A.    Introduction et contexte 

Comme nous l’avons vu au chapitre III, la prévention des interventions inutiles constitue l’une des valeurs qui sous-tendent les lois actuelles relatives à la capacité juridique, à la prise de décision et à la tutelle. Le législateur voulait que la prise de décision au nom d’autrui ne soit utilisée qu’en tout dernier recours lorsque la capacité juridique fait défaut et que la prise de décision au nom d’autrui est requise pour qu’une décision nécessaire soit prise. Les lois ontariennes actuelles relatives à la capacité juridique, à la prise de décision et à la tutelle contiennent plusieurs mesures importantes pour empêcher les interventions inutiles et faire en sorte que la prise de décision au nom d’autrui – en particulier la tutelle – soit utilisée uniquement lorsqu’il n’y a pas d’autres solutions de rechange appropriées. Toutefois, lors des consultations publiques de la CDO, de nombreux participants se sont dits préoccupés par l’utilisation inappropriée et excessive de la prise de décision au nom d’autrui qui persiste encore aujourd’hui. Le chapitre V qui traite de l’évaluation de la capacité aborde des préoccupations à l’égard de la façon dont la prise de décision au nom d’autrui est déclenchée en vertu de la LCSS au moyen de différentes évaluations de la capacité juridique. 

Pendant les consultations dans le cadre de ce projet, l’une des préoccupations les plus graves soulevées à l’égard des interventions inappropriées est liée à la tutelle puisqu’elle est plus privative de liberté qu’une procuration, elle est la moins souple en ce qui concerne l’entrée et la sortie, elle ne permet pas que la personne touchée puisse choisir le mandataire spécial ou exprimer formellement sa volonté comme c’est le cas avec une procuration, et elle est vécue généralement comme étant plus marginalisante. De plus, la procuration étant une affaire personnelle plutôt qu’une nomination publique, un grand nombre de questions relatives à son utilisation abusive découlent soit d’une démarche incorrecte d’évaluation de la capacité (et, de ce fait, l’enclenchement inapproprié de ce document) soit d’une utilisation abusive par le mandataire spécial. Ces questions sont abordées au chapitre VII du présent rapport. Nous nous intéressons ici à la nomination des tuteurs.

Plusieurs raisons expliquent pourquoi la prise de décision au nom d’autrui peut être demandée ou imposée lorsqu’elle n’est pas absolument nécessaire. Dans certains cas, lorsque la capacité juridique est mise en doute, les prestataires de services peuvent demander des arrangements formels qui semblent leur procurer l’assurance que les ententes qu’ils sont en train d’établir sont légitimes et exécutoires. Les mesures prises pour assurer le respect de la vie privée peuvent exclure le recours aux types de soutiens et d’arrangements informels utilisés par le passé, par exemple, en faisant en sorte qu’il soit plus difficile pour des membres de la famille d’obtenir et de fournir des renseignements au sujet de leurs proches. Les familles qui doivent relever les défis de s’occuper d’une personne atteinte de troubles cognitifs importants peuvent avoir l’espoir que des arrangements formels de prise de décision au nom d’autrui leur garantiront un meilleur accès à des services de soutien ou les aideront à aplanir les difficultés à s’occuper d’elle. Les membres d’une famille qui sont en conflit peuvent avoir l’espoir que la fonction officielle de mandataire spécial leur permettra de prendre le dessus. Pour des prestataires de service qui subissent des pressions, il peut s’avérer plus simple de consulter les membres de la famille pour que des décisions soient prises que de prendre le temps de déterminer au cas par cas si les personnes concernées sont aptes à prendre des décisions, ou de communiquer efficacement avec une personne ayant des difficultés à recevoir, analyser ou fournir de l’information. 

Les problèmes qui surviennent dans la mise en œuvre des lois existantes peuvent contribuer à une utilisation inappropriée ou excessive de la prise de décision au nom d’autrui. Par exemple, il arrive souvent que des professionnels, des prestataires de service ou des mandataires spéciaux comprennent mal le droit dans ce domaine, en particulier le concept de capacité juridique et les responsabilités d’un mandataire spécial, et qu’ils ne respectent pas les dispositions de la loi visant à limiter l’utilisation de la prise de décision au nom d’autrui, comme la présomption de capacité et la notion de capacité propre au domaine ou à la décision. Le coût et la complexité des processus pour la mise en tutelle et pour y mettre fin peuvent inciter les tuteurs à demander des pouvoirs étendus plutôt que limités, et peut-être plus appropriés, pour ne pas être obligés de relancer le processus plus tard, et les dissuader de mettre fin à la tutelle lorsqu’elle n’est plus nécessaire.

Des propositions visant à réduire le nombre d’interventions inappropriées ou inutiles et à protéger l’autonomie sont formulées tout au long du présent rapport. Par exemple, des recommandations relatives à l’éducation et à l’information visent à faire en sorte que les mandataires spéciaux comprennent les limites des pouvoirs qui leur sont conférés et la responsabilité de veiller à ce que la personne touchée participe aux décisions. Des recommandations relatives à d’autres modes décisionnels pouvant remplacer la prise de décision au nom d’autrui, dont les grandes lignes sont exposées au chapitre VI, visent à proposer des options qui peuvent s’avérer plus appropriées pour certaines personnes. Le chapitre VII présente des recommandations visant à renforcer la surveillance et l’exercice des droits en matière de prise de décision au nom d’autrui afin de réduire l’utilisation inappropriée ou excessive de ces pouvoirs décisionnels. Le présent chapitre traite principalement des changements à apporter aux processus de nomination externe pour faire en sorte que la tutelle soit utilisée uniquement dans les cas où l’on ne dispose pas d’autre solution appropriée.
 

B.    État actuel du droit en Ontario

Il existe deux formes types de tutelle en Ontario : la tutelle légale qui se limite aux biens, et la tutelle judiciaire aux biens ou à la personne.  

La tutelle légale 

La tutelle légale est le principal moyen d’obtenir une tutelle aux biens. Selon les chiffres fournis par le TCP pour 2013-2014, environ 75 pour cent des tutelles aux biens en Ontario sont des tutelles légales[368]. 

La tutelle légale est automatiquement déclenchée lorsqu’il y a une constatation d’incapacité, soit à la suite d’un examen de la capacité en vertu de la Partie III de la LSM, soit à la suite d’une évaluation de la capacité à la demande d’« une personne » en vertu de l’article 16 de la LPDNA. 

On trouve une description plus détaillée des procédures d’évaluation de la capacité au chapitre V. Toutefois, il est important de souligner qu’elles sont associées à plusieurs mesures importantes de protection des droits destinées à reconnaître que les conséquences de ces évaluations relativement aux droits fondamentaux de la personne touchée peuvent être extrêmement importantes. Par exemple, seul un évaluateur ayant les qualités requises et qui remplit les exigences en matière d’éducation et de formation peut effectuer une évaluation de la capacité en vertu de la LPDNA[369]. Cette loi définit les droits procéduraux des personnes faisant l’objet d’une évaluation de la capacité[370], notamment le droit de refuser de subir une évaluation dans la plupart des circonstances[371], le droit d’être informée du but de l’évaluation ainsi que de l’importance et des conséquences d’une constatation de capacité ou d’incapacité[372], et le droit d’être avisée par écrit des constatations de l’évaluateur[373]. Lorsqu’une personne fait l’objet d’une tutelle légale, le TCP, à la réception du certificat d’incapacité, doit informer la personne concernée du fait que le TCP est devenu son tuteur légal aux biens et de son droit de demander, par voie de requête à la CCC, une révision de la constatation d’incapacité[374]. Une personne faisant l’objet d’une tutelle légale en vertu de la LSM n’a pas le droit de refuser de subir une évaluation, mais elle a le droit très important d’avoir accès en temps utile à un conseiller en matière de droits[375] qui doit rencontrer promptement la personne malade et lui expliquer l’importance du certificat et son droit de présenter une requête en révision auprès de la CCC d’une constatation d’incapacité à gérer ses biens. À la demande de la personne malade, le conseiller l’aide à présenter une requête en révision à la CCC et à obtenir de l’aide juridique[376].

La tutelle légale est une procédure administrative rapide et assez peu coûteuse pour obtenir une tutelle. Elle a été incluse dans la LPDNA conformément aux recommandations du Rapport Fram, qui la présente comme une procédure visant à [traduction] « permettre aux familles d’éviter les requêtes inutiles au tribunal dans les situations où il n’y a pas de doute sur l’incapacité de la personne et que cette dernière ne s’oppose pas à un [tuteur][377] ». Il est important de souligner que la tutelle légale s’applique uniquement aux biens et pas à la personne. 

Dans les cas où l’incapacité à gérer des biens est constatée, le TCP devient le tuteur légal aux biens, à moins qu’il y ait déjà une procuration relative aux biens ou une tutelle en place. Toutefois, des personnes désignées peuvent présenter une demande au TCP pour remplacer ce dernier et devenir tuteur aux biens. Lorsque le demandeur convient et qu’il a présenté un plan de gestion pertinent, le TCP peut le nommer tuteur. Des frais de 382 $ plus la TVH sont facturés lorsqu’une demande de remplacement est approuvée et un certificat attestant une tutelle légale est délivré.

Tutelle judiciaire

La procédure de requête et les garanties procédurales. Toute personne peut déposer une requête à la Cour supérieure de justice pour la nomination d’un tuteur aux biens ou à la personne[378]. Il est important de signaler que les tutelles à la personne peuvent seulement être obtenues par une ordonnance du tribunal et non par une procédure légale. De plus, la tutelle à la personne peut être absolue ou partielle, et la tutelle absolue peut être ordonnée seulement si le tribunal constate que cette personne est incapable à l’égard de toutes les fonctions dans ce domaine, y compris les soins de santé, son alimentation, son hygiène, sa sécurité, son hébergement et son habillement[379].

Une requête en tutelle doit être accompagnée des documents suivants :

1.     le consentement du tuteur proposé;

2.     un plan de tutelle (si la requête vise une tutelle à la personne) ou de gestion des biens (si la requête concerne une tutelle aux biens);

3.     une déclaration signée par le requérant qui indique que la personne prétendue incapable a été informée de la nature de la requête et de son droit de s’y opposer, et qui précise la manière dont elle a été informée ou, s’il n’a pas été possible de donner à la personne prétendue incapable les renseignements susmentionnés, qui indique les raisons de cette impossibilité[380].

