Le Conseil des gouverneurs ayant approuvé ce projet le 5 février 2009, les travaux de la CDO débutèrent en juillet de la même année. Ce projet se penche sur l’opportunité d’appliquer le principe de la « responsabilité solidaire »* aux conseillers professionnels des sociétés par actions relevant de la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario (« LSAO »).[1]

 

A.   La Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario

 

Au Canada, on peut constituer une entreprise en personne morale selon la loi fédérale sur les sociétés par actions ou d’autres lois provinciales ou territoriales. La Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario comporte des règles et des obligations en droit des sociétés qui régissent les relations entre la société, ses administrateurs, ses dirigeants, ses actionnaires et ses parties prenantes. Une société peut être constituée en personne morale selon la LSAO sans que ses activités soient situées en Ontario. Malgré cela, les règles de la LSAO en matière de droit des sociétés s’appliqueront aux entreprises qu’elle régit. Certaines de ces règles sont obligatoires, alors que d’autres s’appliquent par défaut, les parties ayant l’option de s’y soustraire.

 

Les sociétés par actions peuvent être classées en sociétés fermées ou ouvertes. Une société fermée, également connue comme « société à actionnariat restreint » ou « société ne faisant pas appel au public », compte peu d’actionnaires, qui détiennent chacun un intérêt économique relativement important. Le transfert d’actions des sociétés à actionnariat restreint comporte généralement des restrictions. À l’opposé, une société ouverte, également connue comme « société à actionnariat étendu » ou « société faisant appel au public », compte de nombreux actionnaires, détenant chacun un intérêt économique relativement restreint dans la société. Les actions des sociétés ouvertes sont librement négociées, et ce, souvent en bourse.[2]

 

Certaines règles relatives au droit des sociétés sont obligatoires, tant pour les sociétés fermées qu’ouvertes. Les administrateurs de ces deux types de sociétés doivent présenter les états financiers de la société aux vérificateurs avant chaque assemblée annuelle des actionnaires.[3]

                                                                                                        

*              Le paragraphe 3.4(4) de la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario utilise le terme « responsabilité conjointe et individuelle » à titre d’équivalent français de la notion anglaise de « joint and several liability ». La CDO note toutefois que l’article 1 de la Loi sur le partage de la responsabilité de l’Ontario prévoit que : « Les personnes dont le tribunal a constaté la faute ou la négligence sont solidairement responsables envers la personne qui a subi la perte ou le dommage » et que le programme fédéral de promotion de l’accès à la justice dans les deux langues officielles (« PAJLO »), la Cour suprême du Canada et d’autres tribunaux privilégient l’expression « responsabilité solidaire » à titre d’équivalent. La CDO utilisera donc le terme « responsabilité solidaire » dans ce rapport final.

 

Cela dit, certaines règles de rigueur pour les sociétés ouvertes ne s’appliquent que par défaut aux sociétés fermées, car leurs actionnaires peuvent s’y soustraire. Ainsi, une société visée par la LSAO qui ne fait pas appel au public peut être dispensée de l’exigence de nommer un vérificateur si tous ses actionnaires y consentent par écrit.[4] Cette différence de traitement entre sociétés ouvertes et fermées reconnaît que : i) les vérificateurs jouent un rôle important en vérifiant les états financiers d’une société, mais que leurs coûts sont élevés et ii) lorsque les actionnaires décident unanimement de renoncer à une vérification dont les coûts excèderaient les avantages, la loi devrait encourager cette solution. Cette différence de traitement reconnaît également que, pour la plupart des sociétés ouvertes, il serait extrêmement difficile, voire impossible, d’obtenir le consentement unanime des actionnaires afin de renoncer à la nomination d’un vérificateur, et que les avantages liés à la vérification des états financiers vérifiés excèdent leurs coûts, surtout dans un contexte de protection des épargnants et d’intégrité des marchés des capitaux.

