Il est question dans le présent chapitre des réformes qu’il est possible d’apporter à la Loi sur les normes d’emploi et aux dispositions législatives connexes. Il traite de questions de principe, soit l’établissement d’un plancher général de droits minimaux et une meilleure connaissance des droits des employés et des obligations des employeurs. Les mesures d’exécution sont un élément central de normes d’emploi efficaces, et les systèmes d’exécution, tant proactive que réactive, doivent réagir convenablement. Enfin, il est question dans ce chapitre des mécanismes qui étayent l’observation et l’exécution de la LNE, tant de façon générale qu’en rapport avec des catégories précises de travailleurs vulnérables.

 

A.              Les questions de principe générales

En Ontario, les normes d’emploi sont réglementées par l’entremise de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi (LNE), laquelle énonce les droits minimaux des travailleurs et les obligations de ceux qui les emploient[235]. La LNE réglemente un large éventail de questions relatives au travail, dont le salaire minimum, les relevés d’emploi, les heures, les vacances, les congés, les cessations d’emploi et les départs, et elle inclut des dispositions d’exécution pertinentes, telles que les mesures de protection spéciales qui s’adressent aux travailleurs des agences de placement temporaire. Même si le cadre législatif prévoit des mesures de protection minimales de base pour de nombreux travailleurs, des exemptions nombreuses et des règles spéciales destinées aux travailleurs de secteurs précis ont été adoptées, principalement par voie réglementaire. La LNE s’applique à tous les travailleurs, mais elle est surtout importante pour les employés non syndiqués, car les travailleurs syndiqués bénéficient souvent de normes plus strictes et de mécanismes permettant de faire appliquer les contrats.

La LNE est entrée en vigueur en Ontario en 1969, combinant plusieurs lois relatives au travail[236]. Depuis son adoption, elle a été souvent modifiée. Les changements législatifs apportés entre les années 1970 et le début des années 1990 ont surtout élargi les protections législatives accordées aux travailleurs grâce à l’introduction d’exigences en matière d’avis de cessation d’emploi, ainsi que de dispositions concernant les indemnités de cessation d’emploi, les congés de maternité et les mesures de protection en cas de faillite[237]. Les changements apportés au cours de cette période n’ont pas tous eu pour résultat d’accorder des droits élargis, car des taux de salaire minimum ont été introduits à l’intention des serveurs travaillant dans le secteur des services d’accueil.

Les réformes introduites au milieu des années 1990 ont mis l’accent sur une intensification de la « souplesse » accordée aux employeurs, tout en prévoyant des limites et des délais de prescription plus courts quant au montant qu’il était possible de réclamer en cas de perte de salaire. Le gouvernement de l’Ontario a imposé au cours de cette même période, et pour plusieurs années, un gel du salaire minimum[238]. Les déclarations que le gouvernement a faites au moment d’apporter ces changements législatifs étaient axées sur la souplesse, mais mettaient également en lumière la nécessité de protéger les travailleurs les plus vulnérables. De plus, certaines dispositions en matière de congé ont été amplifiées et clarifiées.

Quand la Loi de 2000 sur les normes d’emploi a été introduite, d’importants changements ont été mis en place : l’introduction de dispositions accrues en matière de congé parental, des mesures de protection contre les représailles ainsi que les congés d’urgence personnelle[239]. Certaines restrictions ont été éliminées en rapport avec l’admissibilité aux jours fériés et certaines dispositions en matière d’application ont été introduites. Parallèlement, le nombre maximal d’heures de travail par semaine pouvait être augmenté grâce à une entente conclue entre l’employé et l’employeur, les pauses et les périodes de vacances pouvaient être scindées en des périodes plus petites, et le temps supplémentaire pouvait être réparti en moyenne sur une période de quatre semaines.

En réponse à la croissance des agences de placement temporaire, de nouvelles mesures de protection pour les travailleur de ces agences ont été introduites dans le cadre de la Loi de 2009 modifiant la Loi sur les normes d’emploi (agences de placement temporaire)[240]. Ces dispositions obligent les agences à fournir aux travailleurs des renseignements sur ces dernières, sur les tâches à effectuer et sur les conditions de travail, et il leur est interdit de facturer des frais aux travailleurs. Les travailleurs des agences de placement temporaire sont maintenant visés par les dispositions de la LNE en matière de salaire pour jour férié, de licenciement et de cessation d’emploi. De plus, les restrictions concernant les employeurs clients qui concluent des contrats d’emploi avec des travailleurs ont été supprimées.

La LNE a été l’objet d’autres modifications en 2010 dans le cadre de la Loi de 2010 favorisant un Ontario propice aux affaires[241]. Cette loi a créé un certain nombre d’obligations à l’intention des employés cherchant à présenter une demande en vertu de la LNE, avec le résultat que les auteurs des demandes sont maintenant habituellement tenus de faire des démarches auprès de leurs employeurs avant que l’on fasse enquête sur une demande présentée en vertu de la LNE, encore que, dans certains cas, comme ceux des employés vulnérables, cette obligation puisse faire l’objet d’une renonciation. Les agents des normes d’emploi (ANE) ont également obtenu la possibilité de faciliter les règlements à un stade anticipé des procédures avec le consentement des parties. Selon Vosko et ses collaborateurs, jusqu’à 80 % des cas sont réglés à la phase initiale par voie de conformité à une décision que rend un ANE au sujet du salaire à payer, du règlement, du retrait ou du rejet de la plainte. Les défenseurs des droits des travailleurs s’inquiètent du fait que les auteurs des demandes peuvent se sentir contraints de régler pour moins que ce qui leur est dû. De plus, ils considèrent de manière négative n’importe quelle activité préalable à une ordonnance qui ne mène pas à une conclusion formelle contre l’employeur. À leur avis, il est important de tenir un relevé officiel des employeurs non conformes en vue de procédures d’exécution ultérieures[242].

Bien des choses ont été écrites et dites au sujet du régime de réglementation des relations de travail. Même si les commentaires qui suivent, entendus par le comité de l’Équité au travail, se rapportent au régime qu’établit le Code canadien du travail, ils reflètent les deux opinions divergentes qui sont ressorties au sujet de la LNE[243].

Deux points de vue généraux sur les relations en milieu de travail se sont dégagés des audiences, mémoires et rapports de recherche. D’une part, de nombreux employeurs insistaient sur le caractère contractuel, consensuel et bilatéral de ces relations. « Laissez-nous régler ces questions avec nos employés », « Nos employés sont heureux de leurs conditions de travail », « Les conditions et modalités devraient être établies dans un contrat entre l’employeur et l’employé », semblaient-ils dire. D’autre part, de nombreux syndicats, travailleurs et groupes de défense des droits insistaient sur le déséquilibre intrinsèque du pouvoir entre les travailleurs et les employeurs qui, selon eux, empêche la négociation équitable sur le marché du travail en général, et dans la plupart des relations d’emploi en particulier. Ils soutiennent qu’une réglementation est nécessaire pour annuler les résultats de ce déséquilibre duquel ne peut vraisemblablement découler aucune compréhension consensuelle ou contractuelle juste. La première position se rapproche peut-être davantage de la façon dont, à travers l’histoire, le droit a considéré les relations entre employeur et employés; la seconde reflète sans doute davantage la réalité du monde du travail d’aujourd’hui. Cependant, aucune de ces deux perspectives ne peut être ignorée. Dans la vie, comme en droit, les relations en milieu de travail sont façonnées par les contrats et la réglementation[244].

Dans le même ordre d’idées, les recherches et les consultations que la CDO a menées ont fait ressortir de nombreuses préoccupations, chez les défenseurs des droits des travailleurs et les universitaires, à savoir que le processus des réclamations que prévoit la LNE, tel qu’il est actuellement configuré, impose aux employés un fardeau trop lourd pour ce qui est de faire valoir eux-mêmes leurs réclamations. Les défenseurs des droits des travailleurs ont plaidé en faveur d’un système qui impose aux employés moins de responsabilités pour ce qui est de poursuivre leurs réclamations individuelles, faisant pencher la balance en faveur d’une intensification des inspections, des enquêtes et des poursuites engagées par le gouvernement. Sous cet angle, un modèle d’exécution idéal est envisagé comme étant à la fois expéditif et compatible avec un accent mis sur des réponses dissuasives et impératives. Les défenseurs des droits des travailleurs et les universitaires se sont également prononcés en faveur d’une expansion des mesures de protection législatives. Les employeurs, en revanche, ont exprimé des préoccupations au sujet des effets qu’une intensification de la réglementation – de même que les dépenses accrues qui en résulteraient – auraient sur leurs entreprises, qui doivent se mesurer à d’autres au sein d’une économie mondiale. Les employeurs favorisaient une aide à l’observation pour les entreprises dans le cadre des dispositions d’exécution existantes. Les travailleurs eux-mêmes se souciaient principalement de l’accès aux mesures de protection que comporte la loi actuelle ainsi que de la crainte de représailles.

Depuis la promulgation de la LNE initiale, le gouvernement est au courant du besoin de mettre en équilibre les intérêts des travailleurs et ceux des employeurs. En 1968, au moment d’introduire la loi, le ministre du Travail a fait les commentaires suivants : [traduction] « quand il est question d’examiner les améliorations à apporter aux normes d’emploi, nous devons améliorer mais également maintenir un équilibre qui nous aidera à conserver nos industries et à en attirer de nouvelles dans la province »[245].

Cet exercice de mise en équilibre a été l’élément moteur des multiples modifications qui ont été apportées à la LNE au fil des ans. Le résultat est une loi qui énonce de vastes mesures de protection en matière d’emploi, mais qui les limite au moyen de règles et d’exemptions spéciales. Certaines de ses dispositions ne s’appliquent pas aux petites entreprises. Des règles ou des exemptions propres à un secteur particulier ont été promulguées pour certaines industries, comme l’agriculture, la construction, les préposés aux soins en établissement, ainsi que les restaurants et l’hébergement. Dans d’autres cas, il est possible que les travailleurs occasionnels, temporaires ou à temps partiel ne soient pas admissibles à certaines mesures de protection à cause d’un nombre d’heures insuffisant ou de la nature discontinue de leur emploi. Il en résulte un cadre législatif qui, selon certains, ne répond plus à son objectif, lequel consiste à offrir à l’ensemble des travailleurs un plancher de droits minimaux.

Dans l’intervalle, la lutte pour trouver le juste équilibre se poursuit. Comme il indiqué dans « Équité au travail » :

Que dire maintenant de l’argument voulant que la réglementation par l’État a aussi ses limites et que si elle impose un fardeau excessif aux entreprises et paralyse l’économie, nous serons tous dans une situation plus critique – les travailleurs vulnérables, leurs employeurs et le reste d’entre nous? Ce point n’est pas seulement une préoccupation légitime, il constitue une question cruciale. Néanmoins, la plupart des gens conviennent qu’à un moment donné, cette crainte doit être écartée, et on doit laisser les préoccupations morales ou normatives prendre le pas sur les inquiétudes économiques ou commerciales. À notre époque et dans un pays aussi riche et soucieux des aspirations morales que le Canada, nous ne pouvons tolérer certains types de conditions de travail[246].

Pour la CDO, la question est de savoir si, dans l’économie d’aujourd’hui et de demain, l’Ontario atteint le juste équilibre et, sinon, quelle est la nouvelle orientation qu’il convient de suivre.

 

B.              Le plancher de droits minimaux

1.     La réduction et la mise à jour des exemptions

Comme nous l’avons signalé, la LNE vise à légiférer des normes d’emploi minimales mais elle contient une multitude de règles et d’exemptions spéciales. Dans certains cas, les exceptions sont propres à un secteur particulier, pour lequel la LNE prévoit un traitement différent pour certaines catégories de travailleurs[247]. Par exemple, il existe quatre catégories d’ouvriers agricoles : les travailleurs agricoles, les cueilleurs, les travailleurs quasi agricoles et les employés du secteur de l’aménagement paysager. Tous, sauf les travailleurs agricoles, ont droit à un salaire minimum. Les cueilleurs ont droit aux congés fériés mais pas les travailleurs agricoles, les travailleurs quasi agricoles et les employés du secteur de l’aménagement paysager. Il existe des règles spéciales pour les travailleurs de la construction et de nombreux autres secteurs. Les heures de travail, les périodes de repas et la rémunération du temps supplémentaire sont d’autres secteurs où il existe des exemptions précises pour certains secteurs. Les travailleurs agricoles et les cueilleurs en sont totalement exemptés.

Dans d’autres cas, les travailleurs atypiques ne sont pas admissibles à certaines protections que confère la Loi à cause d’un emploi discontinu ou de l’insuffisance des heures de travail. Si l’emploi précaire n’est pas [traduction] « synonyme d’emploi atypique », l’insécurité du travail est souvent associée à l’exercice de formes atypiques ou discontinues de travail[248]. Dans l’état actuel des choses, la plupart des dispositions de la LNE n’excluent pas explicitement les employés atypiques. En fait, il existe un certain nombre de dispositions qui tiennent spécifiquement compte des périodes d’emploi discontinues. Il y a toutefois des cas où la protection qu’assure la LNE est soumise à une période d’admissibilité. Ainsi, les personnes qui occupent plusieurs postes à temps partiel peuvent travailler 60 heures par semaine mais ne jamais avoir droit à une rémunération des heures supplémentaires car elles ne travaillent pas plus de 44 heures par semaine auprès d’un employeur particulier. Dans le même ordre d’idées, les personnes qui occupent des postes temporaires successifs peuvent ne jamais avoir droit à une période de vacances de deux semaines car il est possible qu’elles n’effectuent jamais douze mois de travail à un poste donné. Le préavis de licenciement exige au moins trois mois d’emploi. L’indemnité de cessation d’emploi exige cinq ans d’emploi, et l’employeur doit avoir une liste de paye de 2,5 millions de dollars, ou alors l’interruption doit faire partie d’une cessation d’emploi massive. Dans ce cas, non seulement la durée de service détermine l’admissibilité, mais la taille de l’entreprise est un facteur déterminant dans l’admissibilité à une protection. Bien que ces périodes d’admissibilité puissent servir ceux qui exercent des relations d’emploi typiques, le nombre grandissant de travailleurs exerçant un emploi atypique oblige peut-être à adopter des types additionnels de couverture.

Un exemple de modifications législatives prenant en compte les nouvelles réalités du monde du travail a été les changements qui ont fait en sorte que les dispositions en matière de licenciement et de cessation d’emploi s’appliquent aux employés des agences d’emploi temporaires. En vertu de la Loi de 2009 modifiant la Loi sur les normes d’emploi (agences de placement temporaire) qui est entrée en vigueur le 6 novembre 2009, les travailleurs qui obtiennent du travail par l’entremise d’une agence de placement temporaire sont réputés être des employés « ponctuels » de l’agence, qui est leur employeur. De ce fait, les dispositions en matière de cessation d’emploi et de licenciement de la Loi sur les normes d’emploi s’appliquent à ces employés tant que se poursuit la relation d’emploi entre l’agence et l’employé, que ce dernier travaille ou non à titre ponctuel auprès d’un client de l’agence.

L’écheveau de règles spéciales que comporte la LNE est à ce point complexe que le ministère du Travail a établi de nombreux documents d’interprétation pour aider à déterminer quelles normes s’appliquent à n’importe quelle situation de travail donnée. Il est probable que chaque exemption propre à un secteur particulier a été mise en place en vue de répondre à un besoin perçu de ce secteur qui était pertinent au moment de la promulgation de la Loi. Cependant, du point de vue des défenseurs des droits des travailleurs, [traduction] « la plupart des exemptions sont liées à la réglementation de la rémunération des heures supplémentaires, aux heures de travail et au salaire minimum, ce qui favorise un régime réglementaire qui permet aux employeurs de minimiser les coûts et la planification du travail »[249].

À notre avis, la pertinence actuelle des exemptions suscite des préoccupations légitimes. Le temps a passé et la Loi a été modifiée d’une manière fragmentaire au cours d’une période prolongée. Cela donne une loi qui est difficile à comprendre et à suivre. L’effet a miné le message législatif que l’Ontario prévoyait, c’est-à-dire un engagement vis-à-vis de mesures de protection minimales disponibles à grande échelle dans les lieux de travail. De l’avis de la CDO, il est temps de mettre à jour, de revoir et de simplifier les exemptions de la LNE. Il est important de déterminer si chacune repose sur des considérations sectorielles et d’intérêt public qui sont d’actualité et légitimes. Les exemptions sectorielles qui ne sont plus pertinentes ou justifiées devraient être abrogées. Pour les travailleurs à temps partiel, occasionnels et temporaires, vu la prolifération de cette forme de travail atypique, il faudrait faire de sérieux efforts  pour relever les lacunes que comportent les mesures de protection et les combler.

Les considérations d’intérêt public devraient prendre en compte une compréhension moderne de la nouvelle économie ainsi que des répercussions négatives du travail précaire et, en particulier, de son effet disproportionné sur les personnes racialisées, les femmes, les handicapés, les Autochtones, les jeunes, les immigrants récents et les personnes qui travaillent dans certains secteurs. Chaque exemption devrait être examinée en tenant compte de ces considérations dans le but général d’amoindrir la vulnérabilité et d’offrir aux travailleurs de l’Ontario une série plus uniforme et largement disponibles de droits minimaux. Un conseil consultatif sur des solutions novatrices au travail précaire, ainsi qu’il  est recommandé à la recommandation no 28, serait en mesure de fournir au ministère du Travail des conseils sur la pertinence, la justification et l’effet d’exemptions et de règles spéciales propres à un secteur particulier.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

1. a) Que le gouvernement de l’Ontario, en consultation avec le milieu syndical et les représentants des propriétaires/dirigeants d’entreprise, mette à jour, révise et simplifie les exemptions que comporte la LNE et la réglementation connexe, ce qui inclut une revue des exemptions professionnelles existantes, dans le but de s’assurer que les exemptions sont justifiées par des considérations sectorielles et d’intérêt public d’actualité;

b) que cette revue permette d’établir et d’appliquer des principes qui visent à promouvoir un plancher largement disponible de droits fondamentaux des travailleurs, y compris le fait que la justification des exemptions soit mise en équilibre avec la nécessité de réduire le travail précaire et d’offrir des normes minimales de base à un secteur plus large de la population active.

La LNE bénéficierait de l’inclusion d’un énoncé de principe général dans un préambule à la Loi en vue de souligner la détermination du gouvernement à offrir aux employés des mesures de protection minimales de base, d’étayer l’observation des règles et de favoriser la sensibilisation et la formation des membres du public, des employeurs et des employés. Une modification semblable a été apportée à la Loi sur la santé et la sécurité au travail en réponse au rapport Dean; dans cette loi a été ajoutée une nouvelle disposition énonçant les pouvoirs du ministre du Travail à l’égard de la promotion de la santé et de la sécurité au travail, de la prévention des maladies professionnelles, de la sensibilisation du public, ainsi que du développement, chez les employeurs et les travailleurs du souci de la santé et de la sécurité, de même que de l’éducation[250].

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

2. Que le gouvernement ontarien envisage de codifier dans la LNE un énoncé de principe général soulignant sa détermination à protéger des droits minimaux de base en matière d’emploi, à étayer l’observation des règles et à favoriser la sensibilisation et l’éducation des membres du public, des employeurs et des travailleurs.

