Le bref aperçu qui suit présente les principaux éléments des régimes ontariens de la capacité juridique, de la prise de décision et de tutelle. Il se propose, plutôt que d’orienter dans le système, d’exposer aux lecteurs peu familiers de ce domaine du droit les principaux éléments de la conception ontarienne, la façon dont ils s’articulent dans l’ensemble du régime ainsi que des points forts et des insuffisances de celui-ci.
 

A.    Législation ontarienne concernant la capacité juridique et la prise de décision

L’actuel régime législatif ontarien concernant la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle est issu des formidables travaux de réforme menés à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Trois actions distinctes de réforme du droit menées alors influencent profondément la législation ontarienne en vigueur. Le Comité sur l’enquête sur la capacité mentale (Enquête Weisstub) a été chargé d’élaborer un ensemble de normes recommandées pour se prononcer sur la capacité mentale de prendre des décisions touchant les soins de santé, la gestion des affaires financières et la nomination des mandataires spéciaux : selon le rapport final de l’Enquête Weisstub, le processus de détermination de la capacité doit respecter le principe de l’autonomie et celui de l’intérêt véritable, tout en reflétant l’importance de la proportionnalité, de la simplicité administrative et de la pertinence[14]. Le Comité consultatif sur la substitution des pouvoirs décisionnels des personnes frappées d’incapacité mentale (Comité Fram) a été constitué par le procureur général de l’Ontario pour [traduction] « examiner toutes les facettes de la législation régissant la prise de décision au nom d’autrui pour les personnes frappées d’incapacité mentale et recommander les révisions législatives qui s’imposent »[15], et son rapport final (rapport Fram) a établi les valeurs qui sous-tendent ce domaine du droit : protection contre les interventions inutiles, liberté de choisir, vivre dans la collectivité grâce à l’accès au soutien[16]. Même si L’Examen des mesures d’intervention en faveur des adultes vulnérables (rapport O’Sullivan) a finalement eu des conséquences législatives plus limitées, il a établi plusieurs objectifs importants de la législation dans ce domaine, notamment fournir des garanties contre la tutelle inutile, favoriser l’indépendance, encourager la faculté d’intervenir pour soi-même (liberté de choisir) quand cela est possible, renforcer le rôle de la famille et des amis, vulgariser, mettre fin aux stéréotypes et déstigmatiser[17].

Le cadre législatif ontarien de la capacité juridique, de la prise de décision et de la tutelle qui en a découlé est vaste, complexe et empli de subtilités. En son centre, deux lois : la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui, qui vise les décisions relatives à la gestion des biens et au soin de la personne, les procédures de nomination, les obligations des tuteurs et des procureurs, et la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé, qui vise le consentement au traitement, l’admission en foyer de soins de longue durée et les services d’aide personnelle aux résidents de ces foyers. Par ailleurs, la Loi sur la santé mentale vise l’examen de la capacité de gérer ses biens en cas d’admission dans un établissement psychiatrique ou de congé de celui-ci. Le présent projet ne porte pas sur la common law, ni sur d’autres lois concernent également la capacité juridique, dont celles relatives à l’accès aux renseignements médicaux personnels. Il s’attache à ce domaine particulier du droit, mais bien sûr la législation relative à la capacité juridique et à la prise de décision doit être appréhendée dans le contexte élargi de la législation concernant les services de santé mentale, les soins de longue durée, les soins communautaires, l’exploitation des personnes âgées, les programmes de soutien du revenu.

Pour comprendre l’application actuelle de ces lois, il faut garder à l’esprit que celles-ci sont appliquées par de multiples ministères et organisations, dans des contextes très différents. Le ministère du Procureur général, le ministère de la Santé et des Soins de longue durée, le Secrétariat aux affaires des personnes âgées de l’Ontario, le ministère des Services sociaux et communautaires, et le tuteur et curateur public ont tous des rôles majeurs dans l’application de ces lois. Les personnes que celles-ci visent directement vivent peut-être en foyer de soins de longue durée, en maison de retraite, en foyer de groupe, à l’hôpital, en établissement psychiatrique ou dans la collectivité. Elles peuvent être atteintes de maladies aiguës temporaires ou de conditions chroniques, de dépendance, de troubles mentaux, de lésions cérébrales acquises, de démence, d’aphasie. Elles peuvent être atteintes de nombreuses formes de déficience, dont des déficiences intellectuelles. La complexité de l’application des lois ajoute énormément à leur propre complexité. 

