La CDO note que de nombreux conseillers professionnels auprès des sociétés par actions régies selon la LSAO utilisent des plafonds contractuels pour restreindre leur responsabilité par rapport à la société. La CDO reconnaît que, dans un tel contexte, la volonté des parties privées doit généralement être respectée en vertu des principes fondamentaux du droit des contrats. Les limites contractuelles à la responsabilité professionnelle fournissent un équilibre raisonnable et négocié entre l’engagement du professionnel et le niveau de risque qu’il ou elle peut raisonnablement supporter. Limiter la responsabilité par contrat accorde également une certaine certitude aux parties quant au plafond de risque du professionnel. D’un autre point de vue, il est possible que les limitations contractuelles affectent la crédibilité de l’opinion émise par le professionnel et qu’elles laissent entendre que les services professionnels rendus sous la protection de clauses limitatives sont de moindre qualité que d’autres. On peut également s’inquiéter relativement aux limitations contractuelles lorsqu’un professionnel est poursuivi par des actionnaires ou par des tiers qui ne sont pas parties au contrat. 

 

À cet égard, la CDO note que les conseillers professionnels auprès des sociétés par actions régies selon la LSAO peuvent limiter leur responsabilité contractuellement par rapport à la société et à ses actionnaires si tous les actionnaires y consentent expressément par écrit. Comme nous en avons traité dans l’introduction du présent rapport, de nombreuses règles en droit des sociétés qui sont obligatoires pour les sociétés faisant appel au public sont facultatives ou s’appliquent par défaut aux sociétés ne faisant pas appel au public. Par exemple, une société régie selon la LSAO qui ne fait pas appel au public peut renoncer à l’exigence de nommer un vérificateur si tous les actionnaires y consentent. De la même façon, les actionnaires d’une société ne faisant pas appel au public, qui sont peu nombreux et détiennent un intérêt économique relativement important dans la société, peuvent consentir à un plafond contractuel de la responsabilité des conseillers professionnels dont les services sont retenus par la société. Ce consentement unanime des actionnaires empêcherait ensuite des réclamations en dommages excédant le plafond convenu. La CDO reconnaît qu’il est pratiquement impossible d’obtenir le consentement unanime des actionnaires dans un contexte de société régie selon la LSAO faisant appel au public, compte tenu du grand nombre d’actions négociées sur le marché. Quoi qu’il en soit, la CDO ne suggère pas que l’approbation d’un plafond contractuel par un vote à la majorité simple (ou qualifiée) des actionnaires lie une catégorie complète d’actionnaires d’une société ouverte (ou fermée). À ce titre, la CDO n’est pas pour le modèle relativement récent du Royaume-Uni, précédemment mentionné aux présentes.

 

La CDO note également que le marché a répondu aux préoccupations des conseillers professionnels par rapport à l’augmentation des primes d’assurance responsabilité civile ou des exclusions de garanties en permettant que soient négociées, par exemple, des retenues ou des franchises importantes auprès des assureurs et/ou en s’autoassurant à certains niveaux de risque et de responsabilité potentielle lorsque cela s’avère plus rentable.

 

La CDO croit que la question en jeu porte d’abord et avant tout sur la répartition du risque.

 

Dans le contexte d’une société par actions régie par la LSAO, le risque que constitue un défendeur insolvable devrait-il être entièrement assumé par ses codéfendeurs, comme la société, ses administrateurs, ses dirigeants, ses vérificateurs, ses avocats, ses ingénieurs et ses autres conseillers professionnels? Ou ce risque devrait-il plutôt être assumé en tout ou en partie par les demandeurs potentiels comme les épargnants, les investisseurs institutionnels ou d’autres parties prenantes comme les employés ou les clients?

 

La règle de droit devrait permettre de répartir le risque de perte équitablement et efficacement. Les arguments politiques à ce sujet devraient examiner, par exemple, qui est le plus en mesure de supporter la perte, qui peut mieux la répartir par le biais d’assurance auprès de tiers ou d’autoassurance, et qui est le mieux placé pour l’éviter.

 

Pour réduire le risque potentiel, les conseillers professionnels utilisent régulièrement différents types d’assurance. De nombreux conseillers professionnels utilisent une variante d’assurance responsabilité professionnelle envers les tiers, également appelée assurance contre la faute professionnelle ou assurance erreurs et omissions.[123] Elle assure le conseiller professionnel jusqu’à un certain plafond. Les conseillers professionnels peuvent être responsables d’un certain montant avant que la couverture d’assurance responsabilité s’applique. Il peut s’agir d’une franchise ou d’une rétention pour autoassurance.

