La Politique de la CODP relative à la croyance est la plus pragmatique pour le projet de la CDO, car la CODP y insiste sur mesures positives d’adaptation dans les secteurs public et privé. La politique et d’autres sources de garanties et principes sont résumées ci-après.
- Liberté de religion (alinéa 2a) de la Charte). Celle-ci est protégée en tant que droit fondamental par la Constitution[774]. Elle protège les personnes et les groupes des activités de l’État qui portent atteinte à leurs convictions religieuses sincères et pratiques connexes[775]. La relation entre la liberté de religion et les services de santé n’a pas été clairement établie. La Cour suprême du Canada a entendu quelques revendications dans lesquelles la Charte est invoquée, directement ou indirectement, pour faire valoir le droit d’un patient ou d’un mandataire spécial de refuser de consentir au traitement pour des motifs fondés sur la religion. Ces affaires concernent le droit de refuser que le traitement soit administré et qu’il soit retiré[776]. Les croyances religieuses ont été récemment qualifiées d’implicites dans le critère de l’intérêt supérieur qui tient compte des valeurs et des croyances[777]. Quand il s’agit de protéger des enfants, la Cour s’est régulièrement divisée sur la question de décider si le fait d’interdire aux parents de refuser des traitements essentiels au maintien de vie contrevient à l’alinéa 2a) de la Charte)[778]. Des juges ayant affirmé qu’il y avait violation des droits ont néanmoins conclu que cela se justifiait en tant que limite raisonnable[779].
- Politique de la CODP relative à la croyance. Selon la Commission, les protections du Code à l’égard de la croyance vont plus loin que celles à propos de la liberté de religion prévues dans la Charte, laquelle « a pour principal objectif de préserver la liberté individuelle »[780]. Le Code favorise l’égalité et la non-discrimination en ce qu’il exige que les personnes et les groupes « bénéficient d’un accès, d’un traitement et d’avantages égaux[…] »[781]. Il prévoit que les prestataires de soins de santé et les établissements sont tenus d’accommoder jusqu’au point de préjudice injustifié les convictions et les pratiques sincères[782].
Les accommodements peuvent nécessiter une « conception inclusive » en vue d’éliminer les obstacles au plein accès et à la participation complète découlant des politiques normalisées. Ils doivent également être individualisés. Il appartient aux personnes qui demandent des mesures d’accommodement d’aider à les obtenir, et aux prestataires, de mettre en place des solutions avec la coopération des premières[783].
Les établissements de soins et les prestataires doivent, en vertu de la politique de la Commission, évaluer si leur personnel a les compétences culturelles nécessaires. « La satisfaction des besoins de différents groupes et communautés sur le plan des droits de la personne […] dépend de » la compétence culturelle; et la politique cite l’exemple d’un hôpital qui pourrait satisfaire à ses obligations en formant son personnel et en tenant à la disposition de ses patients « une variété de conseillers et d’aumôniers pour appuyer les soins de fin de vie »[784].
- Droits ancestraux. Les droits existants – ancestraux ou issus de traités – sont reconnus et confirmés aux termes de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. L’expression « peules autochtones » selon la Constitution s’entend des Premières Nations, des Inuits et des Métis. On a expliqué en D comment les soins de santé à leur égard sont réglementés en Ontario. La question de savoir si des soins de santé culturellement sûrs donnent naissance à un droit constitutionnel est une autre affaire. Une affaire ontarienne a porté sur le point de savoir si la législation de protection des enfants porte atteinte aux droits ancestraux, dans les cas où un parent refuse, pour sa fille, de consentir au traitement et se tourne vers la médecine traditionnelle[785]. Ce jugement a suscité la controverse et son issue, qui a été subséquemment modifiée, ne précise pas l’équilibre entre les droits dans de telles affaires.
Outre l’article 35, les Premières Nations affirment que l’État a l’obligation fiduciaire de fournir des services de santé de qualité aux peuples autochtones[786]. La Cour suprême du Canada a confirmé dans un arrêt récent que dans certains cas, « la province de l’Ontario est assujettie aux obligations fiduciaires […] à l’égard des intérêts autochtones », sans toutefois mentionner l’obligation fiduciaire de fournir des soins de santé culturellement sûrs[787]. Il faut rappeler la nouvelle situation de partenariat qui est en train de s’établir entre les gouvernements autochtones, fédéral et provinciaux. Ceux-ci se sont engagés à consacrer de nouveaux crédits pour la santé des Autochtones, crédits qui seront gérés en partenariat avec les gouvernements autochtones[788].