Conception ontarienne de la capacité juridique

En Ontario, la conception de la capacité juridique est fonctionnelle et cognitive. Elle s’attache aux exigences fonctionnelles des décisions, et non au diagnostic médical, aux conséquences probables de celles-ci ni à l’évaluation abstraite de la capacité. Les critères de détermination de la capacité sont fondés sur la faculté de comprendre et d’évaluer les renseignements pertinents à une décision particulière ou à un type de décision ainsi que les conséquences de la décision (ou de la non-décision).

Parce que des personnes peuvent avoir la capacité de prendre quelques décisions et d’autres non, la détermination de la capacité juridique possède des critères propres au domaine ou à la décision. Il existe des critères spécifiques de détermination, selon les différents types de décision. Il est entendu que la capacité de comprendre et d’apprécier peut varier dans le temps.

La détermination de la capacité juridique touchant aux droits à l’autonomie, la législation prévoit une présomption de capacité sans ambiguïté pour la capacité de contracter, de prendre des décisions relatives au soin à la personne, au traitement, à l’admission à des soins de longue durée et aux services d’aide personnelle[18]. Pour ces domaines, la capacité juridique ne peut être retirée que par des mécanismes précis que prévoit la législation, et ce, en partie parce que le traitement et l’admission à des soins de longue durée supposent la prestation de services nécessaires pour lesquels le prestataire a l’obligation d’obtenir le consentement[19].

 

Évaluation de la capacité juridique

L’Ontario dispose d’un système d’évaluation de la capacité juridique extrêmement élaboré, qui découle en partie de sa conception de la capacité avec des critères propres au domaine. Le type d’évaluation à effectuer dépend de la nature de la décision en cause. Outre les évaluations sans caractère officiel qu’effectuent les prestataires de services, il existe quatre mécanismes officiels prévus par la loi.

1.     L’examen de la capacité de gérer ses biens en cas d’admission dans un établissement psychiatrique ou de congé de celui-ci : la LSM prévoit que dans les cas où une personne est admise en établissement psychiatrique, un examen de la capacité de gérer ses biens est obligatoire, sauf s’ils ont déjà été confiés à la gestion d’une autre personne, par une tutelle aux biens aux termes de la LPDNA ou par une procuration perpétuelle relative aux biens. Ces examens sont effectués par un médecin. Les personnes ne peuvent pas refuser les examens, mais plusieurs garanties procédurales importantes sont prévues – accès à des avis indépendants et spécialisés sur ses droits par exemple, en cas de constatation d’incapacité.

2.     L’évaluation de la capacité de gérer ses biens ou de prendre soin de soi-même : la LPDNA prévoit qu’elle peut être effectuée pour diverses raisons, enclencher la mise sous tutelle légale des biens ou activer une procuration perpétuelle relative aux biens ou au soin de la personne par exemple. Une évaluation de la capacité par un évaluateur de la capacité désigné est obligatoire pour enclencher la mise sous tutelle relative aux biens. Dans les cas où la procuration perpétuelle relative aux biens prend effet à l’incapacité du mandant, sauf mention contraire de la procuration, la détermination de l’incapacité doit être effectuée en vertu de la LSM comme on l’a exposé précédemment ou bien par un évaluateur désigné. Pour la procuration relative au soin de la personne, l’évaluation est celle du procureur nommé, sauf mention contraire de l’acte de procuration. Le spécialiste désigné à titre d’évaluateur de la capacité en vertu de la LPDNA doit satisfaire à des exigences particulières concernant ses études et sa formation, ainsi qu’à des lignes directrices élaborées sur le fondement de la LPDNA. Le Bureau de l’évaluation de la capacité tient une liste d’évaluateurs agréés : la sélection et le paiement de ce service incombent à qui cherche à obtenir une évaluation de la capacité.

3.     L’évaluation de la capacité de prendre des décisions à l’égard d’un traitement : la LCSS prévoit qu’elle est effectuée par le praticien de la santé qui propose le traitement, dans le cadre du processus d’obtention du consentement valide. Les ordres qui réglementent les diverses professions fournissent des lignes directrices pour ce type d’évaluation. Les personnes dont l’incapacité a été constatée ont droit à être renseignées sur leurs droits par le praticien traitant.