La LPDNA contient des mesures additionnelles qui garantissent les droits d’un adulte à l’application régulière de la loi dans ces requêtes. Elle exige que l’avis de la requête soit signifié avec les documents afférents à l’adulte prétendu incapable, à certains membres de la famille et au TCP notamment[381]. Elle exige également, dans le cas d’une requête en règlement sommaire, au moins une déclaration d’opinion d’un évaluateur de la capacité selon laquelle un adulte est incapable et, par conséquent, les mêmes mesures d’application régulière de la loi qui s’appliquent aux évaluations de la capacité pour les nominations de tutelle légale s’appliquent également aux requêtes en règlement sommaire. Entre autres, un évaluateur de la capacité doit expliquer à l’adulte le but et les conséquences de l’évaluation, et l’adulte a le droit de refuser cette évaluation[382].

De plus, le TCP est un intimé de la loi dans toutes les requêtes visant la nomination d’un tuteur par le tribunal[383]. Il examine ces requêtes et envoie une lettre en réponse aux questions soulevées dans la requête à l’avocat du requérant, de même qu’au registraire de la Cour supérieure de justice. Dans la plupart des cas, les questions sont éclaircies et résolues avant la tenue d’une audience, mais dans de rares cas, le TCP peut comparaître à l’audience pour présenter des preuves ou des arguments oraux, ou les deux, en réponse aux questions[384].

La procédure de règlement sommaire. La LPDNA prévoit une procédure de règlement sommaire pour les requêtes en tutelle et en révocation de ces dernières. Ces requêtes peuvent être étudiées en fonction des documents fournis, sans audience ni comparution, lorsque toutes les parties conviennent d’agir de la sorte. Dans ces requêtes en règlement sommaire, le juge peut accorder le redressement demandé, demander aux parties de fournir d’autres preuves ou de faire des représentations, ou ordonner que la question fasse l’objet d’une audience[385].

On ne connaît pas beaucoup les résultats pratiques des règlements sommaires. La CDO a entendu dire par un avocat que, dans certains cas, les requêtes à cette fin ont donné des résultats efficaces et rapides dans une procédure simplifiée qui réduit au minimum la possibilité d’une comparution devant le tribunal, ce qui les rend encore moins coûteuses. Elles ont donné des résultats particulièrement probants chez les personnes atteintes d’une déficience développementale, lorsque les liens entre l’adulte et les membres de sa famille sont « simples » et que la requête n’est pas contestée[386]. Toutefois, les requêtes en règlement sommaire ne sont pas souvent utilisées. La CDO a entendu l’explication suivante sur le faible recours aux règlements sommaires en Ontario : la nomination d’un tuteur sans audience a suscité des préoccupations sur l’application régulière de la loi, compte tenu de la gravité des droits en cause[387]. Le Barreau du Haut-Canada déclare qu’il [traduction] « est à noter que ce ne sont pas toutes les provinces, tous les territoires ou tous les membres de la magistrature qui permettent ce type de règlement des questions de tutelle, indiquant que la gravité du redressement demandé nécessite une audience[388] ».

La ligne de conduite la moins contraignante : Selon la LPDNA, un tuteur ne peut être nommé par le tribunal que dans les cas suivants :

·       la personne a été jugée incapable de gérer ses biens ou de prendre soin d’elle-même et, par conséquent, il faut qu’une personne autorisée à le faire prenne des décisions en son nom[389];

·       le tribunal est convaincu qu’il n’y a pas de solution de rechange qui ne nécessiterait pas de constatation d’incapacité et qui serait moins contraignante en ce qui a trait aux droits qu’a la personne de prendre des décisions[390].

L’expression « ligne de conduite » n’est pas définie dans la loi et ces dispositions ont été peu utilisées concrètement. Les procurations sont reconnues comme des solutions de rechange importantes à la tutelle[391], tout comme l’importance des mécanismes de soutien informels. Il y a lieu de noter que dans Koch (Re), le tribunal a déterminé que M. Koch était capable de gérer ses biens, indiquant qu’il y a capacité mentale si la personne est capable de prendre des décisions avec l’aide d’autres personnes, et que l’appelant avait accès à différents services et mécanismes de soutien qui lui permettaient de fonctionner dans son milieu[392].

Le libellé de la loi montre que la tutelle doit être une solution de dernier recours : même si une personne est jugée incapable juridiquement, un tuteur ne sera nommé que si des décisions doivent être prises et qu’il n’y a pas de ligne de conduite moins contraignante. Stephen Fram a commenté ces dispositions devant le Comité permanent qui a tenu des audiences sur ce qu’il est advenu de la LPDNA :

[traduction] Les divers gouvernements ont toujours eu l’intention à l’égard de la tutelle, parce qu’elle retire tous les droits à la personne, d’en faire une solution de dernier recours lorsqu’on ne peut pas utiliser les procurations relatives au soin de la personne, lorsqu’un « contrat d’Ulysse » n’est pas envisageable et que d’autres formes de la Loi de 1992 sur le consentement au traitement ne sont pas possibles non plus. La dernière chose que nous voulons, c’est trop de tutelles dans la province. Autrement dit : « La tutelle est le dernier recours. Si l’on ne peut obtenir de décisions d’une autre manière, laissons le tribunal nommer un tuteur, mais autrement cherchons un moyen moins contraignant[393] ».

Bach et Kerzner soutiennent que les dispositions sur la ligne de conduite et les mesures les moins contraignantes visaient précisément à l’origine à [traduction] « répondre aux besoins d’un groupe très précis, à savoir les personnes ayant des déficiences intellectuelles et cognitives importantes qui sont peu susceptibles d’atteindre le seuil établi pour la nomination d’un procureur au soin de la personne » et qui souhaitent prendre des décisions sans une constatation d’incapacité, dans le contexte des liens de confiance qu’ils entretiennent, en ayant recours à d’autres moyens que la prise de décision au nom d’autrui[394].

Lorsqu’une évaluation de la capacité en vertu de la LPDNA est effectuée aux fins d’une requête visant la nomination d’un tuteur par le tribunal, l’évaluateur de la capacité peut être tenu de fournir une « déclaration des besoins » qui accompagne l’évaluation de la capacité et qui indique s’il est nécessaire que des décisions soient prises au nom de la personne concernée. Les lignes directrices obligatoires en matière d’évaluations de la capacité du ministère du Procureur général stipulent ce qui suit par rapport à cette déclaration :

En fournissant une « déclaration des besoins », l’évaluateur donne son opinion sur la nécessité, c’est-à-dire qu’il indique si la personne tirera des avantages importants du fait d’avoir un tuteur qui agit ou qui prend des décisions en son nom.

En l’absence d’un règlement du tribunal qui donne l’interprétation de la définition de « nécessité », deux interprétations sont proposées et il est recommandé que les évaluateurs les appliquent toutes les deux :

1. Y a-t-il une exigence de consentement officiel (à une transaction, par exemple) pour obtenir ou fournir les services de protection qui permettront de réduire le risque de préjudice ou empêcher la perte ou la dissipation des avoirs? […] L’accent est mis sur le bien-fondé d’une nomination d’un tuteur qui soit à l’avantage de la personne par opposition à l’avantage d’une tierce partie, comme un créancier.

2. Si un tuteur n’est pas nommé, la personne fera-t-elle face à un risque grave et probable pour son bien-être ou pour son patrimoine?

Cette interprétation tient compte du fait que la législation en matière de tutelle fixe comme objectif ultime la gestion des risques pour la personne incapable[395].
 

C.    Sujets de préoccupation

Malgré les protections procédurales et fondamentales liées aux nominations menant à des tutelles en Ontario, des préoccupations demeurent au sujet de l’utilisation inappropriée d’arrangements de prise de décision au nom d’autrui ou de l’application d’arrangements appropriés de prise de décision au nom d’autrui d’une manière qui restreint trop grandement la vie des personnes touchées. Voici les principales préoccupations.

Champ d’application trop étendu de la tutelle : on s’est inquiété de ce que la tutelle peut être trop étendue, même dans les cas où elle a été prononcée pour des raisons valables. 

La notion de capacité juridique en vigueur en Ontario est liée au domaine d’application. La personne peut avoir la capacité juridique de prendre un type de décision, mais pas un autre. Décider de l’endroit où l’on veut vivre ou des types d’activités auxquelles on veut participer est une chose, prendre des décisions économiques en est une autre. De plus, beaucoup de personnes qui ont la capacité de prendre des décisions courantes dans un domaine particulier peuvent ne pas être aptes à prendre des décisions complexes ou à long terme dans ce même domaine. Prendre des décisions relatives aux dépenses courantes nécessite des compétences fort différentes de celles qui concernent, par exemple, une transaction immobilière ou des investissements. Prenant en compte cette conception nuancée de la capacité juridique, la LPDNA prévoit une tutelle partielle pour le soin de la personne. Un tuteur peut être nommé, par exemple, pour la prise de décisions concernant la sécurité d’une personne qui conserverait son autonomie décisionnelle pour les questions relatives à la nutrition, à l’habillement et à l’hygiène. Par ailleurs, toutes les tutelles relatives aux biens sont générales. C’est important à noter puisque la plupart des tutelles qui sont exercées en Ontario sont des tutelles aux biens : il y a plus de 16 833 dossiers de tutelle aux biens actifs en Ontario par rapport à 1 838 tutelles au soin de la personne[396].

Une hypothèse a été émise selon laquelle le manque de souplesse et l’inaccessibilité relative des processus de nomination externe font en sorte que les tribunaux sont de plus en plus portés à imposer une tutelle générale. Dans son examen des données probantes empiriques sur la réforme de la tutelle en Saskatchewan, Surtees note que, malgré des principes positifs inclus dans les réformes de 2001 dans cette province, y compris la présomption de capacité et une préférence législative pour la ligne de conduite la moins contraignante, la grande majorité des ordonnances de tutelle demeure des ordonnances générales virtuelles. Il est d’avis qu’un manque de connaissance de la loi de la part des tribunaux et du Barreau peut expliquer en partie ce problème; par ailleurs, les requêtes en tutelle peuvent être trop longtemps retardées, de sorte qu’elles ne sont présentées qu’au moment où des ordonnances générales sont en fait la ligne de conduite la moins contraignante[397].

