Bien que simple en apparence, la question des frais d’encaissement de chèques touche en fait à de nombreux aspects du droit et de la politique sociale. L’utilisation des services d’encaissement de chèques prend ses racines dans la pauvreté et la marginalisation, l’évolution rapide de la technologie et les bouleversements qui secouent le secteur des services financiers. Pour être efficace, la réforme du droit doit s’appuyer sur des mesures publiques complémentaires visant à multiplier les options qui s’offrent aux prestataires de l’aide sociale, à mieux les informer et à accroître leur accès aux services financiers. Les recommandations de la Commission sont donc regroupées en deux sections : la première est consacrée aux modifications de nature législative et la seconde porte sur les mesures complémentaires que devraient prendre le gouvernement et les autres intervenants.

La Commission recommande l’adoption d’une stratégie coordonnée dont le but sera que les bénéficiaires de prestations publiques aient un meilleur accès aux fonds qui leur sont destinés. Citons, entre autres mesures :

le dépôt de dispositions législatives visant à réglementer le secteur de l’encaissement des chèques, notamment par l’imposition d’un régime de délivrance de permis, la divulgation obligatoire des frais et leur plafonnement;
l’adoption de dispositions législatives visant à améliorer l’accès des Ontariens à faible revenu à des pièces d’identité;
la prise de mesures visant à accroître l’éducation des consommateurs et leur information;
la négociation d’une entente d’indemnisation entre le gouvernement de l’Ontario et les institutions financières ordinaires en vue d’améliorer l’accès à des services à coût modique d’encaissement de chèques;
l’étude de solutions de rechange aux chèques pour verser les prestations publiques dans les collectivités éloignées;
le lancement de mesures à long terme d’approche ciblant les groupes qui ont traditionnellement de la difficulté à avoir accès aux services financiers ordinaires.

Nos recommandations forment un tout, la complexité de la question nécessitant une démarche sur plusieurs tableaux. Elles visent à combiner les améliorations concrètes à court terme et les stratégies à long terme qui sont toutes deux nécessaires pour attaquer de front les causes de l’utilisation des services d’encaissement des chèques.

 

A. Les mesures législatives
1. La réglementation du secteur de l’encaissement des chèques

Le paiement de frais pour encaisser des chèques du gouvernement a un effet important sur un grand nombre des citoyens les plus pauvres et les plus vulnérables de l’Ontario. Le ministère des Services sociaux et communautaires émet environ 3 millions de chèques par an aux prestataires de l’aide sociale. On ne sait pas exactement combien de ces chèques sont encaissés moyennant des frais, mais, selon les agents municipaux de prestation des services et les organismes communautaires que la Commission a consultés, ce nombre est important. Une enquête menée par le conseil d’administration de district des services sociaux de Thunder Bay pour le mois de mars 2008 révèle que plus de 40 p. 100 des chèques qu’il a émis ont été encaissés moyennant des frais. Compte tenu du très faible revenu des prestataires de l’aide sociale, l’impact de ces frais sur leur capacité de se procurer le nécessaire est probablement important. Les inquiétudes que suscite cette question touchant principalement les bénéficiaires à faible revenu des prestations publiques, il n’est donc pas nécessaire que la réglementation vise les chèques émis pour les entreprises.

Par institutions financières ordinaires, on entend les banques, les caisses et les sociétés de prêt et de fiducie. Les personnes à faible revenu font face à un ensemble complexe d’obstacles à l’accès aux services financiers ordinaires. Citons, entre autres, les politiques de retenue de fonds, certaines attitudes et le manque d’information et de capacité financière. Dans certaines collectivités éloignées du Nord, les institutions financière ordinaires ne sont même pas présentes. De même, certains quartiers urbains défavorisés manquent parfois d’établissements financiers ordinaires.

L’élimination de ces obstacles n’est pas un jeu d’enfant : elle requerra une action concertée et prolongée du gouvernement, des institutions financières ordinaires et des organismes communautaires. La Commission a formulé des recommandations qui tiennent compte de ces questions sous-jacentes. Dans l’avenir immédiat, il y aura cependant toujours des personnes sans services bancaires et mal desservies par les banques qui n’auront d’autre option que d’avoir recours aux entreprises de SFP pour encaisser leurs chèques du gouvernement.

La réglementation des services d’encaissement de chèques est donc une nécessité pour la protection des consommateurs vulnérables.