4.     L’appréciation de la capacité de prendre des décisions relatives à l’admission à des soins de longue durée : les appréciateurs de la capacité ont la responsabilité d’apprécier la capacité juridique de prendre des décisions relatives au consentement à l’admission à des soins de longue durée et aux services d’aide personnelle. La LCSS limite le nombre des ordres de réglementation des professions de la santé dont ils doivent être membres, mais ne prévoit pas de formation ou de lignes directrices relativement à leurs activités. De même que pour l’évaluation relative au traitement, la personne dont l’incapacité a été constatée consécutivement à une appréciation doit recevoir des renseignements sur ses droits (plutôt que des conseils indépendants sur ceux-ci).

 

Prise de décision au nom d’autrui

Dans les cas où il faut prendre une décision et que l’incapacité juridique de la personne visée a été constatée à propos de cette décision ou de ce type de décision, un mandataire spécial est nommé pour prendre cette décision. Les modes de nomination sont exposés dans les sections qui suivent.

Après sa nomination, le mandataire spécial est légalement responsable des actes qu’il accomplit dans ses fonctions et peut être responsable des dommages résultant d’un manquement à ses obligations. Il doit agir au nom de la personne et dans l’intérêt de celle-ci. Le mandataire spécial aux biens est un fiduciaire qui exerce ses pouvoirs et s’acquitte de ses obligations avec diligence, avec honnêteté et intégrité et de bonne foi, dans l’intérêt de l’incapable[20]. 

La LPDNA prévoit les critères s’appliquant aux décisions que prend le mandataire spécial. Dans sa gestion des biens, il engage, par ordre de priorité, les dépenses raisonnablement nécessaires pour :

·       les aliments, l’éducation et les soins de l’incapable;

·       les aliments, l’éducation et les soins des personnes à la charge de l’incapable;

·       satisfaire aux autres obligations légales de l’incapable.

Pour les décisions relatives au soin de la personne et au traitement, le mandataire spécial doit respecter les désirs exprimés antérieurement à l’incapacité. Dans le cas où aucun désir n’a été exprimé ou aucune instruction donnée, il doit être guidé par l’intérêt véritable de la personne en tenant compte des variables suivantes :

·       les valeurs et les croyances de la personne lorsqu’elle était capable et conformément auxquelles il croit qu’elle agirait si elle était capable;

·       les désirs courants de la personne, s’ils peuvent être établis;

·       s’il est vraisemblable ou non que la décision améliorera la qualité de vie de la personne, empêchera sa détérioration, diminuera l’ampleur ou le rythme de toute détérioration;

·       si les avantages prévus de la décision l’emportent ou non sur le risque d’effets néfastes qu’une autre décision présenterait[21].

De façon générale, le mandataire spécial doit choisir la mesure la moins perturbatrice et la moins contraignante, qui soit possible et adaptée aux circonstances.

Le mandataire spécial aux biens et au soin de la personne doit tenir des dossiers de ses activités et a d’importantes obligations de procédure, dont les suivantes :

·       expliquer à l’intéressé en quoi consistent ses pouvoirs et ses obligations;

·       l’encourager à participer autant que possible aux décisions relatives aux biens;

·       favoriser des contacts personnels réguliers entre l’intéressé et les parents et amis qui le soutiennent;

·       consulter régulièrement les parents et amis qui ont des contacts réguliers avec l’intéressé et le soutiennent ainsi que les personnes qui le prennent soin de lui[22].

Procurations 

En Ontario, on peut se servir d’une procuration perpétuelle pour nommer personnellement un mandataire spécial aux biens. Cette procuration peut être rédigée de façon à prendre effet immédiatement ou bien au moment où le mandant perd sa capacité juridique. Il existe aussi la procuration relative au soin de la personne, qui ne prend effet qu’en cas d’incapacité du mandant.

