A.    Introduction et contexte

Le chapitre IV a effleuré la question des solutions de rechange à la prise de décision au nom d’autrui en traitant des difficultés associées aux conceptions qu’on se fait actuellement de la capacité juridique. Comme les notions de capacité juridique sont étroitement liées à des façons particulières de la prise de décision, le présent chapitre, même s’il traite directement de la question des solutions de rechange à la prise de décision au nom d’autrui ainsi que de la prise de décision pour autrui elle-même, reviendra sur certains éléments de l’étude et des conclusions exposées au chapitre IV. 

L’Ontario, tout comme d’autres administrations en régime de common law, aborde la capacité juridique et la prise de décision sous l’angle de la prise de décision au nom d’autrui. Aux termes de la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui (LPDNA) et de la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé (LCSS), lorsqu’une personne ne satisfait pas au critère de détermination de la capacité juridique et qu’une décision s’impose, une autre personne – un mandataire spécial – est nommée d’une façon ou d’une autre pour prendre cette décision. Ces dernières années, le modèle social de l’incapacité devenant plus largement accepté et la perspective des droits de la personne continuant d’étendre son influence tant au niveau international qu’au Canada, des voix se sont fait entendre pour réclamer un nouvel examen du modèle de prise de décision pour autrui et l’élaboration de solutions différentes. On désigne souvent ces solutions de rechange par le terme « prise de décision accompagnée ». On a étudié quelque peu également la notion de « codécision ». L’adoption de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), qui aborde la question à l’article 12 et dont il a été question au chapitre IV, a rendu le débat plus pressant.  

Il s’agit d’une des questions qui prêtent le plus à controverse dans ce domaine du droit et qui sont les plus difficiles, soulevant de profondes questions d’ordre théorique et éthique et suscitant des défis considérables sur le plan pratique. Il est impossible, dans ce cadre restreint, d’analyser à fond toutes les questions liées aux modèles de prise de décision. La littérature est abondante et différents régimes juridiques ont opté pour tout un ensemble de perspectives. Le Document de travail en propose un survol à la partie Trois, chapitre I. Le présent chapitre est axé sur la question des réformes des lois ontariennes. Il repose sur le cadre d’analyse proposé par la CDO dans les principes de son Cadre et il tient compte de l’histoire du droit et du contexte actuel en Ontario, de la diversité des besoins et des circonstances, ainsi que des aspirations et des préoccupations exprimées à la faveur des consultations menées par la CDO. Il situe les enjeux principaux, dont le débat sur la prise de décision au nom d’autrui et la prise de décision accompagnée, cerne les démarches qui devraient constituer le fondement de la réforme du droit concernant ces enjeux et propose enfin des projets de recommandation provisoires en vue de modifier la loi.  

Lorsqu’on étudie des lois qui touchent la capacité juridique et la prise de décision, il est utile de ne pas perdre de vue deux aspects de ces lois : les réalités de la prise de décision avec quelqu’un d’autre ou en son nom; l’établissement de la responsabilité juridique à l’égard des décisions prises. 

Les usages relatifs à la prise de décision comprennent toutes les valeurs et toutes les pratiques courantes avec lesquelles ceux qui entourent la personne dont la capacité de décision est réduite abordent les réalités concrètes de la prise de certaines décisions. Ils peuvent comprendre, par exemple, la consultation de la personne en cause ou d’autres gens qui ont un rapport étroit avec elle, et englober les critères ou considérations qui influent sur le processus, comme les objectifs passés ou présents de la personne, les facteurs qui peuvent lui apporter la meilleure qualité de vie, etc. Ces usages relèvent dans l’ensemble de la sphère privée et revêtent de façon inhérente un caractère relativement peu officiel. Par leur nature même, ils sont difficiles à contrôler et à réglementer, liés qu’ils sont fréquemment à l’histoire et à la dynamique familiale et sociale. Ces interactions sans caractère officiel sont-elles dans l’ensemble constructives et propices à l’autonomie, à l’inclusion, à la dignité et à la sécurité de la personne, ou sont-elles au contraire négatives ou abusives? La plupart du temps, cela apparaît au grand jour uniquement lorsque la famille a des interactions avec le domaine public. Il arrive que ces interactions soient très rares. 

Les cadres de responsabilité juridique interviennent dans les situations où les décisions prises selon les usages qu’on vient d’évoquer doivent être mises en œuvre dans la sphère publique, par exemple lorsqu’il faut établir un contrat ou parvenir à une entente sur les services. Dans le cadre de son rôle plus vaste dans la réglementation de questions comme la validité des contrats, les normes professionnelles et les responsabilités institutionnelles, la loi dit aussi comment les contrats peuvent être conclus et comment le consentement est donné lorsque la personne en cause a une capacité juridique réduite, précisant par exemple qui peut être responsable de conclure des accords ou de donner le consentement à des tiers, qui peut avoir à répondre de ces décisions et en être tenu responsable. Dans les usages relatifs à la prise de décision, qui relèvent davantage du domaine privé, les considérations relatives à l’autonomie, à la sécurité et à la dignité occupent le premier plan, même si les décisions prises dans ce cadre peuvent toucher d’autres personnes (comme d’autres membres de la famille), ce dont il peut y avoir lieu de tenir compte. Dans le domaine davantage public des décisions qui peuvent avoir des conséquences pratiques et juridiques importantes, non seulement pour la personne en cause, mais aussi pour des tiers, il faut accorder un poids suffisant aux facteurs que sont la clarté, la certitude et la juste répartition des responsabilités et des obligations.

 

B.    État actuel du droit en Ontario

Il n’est pas sans intérêt de rappeler que, dans la plupart des situations où des personnes ont des capacités réduites de prise de décision équivalant à l’incapacité juridique à laquelle pourrait conclure une évaluation, la loi n’est pas invoquée. Parfois, les personnes en cause ne se trouvent pas dans des situations qui exigent des décisions importantes qui supposent des interactions avec de grands établissements ou des professionnels dont la responsabilité et le cadre réglementaire exigent clarté et certitude sur le plan juridique. Il arrive aussi que des établissements prennent officieusement des mesures pour tenir compte des besoins des familles. Par leur nature même, les dispositions non officielles sont souples et peuvent s’adapter aux besoins particuliers d’une personne. La plupart du temps, ces dispositions officieuses marchent bien, même si elles s’accompagnent d’un certain risque. 

Lorsque la loi est invoquée, l’Ontario a un système moderne et soigneusement conçu de prise de décision au nom d’autrui. L’expression « prise de décision au nom d’autrui » expose une gamme de systèmes et de démarches juridiques, et traiter ces systèmes divers comme interchangeables et sujets à une critique uniforme risque de mener à des malentendus. Il est utile de se rappeler que les systèmes de prise de décision au nom d’autrui ont évolué avec le temps de façon à tenir compte de conceptions et de circonstances en mutation. Ils comportent néanmoins des éléments centraux dont voici une liste sommaire.  

1.     L’intervention n’est permise que lorsque l’incapacité juridique d’une personne a été constatée. Les personnes dotées de capacité juridique ont le droit de prendre leurs décisions en toute indépendance, que ces décisions soient judicieuses ou non. 

2.     Lorsque l’incapacité juridique d’une personne est constatée et qu’il faut prendre une décision, un mandataire spécial est nommé pour prendre les décisions au nom de cette personne. Le mandataire spécial est ensuite tenu responsable des actes accomplis à ce titre, et il peut avoir à répondre des manquements à ses fonctions, bien qu’il faille signaler que la nature exacte de ces fonctions, la forme et le niveau de responsabilité puissent varier largement. Le mandataire spécial doit agir au nom et dans l’intérêt de la personne, même si, là encore, les modalités peuvent beaucoup varier. 

3.     Les mandataires spéciaux peuvent être nommés par le mandant ou une partie externe. Les mandataires spéciaux peuvent être nommés de diverses manières. Ils peuvent l’être par la personne en cause, au moyen d’un document de planification, comme une procuration. Ils peuvent l`être aussi de l’extérieur (comme dans le cas de la tutelle) ou selon une liste de priorité (comme dans le cas du système ontarien qui régit les décisions en matière de traitement). L’Ontario prévoit des nominations selon ces trois mécanismes.  

4.     Dans la nomination de mandataires spéciaux, la préférence se porte sur les personnes ayant des liens étroits. Même si plupart des systèmes prévoient la possibilité de nommer des établissements ou des professionnels, en l’absence de membres de la famille ou d’amis pour assumer ce rôle, on préfère que le mandataire ait un lien étroit avec le mandant.

La façon dont l’Ontario aborde la prise décisions au nom d’autrui comprend notamment les éléments principaux exposés ci-après. 

Critère de détermination de la capacité cognitive : comme il est dit au chapitre IV, ce critère est fondé sur l’aptitude de la personne « à comprendre et à évaluer » l’information nécessaire à la prise d’une décision donnée. Même si la capacité juridique peut évoluer ou fluctuer et même si elle concerne certaines décisions ou certains types de décision (c’est-à-dire qu’elle n’est pas « plénière »), elle constitue une qualité absolue. Une personne a la capacité juridique de prendre une décision donnée, ou elle ne l’a pas. Lorsqu’elle n’a pas la capacité juridique de prendre une décision ou un type de décision en particulier, un représentant (le « mandataire spécial ») prend la décision en son nom et assume aussi les responsabilités qui s’y rattachent. 

Les possibilités de choisir un mandataire spécial ou de participer à la sélection de ce dernier : les lois ontariennes cherchent à rendre relativement simple et peu coûteuse, par la création d’une procuration, la tâche des personnes juridiquement capables qui choisissent un mandataire spécial pour prendre des décisions à leur place concernant leurs biens, les soins ou les traitements dont elles peuvent avoir besoin. L’Ontario restreint assez peu le contenu des procurations ou les exigences à respecter pour en assurer la validité. De plus, lorsque des tuteurs sont précisés, soit par les dispositions du remplacement de la tutelle légale soit par des nominations du tribunal, le tuteur et curateur public TCP et le tribunal doivent respectivement tenir compte des souhaits de la personne placée sous tutelle.  

L’importance des liens de confiance, fondement de la prise de décision au nom d’autrui : l’ensemble des lois ontariennes prévoit divers mécanismes qui visent à donner la priorité à la sélection de mandataires spéciaux en fonction des liens de confiance et d’intimité existants. Par exemple, la liste hiérarchisée des mandataires spéciaux prévue dans la LCSS donne la priorité aux membres de la famille, lorsqu’un mandataire spécial n’a pas déjà été nommé. De même, les dispositions sur le remplacement des tuteurs selon la LPDNA privilégient les membres de la famille. 

Les devoirs du mandataire spécial de promouvoir la participation et de tenir compte des souhaits et des préférences : pour l’essentiel, l’Ontario aborde la prise de décision au nom d’autrui selon la méthode que certains ont appelée « jugement substitutif », dans laquelle le mandataire spécial tente de se mettre à la place de la personne en appliquant les valeurs et les préférences de cette personne dans la mesure où elles sont connues et comprises et de prendre la décision que la personne prendrait si elle pouvait comprendre et utiliser tous les renseignements pertinents. Selon la LPDNA, tant les procureurs en vertu d’une procuration que les tuteurs doivent promouvoir la participation de la personne à la prise de décision et consulter d’autres personnes qui ont une relation d’accompagnement avec elle. En ce qui concerne les décisions sur les soins à la personne selon la LPDNA, et toutes les décisions en vertu de la LCSS, les mandataires spéciaux doivent tenir compte des « désirs exprimés lorsque la personne était capable », des valeurs et des croyances qui étaient alors les siennes, et de ses désirs actuels, lorsqu’ils peuvent être confirmés. 

Démarches propres au domaine et à la décision : des mandataires spéciaux sont nommés pour prendre certaines décisions ou certains types de décisions. Il est possible qu’une personne ait la capacité juridique voulue pour prendre certaines décisions, mais pas d’autres. Aux termes de la LPDNA, on peut nommer des mandataires pour la gestion des biens ou pour les soins à la personne. En outre, on peut nommer des tuteurs pour seulement certains éléments précis des soins à la personne, qui comprennent les soins de santé, l’alimentation, le logement, le vêtement, l’hygiène et la sécurité. Les mandants peuvent bien sûr définir la portée de la procuration qu’ils accordent. La LCSS prévoit que la capacité est évaluée relativement à la capacité de prendre une décision particulière seulement, et la portée du pouvoir du mandataire se limite à ce domaine.  

Garanties procédurales des personnes qui peuvent avoir une incapacité juridique : les protections ne sont peut-être pas complètes ni idéales, mais le régime des lois ontariennes accorde une grande attention aux garanties procédurales des personnes qui peuvent avoir une incapacité juridique, prévoyant notamment des mécanismes de communication de renseignements à la personne et de contestation des décisions sur la capacité juridique. 

 

C.    Sujets de préoccupation

Tout au long des recherches et des consultations de la CDO, il est ressorti à l’évidence qu’il existait de nombreuses lacunes dans les lois ontariennes sur la capacité juridique et la prise de décision, étant donné les problèmes de mise en œuvre. Les dispositions législatives visant à protéger la capacité de chacun de faire lui-même ses choix dans la mesure du possible ne sont peut-être pas pleinement ou correctement mises en œuvre pour des raisons diverses, notamment la méconnaissance ou l’incompréhension de la loi, des insuffisances dans les soutiens et les processus garantissant l’accès au bénéfice de la loi, et des lacunes dans les recours et l’exécution. Ces larges enjeux de la mise en œuvre sont abordés tout au long du présent rapport. La présente section est consacrée aux problèmes propres au rôle des mandataires spéciaux. 
 

1.     Le rapport entre la loi et les pratiques relatives à la prise de décision 

Au cours des consultations publiques que la CDO a menées auprès des membres des familles et des personnes directement touchées, on a remarqué que, même si certains avaient fait des recherches considérables sur leur rôle que la loi leur confie, la vaste majorité des participants qui aident ou sont aidés sous forme d’une prise de décision au nom d’autrui connaissent fort peu les exigences législatives détaillées au sujet des usages concernant la prise de décision. Les participants ne perçoivent pas toujours clairement la différence entre le testament et la procuration, et l’animateur des groupes de discussion devait généralement expliquer la différence entre la tutelle et la procuration ainsi que les éléments fondamentaux du cadre législatif. Fort peu de mandataires spéciaux étaient conscients de leur obligation de tenir des dossiers ou des comptes ou de quelque autre exigence précise liée à leur rôle. Concrètement, les méthodes de prise de décision étaient fondées sur les rôles dans la famille et l’histoire familiale, la nature de la relation et une conception personnelle des obligations éthiques en cause. C’est dire que la loi ne se présente pas immédiatement aux familles comme le moyen principal de comprendre ce dans quoi elles s’engagent : la loi était principalement perçue comme un outil qui pouvait servir à assumer les rôles et obligations de la famille. Dans les faits, la plupart des familles avaient fort peu d’interactions avec quelque structure juridique officielle que ce soit, sauf pour quelques décisions majeures (comme celle d’ouvrir un régime enregistré d’épargne-invalidité ou de vendre une maison)  ou en cas de crise. 

Au cours des consultations, de nombreux prestataires de services et professionnels ont signalé cette discordance : les membres de la famille comprennent souvent fort peu leurs obligations de mandataires spéciaux aux termes de la loi, si bien que, dans les faits, celle-ci n’est mise en œuvre que très imparfaitement. 

