CONTEXTE

La Commission du droit de l’Ontario (CDO) a entrepris le projet d’examiner le cadre législatif ontarien pour la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle, en vue de formuler des recommandations de réforme des lois, des orientations et des méthodes dans ces domaines. Le projet se fonde sur deux projets que la CDO a terminés : le Cadre du droit touchant les personnes âgées et le Cadre du droit touchant les personnes handicapées. Il est également lié au projet que la CDO a récemment terminé sur la capacité et la représentation aux fins du REEI fédéral. 

Pendant le déroulement de ces projets, de vives inquiétudes ont été exprimées à la CDO à propos du mode de fonctionnement pratique de la législation du domaine, et de son incidence sur l’autonomie, la sécurité, la dignité des personnes âgées et des personnes handicapées et sur leur inclusion. On applique dans le projet les Cadres de la CDO à cette législation. C’est-à-dire que selon une analyse fondée sur des principes, on y vise l’objectif ultime de parvenir à l’égalité réelle des personnes âgées et des personnes handicapées, en prêtant une attention particulière à la spécificité des besoins et des situations des personnes directement touchées par ce domaine du droit.

Le projet est axé sur le cadre législatif central de la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui (LPDNA), de la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé (LCSS), et de la partie III de la Loi sur la santé mentale (LSM) qui portent sur l’examen de la capacité à gérer ses biens. Il ne vise pas la common law, ni d’autres lois portant sur des questions de capacité et de consentement, ni les dispositions générales de la LSM. Dans ce cadre, il vise les grandes questions suivantes :

1.     la norme concernant la capacité juridique, dont les critères de détermination de la capacité et les divers moyens et mécanismes que prévoient à cette fin la LPDNA, la LCSS et la LSM;

2.     les modèles décisionnels, y compris examiner si d’autres modes décisionnels pouvant remplacer la prise de décision au nom d’autrui, notamment la prise de décision assistée et la codécision, sont souhaitables et quelles seraient leurs répercussions pratiques;

3.     les procédures de nomination (celle du mandataire spécial par exemple), par la personne ou par procédure publique, en s’attachant à l’utilisation appropriée et à l’amélioration de l’efficacité et de l’accessibilité;

4.     les attributions des tuteurs et autres mandataires spéciaux, dont des possibilités de formes de tutelle plus limitées et l’étude des options pour les personnes n’ayant pas de famille ou d’amis pour les aider;

5.     la surveillance, la responsabilité et la prévention des abus vis-à-vis des mandataires spéciaux ou des accompagnateurs, quel que soit le mode de leur nomination, ainsi que des abus par des prestataires de services tiers, y compris les mécanismes pour accroître la transparence, repérer les possibilités d’abus et garantir le respect des exigences de la loi;

6.     le règlement des différends, y compris les réformes afin d’accroître l’accessibilité et l’efficacité des mécanismes en vigueur.

Le présent Rapport préliminaire constitue l’avant-dernière étape du projet. Il expose, à des fins de commentaire, le projet d’analyse des questions par la CDO et des recommandations de réforme des lois, des orientations et des méthodes. Il sera largement diffusé, et les réponses reçues seront prises en compte pour la préparation du Rapport final.

Les projets d’analyse et de recommandation du présent rapport sont fondés sur des recherches intensives, notamment sur la commande de plusieurs documents spécialisés sur des sujets divers. La CDO a en outre mené de vastes consultations, au stade préliminaire et aussi après la publication d’un document de travail exhaustif au cours de l’été 2014. La CDO a écouté une grande diversité d’intervenants professionnels et institutionnels, ainsi que des personnes directement touchées par la législation et des membres de leur famille. La CDO a de plus bénéficié des connaissances de l’infatigable groupe consultatif du projet, pendant toute la durée de celui-ci.

Les recommandations de réforme des lois, des orientations et des méthodes que propose la CDO se classent en six grands thèmes :

1.     améliorer l’accès à la loi;

2.     favoriser la compréhension de la législation;

3.     renforcer la protection des droits sous le régime de la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé;

4.     réduire les interventions impropres;

5.     accroître la responsabilité et la transparence pour la nomination personnelle;

6.     élargir les possibilités d’option de prise de décision au nom d’autrui.

