Cette partie du rapport analyse les développements législatifs récents survenus au Canada et traite d’autres rapports et commissions qui se sont penchés sur la question de la responsabilité au Canada. Les choix effectués ailleurs dans le monde sont également discutés.

 

A.   Réformes législatives canadiennes

 

1.                 Loi canadienne sur les sociétés par actions

 

Les modifications apportées à la LSA en 2001 qui entrèrent en vigueur le 24 novembre 2002 modifièrent le régime de responsabilité solidaire entre codéfendeurs en un régime modifié de responsabilité proportionnelle pour certains renseignements financiers relevant d’une société régie en vertu de la LSA. Selon cette loi, sous certaines réserves, un défendeur considéré responsable d’une perte financière découlant d’une erreur, d’une omission ou d’une déclaration erronée de renseignements financiers exigés en vertu de la LSA sera seulement responsable envers le demandeur pour la partie des dommages correspondant à son degré de responsabilité par rapport à la perte.[34]

 

Le régime de responsabilité proportionnelle de la LSA est limité de différentes façons. D’abord, les modifications de 2001 ne s’appliquent qu’à l’inconduite en vertu de la LSA, et donc pas aux manquements en matière de valeurs mobilières.[35] Deuxièmement, la responsabilité solidaire continue à s’appliquer en cas de fraude.[36] Troisièmement, lorsqu’un des défendeurs (comme la société émettrice) est insolvable, limité financièrement ou non disponible, la LSA prévoit que le tribunal peut répartir la responsabilité de ce défendeur parmi ses codéfendeurs jusqu’à un plafond équivalant à 50 % de la somme pour laquelle il a originellement été tenu responsable.[37]

 

Qui plus est, certains demandeurs sont spécifiquement exclus du régime de responsabilité proportionnelle, dont les sociétés d’État, certains organismes de charité, les fournisseurs non garantis quant aux biens et aux services fournis à la société et les demandeurs individuels dont l’investissement est inférieur à 20 000 $.[38] On considère que ces personnes ou organismes n’ont pas, ou peuvent ne pas avoir, les ressources pour faire des évaluations de risques ou pour prendre des décisions raisonnées en matière d’investissements, ou qu’ils peuvent indûment souffrir en cas de perte financière. Ces derniers peuvent continuer à se prévaloir du régime de responsabilité solidaire.

 

Enfin, les tribunaux ont un pouvoir discrétionnaire résiduel : ils ont l’option de prononcer la responsabilité solidaire lorsque cela est juste et raisonnable.[39]

 

Plusieurs des mémoires reçus par la CDO sont critiques envers les dispositions de la LSA. Le mémoire de l’OTLA, par exemple, fait remarquer que les modifications entrées en vigueur en 2001 sont « hautement techniques, » d’étendue et d’application restreintes, compliquées et floues. Selon l’optique de l’OTLA, ces modifications créent de l’incertitude pour les parties aux litiges et semblent parfois arbitraires.[40]

 

Quelques mémoires mettent en doute les modifications de 2001 à la LSA en se demandant si, dans les faits, elles ont permis de corriger les maux identifiés lors de leur rédaction. L’OTLA mentionne à ce sujet :

 

[Traduction] Avant de reformuler des recommandations, il est impératif d’effectuer une analyse de la valeur et de l’impact précis des modifications de 2001. Quelle que soit l’expérience vécue, elle ne peut être ignorée si des propositions similaires ou connexes sont envisagées pour le modèle ontarien. [41]

 

En pratique, on ne sait cependant pas quels ont été les impacts des modifications apportées à la LSA au cours des huit dernières années. Les tribunaux ne semblent pas s’y être arrêtés, aucune référence juridique directe n’y ayant été faite et la CDO n’ayant eu vent d’aucune étude faisant état d’un renversement de la « crise en matière de responsabilité » depuis l’entrée en vigueur de ces modifications.

