Dans le présent chapitre, il est question de la mesure dans laquelle la Loi sur les normes d’emploi et les dispositions législatives connexes traitent du travail précaire. Pour combler toute lacune, des réformes possibles sont proposées. Le présent chapitre traite de questions de principe, soit l’établissement d’un plancher général de droits minimaux et une meilleure connaissance des droits des employés et des obligations des employeurs. Les mesures d’exécution sont un élément central de normes d’emploi efficaces, et les systèmes d’exécution, tant proactive que réactive, doivent réagir convenablement. Enfin, il est question dans ce chapitre des mécanismes qui étayent l’observation et l’exécution de la LNE, tant de façon générale qu’en rapport avec des catégories précises de travailleurs vulnérables.

A. Les questions de principe générales

En Ontario, les normes d’emploi sont réglementées par la Loi de 2000 sur les normes d’emploi (LNE), laquelle énonce les droits minimaux des travailleurs et les obligations de ceux qui les emploient250. La LNE réglemente un large éventail de questions relatives au travail, dont le salaire minimum, les relevés d’emploi, les heures, les vacances, les congés, les cessations d’emploi et les départs, et elle inclut des dispositions d’exécution pertinentes, telles que les mesures de protection spéciales qui s’adressent aux travailleurs des agences de placement temporaire. Même si le cadre législatif prévoit des mesures de protection minimales de base pour de nombreux travailleurs, des exemptions nombreuses et des règles spéciales destinées aux travailleurs de secteurs précis ont été adoptées, principalement par voie réglementaire. La LNE s’applique à tous les travailleurs, mais elle est surtout importante pour les employés non syndiqués, car les travailleurs syndiqués bénéficient souvent de normes plus strictes et de mécanismes permettant de faire appliquer les contrats.

La LNE est entrée en vigueur en Ontario en 1969, combinant plusieurs lois relatives au travail251. Depuis son adoption, elle a été souvent modifiée. Les changements législatifs apportés entre les années 1970 et le début des années 1990 ont surtout élargi les protections législatives accordées aux travailleurs grâce à l’introduction d’exigences en matière d’avis de cessation d’emploi, ainsi que de dispositions concernant les indemnités de cessation d’emploi, les congés de maternité et les mesures de protection en cas de faillite252. Les changements apportés au cours de cette période n’ont pas tous eu pour résultat d’accorder des droits élargis, car des taux de salaire minimum ont été introduits à l’intention des serveurs travaillant dans le secteur des services d’accueil. 

Les réformes introduites au milieu des années 1990 ont eu pour effet de raccourcir les délais de prescription applicables aux réclamations et de limiter le montant qu’il était possible de réclamer en cas de perte de salaire. Le gouvernement de l’Ontario a imposé au cours de cette même période, et pour plusieurs années, un gel du salaire minimum253. De plus, certaines dispositions en matière de congé ont été amplifiées et clarifiées. Les déclarations que le gouvernement a faites au moment d’apporter ces changements législatifs étaient axées sur l’efficacité et la souplesse administratives, mais mettaient également en lumière la nécessité de protéger les travailleurs les plus vulnérables254.

La Loi de 2000 sur les normes d’emploi a apporté d’importants changements, avec l’introduction de dispositions accrues en matière de congé parental, de mesures de protection contre les représailles et de congés d’urgence personnelle255. Certaines restrictions ont été éliminées en rapport avec l’admissibilité aux jours fériés et certaines dispositions en matière d’application ont été introduites. Parallèlement, le nombre maximal d’heures de travail par semaine pouvait être augmenté grâce à une entente conclue entre l’employé et l’employeur, les pauses et les périodes de vacances pouvaient être scindées en des périodes plus petites, et le temps supplémentaire pouvait être réparti en moyenne sur une période de quatre semaines.

En réponse à la croissance des agences de placement temporaire, de nouvelles mesures de protection pour les travailleur de ces agences ont été introduites dans le cadre de la Loi de 2009 modifiant la Loi sur les normes d’emploi (agences de placement temporaire)256. Ces dispositions obligent les agences à fournir aux travailleurs des renseignements sur ces dernières, sur les tâches à effectuer et sur les conditions de travail, et il leur est interdit de facturer des frais aux travailleurs. De plus, les restrictions concernant les employeurs clients qui concluent des contrats d’emploi avec des travailleurs ont été supprimées. Par ailleurs, grâce à d’autres modifications réglementaires apportées en même temps, les travailleurs des agences de placement temporaire sont désormais visés par les dispositions de la LNE en matière de salaire pour jour férié, de licenciement et de cessation d’emploi257.

La LNE a été l’objet d’autres modifications en 2010 dans le cadre de la Loi de 2010 favorisant un Ontario propice aux affaires258. Cette loi a créé un certain nombre d’obligations à l’intention des employés cherchant à présenter une demande en vertu de la LNE, avec le résultat que les auteurs des demandes sont maintenant habituellement tenus de faire des démarches auprès de leurs employeurs avant que l’on fasse enquête sur une demande présentée en vertu de la LNE, encore que, dans certains cas, comme ceux des employés vulnérables, cette obligation puisse faire l’objet d’une renonciation. Les agents des normes d’emploi (ANE) ont également obtenu la possibilité de faciliter les règlements à un stade anticipé des procédures avec le consentement des parties. Selon Vosko et ses collaborateurs, jusqu’à 80 % des cas sont réglés à la phase initiale par voie de conformité à une décision que rend un ANE au sujet du salaire à payer, du règlement, du retrait ou du rejet de la plainte259. Les défenseurs des droits des travailleurs s’inquiètent du fait que les auteurs des demandes peuvent se sentir contraints de régler pour moins que ce qui leur est dû. De plus, ils considèrent de manière négative n’importe quelle activité préalable à une ordonnance qui ne mène pas à une conclusion formelle contre l’employeur. À leur avis, il est important de tenir un relevé officiel des employeurs non conformes en vue de procédures d’exécution ultérieures260.

Bien des choses ont été écrites et dites au sujet du régime de réglementation des relations de travail. Même si les commentaires qui suivent, entendus par le comité de l’Équité au travail, se rapportent au régime qu’établit le Code canadien du travail, ils reflètent les deux opinions divergentes qui sont ressorties au sujet de la LNE261.

Deux points de vue généraux sur les relations en milieu de travail se sont dégagés des audiences, mémoires et rapports de recherche. D’une part, de nombreux employeurs insistaient sur le caractère contractuel, consensuel et bilatéral de ces relations. « Laissez-nous régler ces questions avec nos employés », « Nos employés sont heureux de leurs conditions de travail », « Les conditions et modalités devraient être établies dans un contrat entre l’employeur et l’employé », semblaient-ils dire. D’autre part, de nombreux syndicats, travailleurs et groupes de défense des droits insistaient sur le déséquilibre intrinsèque du pouvoir entre les travailleurs et les employeurs qui, selon eux, empêche la négociation équitable sur le marché du travail en général, et dans la plupart des relations d’emploi en particulier. Ils soutiennent qu’une réglementation est nécessaire pour annuler les résultats de ce déséquilibre duquel ne peut vraisemblablement découler aucune compréhension consensuelle ou contractuelle juste. La première position se rapproche peut-être davantage de la façon dont, à travers l’histoire, le droit a considéré les relations entre employeur et employés; la seconde reflète sans doute davantage la réalité du monde du travail d’aujourd’hui. Cependant, aucune de ces deux perspectives ne peut être ignorée. Dans la vie, comme en droit, les relations en milieu de travail sont façonnées par les contrats et la réglementation262.

Dans le même ordre d’idées, les recherches et les consultations que la CDO a menées ont fait ressortir de nombreuses préoccupations chez les défenseurs des droits des travailleurs et les universitaires, à savoir que le processus des réclamations que prévoit la LNE, tel qu’il est actuellement configuré, impose aux employés un fardeau trop lourd pour ce qui est de faire valoir eux-mêmes leurs réclamations. Les défenseurs des droits des travailleurs ont plaidé en faveur d’un système qui impose aux employés moins de responsabilités pour ce qui est de poursuivre leurs réclamations individuelles, faisant pencher la balance en faveur d’une intensification des inspections, des enquêtes et des poursuites engagées par le gouvernement. Sous cet angle, un modèle d’exécution idéal est envisagé comme étant à la fois expéditif et compatible avec un accent mis sur des réponses dissuasives et impératives. Les défenseurs des droits des travailleurs et les universitaires se sont également prononcés en faveur d’une expansion des mesures de protection législatives. Les employeurs, en revanche, ont exprimé des préoccupations au sujet des effets qu’une intensification de la réglementation – de même que les dépenses accrues qui en résulteraient – auraient sur leurs entreprises, dont plusieurs doivent se mesurer à d’autres au sein d’une économie mondiale. Les employeurs favorisaient une aide à l’observation pour les entreprises dans le cadre des dispositions d’exécution existantes. Les travailleurs eux-mêmes se souciaient principalement de l’accès aux mesures de protection que comporte la loi actuelle ainsi que de la crainte de représailles.

Depuis la promulgation de la LNE initiale, le gouvernement est au courant du besoin de répondre aux intérêts des travailleurs et des employeurs. En 1968, au moment d’introduire la loi, le ministre du Travail a fait les commentaires suivants : [traduction] « quand il est question d’examiner les améliorations à apporter aux normes d’emploi, nous devons améliorer mais également maintenir un équilibre qui nous aidera à conserver nos industries et à en attirer de nouvelles dans la province »263.

Cet exercice de mise en équilibre a été l’élément moteur des multiples modifications qui ont été apportées à la LNE au fil des ans. Le résultat est une loi qui énonce de vastes mesures de protection en matière d’emploi, mais qui les limite au moyen de règles et d’exemptions spéciales. Certaines de ses dispositions ne s’appliquent pas aux petites entreprises. Des règles ou des exemptions propres à un secteur particulier ont été promulguées pour certaines professions dans des industries telles que l’agriculture, la construction, les soins en établissement, ainsi que les restaurants et l’hébergement. Dans d’autres cas, il est possible que les travailleurs occasionnels, temporaires ou à temps partiel ne soient pas admissibles à certaines mesures de protection à cause d’un nombre d’heures insuffisant ou de la nature discontinue de leur emploi. Il en résulte un cadre législatif qui, selon certains, ne répond plus à son objectif, lequel consiste à offrir à l’ensemble des travailleurs un plancher de droits minimaux.

Dans l’intervalle, la lutte pour trouver le juste équilibre se poursuit. Comme il est indiqué dans « Équité au travail » :

Que dire maintenant de l’argument voulant que la réglementation par l’État a aussi ses limites et que si elle impose un fardeau excessif aux entreprises et paralyse l’économie, nous serons tous dans une situation plus critique – les travailleurs vulnérables, leurs employeurs et le reste d’entre nous? Ce point n’est pas seulement une préoccupation légitime, il constitue une question cruciale. Néanmoins, la plupart des gens conviennent qu’à un moment donné, cette crainte doit être écartée, et on doit laisser les préoccupations morales ou normatives prendre le pas sur les inquiétudes économiques ou commerciales. À notre époque et dans un pays aussi riche et soucieux des aspirations morales que le Canada, nous ne pouvons tolérer certains types de conditions de travail264.

Pour la CDO, la question est de savoir si, dans l’économie d’aujourd’hui et de demain, l’Ontario atteint le juste équilibre et, sinon, quelle est la nouvelle orientation qu’il convient de suivre.

B. Le plancher de droits minimaux

1. La réduction et la mise à jour des exemptions

Comme nous l’avons signalé, la LNE vise à légiférer des normes d’emploi minimales, mais elle contient une multitude de règles et d’exemptions spéciales. Dans certains cas, les exceptions sont propres à un secteur particulier, pour lequel la LNE prévoit un traitement différent pour certaines catégories de travailleurs265. Par exemple, il existe quatre catégories d’ouvriers agricoles : les travailleurs agricoles, les cueilleurs, les travailleurs quasi agricoles et les employés du secteur de l’aménagement paysager. Tous, sauf les travailleurs agricoles, ont droit à un salaire minimum. Les cueilleurs ont droit aux congés fériés, mais pas les travailleurs agricoles, les travailleurs quasi agricoles et les employés du secteur de l’aménagement paysager. Il existe des règles spéciales pour la plupart des travailleurs de la construction et plusieurs autres professions ou secteurs. Les heures de travail, les périodes de repas et la rémunération du temps supplémentaire sont d’autres secteurs où il existe des exemptions précises pour certaines professions. Les travailleurs agricoles et les cueilleurs en sont totalement exemptés.

Dans d’autres cas, les travailleurs atypiques ne sont pas admissibles à certaines protections que confère la Loi à cause d’un emploi discontinu ou de l’insuffisance des heures de travail. Si l’emploi précaire n’est pas [traduction] « synonyme d’emploi atypique », l’insécurité du travail est souvent associée à l’exercice de formes atypiques ou discontinues de travail266. Dans l’état actuel des choses, la plupart des dispositions de la LNE n’excluent pas explicitement les employés atypiques. En fait, il existe un certain nombre de dispositions qui tiennent spécifiquement compte des périodes d’emploi discontinues. Il y a toutefois des cas où la protection qu’assure la LNE est soumise à une période d’admissibilité. Ainsi, les personnes qui occupent plusieurs postes à temps partiel peuvent travailler 60 heures par semaine, mais ne jamais avoir droit à une rémunération des heures supplémentaires, car elles ne travaillent pas plus de 44 heures par semaine auprès d’un employeur particulier. Dans leur réponse au rapport provisoire, les représentants du gouvernement ont souligné que [TRADUCTION] « [l]es normes d’emploi ont pour but de s’assurer qu’un employeur n’exploite pas un employé dans le cadre de cette relation. Cependant, un employeur ne peut être responsable de la totalité des circonstances d’un employé »267 . Bien que cela soit vrai, en même temps, compte tenu de la discontinuité et de l’insécurité grandissantes sur le marché du travail, les lois visant à protéger les travailleurs doivent être adaptées aux nouvelles façons d’organiser le travail afin d’être efficaces. Dans le même ordre d’idées, certains travailleurs qui occupent des postes temporaires successifs peuvent ne jamais avoir droit à une période de vacances de deux semaines, car il est possible qu’ils n’effectuent jamais douze mois de travail à un poste donné. La paie de vacances n’est pas assujettie à ces périodes d’admissibilité. Cependant, le préavis de licenciement exige au moins trois mois d’emploi. L’indemnité de cessation d’emploi exige cinq ans d’emploi, et l’employeur doit avoir une liste de paye de 2,5 millions de dollars, ou alors l’interruption doit faire partie d’une cessation d’emploi massive. Dans ce cas, non seulement la durée de service détermine l’admissibilité, mais la taille de l’entreprise est un facteur déterminant dans l’admissibilité à une protection. Comme le gouvernement de l’Ontario l’a souligné dans sa réponse au rapport préliminaire, de telles différences sont fondées sur le point de vue selon lequel les périodes d’admissibilité sont considérées comme raisonnables pour les droits en question. Bien que cela puisse être vrai, lorsqu’une part importante du travail disponible est à court terme et précaire, les mesures de protection en matière d’emploi qui ne couvrent que les formes d’emploi typiques ne répondent pas aux besoins du nombre croissant de travailleurs exerçant un emploi atypique. À notre avis, le temps est venu de songer à créer d’autres types de mesures de protection pour les travailleurs atypiques.

Les modifications législatives qui sont entrées en vigueur le 6 novembre 2009 sont un exemple d’une telle reconnaissance des nouvelles réalités du monde du travail. La Loi de 2009 modifiant la Loi sur les normes d’emploi (agences de placement temporaire) a confirmé que les travailleurs d’une agence de placement temporaire sont des employés de l’agence. Par application du règlement à la même date, les dispositions en matière de licenciement et de cessation d’emploi de la Loi sur les normes d’emploi sont devenues applicables aux employés des agences de placement temporaire268. Elles s’appliquent tant que se poursuit la relation d’emploi entre l’agence et l’employé, que ce dernier travaille ou non à titre ponctuel auprès d’un client de l’agence.

L’écheveau de règles spéciales que comporte la LNE est à ce point complexe que le ministère du Travail a élaboré sur son site Web un outil concernant les règles particulières qui aide les employés et employeurs à identifier les professions visées par des exemptions ou des règles particulières. Il est probable que chaque exemption propre à une profession particulière a été mise en place en vue de répondre à un besoin perçu de ce secteur qui était pertinent au moment de la promulgation de la Loi, pour introduire dans la législation une mesure de souplesse qui répondrait aux besoins des employeurs actifs sur un marché concurrentiel. Cependant, les défenseurs des droits des travailleurs perçoivent les exemptions de façon négative : [traduction] « la plupart des exemptions sont liées à la réglementation de la rémunération des heures supplémentaires, aux heures de travail et au salaire minimum, ce qui favorise un régime réglementaire qui permet aux employeurs de minimiser les coûts et la planification du travail »269 .

À notre avis, la pertinence actuelle des exemptions suscite des préoccupations légitimes. Le temps a passé et la Loi a été modifiée d’une manière fragmentaire au cours d’une période prolongée. Cela donne une loi qui est difficile à comprendre et à suivre. L’effet a miné le message législatif que l’Ontario prévoyait, c’est-à-dire un engagement vis-à-vis de mesures de protection minimales disponibles à grande échelle dans les lieux de travail. De l’avis de la CDO, il est temps de mettre à jour, de revoir et de simplifier les exemptions de la LNE. Il est important de déterminer si chacune repose sur des considérations sectorielles et d’intérêt public qui sont d’actualité et légitimes. Les exemptions professionnelles qui ne sont plus pertinentes ou justifiées devraient être abrogées. Pour les travailleurs à temps partiel, occasionnels et temporaires, vu la prolifération de cette forme de travail atypique, il faudrait faire de sérieux efforts pour relever les lacunes que comportent les mesures de protection et les combler.

Les considérations d’intérêt public devraient prendre en compte une compréhension moderne de la nouvelle économie ainsi que des répercussions négatives du travail précaire et, en particulier, de son effet disproportionné sur les personnes racialisées, les femmes, les handicapés, les Autochtones, les jeunes, les immigrants récents et les personnes qui travaillent dans certains secteurs. Chaque exemption devrait être examinée en tenant compte de ces considérations dans le but général d’amoindrir la vulnérabilité et d’offrir aux travailleurs de l’Ontario une série plus uniforme et largement disponible de droits minimaux.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

1. Que le gouvernement de l’Ontario :

a) en consultation avec le milieu syndical et les représentants des propriétaires/dirigeants d’entreprise, mette à jour, révise et simplifie les exemptions que comporte la LNE et la réglementation connexe, ce qui inclut une revue des exemptions professionnelles existantes, dans le but de s’assurer que les exemptions sont justifiées par des considérations sectorielles et d’intérêt public d’actualité;

b) veille à ce que cette revue permette d’établir et d’appliquer des principes qui visent à promouvoir un plancher largement disponible de droits fondamentaux des travailleurs, y compris le fait que la justification des exemptions soit mise en équilibre avec la nécessité de réduire le travail précaire et d’offrir des normes minimales de base à un secteur plus large de la population active.

Toute modification législative devrait faire l’objet d’une surveillance visant à en identifier les effets sur les travailleurs vulnérables270. Un conseil consultatif sur des solutions novatrices au travail précaire, ainsi qu’il est recommandé à la recommandation no 26, serait en mesure de fournir au ministère du Travail des conseils sur la pertinence, la justification et l’effet d’exemptions et de règles spéciales propres à un secteur particulier.

La LNE bénéficierait de l’inclusion d’un énoncé de principe général dans un préambule à la Loi en vue de souligner la détermination du gouvernement à offrir aux employés des mesures de protection minimales de base, d’étayer l’observation des règles et de favoriser la sensibilisation et la formation des membres du public, des employeurs et des employés. Une modification semblable a été apportée à la Loi sur la santé et la sécurité au travail en réponse au rapport Dean; dans cette loi a été ajoutée une nouvelle disposition énonçant les pouvoirs du ministre du Travail à l’égard de la promotion de la santé et de la sécurité au travail, de la prévention des maladies professionnelles, de la sensibilisation du public, ainsi que de la reconnaissance par les employeurs et les travailleurs de l’importance de la santé et de la sécurité, de même que de l’éducation271.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

2. Que le gouvernement ontarien codifie dans la LNE un énoncé de principe général soulignant sa détermination à protéger des droits minimaux de base en matière d’emploi, à étayer l’observation des règles et à favoriser la sensibilisation et l’éducation des membres du public, des employeurs et des travailleurs.

2. Le salaire minimum

En 2009, selon Statistique Canada, 8,1 % des travailleurs de l’Ontario touchaient le salaire minimum; la moyenne canadienne était de 5,8 %272. Les défenseurs des droits des pauvres soutiennent le salaire minimum à titre d’initiative stratégique de réduction de la pauvreté. Bien que la politique du salaire minimum ait suscité la controverse (les économistes étant pour ou contre le salaire minimum comme outil efficace de réduction de la pauvreté), chaque province ou territoire canadien a établi un salaire minimum273.

En date du 31 mars 2010, le taux de salaire minimum en Ontario a été porté à 10,25 $ l’heure pour la plupart des emplois. Le gouvernement de l’Ontario a haussé le salaire minimum d’environ 50 % par rapport à 6,85 $ au début de l’année 2004 en partie pour compenser les gels antérieurs et veiller à ce que le salaire minimum devance considérablement l’inflation274.

Pendant les années antérieures aux augmentations, les défenseurs des droits des travailleurs avaient demandé que le salaire minimum soit porté à 10 $. Après sept augmentations, en février 2011, le gouvernement a annoncé qu’il ne hausserait plus le salaire minimum mais, plutôt, qu’il « nommera[it] un comité représentant les entreprises et les travailleurs pour lui fournir des conseils sur le salaire minimum avant le budget de 2012 »275. Cette nouvelle a été accueillie favorablement par la Chambre de commerce de l’Ontario, qui avait recommandé que le gouvernement :

  1. crée une commission ou un conseil indépendant d’examen du salaire minimum constitué d’entreprises (représentant divers secteurs et diverses tailles d’entreprise), de représentants syndicaux et de groupes sociaux;
  2. procède régulièrement à des examens du salaire minimum qui comprennent une évaluation des incidences économiques sur l’économie provinciale;
  3. assortisse toute augmentation du salaire minimum de mesures sociales destinées aux Ontariens à faible revenu, de manière à ne pas compter principalement sur les coûts opérationnels des entreprises (salaire minimum) pour s’attaquer aux problèmes de pauvreté dans la province276.

Cependant, au moment de la rédaction du présent rapport, rien n’indique que le comité en question ait été constitué.

Quelques défenseurs des droits des travailleurs et universitaires continuent de demander des augmentations additionnelles du salaire minimum, en liant le salaire minimum à l’indice du seuil de faible revenu (SFR), en réglementant le taux par l’entremise d’un organisme indépendant du gouvernement, ou en rajustant le salaire minimum en fonction de l’inflation277. Le monde des affaires a formulé des mises en garde au sujet des effets négatifs d’une hausse marquée278. Dans son rapport de 2011, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante a exprimé l’avis qu’une augmentation importante du salaire minimum a généralement un effet plus négatif que positif pour les employés à faible revenu qui travaillent dans une petite ou moyenne entreprise, où les employeurs doivent absorber les coûts additionnels d’une telle mesure en réduisant les heures de travail ou les activités de formation ou en éliminant des emplois279. Ces entreprises emploient de nombreuses personnes travaillant au salaire minimum, et ce sont elles qui assumeraient le coût d’une telle augmentation.

À notre avis, le travail du comité proposé aurait été instructif si ce dernier avait été mis en oeuvre. Un tel comité constituerait une tribune où les représentants des employeurs et des employés pourraient conseiller le gouvernement pour l’aider à déterminer la meilleure approche à long terme en ce qui concerne le salaire minimum tout en maintenant un équilibre entre les besoins des entreprises et ceux des employés. La CDO soutient la mise sur pied du comité consultatif du salaire minimum.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

3. Que le gouvernement de l’Ontario mette sur pied le comité du salaire minimum, ou un organisme analogue, pour étudier les questions relatives au salaire minimum tout en maintenant un équilibre entre les besoins des entreprises et ceux des employés.

3. Les employés à temps partiel rémunérés proportionnellement au même taux que les employés à temps plein

Les consultations et les recherches de la CDO ont révélé qu’il était nécessaire de réagir à la situation des travailleurs à temps partiel qui touchent une rémunération inférieure à celle des travailleurs à temps plein. Même s’il existe souvent des raisons commerciales légitimes pour embaucher des employés à temps partiel, certains employeurs semblent recourir à cette formule pour embaucher des travailleurs à un tarif inférieur280. Arthurs fait valoir que, à moins que la différence soit justifiée par les niveaux de compétence, l’expérience ou la description de tâches, de tels écarts sont inéquitables pour les personnes travaillant à temps partiel et, en fin de compte, ils réduiront également les normes concernant les travailleurs à temps plein281. Les effets négatifs de cette situation sont exacerbés par le fait que le travail à temps partiel est hautement sexospécifique et que, chez les travailleurs à temps partiel, les femmes sont plus susceptibles d’être faiblement rémunérées282. Comme il a été mentionné plus tôt, même si le choix est un facteur qui compte pour bon nombre de femmes travaillant à temps partiel, ce choix est fréquemment illusoire quand les femmes sont liées par des responsabilités de nature domestique et en matière de prestation de soins.

Les données recueillies donnent également à penser que les parents vivant seuls – il s’agit souvent de femmes – les travailleurs racialisés et les immigrants récents sont plus susceptibles de se retrouver dans un travail temporaire à temps partiel283. Il en résulte que le fait de rémunérer des travailleurs à temps partiel à un tarif inférieur à celui des travailleurs à plein temps crée, dans une mesure disproportionnée, une vulnérabilité au sein des groupes traditionnellement défavorisés. Quelques membres du Groupe consultatif du projet ont fait des commentaires sur la nécessité que les dispositions sur le salaire égal (proportionnel) s’appliquent à l’ensemble des travailleurs, y compris les travailleurs occasionnels, temporaires et à temps partiel. Cela paraîtrait justifiable en l’absence d’un motif clair pour distinguer le travail accompli en fonction de l’expérience, des compétences ou de la description de tâches.