La Commission ne recommande pas l’interdiction des frais d’encaissement des chèques du gouvernement. Les services d’encaissement de chèques continueront de jouer un rôle important dans certaines collectivités tant que perdureront les obstacles à l’accès aux institutions financières ordinaires. Dans le contexte actuel, par exemple, l’interdiction de ces frais risquerait de laisser certaines collectivités éloignées du Nord sans aucuns services et de réduire les options qui s’offrent à un bon nombre de citadins à faible revenu qui ont un besoin urgent d’avoir accès à leurs prestations publiques, et ce, pour diverses raisons exposées dans le présent rapport.

Les clients des entreprises de SFP ont toutefois droit à une protection de base en tant que consommateurs. Les services financiers sont essentiels au bien-être de leurs utilisateurs : c’est pour cela que les banques et les caisses ont toujours fait l’objet d’une réglementation et d’une surveillance intenses. Les consommateurs à faible revenu qui reçoivent la plupart de leurs services financiers d’entreprises de SFP ont droit à la même protection de base que les consommateurs qui obtiennent les leurs de banque et de caisses.

L’Ontario (à l’instar d’autres territoires) s’est déjà engagé dans cette direction en prenant des mesures pour réglementer les prêts sur salaire. La Loi de 2008 concernant les prêts sur salaire (le projet de loi 48), qui a reçu la sanction royale en juin 2008, mais qui n’est pas encore en vigueur, constitue à la fois un précédent et un modèle pour la réglementation du secteur de l’encaissement des chèques, surtout puisque la plupart des entreprises d’encaissement de chèques offrent également des prêts sur salaire et tomberont sous le coup de la nouvelle loi lors de son entrée en vigueur. Par souci d’efficacité, la Commission recommande que les mesures législatives visant l’encaissement des chèques soient harmonisées avec celles qui visent les prêts sur salaire.

La Commission recommande que les entreprises d’encaissement de chèques, à l’instar de celle qui consentent des prêts sur salaire, soient tenues d’obtenir un permis d’exploitation, de divulguer leurs frais de façon équitable et entière et de se soumettre à un mécanisme efficace de traitement des plaintes en cas de manquement. Ni le gouvernement ni les entreprises de SFP ne devraient trouver une telle réglementation coûteuse et lourde puisque la grande majorité des entreprises d’encaissement des chèques présentes en Ontario seront assujetties aux mécanismes de délivrance de permis et de traitement des plaintes prévus par le projet de loi 48.

La question de savoir s’il convient de plafonner les frais d’encaissement des chèques du gouvernement est épineuse. Les autres mesures recommandées par la Commission auront pour effet, si elles sont mises en œuvre, d’accroître les options qui s’offrent aux personnes à faible revenu et de réduire les obstacles à l’accès aux institutions financières ordinaires. Tout bien pesé, cependant, compte tenu des besoins immédiats des bénéficiaires à faible revenu des prestations publiques et des défis considérables que posent les tentatives d’assurer un accès complet aux services financiers ordinaires pour tous les Ontariens, la Commission recommande que le gouvernement adopte des mesures législatives permettant de fixer à un niveau équitable et raisonnable les frais d’encaissement de ses chèques. Ces mesures auraient pour objet de donner aux bénéficiaires vulnérables des prestations publiques un accès à leurs fonds moyennant des frais raisonnables, compte tenu de leur faible revenu, tout en faisant en sorte que les entreprises d’encaissement de chèques soient rémunérées équitablement pour les risques et les coûts qu’elles encourent dans la prestation de leurs services. Le Manitoba et certains États américains ont fixé plusieurs niveaux de frais d’encaissement des chèques. Au Manitoba, les frais varient selon que le consommateur est tenu ou non d’acheter des produits dans l’entreprise qui encaisse le chèque; dans certains États américains, ils varient selon le montant du chèque.

De par sa nature même, l’encaissement informel de chèques est très difficile à réglementer. Cela ne veut toutefois pas dire qu’il devrait être soustrait à la réglementation. La plupart du temps, cette forme d’encaissement ne porte pas à conséquence, mais elle présente quand même un risque d’abus et les victimes de pratiques abusives ne devraient pas perdre la possibilité de tout recours.

