A.              Le cadre législatif applicable

Le régime règlementaire que l’Ontario a établi pour la santé et la sécurité est principalement régi par deux lois : la Loi sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail (LSPAAT) ainsi que la Loi sur la santé et la sécurité au travail (LSST)[484]. La LSPAAT est appliquée par l’intermédiaire de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (CSPAAT). Le régime de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail procure à un employeur un régime d’assurance de réadaptation et d’indemnisation financé pour les accidents ou les maladies de nature professionnelle.

Le mécanisme législatif par lequel la santé et la sécurité des travailleurs sont protégées est régi par la Loi sur la santé et la sécurité au travail (LSST) ainsi que ses règlements. La LSST est fondée sur le principe du système de responsabilité interne dans le cadre duquel les parties au travail assument conjointement la responsabilité de la santé et de la sécurité au travail. Les employeurs sont tenus d’établir une politique de santé et de sécurité et de disposer d’un comité mixte sur la santé et la sécurité. La LSST énonce les obligations de ceux qui exercent un contrôle sur les travailleurs, le lieu de travail, les matériaux ou le matériel. Elle impose aux employeurs l’obligation générale de prendre toutes les mesures de précaution raisonnables pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs, et elle définit expressément quelles sont les responsabilités des employeurs. Les travailleurs sont tenus de travailler en toute sécurité et de se conformer à la Loi et à ses règlements. Si le système de responsabilité interne fait défaut, le ministère du Travail est habilité à faire respecter la LSST et il le fait au moyen d’inspections, tant proactives que réactives, d’ordonnances de conformité et d’accusations.

Le rapport Dean ainsi que Vosko et ses collaborateurs décrivent de manière plus détaillée l’évolution historique du système ontarien de santé et de sécurité.[485]

Des modifications apportées à la LLST en 2011 définissent de manière explicite les pouvoirs et les obligations du ministre; ceux-ci comprennent la promotion de la santé et de la sécurité et la prévention des accidents, la sensibilisation du public, l’instruction et le développement, chez les employeurs et les travailleurs, du souci de la santé et de la sécurité au travail[486]. 

1.     Les représailles et les modifications de 2011

L’article 50 de la LSST interdit d’user de représailles contre les travailleurs qui agissent conformément à la Loi ou aux règlements ou qui cherchent à les faire respecter. Le travailleur qui croit avoir été pénalisé parce qu’il a exercé les droits et les responsabilités que lui confère la Loi peut déposer une plainte auprès de la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO), ou il incombe à l’employeur de faire la preuve qu’il n’y a pas eu de représailles[487]. En réponse au rapport Dean, en vertu des modifications de 2011 à la LSST qui sont entrées en vigueur le 1er avril 2012, les inspecteurs du ministère du Travail, avec l’assentiment du travailleur concerné, peuvent soumettre la plainte de représailles de ce dernier à la CRTO[488]. De plus, depuis le 1er avril 2012, un nouveau règlement pris en vertu de la LSST prescrit les fonctions que remplissent le Bureau des conseillers des travailleurs (BCT) et le Bureau des conseillers des employeurs (BCE) à l’égard des plaintes de représailles. Il est question plus en détail de ces deux entités dans l’analyse faite à la section sur les représailles qui précède la recommandation no 37.

2.     Les comités mixtes sur la santé et la sécurité (CMSS)

Des comités mixtes sur la santé et la sécurité ainsi que des représentants connexes offrent un moyen de relever et de régler les problèmes de santé et de sécurité au travail. Ce mécanisme,  qui permet aux travailleurs de s’exprimer et de participer au processus, agit comme un partenariat entre la direction et les travailleurs et joue un rôle consultatif sur le plan de la sécurité au travail[489]. Dans la plupart des lieux de travail comptant au moins vingt employés, ces comités doivent être établis. Dans les lieux de travail de plus petite taille, des représentants distincts sont désignés par les travailleurs ou, le cas échéant, le syndicat. Ces représentants ont essentiellement les mêmes pouvoirs que le comité mixte. Dans les lieux de travail de grande envergure, au moins un travailleur et un représentant de la direction qui siègent au comité doivent être « agréés ». En date du 1er avril 2012, le ministère du Travail, par l’entremise du directeur général de la prévention, a pour mandat de fixer des normes concernant l’agrément et la formation des comités mixtes sur la santé et la sécurité, ainsi que d’agréer les membres qui répondent aux normes en vigueur. Les comités relèvent les dangers en procédant à des inspections des lieux de travail et en s’informant auprès des employeurs[490]. Les comités peuvent formuler des recommandations écrites, auxquelles l’employeur est tenu de répondre, quant aux améliorations à apporter sur le plan de la santé et de la sécurité[491]. Tous les refus de travail et accidents graves peuvent faire l’objet d’une enquête de la part du comité. Quelques membres du Groupe consultatif du projet ont laissé entendre que, dans certains cas, les employeurs n’établissaient pas de comités mixtes sur la santé et la sécurité ou de représentants opérationnels ou alors, dans d’autres cas, ils étaient en place uniquement pour la forme. Lors de nos consultations, on nous a informés que le ministère du Travail évalue le fonctionnement du comité mixte sur la santé et la sécurité dans le cadre d’une inspection ou d’une enquête[492]. Il s’agit donc là d’un secteur qui tirerait profit d’une intensification des mesures d’exécution proactives.  

 

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

34.  Que les activités d’exécution de la LSST comportent des inspections proactives afin de s’assurer que des comités mixtes sur la santé et la sécurité sont établis et que des représentants sont désignés, au besoin, et bel et bien opérationnels.

Dans le cadre du système de la LSST, les objectifs d’observation et d’exécution sont atteints grâce à l’effet combiné d’un système de responsabilité interne qui est fondé sur le partenariat formé par les travailleurs et l’employeur et d’un système de responsabilité externe qui est fondé sur des stratégies d’exécution officielles, au moyen d’inspections, proactives et réactives, à la suite de plaintes, d’accidents graves, de décès et de refus[493]. Les violations confirmées peuvent donner lieu à la délivrance d’ordonnances de conformité et/ou d’ordonnances d’arrêt de travail ou des poursuite en vertu de la partie I (procès-verbaux) ou dans les cas plus graves, de la partie III de la Loi sur les infractions provinciales[494]. Dans de très rares cas, lors d’instances distinctes de la LSST, à la suite d’une enquête policière et du dépôt d’accusations criminelles, les contrevenants sont poursuivis en vertu du Code criminel[495].

