Lorsque le régime de retraite examiné est un régime à cotisations déterminées, l’évaluation pose généralement peu de difficultés; la valeur aux fins du calcul des biens familiaux nets est simplement le total des cotisations effectuées durant le mariage et du rendement du capital investi pour ces cotisations à la date d’évaluation. Pour un régime à prestations déterminées, cependant, il est évident que ce calcul ne permet pas de parvenir à une valeur adéquate, parce que ce que le participant au régime recevra ultimement à titre de prestations de retraite n’aura aucune relation immédiate avec les cotisations accumulées et le rendement du placement.[7] Le droit à des prestations de retraite est plutôt établi grâce à une formule, habituellement basée sur les années de service multipliées par un pourcentage spécifié de la moyenne du salaire du participant au cours des années où sa rémunération a été la plus élevée.[8] Pour convertir un droit de cette nature en un chiffre qui pourrait être utilisé aux fins de l’égalisation, il faut qu’une valeur actualisée (parfois désignée la « valeur de rachat »)[9] soit calculée pour les prestations de retraite à venir. Comme la Cour suprême du Canada l’a noté, l’évaluation des prestations de retraite est donc « une affaire d’estimation raisonnée dont se chargent des actuaires ».[10]

 

A. Méthodes d’évaluation

Malheureusement, ni la LDF ni la Loi sur les régimes de retraite[11] (« LRR ») ne fournissent de guide quant à la façon d’établir une valeur actualisée pour les droits de pension selon un régime à prestations déterminées aux fins du calcul des biens familiaux nets[12] et, ainsi, cette question est laissée à la discrétion des parties, de leurs avocats et de leurs actuaires (et, ultimement, des tribunaux). Deux approches principales ont été utilisées (parfois, avec certaines variantes). Elles sont couramment appelées la « méthode de la cessation d’emploi » et la « méthode de la retraite ».

Selon la méthode de la retraite, on présume que l’employé(e) conservera son emploi chez le promoteur jusqu’à un âge de retraite précis. En conséquence, la base d’évaluation de la valeur tiendra compte des projections relatives aux augmentations salariales futures et à la régularisation des états de service. En revanche, selon la méthode de la cessation d’emploi, le montant du droit futur à des prestations de retraite semble évalué comme si le participant au régime de retraite avait mis fin à son emploi à la date d’évaluation. Cela signifie que seuls les états de service accumulés à la date d’évaluation seront considérés, mais cela signifierait peut-être aussi qu’on ne tiendra pas compte de l’éventualité d’augmentations de salaire qui pourraient survenir après cette date. Dans la pratique, cependant, on tient généralement compte des augmentations attribuables à l’inflation (par opposition à celles pouvant découler d’une promotion ou d’une augmentation de productivité), ce qui amène certains à prétendre que la méthode utilisée n’est pas une véritable « méthode de la cessation d’emploi » et que cette étiquette n’est donc pas appropriée. La Cour suprême du Canada a utilisé cette terminologie tout en étant consciente que la méthode ne reflète pas strictement une approche authentique de cessation d’emploi. [13]

 

B. Quelle est la meilleure méthode?

La méthode de la cessation d’emploi semble généralement préférée à la méthode de la retraite, même si l’opinion voulant qu’il s’agisse de la meilleure approche ne fait pas l’unanimité (en effet, la Cour suprême du Canada a soulevé l’hypothèse que la méthode de la retraite pourrait fournir un résultat convenable dans certaines circonstances).[14] Deux arguments principaux ont été avancés au soutien de la méthode de la cessation d’emploi. Le premier est qu’en extrapolant les niveaux de rémunération et les états de service gagnés après la séparation, la méthode de la retraite accorde au conjoint non participant les « fruits » des efforts fournis par le conjoint participant après la séparation et que cela contredit l’exigence de la LDF voulant que la valeur soit établie à la date d’évaluation.[15] La valeur d’une telle objection peut être débattue. Bien que la méthode de la retraite tienne indéniablement compte des événements postérieurs à la séparation (ou plutôt d’hypothèses à ce sujet), le multiplicateur « années de service » utilisé dans la formule d’un régime à prestations déterminées n’accorde pas plus d’importance aux dernières années de service d’un participant chez le promoteur qu’à ses premières[16] (même si le multiplicande en dollars employé dans la formule est manifestement basé sur des niveaux projetés de rémunération postérieurs à la séparation).

La deuxième objection à la méthode de la retraite se rapporte à sa nature hautement spéculative, découlant du fait qu’il soit nécessaire de faire des hypothèses au sujet de la rémunération du participant et de ses états de service à la date de sa retraite. Ces hypothèses ne correspondent presque jamais parfaitement à la réalité future à mesure qu’elle se concrétise et elles peuvent même s’en éloigner sensiblement. Cependant, l’évaluation faite grâce à la méthode de la cessation d’emploi implique également l’élaboration de plusieurs hypothèses qui peuvent s’avérer inexactes. Afin d’établir une valeur actualisée, la méthode de la cessation d’emploi, comme la méthode de la retraite, doit recourir à des hypothèses au sujet des taux d’intérêt et des taux d’imposition futurs, de la date (et possiblement de l’éventualité)[17] de la retraite du conjoint participant et de la durée pendant laquelle il ou elle recevra des prestations de retraite. N’importe laquelle de ces hypothèses pourrait s’avérer inexacte, et, de fait, elles le seront presque certainement toutes dans un cas donné, malgré leur validité d’un point de vue actuariel. De plus, si les hypothèses choisies s’avèrent inexactes, la valeur réelle des prestations de retraite versées et leur valeur estimée à des fins d’égalisation pourraient dramatiquement diverger, au grand désavantage de l’un ou de l’autre des conjoints. Par exemple, s’il arrive que le conjoint participant reçoive des prestations de retraite pour une durée supérieure à celle ayant servi aux fins de l’évaluation, la valeur réelle des droits de pension pourrait, en bout de course, excéder, peut-être même grandement, la valeur qu’on leur aurait attribuée à titre de biens familiaux nets.

 

C. Régularisations pour la période antérieure au mariage

Une autre question soulevée relativement à l’évaluation se rapporte au cas du conjoint participant ayant adhéré à son régime de retraite avant le mariage. Un tel cas exige que la valeur des droits de pension soit établie, non seulement pour la date d’évaluation, mais aussi pour la date du mariage des conjoints, parce que la LDF exige que la valeur des biens ayant appartenu à chacun des conjoints à la date du mariage soit déduite lors du calcul des biens familiaux nets. Deux approches ont été suggérées pour répondre à cette situation, l’« approche au prorata » et l’« approche fondée sur la valeur ajoutée ». Selon la première, la valeur à la date de la séparation[18] est multipliée par le quotient obtenu lorsque le nombre d’années de service validables pendant le mariage est divisé par le nombre d’années de service validables totales. Par contre, l’approche fondée sur la valeur ajoutée implique des évaluations actuarielles séparées pour la date du mariage et celle de la séparation. (En d’autres mots, la valeur à la date du mariage n’est pas simplement dérivée de la valeur à la date de la séparation). L’approche au prorata tend à donner une plus grande valeur à la date du mariage que l’approche fondée sur la valeur ajoutée, ce qui entraîne nécessairement une valeur moindre attribuée à la partie du régime de retraite accumulé au cours du mariage, et certains ont prétendu que le fait de ne pas fournir d’évaluation actuarielle distincte pour la date du mariage ne correspond pas aux exigences de la LDF.[19] La méthode au prorata a cependant été acceptée à la majorité par la Cour suprême du Canada comme étant généralement l’approche la plus juste dans Best c. Best.[20]

 

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