La capacité variable : des préoccupations ont aussi été soulevées au sujet des difficultés que pourrait éprouver une personne pour recouvrer son autonomie décisionnelle juridique après avoir été mise en tutelle. De par sa nature, la capacité juridique est souvent variable. Certaines personnes améliorent leurs compétences en matière de prise de décision à mesure qu’elles apprennent l’existence de ressources sociales et y ont recours, alors que d’autres deviennent moins compétentes au fil du temps. Chez d’autres enfin, la capacité juridique diminue et s’accroît de façon cyclique. Il importe donc que les procédures soient suffisamment souples pour que les personnes juridiquement capables ne se retrouvent pas engagées dans un arrangement de prise de décision au nom d’autrui et que celles qui ont besoin d’aide l’obtiennent rapidement.

Dans un exposé préparé par l’ARCH Disability Law Centre pour la CDO, Kerri Joffe et Edgar-André Montigny ont souligné les nombreux obstacles que rencontrent les personnes sous tutelle qui tentent de recouvrer la capacité juridique de prendre des décisions de manière indépendante, surtout parce que tous les mécanismes prévus par la LPDNA sont « passifs », c’est-à-dire que la personne jugée incapable doit comprendre et faire valoir activement ses droits.

[traduction] Les dispositions voulant que ce soit la personne « incapable » qui engage des poursuites contre un tuteur avantagent le tuteur au détriment de la personne « incapable » qui tente de protéger ses droits. Les procédures judiciaires prévues par la LPDNA étant complexes, la personne « incapable » doit habituellement trouver un avocat, retenir ses services et payer ses honoraires. Par conséquent, peu de personnes « incapables » peuvent y avoir accès. Une fois mises en tutelle par un tribunal, elles deviennent hautement vulnérables à la manipulation et à l’intimidation par des tuteurs sans scrupules. Cette vulnérabilité s’accroît du fait que le tuteur, le tribunal, le TCP ou toute autre autorité publique n’ont pas l’obligation de fournir à la personne « incapable » des renseignements sur la tutelle ou des conseils en matière de droits[398].

Tutelle légale : bien que la tutelle légale ait l’avantage voulu d’être relativement simple par comparaison aux processus judiciaires, sans oublier les moindres coûts, il en résulte un désavantage du fait qu’elle lie étroitement l’évaluation de la capacité non seulement à la tutelle, mais de surcroît à la tutelle par le TCP, de sorte qu’une constatation d’incapacité juridique se traduit automatiquement par la mise sous tutelle par le TCP, sauf si la personne concernée a déjà un mandataire spécial. Contrairement au processus judiciaire de nomination d’un tuteur, un médecin qui examine la capacité d’une personne de gérer ses biens en vertu de la LSM n’est pas tenu de vérifier s’il existe une ligne de conduite moins contraignante pour répondre à ses besoins (et il n’est pas non plus en mesure de le faire). Comme nous l’avons vu précédemment, les évaluateurs de la capacité en vertu de la LPDNA préparent une « déclaration des besoins » lorsqu’une évaluation doit appuyer une requête judiciaire de tutelle, ce qui n’est pas le cas dans le contexte d’une tutelle légale[399]. En outre, à moins que la personne concernée ait déjà donné une procuration relative aux biens ou qu’elle soit déjà sous tutelle, le TCP devient le tuteur : des membres de la famille ou des amis doivent prendre des mesures concrètes pour le remplacer à ce titre. 

Ainsi, une tutelle légale peut être considérée comme étant incompatible avec certaines des valeurs qui sous-tendent l’ensemble de la législation. Malgré l’intention générale de privilégier la nomination de membres de la famille ou d’autres personnes qui connaissent intimement la personne touchée, le TCP est le tuteur en premier et non en dernier ressort dans le contexte d’une tutelle légale. De plus, la nomination automatique d’un mandataire spécial lors d’une constatation d’incapacité laisse entendre que l’incapacité en soi suffit à justifier la nomination d’un tuteur, peu importe que d’autres arrangements ou mesures de soutien puissent répondre aux besoins de la personne, ce qui va à l’encontre de la valeur exprimée dans le Rapport Fram voulant que des interventions inutiles soient évitées. Des efforts considérables ont été consentis pour faire en sorte que les évaluateurs de la capacité qui prennent ces décisions lourdes de conséquences soient des professionnels qualifiés qui adhèrent à des normes claires, et que les personnes touchées jouissent de garanties procédurales, surtout celles faisant l’objet d’un examen en vertu de la LSM. Toutefois, il faut reconnaître qu’une décision d’une importance fondamentale pour les droits individuels repose sur le jugement d’un professionnel de la santé et non sur celui d’un tribunal.

Cette discordance apparente entre l’intention du législateur et l’utilisation de la tutelle légale s’accentue si on considère qu’elle constitue le moyen par lequel la très grande majorité des personnes sont mises en tutelle en Ontario et que, comme on le souligne ci-dessus, il peut s’avérer difficile pour les personnes assujetties à une tutelle de trouver les ressources nécessaires pour la contester. 

Le résultat de la tutelle légale, c’est-à-dire que le TCP est, dans la plupart des cas, le tuteur de premier plutôt que de dernier ressort, soulève également la question de savoir si c’est la meilleure façon de mettre à profit l’expertise du TCP et les ressources publiques en général.

 

D.   Application des Cadres

Le chapitre VI du présent rapport, qui porte sur les autres modes décisionnels pouvant remplacer la prise de décision au nom d’autrui, étudie en profondeur les liens entre les principes énoncés dans les Cadres et la prise de décision au nom d’autrui. Il n’est pas nécessaire de reprendre ici l’analyse, sauf de noter que ces questions sont, de toute évidence, étroitement liées aux principes des Cadres qui préconisent la promotion de l’autonomie, de l’indépendance et de la sécurité. La CDO est d’avis qu’il y a des situations où la prise de décision au nom d’autrui est la meilleure façon d’établir la responsabilité juridique pour la prise de décision et de protéger véritablement contre les abus les personnes vulnérables en raison de capacités de prise de décision diminuées. Toutefois, il est aussi généralement admis que, comme la prise de décision au nom d’autrui a des répercussions profondes sur l’autonomie des personnes qui y sont assujetties (et qu’elle peut potentiellement influer en même temps sur la réalisation des autres principes en portant atteinte à la dignité de la personne concernée ou en réduisant ses possibilités de participer à sa communauté), il faut que des efforts considérables soient consentis pour qu’elle soit utilisée judicieusement dans des situations où il n’existe aucune autre mesure appropriée qui soit moins perturbatrice.

Il est donc nécessaire de mettre en place des processus qui permettent de soupeser les considérations liées à l’autonomie, à la sécurité, ainsi qu’à la participation et l’inclusion, dans les circonstances particulières de la personne concernée. Une chose est sûre : les principes énoncés dans les Cadres s’appliquent aussi bien aux résultats qu’aux processus, mais comme les décisions sur la capacité à prendre des décisions ont aussi des répercussions fondamentales sur la réalisation individuelle des principes, il est particulièrement important que les processus soient conçus de manière à ce que les personnes touchées y aient un accès véritable et à ce que leurs droits soient pris en compte méticuleusement.

 

E.     La CDO et la réforme

Comme nous l’avons dit au chapitre VI, la CDO estime que la prise de décision au nom d’autrui est nécessaire pour certaines personnes dans certaines circonstances afin d’assurer une reddition de comptes conformément au processus décisionnel et d’empêcher que les personnes dont les capacités décisionnelles sont limitées soient vulnérables à la maltraitance.

Toutefois, les principes stipulent clairement que la prise de décision au nom d’autrui doit constituer une mesure de dernier recours – après que d’autres solutions pour répondre aux besoins de la personne ont été étudiées – et qu’elle doit être appliquée de la manière la plus limitée possible compte tenu des circonstances. 

Le chapitre X définit le rôle approprié du TCP dans la prise de décision, comme celui de protéger les personnes qui n’ont pas accès à une prise de décision efficace et fiable, soit parce qu’elles ne disposent pas des ressources nécessaires, soit en raison de la nature de leurs besoins. Dans la mesure du possible, la prise de décision au nom d’autrui doit s’exercer dans le contexte d’une relation de confiance où les valeurs et la volonté de la personne touchée peuvent être établies. Lorsque cette relation n’existe pas, une démarche reposant sur l’intervention de professionnels compétents peut représenter une solution viable. Le TCP assure une prise de décision professionnelle spécialisée, compétente et fiable, mais cette forme de soutien doit être prescrite seulement lorsque c’est nécessaire et pas comme première option. Le recours à la tutelle comme une solution de dernier ressort constitue également une utilisation plus efficace des ressources à tous les niveaux. Comme le montrent les statistiques précitées, le gouvernement (représenté par le TCP) joue un rôle de premier plan dans la prestation de services de tutelle en Ontario et il semble logique de prendre des mesures pour veiller à ce qu’ils soient destinés aux personnes qui en ont vraiment besoin. 

Tout au long du présent rapport, la CDO a pris en compte, dans l’élaboration de ses projets de recommandation, l’objectif général visant à diminuer le nombre d’interventions inutiles. Les recommandations de la CDO portant sur des solutions de rechange à la prise de décision au nom d’autrui, sur la prestation de services d’information et de vulgarisation et sur l’accessibilité des processus de règlement en élargissant le rôle d’un tribunal administratif visent toutes à contribuer à la réduction du nombre d’interventions inutiles et à la promotion de l’autonomie des personnes touchées par ce domaine du droit. Les projets de recommandation du présent chapitre ne comportent qu’un élément parmi d’autres de la stratégie globale de la CDO pour réaliser ces objectifs.

En outre, en élaborant ces projets de recommandation, la CDO a pris en compte comment ils s’inscrivent dans la dynamique globale du processus de réforme du présent projet – c’est-à-dire comment ils s’intègrent aux recommandations formulées par la CDO dans d’autres chapitres touchant le régime ontarien de la capacité juridique, de la prise de décision et de la tutelle.