La Commission s’est demandé s’il serait raisonnable de plafonner le montant des chèques visés par la loi. La plupart des chèques émis par le gouvernement en faveur de particuliers ne sont pas importants (moins de 2 000 $), mais, dans des cas inhabituels, ils peuvent être d’un montant plus élevé. L’indemnisation récente des survivants autochtones des écoles résidentielles est un exemple d’émission de chèques d’un montant très important. Ce cas a poussé la Commission à conclure que le plafonnement par la loi du montant des chèques pourrait causer une grande injustice.

On compte divers modèles de fixation du plafond des frais d’encaissement des chèques. En Colombie-Britannique, le gouvernement fixe le plafond de ces frais par règlement, après des consultations publiques. Au Manitoba, la Régie des services publics a le pouvoir de fixer leur montant maximal dans le cadre d’audiences publiques. Cette option est peut-être plus lourde que le modèle de la Colombie-Britannique, mais elle offre l’avantage de confier la responsabilité de la fixation des frais à un organisme indépendant du gouvernement et de permettre un débat ouvert et la participation du public, en plus de prévoir un processus de réexamen périodique du plafond fixé. Dans le cadre du projet de loi 48, le gouvernement ontarien constituera un conseil consultatif d’experts indépendants, chargé de lui faire des recommandations sur le plafonnement du coût total des prêts sur salaire, les plafonds eux-mêmes étant pas la suite imposés par règlement. Cette structure permet au gouvernement de profiter de conseils d’experts et d’une certaine souplesse; elle ne permet cependant pas le réexamen périodique ou le rajustement des plafonds du coût d’emprunt.

La Commission estime préférable que le processus de fixation des frais soit indépendant, fondé sur des avis d’experts et ouvert à la participation du public. Toutefois, comme le projet de loi 48 prévoit déjà un processus solide de fixation des frais semblable à celui que requièrent les frais d’encaissement de chèques, la solution la plus simple et la plus efficace est probablement d’adopter le même processus pour fixer ces frais.

La plupart de ceux qui encaissent des chèques du gouvernement dans des bureaux de SFP sont probablement des personnes à faible revenu et par ailleurs marginalisées; les mécanismes de surveillance de la conformité axés sur les plaintes sont probablement peu efficaces puisque ces personnes sont souvent peu au fait de leurs droits et, étant surtout préoccupées par leur survie, peu portées à les faire respecter. Le modèle de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC), fondé sur des mesures d’intervention comme les évaluations mystères, est probablement plus adapté.

La Commission recommande :

1. Que soit édictée une loi réglementant les services d’encaissement de chèques. La Commission recommande que cette loi s’inspire de la Loi de 2008 concernant les prêts sur salaire et que les deux lois soient harmonisées. En particulier, la nouvelle loi devrait :

exiger que les entreprises d’encaissement de chèques obtiennent un permis d’exploitation;
exiger que les entreprises d’encaissement de chèques divulguent leurs frais de façon équitable et entière;
prévoir un mécanisme de plafonnement des frais qui puissent être exigés pour encaisser les chèques émis par le gouvernement provincial et les municipalités en faveur des particuliers. Idéalement, ce processus devrait être indépendant, fondé sur les avis d’experts et ouvert à la participation du public; celui adopté dans le cadre de la Loi de 2008 concernant les prêts sur salaire représente cependant une solution prometteuse;
viser toutes les institutions et englober les services formels et informels d’encaissement des chèques;
tenir compte équitablement des coûts et des risques associés avec l’encaissement des chèques du gouvernement pour faire en sorte que les services d’encaissement de ces chèques continuent de générer un rendement équitable;
prévoir un mécanisme de surveillance de la conformité.

 

2. L’information et l’éducation

L’éducation des consommateurs

La diffusion d’une information suffisante et accessible est essentielle si l’on veut que les Ontariens aient un choix véritable quant à la façon dont ils auront accès aux fonds que leur transmettent leurs chèques du gouvernement. Les enquêtes de l’ACFC, qui révèlent à quel point le public connaît mal l’entente d’indemnisation fédérale, et le grand nombre de ceux qui encaissent des chèques du gouvernement fédéral dans des bureaux de SFP malgré l’existence de cette entente font ressortir l’importance de bien informer les consommateurs sur les choix qui s’offrent à eux.