Chacun de ces thèmes est abordé séparément ci-après.

CONTEXTES ET DIFFICULTÉS DE LA RÉFORME

Même si la législation sur la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle ne vise pas des catégories précises de personnes, quelques-unes sont plus susceptibles d’être déclarées ou présumées légalement incapables, notamment les personnes atteintes de déficiences intellectuelles, neurologiques, mentales ou cognitives. On ne saurait trop insister sur la diversité des personnes que touche directement la législation. Des différences dans la nature de la dégradation des facultés décisionnelles peuvent influer profondément sur les besoins, de sorte que les besoins juridiques de la personne dont la déficience est épisodique seront très différents de ceux de la personne dont les capacités sont stables ou en déclin. Le stade de la vie au cours duquel surgissent les besoins d’aide a des conséquences considérables pour la nature et le degré des soutiens sociaux et économiques à disposition. De nombreux autres facteurs –  genre, culture, structure familiale, situation géographique – vont influer sur la façon dont la législation est appréhendée.

L’actuel régime législatif ontarien concernant la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle est issu des formidables travaux de réforme menés à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Trois actions distinctes de réforme du droit menées alors – le Comité sur l’enquête sur la capacité mentale, le Comité consultatif sur la substitution des pouvoirs décisionnels des personnes frappées d’incapacité mentale, l’Examen des mesures d’intervention en faveur des adultes vulnérables – influencent profondément la législation ontarienne en vigueur. Le cadre législatif ontarien de la capacité juridique, de la prise de décision et de la tutelle qui en a découlé est vaste, complexe et empli de subtilités. Les valeurs qui le sous-tendent, la protection contre les interventions inutiles et la liberté de choisir pour soi-même, sont toujours considérées comme le fondement approprié de ce domaine du droit.

Il est avéré toutefois que la mise en application de ces lois a suscité des problèmes majeurs, du fait par exemple de la confusion qui règne dans les systèmes complexes, de l’ignorance et de la mauvaise compréhension de la législation, des insuffisances des processus pour régler les différends et faire valoir ses droits, ou des mécanismes de surveillance et de contrôle inappropriés pour le mandataire spécial.

La conception de la réforme de ce domaine du droit doit être sensible à ce contexte en évolution, notamment aux facteurs suivants :

1.     les tendances et les pressions démographiques et sociales : vieillissement de la population ontarienne, changements des structures familiales, augmentation de la diversité culturelle et linguistique notamment;

2.     le contexte familial, y compris le débat permanent sur les rôles qui conviennent pour les familles et pour les autorités, la pression croissante sur les soins que donnent les familles et les difficultés liées au fait d’aider une autre personne avec ses besoins décisionnels;

3.     l’isolement social et la marginalisation touchent souvent les personnes directement visées par ces lois et peuvent accroître la vulnérabilité à l’exploitation tout en diminuant les possibilités d’aide à la prise de décision;

4.     la tendance à la formalisation de la prestation des services sociaux et financiers peut rendre insoutenables les arrangements moins formels qui ont fréquemment permis aux familles de fonctionner jusqu’à présent;

5.     la prestation des services sociaux, sanitaires et financiers est inextricablement liée à la façon dont surgissent et se règlent les problèmes relatifs à la capacité juridique et à la prise de décision.
 

THÈME 1 : AMÉLIORER L’ACCÈS À LA LOI

Tout au long du projet, l’accès à la loi, notamment en ce qui concerne les processus de règlement des différends en vertu de la LPDNA, a figuré parmi les sujets ayant suscité le plus de préoccupations. Même si les activités de la Commission du consentement et de la capacité (CCC) à propos de la LCSS suscitent des inquiétudes, on considère qu’elle est dans l’ensemble le forum qui convient pour traiter ces questions et rendre dans les délais des décisions relativement accessibles.