Les procurations sont des instruments extrêmement puissants. Celle relative aux biens par exemple donne au procureur tous les pouvoirs du mandant, sauf celui de faire un testament. Le mandataire peut donc faire des placements ou les liquider, acheter ou vendre des biens (y compris la maison du mandant), faire des achats, importants ou non, et transférer des actifs financiers entre des comptes. Le procureur pour le soin de la personne a une mainmise considérable sur les détails les plus intimes de la vie quotidienne, notamment sur le milieu de vie du mandant, le type de soins de santé qu’il reçoit, les décisions portant sur l’hygiène, la nutrition et la sécurité. Cette souplesse permet au procureur d’agir de façon efficace au nom du mandant, mais elle lui donne aussi un ascendant considérable sur son bien-être. Autrement dit, la procuration peut être utilisée à bon ou à mauvais escient; la qualité du procureur aura des répercussions considérables sur la vie du mandant. Il faut notamment souligner qu’après avoir perdu la capacité juridique, on peut aussi perdre la capacité de révoquer la procuration. 

La LPDNA fixe les critères de détermination de la capacité pour la création de procurations relatives aux biens ou au soin de la personne. S’agissant des biens, les critères sont relativement rigoureux, mais s’agissant du soin de la personne, ils sont bien plus accessibles.

Il n’y a pas de formule prescrite pour ces procurations, mais on peut se servir de celle qui est accessible par l’intermédiaire du ministère du Procureur général. Deux témoins sont nécessaires à la signature de la procuration. La LPDNA énumère les personnes qui ne peuvent être témoins, les mineurs de moins de 18 ans, les conjoints ou les partenaires du procureur ou du mandant, le procureur, les enfants du mandant, les personnes ayant la tutelle des biens ou de l’intéressé notamment.

 

Tuteurs 

Le mandataire spécial peut également être nommé de façon externe, soit par tutelle légale ou par le tribunal.

La tutelle légale est une procédure administrative rapide et assez peu coûteuse pour obtenir une tutelle. Elle n’est possible que pour les décisions touchant la gestion des biens. La tutelle légale est automatiquement déclenchée en cas de constatation d’incapacité, soit par examen de la capacité en vertu de la LSM, soit par évaluation de la capacité en vertu de la LPDNA, comme on l’a vu précédemment.

Initialement, le tuteur légal aux biens est le TCP. Toutefois, des personnes désignées (des membres de la famille) peuvent présenter une demande au TCP pour le remplacer et devenir tuteur aux biens. Lorsque le demandeur convient et qu’il a remis un plan de gestion pertinent, le TCP peut le nommer. Le TCP qui refuse la demande doit en donner les motifs par écrit. Dans le cas où le demandeur conteste la décision écrite du TCP, ce dernier demande au tribunal de trancher la question. La tutelle légale prend fin dans le cas où il est constaté que la personne en tutelle légale avait précédemment établi une procuration relative à l’ensemble de ses biens.

Quiconque peut demander à la Cour supérieure de justice d’être nommé tuteur des biens ou de la personne. La tutelle de la personne peut être absolue ou partielle; la tutelle absolue est ordonnée uniquement dans le cas où le tribunal conclut que la personne est incapable de prendre soin d’elle-même – soins de santé, alimentation, hygiène, sécurité, hébergement, habillement. Le tribunal ne peut nommer un tuteur que dans les cas où il a été constaté que la personne est incapable de gérer ses biens ou de prendre soin d’elle-même et qu’il faut donc que les décisions soient prises en son nom, et que si le tribunal est convaincu qu’il n’existe pas d’autre solution qui ne nécessiterait pas une constatation d’incapacité et qui limiterait moins les droits de la personne de prendre des décisions.

 

Nominations en vertu de la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé

La LCSS prévoit que dans les cas où une décision doit être prise à l’égard du traitement, de l’admission à des soins de longue durée ou de services d’aide personnelle, et que l’intéressé n’a pas la capacité juridique de donner son consentement, le mandataire spécial est automatiquement nommé pour cette décision, selon une liste établie par rang de priorité, où figurent d’abord les nominations en vigueur – tuteurs ou procureurs au soin de la personne, puis les membres de la famille de l’intéressé – conjoint, enfants, parents, frères ou sœurs. Le mandataire spécial ainsi nommé doit avoir au moins 16 ans, la capacité juridique de prendre la décision, être disponible et disposé à assumer la responsabilité. Si personne ne peut être nommé à partir de la liste, le TCP prend la décision.