Dans sa politique relative à la croyance, la CODP consacre un chapitre entier à la spiritualité autochtone. Adoptant une définition à la fois souple et solide de cette expression, la politique exige des mesures d’adaptation pour les convictions et les pratiques des peuples autochtones, y compris pour les cérémonies et les coutumes. Elle précise la nécessité d’accommoder les cérémonies de purification au foin d’odeur dans les hôpitaux, de prolonger la durée du congé pour deuil, ainsi que celle pour les prestataires d’acquérir des compétences culturelles. Elle recommande que les prestataires de services mettent en place une stratégie complète en vue de prévenir et de régler les problèmes relatifs à la spiritualité autochtone[789].
Enfin, la CDO est favorable aux sources du droit n’ayant pas force obligatoire, comme les appels à l’action de la CVRC, qui établissent des objectifs contraignants pour les soins de santé culturellement sûrs. En 2016, le Canada a ratifié la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones; ce traité international prévoit des normes touchant la participation aux décisions sur les programmes de santé, le droit de recourir à la médecine et aux pratiques sanitaires traditionnelles et la protection des cultures, afin que tous soient en bonne santé[790].
Les cadres juridiques n’apportent peut-être pas les orientations pratiques nécessaires pour intégrer des mesures de soutien confessionnelles et culturelles positives aux services de santé de fin de vie. C’est la Politique de la CODP relative à la croyance qui formule le plus solidement la signification de l’égalité dans ces situations; elle recommande que les employeurs, les établissements et les prestataires de soins de santé mettent en œuvre des stratégies concrètes pour prévenir et traiter les divers besoins touchant la foi.
La CDO doit se demander dans son projet si la Politique de la CODP est suffisante pour s’en remettre à des « mesures d’accommodement » qui garantissent des mesures de soutien de ce que pourraient simplement être des bons soins de qualité. Elle emploie l’expression « mesures d’accommodement et de soutien » pour indiquer que même si des services sont peut-être des droits garantis, ils sont peut-être constitutifs d’une conception des soins de qualité axée sur la personne, la famille et la collectivité, intégrable à la législation du domaine, que l’on discute ci-après.
ii. Législation concernant les soins en milieu hospitalier et communautaire, à long terme, et à domicile
Du fait de la fragmentation en secteurs du système ontarien de la santé, diverses dispositions de lois distinctes peuvent toucher les préférences confessionnelles et culturelles.
La Loi de 2007 sur les foyers de soins de longue durée et la Loi de 1994 sur les services de soins à domicile et les services communautaires établissent le droit de recevoir des services qui correspondent à des préférences fondées sur des facteurs ethniques, spirituels, religieux, linguistiques, familiaux et culturels[791]. Les prestataires sont tenus de veiller à ce que ces facteurs soient intégrés à l’élaboration des plans des soins ou des services ou à ce qu’ils y soient pris en compte[792]. De plus, le coordonnateur des placements est tenu de tenir compte des préférences confessionnelles et culturelles des résidents à qui il prête son aide[793].
Il existe en Ontario des foyers de soins de longue durée dans les réserves pour les Premières Nations et pour des groupes culturels et linguistiques. Ces foyers sont protégés par les dispositions du Code des droits de la personne visant les groupes sélectifs[794], mais il en existe trop peu, a-t-on indiqué à la CDO. Selon une étude 2016, l’attente est plus longue pour les personnes qui présentent une demande de foyer de soins de longue durée spécifique : « les personnes appartenant à des groupes linguistiques et ethniques minoritaires peuvent avoir à attendre des années avant d’entrer dans le foyer de leur choix, qui propose de la cuisine et des activités traditionnelles, ainsi que des soins et des services infirmiers dispensés par du personnel qui parle leur langue maternelle »[795]. Des prestataires de services ont signalé à la CDO que la coordination des mesures de soutien de nature confessionnelle et culturelle appropriées demeure difficile à domicile et en milieu communautaire, particulièrement dans les régions desservant de nombreux nouveaux arrivants au Canada.