L’éducation des consommateurs peut se faire de bien des façons. Certaines sont simples et relativement peu coûteuses; pensons aux dépliants d’information qui peuvent être joints aux chèques de prestations. Les programmes de formation des intervenants sont également efficaces et relativement peu coûteux. Les programmes de formation et d’éducation les plus efficaces sont ceux qui sont mis au point en consultation avec des organismes qui œuvrent auprès des consommateurs à faible revenu.

La formation et l’éducation des fournisseurs de services

La Commission a appris de plusieurs intervenants qu’il faudra éduquer et informer non seulement ceux qui reçoivent des chèques du gouvernement, mais également ceux qui leur fournissent des conseils et des services, notamment le personnel de première ligne des institutions financières et des organismes de services sociaux.

Selon plusieurs organismes qui œuvrent auprès des personnes à faible revenu, il serait très bénéfique que les institutions financières et les organismes de services sociaux mettent en commun leurs connaissances et leurs aptitudes pour mieux servir et mieux aider ces consommateurs. Les fournisseurs de services sociaux connaissent très bien les besoins et la situation de leurs bénéficiaires, mais souvent beaucoup moins les questions financières; le contraire est vrai pour le personnel des institutions financières.

Par ailleurs, les personnes à faible revenu ont des besoins et des problèmes financiers particuliers. La Commission a appris que les institutions financières et les fournisseurs de services sociaux sont souvent mal équipés pour donner des conseils sur les services et les produits financiers adaptés à ces besoins.

Le Fonds ontarien de sensibilisation au crédit sur salaire

Compte tenu des rapports étroits entre l’encaissement des chèques et les prêts sur salaire, la création d’un fonds d’éducation des consommateurs dans le cadre de la Loi de 2008 concernant les prêts sur salaire (le projet de loi 48) offre un outil d’éducation du public.

L’article 66 de cette loi crée le Fonds ontarien de sensibilisation au crédit sur salaire, qui sera constitué des sommes versées par les entreprises titulaires d’un permis de prêteur sur salaire dans le cadre de la Loi. Le Fonds a pour objet :

de favoriser la sensibilisation aux droits et obligations prévus par la présente loi et à la planification financière par divers moyens — notamment publications, formation et publicité —, y compris par l’octroi de subventions et de paiements de transfert;

et d’atteindre d’autres objectifs compatibles avec les objets de la présente loi et prescrits par le ministre.

Compte tenu de la nécessité avérée des mesures liées à l’information des consommateurs en matière financière et de l’attention particulière qu’il faut porter aux questions liées à l’encaissement des chèques, la Commission recommande que l’éducation des consommateurs en matière financière aille plus loin que les seules questions liées aux prêts sur salaire. La mention à l’article 67 de « la planification financière » est peut-être assez large pour englober des mesures susceptibles d’accroître la capacité financière des consommateurs à faible revenu et permettant de s’attaquer aux questions liées à l’encaissement des chèques. Toutefois, par souci de clarté et de précision, la Commission recommande de modifier cette disposition pour y inclure expressément de telles mesures.

La Commission recommande :

2. Que le gouvernement e l’Ontario modifie la Loi de 2008 concernant les prêts sur salaire en ce qui concerne le Fonds ontarien de sensibilisation au crédit sur salaire pour préciser que les mesures de sensibilisation peuvent toucher aux questions liées à l’encaissement des chèques ainsi qu’aux besoins plus vastes ne matière de capacité financière.

 

3. L’accès aux pièces d’identité

La Commission recommande que le gouvernement de l’Ontario prenne des mesures pour que les personnes à faible revenu obtiennent plus facilement des pièces d’identité. Le manque de pièces d’identité, outre les politiques de retenue de fonds, est l’obstacle le plus fréquemment cité par les intervenants. En fait, presque tous ont exprimé leurs inquiétudes à ce sujet. Non seulement le manque de pièces d’identité est-il un obstacle à l’accès aux institutions financières ordinaires, mais la possibilité de s’identifier est bien la clé de la réussite de certaines réformes comme les ententes d’indemnisation.

Pour améliorer l’accès des personnes à faible revenu aux services financiers, la Commission recommande la prise de mesures en matière d’identification visant les objectifs suivants :

la facilité raisonnable, tant sur le plan administratif que géographique, d’obtenir les pièces d’identité nécessaires,
la réduction au minimum du coût des pièces d’identité pour les personnes à faible revenu,
la diffusion la plus large de l’information sur l’accessibilité des pièces d’identité et sur la manière de les obtenir.

