A. La montée du travail précaire

Au cours des dernières décennies, le travail à temps partiel, le travail temporaire et le travail occasionnel ont connu une nette progression. Ce genre de travail manque de sécurité et offre des avantages restreints aux travailleurs. Ce phénomène est un facteur qui a contribué aux taux croissants d’inégalité des revenus dans de nombreux pays membres de l’OCDE, ainsi qu’à des troubles sociaux dans certains d’entre eux7.  D’une part, les entreprises sont avantagées par la capacité d’augmenter ou de réduire facilement les effectifs. Certains soutiennent que cette capacité a permis à l’économie canadienne de mieux réagir aux crises financières que les économies européennes plus réglementées. De plus, à n’en pas douter, certains travailleurs choisissent ce type de travail pour la souplesse qu’il offre8. Par contre, plusieurs travailleurs qui se situent à l’extrémité inférieure de l’échelle des salaires et des compétences perdent du terrain dans des emplois peu sûrs qu’ils ne choisissent pas et se débattent afin de pouvoir gagner un salaire décent9. La nature du travail précaire a aussi été touchée par la migration mondiale des travailleurs, qui pose des défis à de nombreux pays, dont le Canada10.

Même si l’évolution de la nature du travail et la migration connexe de travailleurs prennent de l’ampleur depuis plusieurs décennies, la crise économique mondiale a fait ressortir encore plus ces tendances. La situation économique du Canada a peut-être permis à ce dernier de résister au ralentissement de l’économie mieux que de nombreux autres pays, mais il est néanmoins confronté à d’importants déficits, à des recettes plus faibles, à un taux de chômage élevé ainsi qu’à des projections économiques peu encourageantes11. L’état actuel de l’économie se répercute sur les entreprises et, partant, sur les emplois12. Les gouvernements s’efforcent de réduire les déficits tout en continuant de stimuler les affaires et de créer des emplois. Dans ce contexte, les initiatives visant à améliorer les mécanismes de soutien destinés aux travailleurs vulnérables ne sont pas seulement impératives; il faut aussi qu’elles soient réalisables et économiques.

Dans le cadre du présent projet, la CDO a examiné l’effet des lois sur les travailleurs qui exercent des formes précaires de travail (les « travailleurs vulnérables »). Tant le « travail précaire » que le « travailleur vulnérable » sont définis dans le document d’information de la CDO :

Le travail précaire se caractérise par un manque de continuité, un bas salaire, une absence d’avantages sociaux et, possiblement, une plus grande vulnérabilité aux accidents et à la maladie […] Les mesures de la précarité sont le niveau de gains et celui des avantages sociaux fournis par l’employeur, le degré de protection réglementaire et le degré de contrôle ou d’influence dans le cadre du processus de travail […] Les principaux types de travail précaire sont : l’emploi dit indépendant, l’emploi à temps partiel (stable et occasionnel) et l’emploi temporaire.

[…]

On dit que le secteur dans lequel les travailleurs sont employés, la taille de l’entreprise où ils travaillent, la nature non conventionnelle de leur contrat d’emploi et leurs caractéristiques démographiques sont des balises qui permettent de les qualifier de « vulnérables ». Dans le présent rapport, les travailleurs vulnérables sont ceux dont le travail peut être qualifié de « précaire » et dont la vulnérabilité est soulignée par leur « situation sociale » (c’est-à-dire leur origine ethnique, leur sexe, leurs compétences et leur statut d’immigré)13.

C’est donc dire que, dans ce contexte, la vulnérabilité ne fait pas référence aux travailleurs eux-mêmes, mais à la situation à laquelle ils sont confrontés, tant dans leur milieu de travail que dans d’autres aspects de leur vie, comme leur état de santé, leur famille, leur aptitude à prendre part aux activités de leur collectivité de même que leur intégration à la vie en Ontario.

Parmi les caractéristiques de la précarité qui sont mentionnées dans la description qui précède, le fait de gagner un bas revenu est un élément clé. Ainsi, une personne autonome et à revenu élevé qui exécute des contrats successifs (comme le fait un consultant) ne serait pas considérée comme un « travailleur vulnérable ». Il convient de souligner que notre définition comprend les travailleurs à temps partiel ou occasionnels dont le taux horaire est bon mais qui, dans l’ensemble, gagnent un faible revenu en raison de leurs heures insuffisantes. Le projet se soucie du nombre croissant des travailleurs pauvres au Canada, dont un grand nombre travaillent dans des conditions précaires14. Les emplois peu rémunérés comportent souvent peu d’avantages sociaux, sinon aucun, comme une assurance-santé complémentaire.

Conjuguée à un bas revenu, l’insécurité d’emploi est aussi l’une des caractéristiques marquantes des emplois précaires. La crainte de perdre son emploi peut être attribuable à des phénomènes qui touchent l’ensemble du secteur privé, comme l’automatisation de la main-d’oeuvre ou les contraintes économiques. Les travailleurs étrangers temporaires exercent un emploi précaire quand la crainte qu’ils éprouvent d’être renvoyés dans leur pays d’origine les empêche de se prévaloir des mesures de protection juridiques auxquels ils ont droit; ils craignent que leur emploi ne soit pas « sûr », même durant la période de travail restreinte que leur offrent les programmes des travailleurs étrangers.

Ce groupe de travailleurs qui gagnent de bas salaires et qui sont touchés par d’autres mesures de précarité, a été qualifié de « précariat » par Guy Standing, qui décrit ce groupe comme une catégorie socioéconomique qui prend de plus en plus d’ampleur :

[traduction] […] dans bien des pays, au moins le quart de la population adulte entre dans la catégorie du précariat. Il n’est pas seulement question pour ces personnes d’avoir un travail peu sûr et d’exercer des emplois à durée limitée et à protection minimale en matière de travail, encore que tout cela soit généralisé. C’est le fait de se trouver dans une situation qui ne procure aucun sentiment de carrière, aucun sentiment d’identité professionnelle sûre et peu de droits, sinon aucun, aux avantages qu’offrent le secteur public et le secteur privé et qu’en étaient venues à considérer comme un dû plusieurs générations de ceux qui estimaient appartenir au prolétariat industriel ou au salariat15.

Bien que nous ayons mis l’accent sur les femmes, ainsi que sur les immigrants récents et les personnes racialisées, nous reconnaissons que le travail précaire ne touche pas seulement ces groupes particuliers. Il s’agit d’un fait dont nous discuterons davantage ci-après et qui a été clairement illustré dans une réponse au rapport préliminaire que nous avons reçue de l’épouse d’un homme qui [TRADUCTION] « n’a pu obtenir un emploi permanent à temps plein pendant quatre ans, malgré ses compétences utiles et ses excellents antécédents de travail ». Elle raconte qu’on a demandé à son époux d’accomplir un travail pour lequel il n’était pas formé et qu’il considérait dangereux et qu’il s’est vu offrir un travail temporaire pour un salaire à peine plus élevé que le salaire minimum, alors que la convention collective prévoyait un taux beaucoup plus élevé. Elle précise que [TRADUCTION] « [l]a situation est devenue désespérée pour plusieurs personnes et pèse très lourdement sur les gens et leurs familles […] elle n’est pas seulement stressante, elle est démoralisante »16.

Le processus de consultation que la CDO a mené dans le cadre du présent projet a renforcé les thèmes entourant les travailleurs vulnérables et le travail précaire, des thèmes que de nombreux commentateurs ont relevés, comme : (i) un manque d