L’accès efficace à la loi influe sur tous les autres aspects du régime législatif de la capacité juridique, de la prise de décision et de la tutelle. Le manque d’accessibilité peut inciter des familles à entreprendre des démarches sans caractère officiel plus risquées pour résoudre leurs problèmes ou à mettre en œuvre des solutions improvisées qui ne sont pas conformes à l’intention du législateur. Il peut aussi amener à renoncer à faire respecter ses droits, ou encore porter les parties ayant un meilleur accès aux ressources nécessaires pour s’y retrouver dans les méandres administratifs à utiliser le système à mauvais escient à leurs propres fins. 

En particulier, le régime décisionnel judiciaire que prévoit la LPDNA fait l’objet de critiques – sa complexité, sa difficulté d’utilisation, sa capacité limitée pour adapter ses processus aux besoins spécialisés des personnes visées par la législation du domaine, et du fait de son inaccessibilité relative, le fait de ne pas avoir la souplesse nécessaire pour faire face à la nature fluctuante ou évolutive de la capacité juridique. En outre, la plupart des conflits dans ce domaine du droit ont lieu entre des parties qui ont eu des relations permanentes et qui peuvent toujours les avoir : plusieurs participants aux consultations de la CDO souhaitent que l’on puisse recourir davantage à des procédures moins accusatoires quand le contexte s’y prête.

La CDO a examiné plusieurs possibilités en vue d’améliorer l’accessibilité à la loi en vertu de la LPDNA, notamment l’élargissement du mandat d’enquête du tuteur et curateur public, la création d’un tribunal spécialisé et la prestation de services d’intervention et d’orientation élargis aux personnes directement touchées par la législation.

La CDO propose les réformes suivantes pour améliorer l’accès à la loi :

1.     transférer à la CCC, réformée et élargie, les compétences pour ce qui relève de la LPDNA;

2.     conférer des pouvoirs supplémentaires à la CCC, lui permettant notamment de donner des directives à propos des souhaits de la personne visée et de se prononcer sur le respect par le mandataire spécial des obligations prévues par la LPDNA;

3.     renforcer les soutiens actuellement assurés par « les avocats nommés en vertu de l’article 3 » et par Aide juridique Ontario auprès des personnes touchées par ce domaine du droit;

4.     explorer les possibilités de programmes de médiation spécialisé;

5.     explorer la possibilité que le tuteur et curateur public puisse, à la suite d’une enquête qui ne justifie pas la présentation d’une requête en tutelle temporaire, adresser un rapport écrit à la CCC pour que celle-ci prenne les mesures qui s’imposent.

 

THÈME 2 : FAVORISER LA COMPRÉHENSION DE LA LÉGISLATION

Il ne fait aucun doute pour la CDO, d’après ses propres recherches, d’après les consultations et d’après les inquiétudes exprimées par des intervenants majeurs, que l’ignorance et l’interprétation erronée de la législation du domaine sont très répandues et qu’elles contribuent pour beaucoup aux lacunes de la mise en application. Cette interprétation erronée n’est pas le seul apanage des personnes directement touchées, qui font face à de nombreux obstacles pour se renseigner sur les droits que leur confère la législation, elle concerne aussi les personnes qui exercent des responsabilités – mandataires spéciaux, prestataires de services, spécialistes qui dispensent des services aux personnes directement touchées ou qui évaluent la capacité juridique.

Extrêmement complexe et diversifiée, la législation du domaine reflète la nature des enjeux et la diversité des personnes touchées : il ne faut pas se surprendre qu’il y ait des malentendus, mais étant donné les droits fondamentaux qui sont en jeu, les conséquences de l’ignorance ou de l’interprétation erronée peuvent être graves.

