Les destinataires des fonds publics transférés par chèque disposent de plusieurs moyens pour y avoir accès : ceux qui ont un compte dans une banque ou une caisse peuvent y déposer le chèque et en retirer des fonds (sous réserve de la politique de la banque en matière de retenue); ils peuvent encaisser le chèques dans une entreprise de services financiers parallèles (SFP) moyennant des frais; dans certains cas, ils peuvent encaisser le chèque dans certains petits commerces comme des dépanneurs. Le coût de ces différents services varie beaucoup : l’encaissement de chèques dans un établissement de SFP coûte beaucoup plus cher que dans une banque. La plupart des Ontariens ont accès à leurs fonds par le biais de comptes bancaires. Toutefois, un nombre restreint mais non négligeable paie les frais plus élevés exigés par les entreprises de SFP pour encaisser des chèques ou les encaissent dans l’économie parallèle.

Au fil des ans, les organismes qui desservent ou qui défendent les personnes démunies se sont insurgés contre l’incidence relativement coûteuse des services d’encaissement des chèques sur ces Ontariens, particulièrement ceux qui reçoivent une aide publique. Plusieurs autorités législatives canadiennes ont pris des mesures législatives pour veiller à ce que les destinataires de chèques du gouvernement puissent avoir accès à leurs fonds gratuitement ou à coût modique (voir l’annexe C)[9].

Le phénomène des frais d’encaissement des chèques du gouvernement soulève les questions suivantes :

Qui utilise les services d’encaissement des chèques ?
Dans quelle mesure l’utilisation des services d’encaissement des chèques est-elle répandue parmi les prestataires de programmes d’aide publics et quel est l’impact des frais de ces services sur eux ?
Pourquoi les consommateurs utilisent-ils les services d’encaissement de chèques lorsqu’ils peuvent avoir accès à leurs fonds gratuitement ou à coût modique dans les institutions financières ordinaires ?
Les frais d’encaissement des chèques exigés par les entreprises de SFP sont-ils excessifs compte tenu des risques et des coûts associés à la prestation de ce service ? Quels sont ces coûts et ces risques ?

Les réponses apportées à ces questions sont importantes pour savoir si une réforme s’impose dans les circonstances et, le cas échéant, pour pouvoir choisir les mesures les plus pratiques et les plus efficaces.

La situation et les questions sont complexes; dans certains cas, l’information disponible est rare. Les consultations publiques menées par la Commission ont fait ressortir l’éventail des avis; les divergences ne tiennent pas tant à la question de savoir si le paiement de frais d’encaissement des chèques du gouvernement est un sujet d’inquiétude (on s’entend généralement pour reconnaître que la question est pressante), mais bien à la source du problème. La question de fond est définie de plusieurs façons : la grande pauvreté et le manque de soutiens sociaux qui règnent dans certains segments de la population ontarienne, les obstacles à l’accès aux services financiers ordinaires, les méthodes abusives des entreprises de SFP ou le manque de savoir-faire financier et les choix médiocres de certaines personnes.

La section qui suit tente de traiter de ces questions en rappelant l’information disponible sur les usagers des services d’encaissement des chèques, les obstacles à l’utilisation des services financiers ordinaires et les grandes caractéristiques du secteur de l’encaissement des chèques.

 

A. Le coût de l’encaissement des chèques du gouvernement en Ontario

Le coût de l’encaissement d’un chèque du gouvernement en Ontario varie considérablement selon la provenance du chèque encaissé, l’institution qui l’encaisse et les arrangements locaux. L’encaissement peut ainsi se faire gratuitement ou à coût modique, ou, au contraire, entraîner des frais considérables.

1. Les banques et les caisses

Les banques et les caisses encaissent des chèques pour les détenteurs de leurs comptes, sous réserve de leur politique de retenue de fonds. Les grandes banques offrent toutes maintenant des comptes de base assortis de frais mensuels de moins de 4 $. Les services offerts avec ces comptes comprennent, entre autres, les dépôts et les retraits par chèque (voir l’annexe F pour plus de précisions)[10]. Les détenteurs de compte peuvent ainsi avoir accès aux fonds qu’ils touchent par chèque à coût très modique. Certaines banques offrent des structures de frais « à la transaction » à ceux qui détiennent des comptes dans leurs succursales; ainsi, les détenteurs de comptes de la Banque Royale ou de la Banque de Montréal qui choisissent l’option de frais à la transaction paient 0,75 $ pour encaisser un chèque, quel qu’en soit le montant.

Les chèques du gouvernement fédéral d’au plus 1 500 $ peuvent être encaissés sans frais dans n’importe quelle banque (que la personne qui le présente y détienne un compte ou non) sur production d’une pièce d’identité qui comporte une photo et une signature ou de deux pièces d‘identité acceptables[11]. La législation fédérale dispense expressément les banques d’encaisser des chèques en présence de preuve qu’il y a fraude ou qu’une illégalité a été commise relativement au chèque[12].

En outre, un certain nombre de municipalités ontariennes ont conclu des ententes informelles avec des succursales bancaires et des caisses locales pour faciliter l’encaissement gratuit des chèques d’aide sociale[13]. Le fournisseur de services sociaux s’engage ainsi à indemniser l’établissement financier en cas de fraude et, de son côté, ce dernier s’engage à encaisser gratuitement les chèques du programme Ontario au travail, que les personnes qui les présentent détiennent ou non un compte chez lui, sur vérification d’identité. Le mode de vérification varie selon les ententes : certaines exigent les mêmes pièces d’identité que celles nécessaires pour l’encaissement des chèques du gouvernement fédéral, tandis que d’autres se contentent d’une lettre du fournisseur de services sociaux.

 

2. Les entreprises de SFP

Les chèques du gouvernement sont également encaissés auprès d’entreprises de SFP. Celles-ci exigent un éventail de frais pour ce service. Ces frais comprennent généralement des frais fixes dits d’opération et des frais calculés en pourcentage du montant du chèque encaissé. En général, il n’y a pas de différence de frais entre les types de chèques encaissés, qu’il s’agisse de chèques du gouvernement, de chèques de paie ou de chèques personnels. Par exemple, en juillet 2008, Money Mart et Cash Money exigeaient des frais fixes de 2,99 $ et des frais représentant 2,99 p. 100 du montant du chèque, tandis que, chez Cash House, ces frais étaient de 1,49 $ et de 2,49 p. 100 respectivement. Les frais d’encaissement d’un chèque de 500 $ étaient donc de 13,94 $ chez Cash House et de 17,94 $ chez Money Mart ou chez Cash Money. Une mère célibataire ayant deux enfants qui encaisserait ses chèques d’aide sociale et de la Prestation ontarienne pour enfants d’un total de 1 510 $ chez Money Mart ou chez Cash Money paierait des frais de 48,14 $ par mois, soit des frais annuels de 577,67 $.

 

3. L’encaissement des chèques dans l’économie parallèle

Enfin, les chèques du gouvernement peuvent être encaissés comme service auxiliaire par des commerces tels que des bars ou des dépanneurs, voire, parfois, par des propriétaires. Les informations sur ces services sont rares. Toutefois, selon les dires des intervenants, les frais exigés alors varient beaucoup, allant de minimes à exorbitants. Ceux qui encaissent les chèques ainsi exigent parfois que les fonds soient dépensés sur place. Cette situation est relativement rare dans les villes du Sud de l’Ontario, mais elle est assez fréquente dans les collectivités éloignées, surtout dans le Nord de l’Ontario.

 

B. L’impact des frais d’encaissement de chèques : les usagers des services d’encaissement de chèques et les prestataires des programmes d’aide publics

Qui utilise les services d’encaissement de chèques ? Pour évaluer l’impact des frais d’encaissement des chèques du gouvernement, on gagnera à en apprendre davantage sur trois groupes : les clients des entreprises de SFP en général, les usagers de services d’encaissement de chèques, et les personnes qui encaissent des chèques du gouvernement en particulier. On a passablement bien étudié les usagers des services de prêts sur salaire, un peu moins les personnes qui utilisent des services d’encaissement de chèques et presque pas celles qui encaissent des chèques du gouvernement.

Ces groupes se recoupent : par exemple, ceux qui contractent des prêts sur salaire utilisent également fréquemment les services d’encaissement des chèques des entreprises de SFP. Ils ne sont toutefois certainement pas identiques. De par leur revenu d’emploi, ceux qui contractent des prêts sur salaire et ceux qui encaissent des chèques de paie se distinguent sous des rapports importants de ceux qui dépendent des fonds publics. L’Association canadienne des prêteurs sur salaire (ACPS) interdit à ses membres de consentir des prêts sur salaire aux prestataires de l’aide sociale; il semble toutefois que certaines entreprises qui n’en sont pas membres offrent quand même ce service[14].

Rappelons en outre que le gouvernement provincial émet toutes sortes de chèques et que tous les destinataires de ces chèques n’ont pas nécessairement un revenu faible, alors que cela pourrait fort bien être le cas de certaines personnes qui encaissent des chèques de paie.

 

1. Les utilisateurs des services financiers parallèles

Un certain nombre d’études et de sondages se sont penchés sur les caractéristiques des clients des entreprises de SFP, le plus souvent en s’intéressant surtout aux services de prêt sur salaire.

La fréquentation des établissements de SFP est relativement rare au Canada. Selon un sondage mené en 2005 par Ipsos-Reid pour l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC), seulement 7 p. 100 des Canadiens ont eu recours à une entreprise de SFP.

Les études le confirment : les clients des entreprises de SFP ont plus tendance à être jeunes et à avoir un revenu faible. Selon une enquête d’Ipsos-Reid, les clients des SFP sont plus souvent jeunes, à faible revenu et citadins (cette dernière caractéristique découlant probablement de la répartition géographique actuelle des établissements de SFP)[15]. Une étude de Statistique Canada sur les tendances des prêts sur salaire au Canada fondée sur l’Enquête sur la sécurité financière de 2005 indique que les jeunes familles (soit celles dont le soutien économique principal est âgé de 15 à 24 ans) sont trois fois plus susceptibles d’avoir eu recours à des prêts sur salaire que celles dont le soutien économique principal est âgé de 35 à 44 ans. Le recours aux prêts sur salaire est aussi associé à un niveau d’instruction moins élevé. Les familles à faible revenu sont deux fois plus susceptibles d’avoir eu recours aux prêts sur salaire. Sont particulièrement vulnérables celles dont le solde bancaire ne dépasse pas 500 $, ou qui n’ont pas de cartes de crédit. Près de la moitié de ceux qui ont recours aux prêts sur salaire déclare être sans soutien en cas de difficulté financière[16].

Les utilisateurs des SFP sont également beaucoup plus susceptibles de vivre dans le Nord de la province, où leur proportion est presque le double celle qu’on constate dans d’autres régions (13 p. 100, comparativement à 7 p. 100)[17].

Selon le sondage d’Ipsos-Reid, le service financier parallèle le plus utilisé est l’encaissement de chèques (57 p. 100 des utilisateurs), tandis que 25 p. 100 des clients des SFP ont recours aux services de prêts sur salaire. Chose surprenante, un quart des clients des SFP déclare avoir recours à ces entreprises pour encaisser un chèque du gouvernement fédéral – qui peut être encaissé gratuitement dans n’importe quelle banque sur présentation d’une pièce d’identité suffisante. Pour confirmer cette constatation, une enquête de 2006 a montré que 31 p. 100 de ceux qui avaient eu recours à un établissement d’encaissement de chèques dans l’année écoulée l’avaient fait pour encaisser un chèque du gouvernement fédéral. Aucune de ces enquêtes ne questionnait les participants sur l’encaissement de chèques du gouvernement provincial ou d’une municipalité; on peut supposer que cela représenterait également une grande proportion des chèques encaissés. L’enquête de 2006 a également révélé que 40 p. 100 de ceux qui ont recours à des services non bancaires pour encaisser des chèques ignorent que les frais sont plus élevés que ceux pratiqués par les institutions financières ordinaires[18].

L’enquête d’Ipsos-Reid a constaté que les clients des SFP qui encaissent des chèques du gouvernement fédéral sont plus susceptibles d’être jeunes et à faible revenu que les autres clients de ces services (qui sont eux-mêmes plus susceptibles que le moyenne d’être jeunes et à faible revenu).

Chose intéressante, des témoignages donnés en 2007 devant la Régie des services publics du Manitoba révèlent qu’un très grand nombre des personnes qui encaissent des chèques chez Money Mart n’ont pas de compte dans une banque ou une caisse– cette proportion pouvant atteindre le tiers[19].

 

2. Impact sur les destinataires de chèques du gouvernement

Le gouvernement émet des chèques pour toutes sortes de raisons, notamment l’emploi et les paiements au titre de services commerciaux. Les traitements des fonctionnaires ontariens sont pour la plupart versés par virement automatique et représentent donc une proportion relativement faible des chèques émis. Pendant l’exercice 2007-2008, le gouvernement de l’Ontario a émis 693 861 chèques au titre de ses dépenses de fonctionnement directes[20].