 

La bcIMC a publiquement demandé l’abolition du régime de responsabilité proportionnelle de la LSA, « [traduction] étant de l’opinion que la Loi sur les sociétés par actions devrait codifier les meilleures pratiques des sociétés en matière de gouvernance (c.-à-d. les plus exigeantes) pour qu’elles s’appliquent obligatoirement aux sociétés de régime fédéral ».[42]

 

2.                 Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario

 

Une société ouverte détient deux obligations importantes en vertu de la LVMO. Premièrement, lorsqu’elle fait un appel public à l’épargne, elle doit préparer et déposer un prospectus. Un prospectus est un document d’information dans lequel il faut entièrement, véritablement et clairement divulguer tous les « faits importants » relatifs à la société et fournir les renseignements que les investisseurs aimeraient connaître et dont il est raisonnable de s’attendre qu’ils auront un effet appréciable sur la valeur des valeurs mobilières. Deuxièmement, la société est tenue de divulguer continuellement et périodiquement de l’information dans le marché. Elle doit périodiquement publier des états financiers et d’autres documents ayant une incidence sur sa situation financière et divulguer tout changement important.

 

Les déclarations inexactes lors d’une divulgation par prospectus exposent potentiellement une compagnie et ses conseillers à une poursuite de la part des organismes de règlementation et à des recours civils. Dans le contexte d’une déclaration inexacte contenue à un prospectus, un demandeur peut intenter une poursuite selon la common law ou fonder sa réclamation sur le régime de responsabilité statutaire s’appliquant aux déclarations inexactes dans des prospectus. La règle relative à la responsabilité solidaire s’applique aux réclamations en vertu de la common law, ainsi qu’à celles visant les déclarations inexactes dans des prospectus selon les dispositions traitant de responsabilité civile de la LVMO.[43]

 

Les déclarations inexactes lors de la divulgation d’information continue exposent également une compagnie et ses conseillers professionnels à une poursuite par les autorités publiques ou des recours civils, bien qu’avant 2005, les demandeurs ne pouvaient se prévaloir que de recours selon la common law, puisqu’il n’existait aucun fondement statutaire à une réclamation pour violation de l’obligation d’information continue. Le 31 décembre 2005, la LVMO fut amendée pour créer de nouveaux recours statutaires pour le « marché secondaire » à l’encontre des administrateurs, dirigeants ou experts en cas de déclaration inexacte et de défaut de respecter une obligation d’information continue.[44]

 

Ces dispositions législatives représentent un compromis entre les intérêts des demandeurs et ceux des défendeurs. Elles offrent aux demandeurs un recours statutaire qui est plus facile à faire valoir qu’un recours pour déclaration inexacte en vertu de la common law, qui exige la preuve qu’on s’est fondé sur cette déclaration inexacte. Le recours statutaire n’exige pas de telle preuve, mais la loi limite les dommages-intérêts qui pourront être versés si le recours statutaire est fondé, ce qui bénéficie plutôt aux défendeurs, alors que la common law prévoit la responsabilité solidaire. Les dommages-intérêts sont limités de trois façons en vertu des dispositions législatives, comme nous l’expliquerons ci-dessous.[45]

 

Premièrement, ces dommages-intérêts doivent être calculés conformément à la formule précisée à la LVMO.

 

Deuxièmement, le tribunal est tenu de fixer la part proportionnelle des dommages que devra payer chaque défendeur dont la responsabilité est retenue, le recouvrement à son égard étant limité à sa propre part des dommages totaux accordés à tous les demandeurs.

 

Troisièmement, le montant payable par chaque défendeur dont la responsabilité est retenue peut être encore réduit pour correspondre à différents plafonds de responsabilité selon la catégorie du défendeur, pourvu que ce dernier n’ait pas été au courant de la déclaration inexacte et qu’il n’ait pas omis de communiquer un changement important en temps opportun.

 

Les plafonds législatifs sont les suivants : la responsabilité d’une compagnie n’excédera pas la somme la plus élevée entre 1 million de dollars et 5 % de sa capitalisation boursière. La responsabilité d’une personne physique (autre qu’un expert), comme un administrateur ou un dirigeant, sera restreinte au chiffre le plus élevé entre 25 000 $ et 50 % de sa rémunération totale par la compagnie et ses sociétés affiliées au cours des 12 mois précédents (y compris la valeur de toutes les options, prestations de retraite et droits à la plus-value d’actions accordés au cours de la période).[46]

 

La responsabilité d’un expert sera limité