Les efforts visant à réduire le traitement inégal des travailleurs à temps partiel pourraient servir à plusieurs fins. Ils auraient pour effet d’augmenter proportionnellement l’équivalence du taux de salaire des employés à temps partiel, annulant ainsi en partie certains des impacts négatifs que subissent dans une mesure disproportionnée les femmes et d’autres groupes traditionnellement défavorisés qui travaillent à temps partiel. Il en résulterait une hausse des revenus et, peut-être, une moins grande dépendance à l’égard de l’aide sociale. Cela pourrait servir à promouvoir des conditions de travail équitables et souples d’une manière qui pourrait rendre le travail à temps partiel plus attrayant aux yeux des travailleurs. Tant les entreprises que les employés en profiteraient.

Il faudrait rédiger les dispositions législatives avec soin pour s’assurer de définir la notion du travail égal d’une manière qui soit relativement facile à identifier. Des leçons peuvent être tirées de l’expérience du Royaume-Uni, où des dispositions législatives ont été adoptées pour protéger les travailleurs à temps partiel d’un traitement moins favorable284. Les dispositions législatives visent aussi à promouvoir des conditions de travail souples. Selon au moins un rapport, bien que les mesures de protection prévues par la loi aient permis d’améliorer la situation de certains travailleurs à temps partiel et contribué à réduire la discrimination, le fait que les travailleurs doivent, au cas par cas et dans le cadre d’un litige, faire valoir qu’ils ont fait l’objet d’un « traitement moins favorable », constitue un obstacle à l’accès généralisé à leurs droit. De plus, la définition de « traitement moins favorable » prévue par la loi a été difficile à préciser, notamment en l’absence d’un employé à temps plein pouvant servir de comparateur. Par conséquent, on estime que la Loi a eu un impact limité sur la transformation de la nature du travail à temps partiel285. En dernière analyse, nous favorisons une rémunération égale et proportionnelle pour les travailleurs à temps partiel, tout en reconnaissant que l’élaboration d’une réponse législative efficace devra tenir compte de certaines complexités.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

4. Que le gouvernement de l’Ontario, en tenant compte de la complexité du problème, examine les modifications qui pourraient être apportées à la LNE pour veiller à ce que les travailleurs à temps partiel soient rémunérés proportionnellement au même tarif que les travailleurs à temps plein occupant des postes équivalents, en l’absence d’un motif permettant d’établir une différence en fonction de l’expérience, des compétences ou de la description de tâches.

4. Les avantages sociaux

Arthurs a suggéré que le gouvernement étudie un éventail de possibilités en vue d’élaborer de nouveaux mécanismes, comme une banque d’avantages ou d’autres moyens d’offrir une protection aux travailleurs atypiques dans le cadre d’un régime d’assurance collective achetée par les employés et/ou les employeurs ou un régime offert par un organisme public.

Quel que soit le modèle adéquat, il faut trouver une façon d’offrir une protection aux travailleurs vulnérables qui n’y ont pas accès à l’heure actuelle. De plus, il vaudrait mieux trouver la solution plus tôt que tard. Alors que les taux de syndicalisation sont en baisse, alors que davantage de travailleurs passent des grandes entreprises aux petites et qu’un nombre croissant de travailleurs passent d’un emploi régulier à des contrats atypiques ou au travail indépendant, le bienfondé d’une nouvelle approche relative à une couverture d’assurance repose sur une nouvelle base : ce ne sont pas seulement les travailleurs vulnérables qui ont besoin de protection, mais une proportion croissante de la population active286.

Dans des observations présentées à la CDO, on a fait valoir que [TRADUCTION] « la possibilité d’une agence d’avantages s’inspirant de l’expérience de la CSPAAT fondée sur les primes multi-employeurs pourrait être étudiée […] La création d’agences, de conseils ou d’entités fiduciaires multi-employeurs […] serait rentable et constituerait un moyen créatif de s’assurer que les employés obtiennent la protection dont ils ont besoin »287.

La Commission d’examen du système d’aide sociale de l’Ontario a indiqué que « la province devrait trouver des façons de dissocier les prestations pour les médicaments sur ordonnance, les soins dentaires et les autres services de santé du système d’aide sociale afin de les offrir à tous les Ontariens à faible revenu288 ». L’examen propose un modèle possible : un régime collectif d’assurance gouvernementale administré par le gouvernement ou le secteur privé, avec des subventions progressives pour les salariés à faible revenu.

Une autre proposition qui a été suggérée pour répondre aux besoins des travailleurs temporaires sur le plan des avantages sociaux est le fait d’obliger les employeurs à payer une prime pour les contrats de travail à court terme. Ce point de vue a aussi été exprimé par Poverty and Employment Precarity in Southern Ontario (PEPSO) dans sa réponse au rapport préliminaire de la CDO. PEPSO a proposé d’examiner la notion du supplément pour travailleurs occasionnels qui existe en Australie, en vertu de laquelle les employés occasionnels doivent recevoir un salaire de 15 à 25 % plus élevé que le salaire minimum, à titre de compensation pour l’absence de certains droits, comme les congés payés. Dans certains cas, les travailleurs à temps partiel ont également droit à une augmentation du taux applicable au travail à temps partiel. En France, les travailleurs d’agences temporaires et les travailleurs à contrat d’une durée déterminée reçoivent un pourcentage additionnel de leur rémunération (10 % et 6 %, respectivement) à la fin de leur travail. Le gouvernement, après avoir consulté les représentants des employés et des employeurs, pourrait peut-être examiner ultérieurement si cette idée peut être adaptée pour une partie ou la totalité des travailleurs à court terme en vue de compenser le manque d’avantages. Nous sommes conscients qu’une telle innovation aurait, pour les employeurs, des répercussions sur le plan des coûts, mais elle pourrait aussi permettre de réduire en partie la vulnérabilité créée par les formes d’emploi occasionnelles et temporaires, ce qui rendrait ce type de travail moins précaire. L’Australian Industry Group, qui représente les employeurs, a soutenu que la souplesse du travail occasionnel profite tant aux employeurs qu’aux employés et que le supplément pour travailleurs occasionnels attire plusieurs employés occasionnels289. L’examen d’une telle initiative obligerait forcément à effectuer une analyse détaillée des coûts et des avantages qu’elle représenterait pour toutes les parties en vue de déterminer la meilleure voie à suivre. Il serait également justifié d’étudier la situation de l’initiative menée en Australie et en France. Le Conseil consultatif sur des solutions novatrices pour le travail précaire (recommandation no 26) pourrait examiner de telles questions.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

5. Que le gouvernement ontarien ait recours au Conseil consultatif sur des solutions novatrices pour le travail précaire (recommandation no 26), en consultation avec les représentants du milieu syndical, du patronat et du secteur de l’assurance, pour étudier diverses options concernant la fourniture d’avantages sociaux aux travailleurs atypiques et aux autres travailleurs non protégés, en prenant en considération les concepts d’une banque d’avantages et d’une prime obligatoire pour les travailleurs temporaires à contrat d’une durée déterminée, entre autres options.

5. Les congés d’urgence/pour raison médicale

Les Congés D’urgence Personnell e Pour Les Empl oyés Atypiques
Les dispositions de la LNE en matière de congé d’urgence personnelle prévoient une période annuelle de dix jours de congé non rémunérés en cas de maladie, de blessure, d’urgence médicale, de deuil ou d’une situation d’urgence concernant un proche parent. Ces dispositions ne s’appliquent qu’aux employés dont l’employeur emploie régulièrement au moins cinquante personnes. Même si ce n’est pas indiqué explicitement dans la Loi, le ministère du Travail indique que les employés à temps partiel ont droit chaque année à la pleine période de dix jours même s’ils n’ont commencé leur emploi qu’en cours d’année290. Par ailleurs, bien que le Guide de politique et d’interprétation de la LNE soit muet sur l’admissibilité des employés temporaires aux congés d’urgence personnelle, le ministère du Travail a précisé que les employés temporaires sont admissibles à de tels congés291. Par contraste, le guide indique explicitement que les congés pour raison médicale, par exemple, sont offerts aux employés à contrat292.

Le congé familial pour raison médicale est un congé d’une durée de huit semaines, qui permet d’offrir des soins ou du soutien à des membres prescrits de la famille qui sont gravement malades et qui risquent de décéder. Contrairement aux congés d’urgence personnelle, ce congé familial ne se limite pas aux grandes entreprises. Le congé familial pour aidants naturels était un autre congé d’une durée de huit semaines qui a été présenté à l’Assemblée législative en décembre 2011 et qui procurait un congé protégé et non payé d’au plus huit semaines pour permettre aux employés d’apporter des soins et un soutien à un membre de la famille « gravement » malade ou blessé. Il n’était pas nécessaire que le décès soit imminent et il n’existait aucune restriction à l’égard des personnes qui travaillaient dans une petite entreprise. Puisque la législature a été prorogée pendant l’étude du projet de loi au comité, il reste à voir si le projet de loi sera présenté de nouveau à l’avenir. Le congé familial pour aidants naturels représente une reconnaissance prescrite par la loi et relativement récente des responsabilités familiales qu’assument les travailleurs. Pourtant, ce congé ne dépend pas de la taille de l’entreprise de l’employeur, comme ce l’est dans le cas du congé d’urgence personnelle. Ces différences sur le plan de l’admissibilité portent à se demander s’il faut passer en revue les dispositions sur les congés d’urgence personnelle pour s’assurer que chaque disposition est solidement fondée sur des raisons d’ordre public actuelles.

Lors des consultations de la CDO, les répondants ont fait remarquer que le manque d’accès à un congé d’urgence personnelle est particulièrement difficile pour les travailleurs vulnérables, qui travaillent souvent dans de petites entreprises293. L’exemple des femmes enceintes obligées de se rendre à un rendez-vous chez le médecin a été évoqué comme une lacune particulièrement critique. Cependant, les intervenants n’ont pas tous convenu que les dispositions en matière de congé devraient être élargies davantage. Certains organismes d’employeurs ont fait remarquer que les dispositions en matière de congé ne profitent pas nécessairement aux travailleurs à faible revenu et que ces dispositions sont principalement utilisées, et de façon inappropriée dans certains cas, par des travailleurs occupant des postes plus spécialisés. Certains membres du Groupe consultatif du projet se sont dits en faveur de l’idée d’étendre le congé d’urgence personnelle à la totalité des employés et de promulguer des dispositions concernant les congés de maladie payés.

La CDO croit que le congé d’urgence personnelle devrait être offert à tous les travailleurs, quelle que soit la taille de l’entreprise. Nous sommes conscients, toutefois, que les entreprises de petite taille fonctionnent peut-être avec moins de souplesse que les entreprises de grande taille. Les employeurs ont également fait état de leurs préoccupations quant à la capacité de demeurer concurrentiels face à une réglementation moins stricte dans les provinces voisines294. Un compromis qui a été suggéré est la possibilité de légiférer un congé d’urgence personnelle prolongé tout en classant les congés disponibles dans des catégories plus définies, comme c’est le cas à l’Île-du-Prince-Édouard. La législation de cette province en matière de normes d’emploi prévoit trois jours de maladie par année en cas de maladie et de blessure; de plus, après cinq ans d’emploi, un jour de congé de maladie payé est disponible. Trois jours de congé non payés sont disponibles en cas de deuil, et l’un de ces jours est rémunéré si c’est un membre de la famille immédiate qui est décédé295 . L’inconvénient pour les travailleurs est que l’on imposerait des limites plus définies à la durée du congé que l’on pourrait prendre pour n’importe quelle catégorie donnée; cependant, il s’agirait d’une façon d’accorder une protection à tous, tout en réduisant au minimum les effets sur les entreprises. Nous ne favorisons pas nécessairement une telle suggestion. Il s’agit simplement d’un exemple d’une autre approche qui a été mentionnée dans le cadre de nos consultations. Il serait nécessaire d’évaluer les coûts et avantages de l’approche pour déterminer s’il vaut la peine de la prendre en considération. Au moment du présent rapport, nous constatons que l’Île-du-Prince-Édouard est la seule province canadienne ayant adopté des dispositions sur les congés de maladie payés dans sa législation sur les normes d’emploi et que ces dispositions sont très limitées.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

6. Que le gouvernement ontarien examine les dispositions en matière de congé d’urgence personnelle que comporte la LNE pour s’assurer que chaque disposition est justifiée par des raisons d’ordre public actuelles, afin de trouver des moyens d’étendre cet avantage aux personnes qui travaillent dans un lieu de travail comptant moins de cinquante employés (y compris les employés à temps partiel, occasionnels et temporaires de ces petites entreprises).

Le Congé Pour Raison Méd icale Prolongé
Quelques membres du Groupe consultatif du projet croient que la Loi sur les normes d’emploi devrait protéger les travailleurs en cas de maladie de longue durée. Des preuves anecdotiques ont été citées au sujet de modèles européens prometteurs de régimes d’assurance obligatoires payés par l’employeur. On a aussi évoqué la possibilité d’obliger légalement les employeurs à étendre les avantages aux travailleurs atypiques si les employés à temps plein sont protégés. La loi de la Saskatchewan qui exige que l’on accorde des avantages à certains employés à temps partiel a été évoquée, mais il vaut la peine de mentionner que cette loi comporte des limites importantes. Pour ce qui est de s’abstenir de recommander que des employeurs offrent des avantages aux travailleurs atypiques, les commentaires qu’Arthurs a faits sont utiles :

Il ne fait aucun doute que certains employeurs décident de ne pas accorder de protection aux travailleurs atypiques dans le seul but de réduire leurs coûts de main-d’oeuvre. Cependant, il est également probable que le fait d’accorder une protection aux travailleurs atypiques et à ceux qui sont au service des PME est plus compliqué et onéreux que dans le cas des travailleurs employés à temps plein dans de grandes entreprises. Le problème actuariel de répartir les risques dans un petit groupe, les déséconomies administratives de régimes à petite échelle et le problème du calcul au prorata de certains avantages pour les travailleurs à temps partiel représentent tous des désincitations éventuelles pour les employeurs qui songent à accorder des avantages sociaux aux travailleurs atypiques. Ces problèmes sont gravement exacerbés par les difficultés que pose la collecte des cotisations d’une population de passage, notamment les travailleurs temporaires et les travailleurs d’agences de placement, et le versement des prestations. Il est difficile d’établir clairement si les obstacles que j’ai cernés concernant l’octroi d’avantages sociaux sont réels ou purement hypothétiques. Cependant, je ne suis pas disposé à recommander que les employeurs soient tenus de fournir des avantages sociaux aux travailleurs atypiques à moins d’être convaincu qu’il est pratiquement possible pour eux de le faire296.

Bien que nous ne recommandions pas que la loi octroie des avantages sociaux aux travailleurs atypiques, nous proposons – à la recommandation 5 – que le gouvernement de l’Ontario étudie les options relatives à l’octroi d’avantages sociaux aux travailleurs atypiques en ayant recours au Conseil consultatif sur des solutions novatrices pour le travail précaire (Recommandation 26).

C. La connaissance des droits et des obligations

1. Les mesures de sensibilisation, d’éducation et d’information du public

Dans « Équité au travail », Arthurs fait remarquer :

Les programmes destinés à sensibiliser les travailleurs et les employeurs à leurs droits et à leurs obligations […] sont l’un des meilleurs moyens d’assurer la conformité aux normes du travail. Lorsque c’est possible, ces programmes devraient être entrepris en collaboration avec des organismes représentant les employeurs, les travailleurs ou des organismes de défense297.

Le manque de connaissance des travailleurs et des employeurs à propos de leurs droits et de leurs responsabilités est un thème qui a été souvent mentionné lors des consultations de la CDO par les représentants du gouvernement, les employeurs, les travailleurs, les fournisseurs de services communautaires, les défenseurs des droits des travailleurs et les universitaires298.

Le ministère du Travail a fait des efforts considérables pour répondre aux préoccupations entourant le manque de connaissance en créant son site Web sur la LNE où l’on trouve, sous une forme multilingue, des informations, des outils spéciaux et des coordonnées concernant la ligne téléphonique du ministère. Malgré ces efforts, les consultations ont montré qu’un accès restreint aux ordinateurs, les limites de littéracie et des connaissances linguistiques, de même que la crainte de représailles, créent des obstacles à l’accès des travailleurs au système. Lors des consultations que nous avons menées auprès de travailleurs étrangers temporaires, la CDO a entendu dire que certains n’avaient reçu aucune information sur leurs droits avant leur arrivée au Canada et qu’ils ignoraient vers qui se tourner pour obtenir de l’aide.

Des efforts plus poussés pour rehausser l’éducation du public seraient un moyen efficace de faire passer le message. À titre d’exemple, il est proposé dans le rapport « Working on the Edge » que l’on fasse la promotion des droits des employés et des responsabilités des employeurs dans le cadre d’une campagne d’éducation publique menée par le ministère du Travail299. Une campagne axée sur des annonces, des affiches et des séances d’information ferait mieux connaître la loi aux travailleurs et aux entreprises en faisant ressortir l’appui du gouvernement en faveur de la protection des travailleurs vulnérables et en soutenant les employeurs qui respectent les exigences de la LNE. D’après les informations que nous avons reçues lors de nos consultations et dans les observations, la CDO signale l’importance d’une éducation publique active plutôt que passive. L’accent mis par le ministère du Travail sur le fait de communiquer activement les informations aux travailleurs et aux employeurs plutôt que de se fier principalement au site Web du ministère aurait un impact plus marqué. Tant les représentants des employeurs que ceux des travailleurs ont fait état de leurs préoccupations au sujet d’un recours excessif à Internet pour diffuser des informations au public. Ce n’est pas tout le monde qui a accès à Internet, et les régions rurales de l’Ontario n’ont pas toujours accès au service haute vitesse300. Les documents et les séances d’éducation publique devraient être situés là où les travailleurs et les employeurs se trouvent, dans des endroits publics tels que le métro et l’autobus, à la télévision, ainsi que dans les lieux de travail. Dans ses commentaires concernant le rapport préliminaire, la Metro Toronto Chinese and Southeast Asian Legal Clinic a fait valoir qu’il serait important de s’assurer que les documents et séances sont à la disposition des collectivités ethnoraciales301. Les comités gouvernement-employeuremployé existants seraient peut-être un autre moyen de diffuser des informations. Une telle campagne pourrait être lancée dans le cadre d’une stratégie provinciale de plus grande envergure que nous suggérons à la recommandation no 47.

Le ministère du Travail mène actuellement un certain nombre de séances d’information auprès de groupes de travailleurs et d’employeurs. Des programmes comme ceux-là, notamment ceux qui mettent l’accent sur des contacts personnels entre le ministère et le milieu de l’emploi, doivent être soutenus et élargis. Comme l’a fait remarquer le Chinese Interagency Network of Greater Toronto, il serait très utile d’accorder aux travailleurs un meilleur accès au personnel du ministère du Travail, pour qu’ils puissent lui adresser toute question ou plainte et obtenir des renseignements302. Divers commentateurs ont proposé d’améliorer l’accès à la LNE par des contacts personnels directs ainsi que dans le cadre de partenariats entre le ministère et la collectivité303.

Le ministère du Travail est bien placé pour continuer d’étendre ses programmes d’information actuels et nouer des partenariats avec le milieu de l’emploi grâce à la mise en oeuvre d’initiatives destinées aux travailleurs oeuvrant dans les secteurs et les groupes qui, dans une mesure disproportionnée, sont touchés par un emploi précaire, soit, notamment, les travailleurs étrangers temporaires, les immigrants récents, les jeunes, les handicapés, les personnes racialisées, les Autochtones et les femmes.

Un certain nombre de commentateurs ont préconisé un modèle fondé sur le New York Wage Watch Program, que le département du Travail de l’État de New York a lancé à titre de projet-pilote en 2009304. Il s’agit d’un programme de partenariat officiel entre le gouvernement et divers organismes communautaires qui a pour but d’organiser des séances sur les droits des travailleurs, de fournir aux employeurs des renseignements sur l’observation des exigences, de distribuer de la documentation et de soumettre au département du Travail les cas de violation. Il s’agit d’un projet innovateur qui forme des membres de la collectivité travaillant en étroite collaboration avec les travailleurs et les employeurs sur le terrain ainsi qu’avec les organismes gouvernementaux chargés d’appliquer les lois du travail. Le programme a suscité une certaine controverse, en ce sens qu’il est structuré comme un programme d’information et d’éducation, mais ses opposants ont exprimé le souci qu’il s’agit, en réalité, d’une forme d’exécution
l’échelon communautaire dont on se sert comme mécanisme de syndicalisation305. De plus, les opposants soutiennent que le programme a été mis en oeuvre sans consulter le milieu des employeurs. À notre avis, un programme qui établit des partenariats entre le milieu de l’emploi et le gouvernement pour améliorer la connaissance des droits et des responsabilités serait avantageux. De pair avec la recommandation récente du rapport Drummond en faveur d’une participation accrue des intervenants et des groupes communautaires à l’élaboration des politiques, la mise en oeuvre de tout programme de cette nature obligerait à consulter les organismes d’employeurs et de travailleurs, ainsi qu’à étudier avec soin l’efficacité et les effets du programme de l’État de New York306. Un partenariat gouvernement-collectivité entre le ministère du Travail et l’Ontario Council of Agencies Serving Immigrants (OCASI) a permis d’offrir aux groupes d’immigrants et d’établissement plus de 40 séances d’éducation sur place au cours desquelles [TRADUCTION] « des agents des normes d’emploi ont offert une introduction de base à la LNE, une démonstration des outils, ainsi que des copies de documents imprimés »307 .

Comme le suggèrent les recommandations nos 13 et 23, l’expansion des services relatifs aux droits des travailleurs que fournit le système d’Aide juridique Ontario et/ou les organismes communautaires servant les travailleurs vulnérables serait un autre moyen de rehausser la capacité d’offrir des séances d’éducation et d’établir des partenariats entre le gouvernement et le milieu de l’emploi. L’objectif serait de rehausser la connaissance de la LNE. Cette option permettrait d’amoindrir la crainte que ressentent les travailleurs à l’idée de poursuivre des réclamations légitimes sous le régime de la LNE, ce qui mènerait à un accès accru à la justice.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

7. Que le ministère du Travail :

a) lance une campagne de sensibilisation publique sur les droits et les responsabilités que prévoit la Loi sur les normes d’emploi;

b) réponde aux besoins des travailleurs et des employeurs en informations additionnelles sur la LNE, et continue d’offrir et d’étendre les mécanismes d’information grâce à des séances d’information ou d’éducation sur la LNE, dont, notamment, aux personnes faisant partie des secteurs et des groupes à risque élevé;

c) noue des partenariats avec les organismes représentant les employeurs, les employés et la collectivité de façon à ce que les travailleurs et les employeurs aient une meilleure connaissance des droits et des responsabilités que prévoit la LNE.

2. La remise d’un document portant sur la LNE au début de la relation de travail

Une stratégie simple et presque gratuite que l’on pourrait utiliser pour rehausser la connaissance de la LNE et soutenir l’observation des exigences dans les lieux de travail serait de remettre un document aux employés au début de la relation de travail. À l’heure actuelle, le paragraphe 2(3) de la Loi sur les normes d’emploi exige que les employeurs mettent en montre dans le lieu de travail une affiche d’information qui présente les droits et les responsabilités que prévoit la LNE et qui indique les coordonnées du ministère du Travail. Elle doit être rédigée en anglais et dans la langue de la majorité des employés du lieu de travail si le ministère fournit l’affiche dans la langue de la majorité. Cette affiche – un document d’une page – est disponible sous forme imprimable au site Web du ministère du Travail. Les employeurs peuvent l’obtenir sur le site Web gratuitement et en plusieurs langues. Nous suggérons d’apporter à la LNE une modification qui obligerait les employeurs, au début de la relation de travail, à non seulement mettre l’affiche bien en vue, mais aussi à en remettre une copie sous la forme d’un document à tous les nouveaux employés, et ce, tant en anglais que dans la langue du travailleur, si cela est possible. À notre avis, cela augmenterait les chances que l’on mette à la disposition des travailleurs des informations de base sur la LNE. Cela augmenterait aussi les chances que les travailleurs emportent le document chez eux, le lisent et, peut-être aussi, que d’autres membres de la famille en prennent également connaissance. Une telle mesure offre la possibilité d’inciter à en parler et à poser des questions. Cela pourrait amener plus de travailleurs à consulter le site Web du ministère. En remettant un tel document au début de la relation de travail, les employeurs ouvriraient la voie à l’établissement d’un sentiment d’engagement à l’égard de l’observation de la LNE dans les lieux de travail.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

8. Que le gouvernement de l’Ontario modifie la LNE afin d’exiger que les employeurs remettent l’affiche relative à la LNE sous la forme d’un document à tous les nouveaux employés et ce, en anglais et, dans la mesure du possible, dans la langue de l’employé.

3. La présentation des conditions de la relation d’emploi

Arthurs a souligné qu’il est important pour les employeurs et les travailleurs de bien comprendre les conditions d’emploi; il a recommandé que la loi oblige les employeurs à fournir aux employés non syndiqués un avis écrit des taux de rémunération, des heures de travail, des congés fériés, des vacances annuelles et des conditions de travail au début de la relation d’emploi. Une obligation d’indiquer par écrit la situation et les conditions de la relation de travail améliorerait les chances d’observation des exigences :

[…] en rappelant aux employeurs leur obligation de se conformer à la loi et en sensibilisant les employés à la possibilité de recourir à des mesures correctives en cas d’infraction à la loi. […] [U]ne bonne compréhension facilitera le recours de la partie lésée et peut-être aussi la tâche de la partie défenderesse […]308.

Les travailleurs d’agences temporaires doivent recevoir des informations décrivant l’affectation de travail, les heures de travail et le taux de salaire, aux termes de l’article 74.6 de la LNE309. À l’heure actuelle, conformément aux nouvelles exigences fédérales, les travailleurs étrangers temporaires (niveaux C et D de la CNP et aides familiaux résidants) sont tenus de recevoir ce type d’informations dans les contrats d’emploi types. Cela donne à penser que le gouvernement est conscient de l’effet de protection que ce type de document écrit procure aux travailleurs vulnérables. À notre avis, cette exigence devrait s’appliquer à l’ensemble des employés. Une description claire des conditions liées à l’emploi, dès le début de la relation, offre la possibilité d’une meilleure observation et, le cas échéant, d’une aide pour faire valoir les droits que confère la LNE. Dans la section sur le travail autonome, cette notion fera l’objet d’une discussion plus approfondie dans le contexte des entrepreneurs indépendants.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

9. a) Que le gouvernement de l’Ontario modifie la LNE afin d’obliger les employeurs à fournir à tous les employés un avis écrit de leur statut en matière d’emploi et des conditions de leur contrat d’emploi;

b) que le ministère du Travail établisse des formulaires types afin d’aider les employeurs à s’acquitter de cette tâche.