Un certain nombre de programmes de prestations donnent aussi lieu à l’émission de chèques. Pendant l’exercice 2007–2008, le gouvernement de l’Ontario a émis 1 732 426 chèques liés à des paiements de transfert. Les principaux programmes concernés sont les suivants :

1. Le Supplément de revenu de l’Ontario pour les familles travailleuses ayant des frais de garde d’enfants : Ce programme offre aux familles ontariennes à faible revenu qui ont des enfants de moins de sept ans et qui remplissent d’autres critères d’admissibilité un supplément mensuel à valoir sur des frais de garde d’enfants. Il est intégré à la Prestation fiscale canadienne pour enfants. Ce supplément est en phase de transition depuis la mise en œuvre, en juillet 2008, de la Prestation ontarienne pour enfants (POE)[21], et sera progressivement éliminé.

2. Le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées : Ce programme est décrit en détail dans la section suivante. Soulignons que les chèques du programme d’aide sociale Ontario au travail ne sont pas mentionnés ici parce qu’ils sont émis par les agents de prestation de services.

3. Les remboursements de la vignette de validation d’une plaque d’immatriculation : Les conducteurs qui quittent l’Ontario plus de trois mois avant la fin de la période de validation de leur plaque d’immatriculation ont droit à un remboursement.

4. Le Régime de revenu annuel garanti : Ce programme offre un revenu annuel garanti aux personnes âgées de l’Ontario, en plus de la pension de la Sécurité de la vieillesse et du Supplément de revenu garanti du gouvernement fédéral, par le biais de prestations pouvant atteindre 83 $ par mois.

5. Les subventions accordées aux résidents du Nord de l’Ontario pour frais de transport à des fins médicales : Ces subventions pour frais de transport sont financées par le ministère de la Santé et des Soins de longue durée pour prendre en charge en partie les frais de transport des résidents admissibles du Nord de l’Ontario qui doivent faire de longs déplacements en Ontario ou au Manitoba pour recevoir les services spécialisés assurés qui sont médicalement nécessaires, mais qui ne sont pas disponibles chez eux.

6. Le Système intégré d’administration des taxes et des impôts : Le ministère des Finances administre les lois fiscales, les crédits d’impôt et les prestations fiscales de l’Ontario telles que le Régime de revenu garanti, la Prestation pour enfants et le Supplément pour familles travailleuses

Les subventions pour frais de transport, les versements liés à l’administration des taxes et des impôts et les remboursements de la vignette de validation sont occasionnels et concernent toutes les catégories de revenu. Le Supplément pour familles travailleuses, le Supplément de revenu garanti et les versements d’aide sociale, en revanche, visent les groupes à faible revenu, sont périodiques et sont essentiels pour la sécurité économique de leurs prestataires.

Ce sont les prestataires de l’aide sociale qui suscitent le plus d’inquiétudes chez les personnes consultées par la Commission, qui soulignent le faible revenu et la vulnérabilité de ce groupe d’Ontariens. Nous allons donc étoffer l’analyse des programmes ontariens d’aide sociale et de l’impact des frais d’encaissement des chèques sur leurs prestataires.

 

Contexte

En Ontario, l’aide sociale est une responsabilité partagée entre la province et les municipalités. L’Ontario offre deux grands programmes d’aide sociale : Ontario au travail et le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées (POSPH). Le programme Ontario au travail est le programme d’aide sociale générale et est régi par la Loi de 1997 sur le programme Ontario au travail. Il est dispensé par les gestionnaires de services municipaux, les conseils d’administration de district des services sociaux et les collectivités autochtones, qui émettent effectivement les chèques et qui sont chargés de l’administration du programme au quotidien. Le POSPH offre un soutien du revenu et des prestations aux personnes handicapées et à leur famille en situation financière difficile. Le programme est dispensé par le ministère des Services sociaux et communautaires[22].

En mars 2008, le programme d’aide sociale Ontario au travail comptait 372 018 bénéficiaires, dont environ la moitié (187 481) faisait partie de familles monoparentales, environ le tiers (108 638) était des célibataires et le reste, des couples ayant des enfants. Le POSPH comptait 332 627 bénéficiaires, dont plus de la moitié était des célibataires. En outre, 22 420 familles touchaient des prestations du programme Aide à l’égard d’enfants qui ont un handicap grave. Au total, près de 750 000 Ontariens touchaient alors de l’aide sociale[23].

 

Impact

Il est difficile d’estimer à quelle fréquence les prestataires de l’aide sociale ont recours à des établissements d’encaissement de chèques, même si certains fournisseurs de services sociaux pensent que cela est très courant. Le ministère des Services sociaux et communautaires a appris à la Commission que, bien qu’une proportion importante des prestations d’aide sociale soient virées électroniquement (quatre millions par année), il émet quand même plus de trois millions de chèques d’aide sociale par an. Le CADSS de Waterloo estime, quant à lui, que près de 50 p. 100 des bénéficiaires du programme Ontario au travail de cette municipalité touchent actuellement des prestations par chèque; à Thunder Bay, le chiffre est de 80 p. 100. Le CADSS de Thunder Bay a fait un sondage auprès des destinataires de chèques en mars 2008 et a découvert que 36 p. 100 de tous les chèques émis étaient encaissés dans un établissement de SFP et 7 p. 100, dans un autre commerce non bancaire tel qu’un dépanneur ou un prêteur sur gages. Ces chiffres révèlent qu’un très grand nombre de prestataires de l’aide sociale paient fréquemment des frais importants pour obtenir leurs prestations publiques.

La grande pauvreté des prestataires de l’aide sociale est peut-être elle-même ne raison de l’utilisation des services d’encaissement de chèques. Selon le CADSS de Thunder Bay, la cause profonde de l’utilisation des établissements d’encaissement de chèques et de prêts sur salaire est la pauvreté :

Les prestations d’aide sociale sont actuellement insuffisantws pour répondre aux besoins élémentaires des Ontariens qui ont besoin d’aide. La réduction de 20 p. 100 des prestations du programme Ontario au travail et du POSPH et leur baisse ultérieure (comparativement à l’inflation) ont créé une situation de pauvreté profonde pour nombre d’enfants et de familles de la province. [Traduction]

En raison de leurs faibles revenus, les personnes qui dépendent de l’aide sociale ont urgemment besoin d’avoir accès à leurs fonds le plus rapidement possible; l’accès immédiat offert par les établissements d’encaissement des chèques revêt alors une importante primordiale.

Pour ce qui est des prestations, un célibataire qui reçoit l’aide du programme Ontario au travail a actuellement droit à un maximum de 560 $ par mois (6 720 $ par an), ce qui comprend l’allocation de logement et pour besoins essentiels. Un célibataire qui touche des prestations du POSPH a droit à 999 $ par mois (11 998 $ par an). Un chef de famille monoparentale ayant un enfant de moins de 12 ans peut toucher un maximum de 1 180 $ par mois (14 160 $) dans le cadre du programme Ontario au travail (POE comprise) ou 1 680 $ par mois (20 160 $ par an) du POSPH (là aussi, POE comprise). Pour mettre les choses en perspective, le seuil de faible revenu avant impôt en 2007 pour un célibataire était de 14 914 $ dans les régions rurales et de 21 666 $ dans les grandes agglomérations; pour un chef de famille monoparentale ayant un enfant, il était, toujours en 2007, de 18 567 $ dans les régions rurales et de 26 972 $ dans les grandes agglomérations[24].

De nombreux témoignages ont souligné que, compte tenu des niveaux extrêmement faibles de revenu des prestataires de l’aide sociale, les frais d’encaissement de ses chèques sont abusifs. Citons le Centre pour la défense de l’intérêt public :

Si l’on pense que la majorité des personnes qui utilisent ces services sont des consommateurs à faible revenu vulnérables, tels que des parents sur l’aide sociale ou des handicapés, on voit bien que ces frais supplémentaires sont abusifs et régressifs… C’est ce que prouve aussi un rapport de 2005 du Conseil national du bien-être social, qui a constaté que les revenus tirés de l’aide sociale au Canada restent bien en-deçà du seuil de pauvreté, puisqu’ils n’en représentent même pas les deux tiers pour tous les ménages dans tous les ressorts en 2005 … Compte tenu du revenu déjà très faible que ces personnes touchent, il est totalement illogique de leur demander de céder une partie importante de leurs chèques d’aide sociale sous la forme de frais supplémentaires. [Traduction]

Un célibataire qui touche des prestations de 560 $ par mois (6 720 $ par an) et qui dépense 20 $ par mois, soit 240 $ par an, pour les encaisser affecte donc, pendant une année, l’équivalent de près de deux semaines de revenu simplement pour pouvoir y avoir accès. Compte tenu de ce budget très minime au départ, l’impact des frais d’encaissement des chèques sur la capacité de subvenir à ses besoins élémentaires risque donc d’être énorme.

 

C. La capacité financière et l’accès à l’information

Une question se pose constamment dans toute discussion sur les entreprises de SFP : dans quelle mesure les consommateurs qui utilisent leurs services font-ils un choix éclairé ? L’un des objets de la loi ontarienne adoptée récemment, le projet de loi 48 intitulé Loi de 2008 concernant les prêts sur salaire (voir l’annexe B), est de faire en sorte que les consommateurs aient l’information nécessaire pour comprendre les risques et les responsabilités associés aux prêts sur salaire. De même, on peut se demander dans quelle mesure les utilisateurs des services d’encaissement de chèques, en particulier ceux qui encaissent des chèques du gouvernement, comprennent le coût de ce service et les options qui s’offrent à eux.

La capacité de comprendre l’information financière, de s’en servir et de préparer l’avenir a une incidence cruciale sur le sort de chacun. La complexité grandissante des produits, des services et des choix financiers et la plus grande facilité d’obtention du crédit rendent les connaissances financières de plus en plus importantes. Comme le déclare l’ACFC :

Pour pouvoir avoir accès aux produits et aux services financiers les plus élémentaires, tels que les comptes de chèques et d’épargne, les cartes de crédit et de débit et les services en ligne, les consommateurs doivent posséder des connaissances suffisantes et connaître leurs droits.[25]

La capacité financière est importante pour les personnes à faible revenu : leur marge de manœuvre est si petite qu’elles ne peuvent se permettre de perdre des avantages financiers potentiels. Peu d’organismes se chargent toutefois de leur offrir des conseils financiers.

Il est difficile d’évaluer les niveaux généraux de capacité financière au Canada. Selon une enquête menée en 2006 pour l’ACFC, si les répondants se disent, en très grande majorité, informés et sûrs d’avoir les connaissances nécessaires pour prendre des décisions financières courantes, la majorité d’entre eux reconnaît également que la plus grande partie de l’information financière est difficile à comprendre et plus de 40 p. 100 avouent avoir besoin d’un complément de formation. Une proportion importante des consommateurs de services financiers ne se sent pas informée de ses droits face aux institutions financières. Les trois quarts des répondants ignorent s’il en coûte quelque chose pour encaisser un chèque du gouvernement fédéral : seulement 22 p. 100 savent que c’est gratuit[26].

Le niveau de capacité financière pourrait fort bien être plus bas chez les personnes à faible revenu que dans l’ensemble de la population. Les fournisseurs de services sociaux consultés par la Commission ont souligné que les prestataires de l’aide sociale ont souvent des besoins complexes et que l’aide qu’ils reçoivent pour les combler est parfois insuffisante. Le CADSS de Thunder Bay a rappelé que les prestataires du programme Ontario au travail sont mal servis par les systèmes de services de santé mentale, de lutte contre la toxicomanie et de perfectionnement et qu’ils ont besoin de plus de mécanismes de soutien que ceux auxquels ils peuvent actuellement avoir recours :

On suppose généralement que les prestataires de l’aide sociale sont capables de vivre indépendamment et de faire des choix rationnels en ce qui concerne leurs services bancaires; en réalité, nous avons découvert que beaucoup d’entre eux sont délaissés par le réseau de santé et ont de la peine à s’acquitter des activités courantes de la vie quotidienne. Ces personnes ne pourront pas établir et maintenir des arrangements bancaires sans le soutien et les conseils de tiers. [Traduction]

Les organismes publics et sans but lucratif de services sociaux que la Commission a rencontrés pendant ses consultations ont souligné que certains de leurs bénéficiaires souffrent de manques certains sur le plan technologique, financier et des connaissances de base. Ils ont de la difficulté à obtenir et à comprendre l’information sur les frais et les services bancaires et à comparer les coûts et les services des entreprises de SFP et des institutions financières ordinaires. Pour eux, les outils technologiques tels que les guichets automatiques et les cartes de débit sont souvent des obstacles plutôt que des solutions, les imprimés d’information sur les services et les choix financiers étant peu utiles. L’aide attentionnée et respectueuse que peut fournir le personnel de caisse est alors cruciale.

La Commission s’est fait dire maintes fois que les personnes à faible revenu ne comprennent pas clairement les coûts et les services associés aux services bancaires ordinaires et préfèrent parfois les services d’encaissement de chèques parce que les frais sont connus, payés à l’opération et faciles à comprendre.

La Commission a également appris que le personnel d’intervention des organismes d’aide aux personnes à faible revenu a lui-même peu confiance dans ses connaissances financières et connaît mal les droits des personnes à faible revenu et les services à leur disposition. Il s’inquiète donc souvent de ne pouvoir fournir aux bénéficiaires l’information et la défense dont ils ont besoin en matière de services financiers. Comme le fait remarquer le professeur Jerry Buckland, en raison même de la structure des divers programmes de bien-être social (par exemple, le fait que les prestations d’aide sociale actuelles et futures changent avec l’augmentation du revenu des prestataires), il est particulièrement difficile d’offrir des conseils financiers utiles aux personnes à faible revenu. Le personnel des banques doit être conscient de ces difficultés pour pouvoir offrir des conseils qui correspondent aux besoins de ces personnes[27].