Pour la loi, il est difficile d’atteindre efficacement le domaine essentiellement privé des usages concernant la prise de décision. Souvent, les méthodes inadmissibles ne sont remarquées que lorsqu’elles entraînent des abus dont des tiers ou des prestataires de services ont connaissance. Ce problème ne peut trouver de solution complète sans une certaine surveillance et un certain contrôle qui seraient pénibles pour la vaste majorité des familles et des amis qui appliquent de leur mieux de bonnes méthodes de prise de décision. Il existe néanmoins des moyens pratiques d’atténuer le problème des méthodes abusives de prise de décision, et il en est question au chapitre VII.  

Un grand nombre des familles avec lesquelles la CDO a eu des contacts ont fait savoir que, comme mandataires spéciaux, elles avaient recours à des méthodes de prise de décision qui seraient considérées comme une « prise de décision accompagnée » (exposée plus loin dans le présent chapitre), car elles cherchent à soutenir la capacité de l’être cher de prendre ses décisions sur sa propre vie et à repérer les moyens de donner suite à ses valeurs et préférences, et à atteindre ses objectifs de vie[204]. Cela ne veut pas dire que les consultations de la CDO fournissent un échantillon représentatif des mandataires spéciaux ni que les familles n’ont jamais recours à des conceptions paternalistes et restrictives de leur rôle de mandataire spécial. D’après les observations des prestataires de services et des professionnels, cela n’est pas rare, loin de là. Les consultations ont toutefois mis en évidence le fait qu’il arrive souvent que les familles considèrent la promotion de l’autonomie de l’être cher comme un élément important de leur rôle, sans égard au cadre législatif en place. 

Pendant ses consultations, la CDO a maintes fois entendu dire que les familles avaient du mal à mettre en place de bonnes méthodes de prise de décision. Il existe fort peu de renseignements et de soutien qui soient à la disposition des membres de la famille ou d’autres mandataires spéciaux pour les aider à assumer les aspects pratique, affectif et éthique de ce rôle important. Si on fait abstraction pour l’instant des abus flagrants dans la prise de décision au nom d’autrui, on peut dire que l’incompréhension de la loi, les lacunes dans les compétences nécessaires à l’exercice du rôle de mandataire spécial et le manque de soutien pour les mandataires spéciaux non professionnels sont des facteurs importants qui expliquent les insuffisances dans les usages concernant la prise de décision en Ontario. 

La CDO estime que, si l’un des objectifs ultimes dans ce domaine du droit, est de soutenir l’autonomie, de préserver la dignité et d’assurer la participation des personnes qui sont incapables juridiquement ou peuvent l’être, l’un des moyens les plus efficaces d’atteindre ces objectifs est de promouvoir de meilleurs usages concernant la prise de décision sur le terrain. 
 

2.     Les notions de prise de décision accompagnée et de codécision 

Outre le renforcement des méthodes de prise de décision pour les mandataires spéciaux, il existe d’autres propositions de réforme dans la façon dont l’Ontario aborde la prise de décision au nom de personnes dont la capacité de prise de décision est atteinte. Au premier plan, il a été avancé que les lois ontariennes sur la capacité juridique et la prise de décision pourraient mieux respecter la diversité et l’autonomie si le dispositif actuel était remplacé ou bonifié par la reconnaissance officielle de ce qu’on appelle la « prise de décision accompagnée ». Il est assez longuement question des critiques du dispositif actuel de l’Ontario et de la notion de « prise de décision accompagnée » – ainsi que de la « codécision » – à la partie Trois, chapitre I, du Document de travail. 

L’expression « prise de décision accompagnée » recouvre une multiplicité de sens, même parmi ceux qui la préconisent. Selon les observations de la CDO, il existe un très large éventail d’idées, souvent contradictoires, sur ce qui constitue ou non une « prise de décision accompagnée ». Ce que l’un décrit comme une prise de décision accompagnée, l’autre peut le situer carrément à l’extérieur des limites de cette notion. Cela tient en partie au fait que, jusqu’à maintenant, il y a eu une application juridique concrète relativement limitée de cette notion. Jusqu’à un certain point, il s’agit d’une notion dont les formes concrètes de mise en œuvre sont toujours en voie d’élaboration. 

La notion de prise de décision accompagnée est fondée sur un modèle social de l’invalidité. Il s’agit d’autonomiser les personnes dont les handicaps peuvent nuire à leur capacité de recevoir, d’évaluer et de mémoriser de l’information pour avoir la maîtrise des décisions les concernant. Il s’agit de leur éviter de perdre leur capacité juridique à leur apportant l’appui de personnes avec lesquelles elles entretiennent des liens de confiance et d’intimité. Ce modèle est axé sur l’idée que, pour presque nous tous, la prise de décision est une démarche de consultation qui fait que nous nous appuyons sur d’autres personnes de confiance pour prendre des décisions diverses, et il vise à étendre cette façon de voir aux arrangements juridiques sur la prise de décision. Le Document de travail de la CDO énumère quatre éléments largement reconnus (mais certainement pas de façon universelle) dans les diverses façons d’aborder la « prise de décision accompagnée » : 

1.     la prise de décision accompagnée n’exige pas une constatation d’incapacité. La prise de décision accompagnée n’est pas axée sur la présence ou l’absence de traits mentaux particuliers, mais sur les soutiens et les accommodements qui peuvent aider les personnes à avoir la maîtrise des décisions qui les concernent;

2.     dans les arrangements de prise de décision accompagnée, la personne accompagnée conserve la responsabilité juridique de sa décision. Les personnes accompagnées continuent de décider par elles-mêmes et ces décisions sont les leurs, pas celles de leurs accompagnateurs;

3.     les arrangements de prise de décision accompagnée sont fondés sur le consentement de la personne qui peut avoir besoin d’aide pour prendre ses décisions et de ceux qui lui apportent cette aide. Pour que l’arrangement fonctionne, il doit être conclu librement;

4.     la prise de décision accompagnée est fondée sur des liens de confiance et d’intimité. Pour que la prise de décision accompagnée puisse exister, tout accompagnateur doit très bien connaître personnellement la personne, pour l’aider à comprendre et à tenir compte ensuite de ses valeurs et de ses préférences dans sa décision.

La « prise de décision accompagnée » peut se concevoir comme une façon de définir ou de promouvoir deux objectifs pour les lois et les méthodes relatives à la prise de décision et aux personnes ayant des handicaps liés à la mémoire, à la communication ou à la cognition. Le premier est d’éviter les structures juridiques qui stigmatisent ceux qui ont du mal à prendre des décisions seuls et qui les mettent à l’écart du reste de la société. Selon certains, la notion de « capacité juridique » comme seuil à franchir pour prendre des décisions et l’expression « prise de décision au nom d’autrui » sont préjudiciables aux droits à l’égalité des personnes en cause, car elles sont limitées à un statut juridique qui leur retire des droits dont d’autres peuvent jouir. Le deuxième objectif est la mise en œuvre de méthodes de prise de décision qui s’appuient sur les capacités des personnes dont la déficience nuit à leur aptitude à prendre des décisions; reconnaissent que ces personnes ont des valeurs, des objectifs et des préférences qu’il faut respecter; favorisent leur adhésion et leur participation à l’ensemble de la société. Idéalement, ces deux objectifs sont liés et solidaires de façon que les structures juridiques puissent promouvoir et protéger de bonnes méthodes de prise de décision. Au moins en théorie, la maîtrise plus grande laissée à ces personnes grâce au maintien de leur statut juridique devrait favoriser des usages constructifs concernant la prise de décision.

Les débats sur la « prise de décision accompagnée » tendent à graviter autour de l’article 12 de la CDPH). Les dispositions de cet article, l’Observation générale et la Déclaration et la réserve du Canada à son sujet ont été longuement étudiées au chapitre IV. Concernant notre propos ici, l’article 12 dispose notamment que les États parties doivent : 

·       prendre des mesures appropriées pour donner aux personnes handicapées accès à l’accompagnement dont elles peuvent avoir besoin pour exercer leur capacité juridique;

·       faire en sorte que les mesures relatives à l’exercice de la capacité juridique soient assorties de garanties appropriées et effectives pour prévenir les abus. Ces garanties doivent garantir que les mesures relatives à l’exercice de la capacité juridique respectent les droits, la volonté et les préférences de la personne concernée, soient exemptes de tout conflit d’intérêts et ne donnent lieu à aucun abus d’influence, soient proportionnées et adaptées à la situation de la personne concernée, s’appliquent pendant la période la plus brève possible et soient soumises à un contrôle périodique effectué par un organe compétent, indépendant et impartial ou une instance judiciaire;

·       prendre toutes mesures appropriées et effectives, sous réserve des dispositions de l’article, pour garantir le droit qu’ont les personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, notamment de posséder des biens ou d’en hériter, de contrôler leurs finances et d’avoir accès aux mêmes conditions que les autres personnes aux prêts bancaires, hypothèques et autres formes de crédit financier; veiller à ce que les personnes handicapées ne soient pas arbitrairement privées de leurs biens.

Comme on l’a vu au chapitre IV, il a été soutenu, surtout dans l’Observation générale de l’article 12, que l’ensemble de cet article, y compris ses dispositions sur la notion de capacité juridique et son exercice, exige l’abolition de la prise de décision au nom d’autrui, qui serait complètement remplacée par la « prise de décision accompagnée ». Dans sa Déclaration et réserve, le Canada expose une interprétation fort différente des responsabilités que suppose la conformité à l’article 12. Il déclare en effet que, selon lui, l’article 12 permet les arrangements de prise de décision au nom d’autrui et ceux qui reposent sur l’offre de soutiens « dans des circonstances appropriées et conformément à la loi[205] » et il se réserve le droit « de continuer l’utilisation de telles mesures dans des circonstances appropriées et sujettes à ce qu’elles soient assorties de garanties appropriées et effectives[206] ».  

Le chapitre IV a considéré la conception proposée dans l’Observation générale, selon lequel tous conservent à tout moment la capacité juridique de prendre des décisions. Comme on le signale plus haut, l’une des conséquences de cette conception est que la prise de décision au nom d’autrui n’est jamais permise. Au lieu de cela, les personnes qui ont des capacités de prise de décision réduites doivent pouvoir demander et obtenir gratuitement les aides voulues pour prendre elles-mêmes leurs décisions. La CDO n’a pas retenu cette conception de la capacité juridique. Elle a plutôt recommandé le maintien de la conception fonctionnelle et cognitive actuelle de l’Ontario, en insistant sur les adaptations nécessaires à l’exercice de la capacité juridique : si une personne peut satisfaire au critère de la capacité juridique grâce aux accommodements voulus, elle devrait être considérée comme juridiquement capable. Cela n’est pas sans conséquence pour la façon dont la CDO aborde la notion de prise de décision accompagnée, car celle-ci est considérée comme une solution moins restrictive que la prise de décision au nom d’autrui, et non comme un remplacement total de celle-ci. 

L’idée de codécision a également été étudiée dans le Document de travail. La codécision, parfois aussi appelée prise de décision commune ou conjointe, est une autre solution qui peut remplacer la prise de décision au nom d’autrui. Dans ce modèle, il est obligatoire que les décisions soient prises en commun par l’adulte et le codécisionnaire nommé. Il s’agit donc d’un arrangement plus restrictif que la prise de décision accompagnée, puisque la personne doit prendre les décisions sur certaines choses de concert avec quelqu’un d’autre et que les décisions qu’elle prendrait seule n’auraient aucune valeur juridique. Ce modèle s’écarte donc de façon notable de la prise de décision au nom d’autrui et de la prise de décision accompagnée, modèles dans lesquels la capacité de décider appartient finalement à une seule personne – soit le mandataire spécial si la personne en cause est incapable (prise de décision au nom d’autrui), soit la personne elle-même (prise de décision accompagnée) – même si le processus décisionnel peut comprendre des consultations ou une aide.

Le modèle de la codécision a été appliqué de façon beaucoup plus limitée que la prise de décision accompagnée. L’Alberta et la Saskatchewan prévoient la possibilité de recourir à ce modèle avec nomination judiciaire[207]. 

La codécision a retenu fort peu l’attention au cours des consultations de la CDO. Ce modèle est beaucoup plus compliqué à comprendre et à mettre en œuvre que la prise de décision accompagnée. Il est donc moins intéressant pour les tiers et il impose des restrictions plus importantes à l’autonomie, si bien qu’il est moins attrayant pour ceux qui préconisent la prise de décision accompagnée. Par contre, il est aussi considéré comme moins exposé aux abus que la prise de décision accompagnée et soulève donc moins de préoccupations qu’elle, de certaines façons[208]. 

Étant donné les difficultés de sa mise en œuvre et le faible intérêt que la codécision suscite, la CDO n’a pas étudié plus à fond la possibilité de prévoir des mécanismes de codécision dans la loi ontarienne. Elle reconnaît néanmoins que les modèles de prise de décision commune peuvent présenter des avantages, et les notions fondamentales de la codécision ont influencé la réflexion de la CDO au sujet de la prise de décision en réseau et de certains aspects des projets de recommandation qui portent sur la prise de décision accompagnée.
 

3.     Observations sur la prise de décision accompagnée recueillies au cours des consultations publiques

Comme on l’a vu abondamment dans le Document de travail, les moyens de mettre en œuvre le modèle de la prise de décision accompagnée et la mesure dans laquelle il faut l’implanter font toujours l’objet d’un débat considérable. 

La CDO a soulevé des questions sur les modes de prise de décision dans tous ses groupes de discussion et a abordé le sujet de la prise de décision accompagnée dans une nette majorité d’entre eux. Beaucoup de temps a été consacré à ce sujet au forum de consultation, le 30 octobre 2014. Sur les 16 documents d’observations écrites que la CDO a reçus, trois ont signalé qu’il s’agissait là d’un sujet d’intérêt et de préoccupation important.  

La notion de prise de décision accompagnée était inconnue de la vaste majorité de ceux qui ont participé aux consultations de la CDO. La plupart des membres des familles et autres personnes directement touchés ne connaissent que vaguement la loi actuelle et fort peu les critiques plus générales ou les efforts de réforme dont elle fait l’objet. Ce qui intéressait la plupart d’entre eux, c’était ce qui, selon leur expérience, avait été utile ou inutile et ce que la loi devrait, de façon générale, les aider à faire. La plupart des professionnels et des prestataires de services n’avaient jamais entendu parler de cette notion, sinon dans les documents de la CDO, et ils n’étaient donc pas prêts à discuter de la question de façon détaillée. En revanche, ceux qui connaissaient préalablement ce modèle abordaient généralement le sujet avec passion, qu’ils soient en faveur ou contre. Étant donné que la prise de décision accompagnée est une notion profondément enracinée dans le mouvement de l’intégration communautaire et l’expérience des personnes ayant un handicap intellectuel et de leur famille, les personnes en lien avec les milieux qui s’occupent des handicaps intellectuels étaient, et de loin, les plus susceptibles de connaître la notion de prise de décision accompagnée. 