À propos des maisons de retraite, la Loi de 2010 sur les maisons de retraite prévoit que chaque résident a le « droit au respect de son mode de vie et de ses choix et celui de cultiver des intérêts sociaux, culturels, religieux, spirituels et autres »[796]. Toutefois, les maisons de retraite étant des locations à usage d’habitation, ce droit est limité : « dans la mesure où cela n’entrave pas de façon importante la jouissance raisonnable de la maison aux fins habituelles par le titulaire de permis et les autres résidents[797].
L’étude de recherche commandée par la CDO permet de mieux connaître le degré de la pertinence des mesures d’accommodement et de soutien de nature confessionnelle et culturelle en milieu hospitalier. Les auteurs ont enquêté dans 19 grands hôpitaux ontariens par des recherches dans leurs sites et par des questionnaires distribués (trois hôpitaux y ont répondu). Des entretiens avec des prestataires de soins de santé et des responsables confessionnels et communautaires ont complété la recherche.
Les conclusions indiquent qu’aucune démarche uniforme ne semble exister dans la province pour obtenir des soins qui soient adaptés aux confessions et aux cultures. Les ordres de réglementation et les associations professionnelles conseillent à leurs membres de dispenser des services qui tiennent compte des besoins confessionnels et culturels de leurs patients, notamment dans des documents comme les lignes directrices de l’AIIAO sur la compétence culturelle et celles de l’OMCO sur la fin de vie et les droits de la personne[798]. Néanmoins, la formation des prestataires des soins de santé est variable.
Ces derniers font part de leur gêne pour dispenser des soins respectueux de la compétence et de la sécurité culturelles, car ils reçoivent peu de formation officielle pour aider les patients à cet égard. Ils indiquent aussi combien il est difficile d’être obligés d’élargir leurs compétences, ce qui pourrait accroître leur charge de travail – selon quelques prestataires, il devrait y avoir dans les établissements une personne spécialisée, chargée de traiter les préférences confessionnelles et culturelles[799].
Peu de lignes directrices officielles sur les questions confessionnelles et culturelles existent pour l’instant dans les hôpitaux[800]. Les aumôniers ont traditionnellement joué un rôle important en tant que spécialistes du counselling confessionnel. Ils peuvent appartenir à une confession et pouvoir apporter leur soutien dans des confessions et des spiritualités multiples[801]. Mais de nombreux établissements ne disposent pas d’aumônier à temps plein, et la plupart sont chrétiens, ce qui crée des inégalités dans les traditions confessionnelles[802]. De plus, il est répandu en Ontario de penser que les aumôneries ne sont pas des services essentiels, et elles sont les premières à être supprimées quand les ressources sont faibles ou en cas de restructuration. Souvent, on ne s’enquiert pas des préférences des patients et des familles, qui sont laissés à eux-mêmes pour coordonner leur soutien confessionnel et culturel[803].
Des centres d’excellence existent en Ontario bien sûr. Selon le rapport Latif toutefois, « les excellents programmes qui existent semblent être animés par des groupes individuels et des spécialistes motivés »[804]. La démarche fragmentée d’intégration de la compétence culturelle dans les établissements de soins a donné lieu à des inégalités de service, et surtout à des inégalités d’accès[805].
Les auteurs du rapport commandé par la CDO résument en ces termes les obstacles à l’intégration des préférences confessionnelles et culturelles :
- absence de compétence culturelle dans les soins de santé,
- absence d’uniformité des lignes directrices en faveur de soins respectueux de la culture et de la foi pour toutes les confessions,
- insuffisance des ressources consacrées aux mesures de soutien de nature confessionnelle et culturelle,
- insuffisance des consultations avec des groupes confessionnels et culturels dans l’élaboration des politiques sanitaires[806].
4. Stratégies d’amélioration des soins respectueux de la compétence et de la sécurité culturelles en Ontario
Le renforcement des mesures d’accommodement et de soutien pour les membres des groupes confessionnels et culturels qui sont en fin de vie présente plusieurs difficultés d’ordre pratique.