Certains groupes, tels les nouveaux arrivants ou les francophones, font face à des obstacles linguistiques et culturels supplémentaires lorsqu’ils essaient d’obtenir de l’information sur les services financiers. Le Centre francophone de Toronto souligne que les obstacles culturels et linguistiques exacerbent les autres obstacles que ses bénéficiaires rencontrent lorsqu’ils cherchent à obtenir des services financiers :

“Nos clients doivent donc surmonter plusieurs obstacles, dont la barrière linguistique, le choc culturel et surtout sur le plan économique. L’intégration est de plus en plus difficile, le marché du travail leur étant inaccessible. La plupart ne peuvent compter que sur le chèque d’aide sociale et l’aide financière qu’ils reçoivent du gouvernement. Et comme ils ne peuvent pas ouvrir facilement un compte bancaire soit par ignorance de leurs droits ou des exigences des banques, ils se tournent vers des services d’une société de prêt sur salaire ou d’encaissement de chèques[28].”
– Centre francophone de Toronto

Selon l’Ontario Federation of Indian Friendship Centres, il est important d’offrir des services culturellement adaptés aux autochtones. La Nishnawbe-Aski Legal Services Corporation a déclaré à la Commission que les services et les choix financiers ne voudront dire quelque chose pour les autochtones que s’ils sont présentés dans leur langue et dans le respect des différences culturelles et historiques bien comprises.

Les personnes qui ont des problèmes de santé mentale rencontrent aussi des obstacles particuliers. Le Centre de toxicomanie et de santé mentale donne comme exemple de ce qui peut être fait pour éliminer ces obstacles le travail de la Provincial Alliance Credit Union, qui s’est allié au Centre pour offrir des services financiers accessibles à ce groupe.

L’ACFC a pris des mesures importantes pour comprendre les besoins en information financière des Canadiens, dont ceux à faible revenu, et pour trouver de bons moyens de leur procurer cette information. Elle a ainsi mené des enquêtes sur les niveaux de sensibilisation des consommateurs en ce qui concerne leurs options en matière de services financiers et leurs droits et responsabilités en tant que consommateurs, collaboré à l’organisation, en 2005, d’un symposium sur la capacité financière, mis au point des outils en langage simple et interactifs aptes à accroître le niveau de sensibilisation des consommateurs et fait des efforts pour informer les institutions financières de leurs responsabilités[29].

 

D. Le secteur des services financiers ordinaires

Comme nous le rappelions plus tôt, la plupart des Canadiens ne paient pas de frais, encore moins de frais élevés, pour obtenir des fonds virés par chèque : grâce à leurs comptes dans des institutions financières ordinaires, ils touchent leurs fonds gratuitement ou à coût très modique. Pourquoi certains d’entre nous, dont un grand nombre de prestataires de l’aide publique, ont-ils donc recours aux entreprises de SFP pour toucher leurs fonds ? La question est particulièrement urgente : comme l’explique la section précédente, ceux qui paient des frais élevés pour encaisser des chèques sont souvent ceux qui peuvent le moins se le permettre. Pour bien comprendre les questions soulevées par les frais d’encaissement des chèques du gouvernement, il faudra non seulement se pencher sur le secteur des SFP qui offre des services d’encaissement des chèques, mais aussi examiner le contexte plus vaste du secteur des services financiers ordinaires qui dessert la plupart des Canadiens.

Le Canada, tout comme l’Ontario, dispose d’un secteur solide des services financiers ordinaires qui, la plupart du temps, sert bien les consommateurs; ces dernières années, cependant, le secteur des SFP a connu une croissance rapide – ce qui a suscité beaucoup de discussions et d’interrogations. Certains Ontariens ont recours aux deux secteurs, d’autres n’utilisent que l’un ou l’autre. La section qui suit examine les tendances et les questions clés qui ont été relevées à l’égard du secteur des services financiers ordinaires.

 

1. Le contexte

Le secteur des services financiers ordinaires est un réseau complexe d’institutions, d’organismes de réglementation, de textes et de services. En raison de son rôle vital dans l’économie et dans le quotidien des consommateurs, il a été, au Canada et en Ontario, assujetti à une réglementation et à une surveillance contraignantes. Les textes et les politiques qui le touchent sont très complexes et en évolution constante par suite de la complexité même, de l’hétérogénéité et de la fluctuation fréquente des objectifs de politique le concernant.

Les Ontariens ont actuellement accès à des services financiers ordinaires par l’entremise de tout un éventail d’établissements : banques, caisses populaires, credit unions et sociétés de prêt et de fiducie. Le secteur ontarien des services financiers est dominé par les banques, particulièrement les cinq grandes, qui ont toutes leur siège social dans la province : la Banque Royale, la banque Toronto Dominion, la Scotiabank, la Banque de Montréal et la Banque Canadienne Impériale de Commerce. Le secteur bancaire canadien est très réglementé et très surveillé. Par exemple, l’ACFC a une double mission : veiller à ce que toutes les banques et toutes les sociétés d’assurance, sociétés de prêt et de fiducie et associations coopératives de crédit sous régime fédéral respectent la législation fédérale, et les encourager à adopter des politiques favorables à la protection du consommateur.

Les caisses ont une longue histoire en Ontario depuis leur apparition, au début du XXe siècle, à la suite des difficultés rencontrées par les consommateurs et les agriculteurs qui avaient besoin de crédit. Inspirées par le modèle coopératif, les caisses sont constituées par les consommateurs pour répondre à leurs besoins. Compte tenu de la prédominance du secteur bancaire en Ontario, le mouvement des caisses a peu de visibilité, bien qu’il joue un rôle crucial dans la prestation de services financiers, particulièrement dans les collectivités rurales et franco-ontariennes. Dans les villes, les caisses sont souvent associées à des groupes ethniques ou professionnels. À l’heure actuelle, près de 13 p. 100 des Ontariens sont membres de caisses et le mouvement représente environ 5 p. 100 du marché des dépôts bancaires en Ontario[30]. Les caisses sont habituellement de régime provincial et, à l’instar des banques, font l’objet d’une réglementation et d’une surveillance poussées.

Le secteur des services financiers a connu une évolution rapide au cours des dernières décennies. En ce qui concerne l’encaissement des chèques, le fait le plus marquant a probablement été la révolution technologique qui a entraîné l’explosion des services bancaires électroniques. Citons, entre autres, le lancement et la généralisation des cartes de débit et de crédit, la capacité d’effectuer des opérations financières par Internet, par téléphone et, encore plus généralement, par guichet automatique, et la multiplication continue des programmes de virement automatique[31]. La croissance des services bancaires électroniques n’est pas sans conséquences pour l’accès aux services financiers et pour l’utilité des chèques dans les virements de fonds (et la nécessité des services d’encaissement de chèques qui en découle).

L’évolution rapide du secteur des services financiers a accru les choix des consommateurs, en même temps, toutefois, qu’elle leur a rendu la vie plus complexe et parfois plus confuse. Ces consommateurs font face à une abondance d’établissements, de services et de choix qui leur demandent un plus grand savoir-faire. Cette innovation accélérée a certainement facilité l’accès au plus grand nombre, mais, comme la Commission se l’est fait rappeler par les organismes qui travaillent auprès des personnes à faible revenu, les consommateurs dépourvus de connaissances technologiques sont laissés sur le carreau. Selon des enquêtes récentes de l’ACFC, une proportion importante des consommateurs de services financiers ne se sent pas bien informée quant à ses droits et responsabilités, une majorité estimant que la plus grande partie de l’information de nature financière est difficile à comprendre et une minorité importante se sentant impuissante devant les institutions financières[32].

On a déjà souligné que, pour toutes sortes de raisons, le public attend plus des établissements financiers et, en particulier, des banques que des autres entreprises, considérant qu’ils ont de plus grandes responsabilités[33]. Depuis dix ans en particulier, un certain nombre de réformes imposées à certains égards au réseau bancaire ont permis de calmer les inquiétudes du public; citons surtout le durcissement des exigences sur le plan de la divulgation, l’information, l’accès aux services et la protection de la vie privée et des renseignements personnels.

 

2. L’utilisation des services financiers ordinaires : tendances et obstacles

Certains mémoires présentés à la Commission soulignent qu’il sera difficile de comprendre ou de régler la question des frais d’encaissement des chèques sans tenir compte des rapports entre les groupes à faible revenu et le secteur des services financiers ordinaires, de même que de la nature et de l’incidence de l’exclusion financière. Il faudra se pencher également sur les grandes questions des inégalités économiques, de la marginalisation économique et du rôle des services financiers dans le bien-être individuel et collectif.

Notre projet s’occupe d’une question relativement bien circonscrite : le transfert efficace de fonds publics aux particuliers. Son propos ne saurait être de traiter de toutes les grandes questions liées à l’exclusion financière et à l’accès aux services financiers. Il est toutefois impossible de comprendre la question qui l’occupe sans évoquer le contexte plus général.

Comme le souligne la section précédente à propos des utilisateurs des services d’encaissement de chèques et des destinataires des chèques du gouvernement, ceux-ci ont beaucoup plus tendance à avoir un revenu faible. On ne pourra comprendre les motifs qui poussent à utiliser les services d’encaissement de chèques, l’impact des frais d’encaissement de chèques et les aspects pratiques des réformes possibles que si l’on comprend également les rapports que ces personnes entretiennent avec le secteur des services financiers ordinaires. Nous allons donc traiter brièvement de ces éléments.

 

L’exclusion financière et la population sans services bancaires ou mal desservie par les banques

Il existe bien des définitions de l’expression « exclusion financière », mais on s’entend généralement pour dire qu’une personne est exclue financièrement lorsqu’elle n’a pas un accès suffisant aux produits et aux services de base fournis par le secteur des services financiers et par l’État ou qu’elle ne possède pas suffisamment d’information sur ces produits et ces services[34]. Au Canada, l’exclusion financière a surtout été étudiée par le biais du phénomène des personnes sans services bancaires ou mal desservie par les banques – c’est-à-dire celles qui n’ont pas un accès suffisant aux institutions financières ordinaires tels que les banques ou les caisses. Soit ces personnes utilisent des services financiers informels (fournis par les proches ou les amis, des commerces ou leur propriétaire), soit elles ont recours à des établissements de SFP tels que les entreprises d’encaissement de chèques, les prêteurs sur salaire ou les prêteurs sur gages.

Le secteur des services financiers ordinaires dessert bien la grande majorité des Canadiens, qui n’a guère de difficulté à avoir accès à des services financiers. La tendance vers les services bancaires électroniques a en fait amélioré l’accès pour beaucoup. Le nombre de Canadiens sans services bancaires est difficile à évaluer avec précision puisque ceux qui sont le plus susceptibles de l’être sont également ceux qui sont le plus difficiles à atteindre par les méthodes d’enquête habituelles. On s’entend généralement pour dire que le pourcentage des Canadiens sans services bancaires se situe entre 3 et 5 p. 100 – soit environ un million de Canadiens[35]. Ce chiffre est relativement faible si on le compare, par exemple, à celui des États-Unis, où on l’estime généralement à au moins 10 p. 100[36].

Même si le nombre des Canadiens sans services bancaires ou mal desservis par les banques est relativement faible, l’exclusion financière qu’ils vivent a des conséquences importantes : ils paient des frais plus élevés pour des opérations financières de base, ils sont à la merci de méthodes non réglementées et abusives et ils n’ont pas accès à des services et à des avantages qui pourraient leur profiter. L’effet cumulatif de l’exclusion financière finit par renforcer la marginalisation sociale et économique[37]. Selon les enquêtes du Groupe de travail sur l’avenir du secteur des services financiers canadien, une forte majorité de Canadiens juge essentiel l’accès aux services bancaires de base, 95 p. 100 trouvant l’accès à des services d’encaissement de chèques essentiel ou important et 85 p. 100 ayant la même opinion en ce qui concerne les comptes de chèques de base[38].

Les personnes sans services bancaires sont, on n’en sera pas surpris, plus susceptibles d’utiliser des services d’encaissement de chèques. Rappelons, par exemple, l’estimation faite par Money Mart pendant les audiences manitobaines sur la fixation des frais d’encaissement des chèques du gouvernement, selon laquelle près du tiers des clients de ses services d’encaissement de chèques étaient mal desservis par les services bancaires[39].

Les Canadiens ne sont pas tous susceptibles d’être mal desservis dans la même mesure par les services bancaires. Par exemple, le pourcentage des personnes sans services bancaires est beaucoup moins élevé au Québec et plus élevé dans le Nord du Canada que dans le reste du pays[40].

Ce sont parfois des obstacles religieux ou culturels qui gênent l’accès aux services bancaires ordinaires. Ainsi, les préceptes religieux interdisent aux musulmans pratiquants de payer et de toucher des intérêts, ce qui les prive de services financiers adéquats et les classe dans la catégorie des personnes sans services bancaires ou mal desservies par les banques. Les institutions financières manifestent depuis peu un intérêt croissant à mettre au point des services et de produits respectueux de la sharia[41].