Ceux à qui la notion n’est pas étrangère emploient l’expression de façons diverses. Certains professionnels, d’autres personnes et des partisans de cette idée y ont beaucoup réfléchi et ont une conception claire, cohérente et fondée sur des principes. D’autres peuvent utiliser l’expression pour parler de façon plus générale d’usages concernant la prise de décision ou de cadres juridiques qui sont plus souples ou moins officiels ou qui permettent d’éviter une constatation d’invalidité. D’autres encore en font un fourre-tout dans lequel ils englobent tous les modèles autres que la tutelle. La CDO a constaté que certains y englobaient les procurations, par exemple. À cause de cette imprécision, il est difficile de tirer un message clair des échanges sur la prise de décision accompagnée qui ont eu lieu dans certains groupes de discussion.   

Le Document de travail a présenté les arguments invoqués en faveur de la prise de décision accompagnée et contre ce modèle. Les principaux arguments en faveur de la prise de décision accompagnée découlent de la volonté de promouvoir l’autonomie et l’égalité des personnes ayant des déficiences qui touchent leur capacité de prendre des décisions. Les principales préoccupations évoquées ont porté sur le risque d’abus de la part de membres de la famille et de tiers, sur le fait que le modèle ne convient pas forcément à tous les groupes touchés par ce domaine du droit, et sur l’impression de manque de clarté au sujet des responsabilités et des obligations inhérentes à un tel système. Le présent chapitre traitera plus loin assez longuement de ces préoccupations. Il importe de signaler que les personnes consultées ne réagissaient pas à la conception présentée dans l’Observation générale ni aux propositions précises soumises à la CDO, mais à la notion générale et plus particulièrement à son application dans d’autres administrations au Canada. 

Dans ses observations écrites, l’ARCH Disability Law Centre préconise une évolution vers la prise de décision accompagnée de façon que le modèle ontarien se rapproche davantage de l’interprétation de l’article 12 contenue dans l’Observation générale. Les observations écrites présentent diverses propositions : recherches sur les pratiques exemplaires en matière de prise de décision accompagnée; renforcement des dispositions sur les conseils en matière de droits pour les personnes à capacité juridique réduite; obligation d’évaluer périodiquement la capacité des personnes jugées incapables; multiplication des arrangements de durée limitée; sensibilisation des décideurs, qui seraient tenus de produire périodiquement des rapports; mise sur pied d’un bureau de surveillance et d’évaluation de la capacité; renforcement des mécanismes de règlement des différends.  

La Coalition sur les alternatives à la tutelle propose une vaste réforme des lois ontariennes sur la prise de décision qui va dans le sens d’un système axé sur une forme de prise de décision accompagnée et permettant le maintien de la prise de décision au nom d’autrui seulement sous la forme de procurations. Il s’agit d’une proposition extrêmement complexe qu’on peut seulement résumer rapidement dans ces pages. La Coalition préconise que l’objet d’un nouveau dispositif législatif soit de promouvoir le droit à la capacité juridique, de proposer des garanties lorsque cette capacité ne peut être exercée indépendamment et d’assurer l’accès à la prise de décision accompagnée. La proposition présente trois façons d’exercer la capacité juridique : de façon indépendante légalement (ce qui peut nécessiter l’offre de soutiens et d’accommodements); par procuration, comme le prévoit la LPDNA; au moyen d’arrangements pour une prise de décision accompagnée prévue par la loi. Ces derniers arrangements pourraient être mis en place par une nomination personnelle ou, en cas d’impossibilité, par une nomination externe, ce que n’envisagent pas tous ceux qui préconisent la prise de décision accompagnée. À tous les points où il est possible de constater l’incapacité d’indépendance juridique, on exigerait une évaluation des solutions de remplacement. Un système complet de garanties institutionnelles serait mis en place, notamment le bureau du protecteur provincial du droit à la capacité juridique qui agirait sur les plans systémique et individuel, un rôle défini par la loi pour les surveillants des arrangements de prise de décision accompagnée, un tribunal élargi pour arbitrer ces questions, une large fonction de traitement des plaintes et d’enquête, et un registre des arrangements de prise de décision accompagnée.  

Dans ses observations écrites, l’Advocacy Centre for the Elderly a exprimé de graves préoccupations au sujet des risques d’abus dans les arrangements de prise de décision accompagnée. Ce point de vue est appuyé par les observations écrites du Mental Health Legal Committee. 

Beaucoup de professionnels en services cliniques et sociaux ont manifesté de l’intérêt pour l’idée de prise de décision accompagnée, espérant qu’une application quelconque de cette notion renforce leur capacité d’apporter des réponses nuancées dans des situations complexes, notamment pour les jeunes dont les compétences se développent ou les personnes dont la capacité de prendre des décisions se situe dans une zone indécise, aux limites de la capacité juridique. Toutefois, comme on verra plus loin dans le présent chapitre, ces professionnels ont tendance à penser que cette notion est plus facilement applicable à certaines populations qu’à d’autres. 

La CDO a recueilli le point de vue de membres de la famille de personnes ayant des handicaps intellectuels ou développementaux, qui préconisaient la prise de décision accompagnée. Sans surprise, la plupart d’entre eux étaient intéressés surtout par l’élaboration de solutions qui leur semblent mieux adaptées à la situation de l’être cher que ne l’est l’actuel système de tutelle. De façon générale, ils répugnaient à se prononcer avec fermeté sur ce qui est nécessaire pour d’autres situations ou d’autres familles. En d’autres termes, ils se préoccupaient moins de la restructuration fondamentale de la loi (suivant par exemple ce qui est esquissé dans l’Observation générale ou un autre vaste programme de réforme) que de la latitude laissée au système pour répondre à leurs propres besoins. 

Les membres des familles, pour la plupart, recherchaient une façon d’aborder la prise de décision dont le caractère ne soit pas trop officiel (pour préserver l’accessibilité), qui soit souple et n’entraîne pas de stigmatisation. Les parents d’enfants adultes qui ont des déficiences intellectuelles ou développementales ont signalé qu’ils s’étaient beaucoup efforcés de mettre l’accent sur les capacités et le potentiel de leurs enfants : une déclaration d’incapacité leur semble aller à l’encontre de tous les principes selon lesquels ils ont élevé leurs enfants et les appuient maintenant qu’ils sont adultes. De plus, le processus compliqué et coûteux de la tutelle leur semblait hors de la portée de nombreuses familles sur les plans affectif, pratique et financier. Il y a cependant eu des discussions considérables au sujet des risques que présentent les systèmes informels. Les membres des familles ont souligné la vulnérabilité aux abus de leurs êtres chers, et beaucoup ont exprimé leurs inquiétudes au sujet du sort de leurs êtres chers si ceux-ci leur survivaient : les solutions sans caractère officiel qui leur faciliteraient la tâche pour les aider ne conviendraient pas forcément en d’autres circonstances. Les questions d’abus sont abordées plus loin dans le présent rapport, mais ces questions ne sont pas sans intérêt pour les études d’autres conceptions de la prise de décision.

Les plus vives préoccupations au sujet des conceptions actuelles de la prise de décision ont porté sur la tutelle (sous le régime de la LPDNA ou sous celui de la LSM), par opposition à la prise de décision au moyen de procurations ou de mandataires aux termes de la LCSS. Les procurations permettent de choisir la ou les personnes qui apportent une aide à la prise de décision et elles se prêtent à une adaptation aux différentes circonstances. Elles ne supposent pas forcément une constatation officielle d’incapacité (bien que cela ne soit pas exclu), et ces documents personnels sont perçus comme étant moins susceptibles de marginaliser la personne que le statut juridique de la tutelle officielle. Les arrangements relatifs à la prise de décision prévus par la LCSS sont également perçus comme souples et relativement peu porteurs de stigmatisation. Comme la tutelle exige une déclaration officielle d’incapacité, demande souvent beaucoup de temps et entraîne des coûts élevés à l’entrée comme à la sortie, elle est perçue comme très « lourde ». Des membres de familles ont signalé avec insistance à la CDO que, dans l’ensemble, ils ne voyaient pas là une solution de la loi qui soit pratique ni adaptée pour leurs êtres chers. Certes, le nombre d’Ontariens en régime de tutelle est relativement faible[209], mais la tutelle est souvent la seule solution formelle pour les personnes ayant des déficiences intellectuelles qui ne peuvent prendre seules des décisions majeures : à la différence des personnes qui sont atteintes de déficiences ayant une incidence sur la capacité de prise de décision à un stade ultérieur de leur vie ou dont la déficience est épisodique, certaines peuvent n’avoir jamais été capables, à aucun moment de leur vie, de répondre au critère de détermination de la capacité juridique à respecter pour établir une procuration relative aux biens (si elles en ont) ou au soin à la personne. 

Comme on pouvait s’y attendre, les participants consultés qui sont directement touchés par la loi ont toute une gamme d’opinions sur la façon dont doivent se prendre les décisions qui influent sur leur vie, le rôle qui convient à leurs êtres chers et le type d’aide utile et adapté. Même si certains ont l’impression de se faire imposer une « aide » dont ils ne veulent pas, d’autres ont expliqué qu’ils se savent incapables de prendre certains types de décision ou qu’ils sont à certains moments incapables de prendre des décisions et qu’ils acceptent volontiers de se fier à des êtres chers pour prendre ces décisions en leur nom.

Il a été signalé que la prise de décision accompagnée est une solution plus réaliste pour certains que pour d’autres soit à cause de la nature et de l’ampleur des besoins de la personne, soit à cause du contexte social. Tous n’ont pas des membres de la famille ou des amis susceptibles de jouer ce rôle : certains sont isolés sur le plan social, d’autres vivent loin de ceux qui les aiment et les comprennent le plus, et d’autres encore ont des proches fragiles et vulnérables ou dépendants aussi de l’aide d’autrui. Cette dernière situation n’est pas rare chez les aînés, dont le réseau social vieillit avec eux. Même lorsqu’il existe des relations assez solides pour soutenir la prise de décision accompagnée, il n’existe aucune garantie de permanence. Cela vaut aussi pour la prise de décision au nom d’autrui; une autre difficulté réside dans le fait que les modèles de prise de décision accompagnée dépendent étroitement de ces relations de confiance et d’intimité. Lorsque ces relations disparaissent, disparaissent aussi les assises de la prise de décision accompagnée pour la personne en cause. 

Les enjeux relatifs aux usages concernant la prise de décision et aux cadres de responsabilité juridique sont souvent abordés dans un mode binaire qui oppose les mérites relatifs de la prise de décision au nom d’autrui et de la prise de décision accompagnée. La CDO estime que cette attitude risque de se traduire par une simplification outrancière des enjeux, car elle tend à escamoter les nuances des processus de prise de décision et du contexte social plus large, ainsi que la diversité des besoins et des soutiens disponibles. Dans son étude des propositions de réforme, la CDO s’est moins souciée de savoir si telle ou telle méthode constituait une prise de décision au nom d’autrui ou une prise de décision accompagnée ou si l’une de ces méthodes, prise globalement, était supérieure à l’autre, que de chercher la façon dont on peut, dans le contexte ontarien, réformer les lois et méthodes en place concernant la prise de décision et la responsabilité juridique pour mieux respecter les principes du Cadre pour les types très divers de personnes à qui s’appliquent les lois ontariennes sur la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle. Selon la CDO, la conception binaire des méthodes de prise de décision n’a guère de chances de bien répondre à la diversité des besoins dans la population ontarienne.
 

4.     Préoccupations au sujet des abus dans les arrangements de prise de décision accompagnée

Des préoccupations importantes se sont fait entendre au sujet des risques d’utilisation abusive des arrangements de prise de décision accompagnée. Étant donné que, dans leur forme la plus pure, les méthodes de prise de décision accompagnée n’imposent généralement aucune limite au droit de prendre des décisions qui peuvent être risquées, peu judicieuses ou entraîner des conséquences regrettables, il est plus difficile d’assujettir les accompagnateurs à des normes objectives et il peut donc être plus difficile d’exiger d’eux des comptes s’ils font un usage impropre de leur rôle. 

[traduction] Je ne veux pas apporter une ombre au tableau, mais je vois aussi beaucoup l’autre côté de la médaille. Nous présumons que les familles devraient apporter un plus grand soutien… Nous n’avons aucune difficulté, au moins chez nous, si quelqu’un dit par exemple : « Je veux que Sally s’assoie près de moi. C’est une chose que nous respectons, vous savez… mais nous voyons un nombre effarant de familles qui prennent les choses en main et, au fond, le patient… L’idée est intéressante, mais je crois vraiment que les problèmes résident dans les détails… À mon avis, ce n’est pas tant les lois qu’il faut modifier. C’est plutôt que les gens doivent mieux comprendre leur rôle de mandataire chargé de prendre des décisions au nom autrui.

Groupe de discussion – Joint Centre for Bioethics, 1er octobre 2014
 

Les accompagnateurs peuvent être tenus responsables de leur propre comportement dans la prise de décision par rapport à la personne en cause et aux tiers : en Alberta et au Yukon, les lois relatives à la prise de décision accompagnée traitent explicitement des fausses déclarations, de l’abus d’influence ou de la fraude, de la part des accompagnateurs, qui peuvent nuire à la personne, par exemple en réduisant l’importance de ses biens. Dans les deux administrations, il peut arriver que les décisions ne soient pas reconnues comme celles de la personne lorsque ces comportements sont constatés[210]. Toutefois, il peut être difficile de recueillir des preuves de fausse déclaration ou d’abus d’influence. Comme on l’a signalé plus haut, les usages concernant la prise de décision relèvent pour la plupart essentiellement de la sphère privée et n’ont pas de caractère officiel. Lorsque des relations personnelles étroites sont en cause, il y a probablement un réseau enchevêtré de relations de pouvoir et d’interdépendance : il peut être difficile, des points de vue pratique et psychologique, de dissocier les intérêts et les motivations des « accompagnateurs » de ceux de la personne qu’ils sont censés accompagner. Certaines personnes qui sont incapables de prendre leurs décisions seules peuvent avoir beaucoup de mal à discerner les motivations de ceux qui les accompagnent, à expliquer comment le processus de prise de décision peut se présenter à leur point de vue ou à se souvenir avec certitude du processus suivi. En pareilles circonstances, il peut être très difficile de montrer qu’il y a eu fausse déclaration ou abus d’influence, sinon dans les cas extrêmes. L’Advocacy Centre for the Elderly (ACE) a fait observer :

[traduction] Cet arrangement [prise de décision accompagnée] est difficile parce qu’il crée un risque d’influence indue de la part de l’accompagnateur désigné légalement. Même s’il existe aussi un risque dans les arrangements plus traditionnels des procureurs et des tuteurs aux biens, nous craignons que les mauvais traitements réels d’un accompagnateur ne soient plus difficiles à déceler, car l’identité véritable du décideur et les facteurs qui influencent chacune des décisions peuvent devenir opaques[211].

L’ampleur du risque d’abus dépend en partie de la façon dont on aborde la prise de décision accompagnée. Si on la conçoit comme une méthode qui ne convient qu’aux personnes qui peuvent faire appel à de l’aide pour évaluer elles-mêmes les problèmes et faire leurs choix, le risque n’est pas nécessairement beaucoup plus élevé que celui qui est assumé dans les procurations. Toutefois, si on y voit une démarche où toutes les personnes sont « accompagnées » et la capacité juridique est maintenue, même chez les personnes le plus lourdement handicapées, les risques sont nettement plus importants. C’est plus particulièrement le cas lorsque seulement une ou deux personnes peuvent se prétendre en mesure d’interpréter les volontés de la personne et que celle-ci n’a aucunement la possibilité de faire connaître en toute indépendance son mécontentement ou de demander de l’aide.
 