Les projets de recommandation de la CDO préconisent donc trois façons de diminuer le recours à la tutelle : 

1.     déterminer des façons d’orienter les personnes touchées vers des solutions moins perturbatrices que la tutelle pour répondre à leurs besoins comme l’accès à des services améliorés, à des mesures de soutien des familles ou à des soutiens communautaires;

2.     faire en sorte que les pouvoirs de tutelle soient limités aux domaines où l’aide à la prise de décision est requise et que la personne touchée conserve ses pouvoirs décisionnels dans la plus grande mesure possible;

3.     veiller à ce que la durée de la tutelle soit limitée aux périodes pendant lesquelles elle est réellement nécessaire. Lorsqu’une personne recouvre sa capacité juridique ou se prévaut de mesures de soutien faisant en sorte qu’une tutelle ne soit plus nécessaire, il ne doit pas y avoir d’obstacles injustifiés pour y mettre fin.

 

F.     Projets de recommandation

Conformément aux considérations et aux conceptions exposées ci-dessus, la CDO recommande que l’accent soit mis sur quatre objectifs visant à axer prioritairement la prise de décision au nom d’autrui sur les besoins :

1.     encourager la recherche plus systématique de solutions de rechange à la tutelle;

2.     réexaminer l’utilisation de la tutelle légale comme mode de nomination externe;

3.     promouvoir l’utilisation accrue de tutelles partielles ou limitées;

4.     promouvoir l’examen régulier des nominations à durée limitée ainsi que l’examen obligatoire du bien-fondé de la nomination externe d’un mandataire spécial.

 

1.     Recherche systématique de solutions de rechange à la nomination du mandataire spécial

Lors des consultations de la CDO, des participants ont fait remarquer à plusieurs reprises que beaucoup de personnes seraient jugées incapables si elles subissaient une évaluation. Néanmoins, elles ne nécessitent pas d’être mises en tutelle, soit parce que le type de décision qu’elles prennent ne requiert pas d’intervention auprès de processus formels comme ceux des établissements de santé ou des institutions financières, soit parce qu’elles reçoivent l’aide et les services nécessaires d’une manière qui ne requiert pas la nomination officielle d’un mandataire spécial. Les mesures de soutien ne sont pas officialisées, mais elles répondent aux besoins. Par exemple, beaucoup de participants ont souligné l’importance du rôle que jouent les intervenants en protection des adultes dans la vie d’un grand nombre de personnes et la façon dont ces mesures de soutien réduisent le besoin d’interventions plus formelles. Les participants à un groupe de discussion avec des professionnels du secteur du développement de services ont insisté sur le fait qu’ils accordent la priorité à la recherche de moyens permettant d’aider les personnes sans limiter officiellement leur autonomie et leur indépendance : bien que ces relations et ces soutiens informels ne soient pas toujours reconnus à leur juste valeur, ils sont d’une importance cruciale. 

En examinant l’application des dispositions de la LPDNA portant sur la « ligne de conduite la moins contraignante », les tribunaux se sont reportés aux mesures de soutien et aux services informels pour déterminer si une tutelle est appropriée. Dans l’important arrêt Koch (Re), la Cour a reconnu ces mesures de soutien en concluant que l’appelante était capable de gérer ses biens. Elle a fait remarquer qu’il y a capacité mentale si la personne est capable de prendre des décisions avec l’aide d’autres personnes et que l’appelante avait accès à divers services et mesures de soutien qui lui permettaient de fonctionner dans son milieu[400].

Dans le même ordre d’idées, dans Deschamps c. Deschamps, la Cour a refusé de conclure à l’absence de capacité de M. Deschamps de gérer ses biens parce qu’il pouvait prendre des décisions avec l’aide appropriée de sa conjointe ou de ses avocats[401]. La Cour a cité le rapport de l’évaluateur de la capacité de M. Deschamps comme suit :

[traduction] Je suis d’avis que M. Deschamps n’est pas capable de gérer ses finances. Toutefois, étant donné ses circonstances particulières, je doute de la nécessité d’un mandataire spécial. Il semble y avoir une façon moins restrictive de gérer ses affaires financières, soit grâce à l’aide quotidienne de son épouse (qu’il a mariée manifestement de son plein gré), soit en demandant l’aide de ses avocats (qu’il est apte à choisir). Dans ce cas, les conséquences préjudiciables de la nomination d’un tuteur sur la qualité de vie et le bien-être psychologique l’emporteraient sensiblement sur les avantages[402].

Toutefois, il a été noté qu’il est relativement rare qu’une personne engagée dans une procédure judiciaire pour mettre en place une tutelle ait intérêt à soulever la question relative à la ligne de conduite la moins contraignante ou qu’elle ait les connaissances et la capacité de déterminer de telles solutions de rechange. Comme il a été souligné au chapitre VIII, l’avocat nommé en vertu de l’article 3 de la LPDNA peut jouer un rôle essentiel pour assurer la prise en compte de la volonté et des besoins des personnes faisant l’objet de requêtes en tutelle, bien que, comme on l’affirme ici, il y ait des limites inhérentes à ce rôle.

Dans ses observations écrites présentées à la CDO, la Coalition on Alternatives to Guardianship a fait remarquer que le système actuel est largement axé sur les évaluations de la capacité. Cela est d’autant plus vrai pour le processus de tutelle légale même si les Lignes directrices en matière d’évaluations de la capacité et la formation des évaluateurs visent à encourager l’exploration de solutions moins contraignantes : [traduction] « Il se peut que les évaluateurs ne soient pas au fait de l’ensemble des options disponibles dans une collectivité et qu’ils ne soient pas en mesure – et d’ailleurs, ils n’en ont pas le mandat légal – de déterminer lesquelles, le cas échéant, pourraient s’avérer applicables dans une situation donnée[403]. » Pour répondre à cette préoccupation, la Coalition recommande la mise en place d’un vaste réseau d’évaluateurs de solutions de rechange. Ce réseau fonctionnerait parallèlement à celui des évaluateurs de la capacité. Il serait soumis à des exigences en matière de formation et d’éducation, et le gouvernement maintiendrait un registre des évaluateurs agréés. Les évaluations de solutions de rechange seraient effectuées à différents stades, parallèlement aux évaluations de la capacité, en vertu aussi bien de la LPDNA que de la LCSS, notamment avant de faire appel aux personnes désignées dans la liste établie dans la LCSS, durant les enquêtes du TCP sur des « conséquences préjudiciables graves » et chaque fois qu’une tutelle est envisagée[404]. 

La CDO est d’avis que l’objectif qui sous-tend les observations écrites de la Coalition, à savoir de proposer une réelle possibilité d’examiner des solutions de rechange avant une mise en tutelle, est valable puisqu’il rejoint les préoccupations voulant que le système actuel ne prévoie pas suffisamment de mécanismes pour assurer cet examen. Toutefois, elle craint que la démarche proposée par la Coalition visant à instaurer un vaste réseau d’évaluateurs de solutions de rechange soit probablement coûteuse et laborieuse et qu’elle entraîne une complexité plus grande tout en contribuant à alourdir un système dans lequel, selon ce que la CDO a entendu, il est déjà assez difficile de s’y retrouver. En particulier, la CDO voit mal comment le réseau proposé pourrait jouer un rôle utile dans les questions liées au consentement au traitement, étant donné le nombre effarant de telles décisions qui sont prises tous les jours et la nécessité de faire preuve de souplesse et d’efficacité dans la prestation de soins.

La CDO s’est demandé s’il ne serait pas plus efficace de renforcer la capacité des arbitres qui décident d’une requête en tutelle en vertu de la LPDNA pour que les dispositions de la Loi ayant trait aux « mesures les moins contraignantes » puissent faire l’objet d’un examen plus approfondi et sérieux s’il y a lieu, surtout s’il y a d’autres façons pour les arbitres d’obtenir plus de renseignements sur les circonstances des personnes touchées avant de décider de nommer un tuteur.

Une solution simple pour renforcer les dispositions relatives aux « mesures les moins contraignantes » serait d’exiger que l’arbitre traite explicitement de la question dans la décision relative à la nomination ou d’exiger que les parties à la requête abordent la question. Toutefois, étant donné que les parties à la requête n’ont souvent ni l’intérêt ni les connaissances pour ce faire et que l’arbitre peut difficilement traiter de cette question en l’absence de preuves, la CDO estime qu’il faut faire plus.

La Cour de protection, en Angleterre et au Pays de Galles, est habilitée à demander un rapport au tuteur public ou à un « visiteur judiciaire » ou à demander à une autorité locale ou à un organisme du service national de santé de faire établir un rapport sur des questions relatives à une personne faisant l’objet d’une requête[405]. En vertu des règles de procédure de la Cour de protection, l’auteur d’un tel rapport doit entreprendre les démarches suivantes : 

·       communiquer ou demander à s’entretenir avec les personnes qu’il ou elle juge compétentes ou avec celles que le tribunal lui aura recommandées;

·       dans la mesure où cela est possible et approprié, déterminer la volonté et les sentiments de la personne touchée, ainsi que les croyances et les valeurs susceptibles de l’influencer si elle avait la capacité de prendre une décision au sujet de la requête;

·       décrire les circonstances de la personne;

·       aborder tout autre fait, selon ce qui est exigé par la directive de pratique ou les instructions du tribunal[406].

Le tribunal civil et administratif du Victoria, dont les attributions sont détaillées au chapitre VIII, dispose de pouvoirs semblables à l’égard du Bureau du défenseur des personnes handicapées de l’État du Victoria. Le Bureau du défenseur dispose de pouvoirs étendus, détaillés au chapitre 3.D.1 de la partie Quatre du Document de travail, dont celui d’intervenir et de mener des enquêtes sur des plaintes de maltraitance et d’exploitation. Dans des affaires complexes, le tribunal peut demander au Bureau du défenseur de mener une enquête officielle sur la question avant la tenue d’une audience[407]. Cela peut comporter des enquêtes sur des mesures moins contraignantes ou sur des questions liées au consentement à des procédures spéciales. En 2013-2014, le Bureau du défenseur des personnes handicapées a mené 362 enquêtes de durée et de portée variables à la demande du tribunal civil et administratif du Victoria[408].