Par dessus tout, l’exclusion financière est étroitement liée à la faiblesse du revenu. Certains estiment que près de 15 p. 100 des personnes à faible revenu sont sans services bancaires[42]. Selon une enquête de 1995 d’Environics, 8 p. 100 des personnes ayant un revenu de moins de 25 000 $ étaient sans services bancaires[43]. En 1998, le gouvernement de la Saskatchewan estimait que de 55 à 60 p. 100 des prestataires de l’aide sociale étaient sans services bancaires[44]. Il n’y a pas d’enquête récente sur le degré d’exclusion financière des Canadiens à faible revenu, mais les organismes de services sociaux que la Commission a rencontrés affirment, selon leur expérience, que les personnes à faible revenu courent un plus grand risque de ne pas avoir de rapports avec une institution financière ordinaire.

Ces dernières années, de grands efforts ont été faits pour faciliter l’ouverture de comptes bancaires par les personnes à faible revenu. Les grandes banques offrent toutes maintenant des services bancaires de base à coût modique. Un compte bancaire de base offrant des services courants de retrait, de virement et de paiement de factures coûte moins de 4 $ par mois[45]. Les exigences à respecter pour ouvrir un compte bancaire au Canada ont été simplifiées par le Règlement sur l’accès aux services bancaires de base de 2003[46]. Il suffit, en général, de présenter deux pièces d’identité figurant dans une liste prescrite, bien qu’une seule pièce soit suffisante si l’identité de la personne qui veut ouvrir le compte est confirmée par un client en règle de la banque ou une personne jouissant d’une bonne réputation dans la communauté où la banque est située. D’autres pièces peuvent être exigées si le personnel de la banque a des motifs de remettre en question l’identité de la personne qui veut ouvrir un compte.

Les banques ne sont pas tenues d’ouvrir des comptes bancaires dans les circonstances suivantes : on croit que le compte sera utilisé à des fins illégales ou frauduleuses; l’ouverture du compte exposerait d’autres clients ou des employés à des risques de blessure, de harcèlement ou d’abus; la personne refuse de permettre à la banque de vérifier les pièces d’identité qu’elle présente; la personne s’est livrée à des activités illégales ou frauduleuses au cours des sept dernières années envers des fournisseurs de services financiers. La banque qui refuse d’ouvrir un compte doit motiver sa décision par écrit et expliquer la manière de communiquer avec l’ACFC.

L’ACFC est chargée de surveiller le respect des règles concernant l’accès aux services bancaires et se livre fréquemment à des évaluations mystères pour mesurer les progrès. En 2004-2005, des clients mystères ont réussi à ouvrir un compte bancaire dans 84 p. 100 des cas. L’ACFC souligne que la principale cause d’échec est l’ignorance des employés des banques quant aux pièces d’identité nécessaires, bien que, dans un certain nombre de cas, les banques aient demandé plus de pièces d’identité que ce que n’exige le Règlement. L’ACFC a également constaté un très faible de taux de respect de l’exigence selon laquelle les banques doivent motiver leur refus par écrit [47].

Pourquoi les personnes à faible revenu sont-elles beaucoup plus susceptibles d’être sans services bancaires ? Les explications proposées sont nombreuses. Selon les organismes au service de ces personnes qu’a consultés la Commission, leurs clients ne voient pas l’utilité d’avoir un compte bancaire puisqu’ils se retrouvent de toute façon avec un solde nul à la fin du mois. Ceux qui ont un revenu très faible vivent par nécessité dans une économie monétaire, plus soucieux de leurs besoins quotidiens que de planifier l’avenir. Certains trouvent qu’il leur est plus facile de budgétiser leur survie lorsqu’ils ont leur argent en main. On a également cité d’autres obstacles tels que les attitudes, les exigences en matière d’identification, les politiques de retenue de fonds, les heures d’ouverture et les emplacements. Les sections qui suivent se pencheront tour à tour sur chacun de ces obstacles à l’ouverture d’un compte bancaire auprès d’une institution financière ordinaire.

 

Les exigences en matière d’identification

Pour prévenir la fraude, il est obligatoire de présenter des pièces d’identité pour ouvrir un compte bancaire et pour encaisser un chèque du gouvernement fédéral dans une banque où l’on n’a pas de compte.

Des efforts ont été faits pour réduire et simplifier les exigences en matière d’identification. Selon le Règlement sur l’accès aux services bancaires de base de 2003[48], les personnes qui veulent ouvrir un compte bancaire doivent présenter deux pièces d’identité, dont au moins une doit figurer dans la liste suivante :

un permis de conduire délivré au Canada,
un passeport canadien valide,
un certificat de naissance délivré au Canada,
un numéro d’assurance sociale,
une carte de sécurité de la vieillesse,
un certificat de statut d’Indien,
un certificat de citoyenneté canadienne ou de naturalisation,
une carte de résident permanent ou des formulaires précisés de Citoyenneté et Immigration.

La seconde pièce d’identité peut également provenir de cette liste ou figurer dans la suivante :

· une carte d’identité d’employé,

· une carte bancaire ou une carte de débit portant le nom et la signature de la personne,

· une carte de crédit délivrée au Canada et portant le nom et la signature de la personne,

· un passeport étranger valide.

La personne qui n’a pas de seconde pièce d’identité lorsqu’elle veut ouvrir un compte peut demander à quelqu’un que connaît la banque de confirmer son identité.

Ces documents coûtent cher (permis de conduire, passeport, certificat de naissance), demandent des formalités compliquées ou présupposent l’accès à des ressources financières (carte d’employé, carte de débit, carte de crédit). Par ailleurs, les itinérants ou les personnes qui ont des problèmes mentaux risquent de perdre ou de se faire voler leurs pièces d’identité et ceux qui n’ont pas de domicile fixe risquent d’avoir des difficultés à les remplacer. Il n’est pas surprenant que les personnes à faible revenu n’aient pas de pièces d’identité suffisantes pour ouvrir un compte bancaire. Les immigrants illégaux ne pourront fort probablement pas satisfaire aux exigences susmentionnées en matière d’identification.

Selon une enquête sur la santé des sans-abri menée auprès de 368 Torontois pour la cité de Toronto entre novembre 2006 et février 2007, 50 p. 100 des répondants n’avaient pas de numéro d’assistance sociale et 29 p. 100 n’avaient pas de preuve de citoyenneté (certificat de naissance, carte de citoyenneté ou document d’immigration)[49].

La Nishnawbe-Aski Legal Services Corporation a déclaré à la Commission que les autochtones âgés risquent d’avoir des difficultés particulières à obtenir des pièces d’identité. Certains n’ont jamais été déclarés à leur naissance; d’autres ont reçu un nouveau nom lors de leur arrivée dans une école résidentielle et ont donc des pièces divergentes.

Certaines études ont cité les difficultés à obtenir des pièces d’identité comme un obstacle à l’accès aux services financiers[50]. Le Groupe de travail sur l’avenir des institutions financières a recommandé que les divers ordres de gouvernement prennent des mesures pour faire en sorte que tous les Canadiens aient accès à des pièces d’identité peu coûteuses pour améliorer l’accès aux services financiers. La Commission a reçu de nombreuses plaintes sur l’absence de pièces d’identité peu coûteuses et facilement accessibles en Ontario.

Le manque de moyens d’identification risquant de faire obstacle à l’obtention de nombreux services, plusieurs organismes sans but lucratif offrent des services d’identification pour aider leurs bénéficiaires à se procurer des pièces d’identité. Des programmes municipaux d’aide sociale prennent également des mesures en ce sens, soit en finançant le coût des pièces, soit en offrant de l’aide sur le plan administratif. Les organismes de services sociaux s’associent avec des banques ou des caisses locales pour faire accepter des lettres de vérification d’identité qui peuvent s’ajouter aux pièces d’identité insuffisantes ou les remplacer.

Plusieurs provinces et territoires offrent à ceux qui ne peuvent pas obtenir de permis de conduire ou qui n’en ont pas besoin une pièce d’identité avec photo peu coûteuse qui satisfait aux exigences du Règlement sur l’accès aux services bancaires. Ainsi, Saskatchewan Government Insurance offre une carte d’identité avec photo qui coûte 10 $ tandis que le Nouveau-Brunswick en offre aussi une pour 9,20 $ (l’annexe E donne une liste complète de ces pièces).

À l’heure actuelle, l’Ontario n’offre pas à ceux qui n’ont pas de permis de conduire une pièce d’identité avec photo peu coûteuse qui satisfait aux exigence du Règlement sur l’accès aux services bancaires. Toutefois, en juin 2008, le gouvernement de l’Ontario a déposé le projet de loi 85, intitulé la Loi de 2008 sur les cartes-photo. Dans le cadre d’un ensemble plus vaste de mesures visant à remplacer le passeport et à stimuler les déplacements à l’étranger, ce texte permettrait au ministère des Transports de délivrer des cartes d’identité avec photo aux résidents de l’Ontario qui n’ont pas de permis de conduire[51]. Le texte permettrait également au ministère de délivrer des cartes d’identité avec photo améliorées qui faciliteront les déplacements à l’étranger. Le ministère a fait savoir que, sous réserve de l’adoption du projet de loi, les cartes-photo pourraient être délivrées d’ici 2010. On prévoit que la carte-photo générale coûtera 35 $ et sera valide cinq ans[52].

Pratiquement partout au Canada, ceux qui veulent ouvrir un compte bancaire peuvent également présenter leur carte d’assurance-maladie provinciale comme pièce d’identité. Depuis l’adoption de sa Loi sur le contrôle des cartes Santé et des numéros de carte Santé en 1991, l’Ontario a restreint les possibilités de se servir des cartes Santé comme pièces d’identité. À l’heure actuelle, le paragraphe 34(4) de la Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (LPRPS) de l’Ontario interdit d’exiger la production d’une carte Santé sauf si la personne qui l’exige fournit des ressources en matière de santé subventionnées ou si un tiers recueille des renseignements à une fin liée à la fourniture de ressources en matière de santé subventionnées au détenteur de la carte. Il interdit également la collecte ou l’utilisation de numéros de carte Santé par quiconque n’est pas un dépositaire de renseignements sur la santé[53]. Lors de l’adoption de la Loi sur le contrôle des cartes Santé et des numéros de carte Santé, le gouvernement ontarien avait déclaré que le droit à la protection de la vie privée et à la confidentialité des renseignements sur la santé l’emportait sur l’utilité, pour des entreprises et des organismes, de « disposer d’un autre moyen d’établir l’identité des gens » [Traduction]. De plus, le gouvernement cherchait à éviter le durcissement d’une tendance menant à l’utilisation des cartes Santé à des fins autres que leur raison d’être : la prestation de services de santé[54].

Même si la LPRPS n’interdit pas de présenter volontairement une carte Santé comme pièce d’identité, les établissements financiers ne recueillent pas et n’utilisent pas ces cartes aux fins d’identification parce qu’elles ne peuvent en noter le numéro à ces fins. Puisque la carte Santé provinciale est une pièce d’identité avec photo gratuite et quasi universelle, l’Association des banquiers canadiens a fait remarquer que l’interdiction de l’utiliser comme pièce d’identité constitue un obstacle involontaire à l’accès des personnes à faible revenu aux services financiers[55].

Certains organismes proposent de lever les restrictions sur l’utilisation de la carte Santé comme pièce d’identité; d’autres soulignent que cette utilisation soulève des questions sur le plan de la protection de la vie privée et pensent qu’il conviendrait mieux d’étudier d’autres moyens de procurer une pièce d’identité peu coûteuse aux Ontariens.

 

La politique de retenue de fonds

Les titulaires de comptes peuvent généralement encaisser des chèques à leur banque ou à leur caisse, sous réserve de sa politique de retenue de fonds. Pour prévenir la fraude, l’établissement financier peut, en effet, retenir les fonds déposés par chèque pendant le délai de compensation. Par exemple, l’établissement peut vouloir vérifier que la personne ou la société qui a fait le chèque dispose de suffisamment de fonds pour le provisionner, que cette personne ou cette société n’y a pas fait opposition ou, en en vérifiant les détails auprès d’elle, que le chèque n’a pas été falsifié. Selon le Règlement sur la communication de la politique de retenue de chèques (banques), les banques sont tenues d’informer les titulaires de compte de leur politique de retenue de fonds[56].

Les politiques de retenue de fonds varient d’une institution à l’autre. Les banques et les caisses ont des périodes de retenue différentes selon la provenance du chèque – par exemple, selon qu’il est tiré sur la même banque, sur une autre institution financière canadienne, sur une institution américaine ou sur une institution étrangère. La période de retenue variera également selon que le chèque est codé ou non. On tiendra aussi compte de la solvabilité du client – par exemple, l’ancienneté de ses liens avec la banque, l’état actuel de ses comptes et ses antécédents en matière de crédit auprès de la banque.

On tente bien de réduire la durée de la période de retenue des fonds. L’Association des banquiers canadiens a déclaré ce qui suit à la Commission :

Le document de consultation laisse penser que les politiques de retenue de fonds des banques sont l’un des facteurs qui influent sur l’utilisation des services parallèles d’encaissement de chèques tels que les prêteurs sur salaire ou les prêteurs sur gages. Il faut cependant souligner que moins de 1 p. 100 des comptes de dépôt font l’objet de retenues de fonds. Les banques retiennent des fonds déposés par chèque pour gérer le risque. Elles donneraient autrement un accès immédiat aux fonds en dépit du fait que le processus de compensation des chèques prend au moins plusieurs jours. Depuis avril 2007, elles se sont engagées à ne pas retenir les fonds plus de sept jours. La période de retenue pourra être réduite encore davantage et passer à quatre jours après la généralisation de l’imagerie et de la compensation électroniques. [Traduction]

On s’attend à ce que les délais de compensation des chèques continuent de diminuer lorsque l’Association canadienne des paiements commencera à lancer l’imagerie des chèques partout au pays au cours de l’automne 2008[57].