La LSST s’applique à la plupart des lieux de travail, mais il existe un certain nombre d’exemptions et de limites. Par exemple, les personnes embauchées directement par des particuliers et travaillant dans leur domicile privé sont exclues et cela inclut les aides familiaux résidants. Au départ, les activités agricoles étaient exemptées, mais, en 2006, elles ont été intégrées à la LSST, avec certaines limites. Les employeurs agricoles sont obligés, à l’instar des employeurs d’autres secteurs, de prendre toutes les précautions raisonnables dans les circonstances pour protéger leurs travailleurs[496]. Les superviseurs et les travailleurs agricoles sont eux aussi soumis à la même obligation que ceux qui travaillent dans d’autres secteurs, c’est-à-dire, prendre des mesures appropriées pour relever et régler tous les dangers qui peuvent se présenter dans leur lieu de travail. Le régime d’inspection et d’exécution s’applique lui aussi. La LSST exige qu’un comité mixte sur la santé et la sécurité soit établi dans les lieux de travail comptant 20 travailleurs employés régulièrement ou plus, mais l’application de cette exigence se limite aux entreprises de production de champignons, aux serres, aux entreprises laitières, ainsi qu’aux entreprises de production de porc, de bétail et de volaille. Pour d’autres types d’exploitation et les exploitations de petite taille (c.-à-d., de 6 à 19 travailleurs employés régulièrement), ce sont des représentants de la santé et de la sécurité qui doivent être désignés. Certains représentants sont d’avis que dans les lieux de travail comptant des travailleurs d’agences temporaires un certain nombre d’employeurs interprètent mal la notion de « travailleurs employés régulièrement » et excluent les travailleurs d’agences temporaires de façon à pouvoir contourner l’obligation d’avoir à mettre sur pied un comité mixte sur la santé et la sécurité[497]. Dans le cadre de la recommandation qui précède, les activités d’exécution proactives devraient inclure le ciblage de ce type d’activité afin de s’assurer que l’on observe comme il faut les exigences.

À la place de dispositions règlementaires précisant les dangers possibles, il existe des Directives concernant la santé et la sécurité au travail à l’intention des opérations agricoles en Ontario, lesquelles ont été établies conjointement par des représentants du milieu agricole, la Farm Safety Association, le ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Affaires rurales ainsi que le ministère du Travail[498]. Ces lignes directrices « constituent un point de départ pour les parties du lieu de travail; elles les aideront à déterminer la meilleure façon de respecter leurs obligations en vertu de la LSST »[499]. Lors de nos consultations, nous avons entendu des commentateurs du côté syndical faire part de leurs préoccupations à l’égard de l’importance de la participation des travailleurs aux discussions sur le sujet, comme les comités consultatifs techniques concernant les questions de santé et de sécurité dans le domaine agricole. En revanche, nous avons aussi entendu dire que les consultations du milieu des travailleurs et du milieu des employeurs ont systématiquement lieu lors de l’élaboration des règlements relatifs à la LSST, des dispositions législatives, des politiques et des plans sectoriels[500]. Nous ne savons pas avec certitude si les consultations concernant les préoccupations des travailleurs sont suffisantes à l’heure actuelle, mais nous sommes clairement d’avis qu’elles sont nécessaires. De telles consultations devraient inclure les travailleurs eux-mêmes, les organismes qui les représentent, les représentants juridiques ou d’autres experts et représentants.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

35.  Que le gouvernement de l’Ontario s’assure que les discussions menées entre le secteur privé et le gouvernement au sujet de la santé et de la sécurité englobent les travailleurs ou leurs représentants.
 

 

B.              Le rapport Dean

En janvier 2010, le ministre du Travail de l’Ontario a chargé un Comité consultatif d’experts de la santé et de la sécurité au travail de procéder à une étude du système de la santé et de la sécurité au travail de l’Ontario. Ce comité, présidé par Tony Dean, était formé d’universitaires et de représentants des travailleurs et des employeurs ayant une expérience des questions relatives à la santé et à la sécurité. Le rapport Dean a été publié en décembre 2010. Les recommandations qui y figuraient étaient axées sur une amélioration des activités de formation, des ressources et des mesures de soutien, sur des mesures de protection contre les représailles ainsi que sur une structure de prévention, fondée sur la LSST, qui serait alignée sur les mesures d’exécution.

Le rapport Dean a conclu qu’il existait un engagement généralisé à l’égard du système de responsabilité interne[501]. Le modèle existant offre un équilibre entre les mesures d’exécution internes et externes. Nous soutenons la poursuite de cet engagement à l’égard de cet équilibre.

Suite aux recommandations du Comité d’experts, des modifications ont été apportées à la Loi sur la santé et la sécurité au travail ainsi qu’à la Loi sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail, faisant du ministère du Travail l’organisme responsable de la prévention des maladies et des accidents[502]. Les changements ont mené à la nomination du premier directeur général de la prévention de l’Ontario en vue de coordonner le système de prévention et ils permettront de mettre en place un nouveau conseil de prévention ainsi que d’établir des normes concernant les associations de santé et de sécurité, l’éducation et la formation dans des lieux de travail et la promotion de la sécurité au travail. Le rapport Dean et le directeur général de la prévention ont tous deux fait état de l’importance qu’il y a de prioriser les travailleurs vulnérables et les petites entreprises[503]. Vu la fréquence du travail précaire dans les entreprises de petite et de moyenne taille, il s’agit là, selon nous, d’une évolution importante.

Faisant de la protection des travailleurs vulnérables une priorité, le comité d’experts Dean a défini ces derniers comme ceux qui « sont plus exposés que la plupart des travailleurs à des conditions dangereuses pour la santé et la sécurité, et ne disposent d’aucuns pouvoir pour les changer »[504]. Il a été reconnu que la vulnérabilité des travailleurs découlait de plusieurs facteurs :

l’ignorance de leurs droits en vertu de la LSST, comme le droit de refuser de faire un travail risqué, l’absence d’expérience ou de formation liée à un emploi particulier ou au danger qu’il représente, et l’incapacité d’exercer leurs droits ou de soulever des questions portant sur la santé et la sécurité, par crainte de perdre leur emploi ou, dans certains cas, d’être déportés[505]. 

Le rapport a mis l’accent sur des sous-groupes particuliers, dont les jeunes travailleurs, les immigrants récents, les travailleurs novices ou embauchés par de nouvelles entreprises, les travailleurs gagnant de très bas salaires et détenant plusieurs emplois à temps partiel, les travailleurs d’agences temporaires, ainsi que les travailleurs étrangers temporaires qui sont employés dans les secteurs de l’agriculture, de l’hôtellerie et du tourisme d’accueil ainsi que de la construction[506]. Dean a également traité de la vulnérabilité des travailleurs d’agences temporaires et des réfugiés non munis des documents nécessaires, ainsi que de ceux qui travaillent dans l’économie clandestine de divers secteurs, tels que la construction, le nettoyage de bâtiments, la restauration, les transports, l’agriculture et le secteur du vêtement.