Il est raisonnable d’envisager la gratuité des pièces d’identité destinées aux prestataires de l’aide sociale, compte tenu de leur revenu très faible, de leurs problèmes particuliers à obtenir et à conserver les pièces d’identité nécessaires et du fait que leur accès à ces pièces est déjà souvent financé par des fonds discrétionnaires.

Certains territoires donnent une plus grande marge de manœuvre que l’Ontario en ce qui concerne l’utilisation des cartes d’assurance maladie comme pièces d’identité. Ces cartes constituent un moyen intéressant de s’identifier : elles sont gratuites, elles existent déjà, elles sont relativement faciles à obtenir et, comme elles sont obligatoires pour obtenir un service essentiel, la plupart des Ontariens ont déjà toujours la leur sur eux. En revanche, les restrictions imposées à leur utilisation visent à protéger la confidentialité des renseignements médicaux, ce qui est en soi un objectif de politique sociale tout aussi important, et surtout dans le cas de certains groupes marginalisés, comme les personnes présentant des problèmes mentaux.

Comme l’explique l’annexe E, la plupart des provinces ont pris des mesures pour donner accès à des pièces d’identité à coût modique autres que le permis de conduire. Le projet de loi 85, la Loi de 2008 sur les cartes-photo, que le gouvernement de l’Ontario a déposé récemment et qui prévoit de nouvelles pièces d’identité en remplacement du permis de conduire, va dans le bon sens et reçoit l’appui de la Commission. Toutefois, les droits à payer pour l’obtention de cette nouvelle carte d’identité avec photo, qui sont de 35 $, représenteront un obstacle pour les personnes à faible revenu; la Commission recommande de prendre des mesures pour faire en sorte que celles-ci puissent obtenir cette carte à un coût minime, voire gratuitement.

La Commission recommande :

3. Que des mesures législatives soient édictées, soit dans le cadre du projet de loi 85, soit autrement, en vue de fournir une pièce d’identité avec photo qui puisse remplacer le permis de conduire et :

A. que puissent se procurer tous les Ontariens qui n’ont pas de permis de conduire,

B. qui soit admissible comme pièce d’identité dans le cadre du Règlement sur l’accès aux services bancaires de base du gouvernement fédéral,

C. qui soit assortie de droits minimes pour tous les Ontariens à faible et gratuite pour les prestataires de l’aide sociale,

D. qui soit relativement simple à obtenir du point de vue des formalités administratives.

 

B. Les mesures publiques complémentaires
1. Les ententes d’indemnisation

À l’heure actuelle, certains bénéficiaires de prestations publiques n’ont guère de choix raisonnables pour avoir accès à leurs fonds rapidement et à coût modique. Par exemple, compte tenu de leur très faible revenu, il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce qu’ils puissent se permettre d’attendre la levée d’une retenue de fonds avant de pouvoir avoir accès à leurs fonds. À long terme, il en coûte peut-être moins de déposer des fonds dans un compte et d’attendre la compensation du chèque pour y avoir accès, mais, dans les faits, cette option n’est pas réaliste pour une personne qui doit vivre avec, par exemple, 560 $ par mois (le montant maximal de la prestation du programme Ontario au travail pour un célibataire).

Cela ne veut pas dire que les retenues de fonds ne sont pas acceptables : elles permettent, en effet, aux institutions financières de réduire le risque de fraude. C’est plutôt le signe qu’il faut trouver d’autres moyens de ce faire parce que le régime actuel fait assumer le coût de ce risque par les personnes à faible revenu.

Les intervenants sont généralement en faveur des ententes d’indemnisation, car ils voient en elles un moyen de généraliser un accès rapide et à coût modique aux fonds distribués par l’État. Ces ententes reviennent à transférer le risque de fraude au gouvernement, qui est le plus capable de le supporter. Elles donnent aux bénéficiaires des prestations publiques un accès rapide, à coût modique et assez simple aux fonds qui leur reviennent. Elles peuvent également encourager les personnes à faible revenu à tisser des liens avec les institutions financières ordinaires et à les voir comme des fournisseurs de services utiles.

La réussite des ententes d’indemnisation dépend toutefois des chèques visés, de l’accès à des pièces d’identité adaptées ainsi que de la formation des prestataires et du personnel de première ligne des institutions financières ordinaires et des organismes de services sociaux à ces pièces d’identité.