Il n’empêche que la Commission s’est fait dire avec insistance que les politiques de retenue de fonds représentent un obstacle important pour les personnes à faible revenu, qui n’ont souvent pas d’argent de reste et qui ne peuvent se permettre d’attendre pour avoir accès à leurs fonds. Comme le souligne le CADSS de Thunder Bay :

À la fin du mois, les familles inscrites au programme Ontario au travail ne peuvent tout simplement pas attendre trois jours qu’un chèque soit compensé parce qu’elles n’en ont pas les moyens. Bien que cela ne semble pas logique ni économique pour des personnes qui ont un solde dans leur compte à la fin du mois, le fait de payer des frais élevés pour encaisser immédiatement un chèque d’un montant déjà insuffisant devient un moyen de survie essentiel et permanent pour les familles les plus pauvres. [Traduction]

Selon les organismes qui desservent les personnes à faible revenu, même si, dans les faits, la période de retenue des fonds est plus courte, pour ceux qui se font dire qu’elle peut aller « jusqu’à cinq jours », le risque qu’ils puissent ne pas avoir accès à leurs fonds pendant la durée maximale les dissuade souvent de déposer leurs chèques. Plusieurs participants aux consultations estiment que les périodes de retenue des fonds et les exigences en matière d’identification sont les deux principaux aspects qui limitent l’utilisation des services financiers ordinaires par les personnes à faible revenu.

Une enquête menée pour l’ACFC vers la fin de 2006 révèle que la politique de retenue de fonds de leur établissement financier pose des problèmes à 9 p. 100 des répondants qui sont titulaires d’un compte bancaire lorsqu’ils veulent déposer un chèque[58].

 

Les obstacles liés aux attitudes

Les attitudes défavorables à l’égard des personnes à faible revenu et, particulièrement, des prestataires de l’aide sociale sont très répandues dans notre société. Comme nous tous, les personnes à faible revenu veulent être traitées avec respect et dignité. Beaucoup d’organismes desservant cette population ont déclaré à la Commission que leurs bénéficiaires tendent à trouver les institutions financières ordinaires intimidantes et impersonnelles, ce qui les retient de traiter avec elles. De plus, plusieurs de ces organismes ont souligné le besoin de sensibiliser davantage le personnel de première ligne de ces institutions aux questions liées aux handicaps (particulièrement les problèmes mentaux), au racisme, à l’immigration et aux revenus faibles.

Une enquête récente sur la fréquentation des entreprises de SFP à Winnipeg a fait ressortir le manque de respect et de courtoisie que rencontrent les personnes à faible revenu dans les institutions financières ordinaires. Les répondants ont évoqué un sentiment d’aliénation et de discrimination et se sont dits souvent maltraités et méprisés par les caissiers parce qu’ils touchaient de l’aide sociale[59]. De même, dans une autre enquête récente sur les services financiers offerts aux résidents des quartiers défavorisés du centre-ville de Toronto, de Vancouver et de Winnipeg, les répondants torontois se sont dits beaucoup plus susceptibles de se sentir la cible d’un manque de respect dans les institutions financières ordinaires que dans les entreprises de SFP et ont qualifié les banques ordinaires de distantes et peu portées à les aider[60].

Par ailleurs, un témoin dont l’organisme offre des services de formation et de soutien en connaissances financières à des Ontariens à faible revenu a déclaré à la Commission que le personnel des banques ignore souvent les droits et la situation particulière de cette population et risque de donner des conseils inadéquats ou insuffisants à ceux qui demandent de l’aide. Cette personne a recommandé que le personnel des institutions financières reçoive également de la formation en ce qui concerne les ressources et la planification financière adaptées aux personnes à faible revenu.

Dans l’Accord du 14 février 1997 entre le gouvernement fédéral et les grandes banques sur l’accès aux services, les banques s’engageaient à rappeler à leur personnel la nécessité de traiter tous les clients avec respect et équité et à fournir plus d’information et de formation aux groupes à faible revenu, de manière que ceux-ci soient davantage au courant des services bancaires et soient plus à l’aise pour s’en prévaloir.

De par leur approche communautaire, les caisses pourraient jouer un grand rôle auprès des groupes à faible revenu, mais leur notoriété relativement faible en Ontario les empêche de réaliser cette possibilité.

Un certain nombre de banques et de caisses ont tenté localement d’atteindre les groupes à faible revenu et marginalisés. Les deux établissements torontois Cash & Save de la Banque Royale en sont un bon exemple. Situés dans des quartiers défavorisés, ces établissements s’associent à des organismes locaux qui desservent les groupes à faible revenu en leur offrant des services de première ligne pertinents tels que l’encaissement de chèques à coût modique[61] et les mandats. Rappelons que la Provincial Alliance Credit Union s’est associée avec le CTSM pour fournir des services financiers aux patients de cet organisme et a ouvert un guichet dans son immeuble même. Chose intéressante, certaines banques établies dans des collectivités du Nord de l’Ontario ont engagé des préposés autochtones pour consolider leurs rapports avec les collectivités autochtones de leur région.

 

Les heures d’ouverture

Notre société a délaissé la fréquentation personnelle des banques au profit des services bancaires électroniques tels que les guichets automatiques et les services en ligne. Pour beaucoup de Canadiens, les services bancaires sont plus accessibles que jamais puisque la technologie leur permet d’avoir accès à leurs comptes et d’effectuer des opérations 24 heures par jour. Une enquête récente de l’ACFC révèle que près de la moitié des répondants utilisait des services bancaires en ligne et que 94 p. 100 d’entre eux avaient une carte de débit[62]. Ces consommateurs ne trouvent plus aussi important de fréquenter des succursales.

En règle générale, la plupart des succursales bancaires ne sont ouvertes que de façon limitée le soir et la fin de semaine, bien que, selon l’Association des banquiers canadiens, plusieurs d’entre elles prolongent leurs heures et ouvrent le samedi, voire le dimanche pour répondre aux besoins de leurs clients.

L’accès aux services financiers en personne reste essentiel pour ceux qui ne peuvent se servir de la technologie, notamment parce qu’ils ne peuvent pas se la permettre. Comme certains organismes communautaires l’ont souligné à la Commission, les heures restreintes de service offertes par la majorité des entreprises de services financiers ordinaires en dehors des heures normales d’ouverture crée de graves problèmes pour ces personnes.

 

La saisie et la compensation

Le ministère des Services sociaux et communautaires et certains CADSS ont déclaré à la Commission que les personnes à faible revenu étaient réticentes à recours au virement automatique ou à ouvrir des comptes dans des banques ou des caisses par peur de voir leurs fonds saisis en raison de dettes impayées.

La présentation de chèques pour encaissement ne crée pas de rapport d’endettement qui permettrait aux banques (ou à d’autres établissements qui encaissent un chèque) de saisir un chèque d’aide sociale présenté pour encaissement seulement[63].

Les tribunaux ont également rejeté les tentatives de saisir les prestations d’aide sociale quand elles sont entre les mains d’un administrateur de l’aide sociale. Une décision rendue avant l’édiction de la Loi sur le programme Ontario au travail et de la Loi sur le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées a rejeté la tentative d’un créancier de saisir l’aide sociale à la source au motif que la confiscation des prestations d’aide sociale était contraire à la politique publique :

L’objet de la Loi sur l’aide sociale générale est d’aider les nécessiteux en leur donnant l’argent dont ils ont besoin pour se procurer logement, nourriture, vêtements et autres nécessités de la vie. Ils reçoivent une aide sociale partielle ou totale parce qu’ils n’ont guère de moyens. Le fait de permettre une procédure de saisie retirerait des fonds jugés nécessaires pour subvenir aux besoins des familles, ce qui les replongerait dans le besoin. La province, par le biais de ces organes administratifs, serait obligée de fournir des fonds supplémentaires pour remplacer ceux qui auraient été saisis ou de laisser des gens mourir de faim ou perdre leur logement[64]. [Traduction]

À l’heure actuelle, tant la Loi de 1997 sur le programme Ontario au travail[65] que la Loi de 1997 sur le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées[66] précisent que l’aide financière qu’elles prévoient ne peut faire l’objet d’une saisie-arrêt, d’une saisie, d’une saisie-exécution ou d’une mise sous séquestre aux termes d’une autre loi, sauf pour ce qui est de la déduction de montants au titre d’une ordonnance d’aliments rendue en application de la Loi de 1996 sur les obligations familiales et l’exécution des arriérés d’aliments ou des dettes à l’endroit du gouvernement. Cette règle vaut même lorsque les prestations ont été déposées directement dans le compte que le prestataire détient auprès d’une institution financière[67]. Les prestations d’aide sociale ne changent pas de nature de façon à pouvoir être saisies du simple fait qu’elles sont déposées dans un compte bancaire.

Lorsqu’il y a déjà de l’argent dans le compte où les prestations sont déposées et que les fonds sont mélangés, il peut cependant être difficile de préciser quelles sommes sont protégées, ce qui peut entraîner la saisie d’une partie de ces fonds.

Les deux lois susmentionnées ne protègent pas explicitement les fonds de la compensation qui se produit lorsque les parties ont des dettes ou des obligations réciproques et il n’est pas clair si elles s’appliquent à ces cas. La situation la plus fréquente de compensation se présente lorsqu’un bénéficiaire de prestations publiques a un solde sur la carte de crédit que lui a délivrée la banque où ses prestations sont déposées : le droit de la banque de procéder à une compensation sera probablement alors régi par le contrat qui la lie au client (p. ex., la convention de carte de crédit).

 

L’emplacement

La question de l’accès en personne aux services bancaires ordinaires dans les régions éloignées et rurales ainsi que dans les quartiers défavorisés urbains a suscité beaucoup d’études et de débats.

 

Collectivités éloignées et rurales

Il ne fait aucun doute que les résidents des régions éloignées du Nord de l’Ontario n’ont pas accès aux services financiers, ni non plus à de nombreux autres services essentiels. De nombreuses collectivités éloignées, particulièrement les réserves des Premières Nations, sont dépourvues de fournisseur de services financiers ordinaires : les résidents doivent se débrouiller avec des guichets automatiques (voire des guichets génériques[68] dits « à étiquette blanche ») ou avec des services autres que de dépôt offerts par des magasins généraux ou autres. Selon la Nishnawbe-Aski Legal Services Corporation, seule une petite minorité des collectivités appartenant à la nation nishnawbe-aski avait accès à un fournisseur de services financiers ordinaires.

L’absence de services financiers ordinaires accessibles a de graves conséquences pour ces collectivités, comme l’a révélé la distribution des fonds consécutive au règlement de la question des écoles résidentielles. Les médias ont évoqué à cette occasion les frais exorbitants que des indemnisés autochtones ont payé aux commerces locaux ou autres intermédiaires qui encaissaient les chèques dans des collectivités dépourvues de services financiers ordinaires[69].

La même question se pose dans les régions rurales de l’Ontario. Les fermetures de succursales bancaires ont un impact profond sur les collectivités rurales : le Centre pour la défense de l’intérêt public a découvert que, de 1989 à 1999, 45 p. 100 des succursales bancaires rurales avaient fermé au Canada[70].

Le problème de l’accès aux services financiers dans les régions éloignées et rurales est bien connu. En 2001, la Loi sur les banques a été modifiée pour obliger les banques à donner un préavis à leurs clients en cas de fermeture d’une succursale[71]. La première Conférence rurale nationale organisée par le gouvernement du Canada en 2000 avait déjà désigné l’accès aux ressources financière nécessaires aux entreprises rurales et au développement communautaire comme une priorité. On proposait alors la modification de la Loi sur les associations coopératives de crédit pour permettre aux caisses et aux credits unions de former des associations de détail nationales[72] et de lancer un projet pilote, depuis abandonné, permettant d’offrir des services financiers aux résidents des régions rurales dans les établissements de Postes Canada[73].

 

Quartiers défavorisés urbains

On a récemment beaucoup étudié la question de l’accès en personne aux services bancaires dans les quartiers défavorisés urbains. Certains s’inquiètent du fait que les groupes défavorisés urbains reçoivent moins de services des institutions financières ordinaires et sont beaucoup plus touchés par les fermetures de succursales, ce qui leur laisserait moins de choix en matière d’accès aux services financiers au-delà des entreprises de SFP qui sont surreprésentés dans leurs quartiers. ACORN, United Way of Toronto et le professeur Jerry Buckland de l’Université de Winnipeg ont effectué d’importantes recherches sur ces questions à Toronto, à Winnipeg et à Vancouver[74].

Pendant l’été 2008, la Commission a fait une enquête sur l’emplacement des succursales bancaires et des bureaux d’encaissement de chèques dans la cité de Toronto (voir l’annexe D). L’étude s’intéressait seulement aux bureaux d’encaissement de chèques et non aux autres entreprises de SFP ni aux prêteurs sur gages; il se peut donc que ses résultats diffèrent de ceux d’autres organismes tels que United Way ou ACORN. La Commission a également fait la carte des fermetures de succursales survenues à Toronto depuis 2002.