Les programmes de visite mis en place dans plusieurs États américains reposent sur une conception quelque peu différente. Ce n’est pas l’arbitre qui demande des rapports ou des enquêtes auprès d’autres organismes possédant une expertise pertinente, mais plutôt les tribunaux qui supervisent leurs propres programmes de visite spécialisés pour les cas de tutelle. Le tribunal peut ordonner aux visiteurs judiciaires de rendre visite à une personne qui fait l’objet d’une requête en tutelle afin de recueillir des renseignements sur les circonstances de cette personne. Le programme de visite de l’État du Utah est expliqué comme suit :

[traduction] Les tribunaux ont besoin de bénévoles qui en leur nom rendent visite à des adultes handicapés afin de prendre connaissance de leur situation et d’en faire part au tribunal […] Le juge a parfois besoin que le visiteur recueille des preuves pour l’aider à :

·        décider si la personne protégée peut être dispensée de se présenter aux audiences du tribunal;

·        déterminer la nature et le degré de l’incapacité de la personne protégée;

·        déterminer la nature et l’étendue des pouvoirs du tuteur;

·        faire respecter les ordonnances du tribunal.

Le juge peut charger un visiteur de se renseigner sur la situation d’une personne protégée et d’en prendre connaissance afin de dresser un tableau complet et nuancé de la vie de cette personne[409].

Les programmes de visite judiciaires peuvent être mis en œuvre de manière relativement informelle en faisant appel à des bénévoles ou de manière plus officielle en recourant aux services de visiteurs qui doivent répondre à des exigences en matière d’éducation et de formation et présenter au tribunal des rapports officiels écrits[410].

Dans le contexte ontarien, il y a des tribunaux administratifs qui sont dotés du pouvoir d’ordonner des enquêtes. Par exemple, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (TDPO) peut, à la demande d’une partie à une requête, nommer une personne pour mener une enquête s’il est convaincu qu’elle est nécessaire pour obtenir des éléments de preuve, que les éléments de preuve obtenus peuvent aider à réaliser un règlement équitable, juste et expéditif quant au bien-fondé de la requête et qu’il est approprié de le faire dans les circonstances. À la conclusion de l’enquête, la personne nommée doit présenter au tribunal ainsi qu’aux parties concernées une copie du rapport d’enquête détaillant les résultats. Le Code des droits de la personne confère des pouvoirs étendus à la personne chargée de mener une enquête[411].

La CDO est d’avis que la mise en place d’un mécanisme permettant aux arbitres de recueillir des renseignements additionnels dans certains cas précis afin de s’assurer que les « mesures les moins contraignantes » sont réellement prises en compte contribuera à réduire le nombre d’interventions inappropriées ou inutiles.

Il est important de souligner que la collecte de ce type d’information n’est pas chose facile. Comme nous l’avons fait remarquer tout au long du présent rapport, la pression exercée sur les services et les mesures de soutien à l’intention des personnes reconnues incapables ou partiellement incapables juridiquement fait partie du contexte du droit sur la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle. Pour trouver des solutions de rechange, il faut non seulement avoir connaissance du droit et posséder une capacité à naviguer dans les méandres de systèmes compliqués de services et de soutien, mais aussi faire preuve de créativité et comprendre en profondeur la situation de la personne en cause. De tels rapports ne sont pas toujours utiles, loin de là. Néanmoins, comme le tribunal doit régler à sa satisfaction la question relative aux mesures les moins contraignantes, la CDO est d’avis qu’il doit y avoir un mécanisme efficace qui rend une telle enquête possible.

De plus, bien que les contraintes qui s’exercent actuellement sur les mesures de soutien et les services destinés aux personnes ayant un handicap pouvant affecter leur capacité juridique entravent la recherche de solutions moins contraignantes pour plusieurs personnes, la disponibilité de telles mesures s’améliorera au fil du temps et il convient de mettre en place des mécanismes qui rendront possible l’accès à ces services et soutiens quand ils seront disponibles.

Il ne serait pas pratique d’instaurer un programme judiciaire de visite dans le cadre du système actuel sur lequel repose la Cour supérieure de justice pour rendre des décisions relatives à des requêtes en tutelle. Toutefois, si le gouvernement met en œuvre les projets de recommandation de la CDO visant l’élargissement des compétences de la CCC, comme le détaille le chapitre VIII, la création d’un programme de visite serait possible. La CDO prévient que des évaluations de l’expérience américaine ont indiqué que les programmes ayant recours à des bénévoles, bien qu’ils aient été accueillis avec enthousiasme comme une façon rentable de répondre aux besoins dans ce domaine, n’ont pas réussi dans l’ensemble à répondre aux espoirs placés en eux parce que leur développement et leur surveillance nécessitent généralement beaucoup de ressources[412]. Compte tenu des difficultés à déterminer et à évaluer des solutions de rechange moins contraignantes, il est peu probable qu’un programme faisant appel à des bénévoles soit efficace dans ce contexte : pour fournir des renseignements utiles à un arbitre, un programme de visite devra s’appuyer sur des experts spécialistes et professionnels. 

La CDO est d’avis qu’il serait plus pratique et efficace de recourir aux compétences existantes en habilitant les arbitres à demander à des organismes spécialisés d’établir des rapports et en donnant à ces organismes l’autorisation législative de les préparer. En légiférant en la matière, il serait important de se pencher sur la sorte de droits à l’information qu’il conviendrait de conférer aux organismes chargés de telles enquêtes : sans droits à l’information prévus par la loi, il serait difficile de mener des enquêtes sérieuses sur la situation de particuliers, mais il faudrait également prêter attention aux questions liées à la portée des enquêtes et au respect de la vie privée, ainsi qu’aux coûts d’établissement de tels rapports.

PROJET DE RECOMMANDATION 34.     
      

a) Que le gouvernement ontarien habilite les arbitres qui envisagent la nomination d’un tuteur aux biens ou à la personne à demander aux parties à la requête de formuler des observations sur la possibilité de solutions moins contraignantes et à demander à un organisme compétent, comme le tuteur et curateur public, le Programme de protection des adultes ou les Services de développement, un rapport sur la situation de la personne à propos notamment :

i.                 de la nature de ses besoins en matière de prise de décision;

ii.               des mesures de soutien dont elle dispose déjà;

iii.              de la possibilité que des mesures de soutien additionnelles puissent éliminer la nécessité d’une tutelle.

b) Que le gouvernement ontarien confère à ces organismes les pouvoirs et les responsabilités nécessaires pour établir de tels rapports.

 

2.     Abolir la tutelle légale ou en réduire l’utilisation

Comme nous l’avons vu précédemment au présent chapitre, dans le droit ontarien, un tuteur peut être nommé soit par une procédure judiciaire, soit par un processus administratif de « tutelle légale » dans lequel une constatation d’incapacité faite par un évaluateur de la capacité entraîne une mise en tutelle d’une personne qui n’a pas encore de mandataire spécial, une tutelle qui sera exercée par le TCP. Une très grande majorité des tutelles en Ontario sont mises en place par le processus de tutelle légale.

Comme une constatation d’incapacité entraîne automatiquement la nomination du TCP comme tuteur dans les processus de tutelle légale en Ontario, il est très facile pour les personnes sans famille ou amis qui sont aptes ou disposés à agir en leur nom d’accéder aux services du TCP à titre de mandataire spécial. Selon la perspective dans laquelle on se place, cette facilité peut présenter un avantage ou un inconvénient. Pour les personnes qui ont vraiment besoin d’une telle aide, elle s’avère avantageuse. Par ailleurs, le processus peut décourager les membres de la famille d’assumer le rôle de tuteur. Ceux qui voudraient représenter cette personne doivent s’engager dans une démarche pour remplacer le TCP comme tuteur, une pratique en principe discutable selon plusieurs familles avec qui la CDO s’est entretenue. La CDO a également entendu l’avis de certaines personnes et de certains avocats en droit des fiducies et des successions voulant que le processus de requête pour remplacer le TCP puisse s’avérer long et déroutant. Le TCP peut ainsi se retrouver avec un nombre de cas plus élevé qu’il ne soit vraiment nécessaire ou approprié : il devient le tuteur de premier au lieu de dernier ressort dans de nombreux cas. Cette situation contredit l’hypothèse qui sous-tend le cadre législatif actuel de l’Ontario voulant que les personnes ayant des liens étroits avec la personne touchée soient les mieux placées pour exercer la prise de décision au nom d’autrui puisqu’elles sont capables d’encourager la personne concernée à prendre part à la décision et de tenir compte de ses valeurs, de ses préférences et de sa volonté.

Les projets de recommandation du présent chapitre visent à augmenter les possibilités d’éviter la tutelle et à en limiter l’étendue et la durée afin de préserver dans toute la mesure possible l’autonomie des personnes qui en font l’objet. Toutefois, de telles recommandations collent plutôt mal avec le processus de tutelle légale qui a été conçu dans un souci de simplicité administrative et qui repose sur une évaluation professionnelle des capacités fonctionnelles d’une personne, plutôt que sur une évaluation des besoins et des options à la lumière des services et des mesures de soutien disponibles. Des efforts considérables ont été consentis pour assurer la qualité professionnelle des évaluations de la capacité en vertu de la LPDNA. Toutefois, il n’est pas prévu que les évaluateurs de la capacité évaluent les options, une démarche qui s’avère plus appropriée à un mode décisionnel. Les réformes proposées dans le présent chapitre auront une portée limitée dans un système où 75 pour cent des tutelles sont le résultat d’un processus menant presque inéluctablement à une tutelle exercée par le TCP lorsqu’il y a une constatation d’incapacité. 

La CDO constate que beaucoup d’autres États ou provinces ont mis en place un processus de « tutelle légale » limitée, ou encore n’ont rien prévu à cet effet. Par exemple, dans le cadre de sa réforme de 2009, l’Alberta a mis fin à son processus analogue pour faire en sorte que ce soit les tribunaux qui statuent sur toutes les requêtes en tutelle[413]. Les questions liées à l’accessibilité du processus ont été abordées par le système des agents d’examen, détaillé au chapitre III. D de la partie Quatre du Document de travail, et par de nombreuses initiatives visant la conception de formules et d’informations en langage clair. Aux États-Unis, la Californie n’a pas mis en place de processus administratif pour créer des tutelles, mais il existe un système d’urgence par lequel le tuteur public doit présenter une requête en tutelle à la personne, aux biens ou aux deux lorsqu’une personne a besoin d’un tuteur, que personne n’est apte et disposé à agir dans son intérêt et que [traduction] « la santé ou la sécurité de la personne ou ses biens sont menacés de façon imminente[414] ». Ainsi, les avantages d’une tutelle légale peuvent être prévus dans un système décisionnel pour les nominations externes.

