La LDF est certes la loi provinciale la plus importante en ce qui concerne les questions de droit de la famille en Ontario. Ainsi qu’il est déclaré dans son préambule, son adoption a été motivée par le besoin perçu

…de reconnaître l’égalité des conjoints dans le mariage et de reconnaître au mariage la qualité de société… [89]

La présente rubrique du rapport donne un aperçu des dispositions sur les biens familiaux de la partie I de la LDF et, en particulier, de la manière dont ces dispositions concrétisent la reconnaissance de l’égalité des conjoints dans le cadre d’un partenariat économique.

 

A. Le régime d’égalisation

Les dispositions sur les biens familiaux de la LDF abordent la question du mode de partage, au moment de l’échec du mariage, des éléments d’actif qui ont été accumulés par les conjoints pendant qu’ils faisaient vie commune. En employant un libellé qui table sur la thématique énoncée dans le préambule, ces dispositions ont un objectif déclaré de reconnaître

…que les soins à donner aux enfants, la gestion du ménage et l’apport financier constituent des responsabilités communes aux conjoints, et d’affirmer que la contribution de chacun des conjoints, financière ou autre, en vue d’assumer ces responsabilités est implicite dans une relation matrimoniale…[90]

La partie I respecte cet objectif en prévoyant, en principe, que lors de l’échec du mariage, les conjoints ont le droit de partager également, non seulement la valeur de tous les biens acquis par l’un ou par l’autre pendant le mariage, mais également, toute augmentation de la valeur des biens existant lors du mariage, survenue après le mariage. À cette fin, la partie I crée une série de règles d’égalisation en fonction des « biens familiaux nets » de chacun des conjoints.

Sous réserve de certaines précisions, la valeur des biens familiaux nets d’un conjoint est calculée de la façon suivante. On détermine d’abord la valeur totale de tous les biens dont il est propriétaire à la date d’évaluation (qui est habituellement la date de la séparation)[91]. On en déduit ensuite deux éléments : d’une part, la valeur totale de toutes les dettes et autres éléments de passif du conjoint, existant à la date d’évaluation et, d’autre part, la différence entre la valeur des biens dont le conjoint était propriétaire à la date du mariage et toutes ses dettes et autres éléments de passif existant à la date du mariage.[92] (Lorsque le résultat de ce calcul est inférieur à zéro, les biens familiaux nets sont réputés être égaux à zéro).[93] Lors de l’échec du mariage, le conjoint qui détient les biens familiaux nets dont la valeur est la moins élevée reçoit une compensation financière égale à la moitié de la différence entre ses biens familiaux nets et ceux de l’autre conjoint. (Il faut noter, cependant, que la LDF, contrairement aux régimes de certaines autres provinces portant sur les biens familiaux,[94] n’octroie pas aux conjoints des intérêts communs dans les divers biens familiaux. Le droit de propriété demeure plutôt distinct, et une relation créancier-débiteur est créée entre les conjoints).[95]

Le fait que seul un des conjoints a fourni les fonds en vue d’acheter un élément d’actif ne constitue pas un facteur permettant d’en écarter la valeur à des fins d’égalisation, étant donné qu’il est présumé que les conjoints font une « contribution égale, financière ou autre ». Les contributions peuvent revêtir plusieurs formes; certaines peuvent être indirectes, et quelques-unes même intangibles, mais l’optique qui sous-tend la partie I est que la combinaison des apports effectués par les deux conjoints fait en sorte qu’il soit possible pour l’unité familiale de faire l’acquisition de biens.[96]

Le régime des biens familiaux instauré dans la LDF, dans un certain sens, peut être perçu comme étant d’envergure plutôt large, puisque, de façon générale, il n’établit pas de distinctions entre les éléments d’actif utilisés à des fins familiales et les autres éléments d’actif, comme le faisait[97] la loi qu’elle a remplacée, soit la loi intitulée Family Law Reform Act (FLRA).[98] Le terme « bien » en soi est défini de façon très large; il comprend des droits futurs et éventuels et même, dans certains cas, des biens dont un conjoint n’est pas propriétaire.[99] Ce qui importe davantage, dans l’optique du sujet qui nous occupe dans le présent rapport, c’est qu’il comprend les droits en vertu d’un régime de retraite,[100] ainsi qu’il est analysé davantage en profondeur ci-dessous. Toutefois, il existe certaines restrictions importantes à l’application du régime d’égalisation et à son fonctionnement.