Selon cette étude, les résidents des quartiers défavorisés ont généralement accès à une succursale bancaire dans un rayon de un mille. Il ne faut toutefois pas sauter aux conclusions puisque cette distance peut être considérable pour quelqu’un qui n’a pas facilement accès à des moyens de transport, particulièrement l’hiver, qui doit se faire accompagner d’enfants ou qui a des problèmes de mobilité. En outre, il est avéré que Toronto compte des quartiers où les bureaux d’encaissement de chèques sont plus dominants et plus visibles que les institutions financières ordinaires.

On ne sera pas surpris d’apprendre que les succursales bancaires sont regroupées dans le quartier des affaires de Toronto, alors que les bureaux d’encaissement de chèques sont concentrés dans les quartiers à revenu faible ou moyen, surtout Parkdale, Junction, Crescent Town et le secteur de Weston. Remarquons l’exception que représente la concentration très dense de bureaux d’encaissement de chèques le long de la rue Yonge entre College et Wellesley, quartier cossu qui connaît également une grande circulation et où sont regroupés de nombreux services sociaux. Les bureaux d’encaissement de chèques ont également tendance à se retrouver le long des grandes voies de circulation et peuvent donc être en bordure de quartiers cossus.

La carte des fermetures de succursales survenues depuis 2002 ne révèle pas de tendance remarquable. La plus grande densité de fermetures apparaît dans le quartier des affaires, ce qui peut s’expliquer par le fait que les succursales y étaient au départ particulièrement nombreuses ou par la plus grande utilisation des services bancaires électroniques et en ligne dans cette partie de la ville.

 

E. Le secteur parallèle de l’encaissement des chèques

Le secteur de l’encaissement des chèques est relativement récent, et il continue de croître et d’évoluer. Nous allons maintenant décrire les principales caractéristiques de ce secteur en Ontario, notamment les principaux établissements qui offrent des services d’encaissement de chèques, les rapports de ce secteur avec celui en expansion rapide des prêts sur salaire et les aspects économiques de l’encaissement des chèques.

L’encaissement des chèques peut se faire de façon formelle ou informelle. Les petits commerces encaissent parfois des chèques, hors du cadre de leur entreprise principale et pour la commodité des clients de leurs services principaux, souvent pour faciliter le paiement de ceux-ci. Cet encaissement informel de chèques peut être ou non rémunéré. L’encaissement formel des chèques est un service commercial comme tel, rémunéré par des frais et offert de manière professionnelle. Les deux formes de l’activité présentent donc une dynamique différente et soulève des questions également différentes.

 

1. Les activités informelles d’encaissement des chèques

À côté des services formels d’encaissement de chèques fournis par les entreprises de SFP, il continue d’exister une économie parallèle, plus ancienne que le secteur canadien des SFP.

Les épiceries, les prêteurs sur gages, les propriétaires et d’autres petites entreprises encaissent des chèques informellement depuis longtemps. Cette activité ne semble pas avoir suscité beaucoup de recherches jusqu’à présent et tout ce que l’on en sait relève surtout de l’anecdote[75].

L’apparition des services bancaires électroniques, notamment les cartes de débit et de crédit, et du virement automatique a réduit l’importance des chèques comme mode de virement[76]. Il est probable que ce phénomène a également réduit l’importance et la prévalence de l’encaissement informel des chèques. Toutefois cette activité informelle continue probablement de jouer un rôle important dans les régions rurales et éloignées où l’accès aux services financiers ordinaires est restreint.

L’encaissement informel des chèques est parfois un avantage pour les personnes à faible revenu qui pourraient autrement avoir de la difficulté à obtenir leurs fonds. Toutefois, les personnes qui travaillent avec les groupes défavorisés s’inquiètent des abus possibles de la part des personnes qui encaissent les chèques informellement. Par exemple, nous avons entendu parler des épiciers qui encaissent des chèques d’aide sociale, mais qui exigent des prestataires qu’ils y fassent une empreinte digitale et qu’ils acceptent des bons d’achat échangeables en magasin d’une valeur égale à 10 p. 100 du montant de chaque chèque[77]. On connaît également le cas de propriétaires qui encaissent des chèques d’aide sociale en prenant au passage le loyer et de vagues charges locatives, de sorte que les prestataires ne touchent pratiquement rien. Il est impossible de connaître l’étendue de ces abus : les personnes concernées peuvent fort bien ignorer qu’il y a eu abus ou être gênées de reconnaître ce qui est arrivé. Compte tenu de la vulnérabilité des personnes concernées et du fait que des fonds publics sont en cause, la situation serait très inquiétante même si seulement peu de personnes et d’entreprises agissaient ainsi.

De par sa nature presque invisible, l’encaissement informel des chèques est difficile à surveiller et encore plus difficile à réglementer. Certains se sont inquiétés du risque que les solutions apportées au problème des frais d’encaissement des chèques du gouvernement aient comme effet involontaire de reléguer cette activité dans l’économie parallèle. Il est néanmoins difficile de savoir quelle importance accorder à ces inquiétudes compte tenu du peu d’information disponible sur l’encaissement informel des chèques et sur les abus qui lui sont associés.

 

2. La North West Company

Les services d’encaissement de chèques fournis par les magasins Northern de la North West Company dans tout le Nord canadien ont pris naissance dans un contexte unique et se distinguent tant de l’activité informelle que des entreprises de SFP présentes principalement dans les agglomérations.

Une enquête menée pour l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC) révèle que les résidents du Nord sont les Canadiens les plus susceptibles d’avoir utilisé un service d’encaissement des chèques. Ils sont plus du double de la moyenne canadienne à l’avoir fait dans les 12 derniers mois : ils sont 13 p. 100 dans le Nord à l’avoir fait en 2006, contre 7 p. 100 pour tous les Canadiens[78].

Comme nous l’avons déjà fait remarquer, les collectivités éloignées du Nord de l’Ontario souffrent d’une pénurie extrême de services essentiels, notamment en ce qui concerne les services financiers. Les banques et les entreprises de SFP y sont rarement présentes.

Dans de nombreuses collectivités, les seuls services financiers disponibles sont ceux offerts par des guichets automatiques (souvent génériques) ou par les magasins Northern de la North West Company. En 2000, celle-ci comptait plus de 200 points de vente au détail au Canada, dont 27 dans le Nord de l’Ontario. Ces magasins offrent tout un éventail de services aux résidents, notamment de la vente au détail et certains services financiers de base.

Entre autres services financiers offerts par les magasins Northern, citons l’encaissement de chèques, les virements de fonds, les guichets automatiques génériques et les cartes Mastercard prépayées. La North West vient de lancer un nouveau service qui permet à ses clients de déposer des chèques dans ses magasins et de payer des achats par carte de débit ou d’obtenir des espèces à un guichet automatique. Il en coûte 3 $ pour provisionner une carte et 1 $ par opération sur carte de débit.

À l’instar de l’encaissement des chèques dans l’économie parallèle, le rôle d’entreprises telles que les magasins Northern dans les collectivités éloignées a fait l’objet de peu d’études ou de débats dans le cadre de l’examen de l’accès aux services financiers et des frais d’encaissement des chèques. Seuls fournisseurs de services financiers, les magasins Northern ont un rapport particulier avec leurs collectivités, qui dépendent fortement du maintien de leurs services.

En novembre 2006, la North West Company est intervenue au cours de l’audience de la Régie des services publics du Manitoba sur la fixation des frais d’encaissement des chèques. Elle a souligné que ses propres services fonctionnent assez différemment de ceux du secteur des SFP et coûtent beaucoup moins cher. Elle a déclaré notamment ce qui suit :

La North West Company est considérée par les collectivités où elle est présente comme le compte bancaire de la province. Le point est important, me semble-t-il. La province du Manitoba n’envoie pas d’espèces par la poste. Quand elle émet des chèques, elle n’envoie ni pièces ni billets, elle envoie des chèques et, dans les régions dépourvues d’institutions bancaires, c’est de la North West Company que les collectivités attendent ces espèces …. Disons que c’est de nous, cependant, que l’on attend qu’il y ait suffisamment de liquidités dans les collectivités lorsque la province envoie ses chèques, qu’il s’agisse des chèques du crédit pour enfants ou de tout autre chèque[79]. [Traduction]

La Commission a appris, en appelant les magasins Northern, que les frais normaux d’encaissement des chèques étaient de 1,5 p. 100 du montant du chèque. Ces frais varient cependant d’un magasin à l’autre : par exemple, un magasin Northern interrogé par la Commission a révélé ne pas demander de frais pour les chèques de moins de 49,99 $, mais exiger 3 $ pour les chèques d’un montant supérieur. La Nishnawbe Aski Legal Services Corporation, quant à elle, a cité le cas de personnes à qui on a demandé des frais de 10 p. 100.

 

3. Le secteur formel de l’encaissement des chèques

Le secteur formel de l’encaissement des chèques est relativement récent. Money Mart, qui reste la plus importante entreprise du secteur au Canada, a ouvert ses portes comme société spécialisée en encaissement de chèques en 1982 avec un bureau à Edmonton (Alberta)[80]. Dix ans plus tard, elle avait 92 bureaux dans la seule province de l’Ontario[81]. On estime aujourd’hui qu’il y a 750 entreprises offrant des services d’encaissement de chèques en Ontario[82]. Ces entreprises se trouvent principalement dans les grandes agglomérations comme Toronto, Hamilton, Ottawa et Windsor. Toutefois, elles ont également pris pied dans de plus petites villes. Money Mart dit avoir un bureau dans toutes les villes d’au moins 40 000 habitants et l’on trouve des bureaux d’encaissement de chèques dans toutes les petites villes du Sud et du Centre de l’Ontario comme Cobourg, Pembroke, Tillsonburg, Petawawa et Thorold. Les entreprises d’encaissement de chèques ne sont toutefois pas présentes dans les petites localités rurales.

La plupart des entreprises d’encaissement de chèques offrent un éventail de services qui ciblent les consommateurs à revenu faible ou moyen, notamment les prêts sur salaire, les virements télégraphiques, les mandats, la préparation des déclarations de revenus et les demandes de remboursement d’impôt et les cartes de débit prépayées. Les nouveaux arrivants, en particulier, seront attirés par les services de virements télégraphiques ou de mandats, qui répondent à leurs besoins.

Contrairement aux services financiers ordinaires, le secteur formel d’encaissement des chèques et le secteur des SFP dans son ensemble font l’objet de très peu de surveillance et de réglementation. Comme nous l’expliquons plus loin, certaines provinces ont récemment adopté des mesures de réglementation des frais d’encaissement des chèques et l’on remarque une tendance au Canada vers la réglementation des services de prêts sur salaire, comme la loi adoptée récemment en Ontario. Le secteur des SFP ne fait toutefois l’objet d’aucun cadre de réglementation global, comparable à celui des banques ou des caisses. La surveillance des entreprises de SFP a généralement reposé sur le respect volontaire des normes sectorielles[83]. Les institutions financières ordinaires sont considérées comme ayant un certain degré de responsabilité envers le public, mais aucune attente de ce genre n’est imposée au secteur des SFP.

Certains observateurs prédisent la poursuite de la croissance rapide de ces entreprises en Ontario, en avançant que les mesures récentes de réglementation des prêts sur salaire dissiperont toute incertitude quant à la légalité du modèle de gestion et relanceront les investissements dans le secteur, particulièrement de la part des grandes entreprises américaines à succursales multiples, et donc sa croissance. On a fait état de l’intention d’un grand intervenant dans le secteur de l’encaissement des chèques/des prêts sur salaire d’ouvrir des bureaux dans toutes les collectivités ontariennes d’au moins 7 500 habitants[84].

Le secteur formel de l’encaissement des chèques a suscité des controverses presque depuis sa naissance. En 1984, pendant un débat à l’Assemblée législative de l’Ontario, un député a qualifié ces entreprises de « parasites des pauvres ». Le ministre des Services sociaux et communautaires a alors déclaré que « toute déduction d’une somme du chèque d’une personne défavorisée peut être considérée comme abusive dans une société éclairée ». Le ministère s’est aussi engagé à prendre un certain nombre de mesures pour alléger l’impact des frais d’encaissement des chèques sur les prestataires de l’aide sociale; citons, entre autres, la collaboration avec les personnes sans services bancaires pour qu’elles aient accès aux institutions financières ordinaires, l’étude d’un système de virement automatique pour les prestations de l’aide sociale et la mise sur pied d’un projet pilote en collaboration avec la Caisse d’épargne de l’Ontario pour améliorer l’accès aux services financiers dans les régions éloignées de la province[85].

En janvier 1989, l’Assemblée législative de l’Ontario a adopté une résolution selon laquelle le gouvernement, les municipalités et les institutions bancaires devraient travailler à la conclusion d’une entente permettant aux prestataires de l’aide sociale de recevoir une carte d’identité qui faciliterait leur accès aux services bancaires sans être obligés d’utiliser les services d’encaissement de chèques. Peu de temps après, un projet de loi de député a été déposé pour interdire à quiconque d’exiger des frais pour l’encaissement de chèques du gouvernement du Canada, de l’Ontario ou d’une municipalité. Le projet de loi n’a pas progressé au-delà de la première lecture[86].