Le comité d’experts a reconnu les efforts faits par le gouvernement de l’Ontario depuis 2000 en priorisant la protection des jeunes travailleurs grâce à des mesures d’exécution ciblées, à des activités d’éducation ainsi qu’à des campagnes de sensibilisation publique énergiques qui ont donné lieu à « une diminution de 45 % du taux d’absences résultant de blessure chez les adolescents en 2008 »[507]. Cependant, la prestation de services d’extension, la détermination des endroits où se trouvent les travailleurs vulnérables de même que la fourniture de renseignements pertinents, de services et de mesures d’exécution législatives présentent des défis constants pour ce qui est de protéger les travailleurs vulnérables, surtout dans le cas de ceux qui sont aux prises avec des obstacles linguistiques[508].

Les recommandations nos 29 à 35 du rapport Dean visent expressément les travailleurs vulnérables; plusieurs autres recommandations concernant l’ensemble des travailleurs ont été considérées comme comportant des avantages particuliers pour les travailleurs vulnérables (les recommandations nos 10 et 14 à 17). Le ministre du Travail s’est engagé à mettre entièrement en œuvre le rapport Dean et, à ce jour, d’importants changements ont déjà été effectués. Nous soulignons ci-après et appuyons la mise en œuvre des recommandations que nous considérons comme les plus importantes pour les travailleurs vulnérables. Dans certains cas, nous présentons également des recommandations additionnelles en vue d’amplifier ou de guider la mise en œuvre des recommandations pertinentes du rapport Dean. On nous a informés qu’un certain nombre de ces recommandations sont en voie d’être appliquées. Celles-ci sont signalées ci-après, dans les sections appropriées. Les recommandations formulées dans le rapport Dean seront appliquées graduellement dans le temps, ce qui permettra aux parties représentant les lieux de travail de se préparer aux changements et de mener de plus amples consultations avec les intervenants et le conseil de la prévention, une fois que ce dernier sera établi. Une partie de ce travail sera mené en consultation avec le conseil de prévention, lorsqu’il aura vu le jour[509].

1.     Une formation obligatoire sur la santé et la sécurité aux travailleurs avant de commencer à travailler ainsi qu’à tous les superviseurs responsables des intervenants en première ligne (recommandations nos 14 et 15 du rapport Dean)

La formation porterait sur les droits et les responsabilités, le système de responsabilité interne, le fait de reconnaître les dangers et d’y réagir convenablement, de même que le rôle des comités mixtes sur la santé et la sécurité et des représentants connexes. Le Comité d’experts s’est rendu compte du besoin de prendre en considération les problèmes linguistiques et de littératie qui se poseraient lors de la mise au point des programmes de formation ainsi que la nécessité d’une accessibilité générale en offrant ces programmes sous de multiples formes dans des lieux non traditionnels comme Emploi Ontario, les bureaux d’établissement et les bureaux communautaires. La mise en œuvre de ces recommandations est actuellement en cours[510].

 

2.     Une formation de débutants obligatoire pour les travailleurs de la construction et d’autres secteurs relevés; une formation de protection contre les chutes obligatoire et les autres activités à risque élevé (recommandations nos 16 et 17 du rapport Dean)

Une formation axée sur des dangers particuliers aiderait à contrer et à réduire le taux supérieur d’accidents qui surviennent parmi les nouveaux travailleurs, et elle profiterait aussi aux jeunes travailleurs et aux immigrants récents qui exercent habituellement, dans une mesure disproportionnée, des emplois physiquement exigeants ou dangereux[511].

Reconnaissant le besoin particulier de protection dans le secteur agricole, le Comité d’experts a recommandé que tout nouveau règlement obligeant à dispenser une formation obligatoire aux travailleurs s’applique également aux exploitations agricoles. La mise en œuvre de ces recommandations est actuellement en cours[512].

 

3.     Un plus grand nombre de visites proactives et de campagnes d’application de la loi dans les milieux de travail et les secteurs où les travailleurs vulnérables sont concentrés (recommandation no 30 du rapport Dean)

Cette recommandation est destinée à mettre en lumière les mesures d’exécution et d’enquête proactives. Nos consultations et nos recherches ont également révélé le besoin de prendre davantage de mesures d’exécution. Le ministère du Travail a répondu à la recommandation du rapport Dean en, notamment, se lançant dans l’établissement de plans sectoriels axés sur un plus grand nombre de campagnes-éclair sur la sécurité et d’inspections proactives des lieux de travail[513]. L’augmentation du nombre des inspections a donné lieu à l’exercice accru de pouvoirs d’exécution au cours des dernières années, ce qui en fait une stratégie d’observation efficace[514]. Lors de nos consultations, on nous a informés que le ministère du Travail tient compte des travailleurs vulnérables au moment de décider où mener ces campagnes-éclair[515].

Bien que nous soutenions la recommandation no 30 du rapport Dean, nous croyons qu’une recommandation donnant des directives plus précises serait utile. Il est ressorti de nos consultations que, chez les travailleurs agricoles, les travailleurs migrants temporaires ont d’importantes inquiétudes sur le plan de la santé et de la sécurité. Le rapport Dean reconnaît les dangers que présente le secteur agricole. Un certain nombre de répondants à nos consultations ont laissé entendre que les exploitations agricoles ne sont pas soumises assez souvent à des inspections menées en vertu de la LSST, tandis que des représentants du secteur agricole ont fait remarquer que d’autres secteurs présentaient des niveaux de dangers semblables ou supérieurs. Il ressort d’un examen des renseignements que détient le ministère du Travail sur les accidents graves et les décès survenus en Ontario que, entre les années 2008 et 2010, le secteur agricole a fait état de 11 décès et de 29 accidents graves. Le taux de décès venait au deuxième rang parmi 29 des sous-secteurs industriels de l’Ontario, après le tourisme, les loisirs et les services d’accueil, où l’on a relevé 15 décès. Vingt autres sous-secteurs ont signalé un nombre supérieur d’accidents critiques, comparativement à celui de l’agriculture. Il convient de signaler que le nombre des inspections menées en vertu de la LSST ont été nettement moindres que dans la plupart des autres secteurs. Sur 29 sous-secteurs, il n’y en a eu que cinq autres où les taux d’inspection étaient inférieurs à ceux des exploitations agricoles, et tous ces sous-secteurs présentaient des taux de décès nettement inférieurs (0 ou 1) au cours de la même période, par rapport à l’agriculture [516]. Nous n’avons pas d’informations qui expliquent clairement pourquoi, mais la situation donne à penser qu’il est nécessaire de l’examiner. Le secteur agricole est un secteur où des activités d’exécution proactives pourraient avoir un effet positif marqué sur les travailleurs et, particulièrement, sur les travailleurs migrants qui, comme nous l’avons noté plus tôt se trouvent dans une situation qui présente des vulnérabilités singulières à cause de leur hésitation à signaler des accidents ou à faire valoir leurs droits de leur propre initiative.