Les ententes d’indemnisation informelles locales, toutes bénéfiques soient-elles, présentent l’inconvénient inhérent de constituer un ensemble disparate. Le programme Ontario au travail compte 147 agents de prestation des services; on voit tout de suite à quel point la création d’un réseau global d’ententes d’indemnisation locales présenterait des défis considérables sur le plan de l’administration et de l’organisation. Il est de loin préférable de pouvoir compter sur une entente d’indemnisation formelle à l’échelle provinciale.

Il ne semble pas avoir été envisagé au Canada ni aux États-Unis de faire participer les entreprises de SFP aux ententes d’indemnisation. On pourrait ainsi élargir l’accès et les options qui s’offrent aux personnes à faible revenu, compte tenu, surtout, de la capacité éprouvée de ces entreprises d’attirer cette clientèle. Les entreprises de SFP diffèrent des autres institutions financières sous des rapports importants. Elles ne font pas l’objet du même degré de réglementation et de surveillance que les banques et les caisses et elles n’ont pas non plus le rôle quasi public des banques ni l’assise communautaire des caisses. Il est en outre peu probable que ces entreprises puissent ou veuillent offrir des services sans bénéfices à la clé : tout ce qu’une entente d’indemnisation pourrait faire est de réduire le coût de l’encaissement des chèques dans ces entreprises. Enfin, un tel arrangement contredirait l’objectif général d’inciter les personnes à faible revenu à tisser des liens avec les institutions financières ordinaires. La Commission ne recommande donc pas d’étendre les ententes d’indemnisation aux entreprises de SFP.

La Commission a demandé sans succès des renseignements sur le coût des programmes d’indemnisation actuels. Selon ceux qu’elle a pu obtenir des fournisseurs de services, la fraude sur les chèques d’aide sociale est relativement rare, donc le coût du programme d’indemnisation mis sur pied à leur intention serait probablement peu élevé. Comme les contribuables assumeront le risque de fraude, il est toutefois raisonnable que l’entente d’indemnisation plafonne le montant des chèques qu’elle vise, dans la mesure où ce plafond ne concerne que les chèques émis généralement par le gouvernement au profit des prestataires de l’aide sociale.

La Commission recommande :

4. Que le gouvernement de l’Ontario conclue avec les fournisseurs de services financiers ordinaires une entente d’indemnisation qui permettra aux clients des banques et à ceux qui ne le sont pas d’encaisser des chèques du gouvernement immédiatement, sur présentation d’une pièce d’identité suffisante. La Commission recommande que cette entente d’indemnisation :

vise les chèques émis par le gouvernement provincial et des agents de prestation des services précisés, tels que ceux du programme Ontario au travail,
vise les chèques jusqu’à hauteur de 2 000 $ afin d’englober l’éventail des prestations touchées par les prestataires de l’aide sociale,
prévoie la formation à ses conditions du personnel de première ligne des institutions financières concernées et celle des fonctionnaires de première ligne qui fournissent des services aux personnes à faible revenu.

 

2. Les autres modes de versement

L’une des façons de réduire le nombre de prestataires qui paient des frais pour encaisser des chèques du gouvernement est de réduire celui des chèques eux-mêmes. La généralisation des services bancaires électroniques permet d’effectuer le versement des prestations par virement automatique ou, plus récemment, au moyen de cartes de prestataire.

Le virement automatique

Le virement automatique réduit considérablement le risque de fraude, encourage les personnes à faible revenu à utiliser les services financiers ordinaires et coûte mois cher au gouvernement sur le plan administratif. Voilà pourquoi on encourage depuis longtemps les prestataires de l’aide sociale de l’Ontario à l’adopter, et ce, avec un certain succès.

L’efficacité des programmes de virement automatique est toutefois restreinte par les obstacles qui gênent actuellement le recours aux institutions financières ordinaires, tels que leur emplacement, les exigences en matière d’identification, ainsi que la confusion et l’incertitude causées par les coûts et les frais associés aux comptes bancaires. Tant que ces obstacles ne seront pas éliminés, une proportion importante des bénéficiaires à faible revenu des prestations publiques continuera de résister au virement automatique. En Alberta, où l’on a beaucoup poussé ce mode de versement, il a été adopté par environ les deux tiers des prestataires de l’aide sociale générale et les trois quarts des prestataires du programme visant les personnes handicapées. Il semble donc y avoir des limites naturelles à la généralisation du virement automatique.