2.     Le salaire minimum

À titre de cadre législatif concernant les mesures de protection minimale offertes aux employés, la LNE est la source de la détermination du salaire minimum. En 2009, selon Statistique Canada, 8,1 % des travailleurs de l’Ontario touchaient le salaire minimum; la moyenne canadienne était de 5,8 %[251]. En date du 31 mars 2010, le taux de salaire minimum en Ontario était de 10,25 $ l’heure pour la plupart des emplois; il s’agissait du taux provincial le plus élevé au Canada (de pair avec la Colombie-Britannique), et seuls le Nunavut et le Yukon affichaient des taux supérieurs, à 11,00 $ et 10,30 $ l’heure, respectivement[252]. Le salaire minimum a été haussé d’environ 50 % par rapport à 6,85 $ au début de l’année 2004 en partie pour compenser les gels antérieurs et veiller à ce que le salaire minimum devance considérablement l’inflation[253]. Pendant les années antérieures aux augmentations, les défenseurs des droits des travailleurs avaient demandé que le salaire minimum soit porté à 10 $. Après sept augmentations, en février 2011 le gouvernement a annoncé qu’il ne hausserait plus le salaire minimum mais, plutôt, qu’il « nommera[it] un comité représentant les entreprises et les travailleurs pour lui fournir des conseils sur le salaire minimum avant le budget de 2012 »[254]. Cependant, le budget, depuis ce temps, a été déposé et ce comité semble ne pas avoir été nommé.

Quelques défenseurs des droits des travailleurs et universitaires continuent de demander des augmentations additionnelles du salaire minimum, dans certains cas jusqu’à 14,55 $ l’heure[255]. D’autres possibilités ont été suggérées : lier le salaire minimum à l’indice du seuil de faible revenu (SFR) avec des rajustements annuels pour tenir compte du coût de la vie, réglementer le taux par l’entremise d’un organisme indépendant du gouvernement, ou rajuster le salaire minimum en fonction de l’inflation[256]. Les employeurs et d’autres parties ont formulé des mises en garde au sujet des effets négatifs d’une hausse marquée[257]. Dans son rapport de 2011, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante a exprimé l’avis qu’une augmentation importante du salaire minimum a généralement un effet plus négatif que positif pour les employés à faible revenu qui travaillent dans une petite ou moyenne entreprise, où les employeurs doivent absorber les coûts additionnels d’une telle mesure en réduisant les heures de travail ou les activités de formation ou en éliminant des emplois[258]. Ces entreprises emploient de nombreuses personnes travaillant au salaire minimum, et ce sont elles qui supporteraient le coût d’une telle augmentation. Le travail du comité proposé aurait été instructif si ce dernier avait été mis en œuvre. Nous sommes d’avis qu’en l’absence de directives claires sur le salaire minimum, il est capital que ce comité du salaire minimum entreprenne ce travail.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

3. Que le gouvernement de l’Ontario mette sur pied le comité du salaire minimum, ou un organisme analogue, pour étudier les questions relatives au salaire minimum et recommander, pour la détermination des rajustements futurs du salaire minimum, un processus transparent et équitable qui mette en équilibre les enjeux liés aux entreprises, à l’économie, au travail et à la pauvreté.

 

3.     Une rémunération égale pour un travail égal

Les consultations et les recherches de la CDO ont révélé qu’il était nécessaire de réagir à la situation des travailleurs à temps partiel qui touchent une rémunération inférieure à celle des travailleurs à temps plein. Même s’il existe souvent des raisons commerciales légitimes pour embaucher des employés à temps partiel, certains employeurs semblent recourir à cette formule pour embaucher des travailleurs à un tarif inférieur[259]. Arthurs fait valoir que, à moins que la différence soit justifiée par les niveaux de compétence, l’expérience ou la description de tâches, de tels écarts sont inéquitables pour les personnes travaillant à temps partiel et, en fin de compte, ils réduiront également les normes concernant les travailleurs à temps plein[260]. Les effets négatifs de cette situation sont exacerbés par le fait que le travail à temps partiel est hautement sexospécifique et que, chez les travailleurs à temps partiel, les femmes sont plus susceptibles d’être faiblement rémunérées[261]. Comme il a été mentionné plus tôt, même si le choix est un facteur qui compte pour bon nombre de femmes travaillant à temps partiel, ce choix est fréquemment illusoire quand les femmes sont liées par des responsabilités de nature domestique et en matière de prestation de soins.

Les données recueillies donnent également à penser que les parents vivant seuls – il s’agit souvent de femmes – les travailleurs racialisés et les immigrants récents sont plus susceptibles de se retrouver dans un travail temporaire à temps partiel[262]. Le fait de rémunérer des travailleurs à temps partiel à un tarif inférieur à celui des travailleurs à plein temps crée, dans une mesure disproportionnée, une vulnérabilité au sein des groupes traditionnellement défavorisés. Quelques membres du Groupe consultatif du projet ont fait des commentaires sur la nécessité que de telles dispositions s’appliquent à l’ensemble des travailleurs, y compris les travailleurs occasionnels, temporaires et à temps partiel. Cela paraîtrait justifiable en l’absence d’un motif clair pour distinguer le travail accompli en fonction de l’expérience, des compétences ou de la description de tâches.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

4. Que le gouvernement de l’Ontario envisage d’apporter des modifications à la LNE afin d’exiger que tous les travailleurs occupant des postes équivalents soient rémunérés au moins au même tarif que leurs homologues à temps plein permanents.

  

4.     Les avantages sociaux

Arthurs a suggéré que le gouvernement étudie un éventail de possibilités en vue d’élaborer de nouveaux mécanismes, comme une banque d’avantages ou d’autres moyens d’offrir une protection aux travailleurs atypiques dans le cadre d’un régime d’assurance collective achetée par les employés et/ou les employeurs ou un régime offert par un organisme public.

Quel que soit le modèle adéquat, il faut trouver une façon d’offrir une protection aux travailleurs vulnérables qui n’y ont pas accès à l’heure actuelle. De plus, il vaudrait mieux trouver la solution plus tôt que tard. Alors que les taux de syndicalisation sont en baisse, alors que davantage de travailleurs passent des grandes entreprises aux petites et qu’un nombre croissant de travailleurs passent d’un emploi régulier à des contrats atypiques ou au travail indépendant, le bien-fondé d’une nouvelle approche relative à une couverture d’assurance repose sur une nouvelle base : ce ne sont pas seulement les travailleurs vulnérables qui ont besoin de protection, mais une proportion croissante de la population active[263].

Une proposition qui a été suggérée pour répondre aux besoins des travailleurs temporaires sur le plan des avantages sociaux est le fait d’obliger les employeurs à payer une prime pour les contrats de travail à court terme. Le gouvernement, après avoir consulté les représentants des employés et des employeurs, pourrait peut-être examiner ultérieurement si cette idée, qui est appliquée en France dans le cas des travailleurs d’agences temporaires et les travailleurs à contrat d’une durée déterminée, lesquels reçoivent un pourcentage additionnel de leur rémunération (10 % et 6 %, respectivement) à la fin de leur travail, pourrait être adaptée pour une partie ou la totalité des travailleurs à court terme en vue de compenser le manque d’avantages. Nous sommes conscients qu’une telle innovation aurait, pour les employeurs, des répercussions importantes sur le plan des coûts. L’examen d’une telle initiative obligerait donc forcément à effectuer une analyse détaillée des coûts et des avantages qu’elle représenterait pour toutes les parties en vue de déterminer la meilleure voie à suivre. Il serait également justifié d’étudier la situation de l’initiative menée en France compte tenu de la tourmente économique que l’on vit depuis peu. Le Conseil consultatif sur des solutions novatrices pour le travail précaire (recommandation no 28) pourrait examiner de telles questions.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

5. Que le gouvernement ontarien, en consultation avec les représentants du milieu syndical, du patronat et du secteur de l’assurance, étudie diverses options concernant la fourniture d’avantages sociaux aux travailleurs atypiques et aux autres travailleurs non protégés, en prenant en considération les concepts d’une banque d’avantages et d’une prime obligatoire pour les travailleurs temporaires à contrat d’une durée déterminée, entre autres options.

 

5.     Les congés d’urgence/pour raison médicale

Les congés d’urgence personnelle pour les employés atypiques

Les dispositions de la LNE en matière de congé d’urgence personnelle prévoient une période annuelle de dix jours de congé non rémunérés en cas de maladie, de blessure, d’urgence médicale, de deuil ou d’une situation d’urgence concernant un proche parent. Ces dispositions ne s’appliquent qu’aux employés dont l’employeur emploie régulièrement au moins cinquante personnes. Même si ce n’est pas indiqué explicitement dans la Loi, le ministère du Travail indique que les employés à temps partiel ont droit chaque année à la pleine période de dix jours même s’ils n’ont commencé leur emploi qu’en cours d’année[264]. Le Guide de politique et d’interprétation concernant la LNE ne dit rien au sujet de l’admissibilité des employés temporaires à un congé d’urgence personnelle. Par contraste, le guide indique explicitement que les congés pour raison médicale, par exemple, sont offerts aux employés à contrat[265].

Le congé familial pour raison médicale est un congé d’une durée de huit semaines, qui permet d’offrir des soins ou du soutien à des membres prescrits de la famille qui sont gravement malades et qui risquent de décéder. Contrairement aux congés d’urgence personnelle, ce congé familial ne se limite pas aux grandes entreprises. Le congé familial pour aidants naturels, un autre congé d’une durée de huit semaines qui a été présenté à l’Assemblée législative en décembre 2011 procurera, s’il est adopté, un congé protégé et non payé d’au plus huit semaines pour permettre aux employés d’apporter des soins et un soutien à un membre de la famille « gravement » malade ou blessé. Il n’est pas nécessaire que le décès soit imminent et il n’existe aucune restriction à l’égard des personnes qui travaillent dans une petite entreprise. Le congé familial pour aidants naturels représente une reconnaissance prescrite par la loi et relativement récente des responsabilités familiales qu’assument les travailleurs. Pourtant, ce congé ne dépend pas de la taille de l’entreprise de l’employeur, comme ce l’est dans le cas du congé d’urgence personnelle.

Lors des consultations de la CDO, les répondants ont fait remarquer que le manque d’accès à un congé d’urgence personnelle est particulièrement difficile pour les travailleurs vulnérables, qui travaillent souvent dans de petites entreprises[266]. L’exemple des femmes enceintes obligées de se rendre à un rendez-vous chez le médecin a été évoqué comme une lacune particulièrement critique. Certains organismes d’employeurs ont fait remarquer que les dispositions en matière de congé ne profitent pas nécessairement aux travailleurs à faible revenu parce que ces dispositions sont principalement utilisées, et de façon inappropriée dans certains cas, par des travailleurs occupant des postes plus spécialisés. Certains membres du Groupe consultatif du projet se sont dits en faveur de l’idée d’étendre le congé d’urgence personnelle à la totalité des employés et de promulguer des dispositions concernant les congés de maladie payés.

La CDO croit que le congé d’urgence personnelle devrait être offert à tous les travailleurs, quelle que soit la taille de l’entreprise. Nous sommes conscients, toutefois, que les entreprises de petite taille fonctionnent peut-être avec moins de souplesse que les entreprises de grande taille. Les employeurs ont également fait état de leurs préoccupations quant à la capacité de demeurer concurrentiels face à une réglementation moins stricte dans les provinces voisines[267]. Une possibilité que l’on suggère est de légiférer un congé d’urgence personnelle prolongé tout en classant les congés disponibles dans des catégories plus définies, comme c’est le cas à l’Île-du-Prince-Édouard. La législation de cette province en matière de normes d’emploi prévoit trois jours de maladie par année en cas de maladie et de blessure; de plus, après cinq ans d’emploi, un jour de congé de maladie payé est disponible. Trois jours de congé non payés sont disponibles en cas de deuil, et l’un de ces jours est rémunéré si c’est un membre de la famille immédiate qui est décédé[268]. L’inconvénient pour les travailleurs est que l’on imposerait des limites plus définies à la durée du congé que l’on pourrait prendre pour n’importe quelle catégorie donnée; cependant, la protection serait offerte à tous. Nous signalons que l’Île-du-Prince-Édouard est la seule province du Canada à avoir introduit des dispositions en matière de congé de maladie rémunéré dans sa législation relative aux normes d’emploi, et les dispositions sont très restreintes. Les membres du Groupe consultatif du projet ont évoqué le problème que constitue la question de savoir comment garantir que l’on offre aux travailleurs à temps partiel, temporaires et occasionnels une forme quelconque de ces avantages et que cette disponibilité est clairement communiquée aux employés.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

6. Que le gouvernement ontarien examine les dispositions en matière de congé d’urgence personnelle que comporte la LNE afin de trouver des moyens d’étendre cet avantage aux personnes qui travaillent dans un lieu de travail comptant moins de cinquante employés (cela inclut les employés à temps partiel, occasionnels et temporaires).

 

Le congé pour raison médicale prolongé

Quelques membres du Groupe consultatif du projet croient que la Loi sur les normes d’emploi devrait protéger les travailleurs en cas de maladie de longue durée. Des preuves anecdotiques ont été citées au sujet de modèles européens prometteurs de régimes d’assurance obligatoires payés par l’employeur. On a aussi évoqué la possibilité d’obliger légalement les employeurs à étendre les avantages aux travailleurs atypiques si les employés à temps plein sont protégés. La loi de la Saskatchewan qui exige que l’on accorde des avantages à certains employés à temps partiel a été évoquée, mais il vaut la peine de mentionner que cette loi comporte des limites importantes. Pour ce qui est de s’abstenir de recommander que des employeurs offrent des avantages aux travailleurs atypiques, les commentaires qu’Arthurs a faits sont utiles :

Il ne fait aucun doute que certains employeurs décident de ne pas accorder de protection aux travailleurs atypiques dans le seul but de réduire leurs coûts de main-d’œuvre. Cependant, il est également probable que le fait d’accorder une protection aux travailleurs atypiques et à ceux qui sont au service des PME est plus compliqué et onéreux que dans le cas des travailleurs employés à temps plein dans de grandes entreprises. Le problème actuariel de répartir les risques dans un petit groupe, les déséconomies administratives de régimes à petite échelle et le problème du calcul au prorata de certains avantages pour les travailleurs à temps partiel représentent tous des désincitations éventuelles pour les employeurs qui songent à accorder des avantages sociaux aux travailleurs atypiques. Ces problèmes sont gravement exacerbés par les difficultés que pose la collecte des cotisations d’une population de passage, notamment les travailleurs temporaires et les travailleurs d’agences de placement, et le versement des prestations. Il est difficile d’établir clairement si les obstacles que j’ai cernés concernant l’octroi d’avantages sociaux sont réels ou purement hypothétiques. Cependant, je ne suis pas disposé à recommander que les employeurs soient tenus de fournir des avantages sociaux aux travailleurs atypiques à moins d’être convaincu qu’il est pratiquement possible pour eux de le faire[269].

 

C.              La connaissance des droits et des obligations

1.     Les mesures de sensibilisation, d’éducation et d’information du public

Dans « Équité au travail », Arthurs fait remarquer :

Les programmes destinés à sensibiliser les travailleurs et les employeurs à leurs droits et à leurs obligations […] sont l’un des meilleurs moyens d’assurer la conformité aux normes du travail. Lorsque c’est possible, ces programmes devraient être entrepris en collaboration avec des organismes représentant les employeurs, les travailleurs ou des organismes de défense[270].

Le manque de connaissance des travailleurs et des employeurs à propos de leurs droits et de leurs responsabilités est un thème qui a été souvent mentionné lors des consultations de la CDO par les représentants du gouvernement, les employeurs, les travailleurs, les fournisseurs de services communautaires, les défenseurs des droits des travailleurs et les universitaires[271].

Le ministère du Travail a fait des efforts considérables pour répondre aux préoccupations entourant le manque de connaissance en créant son site Web sur la LNE, où l’on trouve, sous une forme multilingue, des informations, des outils spéciaux et des coordonnées concernant la ligne téléphonique du Ministère. Malgré ces efforts, les consultations ont montré qu’un accès restreint aux ordinateurs, les limites de littéracie et des connaissances linguistiques, de même que la crainte de représailles, créent des obstacles à l’accès des travailleurs au système. Lors des consultations que nous avons menées auprès de travailleurs étrangers temporaires, la CDO a entendu dire que certains n’avaient reçu aucune information sur leurs droits avant leur arrivée au Canada et qu’ils ignoraient vers qui se tourner pour obtenir de l’aide.

Des efforts plus poussés pour rehausser l’éducation du public seraient un moyen efficace de faire passer le message. À titre d’exemple, il est proposé dans le rapport « Working on the Edge » que l’on fasse la promotion des droits des employés et des responsabilités des employeurs dans le cadre d’une campagne d’éducation publique menée par le ministère du Travail[272]. Une campagne axée sur des annonces, des affiches et des séances d’information ferait mieux connaître la loi aux travailleurs et aux entreprises en faisant ressortir l’appui du gouvernement en faveur de la protection des travailleurs vulnérables et en soutenant les employeurs qui respectent les exigences de la LNE. D’après les informations que nous avons reçues lors de nos consultations, la CDO signale l’importance d’une éducation publique active plutôt que passive. L’accent mis par le ministère du Travail sur le fait de communiquer activement les informations aux travailleurs et aux employeurs plutôt que de se fier principalement au site Web du Ministère aurait un impact plus marqué. Tant les représentants des employeurs que ceux des travailleurs ont fait état de leurs préoccupations au sujet d’un recours excessif à Internet pour diffuser des informations au public. Ce n’est pas tout le monde qui a accès à Internet, et les régions rurales de l’Ontario n’ont pas toujours accès au service haute vitesse. Les documents et les séances d’éducation publique devraient être situés là où les travailleurs et les employeurs se trouvent, dans des endroits publics tels que le métro et l’autobus, à la télévision, ainsi que dans les lieux de travail. Les comités gouvernement-employeur-employé existants seraient peut-être un autre moyen de diffuser des informations. Une telle campagne pourrait être lancée dans le cadre d’une stratégie provinciale de plus grande envergure que nous suggérons à la recommandation no 52.

Le ministère du Travail mène actuellement un certain nombre de séances d’information auprès de groupes de travailleurs et d’employeurs. Des programmes comme ceux-là, notamment ceux qui mettent l’accent sur des contacts personnels entre le Ministère et le milieu de l’emploi, doivent être soutenus et élargis. Divers commentateurs ont proposé d’améliorer l’accès à la LNE par des contacts personnels directs ainsi que dans le cadre de partenariats entre le Ministère et le milieu de l’emploi[273]. Le ministère du Travail est bien placé pour continuer d’étendre ses programmes d’information actuels et nouer des partenariats avec le milieu de l’emploi grâce à la mise en œuvre d’initiatives destinées aux travailleurs œuvrant dans les secteurs et les groupes qui, dans une mesure disproportionnée, sont touchés par un emploi précaire, soit, notamment, les travailleurs étrangers temporaires, les immigrants récents, les jeunes, les handicapés, les personnes racialisées, les Autochtones et les femmes.