Les participants aux consultations ont relevé d’autres secteurs, dont celui de l’accueil et celui des services de nettoyage, qui sont susceptibles de connaître des accidents au travail, de même que l’apparition graduelle d’accidents à répétition parmi les travailleurs des usines de vêtements, à cause du besoin de travailler rapidement[517]. Les participants aux consultations ont souligné les préoccupations relatives aux mesures d’exécution. Les membres du Groupe consultatif du projet ont indiqué que le secteur du placement temporaire suscitait d’importantes préoccupations en rapport avec la santé et la sécurité.

 

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

36.  a)   Que le ministère du Travail mène plus d’inspections proactives dans les secteurs employant des travailleurs vulnérables et présentant un risque élevé d’accidents au travail, dans le secteur de l’agriculture, le secteur du tourisme réceptif et le secteur des services de nettoyage, ainsi que les lieux de travail où l’on trouve des travailleurs d’agences de placement temporaire;

b)   Que les travailleurs étrangers temporaires, actifs dans tous les secteurs, constituent une priorité pour les activités d’exécution proactives que mène le ministère du Travail en vertu de la LSST.

 

4.     Une affiche énonçant les principaux droits et responsabilités aux termes de la LSST (recommandation no 10 du rapport Dean)

La recommandation du Comité consultatif concernant la production d’une affiche présentant les principaux droits et responsabilités était fondée sur les témoignages qu’il avaient entendus, à savoir que de nombreux travailleurs « comprenaient peu ou pas du tout la Loi sur la santé et la sécurité au travail, leurs droits en tant que travailleurs et les obligations des employeurs. Ce phénomène [était] particulièrement répandu parmi les travailleurs vulnérables »[518]. Nous signalons qu’une ébauche d’affiche sur les droits et les responsabilités en milieu de travail a été présentée pour commentaires sur le site Web du ministère du Travail jusqu’en janvier 2012. Les observations que l’on a reçues lors de la période de consultation font actuellement l’objet d’un examen[519].

 

5.     Des produits d’information dans des langues et des formats multiples à distribuer par l’entremise de divers médias et organismes afin de sensibiliser le public à la question de la santé et de la sécurité des travailleurs vulnérables (recommandation no 31 du Rapport Dean)

Le Comité consultatif a recommandé que des renseignements de base sur la LSST et la LSPAAT soient produits dans des langues et des formats multiples en vue de pouvoir joindre les travailleurs vulnérables à l’échelon des collectivités. Nous avons conclu que de nouvelles voies de diffusion, comme les organismes et les services s’adressant aux nouveaux arrivants, les sites Web gouvernementaux axés sur les nouveaux immigrants, les annonces publicitaires, les bibliothèques et les moyens de transport en commun serviraient mieux les travailleurs vulnérables et rejoindraient ceux qui ne se présentent pas dans les bureaux du gouvernement et ceux qui ont des difficultés sur le plan linguistique ou sur le plan de la littératie[520]. Comme il a été signalé, le Comité consultatif a souligné les difficultés – auxquelles il a aussi été fait écho lors des consultations de la CDO – que suscite la protection des travailleurs dont l’anglais n’est pas la langue première ou qui ne parlent pas du tout cette langue[521].

Certains de nos répondants ont exprimé des critiques au sujet du rapport Dean qui, considèrent-ils, met exagérément l’accent sur la formation aux dépens des mesures d’exécution, mais, à notre avis les recommandations que le Comité consultatif a formulées au sujet de l’élaboration de documents d’information, de la diffusion de ces derniers, ainsi que de la sensibilisation aux droits et aux responsabilités en matière de santé et de sécurité répondent bien aux problèmes qui ont été évoqués lors de nos consultations, relativement à la nécessité que les travailleurs aient une meilleure connaissance de leurs droits[522]. On nous a parlé de travailleurs étrangers temporaires qui manquaient de formation, de connaissance des droits et des personnes et organismes avec qui entrer en contact pour les faire respecter, surtout après un rapatriement[523].

 

6.     Des dispositions règlementaires pour les principaux dangers associés au travail agricole (recommandation no 32 du rapport Dean)

Le rapport Dean a fait des commentaires sur les dangers associés au secteur agricole et, comme nous l’avons signalé, en Ontario, entre les années 2008 et 2010, ce secteur venait au deuxième rang au chapitre du nombre des décès déclarés[524]. Les accidents les plus souvent signalés à la CSPAAT sont attribuables à l’épuisement, aux chutes, aux mouvements répétitifs et à une partie du corps coincée ou comprimée par du matériel. Lors de nos consultations, des travailleurs nous ont parlé de ces types d’accidents, qui causaient des douleurs au dos, des hernies, des amputations de mains ou d’orteils à cause de machines, d’exposition à la chaleur et d’épuisement, de tensions répétitives et d’exposition à des substances chimiques et à des pesticides. Les représentants du secteur agricole ont fait état de la meilleure formation que l’on dispense aujourd’hui aux travailleurs sur le plan de la santé et de la sécurité. Ils ont signalé, notamment, des innovations telles que les Pesticide Safety Training Requirements of Agricultural Assistants (Exigences relatives à la formation des aides agricoles en matière de sécurité des pesticides) et le Programme ontarien de formation sur les pesticides, qui sont offerts aux travailleurs agricoles. De plus, la Farm Safety Association offre gratuitement, ou moyennant des frais minimes, à ses membres un cours sur la santé et la sécurité. Le F.A.R.M.S. a indiqué aussi que les travailleurs migrants reçoivent des informations de l’Ontario sur la santé et la sécurité dans le cadre de brochures émanant de leur pays respectif. Lors des consultations de la CDO, de nombreux travailleurs agricoles étrangers temporaires ont indiqué avoir suivi une formation quelconque sur de tels sujets, comme le SIMDUT et l’utilisation des pesticides; mais un grand nombre d’autres n’en ont pas suivi[525].

Le rapport Dean a recommandé que l’on offre plus de protection aux travailleurs agricoles en appliquant certaines dispositions règlementaires existantes aux exploitations agricoles ou en créant de nouvelles dispositions règlementaires propres aux exploitations agricoles de façon à couvrir les principaux dangers sur lesquels portent actuellement les lignes directrices en matière d’agriculture.