Il n’est évidemment pas question d’abandonner le virement automatique, compte tenu de son taux d’utilisation actuel en Ontario, mais il ne semble pas que de nouveaux investissements importants réussiront à améliorer beaucoup la situation.

Les cartes de prestataire

Les cartes de prestataire sont de nouvelles venues au Canada et en sont encore à leurs balbutiements. À l’instar du virement automatique, elles offrent la possibilité de permettre des économies pour les fournisseurs de services, en plus de réduire la fraude et d’améliorer l’accès aux prestations pour certains prestataires.

Les intervenants ont manifesté initialement un certain intérêt envers les cartes de prestataire, mais ont rapidement exprimé des inquiétudes à leur sujet sur le plan des préjugés, de la protection de la vie privée et des droits. Un programme bien conçu pourrait dissiper ces inquiétudes, aussi bien fondées soient-elles. Plus fondamentalement, toutefois, les prestataires de l’aide sociale qui sont le moins susceptibles d’avoir des comptes bancaires et donc le plus susceptibles d’être les utilisateurs de ces cartes sont aussi ceux qui sont le plus susceptibles de présenter des lacunes sur le plan technologique et éducatif qui les empêcheraient de les utiliser, ou de les perdre en raison de leur mode de vie itinérant. La plupart des intervenants considèrent donc que les cartes de prestataire ne seront finalement guère utiles.

Les collectivités éloignées font toutefois exception. L’accès à un coût raisonnable des résidents des collectivités éloignées du Nord aux prestations publiques pose des défis particuliers. Nombre de ces collectivités ne disposent pas de fournisseur de services financiers ordinaires, ce qui n’est pas près de changer, compte tenu de la réalité économique. Les solutions adaptées au milieu urbain, telles que le virement automatique et les ententes d’indemnisation, ne sont donc guère utiles chez elles.

La plupart des personnes concernées étant autochtones, la pénurie de services financiers dans ces collectivités et le coût proportionnellement beaucoup plus élevé de l’accès aux services financiers de base soulèvent de graves questions sur le plan de l’équité et des droits de la personne.

La Commission recommande que des mesures à long terme soient prises pour faciliter l’accès aux services financiers dans ces collectivités. Il faudra faire preuve de détermination et de créativité. Une solution proposée est que le gouvernement favorise la mise sur pied d’institutions financières communautaires (comme les caisses). On pourrait également encourager les liens entre ces collectivités et les fournisseurs de services financiers par des tournées fréquentes et des mesures d’approche, par exemple.

La situation particulière de ces collectivités doit être prise en compte dans l’examen des effets de la réglementation des frais actuels d’encaissement des chèques du gouvernement. Les services financiers y sont habituellement exclusivement fournis par les magasins Northern, et tant les collectivités que les particuliers sont très dépendants du maintien de ces services. Toute réglementation qui fixe les frais en dessous de ce que ces fournisseurs jugent économique et qui entraînerait le retrait des services aurait un effet dévastateur sur ces collectivités. En outre, en raison de leur dépendance même, les résidents ne sont pas très susceptibles de se plaindre de l’inobservation des règlements, ce qui compliquerait encore plus l’exécution de la loi. Il est donc très important de pouvoir offrir d’autres moyens de toucher les prestations publiques.

À court terme, l’option la plus prometteuse est le recours à des cartes de prestataire. Comme les magasins Northern utilisent déjà des cartes-cadeaux, les résidents de ces collectivités connaissent déjà la technologie. Ces cartes peuvent donc offrir à ces résidents de nouvelles options en ce qui concerne l’obtention et l’utilisation de leurs fonds.

La Commission recommande :

5. Que le ministère des Services sociaux et communautaires et ses agents de prestation des services maintiennent le programme actuel de virement automatique à adhésion volontaire.

6. Que le ministère des Services sociaux et communautaires mette sur pied, en collaboration avec les collectivités du Nord, un projet pilote pour étudier l’utilisation des cartes de prestataire comme moyen de distribuer des fonds dans les collectivités éloignées qui sont dépourvues d’institutions financières ordinaires. La Commission recommande que ce programme veille à ce que :

les prestataires puissent avoir facilement accès à leurs fonds,
les frais permettant l’accès à ces fonds au moyen d’une carte de prestataire ne soient pas supérieurs à ceux des comptes bancaires,
les renseignements personnels concernant les prestataires soient protégés et respectés,
l’on tienne compte du risque d’exploitation des personnes qui utilisent une carte de prestataire,
les prestataires reçoivent la formation et le soutien qui leur permettront de bien utiliser leur carte.