Un certain nombre de commentateurs ont préconisé un modèle fondé sur le New York Wage Watch Program, que le département du Travail de l’État de New York a lancé à titre de projet-pilote en 2009[274]. Il s’agit d’un programme de partenariat officiel entre le gouvernement et divers organismes communautaires qui a pour but d’organiser des séances sur les droits des travailleurs, de fournir aux employeurs des renseignements sur l’observation des exigences, de distribuer de la documentation et de soumettre au département du Travail les cas de violation. Il s’agit d’un projet innovateur qui forme des membres de la collectivité travaillant en étroite collaboration avec les travailleurs et les employeurs sur le terrain ainsi qu’avec les organismes gouvernementaux chargés d’appliquer les lois du travail. Le programme a suscité une certaine controverse, en ce sens qu’il est structuré comme un programme d’information et d’éducation, mais ses opposants ont exprimé le souci qu’il s’agit, en réalité, d’une forme d’exécution à l’échelon communautaire dont on se sert comme mécanisme de syndicalisation[275]. De plus, les opposants soutiennent que le programme a été mis en œuvre sans consulter le milieu des employeurs. À notre avis, un programme qui établit des partenariats entre le milieu de l’emploi et le gouvernement pour améliorer la connaissance des droits et des responsabilités serait avantageux. De pair avec la recommandation récente du rapport Drummond en faveur d’une participation accrue des intervenants et des groupes communautaires à l’élaboration des politiques, la mise en œuvre de tout programme de cette nature obligerait à consulter les organismes d’employeurs et de travailleurs, ainsi qu’à étudier avec soin l’efficacité et les effets du programme de l’État de New York[276].

Comme le suggèrent les recommandations nos 13 et 24, l’expansion des services relatifs aux droits des travailleurs que fournit le système d’Aide juridique Ontario et/ou les organismes communautaires servant les travailleurs vulnérables serait un autre moyen de rehausser la capacité d’offrir des séances d’éducation et d’établir des partenariats entre le gouvernement et le milieu de l’emploi. L’objectif serait de rehausser la connaissance de la LNE. Cette option permettrait d’amoindrir la crainte que ressentent les travailleurs à l’idée de poursuivre des réclamations légitimes sous le régime de la LNE, ce qui mènerait à un accès accru à la justice.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

7. Que le ministère du Travail :

a) lance une campagne de sensibilisation publique sur les droits et les responsabilités que prévoit la Loi sur les normes d’emploi;

b) réponde aux besoins des travailleurs et des employeurs en informations additionnelles sur la LNE, et continue d’offrir et d’étendre les mécanismes d’information grâce à des séances d’information ou d’éducation sur la LNE, dont, notamment, aux personnes faisant partie des secteurs et des groupes à risque élevé;

c) noue des partenariats avec les organismes représentant les employeurs, les employés et la collectivité de façon à ce que les travailleurs et les employeurs aient une meilleure connaissance des droits et des responsabilités que prévoit la LNE.

2.     La remise d’un document portant sur la LNE au début de la relation de travail

Une stratégie simple et presque gratuite que l’on pourrait utiliser pour rehausser la connaissance de la LNE et soutenir l’observation des exigences dans les lieux de travail serait de remettre un document aux employés au début de la relation de travail. À l’heure actuelle, le paragraphe 2(3) de la Loi sur les normes d’emploi exige que les employeurs mettent en montre dans le lieu de travail une affiche d’information qui présente les droits et les responsabilités que prévoit la LNE et qui indiquent les coordonnées du ministère du Travail. Cette affiche – un document d’une page – est disponible sous forme imprimable au site Web du ministère du Travail. Les employeurs peuvent l’obtenir sur le site Web gratuitement et en plusieurs langues. Nous suggérons d’apporter à la LNE une modification qui obligerait les employeurs, au début de la relation de travail, à non seulement mettre l’affiche bien en vue, mais aussi à la remettre sous la forme d’un document à tous les nouveaux employés, et ce, tant en anglais que dans la langue du travailleur, si cela est possible. À notre avis, cela augmenterait les chances que l’on mette a la disposition des travailleurs des informations de base sur la LNE. Cela augmenterait aussi les chances que les travailleurs emportent le document chez eux, le lisent et, peut-être aussi, que d’autres membres de la famille en prennent également connaissance. Une telle meure offre la possibilité d’inciter à en parler et à poser des questions. Cela pourrait amener plus de travailleurs à consulter le site Web du Ministère. En remettant un tel document au début de la relation de travail, les employeurs ouvriraient la voie à l’établissement d’un sentiment d’engagement à l’égard de l’observation de la LNE dans les lieux de travail.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

8. Que le gouvernement de l’Ontario modifie la LNE afin d’exiger que les employeurs remettent l’affiche relative à la LNE sous la forme d’un document à tous les nouveaux employés et ce, en anglais et, dans la mesure du possible, dans la langue de l’employé.

3.     La présentation des conditions de la relation d’emploi

Arthurs a souligné qu’il est important pour les employeurs et les travailleurs de bien comprendre les conditions d’emploi; il a recommandé que la loi oblige les employeurs à fournir aux employés non syndiqués un avis écrit des taux de rémunération, des heures de travail, des congés fériés, des vacances annuelles et des conditions de travail au début de la relation d’emploi. Une obligation d’indiquer par écrit la situation et les conditions de la relation de travail améliorerait les chances d’observation des exigences :

[…] en rappelant aux employeurs leur obligation de se conformer à la loi et en sensibilisant les employés à la possibilité de recourir à des mesures correctives en cas d’infraction à la loi. […] [U]ne bonne compréhension facilitera le recours de la partie lésée et peut-être aussi la tâche de la partie défenderesse […][277]

Les travailleurs d’agences temporaires doivent recevoir des informations décrivant l’affectation de travail, les heures de travail et le taux de salaire, aux termes de l’article 74.6 de la LNE[278]. À l’heure actuelle, conformément aux nouvelles exigences fédérales, les travailleurs étrangers temporaires (niveaux C et D de la CNP et aide familiaux résidants) sont tenus de recevoir ce type d’informations dans les contrats d’emploi types. Cela donne à penser que le gouvernement est conscient de l’effet de protection que ce type de document écrit procure aux travailleurs vulnérables. À notre avis, cette exigence devrait s’appliquer à l’ensemble des employés. Une description claire des conditions liées à l’emploi, dès le début de la relation, offre la possibilité d’une meilleure observation et, le cas échéant, d’une aide pour faire valoir les droits que confère la LNE. Dans le chapitre sur le travail autonome, il sera question d’une recommandation semblable destinée aux entrepreneurs indépendants.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

9. a) Que le gouvernement de l’Ontario modifie la LNE afin d’obliger les employeurs à fournir à tous les employés un avis écrit de leur statut en matière d’emploi et des conditions de leur contrat d’emploi;

b) que le ministère du Travail établisse des formulaires types afin d’aider les employeurs à s’acquitter de cette tâche.

D.             L’exécution de la Loi sur les normes d’emploi (LNE)

1.     Une critique du modèle existant

Dans la présente section, nous décrivons l’approche générale que suit l’Ontario à l’égard de l’exécution des normes d’emploi ainsi que les difficultés qui y sont associées. Nous analysons plus loin une série de questions incidentes qui découlent de l’exécution actuelle de la LNE.

Le modèle de réglementation de la LNE de l’Ontario a été décrit comme une [traduction] « combinaison d’approches législatives “strictes” et “souples” », dans laquelle le mot « souples » fait référence à la [traduction] « dépendance du gouvernement envers une observation volontaire de la part des employeurs ou un comportement d’autoréglementation de la part des entreprises » et le mot « strictes » désigne [traduction] « les ordonnances de paiement, les ordonnances d’exécution, ainsi que les amendes ou les poursuites »[279]. Arthurs a fait remarquer que les défenseurs des droits des travailleurs et les universitaires considèrent en général la relation d’emploi essentiellement comme un déséquilibre intrinsèque de forces  plutôt que comme une situation dans laquelle les parties à un contrat sont sur un pied d’égalité et que, en raison de cela, ils sont en faveur d’un système qui met principalement l’accent sur l’exécution d’enquêtes et de poursuites au sujet des violations des normes d’emploi en tant que responsabilité publique semblable à celle du système de justice pénale. Ces défenseurs rejettent l’idée d’un modèle d’auto-exécution qui, à leur avis, confie trop de responsabilités aux requérants individuels. Mais la réalité est plus complexe que cela. Un système d’exécution purement public comme le système de justice pénale est axé sur l’objectif d’intérêt public qui consiste à rendre justice pour la société dans son ensemble. L’indemnisation individuelle de la partie lésée joue un rôle moins important. Selon nous, un modèle de droit purement public ne fonctionnerait pas dans le cas des normes d’emploi parce qu’un objectif clé doit être le fait d’indemniser des personnes de la perte qu’ils ont subie. Par conséquent, le système doit, forcément, conserver des éléments du processus de justice civile. Comme le fait remarquer Arthurs, le système est un mélange hybride de règlements et de contrats, de droit public et de droit privé[280].

Arthurs considère que le succès du modèle existant dépend dans une large mesure de sa capacité à assurer le respect des exigences.

En bout de ligne, c’est la question de la conformité qui fait le succès ou l’échec des normes du travail. Une non-conformité à grande échelle détruit les droits des travailleurs, déstabilise le marché du travail, décourage les employeurs respectueux des lois, qui sont court-circuités par ceux qui ne les respectent pas, et diminue le respect de la population envers la loi[281].

Le ministère du Travail de l’Ontario s’efforce de promouvoir l’approche « souple » à l’égard de la conformité volontaire dans le cadre de sa stratégie de formation, de sensibilisation et de partenariat. Le site Web du Ministère présente les buts de cette stratégie :

  • créer un milieu où les employeurs et les employés connaissent leurs droits et leurs devoirs aux termes de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi (LNE);
  • faire en sorte que les employeurs soient plus conscients des devoirs que leur impose la LNE, et veiller à ce qu’ils aient les outils et ressources dont ils ont besoin pour observer la LNE;
  • favoriser l’observation de la LNE.

L’approche que suit le Ministère montre que ce dernier saisit bien le lien qui existe entre la formation et l’observation.

Le déploiement officiel de l’initiative Formation, sensibilisation et partenariat a commencé en 2009. Le dialogue avec les employeurs et les employés visés par la Loi sur les normes d’emploi fait toutefois partie du Programme des normes d’emploi depuis le tout début. On sait depuis longtemps que la formation favorise le respect des normes d’emploi[282].

Les informations sont fournies par l’entremise d’un service téléphonique multilingue, administré par Emploi Ontario, qui a servi 350 000 personnes en 2009-2010. Le Ministère a répondu à 9 000 demandes de renseignements transmises par courriel en 2010, et son site Web comporte de très nombreux outils, vidéos et documents explicatifs, et de nombreuses ressources sont disponibles en 23 langues[283]. Le Ministère organise aussi des séances d’information directes avec des groupes d’employeurs et d’employés.

Cependant, comme le signale Doorey, cette approche a ses limites.

[traduction] […] de nombreux employeurs évaluent les coûts liés à l’observation par rapport à la probabilité relativement faible d’être pris en défaut et aux pénalités minimes qui sont associées à un manquement, et ils prennent la décision économique de ne pas se conformer aux exigences […]. Le ministère du Travail présente déjà des ressources considérables sur ses divers sites Web, et il offre une aide téléphonique pour fournir des conseils aux travailleurs. Cependant, peu d’employés vulnérables savent comment trouver ces sites Web ou même les chercher, même en présumant qu’ils ont accès à Internet ou qu’ils sont au courant de l’existence du service téléphonique. Le ministère du travail a eu la bonne idée de traduire certaines des informations en plusieurs langues, mais le site général du Ministère est en anglais et les travailleurs non anglophones ont de la difficulté à le consulter. Plus fondamentalement, un modèle destiné à aider les travailleurs vulnérables qui impose à ces derniers le fardeau d’avoir à effectuer des recherches sur Internet et à réclamer ensuite ce à quoi ils ont droit légalement sera toujours inefficace[284].

Il est ressorti de nos consultations que le manque d’exécution des normes d’emploi est fréquemment signalé[285]. Nous avons entendu parler de salaires inférieurs au salaire minimum chez les travailleurs d’agences de placement temporaire et les travailleurs étrangers temporaires. Ces derniers ont fait été de salaires impayés. Les agences temporaires continuent, a-t-il été dit, de percevoir des frais même si les nouvelles dispositions interdisent cette pratique[286]. Les travailleurs sans statut ont été victimes de multiples violations[287]. La CDO a été mise au courant de l’existence d’« agents » qui placent des travailleurs agricoles étrangers temporaires chez des employeurs, ce qui crée une relation d’emploi triangulaire semblable à celle des agences de placement temporaire. Les employeurs ne paient pas plus que le salaire minimum de 10,25 $ l’heure à l’agent, et le travailleur reçoit de ce dernier un montant inférieur (aussi peu que 7,50 $ l’heure)[288]. Les problèmes liés aux salaires impayés, aux indemnités de vacances, aux indemnités de cessation d’emploi, aux heures supplémentaires et aux jours fériés ont été les principales plaintes signalées au ministère du Travail[289]. Certains laissent entendre que les violations de la LNE sont généralisées[290].

[traduction] Ce qui ressort nettement de l’expérience vécue par les travailleurs est la « quotidienneté » des conditions de travail inférieures à la norme. Les travailleurs ne font pas juste état d’une seule expérience vécue sur le plan des violations que commettent les employeurs. Quand on examine les expériences de travail antérieures, il devient clair que les personnes qui exercent un travail précaire et touchent un faible revenu sont victimes, emploi après emploi, de violations des normes du travail[…] les travailleurs passent d’un mauvais emploi à un autre, sans protection aucune contre les violations des employeurs[291].

Malgré ces comptes rendus, les recherches et les consultations que la CDO a menées ont révélé que de nombreux employeurs se conforment aux dispositions législatives.

[traduction] Ces conclusions n’indiquent pas que tous les employeurs, ou la plupart d’entre eux, violent les NE [normes d’emploi]. Un grand nombre d’entre eux se conforment bel et bien à la LNE. Cependant, la prévalence des violations mine la situation des employeurs qui se conforment aux normes minimales en matière de travail et contribue à exercer une pression à la baisse sur les salaires et les conditions de travail[292].

Les défenseurs des droits des travailleurs ont fait remarquer, avec raison selon nous, que l’actuel processus met exagérément l’accent sur les enquêtes portant sur les plaintes individuelles de violations de la part des employeurs[293]. La détection de ces dernières se fait principalement par les mesures d’auto-exécution et les réclamations individuelles des travailleurs. Cette approche a été qualifiée de [traduction] « coûteuse, et risque de surcharger la capacité disponible »[294].

On s’entend généralement pour dire que l’exécution proactive est un mécanisme nettement plus efficace pour assurer l’application des mesures de protection prévues par la LNE que le système réactif qui consiste à répondre à des plaintes individuelles. On a laissé entendre que la valeur des inspections proactives est démontrée par le fait que l’on a découvert des violations dans de 40 % à 90 % de ces inspections[295]. Le succès de cette méthode est également attribué au fait que 92 % à 99 % des cas confirmés de salaires impayés sont recouvrés grâce à des processus proactifs, tandis qu’environ la moitié seulement sont recouvrés au moyen du processus de réclamation individuelle[296].

Dans « Équité au travail », Arthurs a déclaré :

J’ai reçu de nombreux mémoires mentionnant que la stratégie d’application du Programme du travail devrait être plus proactive. Au lieu de se concentrer sur le traitement des plaintes des travailleurs, les inspecteurs devraient prendre l’initiative de vérifier de façon aléatoire des secteurs ou des entreprises qui affichent un profil de non-conformité ou faire un effort concerté pour assurer l’application des dispositions spécifiques de la Partie III qui semblent donner lieu à des infractions trop fréquentes. Ces mémoires sont plausibles et j’y souscris[297].

Le régime de santé et de sécurité au travail est considéré comme un système qui met plus l’accent sur les activités d’exécution proactive que le système de la LNE[298]. En plaidant en faveur d’une exécution plus proactive des dispositions du régime de la LNE, Vosko et ses collaborateurs font ressortir que même s’il peut paraître raisonnable de donner la priorité à une plus grande protection au chapitre de la santé et de la sécurité par rapport aux mesures de protection relatives à l’emploi, auxquelles il est possible de remédier au moyen d’une indemnisation pécuniaire, il ne faudrait pas trop insister sur les différences, compte tenu des effets négatifs sur la qualité de vie associée à un travail précaire prolongé[299].

On semble s’entendre généralement pour dire que l’Ontario devrait changer d’orientation et se concentrer davantage sur les activités d’exécution proactives. Nous sommes d’accord. Cependant, on continuera d’avoir besoin d’un modèle qui répond aussi aux plaintes individuelles.

La meilleure façon d’assurer la conformité semble être le recours à un éventail de stratégies qui devraient comprendre l’information, l’éducation, la persuasion et la surveillance proactive – toutes conçues pour encourager la conformité sans faire appel à la coercition. Les stratégies devraient également inclure des recours et des sanctions efficaces – administratives, civiles et pénales – de sévérité croissante. Les sanctions devraient être utilisées lorsque les mesures non coercitives ne produisent pas les résultats souhaités, particulièrement dans le cas d’infractions flagrantes. Les stratégies de conformité devraient fonctionner en grande partie de façon proactive, plutôt que d’être mises en œuvre après qu’une infraction a été commise. Elles devraient en outre s’attaquer aussi bien aux causes profondes et aux motifs caractéristiques de non-conformité persistante qu’aux infractions isolées[300].

[…] Il reste qu’il est très difficile de refuser d’entendre un plaignant dont la cause semble valable en droit[301].

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

10. Que les activités d’exécution de la LNE du ministère du Travail continuent de recourir à un éventail de stratégies, dont l’observation volontaire, les inspections proactives et le fait de répondre aux plaintes individuelles. Cependant, il faudrait mettre davantage l’accent sur les processus d’exécution proactifs.

2.     Les problèmes particuliers qui découlent des mesures d’exécution actuelles

Faire des démarches auprès de l’employeur avant de formuler une réclamation

Comme nous l’avons noté, le principal mode d’exécution que prévoit la structure actuelle de la LNE – le processus des réclamations individuelles – a été l’objet de nombreux commentaires négatifs. Les opinions de la plupart des universitaires et défenseurs des droits des travailleurs concordent avec les commentaires du professeur Eric Tucker : [traduction] « il est peu vraisemblable que la plupart des travailleurs soient des protagonistes assurés »[302]. En d’autres termes, les travailleurs vulnérables, exerçant un emploi peu sûr, sont mal placés pour formuler des plaintes. On a laissé entendre que le système des réclamations individuelles est plus problématique à cause du fait que, depuis toujours, le ministère du Travail incite les employés à tenter par eux-mêmes de recouvrer ce qui leur est dû[303]. Fait non surprenant, les défenseurs des droits des travailleurs voient d’un très mauvais œil la promulgation de changements en vertu de la Loi favorisant un Ontario propice aux affaires qui ont eu pour effet d’imposer des obligations additionnelles à de nombreux plaignants avant qu’une enquête débute[304]. Conformément aux modifications qui sont entrées en vigueur en janvier 2011, le directeur des Normes d’emploi peut exiger que le plaignant prenne certaines mesures, comme communiquer avec l’employeur au sujet du manquement commis et fournir des renseignements au sujet de la réponse de l’employeur. Même si ce n’est pas indiqué explicitement dans la loi ou le Guide de politique et d’interprétation concernant la LNE, il ressort clairement des déclarations faites dans son site Web que le ministère du Travail a pris la décision générale d’exiger que tous les plaignants entrent en contact avec leurs employeurs au sujet du manquement commis sauf s’il est décidé de renoncer à cette exigence[305]. Les documents du ministère du Travail indiquent clairement qu’il est possible de faire des exceptions pour les travailleurs vulnérables, comme les aides familiaux résidents, les jeunes, les personnes handicapées, les travailleurs ayant des obstacles linguistiques, les travailleurs qui craignent leurs employeurs, les travailleurs ayant des motifs liés au Code des droits de la personne ou les travailleurs ayant d’autres raisons appropriées[306]. Des exceptions peuvent être faites aussi pour des situations telles que celles où la réclamation est proche du délai de prescription de six mois, ou celles où il est impossible de situer l’employeur. Ces exceptions peuvent être accordées, sur demande, vraisemblablement dans le cadre du pouvoir discrétionnaire dont dispose le directeur (ou son délégué). On ignore la fréquence avec laquelle ces exceptions sont demandées ou accordées.