 

7.     Les représailles (recommandations nos 33, 34 et 35 du rapport Dean)

L’article 50 de la LSST interdit d’user de représailles. Nos consultations ont pourtant révélé que la crainte qu’ont les travailleurs d’être victimes de représailles continue d’être un obstacle à l’exécution des dispositions législatives en matière de santé et de sécurité, et que le problème est particulièrement aigu dans le contexte des travailleurs étrangers temporaires, où des travailleurs ont dit craindre d’être renvoyés chez eux ou d’être interdits de retour dans l’avenir[526]. Le Comité consultatif a reconnu que ces inquiétudes posaient problème et il a conclu que la crainte d’être victime de représailles était un élément de vulnérabilité important chez les travailleurs migrants temporaires.

En guise de solutions, le rapport Dean a recommandé que l’on active l’étude des plaintes de représailles déposées en vertu de la LSST, que l’on accorde à la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO) la capacité d’ordonner une réintégration provisoire, que l’on rehausse les politiques en matière de poursuites pour représailles en mettant l’accent sur la dissuasion, et que l’on fournisse l’appui d’une tierce partie indépendante aux personnes qui se plaignent d’être victimes de représailles, par l’entremise d’un organisme tel que le Bureau des conseillers des travailleurs. Des modifications récemment apportées à la LSST comprennent un nouveau processus par lequel les inspecteurs peuvent orienter les questions de représailles vers la CRTO. Cette dernière a modifié ses règles afin de pouvoir activer le traitement de ces cas et elle est habilitée à supprimer ou à modifier toute sanction imposée par l’employeur, à réintégrer le travailleur ou à l’indemniser[527]. Le gouvernement de l’Ontario a également adopté des dispositions règlementaires qui prescrivent les fonctions du Bureau des conseillers de travailleurs (BCT) et du Bureau des conseillers des employeurs (BCE), lesquelles consistent à dispenser une formation, à prodiguer des conseils et, dans le cas du BCT, à représenter les travailleurs non syndiqués devant la CRTO et, dans le cas du BCE, à représenter les employeurs comptant moins de 50 employés devant la CRTO[528]. Ce sont là des progrès importants. Toutefois, il est important aussi de reconnaître que, dans le cas des travailleurs étrangers temporaires, ces modifications n’auront qu’un avantage restreint à moins que ces processus soient disponibles pendant que les travailleurs se trouvent toujours en Ontario. Nous exhortons la CRTO à tenir compte des limites de temps strictes auxquelles ces travailleurs sont soumis, de façon à ce que les travailleurs étrangers temporaires qui se présentent devant la CRTO dans le cadre de ce processus puissent disposer d’une audience et de discussions accélérées et efficaces. Notre recommandation concernant l’établissement d’un processus décisionnel indépendant à l’égard du rapatriement des travailleurs étrangers temporaires, et que nous avons formulée dans le chapitre portant sur les normes d’emploi, serait sensible à ces préoccupations. 

 

 

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

37.  Que la Commission des relations de travail de l’Ontario, le ministère du Travail et le Bureau des conseillers des travailleurs veillent à ce que l’on dispose de systèmes permettant aux travailleurs étrangers temporaires d’avoir accès aux processus accélérés de la CRTO dans le cas des plaintes déposées en vertu de l’article 50 de la LSST.

8.     Un comité nommé en vertu de l’article 21 pour les travailleurs vulnérables (recommandation no 29 du rapport Dean)

Le rapport Dean a recommandé la mise en œuvre d’un comité consultatif spécial prodiguant des conseils aux travailleurs vulnérables en vertu de l’article 21 de la LSST. Ce comité serait un forum permanent pour les parties consultantes ayant de bonnes connaissances concernant les travailleurs vulnérables et donnant des conseils au Ministère sur la façon de mettre en œuvre les recommandations formulées dans le rapport Dean, et qui permettrait d’améliorer les mesures d’exécution et de mettre au point et de diffusion des documents d’information[529]. Le directeur général de la prévention a indiqué que les travaux relatifs à l’établissement de ce comité sont en cours. On prévoit qu’il sera établi en 2012[530]. La CDO soutient énergiquement la création de ce comité. À notre avis, outre les questions de mise en œuvre, il existe un certain nombre de questions pressantes qu’il pourrait étudier. Par exemple, le Comité consultatif a suggéré que le comité soit une source d’informations permettant d’identifier les lieux de travail et les secteurs où se concentrent les travailleurs vulnérables, en vue de cibler les secteurs qui feraient l’objet de campagnes d’information sur les mesures d’exécution. Nous sommes d’accord.  

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

38.  a)   Que le gouvernement de l’Ontario mette en œuvre le Comité des travailleurs vulnérables nommé en vertu de l’article 21 de la LSST, comme l’a recommandé le rapport Dean;

b)   Que, notamment, ce comité s’occupe de :

i.          prioriser les activités de formation sur la santé et la sécurité, tant une formation de base qu’une formation axée sur des dangers particuliers, à l’intention des travailleurs migrants et de leurs superviseurs;

ii.         trouver des moyens de donner accès aux travailleurs migrants à une formation de base sur leurs droits ainsi qu’à une formation axée sur des dangers particuliers, soit avant leur arrivée au Canada, par l’entremise des consulats, soit aussitôt après leur arrivée;

iii.        relever les secteurs où se concentrent les travailleurs vulnérables, de façon à ce que les activités d’exécution proactives soient axées sur ces secteurs.

39.  Que le gouvernement de l’Ontario mette en œuvre les recommandations nos 10, 14, 15, 16, 17, 29, 30, 31 et 32 du rapport Dean.