De nombreuses organisations renseignent sur les divers aspects de la législation ontarienne concernant la capacité juridique et la prise de décision – Secrétariat aux affaires des personnes âgées de l’Ontario, tuteur et curateur public, Commission du consentement et de la capacité, cliniques juridiques telles que l’Advocacy Centre for the Elderly et ARCH Disability Law Centre, etc… Il n’existe toutefois aucune source centrale, qui fasse autorité. Des organisations produisent et fournissent des renseignements qui sont pertinents par rapport à leur propre mandat et aux besoins des groupes qu’elles desservent. Les personnes qui cherchent à se renseigner ne savent pas exactement où aller, ou si les renseignements qu’elles trouvent sont exacts ou adaptés à leurs besoins : ainsi, beaucoup font des interprétations erronées en se basant sur la législation d’autres administrations. Il n’existe aucune orientation stratégique générale pour l’élaboration et la diffusion des renseignements, de sorte que peut-être, le travail est fait en double ou que les besoins de quelques groupes sont ignorés. Il n’existe aucun moyen proactif obligatoire pour informer les mandataires spéciaux de leurs attributions : sauf à prendre eux-mêmes l’initiative de se renseigner dans la législation, ils sont peu susceptibles de connaître toutes leurs obligations ou d’avoir accès à des conseils pour s’acquitter de leurs lourdes responsabilités.

Les recommandations que propose la CDO visent à employer plus efficacement les ressources et les connaissances existantes, et pour ce, à favoriser l’accessibilité et la fiabilité des renseignements accessibles, à soutenir l’élaboration des ressources en collaboration et à accroître la coordination de la vulgarisation et de l’information.

La CDO propose les réformes suivantes pour favoriser la compréhension de la législation :

1.     établir un mandat, clairement conféré par la loi, pour la coordination et l’élaboration stratégique de la vulgarisation et de l’information;

2.     établir un centre central d’informations, à l’intention des mandataires spéciaux et des personnes directement touchées par la législation;

3.     garantir qu’en vertu de la LCSS, les mandataires spéciaux et les personnes directement touchées soient davantage renseignées;

4.     conférer aux arbitres le pouvoir d’exiger que les mandataires spéciaux obtiennent de la formation;

5.     renforcer à cet égard la fonction de formation et de vulgarisation des établissements de formation professionnelle et celui des ordres de réglementation des professions de la santé, dans le cadre de leurs actions d’assurance de la qualité;

6.     préciser la législation là où subsistent des zones de confusion;

 

THÈME 3 : RENFORCER LA PROTECTION DES DROITS SOUS LE RÉGIME DE LA LOI DE 1996 SUR LE CONSENTEMENT AUX SOINS DE SANTÉ

Les commentateurs estiment pour la plupart que les dispositions de la LCSS qui régissent la capacité juridique et la prise de décision pour le traitement, l’admission à des soins de longue durée et les services d’aide personnelle globalement équilibrent bien des besoins divergents – protéger l’autonomie, proposer des moyens efficaces pour décider rapidement; en même temps, on s’inquiète sérieusement qu’en pratique, de nombreux aspects de la LCSS ne sont pas appliqués comme prévu, et que de ce fait, il est porté atteinte aux droits.

La capacité est évaluée sous le régime de la LCSS par le spécialiste traitant, pour les décisions relatives au traitement, ou bien elle est appréciée, pour l’admission à des soins de longue durée ou les services d’aide personnelle. Dans ni l’un ni l’autre de ces cas, il n’existe de lignes directrices, de procédures ou d’outils normalisés à l’intention des évaluateurs ou des appréciateurs : pour ceux-ci, des organismes comme les centres d’accès aux soins communautaires ont élaboré du matériel, mais il est difficile de savoir si son usage est répandu; ce sont les ordres de réglementation des professions de la santé qui s’occupent des décisions relatives au traitement, mais les conseils et la formation qu’ils dispensent varient considérablement en quantité et en contenu. Il en résulte que la qualité des évaluations menées sous le régime de la LCSS varie énormément. Les appréciateurs pour le traitement ne comprennent peut-être pas par exemple que la capacité juridique est propre au moment et au domaine, c’est-à-dire que l’intéressé peut prendre tout seul une décision donnée mais pas une autre, ou bien à un moment donné, il peut décider, mais pas à un autre. Il en résulte que des personnes peuvent être privées de leur droit de décider par elles-mêmes.