5.     Préoccupations au sujet de la clarté et de la responsabilité

Des prestataires de services et des tiers se sont inquiétés du manque inhérent de clarté dans les arrangements de prise de décision accompagnée. Dans les échanges avec les prestataires de services financiers, les personnes interviewées ont souvent exprimé de l’empathie pour les familles, vu les difficultés qu’elles doivent surmonter pour s’occuper de personnes ayant des déficiences qui nuisent à leur capacité de prendre des décisions, et fait valeur leur crainte que les arrangements proposés de prise de décision accompagnée n’imposent un fardeau déraisonnable à leurs institutions. Comme des représentants des institutions financières l’ont dit à la CDO, il est essentiel que les tiers puissent recevoir les instructions d’une personne qui a un pouvoir exécutoire; il ne peut y avoir des pouvoirs qui s’opposent. 

Voici une illustration des difficultés éprouvées : pendant les entrevues menées pour le projet, des institutions financières qui proposent des régimes enregistrés d’épargne-invalidité (REEI) ont parlé à la CDO de membres de familles qui souhaitaient ouvrir un compte REEI au nom d’un être cher, mais qui voulaient aussi que l’institution cache l’existence de ce compte à son titulaire ou qu’elle refuse de lui verser des fonds s’il en faisait la demande. Autrement dit, l’institution financière se faisait demander de reconnaître à des personnes ayant une capacité de prise de décision réduite un statut juridique comme titulaire d’un compte et de refuser à cette même personne les responsabilités élémentaires d’un titulaire de compte parce que les membres de sa famille l’estiment incapable d’exercer ces responsabilités, même avec leur soutien. Ce genre de situation place les prestataires de services financiers dans une position extrêmement difficile.  

La Coalition on Alternatives to Guardianship a recommandé, réagissant à ces préoccupations, que la loi protège les tiers qui concluent des ententes dans le cadre d’arrangements officialisés de prise de décision accompagnée dans la mesure où les tiers se conforment aux principes de la prise de décision accompagnée, respectent les fonctions d’accompagnateur et s’y adaptent. Les tiers auraient le droit de demander et de recevoir une copie notariée ou l’original de l’entente sur laquelle la personne s’appuie et ils auraient eux-mêmes le droit d’invoquer l’application de l’arrangement comme preuve de la validité des décisions[212].

Si la CDO interprète bien cette proposition, le tiers ne serait pas forcé de chercher plus loin que l’entente de prise de décision accompagnée. Pourvu qu’il n’y ait aucun indice clair d’abus, le tiers pourrait se fier à l’entente et considérer la personne comme responsable. Il incomberait à la personne de demander réparation à l’accompagnateur, s’il y avait contrainte ou abus d’influence. La CDO craint que cette façon de faire ne laisse de nombreuses victimes d’exploitation financière sans guère de recours concrets. En outre, bien que cette formule protège le tiers de toute responsabilité, celui-ci pourrait néanmoins être dans l’incapacité de faire respecter le contrat, qui pourrait être considéré comme déraisonnable. Autrement dit, pour répondre vraiment aux préoccupations que des tiers font entendre au sujet de la prise de décision accompagnée, il faudrait revoir de fond en comble certains des principes fondamentaux du droit contractuel.
 

6.     Répondre à la diversité des besoins

Les capacités de prise de décision peuvent être diminuées pour des raisons diverses, de manières différentes et à des degrés variables. Certains dont les capacités sont réduites par une maladie ou une déficience temporaire ou plus permanente peuvent être en mesure de continuer à prendre toutes leurs décisions seules, mais il peut leur falloir plus de temps ou des modalités de communication différentes. D’autres peuvent avoir besoin d’aide pour comprendre les choix possibles et les conséquences, mais avec cette aide, ils peuvent prendre leurs décisions seules. D’autres encore peuvent être en mesure de définir leurs objectifs généraux, sans pour autant pouvoir comprendre ni évaluer comment les divers choix peuvent les aider à atteindre ces objectifs. Dans d’autres cas, il faut déduire les objectifs de la personne à partir de ses comportements, de ses réactions à des situations et contextes divers ou encore des choix qu’elle a faits par le passé. D’autres personnes sont conscientes de leurs besoins et acceptent ou demandent de l’aide, mais d’autres pas. Certaines peuvent apprendre et améliorer leur capacité de prendre des décisions; d’autres sont dans un état de santé qui entraînera une détérioration constante de leurs capacités. Enfin, tout le monde aborde la prise de décision avec sa propre personnalité, en fonction de ses antécédents et de sa façon de recevoir de l’aide, de l’accès à différents niveaux et types de soutien.   

Au cours des consultations, plusieurs professionnels et prestataires de services ont déploré l’absence de nuances dans le système. Selon eux, le système est trop nettement binaire et convient mal aux situations qui se situent dans une zone indécise. Par exemple, il y a des personnes qui ont des résultats limites aux tests de capacité. 

[traduction] Je sens souvent la contrainte d’une conception dichotomique très arbitraire de la capacité. Et cela ne se limite pas à la démarche développementale. Nous avons des jeunes qui ont peut-être 16 ans, mais leur capacité non de comprendre, car ils sont souvent très capables de comprendre l’information… Mais il peut arriver que leur capacité de l’évaluer et de déduire les ramifications et l’impact dans leur vie fasse gravement défaut ou varie beaucoup, d’un jour à l’autre, selon la personne qui fait l’évaluation. Cela me dérange. Voilà le résultat. Voilà le contexte dans lequel je travaille. Même si un jeune est reconnu comme incapable, où cela nous mène-t-il? Vraiment pas très loin, à moins que nous n’ayons un processus qui permet à ce jeune de participer tout à fait aux échanges sur les décisions et, au bout du compte, de se rallier aux décisions, mais avec un peu d’optimisme dans le soutien apporté aux parents.

Groupe de discussion – Cliniciens, le 12 septembre 2014
 

Comme on y a fait allusion plus haut, beaucoup de professionnels des services cliniques et sociaux ont manifesté de l’intérêt pour le potentiel des méthodes de prise de décision accompagnée pour obtenir une gamme élargie de solutions dans des situations complexes ou pour des populations précises. Ils avaient toutefois tendance à penser que la notion pouvait s’appliquer plus facilement à certaines populations et à certaines situations qu’à d’autres. Par exemple, d’aucuns estiment qu’une condition préalable à une prise de décision accompagnée efficace est que la personne ait conscience de ses besoins et de ses limites, de façon qu’elle puisse évaluer efficacement les besoins en soutiens adaptés et l’accès à ces soutiens. D’autres sont d’avis que certains types de décision se prêtent mieux que d’autres à la collaboration. La notion de prise de décision accompagnée a donc été considérée comme une solution qui pouvait s’ajouter à celles que prévoit le système actuel au lieu de se substituer au modèle de la prise de décision au nom d’autrui. 

[traduction] Ce que je perçois, dans l’ensemble de l’organisation, c’est qu’une solution unique pour tous ne convient à personne. Nous observons beaucoup plus de collaboration avec les familles pour prendre des décisions dans certains domaines comme [indistinct] que nous n’en voyons dans les populations adultes. Et il y a des décisions, en ce qui concerne le logement ou la réadaptation, par exemple, qui se prennent presque par nécessité en collaboration. Nous ne pouvons transporter une personne dans son logement. Il arrive pourtant parfois, dans nos services très intensifs, par exemple, qu’une personne ait besoin d’un médicament donné, et il faut prendre une décision très tranchée au nom de quelqu’un qui ne peut la prendre. Cela est très important du point de vue de l’administration et de la prise de médicaments. Dans ce genre de situation où il faut de la collaboration, le modèle de la prise de décision accompagnée peut susciter bien des difficultés, lorsqu’il faut dispenser les soins médicaux poussés selon les besoins.

Groupe de discussion – Cliniciens, 12 septembre 2014

 

D.   Application des Cadres de la CDO

Les débats sur les modèles de décision semblent opposer vivement les principes du Cadre que sont la promotion de l’autonomie ainsi que la sûreté et la sécurité. Chose certaine, ceux qui préconisent la prise de décision accompagnée situent le débat en ces termes. Ce qui n’est pas dénué de toute valeur. La CDO a recueilli le point de vue de personnes directement touchées qui protègent farouchement leur autonomie. Elles se sentent surprotégées et surréglementées par leur mandataire spécial ou par les membres de leur famille qui leur apportent une aide informelle. Elles pensent qu’elles devraient avoir plus de latitude pour prendre des risques, faire des choix que d’autres désapprouveraient et, de façon générale, maîtriser leur propre vie. Le but de la prise de décision accompagnée est d’éviter les ingérences dans l’autodétermination par des conditions qui influencent leurs capacités de prise de décisions et de respecter la capacité de ces personnes de prendre des risques et d’en subir les conséquences. Comme il a été souligné dans tout le présent rapport, les lois actuelles comportent des lacunes sur le plan de la protection et de la promotion de l’autonomie. La prise de décision accompagnée serait peut-être un moyen de combler ces lacunes. 

Par ailleurs, ceux qui critiquent la prise de décision accompagnée signalent souvent ce qui, selon eux, est l’insuffisance des garanties pour la sûreté et la sécurité des personnes dans ce modèle de prise de décisions. Et plus est grave l’atteinte aux capacités de prise de décision des personnes en cause, plus les préoccupations sont vives. Tout modèle de prise de décision présente des risques. Ils sont inévitables, compte tenu de la nature même des déficiences qui rendent nécessaire ce domaine du droit. Les risques augmentent naturellement avec les vulnérabilités de ceux qui sont directement touchés par la loi, que ces risques soient liés à la gravité des déficiences, à une insuffisance de relations et de soutiens sociaux ou encore aux présomptions et attitudes négatives dans le contexte culturel large.  

Toutefois, comme la discussion générale sur les principes, au chapitre III, l’a nettement fait ressortir, il importe de ne pas aborder avec simplisme les principes et leurs interrelations. Ce ne sont pas tous ceux qui sont soumis au modèle de prise de décision au nom d’autrui qui voient là une intrusion injustifiable dans leur autonomie. Au cours des consultations, de nombreux participants directement touchés par ces lois estimaient que, compte tenu de leurs propres limites, leurs êtres chers étaient mieux placés pour prendre certains types de décision et souhaitaient leur confier ce rôle.  

[traduction] S’il n’y avait pas eu de procuration déjà en place, ç’aurait été la catastrophe, car j’ai trouvé que mes soins [à l’hôpital] étaient horribles… Vous le savez, et pour être honnête avec vous, d’habitude, nous ne sommes pas, à ce point-là, en état de comprendre ce qui se passe ni, a fortiori, de se faire expliquer quoi que ce soit.

Groupe de discussion – Personnes ayant des lésions cérébrales acquises, 7 novembre 2014
 

Comme on l’a vu au chapitre III, certains estiment que les documents de planification comme les procurations sont un moyen de préserver leurs choix et leur identité si jamais il y avait des changements dans leurs capacités : l’idée de nommer quelqu’un d’autre pour prendre des décisions en leur nom n’est pas perçue comme contraire à leur autonomie, à moins qu’on n’abuse de la procuration. Des couples mariés, par exemple, se représentent parfois ce type d’attribution de responsabilités comme un prolongement des rôles assignés et du partage des tâches tout au long de leur relation. Ces personnes font confiance à leur conjoint pour prendre des décisions en leur nom et respecter, ce faisant, leur individualité. Elles ne perçoivent pas la notion de prise de décision au nom d’autrui comme quelque chose d’étranger ou d’interventionniste. Les jeunes ayant des déficiences qui touchent leurs capacités de prise de décisions ont tendance à manifester plus d’intérêt pour la possibilité d’apporter des changements et de prendre des risques, et ils insistent donc davantage sur le respect de leurs valeurs et objectifs du moment. Bien que la CDO n’ait pas pu étudier très largement les perspectives des diverses cultures sur les modèles de prise de décision, il est important de garder à l’esprit que le sexe et la culture peuvent aussi influencer la façon d’aborder l’autonomie et la prise de décisions. 

[traduction] La plupart d’entre nous qui avons des parents issus d’une autre culture savons qu’ils ont une conception différente de la valeur de l’autonomie et de la façon d’aborder la prise de décision accompagnée pour telle personne, pour tel groupe. J’ai conscience aussi bien des différences intraculturelles que des différences entre cultures, et c’est un aspect qu’il ne faut pas perdre de vue. C’est un élément dont il faut tenir compte dans nos échanges.

Groupe de discussion – Joint Centre for Bioethics, 1er octobre 2014
 

Autrement dit, en abordant la promotion des principes de l’autonomie et de la sécurité dans les modèles de prise de décisions, il faut aussi prendre en considération le principe du respect de la diversité. Il se peut qu’il n’y ait pas une façon unique préférable d’aborder la prise de décisions, capable de refléter le large éventail des besoins et expériences chez ceux qui sont directement touchés par la loi. Si un objectif de ce domaine du droit est de répondre aux aspirations parfois en conflit en ce qui concerne la maîtrise des décisions et les garanties contre l’exploitation, il se peut qu’il n’y ait pas un moyen unique idéal d’atteindre cet objectif. 

Les principes de l’adhésion à la collectivité au sens large et de la reconnaissance du fait que nous vivons tous en société sont particulièrement pertinents dans l’étude des modèles de prise de décision, car ils font ressortir l’importance de prendre en compte les besoins légitimes en matière de clarté, de certitude et de responsabilité de ceux qui assurent des services à des personnes dont les capacités de prise de décision sont atteintes ou de conclure des ententes avec eux, comme on l’a vu plus haut. Peu importe la façon d’aborder la question, il faut préciser clairement qui a le pouvoir juridique – et donc la responsabilité – à l’égard de toute décision prise, notamment par rapport à des tiers, mais aussi par rapport à quiconque a part à l’arrangement.
 

E.     Conception de la réforme selon la CDO

Les enjeux, dans ce domaine, font surgir des difficultés considérables. La loi s’applique à tous, mais les besoins de ceux qui sont touchés varient beaucoup d’un groupe à l’autre, dans le temps et selon la nature des décisions. La volonté de trouver des méthodes qui ne marginalisent pas les personnes en cause et assurent une plus grande autonomie cadre peut-être mal avec les besoins en matière de clarté et de responsabilité et avec les préoccupations au sujet des comportements abusifs et impropres. La recherche de nouvelles méthodes capables de mieux répondre aux besoins peut entraîner des risques pour les personnes qui tendent à être marginalisées et vulnérables et pour qui les erreurs dans les méthodes peuvent avoir des conséquences graves et durables. La CDO a étudié avec soin les moyens de tenir compte au mieux de ces considérations divergentes. 

1.     Prise de décision au nom d’autrui : un dernier recours

La réforme législative qui a abouti aux lois en vigueur a défini comme l’une de ses valeurs centrales la protection contre les interventions inutiles, et la LPDNA et la LCSS prévoient de nombreux mécanismes qui visent à promouvoir cette protection, dont la présomption de capacité juridique, des conceptions de la capacité fondées sur la décision, des garanties procédurales pour les personnes dont l’incapacité juridique a été constatée et les dispositions « les moins contraignantes » de la LPDNA à l’égard des tutelles établies par les tribunaux. Beaucoup d’organismes et de particuliers reconnaissent la gravité d’une constatation d’incapacité juridique et la considèrent comme un dernier recours. Il n’en reste pas moins clair que, dans les faits, les lois n’ont pas atteint tout à fait cet objectif : tout au long des consultations, il s’est dégagé un large consensus pour dire qu’un des objectifs de la réforme en ce domaine devrait être de limiter le recours aux arrangements de prise de décisions au nom d’autrui et plus particulièrement à la tutelle, qui est plus interventionniste que les procurations ou les nominations aux termes de la LCSS, aux cas où ils sont vraiment justifiés. Les participants ne s’entendaient pas pour dire dans quelle mesure il fallait réduire encore le recours à la prise de décision au nom d’autrui, mais ils étaient certainement d’accord pour conclure qu’il y avait place pour des améliorations en veillant à ce que ces arrangements soient un dernier recours. Et tout au long du présent rapport, la CDO propose des recommandations qui vont en ce sens. 