La LCSS prévoit par ailleurs qu’une personne peut, par voie de requête, demander à la Commission du consentement et de la capacité (CCC) de la nommer représentante pour prendre une décision ou un ensemble de décisions au nom d’une autre personne.

 

Planification préalable des soins

Les questions relatives à la planification préalable des soins et aux derniers moments de la vie font actuellement l’objet de discussions et de débats intenses[23]. La LCSS établit un fragile équilibre à ce propos. En quelques mots, sauf en urgence[24], il faut toujours obtenir du malade  ou de son mandataire spécial le consentement éclairé au traitement. Le consentement au traitement doit être en rapport avec la situation de santé actuelle du patient. Dans les cas où le malade n’a plus la capacité juridique, le mandataire spécial doit décider du point de savoir si le malade avait exprimé des désirs antérieurement à son incapacité, et si oui, il doit s’y conformer. Dans les cas où des désirs antérieurs ne peuvent être établis, le mandataire spécial doit tenir compte d’autres souhaits, valeurs et croyances pour donner ou refuser le consentement éclairé. L’attention particulière portée au rôle du mandataire spécial pour transmettre et interpréter les désirs exprimés avant l’incapacité ainsi que pour donner son consentement à mesure que des problèmes surgissent diffère de beaucoup de la situation dans d’autres ressorts, où des « directives préalables » peuvent s’adresser directement aux praticiens traitants et les contraindre.

 

 Fonction du tuteur et curateur public

L’application de la législation ontarienne concernant la capacité juridique et la prise de décision relève d’une multiplicité de lois et de ministères. Il n’existe pas d’entité unique et centrale qui ait la responsabilité de tous les aspects de cette législation. Le rôle du TCP est très important dans ce domaine du droit; le TCP exerce les fonctions suivantes :

·       assurer la fonction de mandataire de dernier recours en vertu de la LPDNA et de la LCSS, et celle de tuteur légal aux biens;

·       nommer les subrogés tuteurs aux biens; 

·       mener des enquêtes sur les « conséquences préjudiciables graves », et s’il y a lieu demander la tutelle temporaire au tribunal, comme on l’expose brièvement ci-après;

·       contrôler les demandes de nomination de tuteur par le tribunal, et s’il y a lieu présenter des observations ou comparaître;

·       contrôler les comptes des tuteurs aux biens présentés au tribunal pour approbation;

·       tenir le registre des tuteurs;

·       à la demande du tribunal, prendre des dispositions pour faire représenter par avocat (habituellement appelé « avocat nommé en vertu de l’article 3) la personne dont la capacité juridique est une question en litige dans une instance introduite en vertu de la LPDNA et qui n’est pas représentée par un avocat.

 

Règlement des différends et exercice des droits

Trois moyens permettent de traiter les abus des droits, les violations des lois ou les différends.

Les enquêtes sur les conséquences préjudiciables graves : le TCP a entre autres responsabilités celle d’enquêter sur toute allégation selon laquelle une personne est incapable de gérer ses biens ou de prendre soin d’elle-même et selon laquelle des conséquences préjudiciables graves se produisent ou peuvent se produire en conséquence. Il faut souligner que le fait qu’un arrangement de prise de décision au nom d’autrui soit ou non déjà en vigueur ne limite en rien l’application de ce paragraphe. Le TCP dispose de vastes pouvoirs d’enquête dans le cadre de ce mandat. Si, par suite de son enquête, il a des motifs raisonnables de croire qu’une personne n’a plus la capacité juridique et qu’il faut promptement nommer un tuteur temporaire pour éviter des conséquences préjudiciables graves, il doit présenter au tribunal une requête en tutelle temporaire. Le tribunal peut le nommer tuteur pendant une période d’au plus 90 jours, et peut suspendre pendant la période de la tutelle temporaire les pouvoirs d’un procureur qui détiendrait une procuration. À la fin de cette période, le TCP peut permettre la fin de la tutelle, demander au tribunal une prolongation ou bien une ordonnance de tutelle perpétuelle (mettant ainsi fin à toute procuration qui existerait dans ce domaine).