Des problèmes du même ordre surgissent à propos des « renseignements sur les droits » à fournir en cas de constatation d’incapacité juridique. En vertu de la LSM, le conseiller en matière de droits, qui est un spécialiste indépendant, fournit en cas de constatation d’incapacité des renseignements et de l’aide sur les conséquences de cette constatation et sur les options dont peut disposer l’intéressé. En vertu de la LCSS, cette responsabilité incombe au spécialiste qui a prononcé l’incapacité. On a fait part à la CDO d’insuffisances systémiques fréquentes pour communiquer les renseignements sur les droits, de sorte que les personnes dont l’incapacité juridique a été constatée peuvent ne pas avoir réellement accès aux garanties que prévoit la LCSS en matière de procédure.

La CDO propose les réformes suivantes pour renforcer la mise en application de la LCSS :

1.     établir des lignes directrices officielles pour l’évaluation de la capacité sur le fondement de la LCSS;

2.     élaborer des normes minimales, qui soient prévues par la loi, pour les renseignements sur les droits à fournir en vertu de la LCSS;

3.     réfléchir à des moyens pour que des spécialistes indépendants communiquent de façon ciblée des renseignements sur les droits;

4.     s’inspirer des établissements et des mécanismes de surveillance et d’assurance de la qualité qui existent pour accroître le contrôle de la mise en application de ces dispositions et améliorer la qualité;

5.     contrôler et évaluer ces actions, afin de prendre au besoin des mesures de plus grande portée;

THÈME 4 : RÉDUIRE LES INTERVENTIONS IMPROPRES

Le Comité consultatif sur la substitution des pouvoirs décisionnels des personnes frappées d’incapacité mentale a proposé dans son rapport marquant (souvent appelé « rapport Fram ») que la liberté de choisir pour soi-même, la protection contre les interventions inutiles et la vie dans la collectivité grâce à l’accès à des mesures de soutien soient les valeurs qui sous-tendent ce domaine du droit. Elles sont toujours largement acceptées; on s’inquiète malgré tout qu’en dépit des nombreux éléments positifs du cadre législatif en vigueur, il y ait toujours des interventions inutiles et que la liberté de choisir pour soi-même demeure indûment limitée.

Quelques préoccupations ont trait à la mise en application de la législation, notamment à l’exercice indu de leurs pouvoirs par les mandataires spéciaux, à l’application erronée du critère de détermination de la capacité juridique et aux mécanismes de nomination sans souplesse. Selon d’autres points de vue, des éléments fondamentaux de la législation, surtout le recours au critère fonctionnel et cognitif de détermination de la capacité juridique en tant que seuil de la prise de décision indépendante, et le recours à la prise de décision au nom d’autrui plutôt qu’à la prise de décision accompagnée, nuisent indûment à l’autonomie des personnes handicapées, et sont à réexaminer.

La notion de capacité juridique qui prévaut en Ontario est complexe et souvent difficile à appliquer. Il a été proposé plutôt, et surtout dans l’Observation générale pour l’article 12 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, de refondre entièrement ce domaine du droit, de sorte que la capacité juridique, qui comprend à la fois la capacité de détenir des droits et celle d’agir, soit entendue comme un attribut universel inhérent à toutes les personnes du fait de leur humanité, que toutes reçoivent les soutiens dont elles ont besoin pour exercer leur capacité juridique, que les nominations ne puissent se faire contre la volonté des intéressés, et que toutes les formes de prise de décision au nom d’autrui soient supprimées et activement combattues.

Ce domaine du droit soulève des enjeux philosophiques, éthiques et pratiques profonds et difficiles. L’autonomie peut s’entendre de multiples façons, et quelle que soit la conception que l’on en a, elle connaît des limites, qui sont d’ordre pratique ou bien tributaires d’autres valeurs ou des grands besoins des sociétés. Il convient de prendre en compte, outre la valeur qui consiste à favoriser l’autonomie, la bonne attribution de la responsabilité juridique pour la prise de décision : ce qui soulève des questions non seulement d’abus, d’exploitation et d’influence indue, mais aussi de l’équité fondamentale d’attribuer la seule responsabilité juridique d’une décision à quelqu’un qui n’en comprenait pas les conséquences. Il faut aussi tenir compte des besoins légitimes des personnes qui s’occupent d’autres personnes, dont la capacité décisionnelle est diminuée, ou qui concluent des contrats avec elles : la prise de décision comprend certes la liberté de choisir pour soi-même, mais elle comprend aussi la clarté, la certitude et la responsabilité de nos ententes avec les autres.