Il y a notamment des recommandations visant à :

·       promouvoir chez les mandataires spéciaux une meilleure compréhension de leurs attributions (chapitre XI);

·       améliorer la qualité des évaluations de la capacité et des garanties procédurales connexes de façon éviter que des personnes ne soient jugées incorrectement comme juridiquement incapables (chapitre V);

·       améliorer la transparence et la responsabilité pour les nominations personnelles, de façon à réduire les utilisations impropres de ces nominations (chapitre VI);

·       accroître la souplesse et le choix des solutions possibles lorsque des mandataires spéciaux sont nommés de l’extérieur pour permettre une meilleure adaptation de la durée et de la portée des nominations et réduire le nombre de nominations inutiles (chapitre IX);

·       renforcer les dispositifs d’application des droits et de règlement des différends et, plus particulièrement, assurer un meilleur accès à ces mécanismes grâce à un recours accru à la justice administrative (chapitre VII).

 

2.     Favoriser des méthodes constructives de prise de décision

Ceux qui préconisent la prise de décision accompagnée estiment que, par sa nature même, la prise de décision au nom d’autrui est incompatible avec le maintien de l’autonomie et de la dignité des personnes en cause et que la suppression du statut juridique de responsabilité des décisions qui découle d’une constatation d’incapacité est fondamentalement contraire à la possibilité que la personne ait la maîtrise de sa propre vie et puisse agir. 

C’est là une critique convaincante. Le statut juridique lié à la prise de décision au nom d’autrui a un impact sur les plans pratique et symbolique. La suppression évidente de la responsabilité juridique d’une série de décisions non seulement sape la capacité concrète de la personne de faire certaines opérations en toute indépendance, mais rabaisse aussi son statut social comme principal décideur dans sa propre existence. En un sens, cela compromet le « visage public » de la personne. 

La question de savoir comment la loi doit reconnaître divers types de prise de décisions lorsqu’une personne ne peut agir en toute indépendance ne saurait être isolée complètement de celles des méthodes de prise de décision sur le terrain. Toutefois, comme le passage précédent l’a montré, les usages pratiques concernant la prise de décision ne sont pas nécessairement déterminés par le statut juridique. Les membres de la famille peuvent aborder leur rôle de prise de décision au nom d’autrui d’une façon qui s’harmonise avec les pratiques de la prise de décision accompagnée. Ces modalités ne sont certainement pas contraires au fond ou à la lettre des lois actuelles. En fait, beaucoup de professionnels et de prestataires de services sinon la plupart d’entre eux les adopteraient et en feraient la promotion, les présentant comme de bonnes pratiques.  

Comme l’ont fait remarquer un certain nombre de personnes au cours des consultations de la CDO, la vulnérabilité aux abus et à la manipulation de ceux dont des déficiences altèrent les capacités de prise de décision découle non seulement ni même principalement de la perte de statut juridique associée à la constatation d’incapacité, mais aussi de barrières sociales beaucoup plus générales et plus difficiles à abattre. Il n’est pas difficile d’imaginer un régime dans lequel tous conservent leur capacité juridique, mais dans lequel les interactions des accompagnateurs avec ceux qu’ils accompagnent sont paternalistes et directives. En d’autres termes, même si, sur le plan des principes, la « prise de décision accompagnée » vise à promouvoir la capacité de maîtriser sa propre vie, comme dans tout régime juridique en ce domaine, il y aura toujours d’importantes difficultés à surmonter dans la mise en œuvre et dans la pratique quotidienne qui, par sa nature, est difficile à surveiller.  

La CDO a donc envisagé des recommandations visant à soutenir et à renforcer des méthodes constructives de prise de décision. Il faudrait par exemple encourager davantage la participation la plus importante possible de la personne aux décisions qui touchent sa vie et veiller à ce que les décisions soient attentives dans toute la mesure du possible aux valeurs, aux préférences et aux objectifs de vie de la personne et les reflètent.
 

3.     Harmonisation de la responsabilité juridique et des méthodes de prise de décision

Dans le présent chapitre et au chapitre IV, on a accordé une attention considérable à la répartition de la responsabilité juridique lorsque des personnes sont incapables de prendre seules des décisions. 

La CDO estime qu’il y a une différence entre les obligations éthiques que des personnes assument lorsqu’ils aident une autre personne à comprendre l’information associée à une décision et à peser les risques et les avantages et une situation où des personnes font appel à leur empathie et à leur expérience pour guider l’entreprise incertaine que sont l’interprétation des valeurs et objectifs d’une autre personne et leur application dans la pratique. Il y a une limite à la capacité des humains de comprendre même ceux qu’ils connaissent le mieux et d’interpréter leurs volontés. Même en faisant les plus grands efforts et en étant animés des meilleures intentions, ils peuvent toujours se tromper lorsqu’ils essaient de se mettre à la place de quelqu’un d’autre. On ne veut pas dire par là que ces efforts sont dénués de toute valeur, mais souligner le risque qu’il y a à simplement attribuer une décision prise de cette manière à l’autre personne uniquement, sans admettre le rôle important de l’intermédiaire. 

Les structures de responsabilité juridique devraient tenir compte de la différence entre le fait que la personne prend effectivement la décision elle-même et le cas où quelqu’un d’autre agit comme intermédiaire. Lorsqu’une décision est prise au moyen de déductions guidées par l’empathie, celui qui prend la décision de cette manière devrait être conscient du fait qu’il se livre à une activité dont le poids moral est important et que les obligations qui lui incombent sont lourdes. De plus, la personne qui est au centre de la démarche ne devrait pas être limitée à subir les conséquences juridiques. Autrement dit, les structures de responsabilité juridique devraient refléter le plus fidèlement possible le processus concret de prise de décision. Lorsque la personne prend elle-même la décision, en fin de compte, même si c’est avec l’aide de quelqu’un d’autre, il est raisonnable qu’elle garde la responsabilité de cette décision. Toutefois, lorsqu’une autre personne évalue les possibilités diverses et les conséquences, même en s’appuyant sur les valeurs et les préférences de la personne en cause, celui qui fait l’analyse devrait avoir clairement la responsabilité et subir les conséquences juridiques de la décision qui est prise au bout du compte.
 

4.     Des solutions pour répondre à la diversité des besoins

Les besoins et les circonstances propres à ceux qui sont touchés par ce domaine du droit sont extrêmement divers. Ils ont besoin de différents types et niveaux de soutien et d’aide, doivent affronter différents types de risque et se situent dans des contextes très différents. Les façons d’aborder ce domaine du droit doivent, dans la mesure du possible, reconnaître et accueillir cette diversité. C’est là une tâche ardue, notamment parce que, en fournissant un éventail de choix, on ajoute à la complexité d’un système qui semble déjà compliqué et parce que les systèmes ont généralement du mal à s’adapter à des situations qui ne permettent pas des réponses par oui ou par non. 

Comme on l’a fait remarquer plus haut, c’est chez ceux qui s’occupent des personnes ayant des déficiences intellectuelles que s’est manifesté le plus vif intérêt pour la « prise de décision accompagnée ». Les notions sur lesquelles repose cette conception de la capacité et de la prise de décision peuvent être interprétées comme un prolongement des principes sous-jacents au mouvement de la vie communautaire. L’idée semble trouver moins d’échos dans d’autres groupes qui sont touchés de façon disproportionnée par ces lois. En fait, certains défenseurs d’autres groupes touchés ont exprimé de vives préoccupations, craignant que les nouvelles conceptions ne présentent des risques de comportements abusifs et impropres et doutant qu’elles conviennent aux besoins des personnes en cause. Dans la mesure où la prise de décision accompagnée a été mise en place dans des administrations en régime de common law et où des observations ont été recueillies au sujet de sa mise en œuvre, les méthodes fondées sur la prise de décision accompagnée ont été constatées presque toutes dans les milieux qui s’occupent de personnes ayant des déficiences intellectuelles. On ne voit pas très clairement comment, dans les faits, elles s’appliqueraient à certains autres groupes. Comme on le dit ailleurs, les aspirations à la dignité, à la participation et à l’autonomie sont largement répandues, mais les moyens de répondre à ces aspirations peuvent varier selon les groupes et les individus. La CDO estime qu’il faut comprendre et respecter ces différences. Ce qui convient bien à certains peut ne pas marcher pour tout le monde. Les soutiens nécessaires pour parvenir à l’autonomie peuvent différer nettement, et il se peut qu’un cadre juridique unique ne convienne pas bien pour répondre à ces besoins divers. Il nous faut toutefois reconnaître que les craintes d’abus et le droit des tiers à savoir clairement qui doit rendre des comptes sont des questions communes à différentes démarches.
 

5.     Réalisation progressive

Les principes qui sont à la base de la Convention relative aux droits des personnes handicapées – respect de la dignité intrinsèque, autonomie personnelle avec la liberté de faire ses propres choix et l’indépendance des personnes; non-discrimination; participation pleine et effective à la société et l’inclusion; respect de la différence et acceptation des personnes ayant des déficiences comme faisant partie de la diversité humaine et de l’humanité; égalité des chances; accessibilité – doivent guider toute conception de ce domaine du droit, et ils sous-tendent les principes du Cadre de la CDO. 

Certains ont souhaité une conception de la capacité juridique et de la prise de décision plus souple, nuancée et respectueuse de la dignité des personnes touchées, ce qui obligera à aborder le droit avec plus d’imagination. En ce moment, un grand nombre d’administrations réexaminent leurs lois et certaines ont récemment mis en œuvre des modifications importantes ou sont en train de le faire. Toutefois, comme il est signalé dans le Document de travail, il existe à l’heure actuelle peu d’éléments qui puissent servir de base à la réforme du droit. Vu la vulnérabilité de la population touchée, la CDO craint que la réforme ne se fasse d’une manière qui minimise le risque d’effets négatifs graves qui ne sont pas souhaités, puisqu’on craint que la prise de décision accompagnée ne permette des abus dans certaines circonstances. À défaut de la prudence nécessaire et d’un bon équilibre dans la réforme de ce domaine du droit, ceux dont on veut promouvoir les droits risquent plutôt de se retrouver dans une situation pire, d’autant plus que nombre de ceux qui sont touchés risquent déjà davantage que l’ensemble de la population d’être victimes de marginalisation et d’abus. 

Voilà pourquoi la CDO s’inquiète plus particulièrement de la position prise dans l’Observation générale voulant que ces droits ne soient pas l’objet d’une mise en œuvre progressive, mais d’une mise en œuvre immédiate. Il est essentiel de progresser vers une plus grande dignité et une plus grande autonomie pour les personnes touchées par ce domaine du droit, mais il est tout aussi essentiel de le faire en s’appuyant sur des faits, en s’attaquant de façon réaliste et pratique aux difficultés, en tenant compte de la diversité des besoins et des situations des personnes touchées et en faisant preuve d’une prudence raisonnable pour éviter de faire par inadvertance plus de mal que de bien. 

La CDO croit donc que conviendrait une démarche de mise en œuvre progressive de la réforme en ce domaine, démarche qui reprend celle qui sous-tend l’article 12, vise à mieux promouvoir et protéger les principes du Cadre et vise à les appliquer en tablant sur les bonnes pratiques existantes, en proposant de nouveaux choix assortis de garanties soigneusement étudiées et en évaluant les faits qui sont à la base des réformes.
 

F.     Projets de recommandation 

1.     Préciser les exigences législatives des méthodes de prise de décision au nom d’autrui 

Comme on l’a soutenu plus haut, un objectif premier de la législation en ce domaine du droit devrait être de favoriser des méthodes constructives de prise de décision. 

Ni la LPDNA ni la LCSS n’interdisent une conception des usages concernant la prise de décision qui soit ancrée dans le respect des objectifs et des valeurs de la personne en cause et qui vise à maximiser sa capacité de maîtrise, et une telle conception ne leur est pas contraire. Un certain nombre de dispositions de la LPDNA vise à promouvoir une démarche de cette nature, y compris les obligations suivantes des mandataires spéciaux : 

·       encourager la participation de la personne à la prise de décision au mieux de ses capacités; 

·       favoriser des contacts réguliers entre la personne et les membres de la famille et les amis qui la soutiennent;

·       consulter de temps à autre d’autres personnes qui apportent un soutien et qui sont en contact avec la personne;

·       chercher à favoriser l’indépendance de la personne[213].

Rôles du mandataire spécial à l’égard du soin de la personne

La LPDNA donne également des directives raisonnablement claires sur la façon dont les mandataires spéciaux prennent leurs décisions. Dans le cas des décisions sur le soin de la personne, ils doivent agir conformément aux désirs de la personne, lorsqu’elle avait ses capacités, s’ils sont connus (et ils doivent faire preuve d’une diligence raisonnable pour les connaître), et, lorsque ces désirs n’existent pas, ils doivent tenir compte des valeurs, des croyances et (s’ils sont vérifiables) des volontés de la personne, ainsi que de sa qualité de vie[214]. Le mandataire spécial au soin de la personne doit également opter pour la solution la moins contraignante et la moins interventionniste qui soit disponible et qui convienne dans les circonstances[215]. De la même façon, la LCSS prévoit des directives claires pour les mandataires spéciaux qui ont à prendre des décisions relativement aux traitements ou à l’admission en foyer de soins de longue durée : ils doivent tenir compte des vœux exprimés lorsque la personne était capable et, si ces vœux n’existent pas, de divers facteurs, dont les désirs de la personne, ses valeurs et ses croyances[216].

Selon la CDO, ces exigences relatives à la prise de décision sont conformes aux principes du Cadre et à la conception des modes d’accompagnement et de renforcement de l’autonomie dans les méthodes de prise de décision proposées par ceux qui préconisent la prise de décision accompagnée (mais sans leur façon d’aborder le statut juridique et la responsabilité). La CDO ne relève pas, dans le texte de la LCSS ou de la LPDNA, de contradiction notable, en ce qui concerne les décisions sur le soin de la personne, avec la perspective de « la meilleure interprétation de sa volonté et de ses préférences » présentée dans l’Observation générale et dans certaines observations écrites. Bien que le libellé des lois ontariennes à propos de ces cas puisse être quelque peu différent, l’objectif est harmonieux. Il faut bien entendu le comprendre dans son contexte, qui prévoit que la décision ultime revient au mandataire spécial.  