Comme les requêtes en tutelle entendues par les tribunaux coûtent généralement des milliers de dollars, même lorsqu’elles ne sont pas contestées, un système administratif pour les tutelles est peut-être inévitable. Toutefois, si les pouvoirs liés aux nominations externes sont transférés de la Cour supérieure de justice à une CCC élargie, comme le recommande la CDO au chapitre VIII, faisant en sorte que les demandes de nomination de tuteurs externes soient moins intimidantes et onéreuses, mais plus accessibles, l’étude de la question de la tutelle légale peut recommencer à neuf. De même, la constance et la capacité dont fait preuve la CCC pour prendre des décisions en temps opportun remettent en cause la nécessité d’une tutelle légale pour assurer une prise de décision rapide dans des situations d’urgence. Il pourrait s’avérer nécessaire de se pencher sur les mesures de soutien, aide juridique ou autre, qui seraient requises pour s’assurer que les personnes à faible revenu peuvent effectivement procéder à des nominations ou mettre fin à une tutelle s’il y a lieu.

De l’avis mûrement réfléchi de la CDO, un régime de tutelle qui posséderait les caractéristiques suivantes serait non seulement plus rigoureusement conforme aux principes des Cadres et de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, mais il rendrait aussi possible une meilleure allocation des ressources publiques limitées :

·       le TCP est véritablement un tuteur de dernier ressort, dans les paramètres détaillés au chapitre X;

·       un arbitre, plutôt que le TCP, détermine si un membre de la famille est apte à agir comme tuteur;

·       une ordonnance de tutelle peut être adaptée aux besoins de la personne n’ayant pas la capacité juridique et des mesures moins contraignantes sont prises en considération.

Les ressources qui sont allouées actuellement pour permettre au TCP d’agir comme tuteur temporaire ou à long terme pour des personnes qui disposent d’autres options appropriées, et d’évaluer des requêtes en remplacement, seraient mieux utilisées pour mettre en place un processus d’audience transparent et accessible pour les nominations de tuteurs externes par le système judiciaire.

Si le gouvernement adopte cette recommandation, il faudra se pencher sur les processus par lesquels le TCP serait nommé tuteur en dernier ressort. Actuellement, en dehors du processus de tutelle légale, le TCP peut être nommé seulement dans les circonstances suivantes :

·       il peut être nommé tuteur temporaire à la suite d’une enquête sur des « conséquences préjudiciables graves[415] »;

·       il peut être nommé tuteur aux biens ou à la personne lorsqu’une requête à cette fin est présentée au tribunal, accompagnée par le consentement écrit du TCP d’agir à ce titre, et qu’il n’y pas d’autres personnes qui soient aptes et disposées à remplir cette fonction[416].

Actuellement, il est plutôt rare que le TCP soit nommé de l’une ou l’autre de ces manières. En 2013-2014, le TCP agissait comme tuteur aux biens pour environ 10 800 personnes. Il a été nommé par le tribunal dans seulement 318 cas; tous les autres sont des cas de tutelle légale. Au cours du même exercice, le TCP agissait comme tuteur au soin auprès de 21 personnes, ayant été nommé par le tribunal dans tous ces cas. Les enquêtes du TCP sur des « conséquences préjudiciables graves » lui permettent de prendre connaissance de situations de maltraitance ou d’exploitation qui rendent son intervention nécessaire. Actuellement, dans des situations où les membres de la famille ne sont pas disponibles, ne sont pas disposés ou ne sont pas aptes à agir comme tuteur, une tutelle exercée par le TCP peut être établie en passant par une évaluation de la capacité qui mène à une tutelle légale. Si la tutelle légale est abolie, il n’est pas très évident comment des situations où personne n’est disponible pour agir comme tuteur seraient portées à l’attention du TCP. Le processus actuel découlant des articles 22 et 55 de la LPDNA comporte une procédure judiciaire par laquelle le TCP peut demander à être nommé tuteur, mais il pourrait s’avérer nécessaire d’instaurer une procédure administrative par laquelle les services du TCP comme tuteur de dernier ressort pourraient être demandés. Le TCP de l’Alberta a mis en place une telle procédure[417] et l’Ontario pourrait s’en inspirer et l’adapter à ses besoins.

Cette recommandation diminuerait le poids des examens de la capacité de gérer ses biens en vertu de la LSM ou des évaluations de la capacité en vertu de l’article 16 de la LPDNA qui concluent à l’incapacité juridique, du fait qu’ils serviraient à une requête en nomination de tuteur, comme c’est le cas actuellement pour les tutelles d’origine judiciaire, au lieu d’entraîner un changement de statut juridique. Pour s’assurer qu’une personne reconnue incapable en vertu de la LSM ne reste pas sous tutelle indéfiniment parce qu’il n’y a personne qui peut entreprendre la procédure pour y mettre fin, la CDO propose qu’un examen en vertu de la LSM qui conclut que la personne touchée a recouvré sa capacité juridique puisse être considéré comme une requête présumée auprès du tribunal. Il pourrait être nécessaire d’envisager d’habiliter la CCC à nommer le TCP comme tuteur temporaire dans des situations d’urgence lorsqu’une requête en tutelle est en cours de préparation.

Si le gouvernement décide de ne pas abolir la tutelle légale, des modifications pourraient être apportées pour permettre l’exploration de solutions de rechange avant la mise en place d’une telle tutelle. Toutefois, il faudrait bien évaluer ces modifications : le principal avantage de la tutelle légale réside dans sa simplicité et alourdir le processus avec des exigences additionnelles pourrait bien saper les fondements même de son existence. De plus, le fait d’exiger que le TCP prenne d’autres mesures avant d’assumer son rôle de tuteur légal pourrait contribuer à alourdir le fardeau sur cet organisme de façon disproportionnée à toute diminution de sa charge de travail. Voici des modèles mis en place dans d’autres États ou provinces qui pourraient être adaptés au contexte ontarien.

Conférer au TCP des pouvoirs de protéger les biens dans les cas d’urgence : La Californie n’a pas mis en place de processus de tutelle légale semblable : tous les tuteurs sont nommés par les tribunaux. Toutefois, elle a instauré un processus permettant au tuteur public d’intervenir pour protéger des biens dans des situations d’urgence et de chercher pendant ce temps un agent compétent ou un membre de la famille apte à les gérer. Le processus peut être déclenché par la signature d’une déclaration par deux agents de la paix affectés au tuteur public. Cette déclaration permet à ce dernier d’exercer sa discrétion et de prendre en charge ou de prendre possession immédiate des biens immobiliers et personnels de la personne touchée. Les agents de la paix peuvent émettre de telles déclarations lorsqu’ils ont des raisons de croire que la personne est manifestement incapable de gérer ses ressources financières ou d’échapper à la fraude ou à une influence indue, qu’ils ont consulté une personne qualifiée pour effectuer un examen mental et que cette dernière a des motifs raisonnables de croire qu’il y a un risque élevé que la personne touchée, en raison de son incapacité, perde une partie ou l’ensemble de ses biens, ou lorsque cette personne est victime d’un acte criminel. Ces déclarations ont une durée temporaire et elles peuvent être renouvelées. S’il n’est pas possible d’identifier un mandataire spécial compétent, le tuteur public doit présenter une requête en tutelle[418]. Un tel processus sous une autre forme pourrait être adapté aux besoins de l’Ontario pour permettre au TCP d’intervenir au besoin sans accepter le rôle de tuteur, créant ainsi une solution de rechange au régime de tutelle légale. 

Autoriser le tuteur public à retarder l’acceptation de son rôle de tuteur : La Saskatchewan a mis en place un processus analogue à la tutelle, mais le TCP ne devient pas automatiquement le tuteur aux biens lorsqu’un certificat d’incapacité est délivré. Plutôt que de jouer le rôle de tuteur aux biens, le TCP doit signer et marquer au sceau une confirmation pour agir[419]. Il doit signer la confirmation (i) s’il croit que les biens de l’adulte doivent être administrés et (ii) si personne n’a présenté de demande ou ne souhaite servir de tuteur aux biens. Le TCP peut aussi signer la confirmation si l’exploitation financière soulève de sérieuses préoccupations ou s’il y a un conflit entre les membres de la famille[420]. Laisser une certaine latitude au TCP pour décider du moment d’une mise en tutelle peut donner aux membres de la famille le temps de se proposer ou permettre l’exploration de solutions de rechange à la tutelle : il faudra, toutefois, que le TCP mette en place des processus additionnels pour exercer cette discrétion.
 

PROJET DE RECOMMANDATION 35.

a) Que le gouvernement ontarien abolisse le processus de tutelle légale que prévoient les articles 15 et 16 de la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui, et le remplace par des requêtes en nomination à la Commission du consentement et de la capacité.

b) Que cette mesure soit prise dans le but d’abolir définitivement la tutelle légale, conformément au principe de réalisation progressive.

 

3.     Durée limitée et examen obligatoire des nominations externes

L’article 12 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées exige explicitement que les mesures liées à la capacité juridique « s’appliquent pendant la période la plus brève possible et soient soumises à un contrôle périodique effectué par un organe compétent, indépendant et impartial ou une instance judiciaire », ce qui va dans le sens de la prise de décision au nom d’autrui comprise comme une atteinte sérieuse à l’autonomie de la personne et devant être utilisée uniquement lorsque c’est nécessaire.

La LPDNA autorise le tribunal à imposer des limites à la durée des tutelles à la personne ou aux biens, mais ne crée pas de préférence pour les tutelles de durée limitée et n’exige pas de contrôles réguliers. La Loi ne fait pas explicitement mention de limites à la durée des tutelles légales. Les tutelles temporaires découlant d’enquêtes sur des « conséquences préjudiciables graves » sont précisément limitées à 90 jours (bien que le tribunal ait le pouvoir d’en prolonger la durée, de la réduire ou d’y mettre fin).

La réévaluation de la capacité est liée au réexamen de la nomination d’un tuteur puisqu’une constatation de capacité recouvrée est au centre d’une contestation de tutelle. L’article 20.1 de la LPDNA dispose que le tuteur légal aux biens doit aider à planifier, à la demande de la personne incapable, une évaluation de sa capacité, mais des délais sont prévus pour empêcher qu’on y recoure trop souvent[421]. Notamment, la LPDNA ne comporte pas de dispositions ayant trait aux tuteurs nommés par le tribunal, peut-être parce que ces nominations font l’objet d’un examen plus approfondi et que le tribunal peut y imposer une durée limitée.