 

Les cabinets de vérification font de plus en plus usage de l’autoassurance, qui est un terme général pour désigner le fait de mettre des fonds de côté à utiliser en cas de pertes.[124] Ce type d’autoassurance peut être opérationnalisé de deux façons : d’abord, en utilisant des sociétés « captives » ou des filiales créées, financées et utilisées par des entreprises de façon à compenser le risque de perte; ensuite, en utilisant des consortiums de prise de risque, formés de membres contribuant à des primes et recevant les indemnités d’assurance typiques.[125] Le coût de la garantie d’assurance n’est ni fixe ni statique, mais il varie en fonction des nombreuses circonstances externes dont, notamment, les risques de litige.

 

Contrairement aux options et possibilités complexes offertes aux vérificateurs et autres conseillers professionnels en défense, il est difficile d’établir les options raisonnables offertes aux demandeurs potentiels, et en particulier aux épargnants, employés et consommateurs peu sophistiqués, pour s’assurer à l’encontre du risque d’insolvabilité d’un des défendeurs ou pour répartir la perte autrement. Ils doivent alors habituellement absorber personnellement le risque.

 

Au contraire, un cabinet professionnel qui supporte le risque de l’insolvabilité d’un codéfendeur dans le cadre d’un régime de responsabilité solidaire peut répartir ce risque par le biais d’une assurance et répartir le coût de la prime ou de son autoassurance en modifiant les prix de sa clientèle.

 

Ainsi, les conseillers professionnels sont généralement mieux placés pour supporter ou répartir le risque que les demandeurs potentiels, comme les épargnants ou d’autres parties prenantes comme des employés ou des clients. Les conseillers professionnels continueront sans doute à appliquer des pratiques commerciales prudentes pour atténuer leur risque de perte. Le coût de l’assurance responsabilité ou de l’autoassurance, le cas échéant, peut être raisonnablement réparti grâce à des modifications des prix des services à la clientèle.

 

Enfin, la CDO note également qu’un nombre de plus en plus important d’écrits s’intéressent aux nouveaux mécanismes axés sur le marché offerts en réponse à un échec de la vérification, et surtout à l’assurance relative aux états financiers et à la titrisation des obligations catastrophes. Ces mécanismes peuvent raisonnablement répondre à certaines des préoccupations des conseillers professionnels quant à un risque de responsabilité excessif.[126]  L’assurance relative aux états financiers nécessiterait d’importants changements structurels des méthodes de comptabilité publique, mais elle est généralement simple lorsqu’elle est utilisée dans le cadre de fusions et acquisitions dans le marché privé :

 

[Traduction]… [U]n vendeur déclare que ses états financiers présentent fidèlement sa situation financière et ses résultats conformément aux PCGR; un assureur engage un vérificateur pour réviser ces états financiers et endosser cette déclaration aux fins de l’assurance.[127]

 

Plutôt que retenir les services d’un vérificateur endossé par l’assurance, les émetteurs contracteraient de l’assurance d’un assureur, qui assumerait ensuite les pertes garanties.[128]

 

La titrisation des obligations catastrophes (également connue comme la titrisation des risques d’assurance) impliquerait le transfert des risques à une structure d’accueil qui attirerait à son tour les investisseurs qui bénéficient d’un rendement sur le capital investi selon le risque de défaut.[129]

 

Les conseillers professionnels peuvent en tirer profit en continuant à se tourner vers des techniques de gestion de risque novatrices de façon à répondre aux préoccupations relatives au risque potentiel de litige.

 

De nouveaux mécanismes, et en particulier la titrisation des obligations catastrophes, répartissent le risque ailleurs que chez les compagnies d’assurance et les professionnels de la vérification. L’utilisation de ces outils comporte plusieurs avantages distincts par rapport à une réforme du régime de responsabilité solidaire. D’abord, en répartissant le risque ailleurs que parmi les professionnels et les compagnies d’assurance, ils réduisent la pression exercée à l’encontre de ces parties compte tenu de la menace de sinistre catastrophique. Même s’il s’agit toujours d’une hypothèse possible, l’assurance servant à se prémunir à l’encontre d’une telle éventualité serait plus facile à obtenir lorsque le risque de perte est réparti parmi un grand nombre de parties, et surtout les détenteurs des obligations catastrophe.