La CDO propose plusieurs recommandations visant à favoriser et à protéger davantage l’autonomie et la liberté de choisir pour soi-même des personnes directement touchées par la législation, tout en tenant compte d’autres valeurs et des besoins légitimes des autres parties.

La CDO propose les réformes suivantes pour réduire les interventions impropres :

1.     conserver la conception fonctionnelle et cognitive actuelle de la capacité juridique, mais en insistant clairement sur le concept d’accommodement, lié aux droits de la personne, à la fois pour l’évaluation de la capacité juridique et pour la prestation de services;

2.     renforcer la législation, de façon à diminuer le nombre des évaluations impropres ou inutiles de la capacité;

3.     préciser dans la législation les exigences de la prise de décision au nom d’autrui, de façon à garantir que soient privilégiés les souhaits qui étaient ceux de la personne au nom de qui sont prises les décisions quand elle était capable, ou bien ses valeurs et souhaits actuels;

4.     codifier dans la législation un régime d’autorisation d’accompagnement, permettant la nomination de tiers en qui on a confiance pour se faire aider dans les décisions ordinaires relatives aux soins à la personne et aux biens;

5.     que le gouvernement réfléchisse à la possibilité d’un cadre législatif de la prise de décision en réseau, ce qui permettrait à des réseaux établis officiellement de plusieurs personnes, qui ne sont pas forcément de la famille de personnes susceptibles de ne pas satisfaire au critère de détermination de la capacité juridique, de faciliter la prise de décision pour celles-ci;

6.     accroître les possibilités de soustraire des personnes à la tutelle, en éliminant progressivement la tutelle légale et en favorisant les dispositions de la LPDNA sur la recherche de solutions moins contraignantes;

7.     élargir les possibilités de tutelle plus limitée, dont la nomination à durée déterminée, la nomination partielle et la nomination pour des décisions uniques;

8.     accroître les possibilités de contrôle des tutelles qui ne sont plus nécessaires.

THÈME 5 : ACCROÎTRE LA TRANSPARENCE ET LA RESPONSABILITÉ POUR LES NOMINATIONS PERSONNELLES

La procuration est un instrument très apprécié, car elle permet à la personne de choisir elle-même qui au besoin décidera pour elle, et d’établir des instructions ou des restrictions adaptées au mandataire. Du fait toutefois de la souplesse et de l’accessibilité qui font son intérêt et son utilité, la procuration peut aussi être susceptible d’abus.  On a d’ailleurs fait part à la CDO de grandes inquiétudes à l’égard d’abus de la procuration.

La procuration suppose que le mandant puisse examiner les représentants possibles pour s’assurer qu’ils peuvent s’acquitter des fonctions de la qualité, qu’ils sont disposés à le faire et qu’ils ont les qualités voulues. Les procureurs, notamment les membres de la famille, peuvent accepter la fonction par sens du devoir sans avoir la moindre idée de l’ampleur ou de la nature des obligations qu’elle entraîne. Comme la loi ontarienne sur la procuration vise à la rendre largement accessible, il existe relativement peu d’obstacles pratiques ou de procédure à sa création. Le risque qui en découle est que le mandant ne comprenne peut-être pas à fond les conséquences possibles de son geste et s’expose à des abus, à de la négligence ou de l’exploitation de la part de son procureur. En outre, comme il s’agit d’une nomination personnelle, cet excellent instrument qu’est la procuration se prête fort peu à un examen minutieux, si bien qu’il peut être difficile de déceler les utilisations abusives. Qui plus est, les lacunes de la mémoire, de la capacité de recevoir ou d’évaluer les renseignements ou encore de jauger les intentions d’autrui, lacunes qui déclenchent l’application des dispositions sur la prise de décision au nom d’autrui, compliquent aussi la tâche du mandant lorsqu’il s’agit de surveiller les activités de celle ou de celui qui agit en vertu d’une nomination personnelle, de déceler les comportements inacceptables ou abusifs, ou de demander de l’aide à ce sujet. 

