Visiblement, la situation actuelle laisse à désirer : personne ne peut nier qu’une réforme s’impose. Mais quelle en serait la forme? Idéalement, une solution de partage des régimes de retraite devrait traiter les parties de façon équitable lors de l’échec de leur mariage, leur permettre une « rupture nette », reconnaître les régimes de retraite à titre de biens familiaux, reconnaître également qu’il s’agit d’une sorte de biens atypique, remplir l’objectif social de s’assurer que les individus jouissent d’un revenu raisonnable lors de leur retraite, tenir compte de l’idée que les prestations de retraite représentent une rémunération différée pour les salariés, offrir de la flexibilité en fonction des différences de besoins et de situations, permettre aux parties de connaître leur situation avec certitude et limiter les coûts, rendre inutile, dans la mesure du possible, la nécessité d’un litige et réduire le fardeau de nature financière ou autre qui pourrait être imposé aux administrateurs des régimes de retraite. Comme il s’agit d’un ensemble d’objectifs diversifié, cela soulève la possibilité qu’une proposition de réforme réponde à certains objectifs, mais en ignore d’autres.

Si les droits de pension doivent continuer à être traités dans le cadre du régime d’égalisation de la LDF, il semble alors hautement souhaitable que la législation soit amendée de façon à préciser comment ces droits seront évalués. Cela exige non seulement de choisir entre la méthode de la cessation d’emploi et la méthode de la retraite (ou, du moins, de fournir des directives quant à la méthode à privilégier). Cela exige également que la description de la méthode faite dans la loi (ou dans ses règlements d’application) soit plus explicite et détaillée, puisqu’il existe un certain degré d’ambiguïté par rapport à ces conditions. Si les droits de pension doivent continuer à être traités par le biais du régime d’égalisation, le caractère inadéquat de la gamme actuelle d’options de règlement devrait également être examiné. À ce sujet, l’Ontario pourrait se pencher sur le « mécanisme de règlement immédiat » (ou « MRI ») qui a été adopté par plusieurs autres provinces.[45] Selon le MRI, le droit à l’égalisation du conjoint non participant serait satisfait par un transfert immédiat à même la pension accumulée du conjoint participant. Cependant, ce transfert ne se ferait pas directement au conjoint non participant, mais plutôt dans une sorte de véhicule de placement en vue de la retraite, comme un RÉER immobilisé, un autre régime de retraite (si cet autre régime est prêt à accepter un tel transfert) ou une pension différée.

Un modèle de réforme alternatif viserait à retirer les droits de pension du régime d’égalisation de la LDF et à effectuer le partage du régime de retraite du conjoint participant séparément de celui des autres biens familiaux. Là encore, on pourrait avoir recours au MRI. En tant que méthode de règlement, il n’aurait pas à être lié au régime d’égalisation. Cependant, le fait d’exclure les régimes de retraite des dispositions de la LDF portant sur l’égalisation ouvrirait alors la porte à l’approche alternative, soit celle du mécanisme de règlement différé (ou « MRD ») [46], qui a été retenue dans trois provinces.[47] Selon le MRD, le conjoint non participant devient un « genre de participant »[48] du régime de retraite, remplissant les conditions requises pour recevoir sa propre pension viagère qui, dans les cas les plus simples, débuteraient lors de la retraite du conjoint participant. La part du conjoint non participant dans la pension totale (c.-à-d., dans le montant autrement payable au participant en l’absence de partage) serait égal à la moitié du quotient obtenu après la division du nombre d’années de service validables au cours du mariage par le nombre total d’années de service validables. Dans un tel cas, une évaluation ne serait pas exigée puisque le MRD reprendrait essentiellement le résultat obtenu par le biais d’un règlement conditionnel basé sur un ratio temporel, sauf que le versement des avantages au conjoint non participant ne s’arrêterait pas si le conjoint participant décédait le premier ou la première.[49] Cependant, selon certains modèles de MRD, le conjoint non participant pourrait choisir de commencer à recevoir des prestations de retraite à un moment autre que la date de la retraite du conjoint participant. Il ou elle pourrait aussi opter pour le transfert d’une somme globale dans un compte immobilisé plutôt que recevoir des prestations de retraite provenant du régime du conjoint participant. Dans ce dernier cas, une évaluation serait quand même nécessaire, quoiqu’elle se ferait à une date ultérieure à celle du MRI (dans la plupart des cas autres que des transferts de sommes globales).

De prime abord, le MRI et le MRD permettent tous deux aux conjoints de ne plus avoir à faire affaires, mais ils offrent sinon des solutions relativement différentes aux problèmes qui se posent selon la loi actuelle. Le MRI utilise habituellement une méthode d’évaluation stricte de la cessation d’emploi, qui serait, selon certains critiques, injuste pour le conjoint non participant et qui pourrait constituer une manne pour le régime de retraite. Certains défenseurs du MRI suggèrent cependant que la méthode de la cessation d’emploi pourrait être partiellement modifiée pour produire des résultats plus équitables (tout en affirmant également que, quelle que soit la méthode d’évaluation utilisée, la même devrait être utilisée aux fins de la règle des cinquante pour cent selon la LRR).[50] Le MRI est sans nul doute un mécanisme clair, certain et « propre ». Cela étant, l’obligation d’effectuer une évaluation immédiate, possiblement plusieurs années avant que les prestations de retraite soient payables, signifie que des divergences, peut-être substantielles, entre la valeur donnée au régime de retraite et sa valeur ultime ne seront pas éliminées. Ce problème est grandement réduit dans le cas du MRD, parce que, lorsqu’une évaluation devient nécessaire, elle survient généralement plus tard que selon le MRI. Lorsque le conjoint non participant ne bénéficie pas du régime avant la retraite du conjoint participant, le problème est entièrement éliminé; dans un tel cas, bien évidemment, le conjoint non participant bénéficie également de l’avantage d’être un participant au régime de retraite, alternative que de nombreuses personnes préfèrent à celle de faire leurs propres choix de placement. De l’autre côté, les critiques du MRD soulèvent que ce choix permet au conjoint non participant de profiter aussi de l’augmentation de valeur de la pension accumulée après l’échec du mariage.[51] Cela impose aussi évidemment un fardeau supplémentaire aux administrateurs du régime de retraite qu’ils n’ont pas à supporter selon le MRI, puisqu’ils doivent gérer deux régimes de retraite plutôt qu’un seul.[52]

Comme nous l’avons mentionné au début de la présente partie du document, une solution de partage des régimes de retraite devrait idéalement satisfaire à un certain nombre d’objectifs diversifiés. Il semble que le MRI soit plus susceptible de rencontrer certains de ces objectifs et que le MRD soit meilleur à d’autres égards. Le choix du type de réforme à favoriser dépend probablement de l’importance relative que l’on accorde aux différents objectifs et de la façon dont on considère que des compromis s’imposent lorsque ces objectifs semblent entraîner des orientations politiques contradictoires.

 

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