Tout d’abord, il ne s’applique qu’aux personnes qui sont mariées,[101] contrairement à la plupart des lois de l’Ontario qui utilisent le terme « conjoint », y compris la LRR[102] et, en effet, certaines autres parties de la LDF en soi,[103] la partie I ne s’applique pas aux personnes qui cohabitent dans le cadre d’une relation conjugale et qui n’ont pas été mariées.[104] En outre, les conjoints sont, pour l’essentiel, libres de se soustraire par contrat à la portée de la partie I en concluant un contrat familial,[105] un accord de séparation qui porte sur les biens familiaux aura préséance sur le régime de la LDF en cas de conflit, tout comme un contrat de mariage (sauf dans la mesure où il prétend restreindre les droits de possession et droits connexes à l’égard du foyer conjugal).[106] Il existe également de nombreuses exceptions et règles spéciales portant sur la question de savoir ce qui est visé par la notion de biens familiaux nets et ce qui en est exclu. La LDF exclut expressément la valeur de certains types de biens du calcul des biens nets familiaux; en règle générale, les biens obtenus en conséquence d’un don ou d’un héritage d’un tiers après la date du mariage en sont exclus. Toutefois, la valeur d’un foyer conjugal qui est un don ou un héritage acquis d’un tiers après la date du mariage est incluse.[107] En outre, même si, dans le calcul des biens nets familiaux, un conjoint a généralement le droit de déduire la valeur de biens qui lui appartenaient avant le mariage, tel n’est pas le cas d’une maison acquise par un conjoint avant le mariage qui servait de foyer conjugal au moment de la séparation.[108]

Même si la présomption veut que le droit à l’égalisation corresponde à la moitié de la différence entre les biens nets familiaux des deux conjoints, le paragraphe 5(6) de la LDF accorde au tribunal le pouvoir d’attribuer un montant supérieur ou moindre s’il est d’avis que l’égalisation serait « inadmissible ». La loi énumère un certain nombre de motifs dont peut tenir compte un tribunal pour parvenir à cet avis, notamment le défaut d’un conjoint de révéler à l’autre des dettes ou d’autres éléments de passif qui existaient à la date du mariage,[109] le fait que des dettes ou d’autres éléments de passif ont été contractés de façon inconséquente ou de mauvaise foi,[110] le fait qu’un conjoint a contracté des dettes ou d’autres éléments de passif excessivement plus importants par rapport à ceux de l’autre conjoint pour subvenir aux besoins de la famille,[111] le fait que le droit à un montant d’égalisation correspondant à la moitié est excessivement important par rapport à une période de cohabitation des conjoints qui est inférieure à cinq ans[112] ou

…n’importe quelle autre circonstance concernant l’acquisition, l’aliénation, la conservation, l’entretien ou l’amélioration des biens…[113]

Même si ce dernier motif, de prime abord, peut sembler très large, les mentions des termes « acquisition », « aliénation » et des mots assimilables semblent avoir été interprétées de façon à suggérer que l’intention de l’assemblée législative n’était pas d’accorder un pouvoir discrétionnaire illimité.[114]

Si le conjoint qui est tenu d’effectuer un paiement au titre de l’égalisation omet de le faire, l’article 9 de la LDF accorde au tribunal plusieurs pouvoirs afin de s’assurer que l’obligation est respectée. Il peut tout simplement ordonner que le montant au titre de l’égalisation soit versé au conjoint créancier, sinon, lorsqu’un règlement intégral et immédiat causerait préjudice au conjoint débiteur, il peut ordonner que les paiements soient différés ou payés par versements échelonnés au cours d’une période qui ne dépasse pas dix ans. Il peut également ordonner qu’une sûreté, par exemple une charge sur un bien, soit donnée pour garantir l’exécution de l’obligation au titre de l’égalisation ou que le bien soit transféré à un conjoint ou assujetti à une fiducie ou encore qu’il soit partagé et vendu.