La Commission du consentement et de la capacité : établie en vertu de la LCSS en tant que tribunal administratif indépendant et spécialisé, ayant compétence sur les questions que soulèvent la LCSS, la LSM et sur les décisions relatives à la capacité rendues en vertu de la LPDNA, la CCC peut notamment entendre les requêtes visant à :

·       contrôler la constatation d’incapacité faite par un spécialiste de la santé à l’égard d’un traitement, par un appréciateur relativement à l’admission en foyer de soins ou au consentement à des services d’aide personnelle dispensés dans un foyer de soins de longue durée, ou par un évaluateur de la capacité relativement aux biens;

·       nommer un représentant pour la prise de décision en ce qui a trait à des décisions à prendre en vertu de la LCSS;

·       autoriser le mandataire spécial à ne pas respecter les désirs exprimés avant son incapacité par la personne incapable;

·       déterminer si le mandataire spécial agit en conformité avec les exigences de la LCSS en ce qui a trait à la manière dont les décisions doivent être prises;

·       obtenir des directives dans les cas où la façon dont il convient d’appliquer la LCSS relativement à la décision requise n’est pas claire;

·       contrôler certaines décisions ayant des répercussions considérables sur les droits de la personne, comme l’admission à un établissement aux fins de traitement.

La Cour supérieure de justice : outre ses obligations concernant la nomination des tuteurs, la modification et l’extinction des tutelles, elle exerce un rôle important pour contrôler les activités des mandataires spéciaux et résoudre les problèmes d’interprétation. Elle peut en particulier entendre les requêtes en reddition de tout ou partie des comptes des tuteurs ou des procureurs aux biens. Elle a le pouvoir général de « donner des directives sur toute question soulevée relativement à la tutelle ou à la procuration » [nous soulignons]. Elle a des pouvoirs étendus de redressement lorsqu’elle est saisie de requêtes en vue d’obtenir des directives ou de requêtes en reddition de comptes. Lorsqu’elle approuve les comptes d’un procureur par exemple, elle peut ordonner au TCP de présenter une requête en tutelle ou en attendant le règlement de la requête, le nommer temporairement ou suspendre la procuration, elle peut aussi ordonner l’évaluation du mandant ou l’extinction de la procuration. De même, en cas de requête en reddition des comptes d’un tuteur, la Cour peut suspendre la tutelle et nommer temporairement le TCP ou une autre personne à titre de tuteur en attendant le règlement de la requête, rajuster la rémunération du tuteur ou mettre fin à la tutelle.

Pour comprendre les systèmes ontariens actuels dans ce domaine, il importe de savoir qu’ils ont été initialement conçus dans le contexte d’un système complexe de soutiens des interventions pour les personnes visées par cette législation. La Loi de 1992 sur l’intervention avait pour objet la prestation de services d’intervention afin d’aider les personnes vulnérables à exprimer leurs désirs et à leur donner suite, à déterminer leurs droits et à les exercer, à parler en leur propre nom. Ces soutiens auraient permis de faire contrepoids à l’accès relativement facile à la prise de décision au nom d’autrui par procuration, tutelle légale et nomination automatique aux termes de la LCSS; ils auraient aidé à avoir accès aux moyens largement passifs que prévoit la législation pour affirmer ses droits, et auraient réduit la nécessité de recourir aux fonctions de contrôle et de surveillance.

 

B.    Points forts et insuffisances – l’essentiel

 L’essentiel des points forts et des insuffisances de la législation ontarienne est approfondi à chaque chapitre du présent rapport, et se trouve brièvement résumé ci-après afin de donner un aperçu du fonctionnement général de ces systèmes.


1.     Points forts de la conception ontarienne actuelle

On l’a brièvement exposé dans l’introduction du présent chapitre, la législation ontarienne actuelle concernant la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle est issue des formidables travaux de réforme menés à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Ils ont abouti à une législation raisonnablement bien coordonnée, qui aborde les problèmes de façon progressive et novatrice et dont les principes sont très cohérents. Plusieurs de ses aspects, visionnaires à l‘époque, valent toujours, et toute réforme se doit de les conserver.  

Conceptions nuancées de la capacité juridique : comme on l’a souligné précédemment, l’Ontario a adopté une conception nuancée de la capacité juridique, selon laquelle celle-ci est particulière au moment et au domaine, avec présomption de la capacité de contracter et de prendre des décisions relatives au traitement, à l’admission aux soins de longue durée et aux services d’aide personnelle.