 

C.              Les questions relatives aux soins de santé ainsi qu’à la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail

Selon Lippel et ses collaborateurs, les travailleurs d’agence de placement temporaire oeuvrant dans une relation triangulaire formée de l’employé, du client (le lieu de travail) et de l’agence de placement temporaire (l’employeur réputé) soulèvent des problèmes singuliers sur le plan de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail. Ce sont les employeurs qui doivent payer les primes de la SPAAT. Les taux de ces primes sont fixés en fonction d’un « système de tarification par incidence » qui tient compte des antécédents de l’employeur auprès de la CSPAAT et des risques évalués que présente le type d’emploi. Les auteurs signalent que la relation de travail triangulaire crée une situation dans laquelle les accidents du travail qui surviennent au lieu de travail du client ne sont pas consignés dans le cadre des antécédents du client auprès de la CSPAAT. Ils devraient figurer dans les dossiers de l’agence de placement temporaire, mais on ne sait avec certitude à quelle fréquence cela se fait[531]. Cette situation crée, pour les employeurs, une incitation possible à confier en sous-traitance les travaux les plus dangereux à des agences temporaires de façon à éviter d’avoir à payer à la CSPAAT des primes plus élevées[532]. Cette forme d’orientation des risques vers l’agence temporaire peut aussi avoir une incidence négative sur les agences de placement temporaire de petite taille, qui voient leurs primes augmenter. Lippel et ses collaborateurs font état d’autres problèmes, comme le fait que la CSPAAT sous-évalue la capacité de gains des employés temporaires et à temps partiel, le fait que l’on dissuade les employeurs clients à faire revenir au travail les travailleurs d’agences de placement temporaire qui ont subi un accident de travail et le fait que les travailleurs hésitent à signaler les accidents dont ils sont victimes.

[traduction] Certains travailleurs ont manifestement le sentiment d’être sacrifiables et hésitent à exercer leurs droits. Quand ils sont victimes d’un accident, la perte de la capacité de gains qu’ils subissent est sous-évaluée, ce qui mène non seulement à des indemnités minimes, mais aussi à une sous-estimation des besoins de réadaptation professionnelle des travailleurs, la seule exigence étant des mesures de soutien pour aider le travailleur à obtenir les gains qu’il touchait avant d’avoir subi un accident[533].

Bien qu’il ne s’adresse pas expressément à la situation des travailleurs d’agences de placement temporaire dont il a été question plus tôt, le rapport Arthurs, intitulé « Funding Fairness, A Report on Ontario’s Workplace Safety and Insurance System », s’est livré à une analyse importante et formulé une série de recommandations au sujet du système de la tarification par incidence de la CSPAAT[534]. Il a fait remarquer que même s’il n’y avait pas une grande quantité de données empiriques, les études qui existaient tendaient à étayer ce qui avait été entendu lors des audiences d’examen du financement, que le système de la tarification par incidence pouvait être efficace pour réduire le nombre des blessures et des accidents au travail, mais qu’il encourageait vraisemblablement aussi la suppression des demandes et d’autres abus. Arthurs a recommandé que le système ne soit maintenu que s’il était assorti de politiques et de procédures d’exécution plus strictes. À cette fin, l’examen de financement a donné lieu à un certain nombre de recommandations liées à l’amélioration de la connaissance qu’ont les travailleurs de leurs droits, à l’équité et à l’honnêteté des participants lors des procédures de la CSPAAT, et à un plus grand nombre de mesures de protection pour les travailleurs, dont le fait de dissuader et de sanctionner la suppression des demandes et d’autres abus. Arthurs a également formulé des recommandations au sujet du remaniement du système de la tarification par incidence. Les représentants des travailleurs participant à l’examen du financement ont également évoqué le problème du risque accru d’accident auquel sont confrontés les travailleurs des agences de placement temporaire en raison de leur manque de connaissance du lieu de travail. Arthurs a conclu qu’il serait bon de valider cette question en effectuant des recherches additionnelles[535]. 

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

40.  Que le gouvernement de l’Ontario évalue les effets, sur les travailleurs des agences de placement temporaire, des politiques et des pratiques de la CSPAAT/LSST qui contribuent à aggraver la vulnérabilité de ces travailleurs, notamment la pratique consistant à ne pas consigner les incidents relatifs à la santé et à la sécurité dans les dossiers de l’employeur client.
 

La question de la réglementation de la chaîne d’approvisionnement, dans le contexte de la santé et de la sécurité au travail et de la LNE, a été vivement préconisée par les membres du Groupe consultatif du projet qui représentaient les travailleurs. Les recherches menées dans ce secteur, ainsi que les modèles existants, se situent principalement dans le contexte de la santé et de la sécurité. Dans le document que la CDO leur a commandé, Vosko et ses collaborateurs recommandent l’établissement d’une réglementation de la chaîne d’approvisionnement en rapport avec la santé et la sécurité en Ontario[536].

James et ses collaborateurs ont mis en lumière le lien qui existe entre l’accroissement des activités professionnelles moins intégrées et l’orientation correspondante vers un recours accru à des formes de travail auxiliaires ou périphériques[537]. Ce phénomène a amené à s’éloigner des activités intégrées ou centrales de contrôle de la production et de prestation des services. Le contrôle est maintenant fondé sur la concurrence qu’exercent les fournisseurs externes en vue d’obtenir le meilleur prix et la meilleure qualité possible. Les auteurs font remarquer que la sous-traitance des tâches dangereuses ne mène pas nécessairement à un amoindrissement du respect des exigences en matière de santé et de sécurité, car les employeurs utilisateurs cherchent peut-être à s’assurer que leur emploi ne donne pas lieu à des risques plus élevés. Cependant, en général, ils concluent qu’il existe un certain nombre de raisons pour lesquelles l’externalisation du travail à des entreprises de petite et de moyenne taille peut avoir une incidence négative sur la santé et la sécurité. Les entreprises de petite taille, statistiquement, ont une réputation généralement mauvaise sur le plan de la santé et de la sécurité à cause de la limitation de leurs ressources, de sorte que le fait que des entreprises de grande taille sous-traitent des tâches à des entreprises de petite taille exerce des tensions sur le plan de la santé et de la sécurité plus loin le long de la chaîne d’approvisionnement. La décentralisation de tâches par voie de sous-traitance restreint les investissements faits dans le domaine de la santé et de la sécurité et perturbe les mesures de coordination, surtout dans les cas où des travailleurs internes et des travailleurs d’agences de placement temporaire oeuvrent ensemble[538]. Les auteurs font état d’autres préoccupations, dont le manque généralisé de connaissances à propos de la santé et de la sécurité parmi les agences de placement temporaire et les employeurs hôtes, et ils arrivent à la conclusion générale que la sous-traitance mine les normes en matière de santé et de sécurité[539]. Après avoir passé en revue plusieurs modèles de réglementation de la chaîne d’approvisionnement par voie législative, James et ses collaborateurs demeurent optimistes quant à l’utilité de ce type de modèle, même s’ils reconnaissent que l’application restreinte de ce genre de mesures à l’échelon international offre une preuve [traduction] « loin d’être complète » de leur efficacité[540].

Les auteurs n’ont pas soutenu l’idée d’une réglementation générale de la chaîne d’approvisionnement, mais se sont plutôt prononcés en faveur d’une telle réglementation dans les secteurs où l’externalisation crée des problèmes particuliers et où de telles mesures pourraient produire le plus d’avantages. Ils laissent entendre qu’il s’agirait des travailleurs d’agences temporaires qui accomplissent des types particuliers de travail dangereux et peut-être les secteurs où l’on confie des tâches manufacturières en sous-traitance à [traduction] « des organisations de petite taille dont l’effectif est inférieur à une taille minimum particulière »[541].