D’autres pays ont instauré des mesures plus rigoureuses pour l’examen des nominations de mandataires spéciaux externes. Dans l’État australien du Victoria, les ordonnances du tribunal civil et administratif du Victoria en matière de tutelles (soin de la personne ou questions financières) sont assujetties à une réévaluation périodique. En vertu de la loi, une réévaluation doit se faire dans les 12 mois qui suivent l’ordonnance rendue par le Tribunal et au moins une fois tous les trois ans après l’application d’une ordonnance, à moins que le Tribunal n’en décide autrement. Après une réévaluation, le Tribunal a le pouvoir de poursuivre, de révoquer, de modifier ou de remplacer l’ordonnance, selon ce qu’il juge pertinent de faire[422]. Dans la pratique, le Tribunal ordonne souvent une réévaluation des ordonnances de tutelle à la personne tous les 12 mois et des ordonnances administratives (biens), tous les trois ans. Le Tribunal a également le pouvoir de délivrer une ordonnance immédiatement exécutoire qui vient à échéance après une période ou un événement désigné, à moins qu’une requête en prolongation n’ait été présentée. Ces dernières sont plus courantes pour les tutelles à la personne que pour les ordonnances administratives[423].

L’Alberta a prévu des exigences un peu moins contraignantes en matière d’examen dans l’Adult Guardianship and Trusteeship Act : lorsque le tribunal nomme un tuteur (qui ne peut voir qu’au soin de la personne) ou un curateur (qui s’occupe des questions financières), si le rapport d’évaluation de la capacité a indiqué une possibilité d’amélioration de cette dernière, l’ordonnance doit comprendre une date pour la demande de réévaluation; si le rapport d’évaluation de la capacité n’indique pas d’amélioration possible, l’ordonnance peut comprendre une date de demande de réévaluation[424]. La Saskatchewan procède d’une manière quelque peu différente pour arriver à la même fin : lorsque le tribunal rend une ordonnance, il doit déterminer si sa réévaluation sera dans l’intérêt de l’adulte et, si c’est le cas, précisera le délai dans lequel elle doit être effectuée[425].

L’ARCH Disability Law Centre recommande que tous les arrangements de prise de décision au nom d’autrui, publics et privés, soient limités dans le temps et que des dispositions prévoient un examen et un éventuel renouvellement à l’expiration de la durée de la nomination[426].

[traduction] Il faudrait envisager la possibilité de limiter dans le temps tous les arrangements de prise de décision au nom d’autrui en Ontario. À l’échéance de son mandat, le mandataire spécial pourrait solliciter le renouvellement de l’arrangement, qui serait assujetti à un processus d’examen au cours duquel la situation de la personne « incapable » serait réexaminée. L’arrangement pourrait être modifié afin d’augmenter ou de diminuer les pouvoirs du mandataire, selon la situation de la personne « incapable ». Ce processus lui permettrait de contester son incapacité, de chercher à mettre fin à l’arrangement ou de soulever des préoccupations à propos de son mandataire. Si un tel processus d’examen devait être instauré, il faudrait déterminer à quel organisme revient la tâche de le surveiller et de l’administrer[427].

De plus, l’ARCH Disability Law Centre recommande d’informer toutes les personnes visées par un arrangement de prise de décision au nom d’autrui de leur droit à la réévaluation régulière de leur capacité et de l’existence de fonds publics pour les coûts de cette évaluation lorsque les intéressés n’en ont pas les moyens. Il recommande également que chaque fois que le tribunal ordonne un arrangement de prise de décision au nom d’autrui, il doive exiger que le mandataire spécial propose des évaluations de la capacité à intervalles réguliers[428].

[traduction] Dans le cadre d’une conception de la capacité juridique fondée sur les droits et les principes, la nécessité d’un mandataire spécial doit être assujettie à un examen régulier par une autorité ou un organisme public compétent, indépendant et impartial. C’est important pour s’assurer que des arrangements de prise de décision ne durent pas plus longtemps que nécessaire et que des personnes incapables ont la possibilité de réaffirmer leur droit à la capacité juridique. Par conséquent, sous le nouveau régime de la capacité juridique de l’Ontario, les personnes visées par un arrangement de prise de décision au nom d’autrui doivent être informées de leur droit à la réévaluation de leur capacité et de l’existence de fonds publics pour les personnes démunies. Lorsqu’un tribunal ordonne un arrangement de prise de décision au nom d’autrui, il doit exiger que le mandataire spécial propose des évaluations de la capacité à intervalles réguliers ou prenne les mesures nécessaires pour les obtenir[429].

De l’avis de la CDO, mettre davantage l’accent sur l’examen des nominations externes ferait en sorte que les lois de l’Ontario en la matière soient plus conformes, tant sur le plan théorique que pratique, aux principes des Cadres de la CDO, au langage de la Convention relative aux droits des personnes handicapées et aux valeurs sous-jacentes du régime législatif actuel.

Ayant évalué la proposition de l’ARCH Disability Law Centre, la CDO est d’avis que les facteurs à prendre en compte pour les procurations diffèrent de ceux pour les tutelles. Toutes les procurations relatives au soin de la personne et un grand nombre de procurations relatives aux biens sont légalement en vigueur seulement durant les périodes d’incapacité. Par conséquent, la réévaluation de la capacité est le mécanisme approprié pour examiner l’utilisation des procurations relatives au soin de la personne. De même, la nature privée de ces instruments n’est pas facilement compatible avec un processus d’examen public.

Il est possible d’accorder une plus grande importance à l’examen des nominations externes dans le système actuel. Toutefois, la mise en œuvre du projet de recommandation de la CDO, énoncé au chapitre VIII, qui vise à transférer la responsabilité de la nomination des tuteurs de la Cour supérieure de justice à une CCC élargie rendrait cette recommandation plus efficace parce qu’un examen serait accessible dans la pratique à un plus grand nombre de personnes.

La CDO estime qu’il ne serait pas pratique dans le contexte ontarien d’exiger un examen régulier de toutes les nominations de tuteur. Il y aurait un très grand nombre de cas et il est peu probable que l’on observerait un changement de situation qui justifierait une modification de la nomination dans beaucoup d’entre eux. 

La formule adoptée par l’Alberta voulant que les tribunaux se penchent sur la question de l’examen au moment de la nomination rend possible, de l’avis de la CDO, une utilisation plus pratique et plus judicieuse de ressources limitées. Toutefois, comme l’analyse porte essentiellement sur l’évolution de la capacité juridique, elle exclut la possibilité qu’une personne puisse néanmoins se doter de moyens de soutien ou, autrement, passer à une situation où la tutelle n’est plus nécessaire. C’est pourquoi la CDO préconise une façon un peu plus globale d’aborder l’examen qui soit plus conforme au libellé des dispositions de la LPDNA relatives aussi bien au besoin de prise de décision qu’aux « mesures les moins contraignantes ». 

Comme autre mesure, le tuteur pourrait être tenu de déposer régulièrement une déclaration sous serment indiquant qu’il ne s’est produit aucun changement dans la capacité juridique de la personne touchée, dans le besoin d’une prise de décision, ni dans la possibilité d’une mesure moins contraignante. Il devra ainsi prêter régulièrement attention à la situation de la personne sous tutelle. Cette exigence pourrait être assortie d’une obligation pour le tuteur d’aider cette personne à révoquer l’ordonnance s’il a des raisons de croire qu’elle a recouvré sa capacité juridique.

Outre l’exigence de déposer une déclaration sous serment, la CDO est d’avis que les tuteurs nommés par les tribunaux, tout comme les tuteurs légaux, devraient être tenus d’aider à prendre des arrangements pour la réévaluation de la capacité dans des délais raisonnables. Comme le tuteur contrôle les ressources de la personne touchée dans la plupart des cas, son aide concrète sera souvent indispensable pour obtenir une réévaluation. Sans cette aide, une tentative de recouvrer son indépendance demeurera infructueuse pour beaucoup de personnes.

PROJET DE RECOMMANDATION 36.            Que le gouvernement ontarien modifie la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui pour exiger que l’arbitre, en nommant un tuteur à la personne ou aux biens, détermine si la nomination doit :

a)     être limitée dans le temps,

b)     faire l’objet d’un examen à un moment déterminé,

c)      être assujettie à l’obligation que le tuteur remette par affidavit à toutes les parties, à des intervalles déterminés, une déclaration indiquant que la personne touchée n’a pas recouvré sa capacité légale, qu’il y a toujours des décisions à prendre et qu’il n’existe pas d’autres mesures moins contraignantes.

 

PROJET DE RECOMMANDATION 37.            Que le gouvernement ontarien modifie la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui pour exiger qu’un tuteur nommé par le tribunal aide la personne sous tutelle, à sa demande, à prendre des arrangements pour la réévaluation de sa capacité au maximum une fois tous les six mois. 

PROJET DE RECOMMANDATION 38.  
          Que le gouvernement ontarien modifie la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui pour exiger qu’un tuteur aide la personne sous tutelle à obtenir la révocation de l’ordonnance de tutelle s’il estime que celle-ci a recouvré sa capacité juridique.
 

4.     Possibilités et utilisation accrues des nominations à durée limitée

Tutelles partielles 

Comme on l’a vu ci-dessus, la conception de l’Ontario de la prise de décision est liée au domaine d’application. Une distinction claire est établie entre les décisions relatives aux biens et les décisions relatives au soin de la personne et, comme il a été dit précédemment, il y a une forte préférence législative pour les tutelles partielles dans le cas des tuteurs nommés par le tribunal. Lorsqu’il s’agit de la nomination de tuteurs aux biens, la LPDNA autorise les tribunaux à imposer les conditions qu’ils jugent appropriées, mais on ne retrouve pas le même libellé législatif clair préconisant le recours aux tutelles partielles pour les biens. Les lois ne parlent pas non plus précisément de la possibilité de tutelles partielles pour les tuteurs légaux aux biens.

Certaines provinces prévoient explicitement les tutelles partielles pour les questions liées aux biens. En Alberta, lorsque le tribunal a à juger de curatelle pour des questions de biens, il peut prévoir que l’ordonnance s’applique [traduction] « seulement aux biens ou aux questions financières précisées dans l’ordonnance[430] ». 