Bien que la CDO n’ait pas entendu de cas dans lesquels le Ministère avait refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire dans des situations appropriées, il ressort manifestement des documents que nous avons examinés que les défenseurs des droits des travailleurs croient que le processus dissuade fortement les travailleurs de déposer une réclamation. À titre d’exemple, la campagne « Color of Poverty » et la Metro Chinese and Southeast Asian Legal Clinic ont soutenu l’élimination de toutes les exigences impératives concernant les travailleurs qui tentent de faire rectifier par eux-mêmes les manquements à la LNE auprès des employeurs avant de déposer une réclamation[307]. Nous ne sommes pas sûrs si les défenseurs des droits des travailleurs fondent leurs objections sur des cas concrets où le Ministère n’a pas renoncé à l’exigence pour les travailleurs vulnérables, ou s’ils croient que l’on dissuade simplement d’emblée les travailleurs de déposer des réclamations, même par la possibilité d’avoir à faire des démarches auprès de l’employeur. Il est possible aussi que la disposition du Ministère à renoncer à l’exigence pour les travailleurs vulnérables soit mal connue parmi les représentants des employés et des travailleurs. Même si le site Web du ministère du Travail mentionne les exceptions, il est souligné ailleurs que la plupart des employés doivent entrer en contact avec leur employeur. Les commentaires faits en ligne et les renseignements sur la LNE relevés parmi les intervenants révèlent que les exceptions ne sont souvent pas mentionnées[308]. Quoi qu’il en soit, il est possible que, par principe, les défenseurs des droits des travailleurs s’opposent à ce que l’on exige des travailleurs qu’ils demandent une protection spéciale à titre d’exception plutôt que d’en bénéficier de plein droit.

Quel que soit le fondement précis de leurs objections, les défenseurs des droits des travailleurs ont peu confiance dans le système actuel. La CDO n’a pas pu déterminer s’il y avait eu un effet quelconque sur les réclamations depuis la mise en œuvre de la Loi favorisant un Ontario propice aux affaires. Les données que l’on pourrait obtenir du ministère du Travail ne sont pas encore disponibles pour la période pertinente. À notre avis, ce problème est assez sérieux pour justifier la tenue d’un examen. Conformément aux conclusions tirées dans le rapport Drummond, lesquelles recommandent que les ministères améliorent leurs processus de collecte de données et établissent des politiques fondées sur des données probantes, nous sommes d’avis qu’il faudrait entreprendre d’évaluer l’effet des changements apportés à la Loi favorisant un Ontario propice aux affaires dans le but de déterminer si le nombre des réclamations a diminué depuis l’entrée en vigueur de cette loi et, dans l’affirmative, si le changement de politique a été le facteur déclencheur[309]. Si oui, cela justifierait que l’on reconsidère la décision de principe qui exige, en règle générale, que les employés entrent en contact avec leurs employeurs avant de déposer une réclamation en vertu de la LNE.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

11. Que le ministère du Travail :

a) recueille des données et procède à une évaluation afin de déterminer l’effet de la politique exigeant que les employés fassent des démarches auprès de leur employeur avant de déposer une réclamation fondée sur la LNE;

b) envisage d’éliminer la politique si l’évaluation révèle l’existence d’effets négatifs, comme une diminution du nombre des réclamations due aux changements de principe.

12. Que le ministère du Travail améliore les communications au sujet des exemptions permettant aux travailleurs vulnérables de faire des démarches auprès des employeurs au début d’une réclamation fondée sur la LNE.

Activer et faciliter le traitement des réclamations en vertu de la LNE

Lors des consultations, il a été indiqué que les longs délais de règlement des réclamations déposées en vertu de la LNE posaient des problèmes[310]. Dans un effort pour améliorer les choses, le ministère du Travail a mis sur pied un groupe de travail en août 2010 en vue de régler un arriéré de 14 000 plaintes liées aux normes d’emploi. La fin de ce travail était prévue pour le mois de mars 2012. Certains ont critiqué ce processus parce qu’il encourage les travailleurs à accepter moins que ce qui leur est dû à titre de règlement, une pratique que les défenseurs des droits des travailleurs considèrent négativement[311].

Le fait d’aider personnellement les travailleurs à établir leur réclamation a été signalé comme un moyen d’améliorer l’accessibilité aux mesures de protection de la LNE et d’activer potentiellement le processus d’établissement des réclamations, ce qui compenserait les effets du manque d’accès à Internet ou des obstacles de nature linguistique. Des renseignements appropriés sur les réclamations pourraient aider en fin de compte le travail des arbitres lors du processus décisionnel[312]. Le professeur David Doorey, dans une proposition connexe, a envisagé l’idée d’un guichet unique pour les employés ayant besoin d’aide et de conseils en rapport avec les questions visées par la LNE, ainsi que celle d’un bureau correspondant pour les employeurs, ou, subsidiairement, un bureau doté de ressources convenables et servant les deux groupes[313]. Une aide personnelle directe pourrait revêtir la forme de ressources additionnelles pour des centres d’aide juridique ou des bureaux financés par le gouvernement qui serviraient les travailleurs et les employeurs et qui rempliraient un rôle semblable à celui que joue le Bureau des conseillers des travailleurs et le Bureau des conseillers du patronat dans les domaines de la sécurité et de l’assurance au travail. Quelle que la soit la façon dont le service est structuré, il serait important d’aider les travailleurs à faire valoir leurs réclamations et d’aider les employeurs à y répondre, en veillant à ce que les renseignements requis, présentés sous la forme appropriée, soient soumis au Ministère. Des réclamations et des réponses convenablement documentées auraient pour effet d’activer le processus de règlement des réclamations, ainsi que d’en améliorer la qualité. Comme le souligne le professeur Doorey, il est également important de soutenir les employeurs. À notre avis, les petites entreprises bénéficieraient particulièrement de ce service

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

13. Que le gouvernement de l’Ontario facilite et active le processus d’établissement des réclamations déposées en vertu de la LNE en offrant aux travailleurs et aux employeurs un mécanisme leur permettant d’obtenir sur ce plan une aide personnelle grâce à des services de soutien additionnels, comme les centres d’Aide juridique Ontario, le Bureau des conseillers des travailleurs ou d’autres types de services d’aide aux travailleurs et aux employeurs.

Le délai de prescription et le plafond pécuniaire

L’article 111 de la LNE fixe un délai de prescription de six mois pour ce qui est du dépôt d’une plainte en matière salariale. Les délais de prescription, dans le cas d’un recouvrement de salaire, sont plus longs dans les cas de manquement répété ainsi que dans le cas de recouvrement d’une indemnité de vacances. Pour ce qui est des contraventions à l’égard desquelles la mesure de réparation sollicitée est une réintégration ou une indemnisation, le délai de prescription général est de deux ans aux termes du paragraphe 96(3). Les délais de prescription impératifs peuvent être prolongés dans des cas exceptionnels de dissimulation frauduleuse dans le cadre de laquelle l’employé a été induit en erreur[314]. La LNE impose également un plafond pécuniaire de 10 000 $.

Le délai de prescription plus court qui a été établi pour les recouvrements de salaire peut activer le dépôt des plaintes, ce qui pourrait être avantageux pour toutes les parties. Il est vraisemblablement plus facile de faire enquête sur une plainte déposée plus tôt. Les employeurs bénéficient du fait que des plaintes restent en suspens dans leurs livres pendant une durée nettement plus courte. Cependant, les plaignants retardataires n’ont aucun recours en vertu de la LNE et ont pour seul choix de demander réparation devant les tribunaux civils. Nombreux sont les plaignants qui seront incapables de suivre le processus de la Cour des petites créances. De plus, comme d’autres l’ont fait remarquer, la plupart des plaintes sont déposées après que les travailleurs ont quitté l’emploi en question, et certains d’entre eux quittent leur emploi sans bénéficier de [traduction] « montants considérables de salaire impayé et de droits. Cependant, le plafond de 10 000 $ que la LNE impose aux sommes d’argent qu’il est possible de recouvrer laisse ces travailleurs sans recours par l’entremise du processus de réclamation [lié aux normes d’emploi] »[315]. [traduction] « La suppression d’emplois et les difficultés que représente le fait d’apprendre comment faire valoir ses droits en matière de NE » font que le délai de prescription de six mois présente un obstacle de taille à ceux qui veulent avoir accès aux mesures de protection qu’offre la LNE[316].

Ces obstacles, conjugués aux augmentations récentes du salaire minimum, donnent à penser qu’il serait justifié d’étendre le délai de prescription de six mois que prévoit la LNE à un délai de deux ans pour les cas de recouvrement de salaire et de hausser le plafond pécuniaire à 25 000 $[317]. Cela ferait concorder le plafond de la LNE avec celui de la Cour des petites créances. À notre avis, il ne semble pas y avoir de justification suffisamment valable pour plafonner la LNE à un taux inférieur à celui de la Cour des petites créances, ni pour imposer un délai de prescription plus court pour les recouvrements de salaire que pour les indemnités de vacances ou les autres mesures de réparation de la LNE. Le fait de prévoir un délai de prescription de deux ans pour toutes les plaintes assurerait une certaine uniformité avec les autres délais de prescription que prévoit la Loi et répondrait de manière appropriée aux préoccupations entourant les obstacles auxquels les travailleurs sont confrontés à cause des plafonds imposés.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

14. Que le gouvernement de l’Ontario :

a) étende les délais de prescription à deux ans pour toutes les mesures de réparation que prévoit la LNE;

b) hausse le plafond pécuniaire que fixe la LNE à 25 000 $. 

 

Les plaintes d’une tierce partie et les plaintes anonymes

[traduction] Rares sont les employés non syndiqués qui déposent une plainte en vertu de la LNE. Les mécanismes d’exécution de cette dernière sont utilisés presque exclusivement par des employés syndiqués, qui peuvent déposer un grief dans le cadre d’une convention collective, ainsi que par d’anciens employés, congédiés par leur employeur ou ayant démissionné[318].

Le vérificateur général a exprimé un point de vue analogue[319]. Cela dénote l’existence d’un système qui ne répond pas au besoin de protéger les travailleurs pendant qu’ils exercent un emploi. Il a été proposé, à titre de recours partiel, que le ministère du Travail accepte de recevoir les plaintes d’une tierce partie ainsi que les plaintes anonymes :

[traduction] […] en vue d’effectuer des inspections de façon à atténuer les menaces faites aux travailleurs dont les droits sont violés. La mise en œuvre de cette recommandation signifierait que les travailleurs exerçant un emploi particulièrement précaire, et faisant face à des menaces accrues de représailles, ne seraient pas obligés de s’en prendre à leurs employeurs […][320].

Nous sommes d’accord. Il est souhaitable, selon nous, que le ministère du Travail établisse un mécanisme permettant de recevoir les informations de tierces parties. Ces informations pourraient servir de moyen de déterminer ou de cibler des inspections proactives. Le fait d’accepter des plaintes d’une tierce partie ou des plaintes anonymes serait également un moyen de répondre aux nombreuses préoccupations sérieuses que nous avons entendues au sujet des représailles exercées. N’importe quel système établi aurait besoin de freins et de contrepoids intégrés de façon à garantir que les plaintes non fondées ne déclenchent pas des inspections coûteuses et injustifiées. Il serait important d’élaborer des critères de principe permettant de déterminer si des informations émanant d’une tierce partie, en soi ou de pair avec d’autres informations dont disposent les inspecteurs, constitueraient un fondement suffisant pour justifier le déclenchement d’une inspection.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

15. Que le ministère du Travail :

a) établisse un mécanisme – comme une ligne d’assistance téléphonique – qui permettrait aux ANE de recevoir des plaintes de tierces parties ou des plaintes anonymes susceptibles de déclencher la tenue d’une inspection proactive;

b) fixe des critères de principe correspondants afin de garantir que les plaintes non fondées ne déclenchent pas d’inspections injustifiées.

Rendant compte des pratiques relatives à l’exécution de la LNE en 2004, le vérificateur général s’est dit préoccupé par le fait que le ministère du Travail axait ses efforts presque entièrement sur les enquêtes relatives aux plaintes individuelles déposées contre d’anciens employeurs, et ce, même si des inspections proactives antérieures avaient mis au jour des contraventions dans 40 % à 90 % des cas. Comme il a été mentionné plus tôt, d’autres ont fait écho à cette préoccupation[321]. Le vérificateur général a conclu qu’il n’y avait pas eu d’améliorations importantes depuis qu’une vérification, menée en 1991, avait révélé l’existence de lacunes sur le plan des enquêtes, des inspections proactives et des poursuites. Dans son rapport de 2004, il a recommandé que l’on effectue plus d’inspections proactives, que l’on donne de meilleurs conseils aux ANE en matière d’exécution et que le Ministère évalue l’effet d’obliger les employeurs à payer les frais d’une enquête lorsqu’on relevait une contravention. Dans son rapport complémentaire de 2006, le vérificateur général a constaté que des progrès avaient été accomplis dans certains secteurs, mais il a découvert que la recommandation concernant le fait que les employeurs contrevenants paient les frais d’inspection n’avait pas été mise en œuvre. Cependant, le Ministère s’est engagé à envisager d’apporter ce changement lors d’un examen législatif futur. Le vérificateur général a fait remarquer que le ministère du Travail avait augmenté le nombre des inspections proactives, lesquelles étaient passées de 151 en 2003‑2004 à 2 355 en 2004-2005 et à 2 560 en 2005-2006. Il a considéré qu’il s’agissait là des nouveaux niveaux de référence à partir desquels établir les objectifs futurs[322]. Cependant, depuis lors, ces inspections sont tombées à moins de la moitié de ce chiffre. Seules 1 093 inspections ont été menées au cours de 2010-2011[323]. Le ministère du Travail indique à l’heure actuelle :

  • l’équipe consacrée à l’application de la loi mènera un minimum de 1 800 inspections proactives en 2011-2012 (une augmentation par rapport aux 1 100 inspections de 2010-2011) et se concentrera sur les récidivistes et les secteurs à risques élevés pour les travailleurs vulnérables;
  • étant donné que le Programme des normes d’emploi adoptera un modèle d’application de la loi plus proactif, les intervenants seront consultés au sujet des activités d’inspection et des plans de secteur[324].

Il a été recommandé de prioriser les secteurs à risque élevé où l’on trouve des travailleurs vulnérables dans les lieux de travail où une intervention aura un effet marqué et permettra de jouer un rôle dissuasif[325]. Les campagnes d’exécution et de sensibilisation sont soutenues, et elles ciblent les secteurs [traduction] « fissurés » dans lesquelles les décisions sont « téléchargées » par de gros employeurs à un réseau complexe d’employeurs de plus petite taille, comme c’est le cas dans les secteurs de l’accueil, des services de conciergerie, de la construction et de l’agriculture[326].

Comme il a été mentionné, il serait efficace que le ministère du Travail veille à ce que la représentation disproportionnée de travailleurs vulnérables dans certains secteurs et certains groupes soit prise en considération au moment de déterminer les secteurs à cibler en vue d’une augmentation des inspections proactives. Par exemple, nos consultations ont révélé que les travailleurs étrangers temporaires étaient régulièrement tenus de travailler tard et la fin de semaine sans recevoir une rémunération d’heures supplémentaires ou une indemnité de vacances. Dans certains cas, des travailleurs migrants qui travaillaient aux côtés de travailleurs canadiens ont signalé que l’on demandait rarement à ces derniers d’effectuer des heures supplémentaires et, avons-nous été informés, ils étaient généralement mieux traités. Nous avons entendu parler de cas où les tentatives que les travailleurs migrants avaient faites pour faire état de ce genre de préoccupations auprès des employeurs avaient mené à des représailles de la part de ces derniers, qui avaient insisté pour qu’ils effectuent des heures additionnelles en les menaçant de les congédier s’ils refusaient. Nous avons entendu parler d’agressions sexuelles à l’endroit d’employées dans les lieux de travail[327].

La vérification de 1991 a spécifiquement indiqué que la non-augmentation du nombre des enquêtes était un problème important. Lorsque les contraventions étaient décelées, l’enquête n’était pas étendue de manière à déterminer si d’autres employés avaient subi des contraventions semblables. Dans son rapport de 2004, le vérificateur général n’a relevé aucune augmentation marquée du nombre des enquêtes étendues concernant des contraventions confirmées.

Pour pouvoir bien remplir son mandat, le ministère a l’obligation de protéger les droits des employés encore au service de l’employeur qui hésiteraient à déposer une demande de paiement.

Le fait, pour le ministère, d’étendre à d’autres employés du même employeur les enquêtes sur des demandes de paiement qui visent des sommes élevées, et ce, afin de déterminer l’existence d’autres infractions, serait un moyen efficace et efficient d’appliquer les normes d’emploi[328].

Cependant, en date de l’année 2006, il n’y avait eu aucune amélioration notable du nombre d’enquêtes étendues menées par le Ministère[329]. À notre connaissance, il n’y a pas eu d’amélioration marquée depuis ce temps.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

16. Que le ministère du Travail :

a) augmente considérablement le nombre des inspections proactives, surtout dans les secteurs à risque élevé, en se fondant sur des niveaux de référence établis;

b) établisse des initiatives d’exécution proactives et stratégiques, qui ciblent les lieux de travail où les risques de contravention sont élevés, y compris ceux formés de concentrations de travailleurs étrangers temporaires, de travailleurs d’agences temporaires, d’immigrants récents, de travailleurs racialisés, de jeunes, de handicapés et d’Autochtones, ainsi que les secteurs reconnus pour leurs taux élevés de pratiques inférieures aux normes en vigueur;

c) mène des enquêtes étendues quand il décèle des contraventions;

d) veille à ce que les activités d’exécution comprennent un suivi des contraventions antérieures.

17. Que le gouvernement de l’Ontario songe à modifier la LNE afin d’obliger par voie d’ordonnance les employeurs ayant contrevenu à la LNE de supporter les frais des enquêtes et des inspections.

3.     Les pénalités

Il existe diverses sanctions qui peuvent être imposées à la suite d’une contravention à la LNE : les ordonnances de versement du salaire, les ordonnances d’indemnisation, les ordonnances de conformité, les avis de contravention et les poursuites. Les agents des normes d’emploi (ANE) ont le pouvoir discrétionnaire de recourir ou non à ces options[330].