C’était en 2007. En 2010, deux des mêmes auteurs ont publié une étude d’évaluation portant sur un modèle australien de réglementation de la chaîne d’approvisionnement. Leurs  constatations ont fait état d’une piètre observation de ce que les auteurs ont appelé les fonctions en amont, c’est-à-dire les fonctions imposées par les éléments situés en amont de la chaîne d’approvisionnement à ceux qui se situent en aval. La mise en œuvre de la réglementation paraissait très difficile, et obligeait à établir des mécanismes d’exécution très stricts pour s’assurer qu’elle se déroulait de manière appropriée et constante. Néanmoins, les auteurs continuent d’appuyer de telles mesures et espèrent que l’on effectuera des améliorations en vue d’en affermir l’efficacité[542].

Au lieu de recourir à des changements législatifs, le rapport Dean a suggéré que l’on établisse dans les politiques d’approvisionnement du gouvernement de l’Ontario des relations de chaîne d’approvisionnement qui tiendraient compte du « rendement des fournisseurs en matière de santé et sécurité au travail afin de les inciter à offrir un haut rendement ». Le rapport Dean a reconnu que le gouvernement de l’Ontario est capable d’influencer le rendement, sur le plan de la santé et de la sécurité, des entreprises avec lesquelles il fait affaires grâce à ses politiques d’approvisionnement. En exigeant que l’on évalue les propositions de travail des fournisseurs en fonction de qualités établies qui feraient état d’un niveau élevé de rendement sur le plan de la santé et la sécurité, le gouvernement de l’Ontario serait en mesure de règlementer dans une large mesure l’observation des exigences en matière de santé et de sécurité tout au long de ses chaînes d’approvisionnement, notamment en ce qui concerne les services fournis à l’échelon local. Il a été reconnu qu’un tel système ne serait peut-être pas aussi faisable dans le cas des biens qu’il serait possible d’obtenir de sources étrangères[543]. Le rapport Dean a de plus recommandé que l’on établisse des mesures incitatives financières de la CSPAAT à l’intention des employeurs qui sélectionnent les fournisseurs en fonction de leur rendement sur le plan de la santé et de la sécurité. En formulant cette recommandation, le rapport Dean a fait état des difficultés que les petites entreprises pourraient rencontrer en évaluant le rendement des fournisseurs sur le plan de la santé et de la sécurité. À cette fin, il suggère que l’on élabore des normes et des documents d’orientation en vue d’inciter les petites entreprises à inclure des exigences en matière de santé et de sécurité dans les relations de chaîne d’approvisionnement. Le nouveau conseil de prévention, en consultation avec les intervenants, élaborerait des normes d’intégration de critères de sélection dans les relations de chaîne d’approvisionnement[544]. 

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

41.  Que le gouvernement de l’Ontario :

a)     étudie les mécanismes liés au respect des normes en matière de santé et de sécurité dans les chaînes d’approvisionnement en vue de traiter de la question de la sous-traitance aux petites entreprises et, plus particulièrement, à des travailleurs d’agences de placement temporaire;

b)     mette en œuvre les recommandations du rapport Dean concernant la réglementation de la chaîne d’approvisionnement dans le cadre des politiques d’approvisionnement du gouvernement et d’incitation financière de la CSPAAT pour les employeurs qui évaluent les fournisseurs en fonction de leur rendement sur le plan de la santé et de la sécurité.

Nos consultations ont révélé qu’en ce qui concerne les travailleurs étrangers temporaires, les mesures de protection de la CSPAAT posent des difficultés[545]. Selon certaines études, ces travailleurs n’ont pas accès aux prestations de la CSPAAT ou se heurtent à des difficultés quand ils y ont accès. Des chercheurs ont signalé que 93 % des travailleurs ontariens visés par le PTAS ont déclaré qu’ils ignoraient comment présenter une demande d’indemnisation et qu’un grand nombre des travailleurs malades ou blessés sont rapatriés avant que l’on puisse faire une enquête complète ou soigner leurs lésions[546]. Même si la documentation spécialisée est axée sur le PTAS, cela est vraisemblablement dû au fait que le programme est plus visible et accessible. Les membres du Groupe consultatif du projet ont fait remarquer que, à l’instar de la plupart des problèmes auxquels sont confrontés les travailleurs migrants, il est probable que les travailleurs des niveaux C et D de la CNP ont même besoin d’encore plus de protection à cause du manque de supervision centrale au sein du programme. Comme il a déjà été signalé, les travailleurs craignent de déposer une plainte à cause de la possibilité (réelle ou perçue) qu’ils soient rapatriés ou qu’on leur interdise de revenir[547]. Les obstacles linguistiques et l’insuffisance du soutien nécessaire pour communiquer avec un médecin ou la SPAAT présentent d’autres problèmes, et il y a des difficultés à communiquer avec les travailleurs une fois que ceux-ci sont rentrés chez eux. Les mêmes recherches donnent également à penser que les médecins canadiens ne sont pas au courant que les travailleurs migrants ont droit à des prestations de la CSPAAT et, de ce fait, ne présentent pas de demande.[548]

De façon plus générale, l‘accès aux soins de santé est lui aussi un problème. Dans de nombreuses collectivités rurales où sont employés les travailleurs migrants, les options en matière de soins de santé sont, pour les travailleurs, restreintes. Certains ont déclaré que les travailleurs migrants étaient incapables de trouver un médecin, que des services d’interprétation n’étaient pas toujours disponibles et qu’il n’existait pas de cliniques médicales sans rendez-vous disponibles; les travailleurs devaient se présenter à l’hôpital pour tous leurs problèmes de santé[549]. Dans un secteur, malgré le grand nombre de travailleurs migrants hispanophones, aucun médecin ne parlait l’espagnol. Il est difficile d’obtenir des soins de santé appropriés si les travailleurs ne sont pas capables de communiquer efficacement avec leur médecin, ou vice-versa. Souvent, les travailleurs ignorent où obtenir les soins médicaux appropriés dont ils ont besoin (p. ex., des soins chiropratiques)[550].

Un travailleur migrant qui reconnaît se sentir malade pourrait craindre d’être rapatrié par son employeur ou de ne plus être réinvité au Canada. Dans certains cas, les employeurs ne s’occupent pas d’obtenir de cartes d’assurance maladie pour les travailleurs migrants, comme ils devraient le faire, ou les travailleurs migrants ont de la difficulté à visiter une clinique ou à voir un médecin parce qu’ils éprouvent des difficultés de transport.[551].