D. L’exécution de la Loi sur les normes d’emploi

1. Une critique du modèle existant

Dans la présente section, nous décrivons l’approche générale que suit l’Ontario à l’égard de l’exécution des normes d’emploi ainsi que les difficultés qui y sont associées. Nous analysons plus loin une série de questions incidentes qui découlent de l’exécution actuelle de la LNE.

Le modèle de réglementation de la LNE de l’Ontario a été décrit comme une [traduction] « combinaison d’approches législatives “strictes” et “souples” », dans laquelle le mot « souples » fait référence à la [traduction] « dépendance du gouvernement envers une observation volontaire de la part des employeurs ou un comportement d’autoréglementation de la part des entreprises » et le mot « strictes » désigne [traduction] « les ordonnances de paiement, les ordonnances d’exécution, ainsi que les amendes ou les poursuites »310 . Arthurs a fait remarquer que les défenseurs des droits des travailleurs et les universitaires considèrent en général la relation d’emploi essentiellement comme un déséquilibre intrinsèque de forces plutôt que comme une situation dans laquelle les parties à un contrat sont sur un pied d’égalité et que, en raison de cela, ils sont en faveur d’un système qui met principalement l’accent sur l’exécution d’enquêtes et de poursuites au sujet des violations des normes d’emploi en tant que responsabilité publique semblable à celle du système de justice pénale. Ces défenseurs rejettent l’idée d’un modèle d’auto-exécution qui, à leur avis, confie trop de responsabilités aux requérants individuels. Mais la réalité est plus complexe que cela. Un système d’exécution purement public comme le système de justice pénale est axé sur l’objectif d’intérêt public qui consiste à rendre justice pour la société dans son ensemble. L’indemnisation individuelle de la partie lésée joue un rôle moins important. Selon nous, un modèle de droit purement public ne fonctionnerait pas dans le cas des normes d’emploi parce qu’un objectif clé doit être le fait d’indemniser des personnes de la perte qu’ils ont subie. Par conséquent, le système doit, forcément, conserver des éléments du processus de justice civile. Comme le fait remarquer Arthurs, le système est un mélange hybride de règlements et de contrats, de droit public et de droit privé311.

Arthurs considère que le succès du modèle existant dépend dans une large mesure de sa capacité à assurer le respect des exigences.

En bout de ligne, c’est la question de la conformité qui fait le succès ou l’échec des normes du travail. Une non-conformité à grande échelle détruit les droits des travailleurs, déstabilise le marché du travail, décourage les employeurs respectueux des lois, qui sont court-circuités par ceux qui ne les respectent pas, et diminue le respect de la population envers la loi312.

Le ministère du Travail de l’Ontario s’efforce de promouvoir l’approche « souple » à l’égard de la conformité volontaire dans le cadre de sa stratégie de formation, de sensibilisation et de partenariat. Le site Web du ministère présente les buts de cette stratégie :

  • créer un milieu où les employeurs et les employés connaissent leurs droits et leurs devoirs aux termes de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi (LNE);
  • faire en sorte que les employeurs soient plus conscients des devoirs que leur impose la LNE, et veiller à ce qu’ils aient les outils et ressources dont ils ont besoin pour observer la LNE;
  • favoriser l’observation de la LNE.

L’approche que suit le ministère montre que ce dernier saisit bien le lien qui existe entre la formation et l’observation.

Le déploiement officiel de l’initiative Formation, sensibilisation et partenariat a commencé en 2009. Le dialogue avec les employeurs et les employés visés par la Loi sur les normes d’emploi fait toutefois partie du Programme des normes d’emploi depuis le tout début. On sait depuis longtemps que la formation favorise le respect des normes d’emploi313.

Les informations sont fournies par l’entremise d’un service téléphonique multilingue qui a reçu plus de 300 000 appels en 2011314. Le ministère a répondu à 9 000 demandes de renseignements transmises par courriel en 2010, et son site Web comporte de très nombreux outils, vidéos et documents explicatifs, et de nombreuses ressources sont disponibles en 23 langues315. Le ministère organise aussi des séances d’information directes avec des groupes d’employeurs et d’employés. Comme l’a expliqué le gouvernement dans sa réponse au rapport préliminaire, [TRADUCTION] « [d]e nombreux documents sur le site Web, y compris des outils interactifs, sont disponibles pour aider les employeurs à s’instruire et à s’assurer qu’ils se conforment à la LNE. Parmi les outils interactifs, on compte notamment l’outil pour les heures de travail et les heures supplémentaires, le calculateur du salaire pour jour férié et les outils de cessation d’emploi et de licenciement »316. Lorsque des inspections ou des enquêtes sur les réclamations mettent au jour des violations de la LNE, les agents des normes d’emploi sont habilités à imposer des sanctions administratives progressives, à délivrer des procès-verbaux en vertu de la partie I de la Loi sur les infractions provinciales et à engager des poursuites en vertu de la partie III de cette loi.

Cependant, comme le signale Doorey, cette approche a ses limites.

[traduction] […] de nombreux employeurs évaluent les coûts liés à l’observation par rapport à la probabilité relativement faible d’être pris en défaut et aux pénalités minimes qui sont associées à un manquement, et ils prennent la décision économique de ne pas se conformer aux exigences […]. Le ministère du Travail présente déjà des ressources considérables sur ses divers sites Web, et il offre une aide téléphonique pour fournir des conseils aux travailleurs. Cependant, peu d’employés vulnérables savent comment trouver ces sites Web ou même les chercher, même en présumant qu’ils ont accès à Internet ou qu’ils sont au courant de l’existence du service téléphonique. Le ministère du Travail a eu la bonne idée de traduire certaines des informations en plusieurs langues, mais le site général du ministère est en anglais et les travailleurs non anglophones ont de la difficulté à le consulter. Plus fondamentalement, un modèle destiné à aider les travailleurs vulnérables qui impose à ces derniers le fardeau d’avoir à effectuer des recherches sur Internet et à réclamer ensuite ce à quoi ils ont droit légalement sera toujours inefficace317.

L’opinion ci-dessus a été reprise par le Chinese Interagency Network of Greater Toronto dans ses commentaires concernant le rapport préliminaire318. Il est ressorti de nos consultations que le manque d’exécution des normes d’emploi est fréquemment signalé319. Nous avons entendu parler de salaires inférieurs au salaire minimum chez les travailleurs d’agences de placement temporaire et les travailleurs étrangers temporaires. Ces derniers ont fait état de salaires impayés. Les agences temporaires continuent, a-t-il été dit, de percevoir des frais même si les nouvelles dispositions interdisent cette pratique320. De telles pratiques et d’autres violations de contrat ont également été mentionnées par les travailleurs et les défenseurs des droits des travailleurs lors de nos consultations avec la Migrant Workers Alliance for Change321. Les travailleurs sans statut ont été victimes de multiples violations322. La CDO a été mise au courant de l’existence d’« agents » qui placent des travailleurs agricoles étrangers temporaires chez des employeurs, ce qui crée une relation d’emploi triangulaire semblable à celle des agences de placement temporaire. Les employeurs ne paient pas plus que le salaire minimum de 10,25 $ l’heure à l’agent, et le travailleur reçoit de ce dernier un montant inférieur (aussi peu que 7,50 $ l’heure)323. Selon le Chinese Interagency Network of Greater Toronto, certains employeurs modifient les registres des salaires pour dissimuler le fait que des travailleurs ont travaillé un nombre d’heures excessif et reçu moins que le salaire minimum. Dans un cas, un employé a fait une semaine de 60 heures et s’est vu payer 7 $ l’heure, une partie de son salaire ayant été versée en espèces pour dissimuler le taux et les heures de travail dans le registre324. Les problèmes liés aux salaires impayés, aux indemnités de vacances, aux indemnités de cessation d’emploi, aux heures supplémentaires et aux jours fériés ont été les principales plaintes signalées au ministère du Travail325. Certains laissent entendre que les violations de la LNE sont généralisées326.

[traduction] Ce qui ressort nettement de l’expérience vécue par les travailleurs est la « quotidienneté » des conditions de travail inférieures à la norme. Les travailleurs ne font pas juste état d’une seule expérience vécue sur le plan des violations que commettent les employeurs. Quand on examine les expériences de travail antérieures, il devient clair que les personnes qui exercent un travail précaire et touchent un faible revenu sont victimes, emploi après emploi, de violations des normes du travail […] les travailleurs passent d’un mauvais emploi à un autre, sans protection aucune contre les violations des employeurs327.

Malgré ces comptes rendus, les recherches et les consultations que la CDO a menées ont révélé que la plupart des employeurs se conforment aux dispositions législatives.

[traduction] Ces conclusions n’indiquent pas que tous les employeurs, ou la plupart d’entre eux, violent les NE [normes d’emploi]. Un grand nombre d’entre eux se conforment bel et bien à la LNE. Cependant, la prévalence des violations mine la situation des employeurs qui se conforment aux normes minimales en matière de travail et contribue à exercer une pression à la baisse sur les salaires et les conditions de travail328.

Les défenseurs des droits des travailleurs ont fait remarquer, avec raison selon nous, que l’actuel processus met exagérément l’accent sur les enquêtes portant sur les plaintes individuelles de violations de la part des employeurs329. La détection de ces dernières se fait principalement par les mesures d’auto-exécution et les réclamations individuelles des travailleurs. Cette approche a été qualifiée de [traduction] « coûteuse, et risque de surcharger la capacité disponible »330 .

On s’entend généralement pour dire que l’exécution proactive est un mécanisme nettement plus efficace pour assurer l’application des mesures de protection prévues par la LNE que le système réactif qui consiste à répondre à des plaintes individuelles. Le vérificateur général a laissé entendre que la nécessité d’augmenter le nombre d’inspections proactives est démontrée par le fait que l’on a découvert des violations dans 40 % à 90 % de ces inspections331. Vosko et ses collaborateurs ont souligné le succès des inspections proactives et le fait que 92 % à 99 % des cas confirmés de salaires impayés sont recouvrés grâce à des processus proactifs, tandis qu’environ la moitié seulement sont recouvrés au moyen du processus de réclamation individuelle332. Les données actuelles du ministère du Travail soutiennent ces constatations : elles indiquent qu’environ 60 % des sommes dues sont recouvrées dans le cadre d’enquêtes et que 98 % sont recouvrées au moyen d’inspections proactives. Selon le ministère, la différence est attribuable en partie au fait que les inspections proactives visent les entreprises actives, tandis que les enquêtes se rapportent parfois aux entreprises insolvables.

Dans « Équité au travail », Arthurs a déclaré :

J’ai reçu de nombreux mémoires mentionnant que la stratégie d’application du Programme du travail devrait être plus proactive. Au lieu de se concentrer sur le traitement des plaintes des travailleurs, les inspecteurs devraient prendre l’initiative de vérifier de façon aléatoire des secteurs ou des entreprises qui affichent un profil de non-conformité ou faire un effort concerté pour assurer l’application des dispositions spécifiques de la Partie III qui semblent donner lieu à des infractions trop fréquentes. Ces mémoires sont plausibles et j’y souscris333.

Le régime de santé et de sécurité au travail est considéré comme un système qui met plus l’accent sur les activités d’exécution proactive que le système de la LNE334. En plaidant en faveur d’une exécution plus proactive des dispositions du régime de la LNE, Vosko et ses collaborateurs font ressortir que même s’il peut paraître raisonnable de donner la priorité à une plus grande protection au chapitre de la santé et de la sécurité par rapport aux mesures de protection relatives à l’emploi, auxquelles il est possible de remédier au moyen d’une indemnisation pécuniaire, il ne faudrait pas trop insister sur les différences, compte tenu des effets négatifs sur la qualité de vie associée à un travail précaire prolongé335.

On semble s’entendre généralement pour dire que l’Ontario devrait changer d’orientation et se concentrer davantage sur les activités d’exécution proactives. Nous sommes d’accord. Cependant, on continuera d’avoir besoin d’un modèle qui répond aussi aux plaintes individuelles.

La meilleure façon d’assurer la conformité semble être le recours à un éventail de stratégies qui devraient comprendre l’information, l’éducation, la persuasion et la surveillance proactive – toutes conçues pour encourager la conformité sans faire appel à la coercition. Les stratégies devraient également inclure des recours et des sanctions efficaces – administratives, civiles et pénales – de sévérité croissante. Les sanctions devraient être utilisées lorsque les mesures non coercitives ne produisent pas les résultats souhaités, particulièrement dans le cas d’infractions flagrantes. Les stratégies de conformité devraient fonctionner en grande partie de façon proactive, plutôt que d’être mises en oeuvre après qu’une infraction a été commise. Elles devraient en outre s’attaquer aussi bien aux causes profondes et aux motifs caractéristiques de non-conformité persistante qu’aux infractions isolées336.

[…] Il reste qu’il est très difficile de refuser d’entendre un plaignant dont la cause semble valable en droit337.

À long terme, une meilleure exécution en première ligne peut avoir pour effet de réduire le nombre de plaintes individuelles grâce à une amélioration de l’observation. Entre-temps, nous reconnaissons qu’une recommandation visant à accroître les mesures d’exécution proactives aura d’importantes conséquences sur le plan des ressources pour le gouvernement de l’Ontario.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

10. Que le ministère du Travail mette davantage l’accent sur les processus d’exécution proactifs prévus par la LNE tout en continuant à recourir à un éventail de stratégies, dont l’observation volontaire, les inspections proactives et les réponses aux plaintes individuelles.

2. Les problèmes particuliers qui découlent des mesures d’exécution actuelles

Faire des dém arches aupr ès de l’empl oyeur avant de form uler une ré clamation Comme nous l’avons noté, le principal mode d’exécution que prévoit la structure actuelle de la LNE – le processus des réclamations individuelles – a été l’objet de nombreux commentaires négatifs. Les opinions de la plupart des universitaires et défenseurs des droits des travailleurs concordent avec les commentaires du professeur Eric Tucker : [traduction] « il est peu vraisemblable que la plupart des travailleurs soient des protagonistes assurés »338. En d’autres termes, les travailleurs vulnérables, exerçant un emploi peu sûr, sont mal placés pour formuler des plaintes. On a laissé entendre que le système des réclamations individuelles est plus problématique à cause du fait que, depuis toujours, le ministère du Travail incite les employés à tenter par eux-mêmes de recouvrer ce qui leur est dû339. Fait non surprenant, les défenseurs des droits des travailleurs voient d’un très mauvais oeil la promulgation de changements en vertu de la Loi favorisant un Ontario propice aux affaires qui ont eu pour effet d’imposer des obligations additionnelles à de nombreux plaignants avant qu’une enquête débute340.

Conformément aux modifications qui sont entrées en vigueur en janvier 2011, le directeur des Normes d’emploi peut exiger que le plaignant prenne certaines mesures, comme communiquer avec l’employeur au sujet du manquement commis et fournir des renseignements au sujet de la réponse de l’employeur. Même si ce n’est pas indiqué explicitement dans la loi ou le Guide de politique et d’interprétation concernant la LNE, il ressort clairement des déclarations faites dans son site Web que le ministère du Travail a pris la décision générale d’exiger que tous les plaignants entrent en contact avec leurs employeurs au sujet du manquement commis sauf s’il est décidé de renoncer à cette exigence341. Les documents du ministère du Travail indiquent clairement qu’il est possible de faire des exceptions pour les travailleurs vulnérables, comme les aides familiaux résidants, les jeunes, les personnes handicapées, les travailleurs ayant des obstacles linguistiques, les travailleurs qui craignent leurs employeurs, les travailleurs ayant des motifs liés au Code des droits de la personne ou les travailleurs ayant d’autres raisons appropriées342. Des exceptions peuvent être faites aussi pour des situations telles que celles pour lesquelles le délai de prescription de six mois est sur le point de prendre fin ou celles où il est impossible de situer l’employeur. Ces exceptions peuvent être accordées, sur demande, vraisemblablement dans le cadre du pouvoir discrétionnaire dont dispose le directeur (ou son délégué). On ignore la fréquence avec laquelle ces exceptions sont demandées ou accordées.

Bien que la CDO n’ait pas entendu de cas dans lesquels le ministère avait refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire dans des situations appropriées, il ressort manifestement des documents que nous avons examinés que les défenseurs des droits des travailleurs croient que le processus dissuade fortement les travailleurs de déposer une réclamation. À titre d’exemple, la campagne « Color of Poverty » et la Metro Chinese and Southeast Asian Legal Clinic ont soutenu l’élimination de toutes les exigences impératives concernant les travailleurs qui tentent de faire rectifier par eux-mêmes les manquements à la LNE auprès des employeurs avant de déposer une réclamation343. Nous ne sommes pas sûrs si les défenseurs des droits des travailleurs fondent leurs objections sur des cas concrets où le ministère n’a pas renoncé à l’exigence pour les travailleurs vulnérables, ou s’ils croient que l’on dissuade simplement d’emblée les travailleurs de déposer des réclamations, même par la possibilité d’avoir à faire des démarches auprès de l’employeur. Il est possible aussi que la disposition du ministère à renoncer à l’exigence pour les travailleurs vulnérables soit mal connue parmi les représentants des employés et des travailleurs. Le site Web du ministère du Travail – ainsi que le formulaire de réclamation et le manuel disponible dans plusieurs langues – mentionnent les exceptions qui dispenseront généralement les employés de leur obligation de communiquer avec leur empoyeur avant le dépôt d’une réclamation. Cependant, il est souligné ailleurs sur le site Web que la plupart des employés doivent entrer en contact avec leur employeur. Les commentaires faits en ligne et les renseignements sur la LNE relevés parmi les intervenants révèlent que les exceptions ne sont souvent pas mentionnées344. Quoi qu’il en soit, il est possible que, par principe, les défenseurs des droits des travailleurs s’opposent à ce que l’on exige des travailleurs qu’ils demandent une protection spéciale à titre d’exception plutôt que d’en bénéficier de plein droit. Dans sa réponse au rapport préliminaire, le gouvernement de l’Ontario a indiqué que l’exigence d’aborder les employeurs est fondée sur un désir d’améliorer l’efficacité, en précisant que [TRADUCTION] « [s]i la plainte est réglée à la satisfaction de l’employé, celui-ci peut obtenir un recours plus rapidement et il en résulte aussi des économies de ressources pour le gouvernement dans le cadre du processus d’exécution »345 .

Quel que soit le fondement précis de leurs objections, les défenseurs des droits des travailleurs ont peu confiance dans le système actuel. La CDO n’a pas pu déterminer s’il y avait eu un effet quelconque sur les réclamations depuis la mise en oeuvre de la Loi favorisant un Ontario propice aux affaires. Les données que l’on pourrait obtenir du ministère du Travail ne sont pas disponibles pour la période pertinente. À notre avis, ce problème est assez sérieux pour justifier la tenue d’un examen. Conformément aux conclusions tirées dans le rapport Drummond, lesquelles recommandent que les ministères améliorent leurs processus de collecte de données et établissent des politiques fondées sur des données probantes, nous sommes d’avis qu’il faudrait entreprendre d’évaluer l’effet des changements apportés à la Loi favorisant un Ontario propice aux affaires dans le but de déterminer si le nombre des réclamations a diminué depuis l’entrée en vigueur de cette loi et, dans l’affirmative, si le changement de politique a été le facteur déclencheur346. Si oui, cela justifierait que l’on reconsidère la décision de principe qui exige, en règle générale, que les employés entrent en contact avec leurs employeurs avant de déposer une réclamation en vertu de la LNE.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

11. Que le ministère du Travail :

a) recueille des données et procède à une évaluation afin de déterminer l’effet de la politique exigeant que les employés fassent des démarches auprès de leur employeur avant de déposer une réclamation fondée sur la LNE;

b) envisage d’éliminer la politique si l’évaluation révèle l’existence d’effets négatifs, comme une diminution du nombre des réclamations due aux changements de principe.

12. Que le ministère du Travail améliore les communications au sujet des exemptions permettant aux travailleurs vulnérables de faire des démarches auprès des employeurs au début d’une réclamation fondée sur la LNE.

Activer Et Faciliter Le Traitement Des Réclamations En Vertu De La LNE
Lors des consultations, il a été indiqué que les longs délais de règlement des réclamations déposées en vertu de la LNE posaient des problèmes347. Pour améliorer les choses, le ministère du Travail a mis sur pied un groupe de travail en août 2010 en vue de régler un arriéré de 14 000 plaintes liées aux normes d’emploi. En octobre 2011, l’arriéré n’existait plus348. Certains ont critiqué ce processus parce qu’il encourage les travailleurs à accepter moins que ce qui leur est dû à titre de règlement, une pratique que les défenseurs des droits des travailleurs considèrent négativement349.

Le fait d’aider personnellement les travailleurs à établir leur réclamation a été signalé comme un moyen d’améliorer l’accessibilité aux mesures de protection de la LNE et d’activer potentiellement le processus d’établissement des réclamations, ce qui compenserait les effets du manque d’accès à Internet ou des obstacles de nature linguistique. Des renseignements appropriés sur les réclamations pourraient aider en fin de compte le travail des arbitres lors du processus décisionnel350. Le professeur David Doorey, dans une proposition connexe, a envisagé l’idée d’un guichet unique pour les employés ayant besoin d’aide et de conseils en rapport avec les questions visées par la LNE, ainsi que celle d’un bureau correspondant pour les employeurs ou bien d’un bureau spécialisé servant les deux groupes351. Une aide personnelle directe pourrait être fournie par l’intermédiaire de centres d’aide juridique ou de bureaux financés par le gouvernement qui serviraient les travailleurs et les employeurs et qui rempliraient un rôle semblable à celui que joue le Bureau des conseillers des travailleurs (BCT) et le Bureau des conseillers du patronat dans les domaines de la sécurité et de l’assurance au travail. Le BCT précise que sa charge de travail actuelle lui cause certaines difficultés, en raison de son double mandat (travailleurs blessés non syndiqués et représailles visées par la LSST), de la complexité croissante des causes de la CSPAAT et des demandes de participation aux questions stratégiques352. Quelle que soit la façon dont le service est structuré, il serait important d’aider les travailleurs à faire valoir leurs réclamations et d’aider les employeurs à y répondre, en veillant à ce que les renseignements requis, présentés sous la forme appropriée, soient soumis au ministère. Des réclamations et des réponses convenablement documentées auraient pour effet d’activer le processus de règlement des réclamations, ainsi que d’en améliorer la qualité. Comme le souligne le professeur Doorey, il est également important de soutenir des employeurs. À notre avis, les petites entreprises bénéficieraient particulièrement de ce service.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

13. Que le gouvernement de l’Ontario facilite et active le processus d’établissement des réclamations déposées en vertu de la LNE en offrant aux travailleurs et aux employeurs un mécanisme leur permettant d’obtenir sur ce plan une aide personnelle grâce à des services de soutien additionnels, comme les centres d’Aide juridique Ontario, le Bureau des conseillers des travailleurs ou d’autres types de services d’aide aux travailleurs et aux employeurs.

Le Délai De Prescription Et Le Plafond Pécuniaire
L’article 111 de la LNE fixe un délai de prescription de six mois pour ce qui est du dépôt d’une plainte en matière salariale. Dans le cas d’un recouvrement de salaire, le délai de prescription est de douze mois lorsqu’il y a plus d’une violation relative au salaire du même employé, pourvu qu’une des violations ait eu lieu durant la période de six mois. Un délai de prescription de douze mois s’applique aussi au recouvrement d’une indemnité de vacances. Pour ce qui est des contraventions à l’égard desquelles la mesure de réparation sollicitée est une réintégration ou une indemnisation, le délai de prescription général est de deux ans aux termes du paragraphe 96(3). Les délais de prescription impératifs peuvent être prolongés dans des cas exceptionnels de dissimulation frauduleuse dans le cadre de laquelle l’employé a été induit en erreur353.

Le délai de prescription plus court qui a été établi pour les recouvrements de salaire a été adopté en 1996. Lors de son adoption, le gouvernement a fait valoir qu’il s’agissait d’un moyen d’améliorer l’efficacité administrative, d’augmenter les chances de succès des enquêtes et de l’application de la loi, de mieux utiliser l’argent des contribuables et d’introduire une certaine souplesse, ce qui profiterait aux travailleurs et aux employeurs354. Cependant, ce changement a suscité la controverse à l’époque. Aujourd’hui, des intervenants continuent à demander un retour au délai de prescription de deux ans qui existait avant 1996. Ils soutiennent que les plaignants retardataires n’ont aucun recours en vertu de la LNE et ont pour seul choix de demander réparation devant les tribunaux civils. Les plaignants trouveront difficile de suivre le processus judiciaire. Des observateurs ont fait remarquer que la plupart des plaintes sont déposées après que les travailleurs ont quitté l’emploi en question, et certains d’entre eux quittent leur emploi alors que des montants considérables de salaire impayé leur sont dus. [traduction] « La suppression d’emplois et les difficultés que représente le fait d’apprendre comment faire valoir ses droits en matière de NE » font que le délai de prescription de six mois présente un obstacle de taille à ceux qui veulent avoir accès aux mesures de protection qu’offre la LNE355. Malgré cela, la plupart des provinces prévoient actuellement des délais de prescription de six à douze mois. La LNE impose également un plafond pécuniaire de 10 000 $ pour le recouvrement des sommes dues. Selon les critiques, [TRADUCTION] « le plafond de 10 000 $ que la LNE impose aux sommes d’argent qu’il est possible de recouvrer laisse ces travailleurs sans recours par l’entremise du processus de réclamation [lié aux normes d’emploi] »356.