Le vérificateur général a fait remarquer qu’au cours des cinq années antérieures à 2004, il n’y avait eu que 63 déclarations de culpabilité en vertu de la LNE. Des poursuites n’avaient pas été engagées, même si les montants à payer étaient élevés. Dans son rapport de 2004, il a recommandé que le ministère du Travail donne de meilleures instructions aux ANE à propos de l’utilisation appropriée des mesures d’exécution, y compris les avis de contravention et les poursuites, et qu’il surveille mieux l’utilisation de ces mesures afin d’assurer une certaine uniformité d’application. Après la publication du rapport du vérificateur général, les poursuites ont atteint un sommet de 594 en 2006-2007 et de 505 en 2008-2009, mais elles sont tombées à 196 en 2010-2011, et quatre d’entre elles seulement ont été des poursuites engagées en vertu de la partie III de la Loi sur les infractions provinciales (LIP), qui ont donné lieu à l’imposition d’une amende plus sévère[331]. Les poursuites sont dans une très large mesure du type de la partie I, ce qui donne lieu à des amendes de 360 $ ou moins[332]. Les défenseurs des droits des travailleurs sont d’avis que [traduction] « les avis de contravention ne sont pas une mesure efficace contre les violations au départ, pas plus qu’ils ne servent de mesure dissuasive contre les violations en cours ou à venir »[333].

Les commentateurs conviennent que le système doit disposer de pénalités et de sanctions efficaces, et les appliquer[334]. Certains observateurs sont en faveur de normes législatives ou de principe plus sévères, laissant moins de pouvoirs discrétionnaires entre les mains des ANE[335]. D’autres suggestions comprennent des amendes prescrites par la loi pour les contraventions confirmées, même dans le cadre du processus de règlement, ainsi qu’une intensification des poursuites. En général, les consultations ont révélé un certain mécontentement face à l’application actuelle des pénalités, jugées inefficaces pour dissuader les employeurs non conformes. Les défenseurs des droits des travailleurs ne soutiennent pas l’application généralisée que l’on fait à l’heure actuelle des avis de contravention en vertu de la partie I de la LIP qui, perçoit-on, n’encouragent pas suffisamment la conformité. Ils préconisent plutôt des amendes qui doublent ou triplent le montant à payer, ainsi que le paiement d’intérêts sur tout salaire non versé, un pouvoir dont les ANE ne disposent pas à l’heure actuelle. Les défenseurs des droits des travailleurs considèrent que les frais administratifs de 10 % que l’on impose aux ordonnances de versement de salaire sont un moyen insuffisant d’inciter les employeurs non conformes à payer les salaires qui sont dus[336].

La CDO convient qu’il est nécessaire de recourir à des sanctions efficaces pour faire respecter la loi. Les 196 poursuites engagées en 2010-2011 étaient le résultat d’environ 17 000 plaintes[337]. Le Guide de politique et d’interprétation concernant la LNE, qui s’adresse aux ANE, aux avocats, aux spécialistes des ressources humaines et à d’autres personnes, explique les dispositions législatives applicables et la jurisprudence. Cependant, ce document donne fort peu d’instructions précises aux ANE quant à l’application des diverses sanctions. Si, d’une part, les ANE doivent avoir la souplesse requise pour pouvoir réagir convenablement au très grand nombre de circonstances individuelles qu’ils rencontrent, ils ont également besoin d’instructions claires au sujet du moment où engager des poursuites, notamment dans les cas où il est nécessaire de prendre des mesures dissuasives dans le cas des récidivistes et d’une inobservation délibérée des ordonnances de paiement. Certains commentateurs ont demandé des politiques de poursuites obligatoires. Nous ne sommes pas d’accord. De telles politiques peuvent avoir des conséquences négatives imprévues parce qu’elles injecteraient une rigidité inutile dans le système. Nous croyons toutefois qu’il faudrait fournir aux ANE des instructions et une formation précises qui mettraient l’accent sur la dissuasion dans le choix des pénalités et des sanctions à imposer, notamment dans les cas de récidive et d’inobservation délibérée.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

18. Que le ministère du Travail affermisse les directives de principe fournies aux ANE ainsi que les activités de formation de soutien afin de souligner l’effet dissuasif des poursuites, des pénalités et des sanctions destinées aux récidivistes et à ceux qui, délibérément, ne se conforment pas aux ordonnances de paiement.

4.     Les ressources

À long terme, une meilleure exécution en première ligne peut avoir pour effet de réduire le nombre des plaintes individuelles grâce à une amélioration de l’observation. Entre-temps, un accroissement des mesures d’exécution proactives nécessitera des ressources. Cependant, cela soulève la question, comme d’autres l’ont signalé, du caractère suffisant des fonds que l’on affecte aux mesures d’exécution de la LNE en Ontario[338]. La majorité des ressources continuent d’être axées sur les réponses aux plaintes individuelles, plutôt que sur les activités proactives ou d’observation. Comme il a été indiqué dans le budget de 2011 de l’Ontario :

Depuis 2009, le gouvernement a investi un montant annuel supplémentaire de 4,5 millions de dollars pour accroître le nombre d’agents des normes d’emploi dans la province. Il a en outre fait un investissement supplémentaire de 6 millions de dollars sur deux ans afin de rattraper les retards dans le traitement des demandes liées aux normes d’emploi et d’accroître la protection des travailleurs ontariens, réduisant ainsi les problèmes financiers des travailleurs et de leur famille[339].

Selon le ministère du Travail, davantage de ressources seront orientées vers les inspections une fois que l’on aura réglé l’arriéré, ce qui, prévoit-on, sera fait d’ici mars 2012[340]. Cependant, les 6 millions de dollars destinés à rattraper les retards, qui auraient permis d’embaucher plus d’agents des normes d’emploi, ont été versés pour une période précisée de deux ans, qui a pris fin en mars 2012. Cela amène à se poser des questions sur la mesure dans laquelle on disposera dorénavant de ressources suffisantes pour mener des inspections proactives efficaces et exercer d’autres activités d’exécution.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

19. Que le gouvernement de l’Ontario veille à ce que l’on dispose de ressources suffisantes pour les mesures d’observation et d’exécution liées à la LNE, en mettant un accent particulier sur les mesures d’exécution proactives.

 

E.               Les mécanismes qui étayent les mesures d’observation et d’exécution

1.     L’apport et la participation des employés

Le professeur Anil Verma soutient que « l’employé peut apporter une contribuable tout à fait précieuse à l’amélioration des normes du travail »[341]. D’autres commentateurs sont d’accord. Prenant appui sur ce concept, la CDO a examiné les façons d’améliorer la connaissance et l’observation de la LNE grâce à un meilleur « apport des employés » par l’entremise de conseils de travail mixtes employés-employeurs. Ce cadre existe en Ontario sous le régime de la Loi sur la santé et la sécurité au travail, sous la forme d’un système de comités mixtes sur la santé et la sécurité au travail[342]. L’importation d’un tel système dans la LNE pourrait être avantageuse pour améliorer l’observation, particulièrement dans les lieux de travail non syndiqués employant des travailleurs à faible revenu.

Roy Adams propose de mettre en application le modèle allemand des conseils de travail des employés[343]. Selon ce modèle, les conseils de travail sont un organe élu et obligatoire dans les lieux de travail allemands comptant cinq employés ou plus. Le conseil a des droits prévus par voie législative en matière de consultation, d’information et de participation. Les droits de participation, appelés « codétermination », autorisent à exercer une compétence décisionnelle mixte à l’égard d’un large éventail de sujets, dont les heures, la santé et la sécurité au travail, la formation, la classification des postes ainsi que les congédiements individuels et massifs. Les conseils de travail coexistent avec les syndicats[344]. À moins que la convention collective l’approuve, les conseils de travail ne s’occupent pas de la négociation des salaires[345]. Selon Adams, ce modèle est considéré comme efficace, tant par le patronat que par les syndicats; il considère que sa résilience, à la suite des ralentissements économiques survenus dans les années 1980 et 1990, est un indice de ce succès[346]. Dans son document de 2006, le professeur Verma a fait remarquer que même si l’Union européenne s’est servie de ce modèle pour concevoir diverses mesures destinées à intensifier la participation des travailleurs, le gouvernement allemand évaluait le système des conseils de travail au vu d’une concurrence internationale accrue et a procédé à des changements de nature législative pour l’adapter à l’évolution de la situation[347]. Dans bien des cas, les changements ont affermi le système. La procédure d’élection a été simplifiée, les conseils pouvaient maintenant être établis pour d’autres types de relations commerciales, comme des conseils de travail mixtes recoupant des entreprises connexes, ou il était possible de créer des conseils divisionnaires pour des produits ou des types d’entreprise particuliers. La portée des activités des conseils a été accrue, et des politiques en matière d’équité et de discrimination ont été introduites. Le professeur Verma a conclu que « les conseils de travail n’étaient pas des moyens parfaits de résister aux pressions de la mondialisation », pas plus que l’on pourrait transférer globalement le modèle allemand au lieu de travail canadien. Il a toutefois souligné la valeur des principes sur lesquels sont fondées les conditions de travail pour ce qui est des décisions prises conjointement au sujet des lieux de travail[348].

En se fondant sur ce concept, il serait possible de créer un modèle de conseils de travail dans les lieux de travail de l’Ontario, qui auraient pour objectif d’accroître la participation et la connaissance des employés, d’engager des discussions entre les employeurs et les employés sur des sujets liés à la LNE et, peut-être, de régler les différends. Si le conseil était mis en œuvre efficacement, son existence contribuerait à réduire l’isolement des travailleurs en créant un système de soutien et de représentation au sein du lieu de travail. Les ANE pourraient se fonder sur le conseil de travail comme source d’informations lors de leurs enquêtes ou de leurs inspections. L’introduction des conseils de travail obligerait à former les représentants des employés et des employeurs. Ce fait à lui seul pourrait avantager le lieu de travail grâce à une amélioration des connaissances. L’établissement des conseils de travail en vertu de la LNE pourrait être facilité en les « greffant » à la structure existante des comités mixtes que prévoit la LSST.

Les membres du Groupe consultatif du projet ont réagi de façon différente à l’idée générale d’introduire des conseils de travail et, plus précisément, d’utiliser l’actuel régime de la LSST pour leur implantation. Certains membres, représentant les intérêts des travailleurs, ont indiqué que les comités établis en vertu de la LSST ne sont pas fonctionnels ou efficaces dans de nombreux lieux de travail, tandis que les membres représentants les employeurs ont signalé que les comités de santé et de sécurité fonctionnent bien dans un milieu non syndiqué et que la plupart des employés ne fonctionnent pas bien dans un état de crainte à l’égard de l’employeur. Cependant, ils ont fait part de leurs préoccupations à l’égard des coûts de ces conseils. Certains membres du Groupe consultatif du projet qui représentaient les intérêts syndicaux ont exprimé l’avis que l’implantation d’un régime de conseil de travail dans les lieux de travail non syndiqués pourrait créer des problèmes d’intimidation et de représailles. Cependant, ils ont laissé entendre qu’il serait possible de régler ces problèmes au moyen de processus anti-représailles bien exécutés.

À notre avis, les conseils de travail offrent une occasion d’introduire un mécanisme bénéfique qui est en mesure de s’adapter à la nature changeante du lieu de travail moderne. Pour mettre à l’essai leur efficacité, nous proposons de mettre en œuvre un projet-pilote de conseils de travail établis en vertu de la LNE. Nous croyons que ce modèle serait le plus avantageux dans les lieux de travail non syndiqués d’un secteur comportant une concentration élevée de travailleurs vulnérables. La mise en œuvre de ce projet, dans le cadre d’un partenariat formé de représentants du gouvernement, des employeurs et des employés, augmenterait les perspectives de succès de ce projet ainsi que les chances de l’étendre dans les lieux de travail non syndiqués de l’ensemble de la province.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

20. Que le ministère du Travail :

a) mette en œuvre, à titre de projet-pilote, un conseil de travail syndical-patronal sur les normes d’emploi dans un certain nombre de lieux de travail non syndiqués particuliers, où l’on trouve une concentration élevée de travailleurs vulnérables;

b) évalue le projet-pilote;

c) si le projet est fructueux, implante des conseils du travail liés à la LNE dans les lieux de travail non syndiqués.

2.     Mettre l’accent sur l’échelon supérieur de l’industrie

Dans son rapport de 2010 sur les mesures d’exécution stratégique qu’il a établi pour la Division des heures de travail et des salaires du département du Travail des États-Unis, David Weil a reconnu que, à cause des effets extrêmes de la concurrence, les entrepreneurs s’éloignaient de l’emploi direct pour s’orienter plutôt vers la sous-traitance et le recours aux travailleurs temporaires et aux travailleurs d’agences temporaires, et que cela avait pour résultat d’affaiblir l’effet des approches classiques à l’égard de l’exécution. Ce « fissurage » de l’emploi par le recours à des travailleurs externes, selon Weil, oblige à réagir en se concentrant sur les [traduction] « niveaux supérieurs des structures de l’industrie de façon à changer le comportement aux niveaux inférieurs, où les violations risquent le plus de survenir »[349]. Le rapport appuie une approche coordonnée à l’égard des mesures d’exécution stratégiques, en identifiant et en priorisant les lieux de travail où il y a une forte concentration de travailleurs vulnérables, qui sont moins susceptibles de se plaindre, ainsi que les secteurs où il y a des chances de changer les comportements des employeurs. L’une des stratégies analysées est celle où le gouvernement intervient auprès des échelons supérieurs de l’industrie ou d’une entreprise au moyen de communications non confrontationnelles faisant ressortir la détermination du gouvernement à l’égard du respect des normes d’emploi ainsi que le rôle important que joue l’échelon supérieur de l’industrie.

Dans son rapport, Weil propose de cibler des entreprises de marque afin d’encourager les membres de la direction qui travaillent sur le terrain à respecter les normes d’emploi. Les entreprises de ce genre se fient à leur « image de marque » pour créer un produit unique, doté d’une base de clientèle fidèle qui est disposée à payer un surplus pour la marque. Pour ces entreprises, une bonne image est importante, et les gouvernements peuvent exploiter cet intérêt en vue d’inciter les entreprises à agir comme chefs de file au sein de leur domaine de marque en donnant la priorité à l’observation des normes d’emploi à l’égard des travailleurs externes qui sont affiliés à leur entreprise. Les employeurs respectueux des normes pourraient être mis en évidence dans des campagnes publiques et bénéficier d’encouragements additionnels par des formes de reconnaissance spéciale. De plus, parmi ces entreprises, le fait de rendre publics les résultats obtenus sur le plan de l’observation ou de l’inobservation inciterait de manière importante les entreprises et les marques rivales au sein du secteur à se conformer aux exigences.

Dans son rapport, Weil propose de coordonner les activités d’exécution parmi les succursales ou les franchises d’une entreprise de marque. Il recommande que dans les cas où l’on décèle des violations, une partie de la solution pourrait comprendre une entente exhaustive visant la totalité des points de vente ou des succursales d’une entreprise particulière. Les communications concernant les objectifs à atteindre sur le plan de l’exécution et les solutions établies comme celles qui précèdent pourraient être annoncées de manière très visible au sein des entreprises qui emploient des travailleurs vulnérables. Il serait ainsi possible de faire pression sur les chaînes d’approvisionnement. Par souci d’efficacité, il serait nécessaire d’imposer des pénalités dissuasives si l’on décelait des violations[350]. D’autres moyens de mobiliser les chaînes d’approvisionnement sont analysés dans le chapitre portant sur la santé et la sécurité.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

21. Que le ministère du Travail :

a) étudie des moyens d’intervenir auprès de l’échelon supérieur de l’industrie pour s’attaquer aux cas d’inobservation de la LNE parmi les travailleurs affiliés à l’entreprise, notamment ceux qui travaillent en sous-traitance pour de petites entreprises et les travailleurs d’agences temporaires;

b) relève, reconnaisse et encourage les entreprises qui jouent un rôle de chef de file en s’assurant que l’on respecte les normes d’emploi pour les travailleurs externes, notamment ceux qui travaillent en sous-traitance pour de petites entreprises et les travailleurs d’agences temporaires.
 

 3.     Une réponse aux préoccupations des travailleurs étrangers temporaires : la crainte d’un rapatriement

Les travailleurs étrangers temporaires ont des préoccupations bien précises, en raison du fait que leur capacité de travailler au Canada est souvent directement liée à un employeur particulier. Un certain nombre de programmes de travailleurs étrangers temporaires permettent à un employé licencié de trouver un autre emploi dans un délai précisé, mais il existe d’importantes limites à leur capacité de transfert. Le contrat que prévoit le Programme des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS) prévoit le rapatriement d’un travailleur quand l’employeur, en consultation avec l’agent du gouvernement, met fin à l’emploi pour cause d’inobservation, de refus de travailler ou d’un autre motif suffisant. Bien qu’il existe des mécanismes pour éviter un licenciement anticipé (lesquels sont décrits plus en détail ci-après), quand ces mécanismes échouent, les travailleurs visés par le PTAS doivent rentrer sans délai dans leur pays d’origine. Divers chercheurs, universitaires et défenseurs des droits des travailleurs ont constaté, dans leurs rapports et leurs études, que les préoccupations entourant le licenciement, le rapatriement ou le non-renouvellement d’un contrat peuvent dissuader de manière concrète les travailleurs à avoir accès aux recours juridiques qui sont destinés à les protéger[351]. Il n’est pas nécessaire que l’employeur menace expressément un travailleur de le rapatrier; cette menace peut être implicite dans sa conduite. Ou alors la crainte découle simplement du statut temporaire des travailleurs migrants; ces derniers savent qu’ils peuvent être renvoyés chez eux ou non rappelés. Cela, nous a-t-on dit, étouffe concrètement les plaintes qu’un travailleur peut avoir au sujet d’un manquement aux normes d’emploi, à la législation en matière de santé et de sécurité ou aux normes en matière de logement[352].

S’il est possible de rapatrier un travailleur sans chance d’appel ou d’examen indépendant, cela prive concrètement ce dernier des voies de recours juridique qu’offre la législation ontarienne, comme le fait de solliciter une protection en invoquant les dispositions anti-représailles que comporte la LNE[353]. Quand les travailleurs ne sont plus en Ontario, il leur est difficile d’exercer ces droits juridiques.

Les préoccupations que suscite le rapatriement ont aussi été évoquées dans le rapport Dean, relativement à l’examen de la santé et de la sécurité au travail[354]. En réponse, ce rapport a recommandé que l’on active l’audition des plaintes pour représailles à la Commission des relations de travail de l’Ontario, qui pourrait ordonner une réintégration provisoire. Cela se fait actuellement à la suite de l’apport de changements législatifs récents à la LSST. À notre avis, il faudrait créer un processus semblable dans le contexte de la Loi sur les normes d’emploi. Cela aiderait tous les travailleurs exposés à des représailles, mais tout particulièrement les travailleurs étrangers temporaires dont la vulnérabilité est plus marquée.

Bien que le processus de « désignation » que comporte le PTAS puisse être avantageux pour les travailleurs et les employeurs, il peut aussi créer chez les employés une certaine inquiétude, à savoir qu’ils ne seront pas « désignés » par l’employeur pour revenir au Canada l’année suivante ou qu’ils seront refusés par le ministère du Travail de leur pays d’origine. Les travailleurs ont indiqué qu’en raison de la disponibilité de travailleurs agricoles dans le cadre du projet-pilote concernant les niveaux C et D de la CNP, il existe un autre bassin de travailleurs qui peuvent remplacer les travailleurs actuellement visés par le PTAS.

