Les recherches de la Commission et les discussions qu’elle a menées avec les intervenants et les experts ont rapidement fait ressortir plusieurs questions et préoccupations qui découlent, en partie, de l’évolution d’autres domaines du droit. Ainsi, l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés a eu une incidence profonde : il est clair que la Charte s’applique aux infractions réglementaires, mais les droits qu’elle garantit dans ce contexte ne sont pas identiques à ceux qui prévalent dans un contexte pénal[9].
Deuxièmement, l’évolution du Code criminel et de la législation provinciale a également eu une certaine incidence sur la Loi, ou à tout le moins soulève des questions à son propos. Par exemple, la Loi modifiant le Code criminel (détermination de la peine) et d’autres lois en conséquence[10] a modifié le Code criminel en lui ajoutant un énoncé des principes et les objets de la détermination de la peine. Par la suite, la Loi modifiant le Code criminel (responsabilité pénale des organisations)[11]a apporté d’autres modifications importantes au Code criminel, notamment en lui ajoutant des principes de détermination de la peine propres aux personnes morales/organisations délinquantes.
À titre d’exemple d’un nouvel élément important de la législation provinciale, les amendes maximales sont maintenant beaucoup plus élevées que le plafond de 2 000 $ fixé par la disposition initiale de la Loi qui traitait de la peine résiduelle. Lorsque la Cour suprême du Canada a tranché l’affaire R. c. Sault Ste. Marie[12] en 1978, l’amende la plus élevée pour la plupart des infractions aux lois sur l’environnement s’élevait à 5 000 $. Nombre de ces lois prévoient maintenant des amendes maximales pouvant atteindre des millions de dollars, des peines d’emprisonnement et d’autres conséquences graves telles que la confiscation de biens et la perte de permis commerciaux[13].
Troisièmement, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents[14] est entrée en vigueur le 1er avril 2002. Elle remplace la Loi sur les jeunes contrevenants[15] et modifie de façon importante la façon dont le système pénal traite les jeunes. Ses principales caractéristiques sont, entre autres, une déclaration de principes, le recours à des mesures extrajudiciaires ainsi que l’énonciation des objectifs et des principes de la détermination de la peine.
Quatrièmement, la législation ontarienne a assisté à la multiplication et à l’acceptation des sanctions administratives pécuniaires (SAP), qui semblent à certains plus efficaces et moins coûteuses que le régime d’infractions réglementaires[16]. L’Ontario compte un certain nombre de régimes de SAP, notamment le système créé dans le cadre de la Loi de 2001 sur les municipalités[17], qui permet aux municipalités de mettre sur pied un système de SAP pour faire respecter les règlements municipaux en matière de stationnement plutôt que d’intenter des poursuites dans le cadre de la partie II de la Loi[18].
Cinquièmement, et ceci est étroitement lié au durcissement des peines pour infraction réglementaire, certains remettent en question la distinction entre les infractions criminelles et les infractions réglementaires ou soulignent que cette distinction s’estompe. La justification fondamentale de la Loi est expressément liée à cette distinction. La Loi énonce comme suit son objet au paragraphe 2(1) :
La présente loi a pour objet de remplacer la procédure de déclaration de culpabilité par procédure sommaire dans les poursuites à l’égard des infractions provinciales, y compris les dispositions adoptées par renvoi au Code criminel (Canada), par une procédure qui reflète la distinction existante entre les infractions provinciales et les infractions criminelles.
La distinction entre les infractions criminelles et les infractions provinciales ou réglementaires découle du point de vue que les infractions provinciales[19] sont moins graves que les « vrais crimes »[20]. En outre, on estime également que les infractions provinciales ont un objet différent de celui des infractions criminelles et visent des actes de nature différente :
La nouvelle Loi sur les infractions provinciales s’attaque directement à la racine du problème de procédure actuel, à savoir que les poursuites relatives aux infractions provinciales suivent maintenant un code de procédure qui fait référence au Code criminel du Canada. Même si la procédure suivie est la moins rigide et la moins contraignante des deux systèmes établis dans le Code, elle est quand même imprégnée d’hypothèses vieilles de centaines d’années quant aux actes criminels et aux personnes qui les commettent. Ni ces hypothèses ni les règles techniques rigides auxquelles elles ont donné naissance ne conviennent à 90 % des infractions provinciales qui visent à réglementer des activités qui sont non seulement légitimes, mais aussi utiles à la société[21]. [Traduction]
Le principe selon lequel les infractions provinciales diffèrent des infractions criminelles se retrouve également dans de nombreuses décisions judiciaires, notamment R. c. Wholesale Travel Group Inc.
Des actes ou des actions sont criminels lorsqu’ils constituent une conduite qui, en soi, est si odieuse par rapport aux valeurs fondamentales de la société qu’elle devrait être complètement interdite. Le meurtre, l’agression sexuelle, la fraude, le vol qualifié et le vol sont si répugnants pour la société que l’on reconnaît universellement qu’il s’agit de crimes. Par ailleurs, une certaine conduite est interdite, non parce qu’elle est en soi répréhensible, mais parce que l’absence de réglementation créerait des conditions dangereuses pour les membres de la société, surtout pour ceux qui sont particulièrement vulnérables.
Les lois de nature réglementaire ont pour objectif de protéger le public ou divers groupes importants le composant (les employés, les consommateurs et les automobilistes pour n’en nommer que quelques-uns) contre les effets potentiellement préjudiciables d’activités par ailleurs légales. La législation réglementaire implique que la protection des intérêts publics et sociaux passe avant celle des intérêts individuels et avant la dissuasion et la sanction d’actes comportant une faute morale. Alors que les infractions criminelles sont habituellement conçues afin de condamner et de punir une conduite antérieure répréhensible en soi, les mesures réglementaires visent généralement à prévenir un préjudice futur par l’application de normes minimales de conduite et de prudence[22].
Les poursuites intentées en vertu du Code criminel et celles intentées en vertu de la Loi présentent certainement des différences qui seront importantes pour un inculpé. Les poursuites intentées en vertu de la Loi pourront parfois être avantageuses pour le défendeur à certains égards. Par exemple, elles limitent la peine d’emprisonnement imposé pour des infractions mineures et réduisent le nombre de comparutions nécessaires. Elles peuvent toutefois parfois présenter aussi des inconvénients. Les infractions réglementaires sont présumées faire intervenir la responsabilité stricte, le défendeur ayant le fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a pris toutes les précautions nécessaires. De plus, la Loi offre au défendeur moins de protection sur le plan de la procédure que le Code criminel[23].
Malgré tout, certains se demandent quand même si la distinction entre les vrais crimes et les infractions réglementaires se justifie réellement. Le juge Libman énonce ce qui suit est dans son ouvrage sur le droit réglementaire :
Donc, puisque les infractions réglementaires tendent de plus en plus à ne pas constituer des « infractions mineures », mais bien de « vrais crimes » (compte tenu, particulièrement, du fait que les sanctions dont elles sont assorties sont de plus en plus souvent plus élevées que celles qui acco