Pour proposer des recommandations visant à dissiper les inquiétudes sur l’utilisation abusive des nominations personnelles, la CDO a voulu maintenir l’accès raisonnablement simple et peu coûteux à ces outils, en favoriser la compréhension par les mandants et par les procureurs, et accroître la transparence et la responsabilité vis-à-vis de leur utilisation. Les ressources étant limitées à tous les niveaux, la CDO a privilégié les réformes qui ne sont pas indûment complexes, lourdes ou coûteuses pour l’État, les personnes et les familles.

La CDO propose les réformes suivantes pour accroître la responsabilité et la transparence pour les nominations personnelles : 

1.     obliger la personne qui accepte d’être nommée mandataire spécial aux termes de la LPDNA, à signer, avant d’agir en vertu de la nomination, une déclaration d’engagement qui précise les responsabilités que lui fixe la loi, les conséquences du non-respect de ces responsabilités, et son acceptation de celles-ci et des conséquences qui les accompagnent;

2.     obliger le procureur, au moment où il commence à exercer un pouvoir en vertu d’une procuration, à remettra une « déclaration de prise de fonction » aux personnes désignées dans la procuration, sauf si le mandant a éliminé les dispositions relatives à cette déclaration;

3.     créer dans la LPDNA la fonction de « surveillant »; celui-ci aurait le pouvoir d’examiner les dossiers, de rendre visite à la personne l’ayant nommé et de s’entretenir avec elle, ainsi que la responsabilité de déployer des efforts raisonnables pour s’assurer du respect des responsabilités que prévoit la loi : cette fonction serait facultative pour la procuration, mais obligatoire pour l’autorisation d’accompagnement;

 

THÈME 6 : ÉLARGIR LES POSSIBILITÉS D’OPTION DE PRISE DE DÉCISION AU NOM D’AUTRUI

Les mandataires spéciaux qui agissent actuellement sous le régime du droit ontarien sont en grande majorité de la famille des personnes aidées ou de leurs amis proches. Il s’agit rarement de professions libérales (avocats), d’organisations (fiducie) ou du TCP. Du fait des changements démographiques et de la structure familiale, de plus en plus de personnes n’ont plus de famille ou d’amis proches disposés à agir et en mesure de le faire : selon les chiffres, cette tendance va probablement continuer à augmenter. Par ailleurs, en raison des défis et des difficultés de la fonction de mandataire spécial, le fait, pour quelques Ontariens, de faire leur choix parmi leur famille ou leurs amis revient à choisir « l’option la moins pire », l’absence d’aptitudes nécessaires ou la dynamique familiale ne leur laissant aucun choix valable. Enfin, selon le régime actuel de la tutelle légale, la première solution, plutôt que la dernière, est souvent le TCP de l’Ontario; quelques familles ont critiqué ce régime, qui ne fait peut-être pas l’usage le plus efficace des connaissances et des ressources du TCP.

La CDO a proposé les objectifs suivants dans ce domaine : garantir que toutes les personnes juridiquement incapables ayant besoin qu’un mandataire spécial prenne des décisions nécessaires aient réellement accès à de l’assistance, pouvoir disposer de diverses options avec des garanties appropriées, notamment des options plus diversifiées au-delà de la famille, pour répondre aux divers besoins des personnes juridiquement incapables ou susceptibles de le devenir, cibler de façon plus efficace la fonction primordiale de TCP.