Les augmentations récentes du salaire minimum, ainsi que le fait que la plupart des plaignants visés par la LNE ont quitté leur emploi, donnent à penser que l’on pourrait songer à étendre le délai de prescription que prévoit la LNE pour les cas de recouvrement de salaire et à hausser le plafond pécuniaire à 25 000 $357. Une sanction pécuniaire plus élevée ferait concorder le plafond de la LNE avec celui de la Cour des petites créances. À notre avis, il ne semble pas y avoir de justification suffisamment valable pour plafonner la LNE à un taux inférieur à celui de la Cour des petites créances. Par contre, le délai de prescription a été établi et maintenu depuis 1996 dans une fourchette compatible avec celle des autres provinces. Un retour à un délai de prescription de deux ans semble ne pas correspondre aux tendances actuelles. Quelle que soit l’analyse, l’efficacité et la capacité d’enquêter avec succès sont des objectifs importants qui profitent à toutes les parties et qui permettent d’utiliser efficacement les ressources du gouvernement. Cependant, nous comprenons aussi que la plupart des travailleurs attendent d’avoir quitté leur emploi avant de présenter une réclamation et peuvent ainsi avoir perdu leur droit de réclamer des salaires impayés depuis longtemps. Nous aimerions que soit prévu un pouvoir discrétionnaire de proroger le délai de prescription dans les cas où, en raison de circonstances atténuantes, la réclamation n’a pas été présentée dans le délai de six mois. Pour ce faire, il faudrait apporter une modification législative prévoyant que le directeur a le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai dans des circonstances particulières. Une politique pourrait être élaborée pour préciser les raisons du défaut de présenter une réclamation en temps opportun qui pourraient entraîner l’exercice d’un tel pouvoir discrétionnaire. Une disposition d’application générale pourrait permettre d’examiner d’autres raisons possibles, au gré du directeur, l’objectif général étant de fournir un meilleur accès à la justice aux travailleurs les plus vulnérables.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

14. Que le gouvernement de l’Ontario :

a) modifie la LNE de manière à prévoir une prorogation du délai discrétionnaire pour les réclamations de salaire dans des circonstances particulières;

b) hausse le plafond pécuniaire que fixe la LNE à 25 000 $.

Les Plaintes D’une Tierce Partie Et Les Plaintes Anonymes
[traduction] Rares sont les employés non syndiqués qui déposent une plainte en vertu de la LNE. Les mécanismes d’exécution de cette dernière sont utilisés presque exclusivement par des employés syndiqués, qui peuvent déposer un grief dans le cadre d’une convention collective, ainsi que par d’anciens employés, congédiés par leur employeur ou ayant démissionné358.

Le vérificateur général a exprimé un point de vue analogue359. Cela dénote l’existence d’un système qui ne répond pas au besoin de protéger les travailleurs pendant qu’ils exercent un emploi. Il a été proposé, à titre de recours partiel, que le ministère du Travail accepte de recevoir les plaintes d’une tierce partie ainsi que les plaintes anonymes :

[traduction] […] en vue d’effectuer des inspections de façon à atténuer les menaces faites aux travailleurs dont les droits sont violés. La mise en oeuvre de cette recommandation signifierait que les travailleurs exerçant un emploi particulièrement précaire, et faisant face à des menaces accrues de représailles, ne seraient pas obligés de s’en prendre à leurs employeurs […]360.

On nous a informés que le ministère du Travail acceptera des renseignements anonymes/fournis par des tiers et qu’une inspection peut être lancée sur la foi de ces renseignements. Il est possible de fournir des renseignements directement sur le portail des normes d’emploi du site Web du ministère ou en appelant le Centre d’information sur les normes d’emploi (centre d’appels)361. Cependant, cette option n’est pas annoncée et ne semble pas être bien connue. Il est souhaitable, selon nous, que le ministère du Travail établisse un mécanisme facile d’accès et bien annoncé permettant de recevoir les informations de tierces parties. Ces informations pourraient servir de moyen de déterminer ou de cibler des inspections proactives. Comme l’a souligné le gouvernement dans ses commentaires sur le rapport préliminaire, la capacité du ministère de répondre aux renseignements fournis de façon anonyme a des limites. Cependant, à notre avis, il pourrait s’agir d’un mécanisme important servant à répondre aux nombreuses préoccupations sérieuses que nous avons entendues au sujet des représailles exercées362. Il pourrait être nécessaire d’examiner si les dispositions de la LNE en matière de protection contre les représailles protégeront suffisamment les employés qui sont aussi des tiers plaignants lorsque leur identité est connue, ou s’il existe une protection pour les employés au nom desquels un tiers plaignant (à l’extérieur du lieu de travail) présente une plainte.

Dans les observations qu’ils ont présentées à la CDO, les représentants des employeurs ont souligné l’importance d’établir des freins et contrepoids intégrés de façon à garantir que les plaintes non fondées et vexatoires ne déclenchent pas des inspections coûteuses et injustifiées363. Il s’agit d’un argument valable. Il serait important d’élaborer des critères de principe permettant de déterminer si des informations émanant d’une tierce partie, en soi ou de pair avec d’autres informations dont disposent les inspecteurs, constitueraient un fondement suffisant pour justifier le déclenchement d’une inspection.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

15. Que le ministère du Travail :

a. établisse un mécanisme accessible et bien annoncé – comme une ligne d’assistance téléphonique – qui permettrait aux ANE de recevoir des plaintes de tierces parties ou des plaintes anonymes susceptibles de déclencher la tenue d’une inspection proactive;

b. fixe des critères de principe correspondants afin de garantir que les plaintes non fondées ne déclenchent pas d’inspections injustifiées.

Rendant compte des pratiques relatives à l’exécution de la LNE en 2004, le vérificateur général s’est dit préoccupé par le fait que le ministère du Travail axait ses efforts presque entièrement sur les enquêtes relatives aux plaintes individuelles déposées contre d’anciens employeurs, et ce, même si des inspections proactives antérieures avaient mis au jour des contraventions dans 40 % à 90 % des cas. Comme il a été mentionné plus tôt, d’autres ont fait écho à cette préoccupation364. Le vérificateur général a conclu qu’il n’y avait pas eu d’améliorations importantes depuis qu’une vérification, menée en 1991, avait révélé l’existence de lacunes sur le plan des enquêtes, des inspections proactives et des poursuites. Dans son rapport de 2004, il a recommandé que l’on effectue plus d’inspections proactives, que l’on donne de meilleurs conseils aux ANE en matière d’exécution et que le ministère évalue l’effet d’obliger les employeurs à payer les frais d’une enquête lorsqu’on relevait une contravention. Dans son rapport complémentaire de 2006, le vérificateur général a constaté que des progrès avaient été accomplis dans certains secteurs, mais il a découvert que la recommandation selon laquelle les employeurs contrevenants devraient payer les frais d’inspection n’avait pas été mise en oeuvre. Cependant, le ministère s’est engagé à envisager d’apporter ce changement lors d’un examen législatif futur. Les représentants des employeurs ont dit craindre que le recouvrement des frais d’inspection pour les infractions mineures aient pour effet d’imposer des pénalités sans commune mesure avec la violation et d’éroder le soutien des employeurs à la conformité à la LNE365. À notre avis, leurs préoccupations sont fondées; par conséquent, nous ne proposons pas nécessairement une approche uniformisée. Une telle modification nécessiterait clairement l’élaboration de politiques visant à identifier les situations appropriées et la mesure dans laquelle l’outil serait utilisé dans chaque situation.

Le vérificateur général a fait remarquer que le ministère du Travail avait augmenté le nombre d’inspections proactives, lequel était passé de 151 en 2003‑2004 à 2 355 en 2004-2005 et à 2 560 en 2005-2006. Il a considéré qu’il s’agissait là des nouveaux niveaux de référence à partir desquels établir les objectifs futurs366. Le nombre d’inspections proactives a chuté de plus de 50 % en 2010-2011, lorsque seulement 1 093 inspections ont été menées. Cependant, il y en a eu 2 248 en 2011-2012367. Le ministère du Travail indique actuellement que les intervenants seront consultés dans le cadre du Programme des normes d’emploi, alors que celui-ci adopte [TRADUCTION] « un modèle d’application de la loi plus proactif ». L’équipe consacrée à l’application de la loi [TRADUCTION] « se concentrera sur les récidivistes et les secteurs à risques élevés pour les travailleurs vulnérables »368.

Il a été recommandé de prioriser les secteurs à risque élevé où l’on trouve des travailleurs vulnérables dans les lieux de travail où une intervention aura un effet marqué et permettra de jouer un rôle dissuasif369. Les campagnes d’exécution et de sensibilisation sont soutenues, et elles ciblent les secteurs [traduction] « fissurés » dans lesquelles les décisions sont « téléchargées » par de gros employeurs à un réseau complexe d’employeurs de plus petite taille, comme c’est le cas dans les secteurs de l’accueil, des services de conciergerie et de la construction370.

Comme il a été mentionné, il serait efficace que le ministère du Travail veille à ce que la représentation disproportionnée de travailleurs vulnérables dans certains secteurs et certains groupes soit prise en considération au moment de déterminer les secteurs à cibler en vue d’une augmentation des inspections proactives. Par exemple, nos consultations ont révélé que les travailleurs étrangers temporaires étaient régulièrement tenus de travailler tard et la fin de semaine sans recevoir une rémunération d’heures supplémentaires ou une indemnité de vacances. Dans certains cas, des travailleurs migrants qui travaillaient aux côtés de travailleurs canadiens ont signalé que l’on demandait rarement à ces derniers d’effectuer des heures supplémentaires et, selon les informations que nous avons reçues ils étaient généralement mieux traités. Nous avons entendu parler de cas où les tentatives que les travailleurs migrants avaient faites pour faire état de ce genre de préoccupations auprès des employeurs avaient mené à des représailles de la part de ces derniers, qui avaient insisté pour qu’ils effectuent des heures additionnelles en les menaçant de les congédier s’ils refusaient. Nous avons entendu parler d’agressions sexuelles à l’endroit d’employées dans les lieux de travail371.

Dans ses commentaires, le Chinese Interagency Network of Greater Toronto a proposé que l’on mène un plus grand nombre d’enquêtes élargies pour réduire la dépendance à l’égard de l’application volontaire de la LNE au moyen de réclamations individuelles372. La vérification de 1991 a spécifiquement indiqué que la nonaugmentation du nombre des enquêtes était un problème important. Lorsque des violations étaient constatées, l’enquête n’était pas étendue de manière à déterminer si d’autres employés avaient été victimes de violations semblables. Dans son rapport de 2004, le vérificateur général n’a relevé aucune augmentation marquée du nombre des enquêtes étendues concernant des contraventions confirmées.

Pour pouvoir bien remplir son mandat, le ministère a l’obligation de protéger les droits des employés encore au service de l’employeur qui hésiteraient à déposer une demande de paiement.

Le fait, pour le ministère, d’étendre à d’autres employés du même employeur les enquêtes sur des demandes de paiement qui visent des sommes élevées, et ce, afin de déterminer l’existence d’autres infractions, serait un moyen efficace et efficient d’appliquer les normes d’emploi373.

Cependant, selon le rapport du vérificateur général, en date de l’année 2006, il n’y avait eu aucune amélioration notable du nombre d’enquêtes étendues menées par le ministère374. Il semble qu’il s’agisse d’un problème récurrent. Lorsque l’absence d’enquêtes élargies a été signalée en 1991, 1 795 enquêtes élargies avaient eu lieu (sur 18 582 plaintes). Le nombre d’enquêtes élargies était passé à 802 en 2003-2004. Bien qu’on nous informe que le ministère procède à la réinspection de 10 % des employeurs au cours d’une année donnée, les plus récentes données indiquent qu’il y a eu cinq enquêtes élargies en 2010-2011 et qu’il y en a eu 53 en 2011-2012375. Le ministère du Travail a précisé qu’il peut s’agir d’une sous-estimation du nombre d’enquêtes élargies, en raison de la façon dont les renseignements sont enregistrés dans la base de données376.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

16. Que le ministère du Travail :

a) augmente considérablement le nombre des inspections proactives, surtout dans les secteurs à risque élevé, en se fondant sur des niveaux de référence établis;

b) établisse des initiatives d’exécution proactives et stratégiques, qui ciblent les lieux de travail où les risques de contravention sont élevés, y compris ceux formés de concentrations de travailleurs étrangers temporaires, de travailleurs d’agences temporaires, d’immigrants récents, de travailleurs racialisés, de jeunes, de handicapés et d’Autochtones, ainsi que les secteurs reconnus pour leurs taux élevés de pratiques inférieures aux normes en vigueur;

c) mène des enquêtes étendues quand il décèle des contraventions;

d) veille à ce que les activités d’exécution comprennent un suivi des contraventions antérieures.

17. Que le gouvernement de l’Ontario modifie la LNE afin de permettre que soient rendues des ordonnances exigeant que les employeurs ayant contrevenu à la LNE assument les frais des enquêtes et des inspections, lorsque les circonstances s’y prêtent.

3. Les pénalités

Il existe diverses sanctions qui peuvent être imposées à la suite d’une contravention à la LNE. Les agents des normes d’emploi ont le pouvoir discrétionnaire de recourir ou non à ces options : les ordonnances de versement du salaire (jusqu’à concurrence de 10 000 $ par employé, en plus des frais d’administration), les ordonnances d’indemnisation ou de réintégration, les ordonnances de conformité, les amendes (295 $, en plus de la suramende compensatoire et des dépens), les avis de violation (250 $ pour la première violation, jusqu’à concurrence de 1 000 $ pour les violations ultérieures, la somme étant dans plusieurs cas multipliée par le nombre d’employés touchés) et les poursuites (amende maximale de 50 000 $ pour les particuliers ou 12 mois d’emprisonnement, ou les deux, 100 000 $ pour les personnes morales et un montant plus élevé pour les condamnations ultérieures, jusqu’à concurrence de 500 000 $). De plus, le tribunal peut exiger que l’employeur paie les salaires impayés, indemnise l’employé ou réintègre celui-ci dans ses fonctions.

Le vérificateur général a fait remarquer qu’au cours des cinq années antérieures à 2004, il n’y avait eu que 63 déclarations de culpabilité en vertu de la LNE. Des poursuites n’avaient pas été engagées, même si les montants à payer étaient élevés. Dans son rapport de 2004, il a recommandé que le ministère du Travail donne de meilleures instructions aux ANE à propos de l’utilisation appropriée des mesures d’exécution, y compris les avis de contravention et les poursuites, et qu’il surveille davantage l’utilisation de ces mesures afin d’assurer une certaine uniformité d’application. Après la publication du rapport du vérificateur général, les poursuites ont atteint un sommet de 594 en 2006-2007 et de 505 en 2008-2009, mais elles sont tombées à 196 en 2010-2011, et quatre d’entre elles seulement ont été des poursuites engagées en vertu de la partie III de la Loi sur les infractions provinciales (LIP), qui ont donné lieu à l’imposition d’une amende plus sévère377. Les poursuites sont dans une très large mesure du type de la partie I, ce qui donne lieu à des amendes d’un montant total de 360 $ ou moins378. Les défenseurs des droits des travailleurs sont d’avis que [traduction] « les avis de contravention ne sont pas une mesure efficace contre les violations au départ, pas plus qu’ils ne servent de mesure dissuasive contre les violations en cours ou à venir »379. 

Les commentateurs conviennent que le système doit disposer de pénalités et de sanctions efficaces, et les appliquer380. Certains observateurs sont en faveur de normes législatives ou de principe plus sévères, laissant moins de pouvoirs discrétionnaires entre les mains des ANE381. D’autres suggestions comprennent des amendes prescrites par la loi pour les contraventions confirmées, même dans le cadre du processus de règlement, ainsi qu’une intensification des poursuites. En général, les consultations ont révélé un certain mécontentement face à l’application actuelle des pénalités, jugées inefficaces pour dissuader les employeurs non conformes. Les défenseurs des droits des travailleurs ne soutiennent pas l’application généralisée que l’on fait à l’heure actuelle des avis de contravention en vertu de la partie I de la LIP qui, à leur avis, n’encouragent pas suffisamment la conformité. Ils préconisent plutôt des amendes qui doublent ou triplent le montant à payer, ainsi que le paiement d’intérêts sur tout salaire non versé, un pouvoir dont les ANE ne disposent pas à l’heure actuelle. Les défenseurs des droits des travailleurs considèrent que les frais administratifs de 10 % que l’on impose aux ordonnances de versement de salaire sont un moyen insuffisant d’inciter les employeurs non conformes à payer les salaires qui sont dus382.

La CDO convient qu’il est nécessaire de recourir à des sanctions efficaces pour faire respecter la loi. Les 196 poursuites engagées en 2010-2011 étaient le résultat d’environ 17 000 plaintes383. Le Guide de politique et d’interprétation concernant la LNE, qui s’adresse aux ANE, aux avocats, aux spécialistes des ressources humaines et à d’autres personnes, explique les dispositions législatives applicables et la jurisprudence. Cependant, ce document donne fort peu d’instructions précises aux ANE quant à l’application des diverses sanctions. Si, d’une part, les ANE doivent avoir la souplesse requise pour pouvoir réagir convenablement au très grand nombre de circonstances individuelles qu’ils rencontrent, ils ont également besoin d’instructions claires au sujet du moment où engager des poursuites, notamment dans les cas où il est nécessaire de prendre des mesures dissuasives dans le cas des récidivistes et d’une inobservation délibérée des ordonnances de paiement. Certains commentateurs ont demandé des politiques de poursuites obligatoires. Nous ne sommes pas d’accord. De telles politiques peuvent avoir des conséquences négatives imprévues parce qu’elles injecteraient une rigidité inutile dans le système. Le régime existant possède des mécanismes de dissuasion adéquats : cependant, dans sa mise en oeuvre actuelle – par exemple, en raison de l’utilisation des procès-verbaux comme sanction principale – il est moins efficace qu’il pourrait l’être. À notre avis, il faudrait recourir davantage aux sanctions plus dissuasives qui sont disponibles dans le cadre du régime législatif actuel lorsque les circonstances s’y prêtent.

Il faudrait fournir aux ANE des instructions et une formation précises qui mettraient l’accent sur la dissuasion dans le choix des pénalités et des sanctions à imposer (c.-à-d., avis de violation et poursuites) dans les cas de récidive et d’inobservation délibérée. À notre avis, les récidivistes sont notamment ceux qui ont fait l’objet d’ordonnances antérieures telles que les ordonnances de versement du salaire prévues par la LNE.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

18. Que le ministère du Travail affermisse les directives de principe fournies aux ANE ainsi que les activités de formation de soutien afin que les ANE choisissent des sanctions dissuasives dans les cas appropriés, surtout pour les récidivistes et pour ceux qui, délibérément, ne se conforment pas aux ordonnances de paiement.

E. Les mécanismes qui étayent les mesures d’observation et d’exécution

1. L’apport et la participation des employés

Le professeur Anil Verma soutient que « l’employé peut apporter une contribution tout à fait précieuse à l’amélioration des normes du travail »384 . D’autres commentateurs sont d’accord. Prenant appui sur ce concept, la CDO a examiné les façons d’améliorer la connaissance et l’observation de la LNE grâce à un meilleur « apport des employés » par l’entremise de conseils de travail mixtes employés-employeurs. Ce cadre existe en Ontario sous le régime de la Loi sur la santé et la sécurité au travail, sous la forme d’un système de comités mixtes sur la santé et la sécurité au travail385. Nous avons étudié la notion d’importer un tel système dans la LNE en vue d’améliorer l’observation, particulièrement dans les lieux de travail non syndiqués employant des travailleurs à faible revenu. 

Roy Adams a proposé d’adopter le modèle allemand des conseils de travail des employés386. Selon ce modèle, les conseils de travail sont un organe élu et obligatoire dans les lieux de travail allemands comptant cinq employés ou plus. Le conseil a des droits prévus par voie législative en matière de consultation, d’information et de participation. Les droits de participation, appelés « codétermination », autorisent à exercer une compétence décisionnelle mixte à l’égard d’un large éventail de sujets, dont les heures, la santé et la sécurité au travail, la formation, la classification des postes ainsi que les congédiements individuels et massifs. Les conseils de travail coexistent avec les syndicats387. À moins que la convention collective l’approuve, les conseils de travail ne s’occupent pas de la négociation des salaires388. Selon Adams, ce modèle est considéré comme efficace, tant par le patronat que par les syndicats; il considère que sa résilience, à la suite des ralentissements économiques survenus dans les années 1980 et 1990, est un indice de ce succès389.

En 2006, le professeur Verma a fait remarquer que même si l’Union européenne s’est servie de ce modèle pour concevoir diverses mesures destinées à intensifier la participation des travailleurs, le gouvernement allemand évaluait le système des conseils de travail au vu d’une concurrence internationale accrue et a procédé à des changements de nature législative pour l’adapter à l’évolution de la situation390. Dans bien des cas, les changements ont affermi le système. La procédure d’élection a été simplifiée, les conseils pouvaient maintenant être établis pour d’autres types de relations commerciales, comme des conseils de travail mixtes recoupant des entreprises connexes, ou il était possible de créer des conseils divisionnaires pour des produits ou des types d’entreprise particuliers. La portée des activités des conseils a été accrue, et des politiques en matière d’équité et de discrimination ont été introduites. Le professeur Verma a conclu que « les conseils de travail n’étaient pas des moyens parfaits de résister aux pressions de la mondialisation », pas plus que l’on pourrait transférer globalement le modèle allemand au lieu de travail canadien. Il a toutefois souligné la valeur des principes sur lesquels sont fondées les conditions de travail pour ce qui est des décisions prises conjointement au sujet des lieux de travail 391.

En se fondant sur ce concept, nous avons examiné la possibilité de créer un modèle de conseils de travail dans les lieux de travail de l’Ontario, qui auraient pour objectif d’accroître la participation et la connaissance des employés, d’engager des discussions entre les employeurs et les employés sur des sujets liés à la LNE et, peut-être, de régler les différends. Si le conseil était mis en oeuvre efficacement, son existence contribuerait à réduire l’isolement des travailleurs en créant un système de soutien et de représentation au sein du lieu de travail. Les ANE pourraient se fonder sur le conseil de travail comme source d’informations lors de leurs enquêtes ou de leurs inspections. L’introduction des conseils de travail obligerait à former les représentants des employés et des employeurs. Ce fait à lui seul pourrait avantager le lieu de travail grâce à une amélioration des connaissances. Lors de nos consultations, il a été suggéré que l’établissement des conseils de travail en vertu de la LNE pourrait être facilité en « greffant » ces conseils à la structure existante des comités mixtes que prévoit la LSST.

Les membres du Groupe consultatif du projet ont réagi de façon différente à l’idée générale d’introduire des conseils de travail et, plus précisément, d’utiliser l’actuel régime de la LSST pour leur implantation. Certains membres représentant les intérêts des travailleurs ont indiqué que les comités établis en vertu de la LSST ne sont pas fonctionnels ou efficaces dans de nombreux lieux de travail et ont exprimé des préoccupations au sujet de l’intimidation et des représailles dans les lieux de travail non syndiqués. Les membres représentant les employeurs ont signalé que les comités de santé et de sécurité fonctionnent bien dans un milieu non syndiqué et que la plupart des employés ne fonctionnent pas bien dans un état de crainte à l’égard de l’employeur. Cependant, ils ont fait part de leurs préoccupations à l’égard des coûts de ces conseils. Les représentants du gouvernement ont fait valoir qu’il était possible que le format des conseils de travail mixtes prévus par la LSST ne puisse être facilement transposé au contexte de la LNE392. Les mêmes préoccupations ont été exprimées dans les commentaires sur le rapport préliminaire provenant du Workers Action Centre et des Parkdale Community Legal Services. On nous a informés que les employés dans les lieux de travail non syndiqués sont mal placés pour faire appliquer la LNE, en raison des déséquilibres de pouvoir qui existent dans les lieux de travail non syndiqués. Il faudrait [TRADUCTION] « une formation externe sur la LNE [et] […] une procédure de traitement des plaintes des employés au sein du ministère du Travail en cas de représailles ou de violation du mandat du conseil »393 . Les TCA ont souligné l’absence d’un rôle pour les syndicats et ont exprimé la préoccupation selon laquelle les conseils de travail favoriseraient des solutions de rechange à la syndicalisation qui nuiraient aux tentatives de former un syndicat au sein des entreprises non syndiquées394. Cependant, nous constatons que le modèle travailleur-employeur mixte visé par la LSST existe tant au sein des entreprises syndiquées qu’au sein des entreprises non syndiquées. De plus, de nombreux lieux de travail mentionnés dans le présent projet sont non syndiqués395.

Nous comprenons les préoccupations qui ont été exprimées. Cependant, vu les difficultés auxquelles les travailleurs vulnérables sont confrontés, nous sommes d’avis qu’il est important d’examiner de nouvelles façons d’aborder les questions relatives au maintien des normes minimales. Nous ne pouvons continuer à nous fier complètement aux pratiques et procédures existantes. L’élaboration d’un mécanisme permettant d’intégrer certains des principes des conseils de travail aux lieux de travail non syndiqués pourrait aider à s’adapter à la nature changeante du lieu de travail moderne. Dans notre rapport préliminaire, nous nous sommes penchés sur la valeur d’un projet pilote dans certains lieux de travail non syndiqués ayant des concentrations de travailleurs vulnérables. Bien que nous soutenions encore l’idée d’un tel projet, les commentaires que nous avons reçus nous portent à croire qu’une approche plus conservatrice est justifiée. Pour le moment, nous recommandons simplement que la notion d’élaborer et d’utiliser certains des principes des conseils de travail dans les lieux de travail non syndiqués ayant des concentrations de travailleurs vulnérables soit étudiée dans le cadre de consultations gouvernement-intervenants. Selon les résultats de ces consultations, un projet pilote devrait être envisagé.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

19. Que le ministère du Travail étudie, dans le cadre de consultations avec des intervenants, la notion d’utiliser les principes des conseils de travail dans les lieux de travail non syndiqués où l’on trouve une concentration élevée de travailleurs vulnérables.