Pour l’essentiel, le rôle général et les principes, en ce qui concerne la prise de décisions au nom d’autrui qui portent sur le soin de la personne, sont clairs et semblent convenir, bien qu’il y ait des inquiétudes au sujet d’une incompréhension répandue du rôle des mandataires spéciaux chargés du soin de la personne. Une erreur courante et troublante est la croyance que ces mandataires possèdent un large pouvoir pour restreindre l’accès à la personne. Ainsi, il n’est pas rare que, à cause d’un différend personnel ou d’une aversion, un enfant adulte restreigne pour un de ses frères ou sœurs l’accès au parent, ou qu’un parent tente de régir la vie sentimentale d’un enfant adulte, ce qui va à l’encontre des désirs de la personne dont le mandataire spécial a la charge. La CDO a appris que le personnel des foyers de soins de longue durée ou de retraite facilite de façon inadmissible l’application de ces refus d’accès. 

La CDO a entendu s’exprimer des préoccupations au sujet du manque de clarté et de garanties procédurales quant au pouvoir des mandataires spéciaux de prendre des décisions sur des questions très graves, comme la détention en foyer de soins de longue durée ou une maison de retraite. Un grand nombre de ces établissements ont des unités de sécurité pour protéger la sécurité des résidents dont les déficiences sont telles qu’ils risquent de se perdre ou de se faire du mal. S’il est vrai qu’une détention de longue durée peut s’imposer pour garantir la sécurité de personnes vulnérables, cette détention met en cause des intérêts fondamentaux de liberté et d’autonomie. Il faut donc concilier les droits avec soin. L’Advocacy Centre for the Elderly (ACE) a signalé que la légalité de ces unités de sécurité n’était pas évidente[217]. 

Les prestataires de services de santé ont l’obligation juridique de dispenser des soins à leurs patients, tout comme les hôpitaux et les foyers de soins de longue durée, et non seulement pour les patients, mais aussi pour toutes les personnes qui se trouvent de façon licite dans leurs locaux. La common law prévoit un droit limité de maîtriser ou de confiner une personne, pendant de brèves périodes d’urgence, lorsqu’il est nécessaire de prendre des mesures immédiates pour éviter qu’elle ne subisse ou ne cause à autrui un préjudice physique grave[218], et la LCSS maintient explicitement ce « devoir de common law »[219]. Toutefois, ni la LPDNA ni la LCSS ne prévoient un pouvoir clair permettant au tuteur de la personne, à la personne qui a une procuration au soin de la personne ou nommée aux termes de la LCSS de consentir à une détention permanente en foyer de soins de longue durée ou une maison de retraite, sinon dans les circonstances rares où une « clause d’Ulysse », telle que la permet le paragraphe 50(2) de la LPDNA a été ajoutée dans la procuration relative au soin de la personne, « autorisant le procureur et les autres personnes qui relèvent de lui à recourir à la force nécessaire et raisonnable dans les circonstances pour emmener le mandant à tout endroit pour qu’il y reçoive des soins ou un traitement, pour faire admettre le mandant à cet endroit et pour l’y détenir et maîtriser pendant la durée des soins ou du traitement ».   

Bien entendu, les personnes nommées aux termes de la LCSS n’ont le pouvoir de prendre que les décisions relatives aux traitements, à l’admission en foyer de soins de longue durée ou aux services d’aide personnelle, selon les constatations précises d’incapacité. Elles n’ont donc aucun pouvoir à l’égard de la détention. La Loi sur la santé mentale traite longuement de l’admission involontaire de personnes chez qui on a diagnostiqué des troubles mentaux et qui répondent à un certain nombre d’autres conditions[220], mais il ne s’agit pas là d’une démarche qui puisse s’appliquer ou qui convienne à de nombreux résidents d’foyers de soins de longue durée ou de maisons de retraite. Dans R. v. Webers, notamment, la cour a conclu qu’un patient hospitalisé à qui n’avaient pas été données les garanties procédurales prévues dans la Loi sur la santé mentale avait été illégalement détenu[221].

La Loi de 2007 sur les foyers de soins de longue durée prévoit un dispositif détaillé pour encadrer la détention de résidents, avec le consentement du mandataire spécial, au besoin, et des dispositions prévoyant un avis écrit et un examen par la Commission du consentement et de la capacité; toutefois, ces dispositions n’ont jamais été mises en vigueur[222]. Il existe dans la Loi de 2010 sur les maisons de retraite des dispositions parallèles qui n’ont pas été proclamées en vigueur[223]. Elles sont accompagnées de dispositions de la LCSS, non proclamées non plus, qui précisent les compétences de la CCC au sujet des unités de sécurité[224]. 

Au-delà des difficultés liées au manque de clarté au sujet de la détention dans les foyers de soins de longue durée ou des maisons de retraite de personnes privées de capacité juridique, il existe des préoccupations au sujet du manque de garanties acceptables et de garanties procédurales à l’égard des décisions de cette nature, qui privent les personnes en cause de droits tout à fait fondamentaux. Comme la Commission du droit du Victoria l’a dit à ce propos, [traduction] « comme la liberté est une valeur de la plus haute importance dans notre société, on peut soutenir avec vigueur que les mesures qui supposent une perte totale de la liberté devraient être autorisées selon un processus assorti des freins et contrepoids qui conviennent[225] ». La Commission de réforme du droit du Victoria a recommandé que les méthodes sans caractère officiel relatives à la détention, dans cet État d’Australie, soient remplacées par un nouveau processus d’autorisation, ce qui respecterait mieux les intérêts de la liberté[226]. Dans l’affaire Bournewood, très remarquée, au Royaume-Uni, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu que la détention à l’hôpital d’un autiste qui n’avait pas de capacité juridique violait les dispositions de la Convention européenne qui protège le droit à la liberté et à la sécurité de la personne, car l’absence de garanties procédurales autour de ces détentions les rendait « illicites »[227]. En réaction à cet arrêt, la Mental Capacity Act, 2005, prévoit à l’annexe A.1 un régime très élaboré qui comporte des exigences détaillées précisant quand et comment on peut autoriser une privation de liberté, un processus d’évaluation qu’il faut appliquer avant que la privation de liberté ne puisse être autorisée et des dispositions permettant de renouveler et de contester les autorisations de privation de liberté[228].
 

PROJET DE RECOMMANDATION 15.            Que le gouvernement ontarien prévoie dans la législation un processus comprenant des procédures de consentement à la détention dans des foyers de soins de longue durée ou des maisons de retraite pour les personnes privées de capacité juridique et pour qui la détention s’impose à cause de préoccupations vitales en matière de sûreté et de sécurité, et répondant au besoin de clarté et de garanties procédurales de façon à protéger les droits fondamentaux à la liberté.
 

Rôles du mandataire spécial à l’égard de la gestion des biens

En ce qui concerne les décisions sur la gestion des biens, la LPDNA présente une liste hiérarchisée des priorités qui doit guider ces décisions, la priorité étant accordée aux dépenses raisonnablement nécessaires pour l’éducation, le soutien et le soin de la personne, suivies des dépenses raisonnablement nécessaires pour répondre aux besoins des personnes à sa charge, après quoi vient la satisfaction d’autres obligations juridiques. La LPDNA autorise les cadeaux, les prêts et les dons à des organismes de bienfaisance, mais des conditions limitées s’appliquent[229]. En général, le mandataire spécial aux biens doit exercer ses pouvoirs « dans l’intérêt de l’incapable » et notamment en tenant compte du confort et du bien-être de l’incapable, et il doit gérer les biens d’une manière qui respecte les décisions concernant le soin de la personne[230]. Cela ne cadre pas aussi clairement que les dispositions sur le soin de la personne avec une prise de décision axée sur les valeurs et les préférences de l’incapable. Bien que la LPDNA ne parle pas d’une prise de décision qui soit fondée sur les « intérêts supérieurs », dans la liste de priorités, elle restreint l’éventail des possibilités et exige essentiellement que les mandataires spéciaux empêchent une mauvaise gestion de l’argent, qui serait par exemple distribué à des parents et amis ou consacré des achats extravagants, pour faire en sorte que le bénéfice des biens revienne principalement à l’incapable. Cela peut certainement être perçu comme une attitude paternaliste; en revanche, les personnes qui n’ont pas été jugées juridiquement incapables peuvent prendre des décisions stupides ou risquées qui entraîneront leur appauvrissement. 

Étant donné le risque que les personnes dont les capacités de prise de décision sont atteintes soient victimes d’exploitation financière de la part de ceux à qui elles font confiance, la CDO estime qu’il est raisonnable de maintenir des restrictions objectives pour encadrer les décisions sur les biens pour les juridiquement incapables. En d’autres termes, adopter comme seul critère pour les décisions sur les biens la « meilleure interprétation de la volonté et de la préférence » de la personne faciliterait beaucoup trop la tâche de personnes sans scrupules qui pourraient se livrer impunément à l’exploitation financière. 

Toutefois, la CDO croit également qu’il serait bénéfique que la LPDNA dispose clairement que, à l’intérieur des priorités existantes, les mandataires spéciaux doivent prendre les décisions sur la gestion des biens en tenant compte des objectifs de vie et des valeurs de la personne, exprimés lorsqu’elle était juridiquement capable ou manifestés après la constatation d’incapacité juridique. Plus précisément, le mandataire spécial doit, dans les dépenses faites pour le soutien, l’éducation et le soin de l’incapable, tenir compte à la fois des vœux exprimés avant l’incapacité et des valeurs et objectifs de la personne au moment présent. La CDO ne croit pas que cela doive s’étendre à l’attribution de ressources pour les besoins de personnes à charge. En effet, ce sont souvent les personnes à charge qui prennent des décisions au nom de la personne incapable, et cela susciterait des craintes d’influence indue et de conflit d’intérêts. 

De plus, la CDO a entendu s’exprimer tout au long des consultations des craintes selon lesquelles les dispositions de la LPDNA sur la gestion des biens risquent d’être mal comprises et utilisées de façon abusive pour structurer les finances de la personne incapable de façon à maximiser les avoirs de la succession et à réduire les impôts. Certains des différends, aux termes de la LPDNA, qui ont le plus traîné en longueur peuvent se décrire comme des litiges successoraux préliminaires. Les prestataires de services financiers ont fait remarquer fréquemment que les mandataires spéciaux semblent interpréter de façon littérale les dispositions de la LPDNA voulant que le mandataire spécial ait « le pouvoir de faire, au nom de l’incapable, tout ce que pourrait faire ce dernier relativement à ses biens s’il était capable, à l’exception de son testament[231] », sans égard à l’objet de loi, soutenant qu’ils devraient avoir le droit de convertir carrément les actifs financiers ou leur structure à l’avantage de la succession plutôt que de la personne incapable. 

La CDO a également appris qu’on redoute que les mandataires spéciaux aux biens ne puissent se servir de leur pouvoir à l’égard des biens pour exercer de façon inacceptable un contrôle sur les choix de la personne incapable, par exemple en refusant de payer le téléphone ou Internet pour rompre les relations qu’ils désapprouvent, même si la personne a toutes ses capacités voulues pour prendre ce type de décision. 

Il peut donc être utile de préciser dans le texte législatif que le but primordial de la prise de décision au nom d’autrui n’est pas, par exemple, de maximiser les actifs, d’exercer un contrôle sur les choix personnels de l’incapable, ni de préparer le transfert à la succession, mais de maximiser le bien-être de la personne, l’idée de bien-être comprenant l’autonomie de la personne, son inclusion et sa participation à la société, sa sécurité, sa dignité et sa qualité de vie en général.
 

PROJET DE RECOMMANDATION 16.            Que le gouvernement ontarien modifie les exigences prévues par la législation à l’égard des usages concernant la prise de décision pour la gestion des biens afin :

a)     de préciser que l’objet de la prise de décision au nom d’autrui à l’égard des biens est de permettre de prendre les décisions nécessaires pour assurer le bien-être et la qualité de vie de la personne et honorer les engagements financiers nécessaires pour atteindre ces fins; 

b)     d’exiger que, lorsque des ressources sont affectées au soutien, à l’éducation et au soin de la personne, il soit tenu compte des vœux exprimés par celle-ci avant son incapacité ou, lorsque ces vœux n’ont pas été exprimés, des valeurs et des vœux, au moment présent, au sujet de son bien-être et de sa qualité de vie.
 

Préciser la terminologie

Lorsque la LPDNA a été adoptée, le terme « mandataire spécial » ne voulait pas dire que la personne ainsi nommée avait un pouvoir sans limites lui permettant d’imposer ses propres valeurs et préférences à la personne au nom de qui il agissait, et les dispositions de la loi ne disent pas que les mandataires spéciaux ont un rôle de cette nature. Toutefois, la CDO a constaté suffisamment d’erreurs de compréhension de ce terme au cours des consultations publiques pour conclure qu’il est souvent assimilé à une conception fondée uniquement sur les « intérêts supérieurs », dans laquelle le jugement du mandataire spécial remplace les valeurs de la personne en cause et peut contribuer dans une certaine mesure à des méthodes de prise de décision inacceptables.  

[traduction] L’une des plus grandes lacunes qu’on observe, selon moi, c’est que, lorsque quelqu’un apprend qu’il est mandataire spécial, il n’est pas conscient du fait qu’il doit prendre la décision que l’autre personne aurait prise et non ce que le lui-même souhaite. Voilà une anomalie que je remarque.

Groupe de discussion – Prestataires de services communautaires, 26 septembre 2014
 

D’autres administrations ont cherché à remplacer le terme « substitute decision-maker » (mandataire spécial). Ainsi, l’Irish Bill (actuellement à l’étape du comité) parle plutôt de « decision-making representatives » (représentants à la prise de décision), terminologie qui trouve un certain écho dans les dispositions de la LCSS qui parlent de la nomination, par la Commission du consentement et de la capacité, d’un « représentant » pour prendre des décisions aux termes de la Loi. La Mental Capacity Act de l’Angleterre et du Pays de Galles dispose que la Cour de protection charge un « deputy » (représentant) de prendre les décisions qui s’imposent. 

La CDO a envisagé divers termes qui pourraient mieux traduire la nature du rôle que le régime ontarien relatif à la capacité juridique, à la prise de décision et à la tutelle attribue aux mandataires spéciaux. 

·       Le terme anglais « agent » [traduction : mandataire] [est défini ainsi : [traduction] « Quiconque agit au nom d’une autre personne contre rémunération ou non[232] », ou : [traduction] « Quiconque agit, par consentement mutuel, dans l’intérêt d’une autre personne; quiconque est autorisé par une partie à agir au nom de cette partie[233] ». Le mandataire est donc employé pour agir au nom d’une autre personne; les actes qu’il accomplit dans le champ de sa compétence lient le mandant[234]. Le devoir principal du mandataire est de respecter et d’exécuter les instructions du mandant[235] et de faire de son mieux dans l’intérêt du mandant[236]. S’il s’écarte des instructions du mandant, l’opération n’est pas reconnue[237]. Le mandataire qui ne respecte pas les instructions est responsable des dommages qui peuvent en découler pour le mandant[238]. Fait important, il a été signalé que [traduction] « le trait le plus remarquable de l’emploi de mandataire au sens juridique est qu’il sert avant tout à assurer les relations d’affaires entre le mandant et des tiers, et cette caractéristique est peut-être la marque la plus distinctive du mandataire, par opposition aux personnes qui ne sont pas mandatées et agissent à titre de représentant[239] ».

·       Le « suppléant » [traduction] « agit au nom d’une autre personne ou exerce une fonction au nom d’une autre personne[240] ». Dans le contexte canadien, ce terme est associé surtout aux charges publiques[241].