La CDO propose les réformes suivantes pour élargir les possibilités d’option de prise de décision au nom d’autrui :

1.     modifier la LCSS de façon qu’une ou des personnes en particulier puissent être interdites de nomination en vertu de la liste prévue dans cette loi;

2.     que le gouvernement réfléchisse s’il serait faisable d’établir un régime d’autorisation d’exercer et de réglementation pour les représentants décisionnaires professionnels, afin de proposer des options fiables plus diversifiées aux personnes qui préfèrent des services de mandataire spécial professionnels spécialisés et qui ont les moyens de les payer, sous réserve de prévoir des garanties et des mesures de surveillance appropriées;

3.     que le gouvernement réfléchisse à la possibilité d’autoriser des organismes communautaires à exercer un plus grand rôle pour la prise de décisions quotidiennes à faibles répercussions, ici encore avec des critères et des mesures de surveillance appropriés;

4.     axer la fonction du TCP sur la prestation de services spécialisés pour les personnes dont la situation ne peut être correctement traitée par d’autres options, en raison de leur isolement social ou de la dynamique familiale, ou bien parce que leurs besoins sont si délicats qu’il y faut les connaissances et le professionnalisme du TCP : ceci nécessitera la mise en œuvre de quelques-unes des autres recommandations proposées;

MISE EN ŒUVRE DES RÉFORMES : DÉMARCHE PROGRESSIVE

 La législation concernant la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle soulève des problèmes portant sur les droits fondamentaux des personnes qui sont très souvent vulnérables ou marginalisées. Les personnes consultées ont fait valoir à la CDO combien étaient graves les enjeux de la réforme de cette législation et la responsabilité de la société envers les personnes concernées. La CDO a pris ce message très au sérieux et a tenté de formuler des recommandations qui tiennent compte de la situation de ces personnes et qui respectent leurs droits et leur bien-être. Elle a reconnu en même temps les contraintes de la réforme, notamment les restrictions budgétaires pour le gouvernement et les grandes institutions, les besoins divergents des intervenants, et dans plusieurs domaines, l’absence de données probantes précises à partir desquelles la réforme pourrait commencer.

Pour définir les modes de mise en œuvre des réformes, la CDO s’est fondée sur la notion de mise en œuvre progressive, laquelle reconnaît que la réalisation du principe d’égalité réelle constitue un processus permanent, à mesure que se développent les ressources, les conditions et les perceptions. Les propositions de réforme doivent respecter et favoriser les principes, lesquels doivent être mis en œuvre le plus possible maintenant, et il faut s’attacher à progresser en permanence.

Le présent rapport expose deux démarches pour la mise en œuvre les réformes proposées. Selon la première, on analyse l’effet complet et les objectifs ultimes des projets de recommandation. Afin d’aider à la mise en œuvre et dans le cadre de sa démarche de mise en œuvre progressive de la réforme des lois du domaine, la CDO définit ci-dessous les priorités majeures de réforme, soit celles des recommandations qui sont les plus susceptibles de transformer en profondeur ce domaine législatif et qui traitent les problèmes systémiques les plus graves.

Voici les grandes priorités de réforme qu’a établies la CDO : 

1.     Expansion et réforme de la Commission du consentement et de la capacité (CCC), de façon à créer un tribunal administratif indépendant et spécialisé, qui puisse rendre dans les délais des décisions souples et accessibles à propos de la nomination de mandataires spéciaux, régler les différends relatifs aux attributions de ceux-ci et faire valoir les droits que prévoit la législation.

2.     Renforcer l’information et la vulgarisation à l’intention des personnes touchées, des familles, des spécialistes et des prestataires de services concernés par la législation sur la capacité juridique et la prise de décision.

3.     Améliorer la qualité de l’évaluation de la capacité, et faire en sorte que les personnes reconnues incapables aux termes de la LCSS puissent davantage faire valoir leurs droits fondamentaux en matière de procédure.

La seconde fournit un cadre pratique pour la réalisation progressive de cette réforme exhaustive. La CDO a défini à cette fin les projets de recommandation dont la mise en œuvre est relativement simple, et qui peuvent donc être traités dans des délais plus courts, ainsi que ceux dont la mise en œuvre exige plus de temps, de réflexion ou de ressources. Les priorités établies par la CDO ne sont pas forcément parmi les projets de recommandation dont la mise en œuvre est la plus simple : les délais ne reflètent pas les priorités, ils reconnaissent en revanche les enjeux de la réforme. Les institutions auxquelles se rapportent les projets de recommandation de la CDO peuvent décider de s’attacher d’abord aux recommandations prioritaires, ou bien à des changements plus simples tout en travaillant aux réformes plus délicates.  

 

 

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