2. Mettre l’accent sur l’échelon supérieur de l’industrie

Dans son rapport de 2010 sur les mesures d’exécution stratégique qu’il a établi pour la Division des heures de travail et des salaires du département du Travail des États- Unis, David Weil a reconnu que, à cause des effets extrêmes de la concurrence, les entrepreneurs s’éloignaient de l’emploi direct pour s’orienter plutôt vers la soustraitance et le recours aux travailleurs temporaires et aux travailleurs d’agences temporaires, et que cela avait pour résultat d’affaiblir l’effet des approches classiques à l’égard de l’exécution. Ce « fissurage » de l’emploi par le recours à des travailleurs externes, selon Weil, oblige à réagir en se concentrant sur les [traduction] « niveaux supérieurs des structures de l’industrie de façon à changer le comportement aux niveaux inférieurs, où les violations risquent le plus de survenir »396. Le rapport appuie une approche coordonnée à l’égard des mesures d’exécution stratégiques, en identifiant et en priorisant les lieux de travail où il y a une forte concentration de travailleurs vulnérables, qui sont moins susceptibles de se plaindre, ainsi que les secteurs où il y a des chances de changer les comportements des employeurs. L’une des stratégies analysées est celle où le gouvernement intervient auprès des échelons supérieurs de l’industrie ou d’une entreprise au moyen de communications non confrontationnelles faisant ressortir la détermination du gouvernement à l’égard du respect des normes d’emploi ainsi que le rôle important que joue l’échelon supérieur de l’industrie.

Dans son rapport, Weil propose de cibler des entreprises de marque afin d’encourager les membres de la direction qui travaillent sur le terrain à respecter les normes d’emploi. Les entreprises de ce genre se fient à leur « image de marque » pour créer un produit unique, doté d’une base de clientèle fidèle qui est disposée à payer un surplus pour la marque. Pour ces entreprises, une bonne image est importante, et les gouvernements peuvent exploiter cet intérêt en vue d’inciter les entreprises à agir comme chefs de file au sein de leur domaine de marque en donnant la priorité à l’observation des normes d’emploi à l’égard des travailleurs externes qui sont affiliés à leur entreprise. Les employeurs respectueux des normes pourraient être mis en évidence dans des campagnes publiques et bénéficier d’encouragements additionnels par des formes de reconnaissance spéciale. De plus, parmi ces entreprises, le fait de rendre publics les résultats obtenus sur le plan de l’observation ou de l’inobservation inciterait de manière importante les entreprises et les marques rivales au sein du secteur à se conformer aux exigences.

Dans son rapport, Weil propose de coordonner les activités d’exécution parmi les succursales ou les franchises d’une entreprise de marque. Il recommande que dans les cas où l’on décèle des violations, une partie de la solution pourrait comprendre une entente exhaustive visant la totalité des points de vente ou des succursales d’une entreprise particulière. Les communications concernant les objectifs à atteindre sur le plan de l’exécution et les solutions établies comme celles qui précèdent pourraient être annoncées de manière très visible au sein des entreprises qui emploient des travailleurs vulnérables. Il serait ainsi possible de faire pression sur les chaînes d’approvisionnement. Par souci d’efficacité, il serait nécessaire d’imposer des pénalités dissuasives si l’on décelait des violations397. Vu que les petites entreprises sont tenues par la loi de se conformer à la LNE, on nous a demandé à quoi il servirait de faire participer les plus grandes entreprises à l’observation de la chaîne d’approvisionnement. À notre avis, étant donné que la sous-traitance et l’externalisation sont une réalité de la nouvelle économie et que les ressources du ministère du Travail consacrées à l’application de la loi sont limitées, il convient de faire assumer aux plus grandes entreprises la responsabilité des effets de la sous-traitance, pour assurer le respect des exigences dans toute la chaîne d’approvisionnement. On a fait valoir qu’il serait utile de recourir à de telles méthodes pour encourager les grandes entreprises à inciter les entreprises affiliées à adopter des normes plus élevées que les normes minimales398. Nous convenons qu’une telle solution pourrait être intégrée à une échelle croissante de mesures de reconnaissance et incitatives destinées aux grandes entreprises qui assument la responsabilité des actions des entreprises qu’elles engagent. D’autres moyens de mobiliser les chaînes d’approvisionnement sont analysés dans le chapitre portant sur la santé et la sécurité.

Les politiques des salaires équitables en vigueur dans certaines municipalités ontariennes, dont plusieurs s’inspirent du modèle de la ville de Toronto, sont un autre mécanisme qui repose sur l’idée d’imposer à l’employeur principal la responsabilité de s’assurer du respect des exigences et du caractère équitable des salaires des soustraitants. Les politiques des salaires équitables protègent les travailleurs en exigeant que les entrepreneurs auprès de la ville paient les sous-traitants aux taux courants indiqués dans l’annexe des salaires équitables. Ces politiques exigent le respect des conditions et heures de travail acceptables. Au départ, la Politique des salaires équitables ne s’appliquait qu’au secteur de la construction. Par la suite, elle s’est élargie pour s’appliquer à d’autres secteurs industriels, comme ceux des services de bureau et de nettoyage. Elle tente de créer des règles du jeu équitables pour les concurrents syndiqués et non syndiqués et protège les travailleurs. Fait à noter, les politiques des salaires équitables ne s’appliquent pas aux petites entreprises et peuvent être abandonnées dans certaines circonstances. Les politiques des salaires équitables ont suscité la controverse et ont été critiquées au cours des dernières années pour avoir entraîné une hausse des coûts. Cependant, les partisans de ces politiques font valoir que celles-ci ne font pas augmenter les coûts de façon importante399. Le gouvernement de l’Ontario a adopté depuis 1995 une politique sur les justes salaires pour les contrats relatifs à la construction, au nettoyage des immeubles et à la sécurité. En 2007, il a annoncé un examen de la politique, qui n’avait pas été mise à jour ni examinée depuis son adoption. Nous n’avons pu déterminer le résultat de cet examen. Bien que la portée des politiques des salaires équitables puisse être limitée dans la situation où se trouvent plusieurs travailleurs vulnérables, notamment au sein des petites entreprises, nous remarquons qu’elles ont permis de protéger les travailleurs grâce à une forme d’observation de la chaîne d’approvisionnement. Ainsi, certains de leurs principes pourraient servir à élaborer des politiques sur la chaîne d’approvisionnement pour les sous-traitants au sein des plus grandes entreprises400.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

20. Que le ministère du Travail :

a. élabore des processus d’intervention auprès de l’échelon supérieur de l’industrie pour s’attaquer aux cas d’inobservation de la LNE lorsque les travailleurs sont affiliés à l’entreprise, notamment ceux qui travaillent en sous-traitance pour de petites entreprises et les travailleurs d’agences temporaires;

b. cerne, reconnaisse et encourage les entreprises qui jouent un rôle de chef de file en s’assurant que l’on respecte les normes d’emploi et que l’on applique des normes plus élevées que les normes minimales pour les travailleurs externes, notamment ceux qui travaillent en sous-traitance pour de petites entreprises et les travailleurs d’agences temporaires.

3. Une réponse aux préoccupations des travailleurs étrangers temporaires relatives à crainte d’un rapatriement

Les travailleurs peu spécialisés au sein des programmes des travailleurs étrangers temporaires ont des préoccupations bien précises, en raison du fait que leur permis de travail canadien est directement lié à un employeur particulier. Un certain nombre de programmes de travailleurs étrangers temporaires permettent à un employé licencié de trouver un autre emploi dans un délai précisé, mais il existe d’importantes limites à leur capacité de transfert. Le contrat que prévoit le Programme des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS) prévoit le rapatriement de l’employé dans son pays d’origine quand l’employeur, en consultation avec l’agent du gouvernement, met fin à l’emploi pour cause d’inobservation, de refus de travailler ou d’un autre motif suffisant. Bien qu’il existe des mécanismes pour éviter un licenciement anticipé (lesquels sont décrits plus en détail ci-après), quand ces mécanismes échouent, les travailleurs visés par le PTAS doivent rentrer sans délai dans leur pays d’origine. Dans Made in Canada, il a été expressément souligné que les permis de travail liés sont l’une des principales causes de la vulnérabilité des travailleurs401. Selon les défenseurs des droits des travailleurs migrants, la solution consisterait à créer des permis de travail ouverts, propres à un secteur donné ou propres à une province donnée et, finalement, à prévoir des mécanismes permettant aux travailleurs d’obtenir la résidence permanente402.

Les permis de travail sont une fonction de l’immigration fédérale et ne sont donc pas visés par le présent rapport. Cependant, les recherches ont démontré que les préoccupations entourant le licenciement, le rapatriement ou le non-renouvellement d’un contrat peuvent dissuader de manière concrète les travailleurs d’avoir accès aux recours juridiques provinciaux qui sont destinés à les protéger403. Il n’est pas nécessaire que l’employeur menace expressément un travailleur de le rapatrier; cette menace peut être implicite. Ou alors la crainte découle simplement du statut temporaire des travailleurs migrants; ces derniers savent qu’ils peuvent être renvoyés chez eux ou non rappelés. Cela, nous a-t-on dit, étouffe concrètement les plaintes qu’un travailleur peut avoir au sujet d’un manquement aux normes d’emploi, à la législation en matière de santé et de sécurité ou aux normes en matière de logement404.

S’il est possible de rapatrier un travailleur sans chance d’appel ou d’examen indépendant, cela prive concrètement ce dernier des voies de recours juridique qu’offre la législation ontarienne, comme le fait de solliciter une protection en invoquant les dispositions anti-représailles que comporte la LNE405. Quand les travailleurs ne sont plus en Ontario, il leur est difficile d’exercer ces droits juridiques.

Les préoccupations que suscite le rapatriement ont aussi été évoquées dans le rapport Dean, relativement à l’examen de la santé et de la sécurité au travail406. En réponse, ce rapport a recommandé que l’on active l’audition des plaintes pour représailles à la Commission des relations de travail de l’Ontario, et les changements pertinents ont désormais été mis en oeuvre. À notre avis, il faudrait créer un mécanisme semblable dans le contexte de la Loi sur les normes d’emploi. Cela aiderait tous les travailleurs exposés à des représailles, mais tout particulièrement les travailleurs étrangers temporaires dont la vulnérabilité est plus marquée.

Bien que le processus de « désignation » que comporte le PTAS puisse être avantageux pour les travailleurs et les employeurs, il peut aussi créer chez les employés une certaine inquiétude, à savoir qu’ils ne seront pas « désignés » par l’employeur pour revenir au Canada l’année suivante ou qu’ils seront refusés par le ministère du Travail de leur pays d’origine. Les travailleurs ont indiqué qu’en raison de la disponibilité de travailleurs agricoles dans le cadre du projet-pilote concernant les niveaux C et D de la CNP, il existe un autre bassin de travailleurs qui peuvent remplacer les travailleurs actuellement visés par le PTAS.

Malgré les préoccupations évoquées au sujet du rapatriement, les taux de cessation d’emploi réelle des travailleurs visés par le PTAS ne sont pas élevés. Les F.A.R.M.S. ont indiqué que, sur le nombre approximatif de 15 000 travailleurs visés par le PTAS en 2009 et en 2010, seuls 73 et 120, respectivement, ont été rapatriés pour rupture de contrat et, pour toutes les raisons invoquées, environ 0,5 % seulement des travailleurs sont rapatriés407. C’est donc dire que les F.A.R.M.S. et les agents de liaison n’ont pas considéré que la cessation d’emploi est un outil qu’utilisent les employeurs visés par le PTAS pour exercer un contrôle abusif sur leurs travailleurs. Le Labour Issues Coordinating Committee (LICC) a précisé que [TRADUCTION] « [l]a plupart des lieux de travail agricoles sont de nature coopérative et l’employeur travaille coude à coude avec l’employé »408 . De plus, ils ont considéré que la cessation d’emploi était une voie de dernier recours. On nous a informés qu’avant d’y recourir les employeurs tenteront souvent de régler les problèmes directement avec les travailleurs. En cas d’échec, ils communiqueront souvent avec les F.A.R.M.S., qui, de pair avec l’employeur et l’agent de liaison, s’efforceront de régler le problème ou de négocier le transfert du travailleur en question à un autre employeur (avec l’accord de Ressources humaines et Développement des compétences Canada [RHDCC]). On nous a toutefois avisés que ces transferts n’ont pas lieu souvent409. Les F.A.R.M.S. ont signalé qu’une cessation d’emploi a des conséquences négatives pour les employeurs sur le plan des frais administratifs, des frais de déplacement et des autres frais à engager pour embaucher un travailleur visé par le PTAS, et ils ont souligné le rôle que jouent les agents de liaison dans le règlement des problèmes des travailleurs410. Les Services de liaison appuient ces points de vue, et ont indiqué qu’il n’y a pas de mesures de cessation d’emploi et de rapatriement effectuées, à volonté, par l’employeur. Dans le cadre du contrat d’emploi, l’agent de liaison doit être consulté avant une cessation d’emploi et, si l’employeur agit de manière déraisonnable, les F.A.R.M.S. intercèderont et discuteront de l’affaire avec lui. Il est possible aussi que cet employeur ne puisse plus disposer de travailleurs, mais cela n’est arrivé qu’à de rares occasions. Comme l’a souligné le Labour Issues Coordinating Committee, [TRADUCTION] « les travailleurs sont voulus et nécessaires pour la viabilité de l’entreprise […] des travailleurs blessés ou mécontents réduisent grandement l’efficacité dont l’entreprise a besoin »411.

Malgré les mécanismes établis dans le cadre du PTAS pour réduire le plus possible les cessations d’emploi, nos consultations et nos recherches ont néanmoins révélé que, parmi ces travailleurs, la perte d’emploi et le rapatriement suscitent de vives préoccupations412. C’est la peur elle-même, qui a été relevée dans la recherche comme principal élément empêchant les travailleurs de faire valoir leurs droits, qui les rend vulnérables à une exploitation de la part des employeurs non conformes413. Les travailleurs qui font partie des niveaux C et D de la CNP ont peut-être légèrement plus de mobilité en ce sens qu’ils peuvent demander d’être transférés s’ils sont capables de trouver un autre employeur admissible qui veut et peut obtenir une opinion sur le marché du travail (OMT) et entreprendre avec succès le processus d’embauche d’un travailleur étranger temporaire. Par contre, les travailleurs visés par le PTAS bénéficient de l’assistance des agents de liaison et des F.A.R.M.S. en cas de transfert414.

À notre avis, la réponse la plus efficace à la crainte de rapatriement des travailleurs serait d’élaborer un processus de prise de décision indépendante préalablement à un rapatriement. Étant donné que les cas réels de rapatriement surviennent peu souvent dans le cadre du PTAS, un tel processus ne devrait pas créer de difficultés importantes pour les employeurs participants. Cependant, il serait important de veiller à ce que le processus soit conçu pour minimiser les impacts sur les employeurs agricoles. Comme on ne semble pas disposer aisément de statistiques sur le rapatriement pour ce qui est du programme des niveaux C et D de la CNP, on ignore dans quelle mesure cela a lieu dans le cadre de ce programme mais, à l’évidence, ce genre de mécanisme serait avantageux pour les employés qui ne bénéficient pas des pratiques et de la supervision du PTAS et qui sont donc plus susceptibles d’avoir besoin de mesures de protection. Par ailleurs, la mise en oeuvre d’un niveau additionnel de supervision est peut-être un moyen d’améliorer la confiance des travailleurs étrangers temporaires et d’apaiser leurs craintes. À notre avis, un organisme décisionnel indépendant, formé de représentants du ministère du Travail ou de RHDCC ainsi que de représentants des travailleurs et des employeurs, aiderait à garantir que l’on n’utilise pas le rapatriement comme moyen de représailles contre les travailleurs qui tentent d’avoir accès leurs droits, ou que le rapatriement est, pars ailleurs, injustifié. Un tel mécanisme serait particulièrement important pour les travailleurs des niveaux C et D de la CNP. Le processus devrait être très simple et efficace. Il devrait permettre de se réunir et de prendre une décision dans des délais très courts. Il serait important que le système de prise de décision ne devienne pas surchargé en raison de la procédure et des retards. Bien que nous soyons en faveur de dispositions de réintégration provisoire quand les circonstances s’y prêtent, nous sommes conscients qu’il existerait des difficultés dans tout processus qui réintègre les employeurs et les employés dans une relation qui ne fonctionne plus pour l’une des parties ou les deux415.

Dans ses commentaires concernant le rapport préliminaire, le Labour Issues Coordinating Committee a précisé qu’il ne fallait pas surcharger de réglementation les employeurs agricoles pour réagir à une petite minorité d’employeurs fautifs. L’importance d’adopter des lois que les employeurs comprennent et en lesquelles ils croient a été qualifiée d’élément clé pour obtenir le respect des exigences. On nous a conseillé d’éviter les [TRADUCTION] « lois draconiennes » qui prévoient des sanctions disproportionnées par rapport à la gravité de l’infraction. Selon le Labour Issues Coordinating Committee, il était important [TRADUCTION] « [d]’informer, d’instruire et de conseiller, et d’imposer progressivement des sanctions de plus en plus graves pour modifier le comportement ». À notre avis, en principe, une approche progressive est logique, en reconnaissant qu’il est important de s’assurer que les employeurs récidivistes se voient imposer des sanctions appropriées.

Selon les commentaires du gouvernement concernant le rapport préliminaire, une solution de rechange à un processus décisionnel indépendant consisterait à fournir plus de renseignements aux participants au PTAS au sujet de la faible probabilité d’un rapatriement, des mesures de protection en place et du processus préalable au rapatriement. On a aussi proposé de renseigner les employés sur la façon d’aborder les employeurs et les agents de liaison pour leur faire part de leurs préoccupations et de renseigner les employeurs sur la façon de répondre convenablement aux préoccupations exprimées416. Il s’agit d’une bonne idée. Idéalement, une telle solution coexisterait avec le mécanisme décisionnel.

Dans ses commentaires concernant le rapport préliminaire, la section des libertés civiles et des droits de la personne de l’Association du Barreau de l’Ontario (ABO) a présenté un point de vue similaire à celui de Faraday, selon lequel un organe administratif devrait être créé pour entendre toutes les questions relatives aux modalités des contrats des travailleurs migrants avant le rapatriement417. La section de l’ABO a aussi souligné le fait important que les travailleurs migrants n’étaient parfois pas disponibles lors de l’audition de leur cause. La section de l’ABO a fait valoir que des modifications législatives s’imposaient pour [TRADUCTION] « permettre l’audition des plaintes des employés rapatriés au moyen d’autres formes de preuve, comme les affidavits ou les déclarations enregistrées sur bande magnétoscopique, et d’autres dispositions pour le contreinterrogatoire418 ». La question pourrait bénéficier d’un examen plus approfondi.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

21. Que le gouvernement de l’Ontario :

a. modifie la LNE afin d’y inclure un processus permettant de s’assurer du traitement accéléré des plaintes de représailles et, dans le cas des travailleurs migrants, de veiller à ce que ces plaintes soient entendues avant le rapatriement.

b. travaille avec les F.A.R.M.S. et d’autres organismes qui desservent les travailleurs visés par les programmes des travailleurs migrants temporaires peu spécialisés, afin de fournir :

i. des renseignements aux travailleurs migrants temporaires au sujet du processus du rapatriement hâtif et de la probabilité d’un tel rapatriement;
ii. une formation aux employés quant à la façon d’aborder les employeurs et les agents de liaison pour leur faire part de leurs préoccupations;
iii. une formation aux employeurs quant à la façon de s’assurer que les employés se sentent à l’aise pour exprimer leurs préoccupations et que les employeurs sont réceptifs à ces préoccupations.

22. Que le gouvernement de l’Ontario, en coordination avec le gouvernement fédéral :

a) établisse un processus décisionnel indépendant en vue de revoir les décisions relatives au rapatriement de travailleurs étrangers temporaires avant le rapatriement proprement dit afin de veiller à ce que le licenciement ne soit pas une mesure de représailles contre le fait d’avoir eu recours aux droits que la loi fédérale ou provinciale ou le contrat confère aux travailleurs;

b) pour ce qui est des représailles, l’organisme décisionnel indépendant ait le pouvoir d’ordonner la réintégration provisoire des travailleurs, dans des circonstances appropriées en attendant l’issue des décisions et des appels;

c) dans les cas où l’on conclut que des représailles ont été exercées, il soit prévu que l’on puisse transférer les travailleurs à un autre employeur ou, le cas échéant, qu’ils soient réintégrés.

Les organismes qui fournissent des services juridiques aux travailleurs migrants temporaires doivent être soutenus. Un processus décisionnel indépendant, antérieur au rapatriement, comme il a été décrit plus tôt, serait un secteur où une représentation juridique pourrait jouer un rôle utile. En général, la disponibilité d’une aide juridique ou d’autres mesures de soutien à l’intention des travailleurs permettraient d’améliorer la connaissance des droits des travailleurs, ainsi que l’accès à ces droits, dans le cas des travailleurs étrangers temporaires et des autres travailleurs vulnérables. Nous avons entendu ou rencontré des organismes tels que le Caregivers Action Centre qui soutiennent les aides familiaux résidants, ainsi que le Bureau des conseillers des travailleurs, qui fournit une assistance aux travailleurs qui présentent des plaintes pour représailles. Dans sa réponse au rapport préliminaire, le Bureau des conseillers des travailleurs a fait valoir qu’il serait important que les travailleurs migrants aient un soutien juridique dans les cas de représailles419. Nous avons entendu parler du rôle crucial que jouent les cliniques d’aide juridique en fournissant un soutien aux travailleurs. Lors de nos consultations, nous avons rencontré les représentants de plusieurs organismes et avons été mis au courant d’autres entités qui fournissent aux travailleurs migrants des services de soutien, d’aide, de défense et d’information420. Par exemple, les centres de soutien de l’Agricultural Workers Alliance (AWA) administrent quatre centres à Bradford, Leamington, Simcoe et Virgil et relèvent de l’Union internationale des travailleuses et travailleurs unis de l’alimentation et du commerce ainsi que de l’Agricultural Workers Alliance. Ces centres fournissent une aide directe ou indirecte aux travailleurs agricoles migrants au sujet de leurs préoccupations en matière de rapatriement, ainsi que des demandes d’indemnisation des accidents du travail, des prestations de congé parental, du Régime de pensions du Canada, de l’assuranceemploi et de l’assurance-santé421 . Dans la région de Niagara, la Clinique juridique communautaire de Niagara Sud s’est associée au Groupe d’intérêt des travailleurs migrants de Niagara, un groupe formé d’organismes communautaires et de bénévoles, afin de fournir des services juridiques et d’autres mesures de soutien aux travailleurs migrants. Ce type de travail novateur entrepris par les syndicats et les groupes communautaires est un pas positif qui mènera à la création de nouvelles façons de fournir un soutien aux travailleurs migrants désireux de faire valoir leurs droits prévus par la loi. Comme il a été mentionné précédemment, dans le cadre d’un partenariat du ministère du Travail avec l’Ontario Council of Agencies Serving Immigrants (OCASI), le ministère a offert plus de 40 séances d’éducation au cours desquelles des renseignements et ressources de base sur les normes d’emploi ont été fournis422.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

23. Que le gouvernement de l’Ontario soutienne l’établissement d’un plus grand nombre de mesures juridiques et d’autres mesures de soutien à l’intention des travailleurs migrants temporaires qui font valoir leurs droits et qui présentent des demandes par l’entremise de services juridiques élargis ou d’autres mécanismes du genre.

24. Que les syndicats et les groupes communautaires continuent d’établir et d’étendre des services novateurs afin d’aider les travailleurs migrants à faire valoir leurs droits juridiques et à présenter des demandes.

4. Faire respecter les droits des travailleurs vulnérables par la voie d’une association

Nombreux sont les commentateurs qui sont d’avis que la syndicalisation est l’un des moyens les plus efficaces d’amoindrir la vulnérabilité des travailleurs et de faire respecter leurs droits. Les avantages de la syndicalisation ont été décrits comme des valeurs sociales importantes liées au bien-être des travailleurs et offrant un moyen de faire connaître leurs griefs423. Comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada :

Il est largement reconnu que la législation du travail offre non seulement une tribune pour faire valoir des griefs précis, mais qu’elle favorise aussi le dialogue dans un milieu de travail conflictuel. Comme l’écrit P. Weiler, la syndicalisation établit une sorte de démocratie politique sur le lieu de travail, assujettissant l’employeur et l’employé à la « règle de droit » […]424.

Malgré les avantages qu’offre la syndicalisation aux travailleurs, les syndicats n’ont jamais été une panacée. Même au plus fort de la syndicalisation au Canada, seuls 35 % environ des travailleurs ontariens étaient syndiqués425. Même si de nombreux défenseurs des droits des travailleurs font pression pour que l’on intensifie la syndicalisation à titre de remède au travail précaire, la perspective d’une syndicalisation accrue semble être en décalage par rapport aux tendances mondiales. Les syndicats eux-mêmes évaluent le rôle qu’il leur convient de jouer dans la conjoncture économique et sociale d’aujourd’hui et de demain426. L’Ontario, à l’instar d’une grande partie du monde industrialisé, est en train de vivre une réduction graduelle des taux de syndicalisation427. Même si les syndicats canadiens demeurent solides par rapport aux États-Unis et que, en fait, en chiffres absolus, l’adhésion syndicale prend de l’ampleur au Canada, le degré de syndicalisation (c’est-à-dire le pourcentage de la population active du Canada qui est syndiqué) a diminué entre 1997 et 2010, passant de 33,7 % à 31,5 %428. Comme l’indiquent les données de 2011, les taux de syndicalisation sont nettement plus élevés dans le secteur public (74,7 %) que dans le secteur privé (17,5 %). Au Canada, les taux applicables au secteur privé, qui se situaient à environ 19,9 % en 2001, ont diminué au cours de la dernière décennie429. Et, parmi les administrations canadiennes, c’est l’Ontario qui, en 2010, affichait le deuxième taux de syndicalisation le plus faible, à 27,9 %430. Fait intéressant, si les taux nationaux applicables aux hommes ont diminué au cours de la dernière décennie, chez les femmes, les taux de syndicalisation ont augmenté à 32,7 %, soit plus que la moyenne nationale. Ces chiffres suivent une tendance qui a débuté en 2006, quand les taux de syndicalisation des femmes ont surpassé pour la première fois ceux des hommes431.