·       Le terme « représentant » a une connotation plus large que les deux termes précédents. Le Pocket Dictionary of Canadian Law le définit ainsi : [traduction] « Quiconque prend la place d’une autre personne ou la représente. L’exécuteur testamentaire ou l’administrateur d’une personne décédée est appelé représentant successoral; quiconque agit au nom de quelqu’un d’autre[242]. » Fait à noter, le terme est déjà employé dans la LCSS pour désigner une personne nommée pour prendre une ou plusieurs décisions aux termes de cette loi. Étendre l’utilisation du terme pourrait avoir l’avantage de simplifier et de préciser les choses. Il faut tenir compte du fait que l’utilisation du terme en Colombie-Britannique et au Yukon dans le contexte de « conventions de représentation » plus floues risque de donner lieu à une certaine confusion.

Somme toute, la CDO estime que l’utilisation du terme « représentant décisionnaire » plutôt que de « mandataire spécial » ou « tuteur » dissiperait une partie de la confusion au sujet des rôles des personnes nommées pour s’acquitter de ces fonctions. Et l’expression au long aiderait à éviter la confusion avec le terme « représentant » employé dans les conventions de représentation qui existent dans d’autres administrations. 

La CDO s’est demandé si ce terme plus clair devrait s’appliquer également aux personnes qui exercent une procuration. Le terme « procuration », largement utilisé, sème une grande confusion chez les profanes, qui se méprennent souvent sur le sens du terme dans ce contexte parce qu’il semble souligner les droits de celui qui l’exerce plutôt que les obligations sérieuses et importantes qui sont les siennes. Une terminologie plus claire serait hautement bénéfique ici aussi, mais la CDO craint que l’usage très répandu du terme « procuration » ne fasse obstacle à son remplacement dans le discours populaire, ce qui aggraverait la confusion au lieu de rendre les choses plus claires.
 

PROJET DE RECOMMANDATION 17.            Que le gouvernement ontarien modifie la législation applicable de façon à remplacer les termes « mandataire spécial » et « tuteur » par « représentant décisionnaire » et à préciser que cette personne ne doit pas imposer ses propres valeurs selon une conception purement axée sur l’intérêt supérieur et qu’elle doit plutôt tenir compte des valeurs, des préférences et des objectifs de vie de l’intéressé.
 

2.     Obligation claire d’accommodement pour les prestataires de services

Il a été question au chapitre IV de l’obligation d’accommodement et de son rapport avec les dispositions législatives sur la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle. Comme on l’y a expliqué, le principe d’accommodement en matière de droits de la personne est établi dans la jurisprudence de la Charte, ainsi que dans les codes des droits de la personne fédéral et ontarien. Plus particulièrement, le Code de l’Ontario impose l’obligation d’accommodement à l’égard des services, lorsqu’une personne est incapable de remplir une fonction ou de satisfaire à une exigence à cause, par exemple, de l’âge ou d’une déficience (ou pour d’autres motifs exposés dans le Code)[243]. Il semblerait donc que les prestataires de services assujettis au Code de l’Ontario sont tenus d’accorder des accommodements aux personnes qui, à cause d’une déficience, peuvent avoir du mal à satisfaire aux critères de détermination de la capacité. Toutefois, le contenu précis de cette obligation est loin d’être clair.

Au minimum, cette obligation comprend sans doute l’exigence imposée aux prestataires de services de proposer des accommodements, par exemple dans les modes de communication, le cadre temporel ou le contexte de la prestation du service, où la personne doit montrer qu’elle peut comprendre les éléments exigés et donc recevoir le service, et où les accommodements ne représentent pas une difficulté excessive.

D’après des échanges avec divers intervenants et autres personnes pendant les consultations, il semble que, par le passé, il n’ait pas été rare que des prestataires de services proposent des accommodements informels pour des personnes dont la capacité juridique n’était pas évidente. Comme on l’a signalé au chapitre II, cependant, il existe une tendance marquée, dans tous les secteurs, vers la formalisation et une conception restrictive des questions de capacité juridique. Certains ont attribué à cette tendance, entre autres facteurs, le fait que les arrangements de prise de décision accompagnée deviennent nécessaires, comme moyen officialisé de proposer les avantages que les arrangements informels apportaient.  

La CDO considère avec compassion la confusion que les prestataires de services peuvent éprouver en ce domaine difficile, sans directives claires sur la nature et l’ampleur de leur obligation de proposer des accommodements, et elle croit qu’un énoncé clair de la nature de cette obligation serait à l’avantage des prestataires de services, des personnes et des familles. 

Il y aurait au moins deux manières d’apporter des précisions. Les lois sur la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle pourraient comporter des dispositions sur l’obligation d’accommodement, ce qui permettrait d’adapter expressément les directives à ce contexte et de les intégrer aux autres éléments de la loi. L’inconvénient serait la création d’un corpus d’interprétations et de jurisprudence distinct de celui des lois sur les droits de la personne en Ontario.  

Une autre façon de faire serait d’apporter des précisions au moyen de mécanismes associés au Code même, qui serait assorti d’un règlement d’application, comme cela s’est fait pour guider les propriétaires au sujet des types de renseignements qu’ils peuvent chercher à obtenir dans une demande de location[244]. Il faut signaler que les banques sont soumises aux lois fédérales sur les droits de la personne et qu’elles échapperaient donc à ce genre de règlement. De plus, il est possible que certains prestataires de services soient assujettis à la Charte canadienne des droits et libertés, si bien que l’obligation d’accommodement est abordée dans ce contexte et cette jurisprudence. Par ailleurs, la Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) pourrait élaborer des lignes directrices sur la question en vertu des pouvoirs que l’article 30 du Code lui confère. Ces politiques ou lignes directrices ont un pouvoir de persuasion, mais elles ne sont pas expressément exécutoires. L’article 45.5 du Code dispose que le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (TDPO) peut tenir compte des politiques approuvées par la CODP dans les instances sur les droits de la personne dont il est saisi. Lorsqu’une partie ou un intervenant le demande, le Tribunal doit tenir compte d’une politique de la Commission. L’article 45.6 du Code prévoit que, si le Tribunal rend une décision ou une ordonnance définitive dans une instance dans laquelle la Commission était une partie ou un intervenant et que la Commission estime que la décision ou l’ordonnance n’est pas compatible avec une politique qu’elle a approuvée en vertu de l’article 30, elle peut présenter une requête au Tribunal afin que celui-ci soumette un exposé de cause à la Cour divisionnaire pour dissiper cette incompatibilité. 

La CDO propose, pour élaborer des directives sur l’obligation qu’on les prestataires de services de proposer des accommodements à l’égard de la capacité légale et des décideurs, que des consultations plus poussées soient menées auprès des prestataires de services et d’autres intervenants clés pour qu’il soit possible de proposer des directives claires et pratiques pour l’ensemble des contextes où ces questions surgissent et des contraintes qui se présentent.
 

PROJET DE RECOMMANDATION 18.            Que le gouvernement ontarien prenne des mesures pour préciser la portée et le contenu de l’obligation d’accommodement, qui est issue des droits de la personne et qui s’applique aux prestataires de services à l’égard de la capacité juridique et de la prise de décision, et qu’il consulte à ce propos les prestataires de services et d’autres intervenants clés.

 

3.     Autorisation d’accompagnement

Comme on l’a longuement expliqué dans le Document de travail, les formes les plus courantes de prise de décision accompagnée au Canada sont les conventions et les autorisations de prise de décision accompagnée en Colombie-Britannique, en Alberta et au Yukon. Les lecteurs qui s’intéresseraient au détail du fonctionnement de ces dispositions peuvent consulter leurs descriptions à la partie III, chap. 1 D.2 du Document de travail. 

Étant donné que, pour créer les conventions de représentation de la Colombie-Britannique, on a recours à un test non cognitif, ces conventions sont possibles pour un segment beaucoup plus important de la population que tout autre processus de nomination personnelle au Canada. Le fait que le représentant puisse accompagner la prise de décision ou prendre carrément la décision au nom de la personne rend cette méthode plus souple ou plus ambiguë, selon le point de vue. Le Canadian Centre for Elder Law a réalisé un examen des lois sur la prise de décision accompagnée dans les administrations de l’ouest du Canada dans le cadre d’une étude que la CDO a commandée. Alors que les personnes interviewées qui étaient partie à une convention de représentation avaient des réactions généralement favorables à l’expérience, les spécialistes du système avaient une attitude plus partagée. Des avocats s’inquiètent toujours du manque de clarté et de la facilité avec laquelle on peut utiliser cette méthode de façon impropre, mais d’autres ont dit que l’utilisation impropre de ces conventions est « une forme plus acceptable de prise de décision au nom d’autrui ». Des tiers estiment que ces conventions manquent de clarté et se demandent avec inquiétude quelles en sont les conséquences pour la responsabilité et les obligations[245]. 

Les récentes autorisations de prise de décision accompagnée de l’Alberta se limitent aux décisions sur le soin de la personne. Il est interdit aux accompagnateurs de prendre des décisions au nom d’un adulte, et une décision prise ou communiquée avec de l’aide est considéré comme la décision de l’adulte. Pour consentir à une autorisation de prise de décision accompagnée, la personne doit comprendre la nature et l’effet du document, ce qui limite ces arrangements aux personnes qui ont de bonnes capacités de prise de décision, généralement celles qui sont à limite de ce qui est exigé pour qu’une capacité juridique indépendante soit constatée[246]. Les autorisations demeurent valides tant que leur auteur conserve la capacité de les accorder. En d’autres termes, elles ne subsistent pas si la capacité diminue. Ces autorisations sont toujours très récentes, car la loi n’est entrée en vigueur qu’en 2009. Toutefois, les renseignements disponibles révèlent une réaction très favorable, sans préoccupations répandues au sujet d’utilisations abusives ou impropres[247]. 

Le projet de la CDO concernant La capacité et la représentation aux fins du REEI fédéral a fini par aboutir à la recommandation que le gouvernement ontarien mette en place un processus qui permet aux adultes de nommer personnellement un « représentant légal pour le REEI », lorsqu’il y a des préoccupations au sujet de leur capacité de conclure un arrangement sur ce régime avec une institution financière. 

La CDO ne préconise pas la formule de la large convention de représentation adoptée en Colombie-Britannique : comme les personnes nommées peuvent agir comme mandataires ou comme accompagnateurs, il y a des risques d’abus et cela est source de confusion. Le modèle albertain des autorisations d’accompagnement est plus prometteur pour la réforme globale des méthodes de prise de décision. 

Fidèle à la conception de la capacité juridique et de la prise de décision axée sur l’accompagnement retenue au chapitre IV, la CDO estime que les autorisations d’accompagnement, si elles sont correctement structurées, peuvent apporter un moyen accessible de répondre aux besoins des personnes qui sont à la limite de la capacité juridique. Dans la structuration de ces arrangements, il importe d’être sensible aux risques d’abus relevés par un certain nombre d’intervenants et aux préoccupations au sujet de la clarté et de la responsabilité juridique exprimées par ceux qui établissent une entente avec des personnes incapables de prendre seules leurs décisions. 

Si on veut atténuer les risques d’abus et assurer la clarté, il faut, selon la CDO, que l’arrangement de prise de décision accompagnée : 

·       établisse le seuil de capacité juridique nécessaire pour établir une autorisation au niveau voulu : au chapitre IV, la CDO a recommandé le maintien d’une perspective fonctionnelle et cognitive sur la capacité juridique. Pour accorder une autorisation d’accompagnement, la personne doit comprendre la nature de cet arrangement et savoir qu’il comporte des risques. Les autorisations d’accompagnement ne conviennent pas pour les personnes dont les capacités de prise de décision sont très gravement atteintes. En pareille situation, il faut prévoir dans l’arrangement des niveaux supérieurs de responsabilité et de responsabilité. La CDO propose donc un critère qui fait appel à la définition du critère de détermination de la capacité en common law pour donner procuration : la capacité de comprendre et d’évaluer la nature de l’autorisation. Voilà qui est conforme à la démarche préconisée dans le projet de la CDO sur La capacité et la représentation aux fins du REEI fédéral. Le rapport présentait comme une possibilité le recours aux critères plus souples retenus dans la Representation Act de la Colombie-Britannique. Toutefois, la portée plus large des autorisations d’accompagnement proposées et le risque de l’insuffisance du contrôle élémentaire assuré dans le contexte du REEI par l’interaction avec une institution financière ont pour conséquence que ces critères conviennent moins bien dans ce contexte[248]. Les autorisations d’accompagnement peuvent apporter une solution à des personnes qui, actuellement, ont des obstacles à surmonter pour ouvrir un compte REEI; la prise de décision en réseau dont il est question dans la prochaine section et les nominations à des fins limitées proposées au chapitre IX peuvent être des solutions pour d’autres personnes;

·       mette l’accent sur les décisions concrètes, courantes : La CDO ne croit pas que les autorisations d’accompagnement conviennent lorsque des actifs importants ou des questions très complexes sont en jeu parce qu’il peut y avoir alors une incitation aux abus et que les risques auxquels peuvent être exposées les personnes accompagnées sont élevés. Le point de vue de la CDO à ce sujet est influencé par la nouveauté de ces types d’arrangements : une mise en œuvre limitée de ces arrangements peut apporter des éléments d’information sur la façon de les structurer pour obtenir des résultats favorables dans un éventail plus large de situations. De plus, pour bien des personnes directement touchées par ce domaine du droit, la plupart des décisions, voire leur totalité, se trouvent dans cette catégorie. Associés à la recommandation que la CDO formule au chapitre VIII au sujet de la possibilité de nommer un représentant décisionnaire pour prendre des décisions uniques, des arrangements de cette nature donnent à un nombre appréciable de personnes la possibilité d’éviter la tutelle. La CDO croit que les autorisations d’accompagnement devraient s’étendre aux décisions courantes qui portent sur les biens et aux décisions sur le soin de la personne, d’autant plus que la gestion des biens et le soin de la personne peuvent être intimement liés. Parmi les décisions courantes, notons par exemple le paiement des factures, la réception et le dépôt des versements de retraite et autres revenus, les achats de produits pour répondre aux besoins quotidiens ou les décisions sur les activités quotidiennes ou le régime alimentaire;

·       définisse clairement les fonctions des accompagnateurs pour tenir compte des inquiétudes au sujet de l’utilisation abusive ou impropre de ces arrangements : La prise de décision accompagnée met l’accent sur les processus et non sur les résultats, de sorte que les personnes ainsi accompagnées ont le droit de prendre des risques dans les domaines visés par l’arrangement. Lorsque, dans d’autres administrations, les fonctions des accompagnateurs ont été énumérées dans les textes législatifs, elles sont axées sur les rôles et les responsabilités de l’accompagnateur dans la prise de décisions plutôt que sur la définition de points de repère pour parvenir aux décisions;

·       prévoie un contrôle : Comme les arrangements d’accompagnement mettent l’accent sur le processus plutôt que sur les résultats, il est plus difficile de voir si, en fait, l’accompagnateur s’acquitte de ses fonctions. La nomination d’un surveillant pourrait dissiper une partie de ces préoccupations. On explique plus amplement au chapitre VI les rôles, pouvoirs et responsabilités des surveillants. La CDO estime que, compte tenu de la nature des autorisations d’accompagnement, la présence d’un surveillant devrait être obligatoire et non facultative, et qu’il doit s’agir d’une personne qui n’est pas membre de la famille et ne se trouve pas en conflit d’intérêts quant à la décision en question.