Insistance sur l’importance de choisir pour soi-même : l’ensemble de la législation est sous-tendu par la volonté d’éviter les interventions inutiles dans la vie des intéressés, et de respecter leur droit de faire des choix avec lesquels d’autres peuvent être en désaccord ou qui peuvent être risqués ou peu judicieux.

Accessibilité de la procuration : en Ontario, l’établissement de la procuration est peu coûteux, elle est très simple, ce qui en fait un outil de planification très accessible pour les Ontariens. Elle permet de planifier, de choisir son propre mandataire spécial et de limiter ou d’orienter l’exercice des pouvoirs de celui-ci.

Fonctions précises et adaptées du mandataire spécial : la conception ontarienne de la prise de décision au nom d’autrui est essentiellement fondée sur le « jugement de substitution », selon lequel le mandataire spécial est tenu, pour décider, de se mettre à la place de l’intéressé et de tenir compte de ses objectifs et de ses valeurs. Il doit encourager la personne qu’il représente à participer à la prise de décision et encourager le soutien des personnes qui s’occupent de celle-ci. Cette conception vise, dans toute la mesure du possible eu égard aux circonstances, à éviter le paternalisme et à respecter l’individualité et les objectifs de l’intéressé.

Conception équilibrée de la planification préalable des soins : comme on l’a indiqué précédemment, la conception ontarienne diffère à plusieurs égards importants de celle qui vaut dans d’autres ressorts. Ces différences prêtent parfois à confusion, et pourtant l’équilibre obtenu dans le régime ontarien entre l’importance de permettre l’expression de ses valeurs, de ses croyances et de ses volontés, et le risque de contrainte selon des directives mal exprimées ou inapplicables a été de façon générale (pas unanime) soutenu lors des consultations publiques de la CDO; et selon celle-ci, cet équilibre semble bien répondre aux besoins divergents des divers intervenants, sur le fondement de principes sains.

Attention portée aux garanties procédurales en cas d’incapacité juridique réelle ou apparente : la législation prévoit des garanties dans les cas où l’incapacité juridique est prononcée, elle reconnaît que la suppression du droit de décider par soi-même porte gravement atteinte à l’autonomie et tente de garantir que la suppression a lieu uniquement si elle est justifiée et si l’intéressé a eu la possibilité de la contester.

Accessibilité des décisions de la Commission du consentement et de la capacité : la CCC est unique au Canada, et dans l’ensemble, rend dans les meilleurs délais des décisions accessibles et spécialisées qui s’efforcent d’équilibrer les besoins divergents dans ce domaine du droit.

Fonctions importantes du tuteur et curateur public : dans le régime concernant la capacité juridique et la prise de décision, il exerce diverses fonctions importantes – enquêter quand il y a des inquiétudes sur des conséquences préjudiciables graves, mandataire de dernier recours, contrôler les demandes de tutelle, tenir le registre des tuteurs par exemple.

 

2.     Insuffisances de la conception ontarienne actuelle

Les recherches et les consultations de la CDO ont mis à jour plusieurs difficultés inhérentes à la façon dont l’Ontario appréhende la législation concernant la capacité juridique et la prise de décision. Il s’agit parfois de difficultés de mise en œuvre, parfois d’insuffisances de conception.

Confusion dans un système complexe : ainsi que le montre le bref exposé qui précède, le régime ontarien de la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle est extrêmement compliqué, avec sa multiplicité de niveaux, de moyens, de critères et d’institutions. Les critères de détermination de la capacité et les mécanismes d’évaluation varient selon le type de décision à prendre, de même que les garanties procédurales et les voies de recours. Les procédures de nomination sont multiples, et les écarts considérables, même dans celle concernant le tuteur. Aucun dépôt central des données n’existe dans le système, et il y a bien peu de soutien pour l’utiliser. Les intéressés, les familles tout autant que les prestataires de services jugent souvent que le système, difficile d’utilisation, porte énormément à confusion.