Les diminutions qui sont survenues ont été attribuées aux changements économiques, technologiques et sociaux radicaux qui sont intervenus au cours des 30 dernières années432. Les pressions concurrentielles provoquées par la mondialisation, le libreéchange et les ralentissements économiques amoindrissent le pouvoir de négociation des syndicats et, dans un contexte d’insécurité financière, les travailleurs sont moins disposés à s’organiser. Le déclin de l’industrie manufacturière a lui aussi été un facteur contributif marquant en Ontario. Il est important de noter que le rôle joué par la plupart des syndicats au Canada a depuis toujours été étroit, axé sur les négociations relatives aux salaires, à la sécurité d’emploi et aux conditions de travail dans le lieu de travail immédiat, plutôt que sur les questions de nature plus générale que sont la formation, l’embauche et le perfectionnement professionnel433. Compte tenu de l’émergence des formes de travail précaires et atypiques, ce modèle est en déclin. Le modèle wagnerien de négociation collective qui a été adopté dans la Loi sur les relations de travail (LRT) de l’Ontario a été conçu dans le contexte d’un lieu de travail classique, comportant un employeur unique et de nombreux employés exécutant des compétences standardisées dans un lieu de travail unique, un scénario qui devient de jour en jour moins fréquent au sein de l’économie moderne434.

Des commentateurs ont laissé entendre que les syndicats doivent adopter une vision plus large qui répond aux besoins singuliers des travailleurs exerçant leurs activités dans des relations d’emploi atypiques435. La question de la syndicalisation est toujours hautement politisée, mais elle est particulièrement délicate au cours de la période d’incertitude économique que nous traversons actuellement. En revanche, d’autres font valoir que [traduction] « l’adhésion syndicale joue un rôle central pour ce qui est de limiter les emplois précaires »436.

Un secteur sur lequel a été centré le débat entourant les travailleurs vulnérables est l’exclusion expresse des travailleurs agricoles du régime classique des relations de travail de l’Ontario. En 1992, un Groupe d’étude, examinant la question de l’extension des droits de négociation collective aux travailleurs de l’agriculture, a examiné la situation dans d’autres administrations et a fait remarquer que le fait de procurer aux travailleurs agricoles le droit de négocier collectivement n’avait pas donné de résultats importants sur le plan de l’organisation, pas plus que cela n’avait eu d’effets négatifs excessifs sur les exploitations agricoles dans ces administrations437. Le Groupe d’étude a proposé un régime de négociation collective comportant une unité de négociation exclusive et un processus de négociation collective qui mettait l’accent sur la négociation et les grèves interdites, mais qui prévoyait un arbitrage exécutoire en cas d’impasse. Ce modèle a été adopté dans la Loi de 1994 sur les relations de travail dans l’agriculture (LRTA). Il convient de signaler que la LRTA excluait de sa portée les travailleurs agricoles les plus  vulnérables de l’Ontario – les travailleurs étrangers temporaires et d’autres travailleurs saisonniers438. La LRTA a été de courte durée, ayant été abrogée par le gouvernement nouvellement élu en 1995. En réaction à la prorogation, l’Union internationale des travailleuses et travailleurs unis de l’alimentation et du commerce (TUAC) et les travailleurs agricoles individuels représentés dans Dunmore et al c. Ontario (Attorney General) ont contesté l’exclusion des travailleurs agricoles du régime des relations de travail en tant que violation de la liberté d’association et des droits à l’égalité que leur garantissait la Charte canadienne des droits et libertés439.

Dans l’arrêt Dunmore, la Cour suprême du Canada a reconnu la vulnérabilité particulière des travailleurs agricoles :

Les travailleurs agricoles n’ont ni pouvoir politique, ni ressources pour se regrouper sans la protection de l’État, et ils sont vulnérables face aux représailles patronales; comme le fait observer le juge Sharpe [en première instance], les travailleurs agricoles [traduction] « sont mal rémunérés, ils ont des conditions de travail difficiles, une formation et une instruction limitées, un statut peu élevé et une mobilité d’emploi restreinte »440 .

En revanche, la Cour a également reconnu la menace que posait la syndicalisation pour l’exploitation agricole familiale en Ontario :

[Le procureur général] a établi que, dans certains cas, la syndicalisation comportant le droit de négociation collective et le droit de grève peut rendre conflictuelle la dynamique de la ferme familiale. Dans les faits, la syndicalisation fait naître des rapports formels entre employés et employeurs et donne lieu à un processus relativement formel de négociation et de règlement des différends; c’est d’ailleurs peut‑être là son principal avantage sur un système de relations de travail informelles. Dans ce contexte, il est raisonnable de craindre que la syndicalisation compromette la souplesse et la collaboration caractéristiques de la ferme familiale et éloigne des personnes qui sont par ailleurs […] [traduction] « interdépendantes dans la vie privée » à la ferme441.

La preuve en l’espèce me convainc à la fois qu’il existe en Ontario de nombreuses fermes dont la propriété et l’exploitation revêtent un caractère familial; et que la protection de ce caractère familial est un objectif suffisamment urgent pour justifier l’atteinte à l’al. 2d) de la Charte. Le fait que l’Ontario s’oriente de plus en plus vers l’exploitation commerciale et l’agro‑industrie ne diminue pas, à mon avis, l’importance de protéger les caractéristiques uniques de la ferme familiale; au contraire, il peut même l’accroître. De plus, les appelants ne nient pas que la protection de la ferme familiale soit, du moins en théorie, un objectif louable442.

Mais, dans les cas où la relation d’emploi entre l’agriculteur et les travailleurs était déjà officialisée, la Cour a fait remarquer que « préserver la souplesse et la collaboration au nom d’un mode d’exploitation familial est non seulement irrationnel, mais aussi hautement coercitif »443.

Au sujet de la fragilité économique de l’industrie agricole de l’Ontario, la Cour a déclaré :

[…] je ne partage pas l’avis des appelants selon lequel [traduction] « [l]e gouvernement n’a aucunement établi que le secteur agricole ontarien est dans une situation concurrentielle précaire ou qu’il pourrait être touché substantiellement par des modifications minimes de la structure des coûts et de l’exploitation »444.

La Cour a manifestement souscrit à l’observation du ministère du Procureur général selon laquelle :

[…] l’agriculture est un secteur volatil et hautement concurrentiel de l’économie privée, que ses marges de profit sont disproportionnellement minces et que son caractère saisonnier la rend particulièrement vulnérable aux grèves et aux lock‑out. En outre, ces caractéristiques ont été reconnues d’emblée par le Groupe d’étude à l’origine de la LRTA […]445 .

Cependant, dans l’arrêt Dunmore, la Cour a signalé que cette même justification pouvait s’étendre à de nombreux secteurs industriels qui ont des marges de profit minimes et des cycles de production instables (à cause de la demande des consommateurs ou de la concurrence internationale, par exemple)446 .

Dans Dunmore, la Cour a conclu que « l’exclusion totale des travailleurs agricoles de la LRT porte atteinte à l’al. 2d) de la Charte et ne peut se justifier au regard de l’article premier »447. Il convient de signaler que seul le droit d’association et non le droit de négociation collective était en litige dans cet arrêt448. Et, a-t-elle ensuite décrété :

[…] au minimum, doit être reconnu aux travailleurs agricoles le droit de se syndiquer prévu à l’art. 5 de la LRT, avec les garanties jugées essentielles à son exercice véritable, comme la liberté de se réunir, de participer aux activités légitimes de l’association et de présenter des revendications, et la protection de l’exercice de ces libertés contre l’ingérence, les menaces et la discrimination449.

En réaction à l’arrêt Dunmore, l’Ontario a introduit la Loi de 2002 sur la protection des employés agricoles (la LPEA), un régime législatif subsidiaire. Cette loi a été promulguée pour

[…] protéger les droits des employés agricoles tout en tenant compte des caractéristiques propres à l’agriculture, notamment son caractère saisonnier, sa vulnérabilité au temps et au climat, la nature périssable des produits agricoles et la nécessité de protéger la vie animale et végétale450.

Aux termes de la LPEA, les travailleurs agricoles ont le droit de se joindre à une association d’employés et de présenter des observations à leurs employeurs par l’intermédiaire de l’association au sujet de leurs conditions d’emploi. Ils ont également le droit d’exercer leurs droits sans craindre d’ingérence, de contrainte et de discrimination451. La LPEA recourt au Tribunal d’appel de l’agriculture, de l’alimentation et des affaires rurales pour trancher les litiges portant sur l’application de la Loi452.

La LPEA ne prévoit pas de représentation majoritaire, de limite au nombre des associations qui peuvent représenter un segment particulier de la population active, ni de droit de grève ou d’arbitrage. En bref, elle prévoit la formation d’associations d’employés, mais non le processus intégral des relations de travail que comporte le modèle wagnerien qu’offre la LNE. De ce fait, les TUAC et trois travailleurs agricoles ont contesté la constitutionnalité de la LPEA dans l’affaire Fraser c. Attorney General of Ontario453.

Dans l’arrêt Fraser, la Cour suprême a passé en revue de façon générale le sens de ce qu’elle avait déclaré antérieurement dans l’arrêt Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique454. Elle a confirmé que l’alinéa 2d) protège « la négociation de bonne foi de questions importantes liées à l’exécution des fonctions […]. Il ne suffit pas de pouvoir présenter des observations à l’employeur, mais ce dernier est également tenu de les prendre en considération dans le cadre d’un processus d’examen et d’échange »455.

Il a ensuite été ajouté dans Fraser que l’arrêt Health Services représentait le point de vue selon lequel les négociations que requiert l’alinéa 2d) exigeaient « que les parties se rencontrent et qu’elles engagent un véritable dialogue », qu’elles évitent les retards inutiles et qu’elles fassent un effort raisonnable « pour arriver à un contrat acceptable ». Cet alinéa n’obligeait pas « les parties à conclure une convention ou à accepter des clauses particulières », ni à garantir « un mécanisme légal de règlement des différends permettant de dénouer les impasses ». L’alinéa 2d) protégeait le droit à un processus général de négociation collective et non celui de revendiquer un modèle particulier de relations du travail456.

De plus, selon l’arrêt Fraser, la LPEA était constitutionnelle parce que cette loi, « correctement interprétée » obligeait « l’employeur agricole à examiner de bonne foi les observations de ses employés »457. La Cour a conclu que la LPEA ne visait pas à priver les travailleurs agricoles de leurs droits de négociation collective au sens de l’alinéa 2d), mais uniquement qu’elle n’étendait pas aux travailleurs agricoles le modèle Wagner, prédominant en matière de négociation collective.

Pour ces raisons, nous concluons que l’art. 5 de la LPEA, s’il est correctement interprété, protège non seulement le droit des employés de présenter à l’employeur des observations relatives au travail, mais aussi celui de les voir prises en considération de bonne foi par le destinataire458.

Les juges majoritaires ont conclu : « L’essentiel se résume simplement : les travailleurs agricoles de l’Ontario ont droit à un processus véritable leur permettant de réaliser des objectifs liés au travail »459

Cette décision a été vivement critiquée par les membres du mouvement syndical, qui soutiennent qu’elle ne tient pas compte de la réalité sociale et des vulnérabilités singulières des travailleurs agricoles. En particulier, la déclaration de la Cour selon laquelle l’alinéa 2d) doit offrir un processus qui prévoit « le droit d’une association d’employés de présenter des observations à l’employeur et de les voir prises en compte de bonne foi » est considérée comme un recul par rapport à l’accent mis dans l’arrêt Health Services sur un devoir de négociation de bonne foi en faveur d’un [traduction] « droit nettement plus dilué à “un examen de bonne foi”460 ». Cela, considèrent les défenseurs des droits des travailleurs, est tout à fait insuffisant, impraticable et irréaliste. De leur point de vue, les travailleurs agricoles sont si vulnérables que rien de moins qu’une protection législative pour le régime des relations de travail complet que prévoit la LNE ne sera efficace.

Depuis que l’arrêt Fraser a été rendu, la question de savoir ce qu’il faut faire pour répondre aux besoins des travailleurs agricoles par rapport à l’industrie agricole de l’Ontario continue de susciter le débat. Vu la réaction à l’arrêt Fraser, il semble peu probable que les divers intervenants en arrivent à un consensus dans l’avenir rapproché. Au cours des décisions, cependant, certaines questions sont devenues des faits admis par la Cour. La vulnérabilité des travailleurs agricoles et le besoin qu’ils ont de bénéficier d’une certaine protection sur le plan des relations de travail ont été reconnus. Dans Dunmore, la Cour a également reconnu la précarité économique du secteur agricole, la légitimité de l’intérêt à l’égard de la protection de l’exploitation agricole familiale ainsi que la combinaison d’entreprises familiales et de vastes agroentreprises qui constituent les exploitations agricoles de l’Ontario. Ce type de preuve a aussi été soumis à la Cour dans l’affaire Fraser. À part le fait d’adopter la position qu’elle avait énoncée dans l’arrêt Dunmore quant à la vulnérabilité des travailleurs agricoles, dans Fraser la Cour suprême a semblé préférer laisser au soin du législateur la mise en balance de ces divers intérêts.

Au-delà de l’arrêt Fraser, s’il venait au gouvernement l’idée de revoir la question et de procéder à une réforme réalisable du droit dans ce domaine, compte tenu des difficultés et de la mise en balance des intérêts qui est exigée pour apporter d’importants changements de principes, il serait peut-être utile de charger un groupe d’experts d’entreprendre une analyse de la jurisprudence, de la documentation pertinente et des éléments de preuve soumis aux tribunaux, ainsi que de consulter de manière générale les représentants syndicaux et patronaux compétents et les ministères concernés. Une telle entreprise se situe au-delà de la capacité et de la portée du présent projet.

Dans l’immédiat, il faudrait reconsidérer la LPEA à la lumière de l’arrêt Fraser. Comme il a été indiqué, dans cet arrêt, en confirmant l’arrêt Health Services, la Cour a utilisé des expressions telles que « négociations de bonne foi » pour décrire les mesures de protection qu’offre l’alinéa 2d) et, plus loin dans la décision, au moment d’appliquer les faits expressément à la LPEA, elle a fait référence à « l’examen de bonne foi des demandes formulées par les employés ». Certains observateurs jugent cela comme une rétractation partielle des mesures de protection de l’alinéa 2d) qui sont exposées dans l’arrêt Health Services, mais une telle interprétation n’apparaît pas explicitement dans Fraser. La Cour y confirme plutôt le raisonnement exposé dans l’arrêt Health Services, à savoir que l’alinéa 2d) protège les « négociations de bonne foi ». La Cour indique explicitement que cela inclut le droit de « pouvoir présenter des observations à l’employeur » et une obligation de la part des employeurs agricoles d’examiner les observations des employés de bonne foi, y compris l’obligation de « les prendre en considération dans le cadre d’un processus d’examen et d’échange461 ». Les parties doivent « éviter les retards inutiles et faire un effort raisonnable pour arriver à un contrat acceptable »462 . À notre avis, ces éléments ont été expressément considérés comme protégés par l’alinéa 2d), tant dans l’arrêt Fraser que dans l’arrêt Health Services.

Dans Fraser, les juges majoritaires ont signalé que le syndicat n’avait pas eu recours à la LPEA. Comme l’a fait remarquer le juge Farley, en première instance :

[traduction] La procédure qu’établit la LPEA pour saisir le Tribunal n’a pas été suivie, les demandeurs estimant qu’il ne servait à rien de présenter une demande inutile à un tribunal inefficace. À mon avis, cette condamnation était prématurée. Une demande accueillie produit l’un ou l’autre des résultats suivants : faire effectivement avancer les choses ou infliger un « revers » moral à l’employeur fautif ou, s’il s’agit véritablement d’un processus vain, démontrer la nécessité de son resserrement par voie législative463.

Bien que la LPEA ne prévoie pas d’accréditation syndicale ou le principe de la majorité, rien de ce qu’elle renferme n’empêche les syndicats d’aider les travailleurs à former des associations d’employés. À notre avis, les travailleurs agricoles pourraient bénéficier d’une aide syndicale pour les associations d’employés que prévoit la LPEA. Les syndicats et les défendeurs des droits des travailleurs ne considéreraient peut-être pas cela comme satisfaisant parce qu’ils pourraient croire que cela entraverait l’établissement d’un régime de négociation collective entièrement réalisé, mais il ne semble pas y avoir de possibilité importante d’atteindre cet objectif dans l’avenir rapproché. Le rôle que les syndicats pourraient jouer en aidant les travailleurs à avoir accès aux droits formulés dans la LEPA, selon l’interprétation qui en est faite dans l’arrêt Fraser, serait des plus bénéfiques pour ces travailleurs. Les syndicats pourraient aussi jouer un rôle important en aidant les travailleurs à recourir au Tribunal dans les cas appropriés, compte tenu surtout des éléments de négociation de bonne foi qui font maintenant partie de la LPEA. Dans l’arrêt Fraser, la Cour suprême a soutenu le prudent espoir du juge Farley que le Tribunal créé par la LPEA se révèle efficace pour régler les différends464.

L’article 11 de la LPEA habilite expressément le Tribunal à déterminer s’il y a eu infraction à la Loi et à rendre des ordonnances réparatrices. De plus, le Tribunal pourrait, conformément à son mandat, interpréter téléologiquement ses pouvoirs de façon qu’ils soient efficaces et utiles. Les tribunaux du travail jouissent d’une grande latitude pour appliquer leur loi constitutive aux faits particuliers des affaires dont ils sont saisis465.

La codification de l’arrêt Fraser comme nous le recommandons, de pair avec de sérieux efforts pour former des associations d’employés, entreprendre des négociations de bonne foi et recourir aux services du Tribunal pourraient contribuer à améliorer la vie des travailleurs agricoles vulnérables et, sinon, ces efforts offriront un fondement probant concret pour tout examen judiciaire ou gouvernemental futur de l’efficacité de la loi.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

25. Que le gouvernement de l’Ontario modifie la Loi sur la protection des émployes agricoles (LPEA) en y incluant explicitement les éléments de négociation de bonne foi que protège l’alinéa 2d) de la Charte, comme la Cour suprême du Canada l’a indiqué dans l’arrêt Health Services et confirmé dans l’arrêt Fraser.

Même dans les cas où une syndicalisation est possible, les migrants et les autres travailleurs vulnérables ne sont souvent pas disposés à se joindre à un syndicat de crainte de mécontenter leur employeur, de mettre en péril leur emploi et, chez certains, de mettre à risque leur statut d’immigrant restreint. Si d’autres provinces, à l’exception de l’Alberta, ont intégré les travailleurs agricoles dans leurs régimes de relations de travail, les taux de syndicalisation des travailleurs agricoles dans d’autres provinces ne sont pas élevés, même si, de l’avis de Tucker, il y a eu un effet positif466. Les limites inhérentes au processus de négociation collective classique de l’Ontario, qui s’appliquent aux travailleurs agricoles, de même qu’à d’autres travailleurs vulnérables hautement dépendants de leur employeur, donnent à penser qu’il faudrait établir de nouveaux modèles de soutien des travailleurs en vue de répondre à l’évolution des réalités.

Il existe plusieurs formes différentes de syndicalisation qui sont ressorties à l’échelle mondiale, ainsi que d’autres formes d’associations non syndicales. Le syndicalisme communautaire fait passer l’orientation du syndicat au-delà des conditions d’emploi. Il comporte [traduction] « la formation de coalition entre syndicats et groupes non syndiqués en vue d’atteindre des buts communs »467. Ce modèle a pris naissance, en partie, par suite de l’augmentation des taux de chômage comme moyen de soutenir les travailleurs sans emploi qui n’avaient pas de lieu de travail au sein duquel s’organiser468. Contrairement au modèle classique du syndicalisme industriel, ce modèle rejoint les travailleurs qui ont tendance à se déplacer souvent entre des lieux de travail différents, comme les travailleurs d’agences temporaires ou les travailleurs autonomes dépendants.

Au Canada, le syndicalisme sectoriel revêt deux formes dominantes : le syndicalisme de métier et le syndicalisme axé sur le marché du travail. Les syndicats de métier, prédominants au Canada avant l’avènement du syndicalisme industriel, [traduction] « visent à procurer à leurs membres la sécurité d’emploi en exerçant un contrôle sur l’offre de main-d’oeuvre et en établissant un monopole sur les compétences »469. Par exemple, un syndicat peut négocier collectivement pour l’ensemble des travailleurs d’une industrie avec tous les utilisateurs de main-d’oeuvre potentiels et devenir le fournisseur exclusif d’une certaine forme de main-d’oeuvre spécialisée grâce à l’utilisation de bureaux de placement syndical, une forme de centre de présentation de candidats dirigé par un syndicat. Même s’il est difficile à organiser, le syndicalisme de métier a été utilisé avec succès dans des secteurs spécialisés au Canada, et le secteur de la construction en est l’exemple le plus marquant470. Le syndicalisme axé sur le marché du travail facilite l’organisation et la négociation collectives pour les travailleurs situés dans de multiples lieux de travail qui travaillent peut-être auprès de multiples employeurs471. La négociation sectorielle surmonte le problème des petits magasins et du roulement élevé qui sont caractéristiques d’un grand nombre de secteurs à faible revenu.

Le syndicalisme international facilite la coopération internationale entre les syndicats en tant que réponse au caractère multinational du travail fait sur le marché mondialisé. Grâce à l’établissement de la Confédération syndicale internationale dans les années 2000, les syndicats membres conviennent de tenir compte des politiques internationales au moment de prendre des décisions d’envergure nationale, ainsi que de fournir à la Confédération un soutien financier et des mises à jour régulières sur leurs activités472. En échange, ils reçoivent « solidarité et assistance » de la Confédération473.

En dehors du cadre de la Confédération, il y a d’autres syndicats internationaux qui sont actifs à l’échelon transfrontalier. Par exemple, dans le secteur canadien de la construction, les relations du travail sont dominées par les 14 syndicats internationaux de la construction, dont les sièges sont situés aux États-Unis et qui ont des bureaux d’un bout à l’autre du Canada474. Un autre exemple est celui des TUAC, qui ont conclu des ententes avec des gouvernements et des groupes de défense mexicains en vue de fournir une aide aux travailleurs agricoles de ce pays qui travaillent au Canada dans le cadre d’un programme des travailleurs étrangers temporaires. Le syndicat aide également ces travailleurs à la suite de leur rapatriement475. Les interventions transfrontalières d’un syndicat national sont, pour les syndicats, une fonction de rechange unique, qui cadre avec le syndicalisme communautaire dont il a été question plus tôt.

La syndicalisation n’est pas le seul modèle disponible pour aider les travailleurs vulnérables. D’autres modèles d’associations d’employés ont vu le jour, dont des centres de placement à but non lucratif, des coopératives et des conseils de placement obligatoire. D’autres modèles encore pourraient voir le jour qui s’adapteraient mieux à la nature changeante du travail au XXIe siècle. Il faut que les organismes de travailleurs continuent de s’adapter à de nouvelles situations. Il pourrait être utile que des universitaires ou un groupe de réflexion en matière de politiques publiques envisagent de lancer un projet qui aiderait à trouver des idées pour de nouvelles formes de représentation des travailleurs.

Un tel projet comporterait un examen des éventuels modèles de rechange à la syndicalisation classique et au modèle de négociation collective appelé « Wagner », en vue de soutenir et d’aider les travailleurs vulnérables en milieu de travail. Il pourrait comprendre un examen des nouveaux modèles de représentation des intérêts des travailleurs au sein de diverses formes de travail précaire en Ontario, y compris le travail agricole, le travail domestique, le travail d’agence temporaire et d’autres formes de travail précaire.

5. Le Conseil consultatif sur des solutions novatrices au travail précaire

Certaines de nos recommandations, comme celles qui ont trait à la mise en oeuvre de partenariats, celles qui se rapportent au ciblage des secteurs à risque élevé et la modernisation des exemptions qu’autorise la LNE, obligeront le gouvernement à procéder à de vastes consultations auprès des travailleurs et des organismes d’employeurs, des agences communautaires, du gouvernement et d’experts. Dans le contexte de la réponse aux besoins singuliers des travailleurs vulnérables dans le cadre de la santé et de la sécurité au travail, le rapport Dean a recommandé de recourir à un comité consultatif constitué en vertu de l’article 21 de la LSST, lequel prescrit que « [l]e ministre peut constituer des comités […] ou nommer des personnes pour l’assister ou le conseiller sur une question […] jugée utile »476. Le gouvernement s’est engagé à mettre en oeuvre cette recommandation477.

Comme le suggère le rapport Dean :

Un comité consultatif nommé en vertu de l’article 21 de la LSST améliorerait la capacité du système de santé et de sécurité au travail de répondre aux besoins des travailleurs vulnérables. Il s’agirait d’un forum permanent pour les parties consultantes qui ont de bonnes connaissances concernant les travailleurs vulnérables et qui sont chargées de les protéger. Un tel comité pourrait comprendre des représentants des milieux de travail et des groupes d’employeurs provenant de secteurs où les emplois sont précaires; des agences d’appui aux immigrants et aux réfugiés; des organismes communautaires et des agences de services sociaux; des cliniques juridiques communautaires; d’autres ministères; et, enfin, des programmes fédéraux et municipaux. Des questions précises au sujet desquelles le comité pourrait donner des conseils comprennent l’application des recommandations du comité, l’amélioration des stratégies d’application de la loi ainsi que l’élaboration et la distribution de matériel de sensibilisation478.

Bien que la Loi sur les normes d’emploi ne comporte pas de disposition comparable à l’article 21, cela n’empêche pas de constituer un tel groupe consultatif d’experts sur les questions relatives à l’emploi. La Loi sur les normes d’emploi permet de prendre des règlements pour créer un comité consultatif ministériel; ou alors, le comité pourrait être mis sur pied de façon plus informelle479. Un groupe permanent de ce genre, formé de participants disposés à travailler ensemble, serait un outil précieux sur lequel le ministère pourrait se fonder pour l’aider à établir des solutions novatrices qui répondraient aux problèmes liés aux lieux de travail, tant nouveaux qu’émergents. Les problèmes qui se posent dans ce secteur peuvent être litigieux, et les points de vue sont souvent polarisés le long de la ligne de démarcation entre les travailleurs et les employeurs. Il est très difficile de trouver des éléments de consensus. Les membres du Groupe consultatif du projet se sont demandés si un comité seul était en mesure de représenter convenablement la totalité des préoccupations et des intérêts propres au secteur. La réponse à cela serait des sous-comités formés de représentants du secteur privé, du milieu syndical, du milieu universitaire et de la collectivité liés à un secteur particulier, pour lesquels les sujets à examiner requièrent ce genre d’expertise particulière.

