Dans le vaste contexte de ces considérations stratégiques, cette partie du rapport détaille les arguments pour une réforme introduisant la responsabilité proportionnelle et les plafonds législatifs de dommages, ainsi que ceux en faveur du statu quo.

 

A.   Réforme de la responsabilité proportionnelle et plafonds législatifs

 

De nombreuses propositions de réforme furent promues pour passer de la responsabilité solidaire à une variante de la responsabilité proportionnelle et/ou à des plafonds législatifs. Les mémoires pour une réforme du régime ontarien de responsabilité solidaire proviennent principalement des vérificateurs et des ingénieurs professionnels. Les sept arguments-clefs invoqués sont les suivants :

 

1.                 Équité

 

Les parties prenantes, et surtout les professionnels de la vérification, soutiennent qu’il est injuste de faire supporter la totalité de la perte d’un demandeur par les défendeurs.

 

De la même façon que les tenants de la responsabilité solidaire se basent sur l’équité pour faire valoir leurs arguments, ceux prônant une réforme du régime de responsabilité soulignent l’iniquité inhérente de la responsabilité solidaire pour les défendeurs. Ils affirment qu’il est injuste pour un défendeur, dont le degré de faute est minime par rapport à ses codéfendeurs, d’avoir à indemniser entièrement un demandeur lorsque ses codéfendeurs s’avèrent insolvables ou non disponibles. L’ICAO soutient que les vérificateurs ne devraient être responsables que de ce qu’ils ont véritablement fait ou omis de faire :

 

[Traduction] En tant que professionnels de la vérification, nous acceptons d’être responsables de notre juste part d’une perte, pourvu qu’elle nous incombe vraiment. Nous croyons aussi fermement que notre responsabilité devrait se restreindre à ce que nous avons fait ou omis de faire, plutôt que couvrir les actes ou omissions de tiers. Dans un contexte de responsabilité solidaire, le fardeau de satisfaire aux jugements et aux règlements incombe aux défendeurs capables de payer. Notre profession n’est pas et ne devrait pas être perçue comme garante des émetteurs dont nous vérifions les états financiers ou de tiers incapables ou non en mesure de payer leur part des pertes encourues.[75]

 

En théorie, les défendeurs qui sont le moins à blâmer peuvent recouvrer la contribution des plus responsables; en pratique cependant, surtout s’il s’agit de professionnels assurés, ils sont seuls à assumer la principale part des dommages lorsque leurs codéfendeurs sont insolvables ou non disponibles.

 

L’équité est la principale préoccupation soulevée dans un des mémoires,[76] et elle est explicitement nommée au titre des avantages d’un régime de responsabilité proportionnelle par l’ICAO,[77] tout en apparaissant en trame de fond dans plusieurs autres.[78]

 

Un régime de responsabilité proportionnelle permettrait aux défendeurs de ne pas avoir à payer pour une part de responsabilité supérieure à celle qui leur est attribuée dans le cadre des procédures. Les parties prenantes soutiennent que cela s’avère plus juste pour les défendeurs, et surtout pour les groupes de professionnels qui jouent souvent un petit rôle dans les procédures, mais qui, pour des motifs comme la disponibilité de l’assurance ou la non-disponibilité des codéfendeurs, sont responsables de plus que leur « juste part » des dommages.

 

2.                 Mythe de la capacité de payer

 

Un deuxième argument invoqué au soutien d’une réforme du régime actuel vise les litiges stratégiques. Les tenants de la responsabilité proportionnelle soutiennent que la responsabilité solidaire encourage les demandeurs à viser injustement les défendeurs qu’on croit assurés ou solvables. Ces défendeurs ayant la « capacité de payer » sont en mesure d’indemniser pleinement un demandeur – en payant beaucoup plus que ce qu’ils doivent – en cas d’insolvabilité d’un codéfendeur.

 

Ainsi, l’industrie comptable soutient que, comme l’on sait que les vérificateurs sont assurés, on cherche à les ajouter parmi les défendeurs. On ne peut pas en dire autant des avocats et d’autres professionnels. Comme ce sont les demandeurs qui décident quand, où et qui poursuivre, ils poursuivent les personnes qu’ils jugent le plus en mesure de leur permettre de recouvrer leurs pertes.

 

Ce ciblage injuste est souligné à titre de problème particulier dans les mémoires soumis par Richard Hardingham et l’Association des municipalités de l’Ontario (AMO). Monsieur Hardingham note que les fraudes commises par un directeur financier ou un chef de la direction peuvent être très difficiles à déceler, et même au-delà des pouvoirs de contrôle d’un vérificateur, et qu’il serait alors injuste que ce dernier supporte une responsabilité accrue et potentiellement la totalité des dommages.[79] Qui plus est, ce risque augmenterait la pression envers les défendeurs ayant la « capacité de payer » comme les vérificateurs, d’autres professionnels ou des municipalités cherchant à éviter un litige cher et prolongé en réglant pour des montants pouvant s’avérer excessifs. L’ICAO suggère que les vérificateurs se trouvent dans une situation unique : alors que le produit du travail d’autres professionnels va directement à une autre partie, les travaux du vérificateur sont largement diffusés parmi de nombreuses parties, ce qui augmente leur risque de responsabilité.[80]

 

On affirme que la responsabilité proportionnelle empêcherait les demandeurs lésés de cibler injustement ces défendeurs bien placés pour une indemnisation dont ils ne sont pas responsables.

 

3.                 Augmentation du coût des litiges, de l’assurance et des dommages accordés par les tribunaux

 

Les opposants au régime de la responsabilité solidaire sont préoccupés par l’augmentation des coûts des litiges, de l’assurance et des jugements en dommages-intérêts.

 

Le système actuel implique deux procédures : la première pour décider qui est responsable de la perte et l’autre pour établir la contribution à verser par chacun des codéfendeurs. On prétend qu’avec la responsabilité proportionnelle, les deux questions seraient traitées dans un même procès, ce qui permettrait potentiellement d’épargner temps et argent.

 

L’ICAO a récemment effectué un sondage auprès d’un peu plus de 1700 cabinets de petite ou moyenne taille et de professionnels exerçant à titre individuel. Parmi les résultats, 73 % des répondants ont déclaré avoir remarqué une augmentation de leurs frais d’assurance responsabilité allant de modeste à importante au cours des cinq dernières années, alors que 64 % ont dit avoir renoncé à certains engagements en matière d’assurance. Cinquante-huit pour cent ont dit que la crise de la responsabilité créait des difficultés pour leurs clients cherchant à accéder à des services d’assurance.[81]

 

L’ICAO souti