Malgré les préoccupations évoquées au sujet du rapatriement, les taux de cessation d’emploi réelle des travailleurs visés par le PTAS ne sont pas élevés. Les F.A.R.M.S. ont indiqué que, sur le nombre approximatif de 15 000 travailleurs visés par le PTAS en 2009 et en 2010, seuls 73 et 120, respectivement, ont été rapatriés pour rupture de contrat et, pour toutes les raisons invoquées, environ 0,5 % seulement des travailleurs sont rapatriés[355]. C’est donc dire que les F.A.R.M.S. et les agents de liaison n’ont pas considéré que la cessation d’emploi est un outil qu’utilisent les employeurs visés par le PTAS pour exercer un contrôle abusif sur leurs travailleurs. De plus, ils ont considéré que la cessation d’emploi était une voie de dernier recours. On nous a informé qu’avant d’y recourir les employeurs tenteront souvent de régler les problèmes directement avec les travailleurs. En cas d’échec, ils communiqueront souvent avec les F.A.R.M.S., qui, de pair avec l’employeur et l’agent de liaison, s’efforceront de régler le problème ou de négocier le transfert du travailleur en question à un autre employeur (avec l’accord de Ressources humaines et Développement des compétences Canada [RHDCC]). On nous a toutefois avisés que ces transferts n’ont pas lieu souvent[356]. Les F.A.R.M.S. ont signalé qu’une cessation d’emploi a des conséquences négatives pour les employeurs sur le plan des frais administratifs, des frais de déplacement et des autres frais à engager pour embaucher un travailleur visé par le PTAS, et ils sont souligné le rôle que jouent les agents de liaison dans le règlement des problèmes des travailleurs[357]. Les Services de liaison appuient ces points de vue, et ont indiqué qu’il n’y a pas de mesures de cessation d’emploi et de rapatriement effectuées, à volonté, par l’employeur. Dans le cadre du contrat d’emploi, l’agent de liaison doit être consulté avant une cessation d’emploi et, si l’employeur agit de manière déraisonnable, les  F.A.R.M.S. intercèderont et discuteront de l’affaire avec lui. Il est possible aussi que cet employeur ne puisse plus disposer de travailleurs, mais cela n’est arrivé qu’à de rares occasions.

Même s’il semble y avoir des mécanismes clairs qui ont été établis dans le cadre du PTAS pour réduire le plus possible les cessations d’emploi et que les taux de cessation d’emploi soient très bas, non consultations et nos recherches ont néanmoins révélé que, parmi ces travailleurs, la perte d’emploi et le rapatriement suscitent de vives préoccupations[358]. C’est la peur elle-même qui a été relevée dans la recherche comme principal élément empêchant les travailleurs de faire valoir leurs droits qui les rend vulnérables à une exploitation de la part des employeurs non conformes[359]. Comparativement aux travailleurs visés par le PTAS, ceux qui font partie des niveaux C et D de la CNP ont peut-être légèrement plus de mobilité en ce sens qu’ils peuvent demander d’être transférés s’ils sont capables de trouver un autre employeur admissible qui veut et peut obtenir une opinion sur le marché du travail (OMT) et entreprendre avec succès le processus d’embauche d’un travailleur étranger temporaire.

À notre avis, la réponse la plus efficace à la crainte de rapatriement des travailleurs serait d’officialiser un processus de prise de décision indépendante préalablement à un rapatriement. Étant donné que les cas réels de rapatriement surviennent peu souvent dans le cadre du PTAS, un tel processus ne devrait pas créer de difficultés importantes pour les employeurs participants. Comme on ne semble pas disposer aisément de statistiques sur le rapatriement pour ce qui est du programme des niveaux C et D de la CNP, on ignore dans quelle mesure cela a lieu dans le cadre de ce programme mais, à l’évidence, ce genre de processus serait avantageux pour les employés qui ne bénéficient pas des processus et de la supervision du PTAS et qui sont donc vraisemblablement ceux qui ont le plus besoin de mesures de protection. Par ailleurs, la mise en œuvre d’un niveau additionnel de supervision est peut-être un moyen d’améliorer la confiance des travailleurs étrangers temporaires et d’apaiser leurs craintes. À notre avis, un organisme décisionnel indépendant, formé de représentants du ministère du Travail ou de RHDCC ainsi que de représentants des travailleurs et des employeurs, aiderait à garantir que l’on n’utilise pas le rapatriement comme moyen de représailles contre les travailleurs qui tentent d’avoir accès leurs droits, ou que ces mesures sont par ailleurs injustifiées. Un tel processus est particulièrement important pour les travailleurs des niveaux C et D de la CNP.

Bien que nous soyons en faveur de dispositions de réintégration provisoire quand les circonstances s’y prêtent, nous sommes conscients qu’il existe des difficultés dans un processus qui réintègrent les employeurs et les employés dans une relation qui ne fonctionne plus pour l’une des parties ou les deux[360].

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

22. Que le gouvernement de l’Ontario modifie la LNE afin d’y inclure un processus permettant d’activer les plaintes de représailles et, dans le cas des travailleurs migrants, veille à ce que ces plaintes soient entendues avant le rapatriement.

23. Que le gouvernement de l’Ontario, en coordination avec le gouvernement fédéral :

a) établisse un processus décisionnel indépendant en vue de revoir les décisions relatives au rapatriement de travailleurs étrangers temporaires avant le rapatriement proprement dit afin de veiller à ce que le licenciement ne soit pas une mesure de représailles contre le fait d’avoir eu recours aux droits que la loi fédérale ou provinciale ou le contrat confère aux travailleurs;

b) pour ce qui est des représailles, l’organisme décisionnel indépendant ait le pouvoir d’ordonner la réintégration provisoire des travailleurs, dans des circonstances appropriées en attendant l’issue des décisions et des appels;

c) dans les cas où l’on conclut que des représailles ont été exercées, il soit prévu que l’on puisse transférer les travailleurs à un autre employeur ou, le cas échéant, qu’ils soient réintégrés.

Les organismes qui fournissent des services juridiques aux travailleurs migrants temporaires doivent être soutenus. Un processus décisionnel indépendant, antérieur au rapatriement, comme il a été décrit plus tôt, serait un secteur ou une représentation juridique pourrait jouer un rôle utile. En général, la disponibilité d’une aide juridique ou d’autres mesures de soutien à l’intention des travailleurs permettraient d’améliorer la connaissance des droits des travailleurs, ainsi que l’accès à ces droits, dans le cas des travailleurs étrangers temporaires et des autres travailleurs vulnérables. Lors de nos consultations, nous avons rencontré les représentants de plusieurs organismes et avons été mis au courant d’autres entités qui fournissent aux travailleurs migrants des services de soutien, d’aide, de défense et d’information[361]. Par exemple, les centres de soutien de l’Agricultural Workers Alliance (AWA) administrent quatre centres à Bradford, Leamington, Simcoe et Virgil et relèvent de l’Union internationale des travailleuses et travailleurs unis de l’alimentation et du commerce ainsi que de l’Agricultural Workers Alliance. Ces centres fournissent une aide directe ou indirecte aux travailleurs agricoles migrants au sujet de leurs préoccupations en matière de rapatriement, ainsi que des demandes d’indemnisation des accidents du travail, des prestations de congé parental, du Régime de pensions du Canada, de l’Assurance-emploi et de l’assurance-santé[362]. Dans la région de Niagara, la Clinique juridique communautaire de Niagara Sud s’est associée au Groupe d’intérêt des travailleurs migrants de Niagara, un groupe formé d’organismes communautaires et de bénévoles, afin de fournir des services juridiques et d’autres mesures de soutien aux travailleurs migrants. Nous avons rencontré les représentants d’organismes qui soutiennent les aides familiaux résidants, comme le Caregivers Action Centre. Pour ce qui est des travailleurs non agricoles de niveau C et D de la CNP, nous avons entendu parler de plusieurs incidents dans lesquels les cliniques d’aide juridique ont joué un rôle crucial en fournissant un soutien.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

24. Que le gouvernement de l’Ontario soutienne l’établissement d’un plus grand nombre de mesures juridiques et d’autres mesures de soutien à l’intention des travailleurs migrants temporaires qui font valoir leurs droits et qui présentent des demandes par l’entremise de services juridiques élargis ou d’autres mécanismes du genre.

25. Que les syndicats et les groupes communautaires continuent d’établir et d’étendre des services novateurs afin d’aider les travailleurs migrants à faire valoir leurs droits juridiques et à présenter des demandes.

 

4.     Faire respecter les droits des travailleurs vulnérables par la voie d’une association

Nombreux sont les commentateurs qui sont d’avis que la syndicalisation est l’un des moyens les plus efficaces d’amoindrir la vulnérabilité des travailleurs et de faire respecter leurs droits. Les avantages de la syndicalisation ont été décrits comme des valeurs sociales importantes, liées au bien-être des travailleurs et offrant un moyen de faire connaître leurs griefs[363]. Comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada :

Il est largement reconnu que la législation du travail offre non seulement une tribune pour faire valoir des griefs précis, mais qu’elle favorise aussi le dialogue dans un milieu de travail conflictuel.  Comme l’écrit P. Weiler, la syndicalisation établit une sorte de démocratie politique sur le lieu de travail, assujettissant l’employeur et l’employé à la « règle de droit » […][364].

Malgré les avantages qu’offre la syndicalisation aux travailleurs, les syndicats n’ont jamais été une panacée. Même au plus fort de la syndicalisation au Canada, seuls 35 % environ des travailleurs ontariens étaient syndiqués[365]. Même si de nombreux défenseurs des droits des travailleurs font pression pour que l’on intensifie la syndicalisation à titre de remède au travail précaire, la perspective d’une syndicalisation accrue semble être en décalage par rapport aux tendances mondiales. Les syndicats eux-mêmes évaluent le rôle qu’il leur convient de jouer dans la conjoncture économique et sociale d’aujourd’hui et de demain[366]. L’Ontario, à l’instar d’une grande partie du monde industrialisé, est en train de vivre une réduction graduelle des taux de syndicalisation[367]. Même si les syndicats canadiens demeurent solides par rapport aux États-Unis et que, en fait, en chiffres absolus, l’adhésion syndicale prend de l’ampleur au Canada, le degré de syndicalisation (c’est-à-dire le pourcentage de la population active du Canada qui est syndiqué) a diminué entre 1997 et 2010, passant de 33,7 % à 31,5 %[368]. Et, parmi les administrations canadiennes, c’est l’Ontario qui, en 2010, affichait le deuxième taux de syndicalisation le plus faible, à 27,9 %[369]. Fait intéressant, si les taux nationaux applicables aux hommes ont diminué au cours de la dernière décennie, chez les femmes les taux de syndicalisation ont augmenté à 32,7 %, soit plus que la moyenne nationale. Ces chiffres suivent une tendance qui a débuté en 2006, quand les taux de syndicalisation des femmes ont surpassé pour la première fois ceux des hommes[370].

Comme l’indiquent les données relatives à 2010, les taux de syndicalisation sont nettement plus élevés dans le secteur public (74,9 %) que dans le secteur privé (17,5 %)[371]. Au Canada, les taux applicables au secteur privé, qui se situaient à environ 19,9 % en 2001, ont diminué au cours de la dernière décennie[372].

Les diminutions qui sont survenues ont été attribuées aux changements économiques, technologiques et sociaux radicaux qui sont intervenus au cours des 30 dernières années[373]. Les pressions concurrentielles provoquées par la mondialisation, le libre-échange et les ralentissements économiques amoindrissent le pouvoir de négociation des syndicats et, dans un contexte d’insécurité financière, les travailleurs sont moins disposés à s’organiser. Le déclin de l’industrie manufacturière a lui aussi été un facteur contributif marquant en Ontario. Il est important que le rôle joué par la plupart des syndicats au Canada a depuis toujours été étroit, axé sur les négociations relatives aux salaires, à la sécurité d’emploi et aux conditions de travail dans le lieu de travail immédiat, plutôt que sur les questions de nature plus générale que sont la formation, l’embauche et le perfectionnement professionnel[374]. Compte tenu de l’émergence des formes de travail précaires et atypiques, ce modèle est en déclin. Le modèle wagnerien de négociation collective qui a été adopté dans la Loi sur les relations de travail (LRT) de l’Ontario a été conçu dans le contexte d’un lieu de travail classique, comportant un employeur unique et de nombreux employés exécutant des compétences standardisées dans un lieu de travail unique, un scénario qui devient de jour en jour moins fréquent au sein de l’économie moderne[375].

Des commentateurs ont laissé entendre que les syndicats doivent adopter une vision plus large qui répond aux besoins singuliers des travailleurs exerçant leurs activités dans des relations d’emploi atypiques[376]. La question de la syndicalisation est toujours hautement politisée, mais elle est particulièrement délicate au cours de la période d’incertitude économique que nous traversons actuellement. En revanche, d’autres font valoir que [traduction] « l’adhésion syndicale joue un rôle central pour ce qui est de limiter les emplois précaires »[377].

Un secteur sur lequel a été centré le débat entourant les travailleurs vulnérables est l’exclusion expresse des travailleurs agricoles du régime classique des relations de travail de l’Ontario. En 1992, un Groupe d’étude, examinant la question de l’extension des droits de négociation collective aux travailleurs de l’agriculture, a examiné la situation dans d’autres administrations et a fait remarquer que le fait de procurer aux travailleurs agricoles le droit de négocier collectivement n’avait pas donné de résultats importants sur le plan de l’organisation, pas plus que cela n’avait eu d’effets négatifs excessifs sur les exploitations agricoles dans ces administrations[378] Le Groupe d’étude a proposé un régime de négociation collective comportant une unité de négociation exclusive et un processus de négociation collective qui mettait l’accent sur la négociation et les grèves interdites, mais qui prévoirait un arbitrage exécutoire en cas d’impasse. Ce modèle a été adopté dans la Loi de 1994 sur les relations de travail dans l’agriculture (LRTA). Il convient de signaler que la LRTA excluait de sa portée les travailleurs agricoles les plus vulnérables de l’Ontario – les travailleurs étrangers temporaires et d’autres travailleurs saisonniers[379]. La LRTA a été de courte durée, étant abrogée par le gouvernement nouvellement élu en 1995. En réaction à la prorogation, l’Union internationale des travailleuses et travailleurs unis de l’alimentation et du commerce (TUAC) et les travailleurs agricoles individuels représentés dans Dunmore et al c. Ontario (Attorney General) ont contesté l’exclusion des travailleurs agricoles du régime des relations de travail en tant que violation de la liberté d’association et des droits à l’égalité que leur garantissait la Charte canadienne des droits et libertés[380].

Dans l’arrêt Dunmore, la Cour suprême du Canada a reconnu la vulnérabilité particulière des travailleurs agricoles :

Les travailleurs agricoles n’ont ni pouvoir politique, ni ressources pour se regrouper sans la protection de l’État, et ils sont vulnérables face aux représailles patronales; comme le fait observer le juge Sharpe [en première instance], les travailleurs agricoles [traduction] « sont mal rémunérés, ils ont des conditions de travail difficiles, une formation et une instruction limitées, un statut peu élevé et une mobilité d’emploi restreinte »[381].

En revanche, la Cour a également reconnu la menace que posait la syndicalisation pour l’exploitation agricole familiale en Ontario :

[Le procureur général] a établi que, dans certains cas, la syndicalisation comportant le droit de négociation collective et le droit de grève peut rendre conflictuelle la dynamique de la ferme familiale.  Dans les faits, la syndicalisation fait naître des rapports formels entre employés et employeurs et donne lieu à un processus relativement formel de négociation et de règlement des différends; c’est d’ailleurs peut‑être là son principal avantage sur un système de relations de travail informelles.  Dans ce contexte, il est raisonnable de craindre que la syndicalisation compromette la souplesse et la collaboration caractéristiques de la ferme familiale et éloigne des personnes qui sont par ailleurs […] [traduction] « interdépendantes dans la vie privée » à la ferme[382].

La preuve en l’espèce me convainc à la fois qu’il existe en Ontario de nombreuses fermes dont la propriété et l’exploitation revêtent un caractère familial; et que la protection de ce caractère familial est un objectif suffisamment urgent pour justifier l’atteinte à l’al. 2d) de la Charte.  Le fait que l’Ontario s’oriente de plus en plus vers l’exploitation commerciale et l’agro‑industrie ne diminue pas, à mon avis, l’importance de protéger les caractéristiques uniques de la ferme familiale; au contraire, il peut même l’accroître.  De plus, les appelants ne nient pas que la protection de la ferme familiale soit, du moins en théorie, un objectif louable[383].

Mais, dans les cas où la relation d’emploi entre l’agriculteur et les travailleurs était déjà officialisée, la Cour a fait remarquer que « préserver la souplesse et la collaboration au nom d’un mode d’exploitation familial est non seulement irrationnel, mais aussi hautement coercitif »[384].

Au sujet de la fragilité économique de l’industrie agricole de l’Ontario, la Cour a déclaré :

[…] je ne partage pas l’avis des appelants selon lequel [traduction] « [l]e gouvernement n’a aucunement établi que le secteur agricole ontarien est dans une situation concurrentielle précaire ou qu’il pourrait être touché substantiellement par des modifications minimes de la structure des coûts et de l’exploitation »[385].

La Cour a manifestement souscrit à l’observation du ministère du Procureur général selon laquelle :

[…] l’agriculture est un secteur volatil et hautement concurrentiel de l’économie privée, que ses marges de profit sont disproportionnellement minces et que son caractère saisonnier la rend particulièrement vulnérable aux grèves et aux lock‑out.  En outre, ces caractéristiques ont été reconnues d’emblée par le Groupe d’étude à l’origine de la LRTA […][386]

Cependant, dans l’arrêt Dunmore, la Cour a signalé que cette même justification pouvait s’étendre à de nombreux secteurs industriels qui ont des marges de profit minimes et des cycles de production instables (à cause de la demande des consommateurs ou de la concurrence internationale, par exemple[387].

Dans Dunmore, la Cour a conclu que « l’exclusion totale des travailleurs agricoles de la LRT porte atteinte à l’al. 2d) de la Charte et ne peut se justifier au regard de l’article premier »[388]. Il convient de signaler que seul le droit d’association et non le droit de négociation collective était en litige dans cet arrêt[389]. Et, a-t-elle ensuite décrété :

[…]au minimum, doit être reconnu aux travailleurs agricoles le droit de se syndiquer prévu à l’art. 5 de la LRT, avec les garanties jugées essentielles à son exercice véritable, comme la liberté de se réunir, de participer aux activités légitimes de l’association et de présenter des revendications, et la protection de l’exercice de ces libertés contre l’ingérence, les menaces et la discrimination[390].

En réaction à l’arrêt Dunmore, l’Ontario a introduit la Loi de 2002 sur la protection des employés agricoles (la LPEA), un régime législatif subsidiaire. Cette loi a été promulguée pour

[…] protéger les droits des employés agricoles tout en tenant compte des caractéristiques propres à l’agriculture, notamment son caractère saisonnier, sa vulnérabilité au temps et au climat, la nature périssable des produits agricoles et la nécessité de protéger la vie animale et végétale[391].

Aux termes de la LPEA, les travailleurs agricoles ont le droit de se joindre à une association d’employés et de présenter des observations à leurs employeurs par l’intermédiaire de l’association au sujet de leurs conditions d’emploi. Ils ont également le droit d’exercer leurs droits sans craindre d’ingérence, de contrainte et de discrimination[392]. La LPEA recourt au Tribunal d’appel de l’agriculture, de l’alimentation et des affaires rurales pour trancher les litiges portant sur l’application de la Loi[393].