Pour qu’un tel conseil consultatif fonctionne efficacement, il faut que les participants soient disposés à mettre de côté leurs différences et à trouver des moyens de trouver des solutions aux problèmes; il faut choisir les bonnes personnes. Cela obligera à trouver des personnes intéressées à réduire le travail précaire en tenant compte des réalités économiques du jour au sein du gouvernement, du milieu universitaire, du secteur privé, du milieu syndical et des organismes à but non lucratif, et qui ont fait preuve d’une réflexion juste, objective et originale, ainsi que d’une aptitude à entreprendre un dialogue productif avec des participants représentant les camps opposés.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

26. Que le ministère du Travail constitue un conseil consultatif sur des solutions novatrices au travail précaire, formé de représentants de ministères, d’experts et d’organismes syndicaux et patronaux compétents en vue d’obtenir des conseils et de mettre au point des initiatives permettant d’améliorer et d’activer l’observation et l’exécution de la LNE, dans l’optique de recommander les meilleurs moyens de répondre aux besoins existants et nouveaux des employés vulnérables ou du travail précaire face à l’évolution du milieu de travail.

F. Les lois sur l’emploi qui protègent les travailleurs étrangers temporaires

Ces dernières années, de plus en plus de préoccupations ont été soulevées à propos du traitement équitable des travailleurs étrangers temporaires, notamment ceux qui exercent un emploi peu spécialisé. Les gouvernements ont réagi à la situation au moyen de diverses mesures législatives et de principe. À l’échelon fédéral, des changements au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés ont été adoptés et ils sont entrés en vigueur le 1er avril 2011.

Étant donné l’importance du recours aux TET [travailleurs étrangers temporaires], le gouvernement fédéral est de plus en plus conscient de cas où des employeurs, ou des tiers agissant en leur nom manquent aux engagements qu’ils ont pris envers les travailleurs […]. La version antérieure du Règlement ne permettait pas de tenir les employeurs responsables de leur comportement à l’égard des TET. Voici certaines des transgressions possibles : versement aux TET d’une rémunération inférieure à celle promise; conditions de travail moins bonnes que celles convenues dans l’offre d’emploi; emploi différent de celui promis; hébergement insatisfaisant dans certains cas; facturation de frais par les tiers aux travailleurs plutôt qu’aux employeurs, en contravention des lois provinciales ou territoriales en vigueur480.

Les employeurs qui souhaitent embaucher des travailleurs étrangers temporaires doivent maintenant montrer qu’ils respectent les offres d’emploi faites antérieurement à ces derniers, ce qui inclut la rémunération, les conditions de travail, l’hébergement, l’assurance-santé, les transports et les lois fédérales-provinciales règlementant l’emploi. Toute inobservation peut mener au refus de fournir une opinion relative au marché du travail ainsi qu’une interdiction d’embauche de deux ans. De plus, il est possible que le nom de l’employeur soit affiché dans le site Web de Citoyenneté et Immigration Canada. Il convient toutefois de signaler que, à la date de rédaction du présent rapport préliminaire, le nom d’aucun employeur n’était affiché481. Comme il a été mentionné plus tôt, il existe maintenant des contrats d’emploi types pour les travailleurs des niveaux C et D de la CNP et les aides familiaux résidants que les employeurs doivent utiliser et qui portent sur la rémunération, l’hébergement, les avantages, les heures de travail, les tâches, les congés annuels et les congés de maladie. Ces contrats exigent que les frais d’assurance-santé soient assumés par l’employeur jusqu’à ce que le travailleur soit admissible au régime d’assurance-santé de la province, et un préavis d’une semaine doit être fourni aux travailleurs ayant travaillé pendant plus de trois mois. Les frais de recrutement ne peuvent pas être remboursés par de l’employé et les frais de transport doivent être assumés par l’employeur et, contrairement au PTAS, qui permet de les recouvrer en partie, les frais de transport ne peuvent pas être remboursés par du travailleur.

Le contrat indique clairement que les conditions sont assujetties aux normes provinciales en matière d’emploi et de santé et de sécurité. Pour répondre au besoin d’assurer davantage de protection aux travailleurs étrangers temporaires faisant partie du Programme des niveaux C et D de la CNP (emplois peu spécialisés), il existe des conditions contractuelles plus détaillées et précises pour les travailleurs agricoles de ces deux niveaux. Les aides familiaux résidants, qui ont eux aussi besoin de plus de protection, disposent de conditions contractuelles précises. Les employeurs agricoles sont tenus de fournir un logement approprié (conformément aux lignes directrices établies, et pour lequel des frais peuvent être perçus auprès de l’employé), un relevé d’emploi et, aux frais de l’employeur, du matériel de sécurité contre les substances chimiques et les pesticides482. D’autres changements fédéraux limitent à quatre ans le temps pendant lequel les travailleurs peuvent rester au Canada, après quoi ils doivent attendre un délai additionnel de quatre ans avant de pouvoir présenter de nouveau une demande dans le cadre du programme483. L’intention est de renforcer la nature temporaire des permis de travail. Les travailleurs visés par le PTAS sont dispensés de ces limites.

Le programme des aides familiaux résidents offre l’option d’obtenir le statut de résidant permanent à la fin de la période de service. Bien qu’il s’agisse là d’un avantage important, cette option en a amené certains à qualifier le programme des aides familiaux résidants d’approche de type « carotte et bâton » à l’égard de la résidence permanente, ce qui oblige les participants à travailler et à vivre au domicile de leur employeur pendant la période d’admissibilité, au cours de laquelle les travailleurs risquent fort peu de mettre en péril la cessation de leur emploi en se plaignant de manquements à leurs droits484. Les cas d’exploitation et d’abus sont bien documentés : des aides familiaux résidants ont été tenus d’effectuer des heures de travail excessives, se sont vu refuser du temps libre, ont touché une rémunération insuffisante, ont été victimes de sévices physiques et psychologiques et se sont vu confisquer leur passeport485. Comme le lieu de travail est situé à l’intérieur d’un domicile privé, il est fort difficile de surveiller si les normes d’emploi sont respectées486.

[traduction] Les femmes qui entrent au Canada dans le cadre du Programme des aides familiaux résidants (PAFR) sont confrontées à des difficultés particulières parce qu’elles sont obligées de vivre et de travailler au domicile de leur employeur pendant au moins deux (2) ans. Durant ce temps, elles dépendent de leur employeur pour leur rémunération, leur alimentation, leur logement, leurs soins de santé, ainsi que de bonnes références professionnelles qui les aideront à acquérir le statut de résidente permanente. Leur statut de personne dépendante et de travailleuse temporaire font courir à ces personnes un risque de traitement inéquitable et d’abus de la part de leur employeur. Ces personnes sont aussi moins susceptibles de se plaindre, de partir ou de signaler les abus, de crainte de perdre la possibilité d’acquérir le statut de résidente permanente487.

En reconnaissance du besoin qu’ont les aides familiaux résidants de bénéficier d’une protection spéciale, l’Ontario a adopté en 2009 la Loi sur la protection des étrangers dans le cadre de l’emploi (LPECE)488. Voici ce que prescrit cette Loi :

  • elle interdit aux recruteurs de demander à des aides familiaux étrangers de payer des frais, que ce soit directement ou indirectement;
  • elle empêche les employeurs de demander à leur aide familial de leur rembourser les dépenses qu’ils ont engagées pour l’embaucher;
  • elle interdit aux employeurs et aux recruteurs de saisir des choses qui appartiennent à des aides familiaux, y compris des documents comme un passeport ou un permis de travail;
  • elle interdit aux recruteurs, aux employeurs et aux personnes qui agissent en leur nom d’intimider ou de punir des aides familiaux parce qu’ils ont voulu connaître ou exercer leurs droits en vertu de la LPECE;
  • elle oblige les recruteurs et, dans certaines situations, les employeurs à remettre aux aides familiaux des feuilles de renseignements où sont décrits leurs droits en vertu de la LPECE, ainsi que les dispositions pertinentes de la Loi sur les normes d’emploi489.

Quand la nouvelle loi est entrée en vigueur, le ministère du Travail a établi une ligne téléphonique d’urgence où les aides familiaux pouvaient appeler pour obtenir des informations; cependant, cette ligne a depuis ce temps été supprimée. Le Ministère a rédigé des feuilles d’information en anglais, en français, en hindi, en tagalog et en espagnol, disponibles sur son site Web, que les employeurs et les recruteurs peuvent remettre aux travailleurs afin de leur expliquer la nouvelle loi.

Outre les mesures de protection fédérales décrites plus tôt qui ont été mises en oeuvre pour les travailleurs étrangers temporaires, les évaluations de l’authenticité des offres d’emploi faites aux aides familiaux résidants comportent maintenant des critères additionnels, autres que ceux qui s’appliquent aux autres travailleurs migrants490. Les employeurs doivent montrer « le besoin d’un aide familial résidant, l’obligation de fournir un hébergement satisfaisant, et la capacité de verser la rémunération offerte »491. Depuis le 11 décembre 2011, les aides familiaux résidants qui satisfont aux exigences de la résidence permanente reçoivent des permis de travail ouverts en attendant que l’on règle leur statut. Cela leur permet de quitter plus tôt le domicile de l’employeur et de chercher du travail dans un autre domaine492.

Lors de nos consultations, on nous a informés que les principaux secteurs qui suscitent des préoccupations chez les aides familiaux résidants sont le non-paiement de la rémunération, les demandes auprès du ministère du Travail non réglées, l’exécution de tâches non liées au travail d’un aide familial résidant (comme des soins infirmiers, des travaux ménagers et des tâches semblables) et peu de contrôle sur les heures de travail. Certains groupes de défense des droits des travailleurs ont laissé entendre que les mesures de protection que comporte la LPECE sont inefficaces. Ils ajoutent que les efforts d’exécution que fait le ministère ont été axés exclusivement sur les recruteurs et qu’ils ont par ailleurs été insuffisants. À leur avis, les travailleurs ont besoin de mieux connaître leurs droits, de plus d’appui pour faire valoir leurs droits, d’avoir moins peur de représailles, de la possibilité de déposer des plaintes anonymes auprès du ministère du Travail ainsi que de mesures d’exécution proactives. D’autres groupes ont indiqué que pour les travailleurs migrants qui ne sont pas visés par la LPECE, les abus en matière de recrutement, entre autres, constituent des problèmes considérables.493 La Migrant Workers’ Alliance for Change a attiré notre attention sur le récit d’une aide familiale résidante qui, poussée par la peur, a enduré des abus et des conditions sordides d’hébergement dans un sous-sol non sécuritaire pendant 24 mois, jusqu’à la fin de son contrat, et qui, par la suite, a pu déposer un mémoire auprès du ministère du Travail avec l’aide de la police et d’informations du Caregivers Action Centre.494

Lors des consultations que nous avons menées au cours de l’année 2011, nous avons rencontré des travailleurs faisant partie du programme des niveaux C et D de la CNP qui ont déclaré avoir payé entre 5 000 $ et 12 000 $ à un recruteur pour faciliter leur venue au Canada afin d’y travailler. Pour pouvoir payer ces sommes, chacun a dû contracter des emprunts élevés équivalant à au moins la moitié des frais du recruteur, et le solde était payé sur les économies du travailleur. Le travail qu’on leur attribuait était rémunéré au salaire minimum (10,25 $/heure)495. Le paiement des frais du recruteur et la dette contractée ont joué un rôle important dans la décision qu’ont prise ces travailleurs de continuer de travailler dans des conditions très défavorables. Même si le nouveau contrat type du gouvernement fédéral vise à empêcher que les employeurs fassent payer par les travailleurs les frais du recruteur au moyen de conditions contractuelles, il reste à voir si ce contrat sera efficace. À notre avis, il y aurait plus de chances de succès si la province appuyait l’initiative fédérale par un message clair de dénonciation des frais de recrutement peu scrupuleux en étendant la Loi sur la protection des étrangers dans le cadre de l’emploi (LPECE) à l’ensemble des travailleurs migrants temporaires496.

La réponse du Manitoba au problème des frais de recrutement abusifs, des travailleurs arrivant au pays et ne trouvant aucun emploi disponible et de l’expansion de l’économie clandestine a été la Loi sur le recrutement et la protection des travailleurs (LRPT), qui est entrée en vigueur le 1er avril 2009497. Cette Loi oblige les employeurs qui souhaitent embaucher les travailleurs migrants temporaires à s’inscrire auprès du gouvernement manitobain avant de demander un avis sur le marché du travail (AMT) auprès de RHDCC. Avec la collaboration du gouvernement fédéral, l’employeur doit présenter une preuve d’inscription au Manitoba avant qu’une demande d’AMT puisse être traitée. Les règles d’inscription que la LRPT impose aux employeurs sont les suivantes :

Vous devez fournir au gouvernement du Manitoba des renseignements sur votre entreprise et le type de postes que vous cherchez à doter. Vous devez également fournir des renseignements sur les tiers participant au processus de recrutement. Les tiers doivent avoir obtenu une licence de recruteur de travailleurs étrangers de la Direction des normes d’emploi ou être exemptés par la Loi498.

Un avantage important de cette Loi est que le gouvernement manitobain sait où les travailleurs migrants travaillent, ce qui permet de surveiller le respect des exigences. À l’instar de la nouvelle évaluation de l’authenticité que le gouvernement fédéral a établie, le Manitoba tient compte de la conduite antérieure de l’employeur au moment d’évaluer le bien-fondé de la demande.

Le ministère du Travail du Manitoba tient une base de données sur les employeurs en vue d’évaluer les antécédents de ces derniers sur le plan de l’observation. La Loi a donné lieu à environ 2 000 inscriptions d’entreprise chaque année et, à la date du présent rapport, 19 recruteurs de travailleurs étrangers sont inscrits499. Si, au moment du démarrage du programme, les ressources étaient plus nombreuses, ce dernier utilise à l’heure actuelle cinq postes d’équivalent temps plein pour ses activités, dont les mesures d’exécution. Le Manitoba a reçu environ 3 200 inscriptions de travailleurs étrangers en 2010, tandis que l’Ontario en a reçu 66 000. On pourrait s’attendre à ce que, pour superviser 66 000 travailleurs en Ontario, les besoins en ressources soient fort élevés par rapport au Manitoba. Lorsqu’on effectue l’analyse des coûts-avantages, on se demande si une telle initiative pourrait être recommandée pour l’Ontario. Certes, le modèle manitobain peut fonctionner dans de petites administrations et est recommandé dans Made in Canada, mais ceux que nous avons consultés au sujet de la faisabilité de ce type de mécanisme pour l’Ontario ont eu une réaction partagée500. En général, les répondants ont exprimé l’avis que, malgré son utilité, ce mécanisme ne répondrait pas de manière complète aux préoccupations concernant les travailleurs migrants. Certains ont exprimé l’avis que, sans mesures d’exécution efficaces, lesquelles seraient exigeantes en termes de ressources pour l’Ontario, une telle loi ne deviendrait qu’une simple source d’inscription sur papier.

À notre avis, au lieu d’adopter une autre loi encore, il serait préférable pour l’Ontario de prendre appui sur ce qui existe déjà. La LPECE ne s’applique actuellement qu’aux aides familiaux. Mais sa structure permet de l’étendre à d’autres catégories de travailleurs migrants par voie réglementaire. Durant les consultations qui ont précédé l’entrée en vigueur de cette loi, il a été établi que les aides familiaux résidants comptaient parmi les plus vulnérables. Le gouvernement de l’Ontario a fait savoir que le gouvernement fédéral prenait des mesures pour assurer une protection aux travailleurs temporaires étrangers [TRADUCTION] « et qu’il évaluerait, au besoin, si d’autres mesures sont nécessaires pour mieux protéger les travailleurs temporaires étrangers qui viennent en Ontario ».501

Nous sommes d’avis qu’il y a bien assez de données indiquant qu’il est temps d’agir. Le fait de regrouper tous les travailleurs migrants temporaires sous le régime de la LPECE offrirait une protection contre le recrutement peu scrupuleux. Cela compléterait les mesures de protection fédérales décrites plus tôt au sujet des évaluations de l’authenticité. Ces mesures pourraient offrir un degré élevé de protection aux travailleurs migrants. En élargissant l’application de la LPECE à tous les travailleurs migrants, on leur ferait prendre conscience de leurs droits en matière d’emploi en Ontario. Cela va dans le droit-fil du rapport Made in Canada, qui recommande notamment que les travailleurs migrants soient informés avant et après leur arrivée de leurs droits en matière d’emploi, de leurs droits sociaux et de leurs droits humains.502

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

27. Que le gouvernement de l’Ontario étende la portée de la Loi sur la protection des étrangers dans le cadre de l’emploi à tous les travailleurs migrants temporaires en Ontario.

Pour l’Ontario, l’une des lacunes à combler est le fait de veiller à ce que l’on reçoive des informations sur l’identité et l’emplacement des travailleurs étrangers temporaires et de leurs employeurs de manière à pouvoir faire respecter les dispositions législatives en vigueur. Pour faire respecter les nouvelles dispositions règlementaires en matière de protection et d’étayer les initiatives qu’établissent les provinces en vue de protéger les travailleurs migrants, le gouvernement fédéral s’efforce d’améliorer l’échange fédéral-provincial d’informations. DRHCC indique qu’elle peut communiquer les décisions relatives aux avis concernant le marché du travail (AMT)

aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, aux fins de l’administration et de la mise en application de la législation et des règlements pertinents (p. ex. en matière des normes d’emploi, de santé et de sécurité au travail, d’immigration et de recrutement par l’intermédiaire d’un tiers)503.

Pour pouvoir étayer les décisions que prend le gouvernement fédéral au sujet des AMT et des évaluations de l’authenticité, il faut que l’Ontario établisse un processus clair pour échanger avec le gouvernement fédéral des informations sur les employeurs non conformes. La nécessité d’améliorer la communication des informations entre les administrations fédérale et provinciale a été soulignée par la Table ronde d’experts sur l’immigration en Ontario504. La circulation de ces informations exige que le Canada et l’Ontario concluent une entente d’échange. Le gouvernement fédéral a fait part de son souhait de négocier de telles ententes et d’autres provinces dont le Manitoba, les ont conclues depuis un certain nombre d’années505. De par leur nature propre, les ententes d’échange d’informations suscitent des questions difficiles au sujet de la protection de la vie privée et de l’utilisation des renseignements personnels et elles sont donc aussi, pour les gouvernements, longues à négocier et complexes. L’Entente sur les travailleurs étrangers temporaires oblige l’Ontario à négocier une entente d’échange d’informations, et des négociations en ce sens sont en cours, mais aucune entente de ce genre n’a été conclue entre l’Ontario et le gouvernement fédéral506. Cependant, sans une telle entente, les informations sur les noms et l’emplacement des employeurs et des travailleurs étrangers qu’obtient le gouvernement fédéral ne seront pas mis à la disposition de l’Ontario en vue d’étayer ses mécanismes d’exécution. De plus, les efforts que fait le gouvernement fédéral pour protéger les travailleurs migrants grâce à l’évaluation de l’authenticité des offres d’emploi seront moins efficaces. Comme l’a souligné la Table ronde d’experts sur l’immigration en Ontario, « [l]es deux gouvernements [fédéral et provincial] ont le même engagement et partagent la responsabilité de protéger les travailleurs étrangers temporaires507 ».

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

28. a) Que le gouvernement de l’Ontario négocie une entente d’échange de renseignements avec Ressources humaines et Développement des compétences Canada et Citoyenneté et Immigration Canada de façon à pouvoir échanger des renseignements entre l’Ontario et le gouvernement fédéral et intensifier ainsi les mesures de protection visant les travailleurs étrangers temporaires, et ce, de la manière suivante :

(i) affermir la supervision des contrats relatifs aux travailleurs étrangers temporaires à l’échelon fédéral-provincial;
(ii) intensifier le respect des droits que la législation provinciale confère aux travailleurs migrants temporaires;
(iii) soumettre à des conséquences les employeurs qui violent la législation provinciale ou ne respectent pas les ententes contractuelles conclues avec les travailleurs étrangers temporaires.

b) Que le gouvernement de l’Ontario engage des consultations avec le gouvernement fédéral pour obtenir une meilleure coordination des politiques touchant la protection des travailleurs pour les travailleurs étrangers temporaires peu spécialisés.

Lors des consultations que la CDO a menées, des défenseurs des droits des travailleurs, notamment la Migrant Workers Alliance for Change, ont exprimé l’avis que les travailleurs qui entrent au Canada pour répondre aux besoins de main-d’oeuvre devraient se voir accorder le statut de résident permanent. Selon eux, les travailleurs étrangers temporaires créent un déséquilibre de forces trop marqué entre l’employeur et le travailleur parce que le statut d’immigrant de ce dernier est tributaire de la relation d’emploi. Cela jette les bases d’un risque d’exploitation, créant ainsi une situation dans laquelle les travailleurs ne se sentent jamais assez sûrs pour faire valoir leurs droits. Ces observateurs croient que le gouvernement fédéral devrait moins se concentrer sur la main-d’oeuvre temporaire et s’efforcer de prendre, sur le plan de l’immigration, des décisions à long terme qui assureront une main-d’oeuvre suffisante pour répondre aux besoins du pays. Autrement dit, les politiques d’immigration du Canada devraient inclure la possibilité d’accueillir des travailleurs peu spécialisés sur une base plus permanente. Ce point de vue est également exprimé dans le rapport Made in Canada508.

Les arguments en faveur de programmes de travailleurs étrangers temporaires portent surtout sur le fait que le Canada et l’Ontario accueillent des travailleurs pour la période où ils en ont besoin, mais qu’ils un’ont pas à les soutenir durant les périodes d’absence de travail. Les travailleurs qui ont besoin d’un emploi peuvent l’obtenir, ce qui leur permet de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille dans leur pays d’origine. Les pays d’origine de ces travailleurs tirent eux aussi des avantages de cette situation, c’est-à-dire l’auto-suffisance de leurs citoyens. Notre système d’immigration privilégie l’octroi de la résidence permanente aux travailleurs spécialisés et instruits, plutôt qu’aux travailleurs peu spécialisés. Étant donné qu’il se crée au Canada fort peu de nouveaux emplois pour les travailleurs peu spécialisés, cette façon de penser peut trouver certains appuis. Le rapport final de la Table ronde d’experts sur l’immigration en Ontario, qui met l’accent sur les travailleurs hautement spécialisés, laisse entendre que les programmes de travailleurs étrangers temporaires devraient servir à recruter des travailleurs peu spécialisés seulement lorsque tous les autres moyens de trouver des travailleurs convenables ont été épuisés. De même, selon l’Institut Fraser, les tâches peu spécialisées qu’exécutent à l’heure actuelle les travailleurs étrangers temporaires devraient être confiées à des résidents permanents ou à des citoyens509. Cela semble faire abstraction de la réalité selon laquelle les employeurs sont incapables de trouver à l’échelon local des travailleurs convenables pour combler ces postes, encore que des initiatives fédérales récentes, visant à apporter des changements au Programme de l’assurance-emploi qui obligeraient les Canadiens sans travail à accepter un éventail plus vaste d’emplois, sont peut-être axées sur ce problème510. À ce stade, le secteur agricole de l’Ontario continue à dépendre dans une large mesure de la main-d’oeuvre composée de travailleurs étrangers temporaires. Nous l’importons chaque année. Le temps est peut-être venu d’accepter et d’apprécier davantage la contribution des travailleurs migrants peu spécialisés. Consciente de la vulnérabilité des travailleurs étrangers temporaires peu spécialisés, la Table ronde d’experts sur l’immigration en Ontario a souligné la nécessité d’améliorer leur protection, à l’échelle fédérale et provinciale.511

G. Le Travail Autonome

1. L’ampleur du travail autonome

Avant les années 1970, les taux de travail autonome au Canada étaient en baisse à cause d’une diminution des emplois agricoles512. À partir de ce moment, cependant, le travail autonome a progressivement augmenté pendant près de vingt ans, atteignant un sommet d’environ 17 % en 1998 avant de retomber à un niveau d’environ 15 % en 2002513. Les taux sont demeurés relativement stables au cours des années 2000514. En 2009, le travail autonome représentait 16 % de l’emploi au Canada515. La situation de l’Ontario reflète celle du Canada dans son ensemble : le travail autonome est demeuré relativement stable au cours de la dernière décennie, et les données donnent à penser qu’environ 15 % de la main-d’oeuvre ontarienne exerçait un travail autonome entre 1999-2011 516.

2. Le travail autonome à son propre compte

Dans le secteur du travail autonome, ce sont les travailleurs autonomes à leur propre compte qui sont les plus vulnérables. Ces derniers sont ceux qui « n’emploient euxmêmes personne et qui ne contrôlent pas les risques de production, ni n’accumulent de capital »517 . Contrairement au travail autonome classique, cela ressemble davantage à un emploi qu’à une forme d’entreprise518. Dans certains cas, ces travailleurs peuvent être autonomes, mais n’avoir qu’un seul client et se trouver dans un état de grande dépendance vis-à-vis de ce client, ce qui les rend vulnérables à toute exploitation. Certains travailleurs sont erronément considérés comme des travailleurs autonomes alors qu’ils sont en fait des employés en vertu de la LNE. Ce ne sont pas tous les travailleurs autonomes à leur propre compte qui sont vulnérables, mais le travail autonome à son propre compte peut être un indice de précarité, surtout s’il est combiné à une faible rémunération, car il n’inclut pas les mesures de protection que l’on associe à l’emploi (p. ex., les mesures de protection que confère la Loi de 2000 sur les normes d’emploi).

Les taux canadiens de travail autonome à son propre compte ont radicalement augmenté entre 1976 et 2000, passant de 4 % à près de 9 % de l’emploi total chez les femmes et de 7 % à 12 % de l’emploi total chez les hommes519. Dans les années 1990, près de 45 % des nouveaux emplois se présentaient sous la forme d’un travail autonome à son propre compte520. Selon une équipe de recherche, [traduction] « l’augmentation du travail autonome à son propre compte a représenté l’augmentation totale du travail autonome au cours des années 1987 à 1998 »521. Cela concorde avec les constatations faites dans les pays industrialisés, où la croissance du travail autonome dans les années 1980 et 1990 s’est concentrée dans le secteur du travail autonome à son propre compte522. Cette forme de travail a aussi joué un rôle marquant dans la croissance récessionnaire la plus récente du travail autonome523.