Un autre projet de loi de député a été déposé en novembre 1991. Le projet de loi 154 interdisait lui aussi de demander des frais pour encaisser les chèques du gouvernement. Dans sa déclaration lors du dépôt du projet de loi, Gilles Morin a évoqué plusieurs questions qui restent d’actualité aujourd’hui : la difficulté pour les personnes à faible revenu à obtenir et à conserver des pièces d’identité, la difficulté à encaisser des chèques dans les banques, le montant des prestations de l’aide sociale et le coût élevé des services d’encaissement de chèques[87]. Chose inhabituelle pour un projet de loi de député, celui-ci fut adopté en deuxième lecture et renvoyé à la Chambre pour la troisième lecture après son étude en comité. Il ne fut toutefois jamais adopté. Tout en reconnaissant la validité des motifs sur lesquels s’appuyait ce projet de loi, le gouvernement de l’époque refusa de le pousser plus loin. Il disait préférer collaborer avec l’Association des banquiers canadiens au règlement des questions liées à l’identification et à l’élaboration des ententes d’indemnisation. Il a alors également cité ses efforts visant à promouvoir le virement automatique parmi les prestataires de l’aide sociale. On s’inquiétait du fait que, si le projet de loi était adopté sans autre mesure visant à faciliter l’accès aux services ordinaires, l’encaissement des chèques risquait de passer dans l’économie parallèle puisque les consommateurs n’auraient pas d’autre solution[88].

 

4. Les « services financiers fondés sur la commodité »

La croissance rapide des entreprises de SFP a soulevé de nombreuses interrogations sur les motifs de l’engouement des consommateurs pour ces services compte tenu de leur coût relativement élevé comparativement à celui des services financiers ordinaires. Dans quelle mesure les consommateurs font-ils un choix éclairé entre plusieurs options tout aussi valables les unes que les autres ?

Certains clients de bureaux de SFP semblent certainement ne pas avoir le choix : dans l’enquête d’Ipsos-Reid citée plus tôt, 7 p. 100 des clients de SFP disaient les utiliser parce qu’ils n’avaient pas de compte bancaire et, pour une autre tranche de 7 p. 100, le choix s’expliquait pas une cote de solvabilité médiocre ou le fait qu’ils avaient déclaré faillite[89]. Pour d’autres consommateurs, toutefois, les choix disponibles sont moins tranchés.

National Money Mart Company décrit ses services comme des « services financiers de détail fondés sur la commodité ». Dans les enquêtes, les clients d’entreprises comme Money Mart citent la commodité des services comme motif de leur choix. Dans une enquête de Pollara menée en 2007 pour le secteur des prêts sur salaire, 75 p. 100 des clients de services de prêts sur salaire classent ces entreprises au premier rang en termes de « commodité » tandis que 19 p. 100 font de même pour les banques (seulement 3 p. 100 des répondants pensent que les caisses offrent le plus de commodité)[90].

Le terme « commodité » a des connotations de facilité et d’aisance, en plus d’évoquer la notion que le choix du service est une question de préférence personnelle entre plusieurs possibilités comparables. Compte tenu des débats soulevés par la question de savoir qui a recours aux bureaux de SFP et pourquoi, il est utile d’isoler, dans la mesure du possible, les éléments de ce que les usagers entendent par « commodité ». Les enquêtes menées auprès des clients des entreprises de SFP citent généralement quatre facteurs qui rendent ces services « commodes » :

La rapidité du service : Dans l’enquête menée par Ipsos-Reid en 2005 pour l’ACFC, 25 p. 100 des répondants qui avaient fréquenté des bureaux de SFP pour y encaisser des chèques ou y obtenir des prêts sur salaire donnaient comme principale raison « plus rapide/plus efficace/avait besoin d’argent immédiatement ». L’enquête de Pollara pour le secteur des prêts sur salaire révèle que 51 p. 100 des clients des services de prêts sur salaire les utilisent en raison du « processus rapide et facile ». Selon un sondage téléphonique mené auprès des clients de services d’encaissement de chèques par la firme Discovery Research, de Kelowna (Colombie-Britannique) pour National Money Mart, la rapidité du service est l’une des principales raisons qui expliquent pourquoi les nouveaux clients de ces services choisissent cette société[91].

Les heures d’ouverture : Les entreprises de SFP sont souvent ouvertes le soir et la fin de semaine. Money Mart fait remarquer que ses bureaux sont souvent ouverts de 9 heures à 21 heures, voire plus tard. Dans l’enquête d’Ipsos-Reid, 18 p. 100 des clients d’entreprises de SFP donnaient comme principale raison « des heures plus pratiques/ils sont ouverts le soir et la fin de semaine ». Selon l’enquête de Pollara, les entreprises de prêts sur salaire arrivent bien avant les banques ou les caisses en termes d’heures d’ouverture et, dans celle de Discovery Research, la première raison citée par les nouveaux utilisateurs des services d’encaissement de chèques de Money Mart était que les banques étaient fermées. Dans son mémoire, Money Mart fait remarquer que de 40 à 45 p. 100 des chèques du gouvernement encaissés dans ses bureaux au Manitoba en 2005 ont été traités en dehors des heures d’ouverture habituelles des banques. Comme les titulaires de comptes bancaires peuvent immédiatement avoir accès à leurs fonds en tout temps grâce aux guichets automatiques (à la condition qu’ils ne fassent pas l’objet d’une retenue en application de la politique de retenue), on comprend mal l’importance des heures d’ouverture pour les clients des services d’encaissement de chèques. Cela s’explique peut-être par le rôle des politiques de retenue de fonds ou par l’importance du service personnalisé pour une certaine partie de la clientèle.

L’emplacement : Dans l’enquête d’Ipsos-Reid, 5 p. 100 des répondants citent l’emplacement « pratique » de l’entreprise de SFP. Dans celle de Pollara, le pourcentage des clients des services de prêts sur salaire qui citent l’emplacement comme la plus importante raison est beaucoup plus élevé : 18 p. 100. L’enquête de Discovery Research révèle que l’emplacement pratique est l’une des trois premières raisons que donnent les nouveaux utilisateurs de services d’encaissement de chèques pour expliquer leur choix d’une entreprise de SFP. Il est difficile d’interpréter ce facteur puisque les établissements de SFP sont généralement situés dans un rayon de un mille d’un établissement financier ordinaire.

L’accueil chaleureux : Les clients des établissements de SFP les classent habituellement à un rang très élevé sur le plan du service à la clientèle, qui est qualifié de respectueux et d’accueillant. Une enquête du Groupe de recherche Environics menée auprès des clients de services de prêts sur salaire révèle que 92 p. 100 des répondants étaient satisfaits de la façon dont les préposés les avaient traités et 87 p. 100 étaient satisfaits du service à la clientèle dans son ensemble[92]. L’enquête de Discovery Research indique également des niveaux élevés de satisfaction à l’égard de l’amabilité des caissiers. Dans son mémoire, Money Mart fait remarquer que les clients citent constamment l’atmosphère amicale et accueillante de ses établissements pour expliquer pourquoi ils utilisent ses services. Selon les organismes œuvrant auprès des personnes à faible revenu que la Commission a consultés, le service affable et personnalisé offert par les entreprises de SFP peut les rendre moins intimidantes que les établissements financiers ordinaires.

La notion de commodité soulève la question du choix : dans la mesure où les consommateurs ne font que choisir la plus attrayante de plusieurs options en matière de services financiers, le recours aux entreprises de SFP ne constituera probablement pas un problème urgent de politique publique. Toutefois, la question du choix dans cette situation est fort complexe.

Les utilisateurs des services d’encaissement de chèques ne sont pas homogènes, ni les personnes à faible revenu d’ailleurs. Il y a des degrés différents de savoir, de pouvoir, de besoin et de manque. Il ne fait aucun doute que certains clients des entreprises de SFP sont en mesure de choisir librement entre les différentes options qui s’offrent à eux, comprennent les choix qu’ils font et peuvent se permettre de payer pour une question de commodité. En revanche, il y a également des clients de ces entreprises qui sont, pour toutes sortes de raisons, sans services bancaires et qui n’ont pas d’autre choix pour encaisser leurs chèques.

Comme nous l’avons vu dans la section sur les connaissances financières, certains clients des services d’encaissement de chèques ne comprennent pas complètement les frais qu’ils paient pour profiter de la commodité offerte par les SFP, ni les choix qui s’offrent à eux. Les personnes qui ne comprennent pas le tarif des frais bancaires ou qui n’ont pas les connaissances mathématiques ou financières nécessaires pour calculer le coût annuel de l’encaissement de leurs chèques dans un bureau d’encaissement de chèques ne sont pas des consommateurs habilités.

On doit également se demander ce que la « commodité » veut vraiment dire pour les consommateurs les plus vulnérables. La notion de choix doit être évaluée en fonction de la situation du consommateur et des choix qui s’offrent à lui. Par exemple, l’accès rapide à ses fonds est plus qu’une question de commodité pour quelqu’un à qui un accès immédiat permet de manger aujourd’hui plutôt que demain. Même s’il est, par exemple, plus logique de déposer un chèque et d’attendre un ou deux jours pour qu’il soit compensé, il se peut que les besoins immédiats à court terme semblent plus pressants. De même, pour ceux qui ont un accès restreint à des moyens de transport ou qui ne peuvent pas toujours se payer les transports publics, la présence des services à distance de marche devient plus importante que pour ceux qui peuvent facilement se prévaloir de services de transport ou de services bancaires électroniques. Il n’est pas si déraisonnable que ça de payer des frais pour encaisser un chèque dans un bureau de SFP lorsque le trajet en transport en commun pour aller à une banque coûte 4 $ aller retour.

 

5. Les rapports avec le secteur des prêts sur salaire

Le secteur des services d’encaissement de chèques s’est si rapidement diversifié que cette activité n’est généralement plus la seule à laquelle il se consacre. Les entreprises qui offrent des services formels d’encaissement de chèques le font dans le cadre d’un éventail de services, principalement les prêts sur salaire, mais également le change, les mandats, les virements et les prêts sur remboursement d’impôt. Il semble que l’encaissement des chèques joue un rôle beaucoup moins important qu’auparavant dans les services fournis par les entreprises de SFP[93]. Le secteur de l’encaissement des chèques étant si étroitement lié à celui des prêts sur salaire, il est important de se pencher brièvement sur les rapports entre les deux services.

Le prêt sur salaire est un prêt à court terme d’un petit montant consenti à l’emprunteur contre la garantie d’un chèque postdaté ou d’un prélèvement automatique. Le secteur canadien des prêts sur salaire a connu une croissance très rapide depuis son apparition au début des années 1990. Il fait l’objet d’une grande controverse puisque, si l’on tient compte de tous les frais et de toutes les dépenses, le taux annuel effectif d’intérêt de ces prêts est très élevé, beaucoup plus que le taux criminel de 60 p. 100 fixé à l’article 347 du Code criminel. Certains ont qualifié le secteur des prêts sur salaire de secteur prédateur, qui demande des taux excessifs et embourbent les Canadiens à faible revenu dans un cycle d’endettement. D’autres, qui conviennent que le secteur doit quand même être réglementé, considèrent que les prêteurs sur salaire comblent un besoin ignoré par les institutions financières ordinaires.

La tendance au Canada est de réglementer le secteur des prêts sur salaire. Le gouvernement fédéral a modifié le Code criminel en lui ajoutant l’article 347.1, qui soustrait les prêteurs sur salaire à l’application des dispositions relatives au taux d’intérêt criminel si le prêt est consenti dans une province désignée[94]. Les provinces désignées sont celles qui ont adopté des mesures législatives visant à protéger les personnes qui contractent des prêts sur salaires et à plafonner le coût d’emprunt. La Colombie-Britannique, le Manitoba, la Saskatchewan et la Nouvelle-Écosse ont légiféré en matière de prêts sur salaire dans le sens exigé pour pouvoir être désignés sous le régime fédéral. L’Association canadienne des prêteurs sur salaire (ACPS), qui représente 21 entreprises de prêts sur salaire, soutient la tendance vers la réglementation et réclame l’adoption d’un cadre de réglementation national qui protégera les consommateurs tout en favorisant l’émergence d’un secteur fort[95].

L’Ontario a récemment adopté le projet de loi 48, intitulé la Loi de 2008 concernant les prêts sur salaire, qui, lorsqu’elle sera en vigueur, satisfera aux exigences fédérales en matière de désignation[96]. Comme l’explique en détail l’annexe B, le projet de loi 48 :

· exige que tous les prêteurs sur salaire et les courtiers en prêts soient titulaires d’un permis,

· interdit les prêts simultanés ou successifs,

· restreint les frais de défaut,

· crée un mécanisme pour plafonner le coût d’emprunt.

Les dispositions de la loi seront appliquées par la Direction de la protection du consommateur du ministère des Petites Entreprises et des Services aux consommateurs, qui mènera des inspections et qui traitera les plaintes des consommateurs. Le projet de loi crée également un fonds qui permettra de sensibiliser le public quant aux droits et aux responsabilités que prévoit la Loi, ainsi qu’en matière de planification financière en général.

Lors du dépôt du projet de loi 48, le gouvernement a dit viser quatre objectifs[97] :

· s’attaquer aux sources de la pauvreté prolongée en Ontario,

· rehausser la confiance dans l’intégrité du crédit sur salaire et soutenir la capacité de l’Ontario d’assurer la poursuite de sa croissance économique,

· donner à tous les Ontariens une connaissance solide des risques et des responsabilités liés à la consommation,

· protéger les consommateurs de tous les milieux qui dépendent parfois des prêts sur salaire pour parer à des crises financières à court terme.