Du fait de l’enchevêtrement des lois et des orientations touchant les mesures d’accommodement visant les groupes confessionnels et culturels, les personnes qui travaillent dans le domaine ont du mal à cerner les responsabilités et les méthodes exemplaires. Des personnes de bonne volonté peuvent réellement être perplexes ou mal informées sur ces questions. Le défi monte d’un cran quand les obligations légales manquent d’uniformité, par exemple dans les cas où celle d’accommoder des besoins de nature confessionnelle s’oppose à des obligations touchant la santé et la sécurité.
Il s’agit d’un domaine dans lequel les ressources sont faibles et les pressions, importantes; cette réalité doit être prise en compte dans l’élaboration de stratégies générales pour les soins.
Les personnes qui sont en fin de vie et leur famille peuvent ne pas connaître le soutien à leur disposition, ni être en mesure de l’exiger. En cas de refus de mesure d’accommodement ou de soutien, on peut hésiter sur la façon de les exiger.
Les stratégies auxquelles on pourrait recourir pour améliorer les soins respectueux de la compétence et de la sécurité culturelles en Ontario sont multiples. La CDO propose de structurer ces stratégies en tant que mesures d’accommodement et de soutien plus larges dans une conception des soins de qualité axée sur la personne, la famille et la collectivité.
La création d’outils pédagogiques de compétence et de sécurité culturelles est l’une des solutions que des prestataires de services et des membres des groupes ont indiquée à la CDO. Il existe des manuels sur les soins de santé, qui résument les confessions et les pratiques traditionnelles de divers groupes, comme celui de la Canadian Multifaith Federal information déjà mentionné. On ignore par contre le degré de diffusion de ces ressources et comment elles fonctionnent concrètement. La CDO souhaite en apprendre davantage sur leur utilité et sur leur amélioration possible de façon à éviter leur trop grande généralité, ainsi que sur leur utilité possible dans les derniers moments de la vie.
La CDO pourrait étudier les possibilités d’obliger les institutions visées par la réglementation et les établissements de soins à créer et à mettre en place des lignes directrices officielles sur l’intégration confessionnelle et culturelle. Elle a appris qu’actuellement, des RLISS, des CASC, des foyers de soins de longue durée et des hôpitaux ne desservent pas correctement des populations diverses pour ce qui concerne leurs besoins linguistiques, l’information sur l’admissibilité aux soins de santé, la prestation de soutien confessionnel et culturel et la facilitation des rapports avec des responsables communautaires. La CDO se demande donc si une démarche plus cohérente de changement systémique pourrait s’obtenir avec des politiques obligatoires.
Même si la CDO comprend la compétence et la sécurité confessionnelles et culturelles d’une façon qui va au-delà de l’accommodement, elle souhaiterait savoir si des indications plus détaillées de la part de la CODP seraient justifiées. Celle-ci a le mandat de traiter la discrimination systémique dans les secteurs public et privé, et elle a publié une politique sur la croyance. Certes, celle-ci donne des instructions sur le cadre général des adaptations touchant les droits de la personne, mais la CODP pourrait aller plus loin et consulter des établissements de soins de santé afin d’établir des protocoles destinés à prévenir et traiter les obstacles majeurs dans ce contexte.
Enfin, la CDO reconnaît que la compétence culturelle dans une société multiculturelle n’équivaut pas forcément à la sécurité culturelle vis-à-vis des Premières Nations, des Inuits et des Métis. On a proposé que la sécurité culturelle serve de prisme pour toutes les confessions et toutes les cultures, mais on a affirmé aussi qu’elle s’applique surtout à la situation actuelle des peuples autochtones.
De même que pour son examen des soins palliatifs dans les collectivités autochtones en général, la CDO reconnaît que son projet peut aborder la sécurité culturelle uniquement s’il existe la volonté qu’elle l’étudie dans les collectivités autochtones ontariennes. La CDO commencera donc à réfléchir à ce que son rôle pourrait être à propos de la sécurité culturelle dans d’autres interactions communautaires début 2017.
5. Questions à discuter
19. | Quelles sont les façons les plus adaptées pour traiter les obstacles, les mesures d’accommodement et de soutien en vue d’intégrer des pratiques confessionnelles, culturelles et spirituelles aux soins de fin de vie? |