 

Comme ce rapport l’indique, notre évaluation de la responsabilité solidaire en vertu de la LSAO nous convainc que les ramifications positives de son application l’emportent sur ce qu’on peut considérer comme ses ramifications moins intéressantes. Les critères de common law en matière de négligence professionnelle répondent suffisamment aux préoccupations au sujet de la responsabilité excessive ou inéquitable; il n’y a pas suffisamment de données disponibles au sujet des conséquences délétères précises de la responsabilité solidaire sur les primes ou les garanties d’assurance, le prix des services de vérification et l’entrée dans les professions; et les tendances des autres ressorts au profit de la responsabilité proportionnelle, surtout aux États-Unis, ne fournissent pas suffisamment de fondement à une réforme, surtout si l’on tient compte de l’environnement plus litigieux des États-Unis.

 

1.      Suffisance des mesures de protection de common law

 

La CDO considère que la common law canadienne fournit de nombreux niveaux de protection pour les défendeurs dans un contexte de réclamation pour négligence professionnelle pour s’assurer qu’une responsabilité ne leur soit pas injustement imputée. Avant que ne se pose la question de la responsabilité solidaire, un demandeur doit répondre à un certain nombre de critères juridiques, y compris prouver que chaque défendeur lui doit une obligation de diligence et qu’il ou elle lui a causé un préjudice.

 

La Cour suprême du Canada s’est penchée sur la question de l’obligation de diligence du conseiller professionnel dans le cadre d’une réclamation en responsabilité dans l’arrêt Hercules Managements Ltd c Ernst & Young.[130] Dans cet arrêt, les services d’Ernst & Young avaient été retenus pour effectuer de la vérification pour une des demanderesses et ses actionnaires. Plus tard, les actionnaires et les investisseurs de cette demanderesse ont intenté un recours contre Ernst & Young pour des pertes qu’ils prétendaient avoir subies compte tenu des rapports de vérification déposés pendant trois années données. Le vérificateur déposa une requête pour jugement sommaire à l’encontre des demandeurs, en alléguant, notamment, ne détenir aucune obligation de diligence envers les demandeurs personnellement. La requête fut accordée pour quatre des demandeurs. Leurs appels subséquents, y compris à la Cour suprême, furent rejetés par la suite. Même si les défendeurs détenaient une obligation de diligence prima facie envers les demandeurs, compte tenu des faits en cause, la Cour suprême refusa d’en reconnaître en l’espèce. Même si les demandeurs étaient suffisamment près des défendeurs pour que ces derniers s’attendent à ce qu’ils se fient aux rapports de vérification, la Cour suprême jugea que l’utilisation faite des rapports de vérification par les demandeurs ne s’inscrivait pas dans le cadre des motifs pour lesquels ils avaient été préparés. L’obligation de diligence prima facie fut rejeté pour des considérations stratégiques.

 

De façon plus générale, un demandeur alléguant qu’un défendeur a fait une assertion négligente et inexacte doit notamment prouver que le défendeur détient une obligation de diligence envers lui. Dans l’arrêt Hercules, la Cour suprême appliqua l’analyse en deux étapes de l’arrêt Kamloops pour décider si une obligation de diligence était due au demandeur en l’espèce.[131]  Voici les étapes de l’analyse :

 

1)  y a‑t‑il des relations suffisamment étroites entre les parties ([le défendeur] et la personne qui a subi les dommages) pour que [le défendeur] ai[t] pu raisonnablement prévoir que [son] manque de diligence pourrait causer des dommages à la personne en cause? Dans l’affirmative,

2) existe‑t‑il des motifs de restreindre ou de rejeter a) la portée de l’obligation et b) la catégorie de personnes qui en bénéficient ou c) les dommages auxquels un manquement à l’obligation peut donner lieu?[132]

 

La première étape de l’analyse exige qu’il soit établi que le défendeur doit au demandeur une obligation de diligence prima facie. D’après cette analyse, le demandeur doit prouver des relations suffisamment étroites (ou « proximité ») avec le défendeur. Ces relations doivent être telles que le défendeur ait pu prévoir que son manque de diligence puisse causer des dommages au demandeur (la « prévisibilité »).

 

Si l’obligation de diligence prima facie n’est pas établie, le demandeur perd sa cause. Si elle l’est, il faut alors continuer à l’étudier et à l’évaluer dans le cadre de la deuxième partie de l’analyse qui tient compte de considérations stratégiques publiques visant à limiter la responsabilité.