 

Certaines règles obligatoires pour les sociétés ouvertes ne s’appliquent pas aux sociétés fermées. Non seulement les sociétés ouvertes doivent-elles présenter leurs états financiers à leurs actionnaires, mais elles doivent également en faire le dépôt conformément à la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario (« LVMO »).[5] Une société faisant appel au public doit également se pourvoir d’un comité de vérification[6] et nommer un vérificateur responsable de l’examen de ses états financiers.[7] Il lui faut également solliciter des procurations,[8] distribuer des circulaires d’information de la direction,[9] avoir au moins trois administrateurs[10] et être assujettie à des règles d’acquisition forcée.[11] Elle doit également respecter certaines exigences en matière de divulgation en vertu de la LVMO, comme nous l’expliquerons aux présentes.

 

Selon la LSAO, les administrateurs sont responsables de la gestion de la société et de la supervision de ses activités commerciales.[12] Ils détiennent une obligation de diligence d’origine législative et une obligation fiduciaire envers la société : ils doivent agir honnêtement et de bonne foi, en ayant à cœur les meilleurs intérêts de la société.[13] L’interprétation de l’obligation fiduciaire faite par les tribunaux, dont la Cour suprême du Canada, comprend l’obligation de tenir compte des intérêts d’une gamme de parties prenantes, dont les créanciers, les employés et les clients.[14]

 

Les administrateurs doivent également respecter la LSAO et ses règlements, les statuts et les règlements de la société et toutes les conventions unanimes des actionnaires.[15] Leur responsabilité personnelle peut également être entraînée en vertu de certaines lois fédérales et provinciales, comme la Loi de l’impôt sur le revenu ou la Loi de 2000 sur les normes d’emploi. Cependant, même si les obligations statutaires et la responsabilité personnelle des administrateurs sont obligatoires et qu’ils ne peuvent s’y soustraire,[16] une société peut indemniser un administrateur ou un dirigeant à l’égard des coûts, frais et dépenses occasionnés dans certaines circonstances[17] et leur procurer de l’assurance à cet égard.[18]

 

Les actionnaires d’une société régie par la LSAO peuvent également faire valoir des droits à l’encontre de la société. Ils ont le droit d’élire les administrateurs,[19] d’approuver les règlements,[20] de nommer formellement le vérificateur[21] et de réviser les états financiers de la société.[22] Ils ont également le droit d’approuver les changements fondamentaux à la société, comme les modifications aux statuts, les fusions sous le régime de la loi et la vente de la totalité ou presque des actifs de l’entreprise.[23]  La responsabilité limitée des actionnaires constitue l’un des concepts fondamentaux du droit des sociétés canadien. Alors que les administrateurs et les dirigeants sont personnellement responsables en cas de manquement, comme nous l’avons mentionné, un actionnaire ne sera financièrement responsable qu’à concurrence de son investissement dans la société.[24]

 

Les actionnaires peuvent être catégorisés de différentes façons. Ainsi, les actionnaires ou épargnants peuvent être caractérisés comme des personnes physiques qui achètent et vendent directement les actions des sociétés pour leur propre compte. On présume que ces derniers ne sont pas financièrement sophistiqués, qu’ils détiennent peu ou pas de connaissances en finance, peu de ressources financières et peu de motivation à effectuer une vérification diligente étendue de leur portefeuille d’actions, car leurs intérêts dans les sociétés ouvertes sont relativement modestes. Ces restrictions font en sorte que les épargnants ont tendance à s’impliquer moins dans les opérations des sociétés ouvertes et à avoir peu de voix au chapitre à leur égard. La législation ontarienne sur les valeurs mobilières, qui régit les sociétés ouvertes, comporte de nombreuses dispositions visant à les protéger.

 

Contrairement aux épargnants, les investisseurs institutionnels sont des investisseurs de taille, qui sont plus spécialisés dans le domaine. On y compte les régimes de retraite, les compagnies d’assurance vie, les fonds communs de placement, les fonds spéculatifs et les fonds de capital d’investissement, qui peuvent investir à leur propre compte ou pour des tiers. Les investisseurs institutionnels détiennent généralement un portefeuille d’investissements appréciable et diversifié et d’importantes ressources financières. Ils sont spécialisés, ont un sens aigu des affaires, ainsi que des stratégies de placement et d’investissement complexes. La législation sur les valeurs mobilières comprend souvent des exclusions qui reconnaissent leur savoir-faire et leur aptitude à mieux se protéger.

 

À part les actionnaires, la société doit tenir compte d’une vaste gamme de parties prenantes qui s’intéressent à ses activités et à sa santé financière. Les