 

B. L’égalisation et le décès

Le régime d’égalisation s’applique non seulement en cas d’échec du mariage mais également, éventuellement, en cas de dissolution d’un mariage en conséquence du décès de l’un des conjoints (même si l’égalisation, dans un tel cas, est une question « à sens unique », puisque le conjoint survivant n’aurait aucune responsabilité envers la succession du conjoint décédé s’il détenait les biens familiaux nets dotés de la valeur la plus élevée).[115]

Lorsqu’un conjoint décède, les paragraphes 6(1) et (2) imposent au survivant un choix : soit il décide d’accepter le droit dont il dispose en vertu de la partie I de la LDF, soit il choisit de recevoir ce qui lui est légué en vertu du testament du défunt ou, si la personne meurt ab intestat, de recevoir ce à quoi il a droit en vertu de la partie II de la Loi portant réforme du droit des successions (LRDS).[116] (Aux termes de la LRDS, lorsqu’un conjoint meurt ab intestat, le survivant a droit à l’intégralité de la succession s’il n’y a aucun enfant ou à une « part préférentielle » de la succession s’il y a des enfants,[117] le montant de la part préférentielle est prévu par règlement et s’élève présentement à 200 000 $.[118] Si la valeur nette de la succession dépasse ce montant, le conjoint survivant a droit à la part préférentielle majorée de la moitié du reliquat s’il y a un enfant ou majorée du tiers du reliquat s’il y a plus d’un enfant).[119] Lorsqu’un conjoint survivant qui choisit l’égalisation a le droit de recevoir un versement forfaitaire en vertu du régime de retraite du défunt, le montant du versement forfaitaire est porté au crédit du droit au montant au titre de l’égalisation sauf si le défunt a donné des directives expresses contraires.[120]

 

C. Les régimes de retraite en tant que biens familiaux

Ainsi qu’il a été observé plus haut, les droits à des prestations sont traités comme des biens familiaux à des fins d’égalisation. Le terme « bien » est défini au paragraphe 4(1) de la LDF de façon à comprendre :

… dans le cas du droit du conjoint, en vertu d’un régime de retraite, qui a été acquis, le droit du conjoint y compris les cotisations des autres personnes.[121]

La notion d’acquisition de droits a été au centre des premières décisions rendues, selon lesquelles des droits non encore acquis au moment de l’échec du mariage n’étaient pas compris dans les biens familiaux,[122] mais la jurisprudence prépondérante actuelle indique que des droits non acquis constituent des biens,[123] même s’il ne s’agit peut-être pas de l’intention du législateur.[124] La mention de cotisations faites par des personnes autres que le conjoint participant semble avoir été destinée à garantir que les cotisations de l’employeur soient prises en compte dans l’établissement de la valeur de droits à des prestations lorsque ceux-ci sont acquis,[125] toutefois, même si cela convient assurément pour ce qui est d’un régime à cotisations déterminées, le montant des cotisations, qu’elles aient été effectuées par l’employeur ou l’employé, ne constitue généralement pas un facteur pertinent à prendre en compte dans le cadre de l’évaluation des droits aux termes d’un régime à prestations déterminées,[126] pour les motifs qui sont expliqués ci-dessous.

L’inclusion de la valeur des droits à des prestations dans les biens nets familiaux du conjoint participant avait pour objectif, très louable en soi, de parvenir à une plus grande égalité entre les conjoints après l’effondrement de leur mariage, mais elle s’est également avérée très épineuse en ce qui a trait aux droits aux termes de régimes de retraite à prestations déterminées.

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