Mauvaise compréhension et ignorance de la législation : en rapport avec le point qui précède, la mauvaise compréhension de la législation est courante dans tous les secteurs, ce qui a un effet grave sur sa mise en application. Peu d’informations structurées, peu d’outils ou de soutien sont facilement accessibles au mandataire spécial, malgré l’importance de ses fonctions. Des intervenants ont signalé que la mauvaise compréhension de la législation est courante chez les praticiens de la santé, ce qui entraîne des lacunes dans les évaluations de la capacité menées en vertu de la LCSS.

Manque de clarté et de normalisation pour les évaluations de la capacité : de par la conception nuancée de la capacité juridique qui est le fondement de la législation, les évaluations vont quelque peu différer, en fonction de la nature de la décision à prendre. Par ailleurs, les formations et les normes très différentes qui s’appliquent aux différents types d’évaluation donnent lieu à des procédures et à une qualité qui varient énormément, à la fois selon les catégories de décision et dans une même catégorie, ce qui ajoute à la confusion des personnes qui ont accès au système et du fonctionnement du système.

Absence de mécanismes de contrôle et de surveillance pour le mandataire spécial : peu de moyens existent pour surveiller les actions du mandataire spécial nommé, surtout celui qui, nommé par procuration, peut exercer des pouvoirs fort divers, à long terme, sans aucune surveillance réelle. S’ajoutant à la mauvaise compréhension de la législation, ceci crée une situation dans laquelle l’abus de pouvoir par le mandataire spécial peut passer inaperçu et qui a des effets négatifs sur la vie des personnes qui sont censées être aidées.

Obstacles à l’évaluation de la capacité en vertu de la LPDNA : il faut parfois faire évaluer la capacité par l’évaluateur désigné pour créer ou contester la tutelle en vertu de la LPDNA. Cette évaluation se fait selon le mode de la consommation, c’est-à-dire que les personnes qui la demandent doivent trouver et rémunérer l’évaluateur de la capacité approprié. Ce mode de fonctionnement peut créer des obstacles considérables soit pour mettre la tutelle en place soit pour y mettre fin, en raison de difficultés d’utilisation ou en raison du coût.

Absence de garanties procédurales sérieuses dans la LCSS : pour les personnes dont l’incapacité juridique a été constatée pour le traitement ou l’admission à des soins de longue durée, la LCSS prévoit certes des garanties procédurales mais elles sont essentiellement inefficaces. Ses dispositions visant les renseignements sur les droits sont mal comprises et inégalement appliquées, de sorte que le droit de décider par soi-même peut être supprimé sans que l’intéressé soit informé ou qu’il dispose de recours véritables.

Absence de souplesse des mécanismes de nomination inflexibles en vertu de la LCSS, d’où des mesures trop envahissantes : même si la LPDNA semble avoir pour objet de garantir que la tutelle, mesure très radicale, s’applique uniquement dans les cas où il n’existe aucune autre solution moins envahissante, dans la pratique, du fait des mécanismes coûteux et relativement inflexibles relatifs à la tutelle, cet objet n’est pas atteint de façon uniforme : afin d’éviter des demandes ultérieures, la tutelle demandée et obtenue peut être plus large qu’il ne faut.

Inaccessibilité des procédures d’exercice des droits et de règlements des différends en vertu de la LPDNA : la plupart des recours que celle-ci prévoit pour faire valoir des droits ou régler des différends doivent s’exercer par voie de requête à la Cour supérieure de justice – procédure coûteuse, complexe, intimidante, pratiquement inaccessible à de nombreuses personnes et à leur famille, de sorte que souvent, les droits que garantit la LPDNA ne sont pas respectés.

Rôle des familles : selon la législation actuelle, la famille est en priorité le mandataire spécial qui convient le mieux, grâce par exemple à la liste de nomination automatique que prévoit la LCSS ou aux dispositions visant le remplacement du tuteur légal. On peut penser qu’à bien des égards, les exigences de cette fonction difficile conviennent naturellement à la famille, d’autant que la plupart des mandataires spéciaux l’exercent sans être rémunérés. À mesure toutefois que la famille se modifie, qu’elle diminue et qu’elle se disperse géographiquement, l’hypothèse qu’elle puisse être toujours accessible et appropriée pour cette fonction est de plus en plus remise en question. Qui plus est, le régime actuel renseigne ou soutient fort peu les membres de la famille dont on attend qu’ils l’exercent, en dépit des nombreuses difficultés de celle-ci.

 

 

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