 

Selon ces considérations stratégiques publiques, on évalue les bénéfices obtenus si l’on retient la responsabilité par rapport à ses effets négatifs. Ces considérations stratégiques sont pragmatiques – une responsabilité illimitée et imprévisible entraînerait des conséquences socialement non désirées, dont l’augmentation des coûts de l’assurance et des litiges, une disponibilité réduite des services de vérification et potentiellement, une vigilance réduite de la part de tiers.[133] Dans les circonstances, les tribunaux canadiens n’imposent pas d’obligation de diligence à un vérificateur pour des considérations stratégiques lorsqu’il n’était pas raisonnable pour le demandeur de se fier au rapport du vérificateur ou qu’il l’a utilisé à des fins illégitimes.[134] Si l’obligation de diligence prima facie est contredite par l’analyse de politique publique, alors la réclamation pour responsabilité professionnelle du demandeur échoue par rapport au défendeur.

 

Dans l’arrêt Hercules, la Cour suprême conclut que les vérificateurs peuvent raisonnablement prévoir que de nombreuses personnes différentes se fient à leurs rapports, y compris les actionnaires, les créanciers et d’autres investisseurs.[135] Il faut également noter que le juge La Forest ajouta que « [d]ans le cours normal des affaires mettant en cause des vérificateurs, les craintes relatives à la responsabilité indéterminée contribueront à annihiler une obligation prima facie de diligence. »[136] La Cour suprême était manifestement préoccupée par la responsabilité indéterminée découlant de la confiance accordée aux rapports des vérificateurs, et elle utilisa la deuxième étape de l’analyse de l’obligation de diligence – l’analyse stratégique – pour restreindre judiciairement la responsabilité des vérificateurs envers un large groupe d’actionnaires de façon efficace.

 

En plus d’établir l’obligation de diligence, le demandeur doit également prouver le lien de causalité. Il ou elle doit prouver que ses pertes sont dues aux actes du défendeur. Le critère utilisé par les tribunaux canadiens est celui du facteur déterminant selon lequel, n’eût été les actes du défendeur, la perte ne serait pas survenue ou elle aurait été très différente. Le critère du facteur déterminant est également utilisé lorsqu’il y a plus d’un défendeur et il est le fondement de la responsabilité in solidum. Chaque codéfendeur est responsable de la totalité des dommages parce que le préjudice ne serait pas survenu, n’eût été la participation de chacun des fautifs.[137]

 

Ainsi, le cadre de common law empêche un demandeur de poursuivre des parties défenderesses qui ne sont pas à blâmer. Il doit notamment prouver que chaque défendeur a réellement causé le dommage alors qu’il détenait une obligation de diligence envers lui (et, donc, que les parties étaient en relation étroite et que les dommages subis par le demandeur pouvaient être prévus par le défendeur). Comme cela a été mentionné précédemment, des considérations stratégiques peuvent ensuite l’emporter sur la reconnaissance d’une obligation de diligence prima facie, le cas échéant. Ces étapes font donc en sorte qu’il est peu probable qu’un défendeur responsable d’un pour cent de la faute ait un jour à payer la totalité des dommages d’un demandeur.

 

2.      Manque de données au soutien d’une réforme

 

Il n’existe tout simplement pas assez de données disponibles quant à l’impact négatif déterminé de la responsabilité solidaire sur les primes et les garanties d’assurance, la tarification des services de vérification ou l’accès aux professions pour qu’il soit recommandé d’apporter des modifications importantes au régime de responsabilité civile dans ce contexte. 

 

Même si les tenants de la réforme au régime actuel de responsabilité solidaire utilisent de nombreux arguments de nature anecdotique pour faire état du peu d’efficacité du régime, la CDO n’a pas trouvé ni n’a été informée de l’existence d’une preuve et de données empiriques suffisantes d’une « crise de la responsabilité » pour justifier une réforme du régime de responsabilité solidaire à l’heure actuelle.

 

Également, la CDO n’a pu trouver aucun jugement ou règlement exposant un défendeur fautif à 1 % à être déclaré responsable de 100 % des pertes d’un demandeur ou presque, et personne n’en a fait état.