En général, les travailleurs autonomes à leur propre compte gagnent moins que les employés ou les employeurs524. À cela s’ajoute le fait que les travailleurs autonomes ont moins de chance d’être protégés par des avantages sociaux525. Les femmes et les membres des minorités visibles sont plus susceptibles d’exercer un travail autonome à leur propre compte, comparativement à d’autres formes de travail autonome526. Si la catégorie des employeurs autonomes comporte une concentration supérieure d’hommes et de personnes très instruites, les travailleurs autonomes à leur propre compte sont plus souvent des femmes et des travailleurs peu scolarisés527. Les taux d’emploi à temps partiel chez les travailleurs autonomes à leur propre compte sont élevés, surtout parmi les femmes528. Les travailleuses autonomes à leur propre compte exercent souvent des emplois dans le secteur des services. En 2000, le tiers de ces travailleuses étaient actives dans le secteur des services529. Dix-neuf pour cent des immigrants, comparativement à 15 % des travailleurs nés au Canada, exerçaient un travail autonome, et plus d’immigrants étaient susceptibles de déclarer qu’ils avaient entrepris un travail autonome à cause d’un manque d’emplois rémunérés convenables (33 % d’immigrants, contre 20 % de travailleurs nés au Canada530) .

Noack et Vosko ont constaté qu’environ 15 % de la population active de l’Ontario exerce un travail autonome (5 % de la population active de l’Ontario est formée d’employeurs autonomes et environ 10 % de travailleurs autonomes à leur propre compte). La situation de l’Ontario est semblable à celle du Canada dans son ensemble, en ce sens que les Ontariennes étaient moins susceptibles d’exercer un travail autonome par rapport aux hommes; cependant, lorsque ces femmes travaillaient de façon autonome, il s’agissait d’un travail autonome à leur propre compte, et une bonne part de ce travail se situait dans la catégorie à faible revenu531.

3. Le cadre juridique

Les travailleurs autonomes ne sont pas visés par la LNE, qui exige qu’il existe une relation d’emploi où le travailleur et l’employeur tombent sous le coup des définitions d’un « employé » et d’un « employeur » qui figurent dans la Loi. Pour ce qui est des travailleurs exerçant une forme précaire de travail, le fait d’être classé comme un employé est une condition pour pouvoir bénéficier des mesures de protection et des normes minimales de base que comporte la LNE. Selon Parry et Ryan, les définitions de l’employé et de l’employeur suscitent plus d’attention et de controverse que n’importe quelles autres de la LNE532.

« employé » S’entend notamment, selon le cas :
(a) de quiconque, y compris un dirigeant d’une personne morale, exécute un travail pour un employeur en échange d’un salaire;
(b) de quiconque fournit des services à un employeur en échange d’un salaire;
(c) de quiconque reçoit une formation d’une personne qui est un employeur, de la manière énoncée au paragraphe (2);
(d) de quiconque est un travailleur à domicile. S’entend en outre de la personne qui était un employé.

(« employee ») « employeur » S’entend notamment des personnes suivantes :
(a) le propriétaire, le gestionnaire, le chef, le responsable, le séquestre ou le syndic d’une activité, d’une entreprise, d’un travail, d’un métier, d’une profession, d’un chantier ou d’une exploitation qui contrôle ou dirige l’emploi d’une personne à cet égard, ou en est directement ou indirectement responsable;
(b) les personnes considérées comme un seul employeur en application de l’article 4. S’entend en outre de la personne qui était un employeur. (« employer »)
533.

Comme le font remarquer Ryan et Parry, la Commission des relations de travail de l’Ontario a indiqué qu’il peut être très difficile de faire la distinction entre un employé et un entrepreneur indépendant534. Comme les définitions sont rédigées en termes généraux, les agents des normes d’emploi (ANE) qui tentent de faire une distinction entre les entrepreneurs indépendants légitimes et ceux qui devraient être classés comme des employés doivent aller au-delà du texte de la loi et appliquer les critères de la common law535. Cependant, il n’existe pas encore de critères clairs et nets permettant de déterminer si un travailleur est un employé ou un entrepreneur indépendant. Comme le signalent Fudge, Tucker et Vosko : [traduction] « [d]epuis les années 1950, d’éminents spécialistes en matière d’emploi et de travail concluent que la common law anglaise n’a pas de conception unifiée de l’emploi ni de moyen cohérent de faire la distinction entre les employés et les entrepreneurs indépendants »536.

Selon le Guide de politique et d’interprétation de la LNE : [traduction] « c’est l’existence de la relation entre l’employeur et l’employé qui définit ce qu’est un employé pour les besoins de la Loi »537. La définition de la relation d’emploi que l’on trouve dans d’autres lois n’est pas d’une grande pertinence pour ce qui est d’effectuer la distinction sous le régime de la LNE538. Cependant, il ressort de la common law un certain nombre de moyens de le faire.

Dans un arrêt rendu en 2003, 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., la Cour suprême du Canada a explicitement rejeté le recours à un critère unique539. Elle a toutefois passé en revue les critères prédominants et présenté une liste non exhaustive de critères applicables permettant de décider si une personne « engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte »540. Ces facteurs comprennent les suivants :

  • le degré de contrôle que le travailleur exerce sur ses propres activités;
  • si le travailleur fournit son propre outillage;
  • si le travailleur engage lui-même ses assistants;
  • si le travailleur i) tire profit de l’exécution de ses tâches ou ii) assume ses risques financiers ou « est responsable des mises de fonds et de la gestion »541 .

L’arrêt Sagaz a passé en revue le critère à quatre volets énoncé dans l’arrêt Montréal (City) c. Montréal Locomotive Works Ltd., [1946] 3 W.W.R. 748, [1947] 1 D.L.R. 161 (C.P. Canada) : le contrôle, la propriété des instruments de travail, le risque de perte ou la possibilité de profit et l’intégration. Comme il est indiqué dans Sagaz qu’il n’existe aucun critère définitif unique, les agents des normes d’emploi, les arbitres et les tribunaux doivent se fonder sur les facteurs énoncés dans l’arrêt Sagaz, le critère à quatre volets énoncé dans l’arrêt Montréal ainsi que d’autres critères qui sont apparus : le « critère de l’organisation », qui est axé sur le fait de savoir si le travailleur faisait partie intégrante de l’organisation, le « critère de l’entreprise » qui examine le degré de contrôle qu’exerce l’employeur et le degré de risque qu’il assume, de même que le « critère des pratiques commerciales », qui porte sur l’intention de l’entente commerciale entre les parties542. Chacun des critères offre un moyen de répondre à la question centrale suivante : [traduction] « La personne qui a été engagée pour fournir des services les fournit-elle à titre de personne exerçant des activités à son propre compte? »543.

Une question qui est apparue dans la législation est celle de savoir si un « entrepreneur dépendant » est inclus, ou pourrait l’être, dans la définition d’un employé que l’on trouve dans la LNE. Les « entrepreneurs dépendants » ne sont pas définis dans la LNE, mais ils le sont dans la Loi sur les relations de travail. Dans cette dernière, la définition d’un employé inclut l’entrepreneur dépendant.

« Entrepreneur dépendant ». Quiconque, employé ou non aux termes d’un contrat de travail et fournissant ou non ses propres outils, ses véhicules, son outillage, sa machinerie, ses matériaux ou quoi que ce soit, accomplit un travail pour le compte d’une autre personne ou lui fournit des services en échange d’une rémunération ou d’une rétribution, à des conditions qui le placent dans une situation de dépendance économique à son égard et l’oblige à exercer pour cette personne des fonctions qui s’apparentent davantage aux fonctions d’un employé qu’à celles d’un entrepreneur indépendant544.

En général, les entrepreneurs dépendants sont les travailleurs qui n’ont qu’un seul client, ce qui les expose à une extrême vulnérabilité. Reste entière la question de savoir s’il est possible de remédier à ce type de vulnérabilité par voie législative, et il en est question plus loin.

4. Le problème principal : les erreurs de classement

Le principal sujet de préoccupation qui ressort des recherches et des consultations de la CDO, relativement au travail autonome, est la question des erreurs de classement. Certaines personnes sont classées à tort comme des entrepreneurs indépendants autonomes travaillant à leur propre compte, alors que, selon la LNE, ils seraient considérés à plus juste titre comme des employés. Quand un travailleur est mal classé (c.-à-d., défini comme un travailleur autonome, alors qu’il devrait l’être comme un employé), soit délibérément soit erronément, ce travailleur n’est peut-être pas au courant qu’il se trouve dans une relation d’emploi et qu’il a accès aux mesures de protection qu’offre la LNE. Cela peut avoir des effets particulièrement difficiles sur les travailleurs à faible revenu et, dans une mesure disproportionnée, des effets négatifs sur les femmes et les immigrants. Comme l’ont souligné les TCA dans leur réponse au rapport préliminaire :

[TRADUCTION] [l]a classification erronée des employés (par exemple, dans la catégorie des entrepreneurs indépendants) pose un grave problème parce que ces employés se voient souvent refuser l’accès à des avantages et protections essentiels – comme les congés pour obligations familiales ou pour raisons médicales, le paiement des heures supplémentaires, la garantie d’un taux de salaire minimum, des prestations d’assurance-emploi – auxquels ils ont droit. En outre, la classification erronée des employés peut créer une pression économique aux propriétaires d’entreprise respectueux des lois, qui éprouvent souvent de la difficulté à soutenir la concurrence de ceux qui contournent les lois. Cela peut également entraîner des pertes considérables pour le système d’assurance-emploi de l’État et les fonds d’indemnisation des travailleurs.545

Selon des défenseurs des droits des travailleurs, les travailleurs acceptent parfois d’être classés comme autonomes en signant des contrats ou en constituant une société sur papier à la demande de l’employeur juste pour garantir une forme quelconque de revenu. Dans d’autres cas, les travailleurs croient à tort qu’ils sont autonomes juste parce que l’employeur le leur a dit546. Cependant, ce ne sont pas là les facteurs qui permettent de déterminer s’il existe une relation d’emploi. Quelques défenseurs des droits des travailleurs se soucient de ce que l’on appelle le [traduction] « classement créatif » que font les employeurs. Des erreurs de classement ont été relevées dans des secteurs tels que ceux de la conciergerie et du camionnage. Lors de nos consultations, on nous a donné quelques exemples de livreurs de pizza et de travailleurs du secteur de la restauration qui avaient été classés à tort comme entrepreneurs indépendants et dont les employeurs ne reconnaissaient pas les obligations que leur imposent les normes d’emploi.547 Dans sa réponse au rapport préliminaire, la Chinese Interagency Network of Greater Toronto a indiqué qu’elle avait rencontré des travailleurs, pour la plupart des opérateurs de machine à coudre dans des manufactures et des aides généraux d’épicerie, [TRADUCTION] « qui avaient été obligés par leur employeur à être travailleurs autonomes pour être engagés ».548 Les opérateurs de machine à coudre étaient rémunérés à la pièce, ce qui créait un « climat de compétition entre eux et réduisait leur cohésion lorsqu’il s’agissait de régler toutes sortes de problèmes liés au travail ».549

Les employeurs peuvent aussi recourir légitimement à la sous-traitance et indiquent qu’il s’agit d’une nécessité pour faire concurrence sur le marché global dans certains domaines, comme le secteur manufacturier. Cependant, les défendeurs des droits des travailleurs n’admettent pas que la mondialisation en est la cause première.

Les employeurs soutiennent que ces stratégies sont nécessaires à cause de l’intégration économique mondiale. S’il est vrai qu’un certain nombre de fabricants locaux s’efforcent de réduire leurs coûts de façon à pouvoir rivaliser avec des entreprises situées ailleurs, la mondialisation n’explique pas les nouvelles pratiques auxquelles se livrent les employeurs en Ontario. De nombreux employeurs et secteurs qui s’adonnent à la sous-traitance, à l’embauchage indirect et à la classification erronée des travailleurs qui ont été documentés par le Workers Action Centre (WAC) sont des secteurs dont le marché est d’envergure nettement locale. Les restaurants, les services de conciergerie, les services aux entreprises, la construction, le camionnage, les soins de santé à domicile, l’entreposage, l’emballage et la fabrication d’articles consommés à l’échelle locale550.

Lorsqu’on étudie les possibilités de réforme, il est important de bien saisir la distinction qui existe entre les erreurs de classement et les choix d’affaires que font les entreprises en vue de rehausser leur compétitivité, comme la sous-traitance et le recours à des travailleurs d’agence temporaire. Les erreurs de classement, qu’elles soient faites délibérément ou par inadvertance, sont visées par la législation existante et il faut donc que les efforts faits pour les corriger soient étayés par des mesures d’exécution. Les choix commerciaux légitimes qui donnent lieu à de l’insécurité sur le plan du travail requièrent d’autres types d’intervention, comme des incitatifs ou des règlements qui forcent les gros employeurs à assumer la responsabilité d’assurer la conformité à la LNE parmi leurs sous-traitants (c.-à-d., la réglementation de la chaîne d’approvisionnement) et peut-être une protection législative renforcée, comme il en a été question plus tôt et comme il en sera question dans le prochain chapitre, qui porte sur la LSST.

5. Les possibilités de réforme

Certains auteurs ont proposé que l’on harmonise la définition d’un « employé » ou d’un « travailleur » dans tous les régimes juridiques applicables, afin d’uniformiser la définition donnée dans la Loi sur les normes d’emploi avec celles qui ont été établies dans d’autres contextes, comme la législation fédérale de l’impôt sur le revenu. Par ailleurs, il a été suggéré que l’on pourrait réviser les lois relatives à l’emploi afin d’y inclure des dispositions afin que les distinctions relatives à la définition d’un employé dans un contexte particulier puissent s’appliquer à d’autres contextes551.

Selon une autre école de pensée, cette réforme « définitionnelle » est insuffisante. Fudge, Tucker et Vosko suggèrent d’abolir la distinction entre les employés et les entrepreneurs indépendants et d’étendre une protection à la totalité des travailleurs, pas seulement dans le contexte des normes d’emploi, mais aussi en rapport avec la négociation collective et la législation de l’impôt sur le revenu, en faisant valoir à tout le moins que [traduction] « le point de départ serait que tous les travailleurs qui dépendent de la vente de leur aptitude à travailler soient visés, sauf s’il existe des motifs d’intérêt public impérieux pour établir une définition plus étroite »552. Ces trois auteurs suggèrent qu’au lieu de se fier à une définition élargie de l’employé en tant que base de protection, celle-ci soit accordée par défaut, indépendamment de la façon dont on qualifie la vente de main-d’oeuvre. Dans le même ordre d’idées, l’Institut Wellesley plaide en faveur d’une protection étendue, assurée sous le régime de la LNE, sans égard au classement. Se fondant sur la législation en matière d’égalité et de droits de la personne, il ajoute :

[traduction] [i]l ne devrait pas y avoir de différence sur le plan de la rémunération ou des conditions de travail chez les travailleurs qui accomplissent le même travail, mais qui sont classés différemment, comme les travailleurs à temps partiel, à contrat, temporaires ou autonomes.

La LNE a un rôle à jouer pour ce qui est d’établir un cadre propice à l’égalité entre les travailleurs accomplissant un travail comparable. Le gouvernement ne devrait pas permettre aux employeurs d’imposer des conditions inférieures aux travailleurs (qui finissent par être principalement des femmes, des travailleurs racialisés, des travailleurs immigrants et des jeunes) juste à cause de la forme d’emploi ou du statut sur le plan de l’emploi. Cette mesure aiderait à aligner la LNE sur le Code des droits de la personne553.

La CDO soutient le point de vue général selon lequel les travailleurs, comme ceux qui occupent un poste à temps partiel, devraient être rémunérés proportionnellement de la même façon que leurs homologues occupant un poste à temps plein pour un travail équivalent, mais les travailleurs autonomes se rangent dans une catégorie différente. Les suggestions selon lesquelles toutes les distinctions entre les travailleurs autonomes et les employés devraient être fondues en une seule dans tous les règlements auraient des conséquences d’une grande portée et, à terme, des effets négatifs chez les personnes autonomes. Quoi qu’il en soit, cela exigerait, à l’échelon provincial et fédéral, un vaste examen de principes qui déborde le cadre du présent projet.

Il est difficile de comprendre pourquoi il est nécessaire de règlementer le travail des personnes qui sont légitimement autonomes. Par ailleurs, nous sommes d’avis que la mise en oeuvre d’une telle politique présenterait des problèmes de faisabilité. Par exemple, faudrait-il exiger que les personnes autonomes se limitent à un certain nombre d’heures de travail par semaine ou soient tenues de payer elles-mêmes un certain salaire? Un tel règlement serait non seulement inapplicable, mais aussi indésirable. De plus, comment répartirait-on la responsabilité relative à un congé de deux semaines entre les multiples clients d’un entrepreneur indépendant?

À notre avis, le véritable problème est la façon de cerner et de rectifier la situation des travailleurs classés erronément comme autonomes dans les cas où il existe réellement une relation d’emploi. Un problème secondaire est celui de savoir s’il faudrait mettre en place des mesures de protection additionnelles pour protéger les travailleurs autonomes qui entretiennent des relations de travail dépendantes (c.-à-d., les travailleurs à faible revenu n’ayant qu’un seul client), tout en permettant à d’autres personnes autonomes de bénéficier de la souplesse et du choix qu’offre l’autodétermination de leurs conditions de travail.

Du point de vue de la CDO, l’option la plus simple serait de cibler le véritable problème, la pratique qui consiste à mal classer les employés, grâce à des procédures d’exécution améliorées, à l’élaboration de politiques, à la formation des ANE et à la sensibilisation du public. Cette mesure protégerait les plus vulnérables sans avoir d’effet négatif sur ceux qui bénéficient d’un travail autonome. Les avantages qu’offrent les pratiques d’observation et d’exécution, comme les inspections proactives et les enquêtes élargies dont nous avons parlé plus tôt, s’appliquent tout autant à la détermination des cas de classement erronés. Les activités d’exécution les plus efficaces seraient celles que l’on axerait sur les secteurs qui présentent un risque élevé d’erreurs de classement, comme le camionnage, les services de conciergerie et la restauration, de même que l’identification et la surveillance proactive des secteurs dans lesquels se trouvent les travailleurs reconnus pour être touchés d’une manière disproportionnée.

Nos consultations ont révélé le sentiment que ceux qui travaillent auprès des travailleurs vulnérables ne sont pas sûrs que les déterminations que fait le ministère du Travail au sujet du classement des employés par opposition aux travailleurs autonomes soient toujours appropriées. Dans le Guide de politique et d’interprétation de la LNE, des informations sont données au ANE sur les divers critères juridiques applicables. Cependant, aucune directive de principe de fond n’est fournie554. Une directive de principe sur la façon de procéder à une détermination en fonction des critères de la common law serait peut-être un moyen de rendre le processus décisionnel plus transparent et d’inspirer davantage confiance aux représentants. Nous avons parlé des avantages des campagnes de sensibilisation publique plus tôt dans le présent rapport et, à notre avis, le fait de faire ressortir la pratique des classements erronés et de fournir des informations sur la définition appropriée des employés et des travailleurs autonomes au moyen d’affiches de sensibilisation publique, d’annonces et de séances d’information axées sur le grand public et les secteurs à risque élevé amélioreraient les chances d’observation et jetteraient les bases de mesures d’exécution améliorées.

Il faudrait songer à la possibilité qu’il existe des erreurs de classement systémiques. Autrement dit, il est possible que des catégories entières de travailleurs soient désignées à tort comme des entrepreneurs indépendants. Une fois que l’on aurait identifié ces catégories ou types de travailleurs, au lieu d’exiger que chacun soumette son dossier au ministère du Travail sous la forme d’une plainte individuelle, des activités d’exécution proactives, menées sous la forme d’une campagne-éclair, offriraient la possibilité additionnelle de mettre au jour ce type de classement erroné systémique. De tels processus pourraient paver la voie à des mesures précises en matière d’élaboration de politiques et de sensibilisation des employeurs.

La codification dans la LNE d’un critère clair et net de définition de l’emploi est un autre moyen par lequel la province pourrait faire un énoncé catégorique sur le problème et, en même temps, donner des directives aux employeurs, aux employés et aux décideurs. Il pourrait être difficile, cependant, de créer une définition suffisamment précise pour donner lieu à un critère qui soit à la fois utile, mais assez souple pour suivre le rythme de la nature métamorphique de l’emploi. Nous mettons en garde contre le fait d’introduire plus d’uniformité aux dépens d’un certain degré de souplesse. Une stricte uniformité ne produit pas toujours les résultats escomptés. À notre avis, les politiques et les lois doivent s’appliquer en mettant en équilibre la souplesse et l’uniformité. Le gouvernement et les tribunaux doivent disposer d’un cadre juridique et de principes clairs, mais il faut aussi leur attribuer un pouvoir discrétionnaire suffisant pour répondre au large éventail des circonstances individuelles qui leur sont présentées.

Au-delà des questions d’uniformité, le fait d’étendre une protection aux travailleurs entretenant des relations de dépendance (c.-à-d., les entrepreneurs à faible revenu au service d’un seul client) présente des défis singuliers. Par exemple, un état de dépendance peut être fluide, en ce sens que certains de ces travailleurs peuvent être dépendants d’un seul client à un certain moment et, à un autre, en compter plusieurs.555 L’examen d’une définition du mot « employé » qui engloberait ces travailleurs aurait à tenir compte des besoins des travailleurs indépendants et/ou des travailleurs autonomes qui bénéficient d’une certaine souplesse et d’un certain contrôle sur leurs modalités de travail. Il faut également prendre en compte les préoccupations exprimées par les représentants des employés, qui ont laissé entendre par le passé que de telles mesures pourraient inciter les employeurs « qui classent déjà mal leurs travailleurs à en faire autant envers les entrepreneurs dépendants bénéficiant d’une toute nouvelle protection, c’est-à-dire les inciter à considérer ces derniers comme des entrepreneurs “indépendants” ». Autrement dit, cela pourrait aggraver la situation au lieu de l’améliorer.556 L’élaboration de toute nouvelle norme devrait donc, avec le plus grand soin, tenir compte de ces facteurs et donner ouverture à la reconnaissance de formes d’emploi nouvelles et émergentes, avec un large éventail de situations distinctes. En reconnaissant le fait que de tels changements ne peuvent pas prévoir tous les effets, toute politique et toute disposition législative de cette nature devraient être évaluées après un délai raisonnable afin d’en déterminer l’efficacité et de savoir s’il est nécessaire d’apporter des rajustements.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

29. Que le ministère du Travail entreprenne de réduire les cas où les employés sont classés à tort comme travailleurs autonomes, et ce, de la manière suivante :

a) mettre en oeuvre des processus d’observation et d’exécution proactifs axés sur les secteurs où l’on sait que les cas d’erreur de classement sont élevés;

b) améliorer la transparence des décisions grâce à des directives de principe et à des activités de formation à l’intention des agents des normes d’emploi au sujet de la définition du mot « employé » et des critères de la common law;

c) lancer une campagne d’éducation en vue de sensibiliser le public au problème du classement erroné des employés sous le régime de la Loi sur les normes d’emploi.

30. Que le gouvernement de l’Ontario envisage d’étendre certaines mesures de protection de la LNE aux travailleurs autonomes qui entretiennent des relations de travail dépendantes avec un seul client, et tout particulièrement aux travailleurs autonomes à faible revenu, et/ou trouver d’autres options pour répondre à leur besoin de protection sur le plan des normes d’emploi.

À la recommandation no 9, nous recommandons que le ministère du Travail oblige les employeurs à fournir à tous les travailleurs, au début de la relation de travail, un avis écrit de leur statut en matière d’emploi et des conditions de leur contrat d’emploi. Nous croyons que cette mesure présenterait des avantages particuliers pour les travailleurs classés à tort comme autonomes. Cela créerait une situation qui obligerait toutes les parties à se pencher sur la question de la relation d’emploi. Dans leur réponse au rapport préliminaire, les représentants du gouvernement de l’Ontario ont exprimé des préoccupations au sujet de la possibilité que le fait d’exiger un contrat écrit intensifierait le risque que des employés soient mal classés, délibérément ou erronément, comme des travailleurs autonomes557. Comme nous l’avons signalé, parfois une simple affirmation écrite selon laquelle un travailleur est autonome est acceptée comme suffisante alors que, en droit, cela n’est pas le cas. Cependant, si des formulaires que le ministère du Travail établirait à cette fin énonçaient la définition appropriée d’un employé par opposition à un travailleur autonome, ces documents eux-mêmes pourraient fournir des directives et des informations sur les définitions appropriées. L’inclusion des coordonnées du Ministère encouragerait certains à obtenir du ministère des éclaircissements sur les zones grises. Les formulaires eux-mêmes et l’obligation de les remplir auraient pour effet d’améliorer les connaissances ainsi que l’observation volontaire. De plus, cela avantagerait plus tard les décideurs, en cas de différend. Conjuguée à une campagne d’éducation publique efficace, cette mesure simple et peu coûteuse serait une stratégie utile pour faire face au problème que posent les erreurs de classement. La réponse du gouvernement de l’Ontario a soulevé des préoccupations à l’égard du fait que dans les formulaires standard, on ne peut pas prévoir tous les problèmes découlant de contrats de travail et que de tels formulaires ne seraient pas une solution idéale.558 Nous tenons à rappeler que le gouvernement fédéral a élaboré des contrats-types pour plusieurs catégories de travailleurs vulnérables afin que ces derniers puissent bénéficier de protections supplémentaires. Cela fait clairement comprendre que le fait d’établir les modalités des relations de travail est perçu comme une protection. Nous comprenons qu’il serait impossible de prévoir toutes les modalités dans des formulaires standard, mais les modalités les plus générales pourraient y être inscrites.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

31. a) Que le gouvernement de l’Ontario modifie la LNE afin d’obliger les employeurs et les entrepreneurs, y compris les entrepreneurs autonomes, à remettre à tous les employés un avis écrit de leur statut en matière d’emploi et des conditions générales de leur contrat d’emploi (rémunération, heures, autres modalités);

b) Que le ministère du Travail établisse des formulaires types afin d’aider les employeurs et les entrepreneurs à s’acquitter de cette tâche.

 

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