La LPEA ne prévoit pas de représentation majoritaire, de limite au nombre des associations qui peuvent représenter un segment particulier de la population active, ni de droit de grève ou d’arbitrage. En bref, elle prévoit la formation d’associations d’employés, mais non le processus intégral des relations de travail que comporte le modèle wagnerien qu’offre la LNE. De ce fait, les TUAC et trois travailleurs agricoles ont contesté la constitutionnalité de la LPEA dans l’affaire Fraser c. Attorney General of Ontario[394].

Dans l’arrêt Fraser, la Cour suprême a passé en revue de façon générale le sens de ce qu’elle avait déclaré antérieurement dans l’arrêt Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique[395]. Elle a confirmé que l’alinéa 2d) protège « la négociation de bonne foi de questions importantes liées à l’exécution des fonctions […].  Il ne suffit pas de pouvoir présenter des observations à l’employeur, mais ce dernier est également tenu de les prendre en considération dans le cadre d’un processus d’examen et d’échange »[396].

Il a ensuite été ajouté dans Fraser que l’arrêt Health Services représentait le point de vue selon lequel les négociations que requiert l’alinéa 2d) exigeaient « que les parties se rencontrent et qu’elles engagent un véritable dialogue », qu’elles évitent les retards inutiles et qu’elles fassent un effort raisonnable « pour arriver à un contrat acceptable ». Cet alinéa n’obligeait pas « les parties à conclure une convention ou à accepter des clauses particulières », ni à garantir « un mécanisme légal de règlement des différends permettant de dénouer les impasses ». L’alinéa 2d) protégeait le droit à un processus général de négociation collective et non celui de revendiquer un modèle particulier de relations du travail[397].

De plus, selon l’arrêt Fraser, la LPEA était constitutionnelle parce que cette loi, « correctement interprétée » obligeait « l’employeur agricole à examiner de bonne foi les observations de ses employés »[398]. La Cour a conclu que la LPEA ne visait pas à priver les travailleurs agricoles de leurs droits de négociation collective au sens de l’alinéa 2d), mais uniquement qu’elle n’étendait pas aux travailleurs agricoles le modèle Wagner, prédominant en matière de négociation collective.

Pour ces raisons, nous concluons que l’art. 5 de la LPEA, s’il est correctement interprété, protège non seulement le droit des employés de présenter à l’employeur des observations relatives au travail, mais aussi celui de les voir prises en considération de bonne foi par le destinataire[399].

Les juges majoritaires ont conclu : « L’essentiel se résume simplement : les travailleurs agricoles de l’Ontario ont droit à un processus véritable leur permettant de réaliser des objectifs liés au travail »[400]

Cette décision a été vivement critiquée par les membres du mouvement syndical, qui soutiennent qu’elle ne tient pas compte de la réalité sociale et des vulnérabilités singulières des travailleurs agricoles. En particulier, la déclaration de la Cour selon laquelle l’alinéa 2d) doit offrir un processus qui prévoit « le droit d’une association d’employés de présenter des observations à l’employeur et de les voir prises en compte de bonne foi » est considérée comme un recul par rapport à l’accent mis dans l’arrêt Health Services sur un devoir de négociation de bonne foi en faveur d’un [traduction] « droit nettement plus dilué à “un examen de bonne foi”[401]. Cela, considèrent les défenseurs des droits des travailleurs, est tout à fait insuffisant, impraticable et irréaliste. De leur point de vue, les travailleurs agricoles sont si vulnérables que rien de moins qu’une protection législative pour le régime des relations de travail complet que prévoit la LNE ne sera efficace.

Depuis que l’arrêt Fraser a été rendu, la question de savoir ce qu’il faut faire pour répondre aux besoins des travailleurs agricoles par rapport à l’industrie agricole de l’Ontario continue de susciter le débat. Vu la réaction à l’arrêt Fraser, il semble peu probable que les divers intervenants en arrivent à un consensus dans l’avenir rapproché. Au cours des décisions, cependant, certaines questions sont devenues des faits admis par la Cour. La vulnérabilité des travailleurs agricoles et le besoin qu’ils ont de bénéficier d’une certaine protection sur le plan des relations de travail ont été reconnus. Dans Dunmore, la Cour a également reconnu la précarité économique du secteur agricole, la légitimité de l’intérêt à l’égard de la protection de l’exploitation agricole familiale ainsi que la combinaison d’entreprises familiales et de vastes agroentreprises qui constituent les exploitations agricoles de l’Ontario. Ce type de preuve a aussi été soumis à la Cour dans l’affaire Fraser. À part le fait d’adopter la position qu’elle avait énoncée dans l’arrêt Dunmore quant à la vulnérabilité des travailleurs agricoles, dans Fraser la Cour suprême a semblé préférer laisser au soin du législateur la mise en balance de ces divers intérêts.

Au-delà de l’arrêt Fraser, s’il venait au gouvernement l’idée de revoir la question et de procéder à une réforme réalisable du droit dans ce domaine, compte tenu des difficultés et de la mise en balance des intérêts qui est exigée pour apporter d’importants changements de principe, il serait peut-être utile de charger un groupe d’experts d’entreprendre une analyse de la jurisprudence, de la documentation pertinente et des éléments de preuve soumis aux tribunaux, ainsi que de consulter de manière générale les représentants syndicaux et patronaux compétents et les ministères concernés. Une telle entreprise se situe au-delà de la capacité et de la portée du présent projet.

Dans l’immédiat, il faudrait reconsidérer la LPEA à la lumière de l’arrêt Fraser. Comme il a été indiqué, dans cet arrêt, en confirmant l’arrêt Health Services la Cour a utilisé des expressions telles que « négociations de bonne foi » pour décrire les mesures de protection qu’offre l’alinéa 2d) et, plus loin dans la décision, au moment d’appliquer les faits expressément à la LPEA, elle a fait référence à « l’examen de bonne foi des demandes formulées par les employés ». Certains observateurs jugent cela comme une rétractation partielle des mesures de protection de l’alinéa 2d) qui sont exposées dans l’arrêt Health Services, mais une telle interprétation n’apparaît pas explicitement dans Fraser. La Cour y confirme plutôt le raisonnement exposé dans l’arrêt Health Services, à savoir que l’alinéa 2d) protège les « négociations de bonne foi ». La Cour indique explicitement que cela inclut le droit de « pouvoir présenter des observations à l’employeur » et une obligation de la part des employeurs agricoles d’examiner les observations des employés de bonne foi, y compris l’obligation de « les prendre en considération dans le cadre d’un processus d’examen et d’échange[402]. Les parties doivent « éviter les retards inutiles et faire un effort raisonnable pour arriver à un contrat acceptable »[403]. À notre avis, ces éléments ont été expressément considérés comme protégés par l’alinéa 2d), tant dans l’arrêt Fraser que dans l’arrêt Health Services.

Dans Fraser les juges majoritaires ont signalé que le syndicat n’avait pas eu recours à la LPEA. Comme l’a fait remarquer le juge Farley, en première instance :

[traduction] La procédure qu’établit la LPEA pour saisir le Tribunal n’a pas été suivie, les demandeurs estimant qu’il ne servait à rien de présenter une demande inutile à un tribunal inefficace.  À mon avis, cette condamnation était prématurée.  Une demande accueillie produit l’un ou l’autre des résultats suivants : faire effectivement avancer les choses ou infliger un « revers » moral à l’employeur fautif ou, s’il s’agit véritablement d’un processus vain, démontrer la nécessité de son resserrement par voie législative[404].

Bien que la LPEA ne prévoie pas d’accréditation syndicale ou le principe de la majorité, rien de ce qu’elle renferme n’empêche les syndicats d’aider les travailleurs à former des associations d’employés. À notre avis, les travailleurs agricoles pourraient bénéficier d’une aide syndicale pour les associations d’employés que prévoit la LPEA. Les syndicats et les défendeurs des droits des travailleurs ne considéreraient peut-être pas cela comme satisfaisant parce qu’ils pourraient croire que cela entraverait l’établissement d’un régime de négociation collective entièrement réalisé, mais il ne semble pas y avoir de possibilité importante d’atteindre cet objectif dans l’avenir rapproché. Le rôle que les syndicats pourraient jouer en aidant les travailleurs à avoir accès aux droits formulés dans la LEPA, selon l’interprétation qui en est faite dans l’arrêt Fraser, serait des plus bénéfiques pour ces travailleurs. Les syndicats pourraient aussi jouer un rôle important en aidant les travailleurs à recourir au Tribunal dans les cas appropriés, compte tenu surtout des éléments de négociation de bonne foi qui font maintenant partie de la LPEA. Dans l’arrêt Fraser, la Cour suprême a soutenu le prudent espoir du juge Farley que le Tribunal créé par la LPEA se révèle efficace pour régler les différends[405].

L’article 11 de la LPEA habilite expressément le Tribunal à déterminer s’il y a eu infraction à la Loi et à rendre des ordonnances réparatrices.  De plus, le Tribunal pourrait, conformément à son mandat, interpréter téléologiquement ses pouvoirs de façon qu’ils soient efficaces et utiles.  Les tribunaux du travail jouissent d’une grande latitude pour appliquer leur loi constitutive aux faits particuliers des affaires dont ils sont saisis[406].

La codification de l’arrêt Fraser comme nous le recommandons, de pair avec de sérieux efforts pour former des associations d’employés, entreprendre des négociations de bonne foi et recourir aux services du Tribunal pourraient contribuer à améliorer la vie des travailleurs agricoles vulnérables et, sinon, ces efforts offriront un fondement probant concret pour tout examen judiciaire ou gouvernemental futur de l’efficacité de la loi.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

26. Que le gouvernement de l’Ontario modifie la Loi sur la protection des travailleurs agricoles (LPEA) en y incluant explicitement les éléments de négociation de bonne foi que protège l’alinéa 2d) de la Charte, comme la Cour suprême du Canada l’a indiqué dans l’arrêt Health Services et confirmé dans l’arrêt Fraser.

Même dans les cas où une syndicalisation est possible, les migrants et les autres travailleurs vulnérables ne sont souvent pas disposés à se joindre à un syndicat de crainte de mécontenter leur employeur, de mettre en péril leur emploi et, chez certains, de mettre à risque leur statut d’immigrant restreint. Si d’autres provinces, à l’exception de l’Alberta, ont intégré les travailleurs agricoles dans leurs régimes de relations de travail, les taux de syndicalisation des travailleurs agricoles dans d’autres provinces ne sont pas élevés, même si, de l’avis de Tucker, il y a eu un effet positif[407]. Les limites inhérentes au processus de négociation collective classique de l’Ontario, qui s’appliquent aux travailleurs agricoles, de même qu’à d’autres travailleurs vulnérables hautement dépendants de leur employeur, donnent à penser qu’il faudrait établir de nouveaux modèles de soutien des travailleurs en vue de répondre à l’évolution des réalités.

Il existe plusieurs formes différentes de syndicalisation qui sont ressorties à l’échelle mondiale, ainsi que d’autres formes d’associations non syndicales. Le syndicalisme communautaire fait passer l’orientation du syndicat au-delà des conditions d’emploi. Il comporte [traduction] « la formation de coalition entre syndicats et groupes non syndiqués en vue d’atteindre des buts communs »[408]. Ce modèle a pris naissance, en partie, par suite de l’augmentation des taux de chômage comme moyen de soutenir les travailleurs sans emploi qui n’avaient pas de lieu de travail au sein duquel s’organiser[409]. Contrairement au modèle classique du syndicalisme industriel, ce modèle rejoint les travailleurs qui ont tendance à se déplacer souvent entre des lieux de travail différents, comme les travailleurs d’agences temporaires ou les travailleurs autonomes dépendants.

Au Canada, le syndicalisme sectoriel revêt deux formes dominantes : le syndicalisme de métier et le syndicalisme axé sur le marché du travail. Les syndicats de métier, prédominants au Canada avant l’avènement du syndicalisme industriel, [traduction] « visent à procurer à leurs membres la sécurité d’emploi en exerçant un contrôle sur l’offre de main-d’œuvre et en établissant un monopole sur les compétences »[410]. Par exemple, un syndicat peut négocier collectivement pour l’ensemble des travailleurs d’une industrie avec tous les utilisateurs de main-d’œuvre potentiels et devenir le fournisseur exclusif d’une certaine forme de main-d’œuvre spécialisée grâce à l’utilisation de bureaux de placement syndical, une forme de centre de présentation de candidats dirigé par un syndicat. Même s’il est difficile à organiser, le syndicalisme de métier a été utilisé avec succès dans des secteurs spécialisés au Canada, et le secteur de la construction en est l’exemple le plus marquant[411]. Le syndicalisme axé sur le marché du travail facilite l’organisation et la négociation collectives pour les travailleurs situés dans de multiples lieux de travail qui travaillent peut-être auprès de multiples employeurs[412]. La négociation sectorielle surmonte le problème des petits magasins et du roulement élevé qui sont caractéristiques d’un grand nombre de secteurs à faible revenu.

Le syndicalisme international facilite la coopération internationale entre les syndicats en tant que réponse au caractère multinational du travail fait sur le marché mondialisé. Grâce à l’établissement de la Confédération syndicale internationale dans les années 2000, les syndicats membres conviennent de tenir compte des politiques internationales au moment de prendre des décisions d’envergure nationale, ainsi que de fournir à la Confédération un soutien financier et des mises à jour régulières sur leurs activités[413]. En échange, ils reçoivent « solidarité et assistance » de la Confédération[414].

En dehors du cadre de la Confédération, il y a d’autres syndicats internationaux qui sont actifs à l’échelon transfrontalier. Par exemple, dans le secteur canadien de la construction, les relations du travail sont dominées par les 14 syndicats internationaux de la construction, dont les sièges sont situés aux États-Unis et qui ont des bureaux d’un bout à l’autre du Canada[415]. Un autre exemple est celui des TUAC, qui ont conclu des ententes avec des gouvernements et des groupes de défense mexicains en vue de fournir une aide aux travailleurs agricoles de ce pays qui travaillent au Canada dans le cadre d’un programme des travailleurs étrangers temporaires. Le syndicat aide également ces travailleurs à la suite de leur rapatriement[416]. Les interventions transfrontalières d’un syndicat national sont, pour les syndicats, une fonction de rechange unique, qui cadre avec le syndicalisme communautaire dont il a été question plus tôt.

La syndicalisation n’est pas le seul modèle disponible pour aider les travailleurs vulnérables. D’autres modèles d’associations d’employés ont vu le jour, dont des centres de placement à but non lucratif, des coopératives et des conseils de placement obligatoire. D’autres modèles encore pourraient voir le jour qui s’adapteraient mieux à la nature changeante du travail au XXIe siècle. Il faut que les organismes de travailleurs continuent de s’adapter à de nouvelles situations. Il pourrait être utile que des universitaires ou un groupe de réflexion en matière de politiques publiques envisagent de lancer un projet qui  aiderait à trouver des idées pour de nouvelles formes de représentation des travailleurs.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

27. Que des universitaires ou un groupe de réflexion sur les politiques, en consultation avec les représentants compétents, entreprennent un examen d’éventuels modèles de rechange à la syndicalisation classique et au modèle de négociation collective appelé « Wagner » de façon à soutenir et à aider les travailleurs vulnérables en milieu de travail, ce qui inclurait un examen des nouveaux modèles de représentation des intérêts des travailleurs au sein de diverses formes de travail précaire en Ontario, y compris le travail agricole, le travail domestique, le travail d’agence temporaire et d’autres.

 

5.     Le Conseil consultatif sur des solutions novatrices au travail précaire

Certaines de nos recommandations, comme celles qui ont trait à la mise en œuvre de partenariats, celles qui se rapportent au ciblage des secteurs à risque élevé et la modernisation des exemptions qu’autorise la NNE, obligeront le gouvernement à procéder à de vastes consultations auprès des travailleurs et des organismes d’employeurs, des agences communautaires, du gouvernement et d’experts. Dans le contexte de la réponse aux besoins singuliers des travailleurs vulnérables dans le cadre de la santé et de la sécurité au travail, le rapport Dean a recommandé de recourir à un comité consultatif constitué en vertu de l’article 21 de la LSST, lequel prescrit que « [l]e ministre peut constituer des comités […] ou nommer des personnes pour l’assister ou le conseiller sur une question […] jugée utile »[417]. Le gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre cette recommandation[418].

Comme le suggère le rapport Dean :

Un comité consultatif nommé en vertu de l’article 21 de la LSST améliorerait la capacité du système de santé et de sécurité au travail de répondre aux besoins des travailleurs vulnérables. Il s’agirait d’un forum permanent pour les parties consultantes qui ont de bonnes connaissances concernant les travailleurs vulnérables et qui sont chargées de les protéger. Un tel comité pourrait comprendre des représentants des milieux de travail et des groupes d’employeurs provenant de secteurs où les emplois sont précaires; des agences d’appui aux immigrants et aux réfugiés; des organismes communautaires et des agences de services sociaux; des cliniques juridiques communautaires; d’autres ministères; et, enfin, des programmes fédéraux et municipaux. Des questions précises au sujet desquelles le comité pourrait donner des conseils comprennent l’application des recommandations du comité, l’amélioration des stratégies d’application de la loi ainsi que l’élaboration et la distribution de matériel de sensibilisation[419].

Bien que la Loi sur les normes d’emploi ne comporte pas de disposition comparable à l’article 21, cela n’empêche pas de constituer un tel groupe consultatif d’experts sur les questions relatives à l’emploi. Un groupe permanent de ce genre, formé de participants disposés à travailler ensemble, serait un outil précieux sur lequel le ministère pourrait se fonder pour l’aider à établir des solutions novatrices qui répondraient aux problèmes liés aux lieux de travail, tant nouveaux qu’émergents. Les problèmes qui se posent dans ce secteur peuvent être litigieux, et les points de vue sont souvent polarisés le long de la ligne de démarcation entre les travailleurs et les employeurs. Il est très difficile de trouver des éléments de consensus. Les membres du Groupe consultatif du projet se sont demandés si un comité seul était en mesure de représenter convenablement la totalité des préoccupations et des intérêts propres au secteur. La réponse à cela serait des sous-comités formés de représentants du secteur privé, du milieu syndical, du milieu universitaire et de la collectivité liés à un secteur particulier, pour lesquels les sujets à examiner requièrent ce genre d’expertise particulière.

Pour qu’un tel conseil consultatif fonctionne efficacement, il faut que les participants soient disposés à mettre de côté leurs différences et à trouver des moyens de trouver des solutions aux problèmes; il faut choisir les bonnes personnes. Cela obligera à trouver des personnes intéressées à réduire le travail précaire en tenant compte des réalités économiques du jour au sein du gouvernement, du milieu universitaire, du secteur privé, du milieu syndical et des organismes à but non lucratif, et qui ont fait preuve d’une réflexion équilibrée et originale, ainsi que d’une aptitude à entreprendre un dialogue productif avec des participants représentant les camps opposés.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

28. Que le ministère du Travail constitue un conseil consultatif sur des solutions novatrices au travail précaire, formé de représentants de ministères, d’experts et d’organismes syndicaux et patronaux compétents en vue d’obtenir des conseils et de mettre au point des initiatives permettant d’améliorer et d’activer l’observation et l’exécution de la LNE, dans l’optique de recommander les meilleurs moyens de répondre aux besoins existants et nouveaux des employés vulnérables ou du travail précaire face à l’évolution du milieu de travail.