La tendance vers la réglementation du secteur des prêts sur salaire et la forme que cette réglementation a prise semble découler d’un consensus assez large, sinon général, quant au fait que ces entreprises sont une partie permanente du paysage des services financiers.

Les services de prêts sur salaire et d’encaissement de chèques sont étroitement liés sous certains rapports. Comme nous l’avons déjà fait remarquer, la plupart des services formels d’encaissement de chèques offrent également des services de prêts sur salaire (mais non vice versa – il existe un certain nombre de sociétés spécialisées en prêts sur salaire). Les modèles opérationnels des services d’encaissement de chèques et de prêts sur salaire sont semblables : offrir un accès rapide, commode, aimable et facile à des liquidités à ceux qui ne peuvent se permettre d’attendre ou qui ne le souhaitent pas, ou qui n’ont pas d’autres moyens de recevoir ce service financier. Les frais d’encaissement de chèques font parfois partie des frais totaux exigés pour un prêt sur salaire[98].

Il y a probablement un recoupement important entre les personnes qui utilisent des services d’encaissement de chèques et celle qui contractent des prêts sur salaire. Toutefois, le nombre des premières est beaucoup plus important que celui des dernières (une enquête révèle que 7 p. 100 des Canadiens ont utilisé un service d’encaissement de chèques en 2006, contre 2 p. 100 pour les prêts sur salaire)[99]. L’enquête menée par Ipsos-Reid pour l’ACFC montre que 57 p. 100 des clients d’un bureau de SFP l’ont fait pour encaisser un chèque contre 25 p. 100 pour un prêt sur salaire[100].

Il semble que certains prestataires de l’aide sociale demandent et obtiennent des prêts sur salaire. Bien que le Code de déontologie des meilleures pratiques de gestion de l’ACPS interdise aux membres de l’Association de leur en accorder, tous les prêteurs sur salaire ne sont pas membres de cette association[101]. Dans les discussions entourant le projet de loi 48, le gouvernement a déclaré qu’il envisageait de fixer des plafonds de coût d’emprunt distincts pour les prestataires de l’aide sociale qui contractent des prêts sur salaire[102].

 

6. Les aspects économiques de l’encaissement des chèques

Certains prétendent que les frais demandés par le secteur formel de l’encaissement des chèques sont excessifs et que ces entreprises ne font rien d’autre que de « profiter de la pauvreté ». Rare est l’information sur les aspects économiques du secteur canadien de l’encaissement des chèques. Les données disponibles sur les aspects économiques du secteur des SFP concernent surtout les services de prêts sur salaire. Nous disposons de plus d’information sur le secteur américain de l’encaissement des chèques, mais il faut faire preuve de prudence en la transposant au Canada puisque le secteur américain est plus ancien, plus important et mieux intégré au secteur des services financiers ordinaires[103].

Comme nous l’avons fait remarquer à la section III.E.3, au Canada, les services formels d’encaissement de chèques sont invariablement fournis dans le cadre de l’éventail des services d’entreprises de SFP plus vastes. Ces entreprises continuent de croître. En 2004, Ernst and Young s.r.l. a effectué une enquête importante pour l’Association canadienne des fournisseurs de services financiers communautaires (ancien nom de l’ACPS) sur le coût de l’offre de prêts sur salaire au Canada. Selon cette enquête, si les prêteurs sur salaire affichent dans l’ensemble un rendement des capitaux propres semblable à celui d’autres segments du secteur des services financiers, plusieurs sociétés n’obtiennent pas un rendement suffisant et doivent cesser d’offrir des prêts sur salaire. En outre, les sociétés les plus importantes ont les coûts les plus faibles, tandis que les plus petites ont les coûts les plus élevés[104]. Le professeur Jerry Buckland a conclu dans une étude que, à l’exception de deux cas d’espèce, il n’a pas trouvé de données prouvant que le secteur des SFP gagne des « bénéfices supérieurs à la normale ». Il émet l’hypothèse que les frais élevés exigés par les entreprises de SFP peuvent s’expliquer par les services coûteux et risqués qu’elles offrent[105].

Il est difficile d’évaluer la proportion du secteur des SFP que représentent les services d’encaissement de chèques et, dans ce segment, la proportion des chèques encaissés qui sont des chèques du gouvernement. Dans sa décision sur les frais d’encaissement des chèques du gouvernement au Manitoba, la Régie des services publics de cette province a conclu que l’encaissement des chèques constitue une source secondaire de recettes pour les entreprises de SFP (derrière les prêts sur salaire) et que l’encaissement des chèques du gouvernement ne représente qu’une fraction du volume et de l’éventail de tous les chèques encaissés[106]. Selon une étude américaine, les chèques du gouvernement ne représentent que 16 p. 100 de tous les chèques encaissés par les entreprises américaines d’encaissement de chèques[107].

En ce qui concerne les frais d’encaissement de chèques, l’explication la plus fréquente de l’importance des frais exigés actuellement est le niveau de risque associé à ce service. Il y a bien des risques associés à l’encaissement des chèques, qu’il s’agisse de la fraude ou du manque de provisions de la part du payeur. Bien sûr, dans le cas des chèques du gouvernement, seul le premier risque existe. La falsification des chèques est un exemple de fraude. Les institutions financières ordinaires gèrent ce risque en n’offrant des services d’encaissement de chèques qu’aux titulaires de leurs comptes (sauf en cas d’entente d’indemnisation) et en faisant respecter leurs politiques en matière d’identification et de retenue de fonds. Les entreprises d’encaissement de chèques assument un risque plus élevé de fraude.

Il est difficile d’évaluer le degré de risque posé par l’encaissement des chèques du gouvernement. Selon une étude américaine, 0,5 p. 100 du montant des chèques n’est pas provisionné, mais, après recouvrement, les pertes nettes ne représentent que 0,2 p. 100 de ce montant[108]. En 2002, selon l’association américaine des entreprises d’encaissement de chèques, Financial Services Centers of America, moins de 1 p. 100 des chèques présentés à ces entreprises sont refusés et de 80 à 90 p. 100 de ces chèques finissent pas être recouvrés[109]. Une étude menée au Canada par le professeur Jerry Buckland, fondée sur les données de la société Dollar Financial Group, indique que les chèques refusés représentent moins de 1 p. 100 du montant de ceux qui sont encaissés et que près des trois quarts de ces chèques refusés finissent par être recouvrés, ce qui laisse une perte nette de 0,2 p. 100 du montant total des chèques encaissés [110].

Ces chiffres ne font pas la distinction entre les chèques de prestations publiques et les autres sortes de chèques comme les chèques de paie. Toutefois, comme les chèques du gouvernement présentent un risque de fraude, mais non d’insuffisance de fonds, il semble probable qu’ils ne représentent qu’une faible proportion des chèques refusés. La Commission n’a pas pu obtenir de données précises sur le risque de fraude posé par l’encaissement des chèques du gouvernement. Toutefois, les fournisseurs de services sociaux publics affirment que, selon eux, ce risque est assez faible. Le CADSS de Waterloo a déclaré à la Commission que l’entente d’indemnisation qu’il a conclue avec une banque locale à propos des prestations du programme Ontario au travail et qui est en vigueur depuis près de 20 ans n’a été invoquée qu’une seule fois. Les fournisseurs de services sociaux ont fait remarquer à la Commission que les chèques de prestations publiques ne sont pas des cibles attrayantes pour les fraudeurs : leurs montants sont généralement si faibles que le jeu n’en vaut pas la chandelle. Les chèques commerciaux sont beaucoup plus intéressants.

Les chiffres sur les risques posés par l’encaissement des chèques ne correspondent pas au coût des tentatives (réussies ou non) de recouvrer les chèques refusés. Dans son mémoire, Money Mart ne quantifie pas les risques ou les coûts associés à l’encaissement des chèques, mais elle précise que « les chèques refusés sont plus difficiles à recouvrer s’ils proviennent du gouvernement que d’une société ».

Tout examen des aspects économiques de l’encaissement des chèques du gouvernement doit tenir compte du coût, pour les contribuables, des fonds destinés à subvenir aux besoins essentiels des Ontariens nécessiteux qui sont plutôt dépensés en frais de services d’encaissement servant à les transférer de l’Administration à leurs bénéficiaires. Le CADSS de Thunder Bay a découvert, en faisant un sondage auprès de ses bénéficiaires, qu’en mars 2008, 36 p. 100 des chèques de prestations émis dans le cadre du programme Ontario au travail avaient été encaissés dans des bureaux de SFP moyennant des frais et 7 p. 100 l’avaient été dans des commerces de prêts sur gages ou des dépanneurs. Il a estimé que ses bénéficiaires avaient payé des frais d’encaissement de chèques de près de 10 000 $ en un seul mois, ce qui revient à un coût annuel estimatif de 120 000 $ pour ce seul district relativement petit. Cet exemple laisse penser que la proportion des prestations publiques qui sert à payer des frais d’encaissement de chèques est probablement importante.

 

F. Le besoin de réforme

Les clients des entreprises de SFP en général ou des services d’encaissement de chèques en particulier ne sont pas tous des consommateurs vulnérables : un segment important de cette population mérite certainement cette description, mais les études indiquent que ces services attirent des personnes à revenu moyen tout autant que celles à revenu faible. Il n’y a pas de besoin pressant sur le plan de la politique publique dans le cas de ceux qui ont un accès raisonnable à d’autres moyens que les services très coûteux d’encaissement de chèques, qui connaissent les options qui s’offrent à eux et leur coût relatif, et pour lesquels l’impact financier de ces coûts n’est pas prohibitif.

Cependant, les gens qui touchent des chèques du gouvernement sont dans l’ensemble des consommateurs vulnérables. En particulier, le revenu des prestataires de l’aide sociale est généralement très faible, bien inférieur au seuil de faible revenu du Canada. Compte tenu de cette pauvreté, les frais exigés par les services d’encaissement de chèques ont un impact important. Des frais mensuels de 15 $ ou 20 $ peuvent ne pas paraître élevés pour la plupart des Ontariens, mais, pour ceux dont le revenu annuel est de moins de 20 000 $, des économies annuelles de 200 $ pourraient signifier qu’ils pourront s’acheter un manteau d’hiver ou payer la facture de chauffage. Ces coûts représentent aussi une très mauvaise utilisation des fonds publics. On ne sait pas exactement combien de prestataires de l’aide sociale utilisent des services d’encaissement de chèques, mais l’information disponible laisse penser que ce chiffre est élevé.

Il n’est pas clair que ceux qui paient des frais pour encaisser des chèques du gouvernement dans des entreprises de SFP savent que les frais sont beaucoup plus élevés que ceux qu’ils paieraient dans une banque ou une caisse. Selon des études faites pour l’ACFC, un nombre important de consommateurs financiers ne sont pas bien informés de leurs droits face aux institutions financières. En outre, beaucoup de personnes à faible revenu se heurtent à des obstacles linguistiques, culturels et liés à l’éducation ou aux handicaps lorsqu’elles tentent d’obtenir et de comprendre l’information dont elles ont besoin pour faire des choix éclairés en matière de services financiers et, en particulier, en ce qui concerne l’encaissement de leurs chèques du gouvernement.

Dans certains cas, les personnes à faible revenu n’ont même pas d’autres choix raisonnables. On doit se rappeler que les personnes très pauvres doivent mener une lutte quotidienne pour leur survie. La planification à long terme est difficile et l’accent est souvent mis sur les besoins immédiats et urgents. Ceux qui n’ont que rarement, voire jamais, d’argent de reste à la fin du mois trouveront facilement superflu d’avoir un compte bancaire. La pauvreté elle-même restreint l’éventail des choix : il est peut-être plus sage à long terme d’ouvrir un compte bancaire, mais le coût immédiat des pièces d’identité nécessaires peut, dans les faits, mettre cette possibilité hors de la portée de beaucoup.

Malgré les efforts importants des gouvernements, des institutions financières et des organismes de services sociaux pour éliminer les obstacles à l’accès aux services financiers ordinaires, il reste beaucoup à faire. Ces obstacles varient selon le lieu et la situation – par exemple, les résidents des collectivités éloignées n’ont pas d’institution financière ordinaire à proximité tandis que les sans-abri des villes n’ont pas les pièces d’identité nécessaires pour avoir accès à ces services –, mais ils existent bien et ne laissent souvent aux prestataires des fonds publics que peu de choix véritables autres que d’avoir recours à des entreprises de SFP relativement coûteuses.

Enfin, l’importance de services financiers fiables pour le bien-être individuel et collectif n’est plus à prouver et est l’assise même du vaste cadre de surveillance et de réglementation qui régit les banques et les caisses. Le secteur des SFP est relativement récent et n’a pas fait l’objet de la même attention de la part du gouvernement, mais cela commence à changer. Si l’on veut que les destinataires de fonds publics puissent y avoir accès à un coût raisonnable, il faudra reconnaître le rôle permanent des entreprises de SFP et prendre des mesures pour que les consommateurs qui s’adressent à elles jouissent des mêmes protections que les clients des institutions financières ordinaires.

Précédent Suivant
D’abord Bout

Table des matières