En réponse à ces préoccupations, dans une collectivité rurale un groupe communautaire bénévole travaillait avec les responsables municipaux de la santé publique en vue d’établir dans un centre une clinique de santé[552]. Les travailleurs ont de longues heures de travail et il est difficile pour eux de prendre congé pour consulter un médecin; de plus, l’emplacement du lieu de travail présente des difficultés si l’accès à un moyen de transport est restreint. Les travailleurs dépendent souvent de leur employeur pour les amener à la ville la plus proche et avoir accès aux soins médicaux qui peuvent être disponibles[553].

Pour ce qui est des travailleurs qui bénéficient de régimes d’assurance complémentaire fournis par leur pays d’origine, certains des répondants, lors des consultations que la CDO a menées, ont indiqué qu’il est plus facile de présenter une demande dans le cadre du régime d’assurance privé et de renvoyer le travailleur chez lui que de présenter une demande à la CSPAAT et de garder le travailleur au Canada, dans un logement fourni par l’employeur[554]. Le processus de règlement des demandes d’indemnité des travailleurs a été décrit comme long et difficile à suivre. La CDO a entendu dire que les emplacements où se situent les bureaux de la CSPAAT imposent une contrainte de temps aux demandeurs des régions rurales et des petites villes, ce qui fait que, pour eux, le processus est plus difficile[555].

De l’avis de la CDO, l’accès à un médecin et aux demandes de la CSPAAT peut-être suffisamment lié pour que les secteurs où l’on trouve une concentration élevée de travailleurs migrants puissent bénéficier d’une clinique médicale mobile se rendant dans les régions rurales où se trouvent des travailleurs migrants et offrant des services médicaux combinés à une aide pour remplir une demande d’indemnisation de la CSPAAT, le cas échéant. Des services d’interprétation ou du personnel médical s’exprimant couramment dans la langue du travailleur permettraient de répondre aux besoins linguistiques. La mobilité de la clinique surmonterait les obstacles que présentent les emplacements ruraux sur le plan de l’accès aux services médicaux. La présence d’employés bien au fait des questions relatives à la LSST/CSPAAT répondrait au besoin d’un soutien additionnel. Lors des discussions que nous avons eues sur la possibilité d’exécuter ce projet, tant les défendeurs des droits des travailleurs que les représentants des employeurs ont souligné l’importance de la neutralité du personnel médical par rapport à la CSPAAT, aux syndicats et à d’autres intérêts.

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

42.  Que le gouvernement de l’Ontario mette en œuvre :

a)     à titre de projet pilote, un service mobile de clinique médicale à l’intention des travailleurs migrants dans les régions rurales ou ils résident, qui leur donnerait accès à des soins médicaux ainsi qu’un soutien correspondant pour faciliter les demandes d’indemnisation de la CSPAAT, le cas échéant;

b)     un service direct ou des services d’interprétation dans la langue des travailleurs  migrants.

Certains travailleurs étrangers temporaires, notamment ceux qui travaillent dans le domaine agricole, sont victimes de dépression, d’anxiété et d’alcoolisme à cause du stress, de l’éloignement et de la séparation de leur famille[556]. Vivant en milieu rural et partageant un logement avec des étrangers, un grand nombre de ces travailleurs n’ont qu’un accès restreint à des services médicaux, communautaires ou religieux ou à d’autres mécanismes de soutien, car ils dépendent de leur employeur pour leur transport et leur accès à ces mécanismes de soutien (encore qu’un certain nombre d’agriculteurs fournissent à leurs travailleurs des bicyclettes)[557]. Là où il existe de tels mécanismes, les obstacles culturels ou linguistiques empêchent peut-être les travailleurs d’y avoir accès[558]. Un modèle prometteur de réponse communautaire aux besoins de soutien des travailleurs migrants est le Niagara Migrant Workers Interest Group (NMWIG), qui a été organisé :

[traduction] pour coordonner les efforts de particuliers et d’organismes intéressés, dans la région de Niagara, qui fournissent des services dans les domaines de la justice, de la santé, du transport, de l’alimentation, des finances, de l’emploi, de la santé et de la sécurité des travailleurs, de la langue, de l’éducation, etc. aux travailleurs migrants saisonniers[559].

Dans le cadre d’activités communautaires, telles que des concerts, des foires de santé, des cliniques de santé et des activités religieuses, le NMWIG est parvenu à créer des ponts entre les travailleurs saisonniers et les résidents de l’endroit, ainsi qu’à promouvoir la santé et le bien-être parmi les travailleurs et au sein de la collectivité. À Leamington (Ontario), la clinique médicale sans rendez-vous compte du personnel parlant l’espagnol, il y a des entreprises où des employés s’expriment en espagnol et la communauté religieuse offre des services et des réunions en espagnol, comme les Alcooliques anonymes. En Colombie-Britannique, le milieu religieux joue un rôle de chef de file, tenant des réunions de prière et fournissant des services et des bibles en espagnol, et il s’organise aussi pour fournir des services de consultation psychologique et organiser des activités sociales et sportives. Par ailleurs, des bénévoles de la collectivité ont établi une ligne d’urgence pour des services d’aide, des achats bénévoles, des services d’interprétation lors des rendez-vous chez le médecin, ainsi que des services d’achat pour les travailleurs migrants.

Jenna Hennebry décrit certaines des nombreuses initiatives que des organismes sans but lucratif et des communautés religieuses ont entreprises; ces initiatives [traduction] « servent à habiliter les travailleurs agricoles migrants ou à encourager leur participation active au sein d’une collectivité, ou leurs communications avec cette dernière. Elle décrit ces efforts comme un [traduction] « pas immense en faveur de l’intégration des travailleurs agricoles migrants dans leurs collectivités ». Cependant, comme elle le fait remarquer, sans source garantie de financement ou engagement central à l’égard des programmes, ces mesures demeureront un ensemble disparate d’initiatives locales, risquant de prendre fin à tout moment[560]. À notre avis, les employeurs, le gouvernement à tous les échelons, le F.A.R.M.S. et les collectivités ont un rôle à jouer pour ce qui est de soutenir ces efforts d’intégration[561].

La Commission du droit de l’Ontario recommande :

43.  Que les employeurs, le F.A.R.M.S., les administrations locales et les collectivités ainsi que les organismes de défense des droits des travailleurs s’efforcent ensemble de continuer de trouver des moyens de financer et de mettre en œuvre, à l’intention des travailleurs migrants, des mesures d’aide sur le plan médical, juridique, spirituel et social.

 

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