 

F.               Les lois sur l’emploi qui protègent les travailleurs étrangers temporaires

Ces dernières années, de plus en plus de préoccupations ont été soulevées à propos du traitement équitable des travailleurs étrangers temporaires, notamment ceux qui exercent un emploi peu spécialisé. Les gouvernements ont réagi à la situation au moyen de diverses mesures législatives et de principe. À l’échelon fédéral, des changements au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés ont été adoptés et ils sont entrés en vigueur le 1er avril 2011.

Étant donné l’importance du recours aux TET [travailleurs étrangers temporaires], le gouvernement fédéral est de plus en plus conscient de cas où des employeurs, ou des tiers agissant en leur nom manquent aux engagements qu’ils ont pris envers les travailleurs […]. La version antérieure du Règlement ne permettait pas de tenir les employeurs responsables de leur comportement à l’égard des TET. Voici certaines des transgressions possibles : versement aux TET d’une rémunération inférieure à celle promise; conditions de travail moins bonnes que celles convenues dans l’offre d’emploi; emploi différent de celui promis; hébergement insatisfaisant dans certains cas; facturation de frais par les tiers aux travailleurs plutôt qu’aux employeurs, en contravention des lois provinciales ou territoriales en vigueur[420].

Les employeurs qui souhaitent embaucher des travailleurs étrangers temporaires doivent maintenant montrer qu’ils respectent les offres d’emploi faites antérieurement à ces derniers, ce qui inclut la rémunération, les conditions de travail, l’hébergement, l’assurance-santé, les transports et les lois fédérales-provinciales règlementant l’emploi. Toute inobservation peut mener au refus de fournir une opinion relative au marché du travail ainsi qu’une interdiction d’embauche de deux ans. De plus, il est possible que le nom de l’employeur soit affiché dans le site Web de Citoyenneté et Immigration Canada. Il convient toutefois de signaler que, à la date de rédaction du présent rapport préliminaire, le nom d’aucun employeur n’était affiché[421]. Comme il a été mentionné plus tôt, il existe maintenant des contrats d’emploi types pour les travailleurs des niveaux C et D de la CNP et les aides familiaux résidants que les employeurs doivent utiliser et qui portent sur la rémunération, l’hébergement, les avantages, les heures de travail, les tâches, les congés annuels et les congés de maladie. Ces contrats exigent que les frais d’assurance-santé soient supportés par l’employeur jusqu’à ce que le travailleur soit admissible au régime d’assurance-santé de la province, et un préavis d’une semaine doit être fourni aux travailleurs ayant travaillé pendant plus de trois mois. Les frais de recrutement ne peuvent pas être recouvrés de l’employé et les frais de transport doivent être supportés par l’employeur et, contrairement au PTET, qui permet de les recouvrer en partie, les frais de transport ne peuvent pas être recouvrés du travailleur.

Le contrat indique clairement que les conditions sont assujetties aux normes provinciales en matière d’emploi et de santé et de sécurité. Pour répondre au besoin d’assurer davantage de protection aux travailleurs étrangers temporaires faisant partie du Programme des niveaux C et D de la CNP (emplois peu spécialisés), il existe des conditions contractuelles plus détaillées et précises pour les travailleurs agricoles de ces deux niveaux. Les aides familiaux résidants, qui ont eux aussi besoin de plus de protection, disposent de conditions contractuelles précises. Les employeurs agricoles sont tenus de fournir un logement approprié (conformément aux lignes directrices établies, et pour lequel des frais peuvent être perçus auprès de l’employé), un relevé d’emploi et, aux frais de l’employeur, du matériel de sécurité contre les substances chimiques et les pesticides[422]. D’autres changements fédéraux limitent à quatre ans le temps pendant lequel les travailleurs peuvent rester au Canada, après quoi ils doivent attendre un délai additionnel de quatre ans avant de pouvoir présenter de nouveau une demande dans le cadre du programme[423]. L’intention est de renforcer la nature temporaire des permis de travail. Les travailleurs visés par le PTET sont dispensés de ces limites.

Le programme des aides familiaux résidants offre l’option d’obtenir le statut de résidant permanent à la fin de la période de service. Bien qu’il s’agisse là d’un avantage important, cette option en a amené certains à qualifier le programme des aides familiaux résidants d’approche de type « carotte et bâton » à l’égard de la résidence permanente, ce qui oblige les participants à travailler et à vivre au domicile de leur employeur pendant la période d’admissibilité, au cours de laquelle les travailleurs risquent fort peu de mettre en péril la cessation de leur emploi en se plaignant de manquements à leurs droits[424]. Les cas d’exploitation et d’abus sont bien documentés : des aides familiaux résidants ont été tenus d’effectuer des heures de travail excessives, se sont vus refuser du temps libre, ont touché une rémunération insuffisante, ont été victimes de sévices physiques et psychologiques et se sont vu confisquer leur passeport[425]. Comme le lieu de travail est situé à l’intérieur d’un domicile privé, il est fort difficile de surveiller si les normes d’emploi sont respectées.[426].

[traduction] Les femmes qui entrent au Canada dans le cadre du Programme des aides familiaux résidants (PAFR) sont confrontées à des difficultés particulières parce qu’elles sont obligées de vivre et de travailler au domicile de leur employeur pendant au moins deux (2) ans. Durant ce temps, elles dépendent de leur employeur pour leur rémunération, leur alimentation, leur logement, leurs soins de santé, ainsi que de bonnes références professionnelles qui les aideront à acquérir le statut de résidante permanente. Leur statut de personne dépendante et de travailleuse temporaire font courir à ces personnes un risque de traitement inéquitable et d’abus de la part de leur employeur. Ces personnes sont aussi moins susceptibles de se plaindre, de partir ou de signaler les abus, de crainte de perdre la possibilité d’acquérir le statut de résidante permanente[427]. 

En reconnaissance du besoin qu’ont les aides familiaux résidants de bénéficier d’une protection spéciale, l’Ontario a adopté en 2009 la Loi sur la protection des étrangers dans le cadre de l’emploi (LPECE)[428]. Voici ce que prescrit cette Loi : 

  • elle interdit aux recruteurs de demander à des aides familiaux étrangers de payer des frais, que ce soit directement ou indirectement;
  • elle empêche les employeurs de demander à leur aide familial de leur rembourser les dépenses qu’ils ont engagées pour l’embaucher;
  • elle interdit aux employeurs et aux recruteurs de saisir des choses qui appartiennent à des aides familiaux, y compris des documents comme un passeport ou un permis de travail;
  • elle interdit aux recruteurs, aux employeurs et aux personnes qui agissent en leur nom d’intimider ou de punir des aides familiaux parce qu’ils ont voulu connaître ou exercer leurs droits en vertu de la LPÉCE;
  • elle oblige les recruteurs et, dans certaines situations, les employeurs à remettre aux aides familiaux des feuilles de renseignements où sont décrits leurs droits en vertu de la LPÉCE, ainsi que les dispositions pertinentes de la Loi sur les normes d’emploi[429].

Quand la nouvelle loi est entrée en vigueur, le ministère du Travail a établi une ligne téléphonique d’urgence où les aides familiaux pouvaient appeler pour obtenir des informations; cependant, cette ligne a depuis ce temps été supprimée. Le Ministère a rédigé des feuilles d’information en anglais, en français, en hindi, en tagalog et en espagnol, disponibles sur son site Web, que les employeurs et les recruteurs peuvent remettre aux travailleurs afin de leur expliquer la nouvelle loi.

Outre les mesures de protection fédérales décrites plus tôt qui ont été mises en œuvre pour les travailleurs étrangers temporaires, les évaluations de l’authenticité des offres d’emploi faites aux aides familiaux résidants comportent maintenant des critères additionnels, autres que ceux qui s’appliquent aux autres travailleurs migrants[430]. Les employeurs doivent montrer « le besoin d’un aide familial résidant, l’obligation de fournir un hébergement satisfaisant, et la capacité de verser la rémunération offerte »[431]. Depuis le 11 décembre 2011, les aides familiaux résidants qui satisfont aux exigences de la résidence permanente reçoivent des permis de travail ouverts en attendant que l’on règle leur statut. Cela leur permet de quitter plus tôt le domicile de l’employeur et de chercher du travail dans un autre domaine[432].

Lors de nos consultations, on nous a informés que les principaux secteurs qui suscitent des préoccupations chez les aides familiaux résidants sont le non-paiement de la rémunération, les demandes auprès du ministère du Travail non réglées, l’exécution de tâches non liées au travail d’un aide familial résidant (comme des soins infirmiers, des travaux ménagers et des tâches semblables) et peu de contrôle sur les heures de travail. Certains groupes de défense des droits des travailleurs ont laissé entendre que les mesures de protection que comporte la LPECE sont inefficaces. Ils ajoutent que les efforts d’exécution que fait le ministère ont été axés exclusivement sur les recruteurs et qu’ils ont par ailleurs été insuffisants. À leur avis, les travailleurs ont besoin de mieux connaître leurs droits, de plus d’appui pour faire valoir leurs droits, d’avoir moins peur de représailles, de la possibilité de déposer des plaintes anonymes auprès du ministère du Travail ainsi que de mesures d’exécution proactives[433].

Lors des consultations que nous avons menées au cours de l’année 2011, nous avons rencontré des travailleurs faisant partie du programme des niveaux C et D de la CNP qui ont déclaré avoir payé entre 5 000 $ et 12 000 $ à un recruteur pour venir travailler au Canada. Pour pouvoir payer ces sommes, chacun a dû contracter des emprunts élevés équivalant à au moins la moitié des frais du recruteur, et le solde était payé sur les économies du travailleur. Le travail qu’on leur attribuait était rémunéré au salaire minimum (10,25 $/heure)[434]. Le paiement des frais du recruteur et la dette contractée ont joué un rôle important dans la décision qu’ont prise ces travailleurs de continuer de travailler dans des conditions très défavorables. Même si le nouveau contrat type du gouvernement fédéral vise à empêcher que les employeurs fassent supporter par les travailleurs les frais du recruteur au moyen de conditions contractuelles, il reste à voir si ce contrat sera efficace. À notre avis, il y aurait plus de chances de succès si la province appuyait l’initiative fédérale par un message clair de dénonciation des frais de recrutement peu scrupuleux en étendant la Loi sur la protection des étrangers dans le cadre de l’emploi (LPECE) à l’ensemble des travailleurs migrants temporaires[435].

La réponse du Manitoba au problème des frais de recrutement abusifs, des travailleurs arrivant au pays et ne trouvant aucun emploi disponible et de l’expansion de l’économie clandestine a été la Loi sur le recrutement et la protection des travailleurs (LRPT), qui est entrée en vigueur le 1er avril 2009[436]. Cette Loi oblige les employeurs qui souhaitent embaucher les travailleurs migrants temporaires à s’inscrire auprès du gouvernement manitobain avant de demander un avis sur le marché du travail (AMT) auprès de RHDCC. Avec la collaboration du gouvernement fédéral, l’employeur doit présenter une preuve d’inscription au Manitoba avant qu’une demande d’AMT puisse être traitée. Les règles d’inscription que la LRPT impose aux employeurs sont les suivantes :

Vous devez fournir au gouvernement du Manitoba des renseignements sur votre entreprise et le type de postes que vous cherchez à doter. Vous devez également fournir des renseignements sur les tiers participant au processus de recrutement. Les tiers doivent avoir obtenu une licence de recruteur de travailleurs étrangers de la Direction des normes d’emploi ou être exemptés par la Loi[437].

Un avantage important de cette Loi est que le gouvernement manitobain sait où les travailleurs migrants travaillent, ce qui permet de surveiller le respect des exigences. À l’instar de la nouvelle évaluation de l’authenticité que le gouvernement fédéral a établie, le Manitoba tient compte de la conduite antérieure de l’employeur au moment d’évaluer le bien-fondé de la demande.

Le ministère du Travail du Manitoba tient une base de données sur les employeurs en vue d’évaluer les antécédents de ces derniers sur le plan de l’observation. La Loi a donné lieu à environ 2 000 inscriptions d’entreprise chaque année et, à l’heure actuelle, plus de 50 recruteurs sont inscrits[438]. Si, au moment du démarrage du programme, les ressources étaient plus nombreuses, ce dernier utilise à l’heure actuelle cinq postes d’équivalent temps plein pour ses activités, dont les mesures d’exécution. Le Manitoba a reçu environ 3 000 inscriptions de travailleurs étrangers en 2010, tandis que l’Ontario en a reçu 66 000. En convertissant ce programme pour l’Ontario, on pourrait s’attendre à ce que les besoins en ressources soient fort élevés par rapport au Manitoba. La question est de savoir s’il s’agirait-là d’une utilisation appropriée de ressources considérables, vu les autres préoccupations que nous avons relevées au sujet, par exemple, du besoin d’intensifier les mesures d’exécution proactives. Ceux que nous avons consultés au sujet de la faisabilité de ce type de mécanisme règlementaire pour l’Ontario ont eu une réaction partagée. En général, les répondants ont exprimé l’avis que, malgré son utilité, ce mécanisme ne répondrait pas de manière complète aux préoccupations concernant les travailleurs migrants. Certains ont exprimé l’avis que, sans mesures d’exécution efficaces et sans les ressources requises pour l’appuyer, une telle loi ne deviendrait qu’une simple source d’inscription sur papier.

À notre avis, au lieu d’adopter une autre loi encore, il serait préférable pour l’Ontario de prendre appui sur ce qui existe déjà. La LPECE ne s’applique actuellement qu’aux aides familiaux. Mais sa structure permet de l’étendre à d’autres catégories de travailleurs migrants par voie réglementaire. Le fait de regrouper tous les travailleurs migrants temporaires sous le régime de cette Loi offrirait une protection contre le recrutement peu scrupuleux. Combinées aux mesures de protection fédérales décrites plus tôt au sujet des évaluations de l’authenticité, ces mesures pourraient offrir un degré élevé de protection aux travailleurs migrants.  

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

29. Que le gouvernement de l’Ontario étende la portée de la Loi sur la protection des étrangers dans le cadre de l’emploi à tous les travailleurs migrants temporaires en Ontario.

Pour l’Ontario, l’une des lacunes à combler est le fait de veiller à ce que l’on reçoive des informations sur l’identité et l’emplacement des travailleurs étrangers temporaires et de leurs employeurs de manière à pouvoir faire respecter les dispositions législatives en vigueur. Pour faire respecter les nouvelles dispositions règlementaires en matière de protection et d’étayer les initiatives qu’établissent les provinces en vue de protéger les travailleurs migrants, le gouvernement fédéral s’efforce d’améliorer l’échange fédéral-provincial d’informations. DRHCC indique qu’elle peut communiquer les décisions relatives aux avis concernant le marché du travail (AMT)

aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, aux fins de l’administration et de la mise en application de la législation et des règlements pertinents (p. ex. en matière des normes d’emploi, de santé et de sécurité au travail, d’immigration et de recrutement par l’intermédiaire d’un tiers)[439].

Pour pouvoir étayer les décisions que prend le gouvernement fédéral au sujet des AMT et des évaluations de l’authenticité, il faut que l’Ontario établisse un processus clair pour échanger avec le gouvernement fédéral des informations sur les employeurs non conformes. La circulation de ces informations exige que le Canada et l’Ontario concluent une entente d’échange. Le gouvernement fédéral a fait part de son souhait de négocier de telles ententes et d’autres provinces dont le Manitoba, les ont conclues depuis un certain nombre d’années[440]. Cependant, malgré les discussions en cours, il n’existe encore aucune entente du genre entre l’Ontario et le gouvernement fédéral. De par leur nature propre, les ententes d’échange d’informations suscitent des questions difficiles au sujet de la protection de la vie privée et de l’utilisation des renseignements personnels et elles sont donc aussi, pour les gouvernements, longues à négocier et complexes. Cependant, sans une telle entente, les informations sur les noms et l’emplacement des employeurs et des travailleurs étrangers qu’obtient le gouvernement fédéral ne seront pas mis à la disposition de l’Ontario en vue d’étayer ses mécanismes d’exécution. De plus, les efforts que fait le gouvernement fédéral pour protéger les travailleurs migrants grâce à l’évaluation de l’authenticité des offres d’emploi seront moins efficaces.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

30. Que le gouvernement de l’Ontario négocie une entente d’échange de renseignements avec Ressources humaines et Développement des compétences Canada et Citoyenneté et Immigration Canada de façon à pouvoir échanger des renseignements entre l’Ontario et le gouvernement fédéral et intensifier ainsi les mesures de protection visant les travailleurs étrangers temporaires, et ce, de la manière suivante :

a) affermir la supervision des contrats relatifs aux travailleurs étrangers temporaires à l’échelon fédéral-provincial;

b) intensifier le respect des droits que la législation provinciale confère aux travailleurs migrants temporaires;

c) soumettre à des conséquences les employeurs qui violent la législation provinciale ou ne respectent pas les ententes contractuelles conclues avec les travailleurs étrangers temporaires.
 

Lors des consultations que la CDO a menées, un certain nombre de défenseurs des droits des travailleurs ont exprimé l’avis qu’il ne faudrait jamais se servir des programmes des travailleurs étrangers temporaires pour répondre aux besoins de main-d’œuvre. Selon eux, ces programmes créent un déséquilibre de forces trop marqué entre l’employeur et le travailleur parce que le statut d’immigrant de ce dernier est tributaire de la relation d’emploi. Cela, disent-ils, jette les bases d’un risque d’exploitation, créant ainsi une situation dans laquelle les travailleurs ne se sentent jamais assez sûrs pour faire valoir leurs droits. Ces observateurs croient que le gouvernement fédéral devrait moins se concentrer sur la main-d’œuvre temporaire et s’efforcer de prendre, sur le plan de l’immigration, des décisions à long terme qui assureront une main-d’œuvre suffisante pour répondre aux besoins du pays. Autrement dit, les politiques d’immigration du Canada devraient inclure la possibilité d’accueillir des travailleurs peu spécialisés sur une base plus permanente.

Cependant, la main-d’œuvre temporaire a ses avantages. Le Canada et l’Ontario accueillent des travailleurs pour la période dont ils en ont besoin, mais n’ont pas à les soutenir durant les périodes d’absence de travail. Les travailleurs qui ont besoin d’un emploi peuvent l’obtenir, ce qui leur permet de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille dans leur pays d’origine. Les pays d’origine de ces travailleurs tirent eux aussi des avantages de cette situation, c’est-à-dire l’auto-suffisance de leurs citoyens. Notre système d’immigration privilégie l’octroi de la résidence permanente aux travailleurs spécialisés et instruits, plutôt qu’aux travailleurs peu spécialisés. Étant donné qu’il se crée au Canada fort peu de nouveaux emplois pour les travailleurs peu spécialisés, il peut y avoir une certaine logique à cette façon de penser. Par contraste, selon l’Institut Fraser, les tâches peu spécialisées qu’exécutent à l’heure actuelle les travailleurs étrangers temporaires devraient être confiées à des résidents permanents ou à des citoyens[441]. À notre avis, cela fait abstraction de la réalité selon laquelle les employeurs sont incapables de trouver à l’échelon local des travailleurs convenables pour combler ces postes, encore que des initiatives fédérales récentes, visant à apporter des changements au Programme de l’assurance-emploi qui obligeraient les Canadiens sans travail à accepter un éventail plus vaste d’emplois, sont peut-être axées sur ce problème[442]. À ce stade, le secteur agricole de l’Ontario dépend dans une large mesure de la main-d’œuvre composée de travailleurs étrangers temporaires. Nous l’importons chaque année. Le temps est peut-être venu d’accepter et d’apprécier davantage la contribution des travailleurs migrants peu spécialisés.

 

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