·       assure la clarté des responsabilités à l’égard des décisions : Les accompagnateurs auraient l’obligation de se conformer aux responsabilités définies par la loi, mais la décision serait celle de la personne accompagnée. 

Dans son projet de recommandation, la CDO n’entend pas proposer un libellé précis pour le texte législatif ni déterminer tous les détails d’un régime d’autorisation d’accompagnement que la loi définirait, mais plutôt cerner les éléments principaux de ces autorisations.  

Pour élaborer une loi permettant les autorisations d’accompagnement, il faudra tenir compte d’un certain nombre d’éléments, dont les exigences de passation, les processus relatifs au retrait d’un accompagnateur, l’annulation d’une autorisation d’accompagnement par celui qui l’a donnée et les recours à la disposition des parties à une autorisation d’accompagnement, en cas de différend ou d’allégations d’utilisation impropre. En général, le CDO estime que les processus et exigences de forme devraient, dans la mesure du possible, s’harmoniser avec ceux de la procuration. Elle a relevé des cas, et il peut y en avoir d’autres, où le fait que l’autorisation d’accompagnement est axée sur le processus montre qu’une démarche différente s’impose.

Le chapitre VIII du présent Rapport préliminaire présente un certain nombre de propositions de réforme fondamentale des dispositions ontariennes sur le règlement des différends et l’application des droits relatives à la capacité juridique, à la prise de décisions et à la tutelle, y compris la prise de décisions aux termes de la LPDNA par la Commission du consentement et de la capacité réformée plutôt que par la Cour supérieure de justice, pourvu que la CCC ait compétence pour donner des directives et se prononcer sur la conformité aux vœux de la personne dans la prise de décision et que les personnes en cause elles-mêmes puissent lui adresser des demandes au sujet du respect des obligations. Des mécanismes de règlement des différends et d’application des droits relativement aux autorisations d’accompagnement seront essentiels à la réussite de ces autorisations. Les mécanismes exacts dépendront de l’adoption ou non, par le gouvernement, des projets de recommandation sur le règlement des différends et l’application des droits. Il faut au minimum que des mécanismes soient mis en place pour permettre un contrôle sérieux du respect des obligations législatives de l’accompagnateur et le règlement des différends au sujet de la validité ou de la portée des autorisations d’accompagnement.   
 

PROJET DE RECOMMANDATION 19.            Que le gouvernement ontarien légifère, ou modifie la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui pour permettre l’engagement dans des autorisations d’accompagnement, dont les objets et les caractéristiques sont les suivants :

a)     l’objet de l’autorisation serait de permettre à ceux qui peuvent prendre des décisions avec de l’aide de nommer une ou plusieurs personnes pour leur apporter cette aide;

b)     le critère de détermination de la capacité juridique pour s’engager dans ces autorisations exigerait que le mandant ait la capacité de comprendre et d’évaluer la nature de l’entente;

c)      il faudrait créer une formule normalisée et obligatoire pour ces autorisations afin de favoriser une conception universelle minimale de ces nouveaux instruments;

d)     la personne pourrait, au moyen d’une autorisation d’accompagnement, se faire aider pour prendre des décisions courantes élémentaires relatives au soin de la personne et aux biens (payer des factures, opérations bancaires, acheter pour elle-même des biens ou des services);

e)     les décisions prises au moyen de cette autorisation seraient celles de la personne accompagnée; toutefois, un tiers pourrait refuser de reconnaître une ou des décisions comme étant celles de la personne accompagnée s’il a des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu, de la part de l’accompagnateur, fraude, fausse déclaration ou influence indue;

f)      les autorisations d’accompagnement seraient valides uniquement s’il y a présence d’un surveillant qui n’est pas membre de la famille de la personne accompagnée et qui n’est pas en conflit d’intérêts dans le cadre des attributions exposées au chapitre VII;

g)     les obligations des personnes nommées par l’autorisation seraient les suivantes :

i.          garder confidentiels les renseignements reçus dans le cadre de l’autorisation d’accompagnement;

ii.          entretenir une relation personnelle avec la personne qui a donné l’autorisation;

iii.          tenir des dossiers sur l’exercice de leurs fonctions;

iv.          agir avec diligence, honnêteté et bonne foi;

v.          avoir des liens avec les membres de la famille et les amis dignes de confiance;

vi.          agir en conformité de l’objectif d’aider la personne à prendre ses propres décisions;

h)     les personnes nommées par l’autorisation auraient les responsabilités suivantes :

i.          recueillir des renseignements au nom de la personne ou aider celle-ci à le faire;

ii.          aider la personne à prendre ses décisions, notamment en lui apportant les renseignements et les explications voulus;

iii.          aider à communiquer les décisions;

iv.          s’efforcer de faire appliquer la décision.

 

4.     Étudier la prise de décision en réseau

Beaucoup de Canadiens handicapés, notamment ceux qui ont des déficiences intellectuelles ou développementales, ont actuellement recours à des réseaux de soutien personnels de divers types pour les aider à participer à la société, à gérer les fonds et les services ou à appuyer une planification gérée par la personne. Certains de ces arrangements n’ont aucun caractère officiel. D’autres, comme ceux qui adoptent le modèle britanno-colombien de microconseil Vela, sont complètement officialisés et ont recours à l’outil juridique de la constitution en société pour recevoir des fonds au nom d’une personne, prendre des dispositions à l’égard des services et agir comme employeur officiel. Certains de ces réseaux peuvent être considérés, au moins dans une certaine mesure, comme des entités décisionnelles. Étant donné que ces réseaux de soutien personnels ont des liens avec le mouvement de la vie communautaire, tout comme la prise de décision accompagnée, il n’est pas étonnant que certains réseaux estiment fournir un soutien à la prise de décision à des personnes qui, sans cela, seraient peut-être jugées juridiquement incapables. 

Il importe de signaler que, à l’heure actuelle, rares sont les personnes qui ont accès à ce genre de relation personnelle et aux soutiens nécessaires pour constituer un réseau qui fonctionne bien. Au cours des échanges des groupes de discussion de la CDO, des parents d’enfants adultes ayant des déficiences ont fréquemment parlé de l’idée de réseau et fait remarquer qu’il était extrêmement difficile de créer ces réseaux et de les maintenir en place. 

Certes, les réseaux personnels font apparaître beaucoup d’idées et d’occasions intéressantes, mais ce qui intéresse la CDO, ce sont leurs rôles dans la prise de décision. Il s’est fait relativement peu de recherches sur les modalités et les utilisations des réseaux de soutien personnels. La CDO a commandé des recherches sur ces réseaux à l’automne 2014. Il s’agissait d’étudier les liens et les occasions possibles pour les réseaux de soutien personnels et les modalités de prise de décision différentes[249]. 

Une idée qui ressort des recherches est que les réseaux qui s’occupent de prise de décision apportent « quelque chose d’unique » :  

[traduction] La présence d’un groupe semble apporter de la force. À maintes reprises, les personnes interrogées ont dit qu’on obtient quelque chose de différent, quelque chose de plus lorsqu’un peut compter sur un groupe de personnes compatissantes qui peuvent faire valoir des points de vue différents, remettre en question les idées préconçues et les suppositions les unes des autres et combler les absences inévitables les unes des autres. Beaucoup ont dit que cette formule apporte de la sécurité[250].

La constitution d’un groupe de personnes aux compétences et opinions diverses pour aider une personne permet non seulement de se prémunir contre les abus, mais aussi d’obtenir une forme unique de prise de décision. On peut se demander si la prise de décision en réseau peut être considérée ou non comme une forme de prise de décision accompagnée : lorsqu’un réseau prend une décision, ce n’est pas nécessairement celle de la personne seule, qu’il y ait constatation d’invalidité ou non. Ce peut néanmoins être un processus qui appuie la personne, la fait participer à la prise de décision et respecte ses objectifs de vie et ses valeurs.  

La CDO croit qu’il y a un certain intérêt à officialiser la prise de décision en réseau dans les lois sur la capacité juridique et la prise de décision, mais cette formule ne pourrait servir que pour un nombre relativement faible de personnes, car la vaste majorité de ceux qui peuvent n’a pas respecter le critère de détermination de la capacité juridique n’ont pas de réseau de soutien, officiel ou non. Il reste que la prise de décision en réseau est une formule qui semble pouvoir fonctionner, et fort bien, pour certaines personnes. 

Par l’expression « prise de décision en réseau », la CDO désigne la forme de prise de décision dont les caractéristiques sont les suivantes : 

·       trois personnes ou plus, dont au moins une n’est pas membre de la famille, se partagent les responsabilités;

·       la personne pour laquelle le réseau est constitué reste au centre de ce réseau, ce qui protège et favorise sa participation à la prise de décision, l’objectif essentiel du réseau étant la réalisation des valeurs et des objectifs de vie de la personne;

·       la formule maintient une démarche de groupe dont le but est d’appuyer collectivement un processus qui favorise l’autonomie et la réalisation des objectifs de vie de la personne placée au centre du réseau. 

Idéalement, la prise de décision en réseau permettrait de prendre des décisions sur un éventail de questions plus large que ce que la CDO propose pour les autorisations d’accompagnement : comme il s’agit d’un processus plus officialisé, avec les garanties inhérentes à la présence de multiples participants, il se peut que la prise de décision en réseau présente des niveaux de risque moins élevés. 

Le processus des microconseils, qui emploie l’instrument juridique qu’est la constitution en société, présente deux aspects particulièrement intéressants. D’abord, il permet de proposer des soutiens à la prise de décision d’une façon telle qu’il peut ne pas être nécessaire d’évaluer la capacité juridique. Deuxièmement, la constitution d’une société est un moyen reconnu et largement compris de partager la responsabilité juridique et la reddition des comptes à l’intérieur d’un groupe, par opposition à une personne seule. C’est l’entité décisionnelle qui a des comptes à rendre, et non un membre unique de cette entité.   

Si intéressante que puisse être la constitution en société comme moyen de conférer un caractère officiel aux décisions prises par un réseau, ce modèle a aussi ses limites. Il accentue la complexité juridique au lieu de l’atténuer. Rares sont les personnes qui peuvent gérer les coûts et les exigences réglementaires de la mise sur pied d’un réseau de prise de décision constitué en société, et il se peut que des tierces parties estiment qu’il ajoute aux difficultés de contrôle de l’autorisation d’une entente ou d’une opération au lieu de les aplanir. De plus, on ne voit pas clairement non plus comment fonctionneraient les mécanismes de reddition de comptes de la société dans ce contexte particulier. Ajoutons qu’il n’est pas évident de conjuguer le droit des sociétés et le caractère privé et personnel, en fin de compte, de la prise de décision en cause. Il y a des inconvénients aux niveaux symbolique et pratique. 

Il est peut-être possible, néanmoins, d’adapter les éléments suivants du modèle de la constitution en société au processus relatif à la capacité juridique et à la prise de décision : 

·       série d’exigences officielles que le réseau doit définir et s’engager à respecter, notamment les suivantes :

o   les fins du réseau;

o   les principes régissant le fonctionnement du réseau;

o   les modalités selon lesquelles le réseau s’acquitte de ses responsabilités; 

o   les exigences relatives à la tenue de dossiers;

o   les rôles des différents membres du réseau;

·       processus d’enregistrement grâce auquel est vérifié le respect des exigences fondamentales ainsi que des exigences de base en matière de rapports annuels. 

À l’évidence, des coûts et des facteurs complexes sont associés à la mise en place d’un modèle de prise de décision en réseau; la CDO croit tout de même qu’il vaut la peine d’étudier l’idée plus à fond, avec la possibilité qu’elle soit mise en œuvre par voie législative, pour peu que ce soit réalisable.  
 

PROJET DE RECOMMANDATION 20.     
       Que le gouvernement ontarien étudie les aspects pratiques d’un cadre juridique établi par voie législative pour la prise de décision en réseau, afin d’autoriser des réseaux officiellement établis, constitué d’une multiplicité de personnes, dont certaines ne seraient pas de la famille, et qui travailleraient collectivement afin de faciliter la prise de décision au nom de personnes qui ne satisfont pas nécessairement au critère de détermination de capacité juridique, afin d’élaborer et de mettre en place, si possible, ce cadre juridique.
 

G.   Résumé      

Les questions que soulèvent les solutions de remplacement de la prise de décision au nom d’autrui comptent parmi les domaines de réforme du droit les plus difficiles en ce moment. Les propositions de réforme reconnaissent que les droits fondamentaux sont en jeu, que le respect de l’autonomie des personnes ayant des déficiences doit être une priorité et qu’il est essentiel d’éviter d’attribuer de façon injuste les risques et les résultats négatifs. Il faut aussi dire que les besoins et les vœux sont divers chez ceux qui sont touchés par les lois sur la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle. Des tensions sont inévitables dans ce domaine du droit, et elles seront présentes dans tout système qui serait retenu. Il s’agit d’assurer la meilleure conciliation possible dans le contexte ontarien actuel. 

Ces questions sont étudiées et discutées dans bien des pays. En Ontario, ces discussions s’inscrivent dans des échanges beaucoup plus larges. Tout au long des débats et des recherches, des connaissances pratiques sur les démarches constructives s’accumuleront avec le temps. Les propositions de la CDO sont conçues comme une façon constructive d’aborder le domaine étudié permettant une certaine mise en œuvre des nouvelles méthodes. L’expérience de ces réformes du droit pourrait permettre d’aller un peu plus loin ultérieurement, avec des préoccupations moindres au sujet des utilisations abusives ou impropres. 

Dans le présent chapitre, la CDO a recommandé des réformes dont les objectifs sont les suivants :  

·       préciser et renforcer les fonctions des mandataires spéciaux, qui doivent fonder leurs décisions sur les valeurs, les préférences et les objectifs de vie de la personne en cause;

·       préciser la fonction des prestataires de services, qui doivent s’adapter à la capacité juridique des personnes à qui ils assurent des services;

·       permettre aux personnes de créer des autorisations d’accompagnement pour qu’elles puissent obtenir le soutien de personnes de confiance à l’égard des soins à la personne et des questions limitées de gestion des biens;

·       étudier les aspects pratiques du cadre juridique prévu par la loi pour les réseaux de prise de décisions.

Les propositions que la CDO avance dans le présent chapitre doivent être comprises dans le contexte de l’ensemble des projets de recommandation formulés dans le présent rapport. Les projets de recommandation visant à mieux promouvoir et protéger l’autonomie sont disséminés dans tout le rapport et comprennent :  

·       les propositions du chapitre V visant à améliorer la qualité et la bonne utilisation des évaluations de la capacité pour éviter la suppression inutile ou excessive de l’autonomie décisionnelle des personnes;

·       les réformes des systèmes d’application des droits et de règlement des différends proposées au chapitre VIII; si elles étaient mises en œuvre, les personnes pourraient contester plus facilement l’utilisation impropre de la prise de décision au nom d’autrui;

·       les réformes proposées dans les processus de nomination externe exposées au chapitre IX : elles offriraient de meilleures possibilités de soustraire des personnes à la tutelle et permettraient des applications mieux adaptées et plus limitées de la tutelle;

·       les propositions avancées au chapitre XI afin de renforcer la sensibilisation et l’information pour que les dispositions actuelles de la loi soient moins souvent mal utilisées ou mal appliquées, et pour améliorer la compréhension et les compétences des mandataires spéciaux, par exemple en appuyant la participation des personnes à la prise de décisions.  

 

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