La Commission de réforme du droit du Victoria a recommandé des dispositions plus rigoureuses lors de son examen des lois sur la capacité et la tutelle dans cet État australien. Elle a recommandé l’établissement d’une liste non exhaustive des types de décisions portant sur des questions d’ordre personnel et financier. Elle a proposé notamment une liste très précise de questions financières, dont le versement de sommes à la personne pour les dépenses personnelles courantes, la réception et le recouvrement de sommes payables à la personne, la poursuite du commerce ou des affaires de la personne, l’exécution de contrats conclus par elle, des placements en son nom, des opérations immobilières en son nom, le retrait ou le dépôt de sommes dans son compte d’une institution financière et de nombreuses autres tâches[431]. Pour toute ordonnance de tutelle, le tribunal civil et administratif du Victoria stipulerait dans l’ordonnance les pouvoirs précis que le tuteur ou l’administrateur doit avoir ou, dans de rares circonstances, il préciserait que le tuteur a le pouvoir d’agir pour toutes les questions de la liste[432]. Autrement dit, la loi ordonnerait nommément au Tribunal de tenir compte des besoins très particuliers en matière de prise de décision de la personne en cause et d’indiquer que la pleine administration des questions relatives aux biens par le mandataire spécial devrait être l’exception et non pas la règle. 

Si les tutelles aux biens partielles sont jugées souhaitables, il faut tenir compte du fait qu’un nombre considérable de tutelles aux biens en Ontario sont créées au moyen de nominations légales qui ne se prêtent pas aisément à un mécanisme de tutelle partielle.

Il convient de souligner qu’en raison de la diversité des décisions qui peuvent relever de la gestion des biens, et des besoins qui changent souvent à mesure qu’une personne vieillit, il se peut que les tutelles partielles relatives aux biens comportent des lacunes inattendues et problématiques dans l’ordonnance de tutelle. Comme c’est le cas pour d’autres projets de recommandation, un processus judiciaire plus accessible pour les nominations rendrait cette recommandation plus facile à appliquer. En plus, les nominations pour les tutelles partielles relatives aux biens pourraient être assorties d’ordonnances d’examen, comme on l’a recommandé ci-dessus, afin de réduire les possibilités de lacunes problématiques. 

Dans son examen de la mise en œuvre des réformes des lois de la Saskatchewan sur les tutelles, le professeur Doug Surtees a constaté que, malgré les réformes visant à réduire l’utilisation excessive de la tutelle, la grande majorité des nominations concernent encore des ordonnances de tutelle générale ou des ordonnances de tutelle générale virtuelle (c’est-à-dire que les seuls pouvoirs qui ne sont pas conférés ne sont pas pertinents, comme le pouvoir de prendre des décisions relatives à l’emploi concernant une personne très âgée). Dans son analyse de cette tendance, Surtees a évoqué la possibilité de problèmes de mise en œuvre, notamment un manque de connaissance de la loi de la part des tribunaux et du Barreau, ou de problèmes liés au fait que les coûts de transaction associés au renouvellement des ordonnances créent des incitations à demander des ordonnances de tutelle générale[433]. Dans le deuxième cas, la mise en place d’un système judiciaire plus accessible pour les nominations pourrait dissuader les personnes de s’engager dans cette voie et faire en sorte que l’ordonnance de tutelle partielle devienne une option plus pratique pour beaucoup de familles.

La CDO estime que l’élargissement des possibilités de nomination à mandat limité est conforme aux valeurs sous-jacentes des lois sur la capacité juridique et la prise de décision et que, si le gouvernement adopte le projet de recommandation portant sur un tribunal administratif élargi, cela pourrait devenir une option plus pratique pour les nominations.

PROJET DE RECOMMANDATION 39.  
          Que le gouvernement ontarien modifie la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui afin de permettre aux arbitres de prononcer des nominations pour des tutelles aux biens partielles, dans les cas où une évaluation des besoins décisionnels indique que la tutelle partielle répondrait aux besoins de la personne touchée dans les délais fixés par l’ordonnance.
 

Décisions ponctuelles 

Dans certains pays, la cour ou le tribunal a le pouvoir de prendre une décision nécessaire précise au nom d’une personne, au lieu de nommer un mandataire spécial ou un accompagnateur. Par exemple, un projet de loi à l’étude actuellement au Parlement irlandais prévoit que si le tribunal a rendu une constatation d’incapacité et qu’une ordonnance de codécision ne convient pas, il a le pouvoir de prendre la ou les décisions nécessaires au nom de la personne [traduction] « lorsqu’il est convaincu que l’affaire est urgente ou qu’il serait autrement opportun d’agir de cette manière ». Le tribunal peut également nommer un représentant à la prise de décision pour une seule décision, s’il y a lieu[434].

Selon le régime ontarien, les décisions relatives à un traitement, à l’admission aux soins de longue durée et à des services d’aide personnelle pour les personnes incapables sont prises au cas par cas sans que soit nécessaire la nomination d’un mandataire spécial officiel à long terme. Par conséquent, le besoin de prendre une seule décision sera relativement rare. Toutefois, le projet de la CDO sur le régime enregistré d’épargne-invalidité (REEI) a permis d’illustrer comment une telle situation peut se produire. Le REEI a été créé par le gouvernement fédéral en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour aider les personnes handicapées à assurer leur sécurité financière à long terme. Lorsqu’une personne n’a pas la capacité juridique d’adhérer à un REEI, une personne légalement autorisée doit être nommée pour ce faire. Bien que les exigences et les conséquences de la nomination d’un tuteur aient été jugées disproportionnées par rapport à la nature de la décision à prendre, les adultes touchés pourraient aussi être incapables d’atteindre le seuil lié à la capacité de donner une procuration. Le Rapport final de la CDO sur le REEI a présenté des recommandations visant à créer un processus de nomination simplifié pour répondre à ce besoin particulier[435]. Toutefois, d’autres situations semblables se présentent, comme l’administration de fiducies, et il ne serait ni efficace ni utile d’envisager la mise au point de processus spéciaux pour chaque type de cas qui pourrait survenir. La CDO considère que des nominations en vue d’une décision unique ou d’une tutelle partielle relative aux biens pourraient s’avérer un moyen efficace pour certaines personnes qui se trouvent dans ce genre de situation, surtout lorsqu’elles sont associées à des processus de nomination plus accessibles, comme il a été recommandé au chapitre VIII. 

La CDO ne croit pas qu’il soit conforme avec la conception de la capacité juridique et de la prise de décision adoptée dans le cadre de ce projet d’habiliter un arbitre à prendre des décisions au nom d’autrui de la façon proposée dans le projet de loi irlandais. Toutefois, nous constatons que la LCSS prévoit actuellement un processus habilitant la CCC à nommer un représentant qui pourra prendre une décision en vertu de cette loi[436]. La CDO est d’avis que l’élargissement de ce pouvoir pour y inclure des questions liées à la gestion des biens ou au soin de la personne rendrait le système plus souple et permettrait de faire face à des situations où les besoins de prise de décision officielle sont relativement rares et où une tutelle même partielle réduirait sans raison valable l’autonomie de la personne touchée. Comme c’est le cas des représentants en vertu de la LCSS, n’importe qui pourrait présenter une requête, y compris le TCP en dernier ressort.

Tout comme les projets de recommandation concernant les examens et les tutelles partielles relatives aux biens, la présente recommandation est valable dans le système judiciaire actuel, mais elle aura probablement une incidence beaucoup plus grande si la prise de décision en vertu de la LPDNA est confiée à une instance plus accessible.
 

PROJET DE RECOMMANDATION 40.            Que le gouvernement ontarien modifie la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui afin de permettre à l’arbitre de nommer un représentant pour prendre une décision ponctuelle relative aux biens ou au soin de la personne.

 

G.   Résumé

Dans le présent chapitre, la CDO recommande plusieurs mesures relatives à la nomination de tuteurs qui visent à réduire la portée et l’utilisation de la tutelle et à mieux adapter cette fonction hautement intrusive, mais parfois nécessaire, aux situations où elle s’avère réellement nécessaire. La tutelle doit s’appliquer non seulement lorsqu’une personne a une limitation fonctionnelle, mais aussi lorsque cette limitation, dans la situation de cette personne, rend nécessaire la prise de décision au nom d’autrui pour que des décisions requises soient prises de manière à produire un effet juridique, et lorsque la personne n’a pas donné de procuration. Ces projets de recommandation visent à faire en sorte que les tutelles soient plus étroitement liées aux besoins et à la situation de chaque personne. Les projets de recommandation de la CDO requièrent une réaffectation de ressources, mais, de l’avis de la CDO, cela entraînera dans l’ensemble une utilisation plus efficace de ressources limitées. Certains projets de recommandation, comme l’abolition de la tutelle légale, ne pourraient s’appliquer que dans le contexte d’un système décisionnel beaucoup plus accessible, comme le recommande le chapitre VIII, alors que d’autres pourraient être mis en œuvre dans le système actuel, mais seraient plus efficaces s’ils sont assortis de réformes des processus décisionnels.

En résumé, la CDO recommande :

·       que les arbitres qui envisagent la nomination d’un tuteur pour les questions liées aux biens ou au soin de la personne soient habilités à demander l’établissement d’un rapport sur la situation de la personne en cause, notamment sur la nature de ses besoins en matière de prise de décision, sur les mesures de soutien dont elle dispose déjà et sur celles dont elle pourrait disposer et qui élimineraient la nécessité d’une tutelle. Parmi les organismes qui seraient aptes à préparer de tels rapports, mentionnons le TCP, le Programme de protection des adultes et les Services de développement;

·       que le processus de tutelle légale que prévoient les articles 15 et 16 de la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui soit aboli graduellement et remplacé par des requêtes en nomination à la CCC; 

·       que la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui soit modifiée pour exiger que les arbitres examinent, au moment de la nomination d’un tuteur, si l’ordonnance doit être limitée dans le temps ou faire l’objet d’un examen à un moment donné, et pour exiger qu’un tuteur soit tenu explicitement d’aider la personne touchée à obtenir une révocation de l’ordonnance de tutelle s’il a des raisons de croire qu’elle a recouvré sa capacité juridique;

·       que la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui soit modifiée pour habiliter les arbitres à faire des nominations pour des tutelles aux biens limitées;

·       que la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui soit modifiée pour habiliter les arbitres à nommer un représentant pour la prise de décisions ponctuelles relatives aux biens ou au soin de la personne.

 

Précédent Prochaine
Première page Dernière page
Table des matières