 

Bien qu’il existe des données relatives à l’augmentation des risques de litige, elles n’établissent pas que la responsabilité solidaire en soit la cause, ni que la responsabilité proportionnelle en serait la solution. La CDO n’a pas trouvé d’études concrètes indiquant qu’en Ontario, la responsabilité solidaire est responsable de l’augmentation des coûts de l’assurance responsabilité, de la réduction du nombre de cabinets qui acceptent d’effectuer des vérifications à haut risque ou d’un autre des nombreux malheurs présumément associés au régime de responsabilité solidaire. Les arguments avancés sont de nature anecdotique et reflètent ceux soumis aux autres organismes canadiens ayant étudié la question. La preuve anecdotique peut parfois s’avérer utile, mais elle ne suffit pas à justifier une réforme.

 

Comme cela a été précédemment mentionné aux présentes, la réforme du régime de responsabilité solidaire a fait l’objet de plusieurs études dans l’histoire canadienne récente et la réforme au profit d’un régime de responsabilité proportionnelle a été rejetée la plupart des fois. La CDO a étudié les rapports existants et elle note que la plupart des arguments avancés auprès de ces Commissions pour la réforme du régime de responsabilité solidaire reflètent ceux soumis à la CDO.

 

Même si la CDO comprend que les motifs avancés pour justifier une réforme ne changent pas substantiellement avec le temps, plusieurs des arguments avancés traitent d’urgence d’agir et dépendent d’un contexte donné. Premièrement, on allègue une « crise » depuis les années 1980 sans vraiment changer la rhétorique. L’augmentation de la responsabilité et des coûts de l’assurance constitue peut-être une problématique de nature cyclique dont les professionnels et les compagnies d’assurance doivent tenir compte, mais on peut difficilement prétendre qu’une crise se profile à l’horizon depuis les trente dernières années. Le rapport Slater notait qu’au Canada, les réclamations excédaient les revenus en 1985 et étaient presque à égalité en 1986.[138] Cependant, le rapport Slater considère que la crise des années 1980 est due à des taux d’intérêt gonflés qui, une fois réduits, ont entraîné d’importantes augmentations des primes pour les vérificateurs, d’autres professionnels et les défendeurs ayant la capacité de payer. Comme cela a été mentionné précédemment, la CDO croit que la common law accorde suffisamment de protection aux défendeurs les moins responsables. En se basant sur le passage du temps et son analyse de la jurisprudence postérieure à l’arrêt Hercules, la CDO considère que les défendeurs ne sont pas confrontés à des problèmes insurmontables.

 

3.      On ne peut justifier une réforme en invoquant seulement ce qui se fait ailleurs

 

Bien que les tendances à l’étranger, et surtout aux États-Unis, soient souvent citées pour souligner l’importance d’effectuer des changements au Canada, il faut user de prudence avant de se fonder sur l’expérience étrangère pour justifier une réforme.

 

Il faut noter que des arguments similaires ont été invoqués relativement aux organismes de règlementation du secteur bancaire canadien avant la récente crise financière mondiale. On a dénoncé la nature plutôt prudente des règles bancaires canadiennes comme étant non concurrentielle par rapport aux réalités de la règlementation bancaire moderne non interventionniste. Les réformes bancaires effectuées ailleurs entraînèrent de plus grandes prises de risques dans le secteur bancaire, qui entraîna à son tour la crise financière que l’on connaît. On salua alors la règlementation bancaire canadienne pour sa capacité à prévenir le genre de pertes élevées subies dans des ressorts plus tolérants au risque.

 

La CDO croit qu’il existe des différences importantes entre le contexte des litiges au Canada et aux États-Unis qui expliquent pourquoi les régimes de responsabilité proportionnelle et/ou les plafonds législatifs conviennent mieux aux États-Unis qu’au Canada.   Par exemple, les dommages punitifs sont habituellement beaucoup plus élevés aux États-Unis qu’au Canada, ce qui fait que le niveau de risque de litige y est également plus élevé. Les dépens, qui existent en droit canadien, mais pas américain, ont un effet dissuasif par rapport aux poursuites frivoles. Qui plus est, les recours collectifs à l’encontre des vérificateurs sont beaucoup moins fréquents au Canada qu’aux États-Unis. Ces différences, qui sont loin d’être exhaustives, laissent entendre que l’instauration d’un régime de responsabilité solidaire en Ontario pourrait avoir des conséquences bien différentes de celles constatées aux États-Unis.[139] Cependant, même si l’on présume que les États-Unis représentent un groupe de comparaison adéquat, nous ne sommes au courant d’aucune donnée permettant de justifier l’avantage concurrentiel découlant d’un régime de responsabilité proportionnelle.

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