A. Introduction et contexte
Comme nous l’avons vu au chapitre III, la prévention des interventions inutiles constitue l’une des valeurs qui sous-tendent les lois actuelles relatives à la capacité juridique, à la prise de décision et à la tutelle. Le législateur voulait que la prise de décision au nom d’autrui ne soit utilisée qu’en tout dernier recours lorsque la capacité juridique fait défaut et que la prise de décision au nom d’autrui est requise pour qu’une décision nécessaire soit prise. Les lois ontariennes actuelles relatives à la capacité juridique, à la prise de décision et à la tutelle contiennent plusieurs mesures importantes pour empêcher les interventions inutiles et faire en sorte que la prise de décision au nom d’autrui – en particulier la tutelle – soit utilisée uniquement lorsqu’il n’y a pas d’autres solutions de rechange appropriées. Toutefois, lors des consultations publiques de la CDO, de nombreux participants se sont dits préoccupés par l’utilisation inappropriée et excessive de la prise de décision au nom d’autrui qui persiste encore aujourd’hui. Le chapitre V qui traite de l’évaluation de la capacité aborde des préoccupations à l’égard de la façon dont la prise de décision au nom d’autrui est déclenchée en vertu de la LCSS au moyen de différentes évaluations de la capacité juridique.
Pendant les consultations dans le cadre de ce projet, l’une des préoccupations les plus graves soulevées à l’égard des interventions inappropriées est liée à la tutelle puisqu’elle est plus privative de liberté qu’une procuration, elle est la moins souple en ce qui concerne l’entrée et la sortie, elle ne permet pas que la personne touchée puisse choisir le mandataire spécial ou exprimer formellement sa volonté comme c’est le cas avec une procuration, et elle est vécue généralement comme étant plus marginalisante. De plus, la procuration étant une affaire personnelle plutôt qu’une nomination publique, un grand nombre de questions relatives à son utilisation abusive découlent soit d’une démarche incorrecte d’évaluation de la capacité (et, de ce fait, l’enclenchement inapproprié de ce document) soit d’une utilisation abusive par le mandataire spécial. Ces questions sont abordées au chapitre VII du présent rapport. Nous nous intéressons ici à la nomination des tuteurs.
Plusieurs raisons expliquent pourquoi la prise de décision au nom d’autrui peut être demandée ou imposée lorsqu’elle n’est pas absolument nécessaire. Dans certains cas, lorsque la capacité juridique est mise en doute, les prestataires de services peuvent demander des arrangements formels qui semblent leur procurer l’assurance que les ententes qu’ils sont en train d’établir sont légitimes et exécutoires. Les mesures prises pour assurer le respect de la vie privée peuvent exclure le recours aux types de soutiens et d’arrangements informels utilisés par le passé, par exemple, en faisant en sorte qu’il soit plus difficile pour des membres de la famille d’obtenir et de fournir des renseignements au sujet de leurs proches. Les familles qui doivent relever les défis de s’occuper d’une personne atteinte de troubles cognitifs importants peuvent avoir l’espoir que des arrangements formels de prise de décision au nom d’autrui leur garantiront un meilleur accès à des services de soutien ou les aideront à aplanir les difficultés à s’occuper d’elle. Les membres d’une famille qui sont en conflit peuvent avoir l’espoir que la fonction officielle de mandataire spécial leur permettra de prendre le dessus. Pour des prestataires de service qui subissent des pressions, il peut s’avérer plus simple de consulter les membres de la famille pour que des décisions soient prises que de prendre le temps de déterminer au cas par cas si les personnes concernées sont aptes à prendre des décisions, ou de communiquer efficacement avec une personne ayant des difficultés à recevoir, analyser ou fournir de l’information.
Les problèmes qui surviennent dans la mise en œuvre des lois existantes peuvent contribuer à une utilisation inappropriée ou excessive de la prise de décision au nom d’autrui. Par exemple, il arrive souvent que des professionnels, des prestataires de service ou des mandataires spéciaux comprennent mal le droit dans ce domaine, en particulier le concept de capacité juridique et les responsabilités d’un mandataire spécial, et qu’ils ne respectent pas les dispositions de la loi visant à limiter l’utilisation de la prise de décision au nom d’autrui, comme la présomption de capacité et la notion de capacité propre au domaine ou à la décision. Le coût et la complexité des processus pour la mise en tutelle et pour y mettre fin peuvent inciter les tuteurs à demander des pouvoirs étendus plutôt que limités, et peut-être plus appropriés, pour ne pas être obligés de relancer le processus plus tard, et les dissuader de mettre fin à la tutelle lorsqu’elle n’est plus nécessaire.
Des propositions visant à réduire le nombre d’interventions inappropriées ou inutiles et à protéger l’autonomie sont formulées tout au long du présent rapport. Par exemple, des recommandations relatives à l’éducation et à l’information visent à faire en sorte que les mandataires spéciaux comprennent les limites des pouvoirs qui leur sont conférés et la responsabilité de veiller à ce que la personne touchée participe aux décisions. Des recommandations relatives à d’autres modes décisionnels pouvant remplacer la prise de décision au nom d’autrui, dont les grandes lignes sont exposées au chapitre VI, visent à proposer des options qui peuvent s’avérer plus appropriées pour certaines personnes. Le chapitre VII présente des recommandations visant à renforcer la surveillance et l’exercice des droits en matière de prise de décision au nom d’autrui afin de réduire l’utilisation inappropriée ou excessive de ces pouvoirs décisionnels. Le présent chapitre traite principalement des changements à apporter aux processus de nomination externe pour faire en sorte que la tutelle soit utilisée uniquement dans les cas où l’on ne dispose pas d’autre solution appropriée.
B. État actuel du droit en Ontario
Il existe deux formes types de tutelle en Ontario : la tutelle légale qui se limite aux biens, et la tutelle judiciaire aux biens ou à la personne.
La tutelle légale
La tutelle légale est le principal moyen d’obtenir une tutelle aux biens. Selon les chiffres fournis par le TCP pour 2013-2014, environ 75 pour cent des tutelles aux biens en Ontario sont des tutelles légales[368].
La tutelle légale est automatiquement déclenchée lorsqu’il y a une constatation d’incapacité, soit à la suite d’un examen de la capacité en vertu de la Partie III de la LSM, soit à la suite d’une évaluation de la capacité à la demande d’« une personne » en vertu de l’article 16 de la LPDNA.
On trouve une description plus détaillée des procédures d’évaluation de la capacité au chapitre V. Toutefois, il est important de souligner qu’elles sont associées à plusieurs mesures importantes de protection des droits destinées à reconnaître que les conséquences de ces évaluations relativement aux droits fondamentaux de la personne touchée peuvent être extrêmement importantes. Par exemple, seul un évaluateur ayant les qualités requises et qui remplit les exigences en matière d’éducation et de formation peut effectuer une évaluation de la capacité en vertu de la LPDNA[369]. Cette loi définit les droits procéduraux des personnes faisant l’objet d’une évaluation de la capacité[370], notamment le droit de refuser de subir une évaluation dans la plupart des circonstances[371], le droit d’être informée du but de l’évaluation ainsi que de l’importance et des conséquences d’une constatation de capacité ou d’incapacité[372], et le droit d’être avisée par écrit des constatations de l’évaluateur[373]. Lorsqu’une personne fait l’objet d’une tutelle légale, le TCP, à la réception du certificat d’incapacité, doit informer la personne concernée du fait que le TCP est devenu son tuteur légal aux biens et de son