 

3. L’approche

Les nombreux avantages que les gens peuvent tirer des liens qu’ils tissent avec une institution financière ordinaire pourraient faire dire que le but ultime devrait être de favoriser un meilleur accès aux services financiers parmi les personnes à faible revenu. Il est certainement vrai que ces liens procurent des avantages à long terme considérables. On pourrait aller jusqu’à penser que, si toutes les personnes à faible revenu avaient des liens solides avec une banque ou une caisse, les inquiétudes qui ont donné naissance au présent rapport n’auraient pas vu le jour ou seraient très légères.

Dans les faits, toutefois, ce but est probablement impossible à atteindre, à tout le moins dans l’avenir proche. Par exemple, de très grandes difficultés concrètes s’opposent à un véritable accès dans les régions éloignées de l’Ontario : ces difficultés ont été reconnues et étudiées et un certain nombre de solutions ont été proposées, aucune d’elles n’étant facile à mettre en œuvre.

Cela ne veut pas dire qu’il faut baisser les bras – au contraire –; cela veut seulement dire que les efforts visant à généraliser l’utilisation des services financiers ordinaires parmi les personnes à faible revenu doivent être jumelés à des mesures visant à protéger les consommateurs qui n’utilisent pas ces services ou qui ne le peuvent pas.

Certains des obstacles à l’utilisation des services financiers ordinaires sont difficiles à éliminer. Les autochtones font face à tout un éventail complexe d’obstacles de nature linguistique, culturelle, historique et géographique selon leur situation particulière ou l’endroit où ils résident. Les nouveaux arrivants et les personnes aux prises avec des problèmes de toxicomanie ou de santé mentale doivent composer avec des obstacles qui leur sont particuliers.

Lors de l’élaboration des programmes et des services visant les besoins des groupes à faible revenu, il est important de garder à l’esprit que le fait de toucher des prestations de l’aide sociale est associé à des préjugés très forts. Les prestataires de l’aide sociale sont donc souvent les victimes d’attitudes défavorables. Ces programmes doivent donc, dès leur conception, se soucier de protéger la vie privée des prestataires de l’aide sociale et prévoir des mesures adéquates de formation et d’éducation du personnel de première ligne.

La Commission recommande :

7. Que les institutions financières ordinaires, notamment les banques et les caisses, prennent des mesures supplémentaires pour rejoindre les groupes à faible revenu et marginalisés et pour encourager l’accès à leur services et l’utilisation de ceux-ci parmi ces groupes, notamment :

en offrant des comptes sans frais aux prestataires de l’aide sociale tout comme certaines de ces institutions le font déjà pour les étudiants et les personnes âgées,
en offrant, en collaboration avec les groupes communautaires, des services adaptés aux besoins particuliers des groupes marginalisés, à l’instar, par exemple, des bureaux Cash & Save de la Banque royale ou du partenariat entre PACU et le CTSM,
en se faisant mieux connaître, elles et leurs services, en collaboration avec les groupes communautaires, parmi les autochtones, les nouveaux arrivants, les personnes handicapées et les personnes à faible revenu

8. Que le gouvernement de l’Ontario étudie, en collaboration avec l’Association des banquiers canadiens, les caisses et les collectivités autochtones, des moyens d’améliorer l’accès aux services financiers dans les collectivités éloignées.

 

4. Le suivi

Des mesures fort diverses ont été prises d’un bout à l’autre du Canada pour améliorer l’accès à coût modique aux prestations publiques. L’une des difficultés posées par l’évaluation comparative des points forts et des points faibles de ces diverses démarches réside dans le manque de données pertinentes. Il semble clair que la collecte et le suivi des données sur le coût, les avantages et les effets des mesures prises ne pourront que les rendre encore plus efficaces, en plus de permettre de leur donner suite.

La Commission recommande :

9. Que le gouvernement de l’Ontario recueille des données pour suivre le degré de réussite des mesures prises à l’égard des frais d’encaissement des chèques.

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