A.    Introduction et contexte

1.     Importance des nominations personnelles

L’une des réformes les plus importantes prévues dans la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui (LPDNA) a été l’instauration de procurations qui peuvent être utilisées pendant la période d’incapacité juridique du mandant. Est ainsi apparu un processus très souple et accessible qui permet de nommer personnellement des mandataires spéciaux. La procuration a constitué un progrès considérable pour l’autonomie des Ontariens, car il leur est permis de choisir eux-mêmes ceux qui prendront des décisions en leur nom au besoin et d’établir à l’intention des mandataires spéciaux des instructions ou des restrictions bien adaptées. 

Ces documents sont toutefois très vulnérables et peuvent donner lieu à des abus ou à des utilisations impropres. Les nominations personnelles comme la procuration supposent que le mandant puisse examiner les représentants possibles pour s’assurer qu’ils peuvent s’acquitter des fonctions de leur qualité, qu’ils sont disposés à le faire et qu’ils ont les qualités voulues. Les procureurs, notamment les membres de la famille, peuvent accepter la fonction par sens du devoir, sans avoir la moindre idée de l’ampleur ou de la nature des obligations qu’elle entraîne. Comme la loi ontarienne sur la procuration vise à la rendre largement accessible, il existe relativement peu d’obstacles pratiques ou de procédure à sa création, si on compare l’Ontario à d’autres administrations. Le risque qui en découle est que le mandant ne comprenne peut-être pas à fond les conséquences possibles de son geste et s’expose à des abus, à de la négligence ou de l’exploitation de la part du procureur. Dans les faits, chacun peut choisir son procureur pour des motifs qui ont fort peu à voir avec le choix de la personne la mieux qualifiée pour exercer la fonction, et plus à voir avec la dynamique familiale. 

En outre, comme il s’agit d’une nomination personnelle, cet excellent instrument qu’est la procuration se prête fort peu à un examen minutieux, si bien qu’il peut être difficile de déceler les utilisations abusives. Qui plus est, les lacunes de la mémoire, de la capacité de recevoir ou d’évaluer les renseignements ou encore de jauger les intentions d’autrui, lacunes qui déclenchent l’application des dispositions sur la prise de décision au nom d’autrui, compliquent aussi la tâche des mandants lorsqu’il s’agit de surveiller les activités de ceux qui agissent en vertu d’une nomination personnelle, de déceler les comportements inacceptables ou abusifs, ou de demander de l’aide à ce sujet. 

Le présent chapitre porte sur les nominations personnelles et les responsabilités des personnes nommées et cherche à répondre à ces préoccupations. Bien qu’elles ne soient pas une forme de prise de décision au nom d’autrui, les autorisations d’accompagnement proposées sont également des nominations personnelles et elles présentent des risques similaires. Par conséquent, l’exposé du présent chapitre s’applique aussi à ces arrangements, pour peu que le gouvernement décide de les ajouter dans la loi. Lorsqu’il existe des différences entre les procurations et les autorisations d’accompagnement, elles seront abordées explicitement, tout comme c’est le cas à propos des surveillants, au chapitre VI. Le chapitre VIII, consacré à l’application des droits et au règlement des différends, traite des dispositifs disponibles et des recours, lorsqu’il y a utilisation abusive ou impropre des pouvoirs, tandis que le présent chapitre porte sur la prévention et la définition de problèmes de cette nature.  

2.     Distinction entre abus et utilisation impropre 

Il est utile, pour étudier ces questions, de faire une distinction entre l’utilisation impropre des pouvoirs prévus par la loi et la perpétration d’abus dans l’exercice de ces pouvoirs. Bien qu’il puisse y avoir recoupement entre les deux et qu’il puisse y avoir, dans un cas comme dans l’autre, des conséquences négatives non négligeables pour les personnes touchées, ils se distinguent par leur motivation, par le fait que l’auteur agit par inadvertance ou intentionnellement et, par conséquent, par les stratégies permettant de prévenir, de déceler et de combattre les problèmes. Par exemple, l’information et la sensibilisation seront probablement importantes pour s’attaquer à l’utilisation impropre des pouvoirs de prise de décision prévus par la loi; elles auront probablement moins d’effet sur l’évolution du comportement de ceux qui abusent délibérément de leurs pouvoirs. Il est important, dans l’étude des réformes possibles en ce domaine, de songer aux ramifications des utilisations impropres et des abus flagrants. 

Les abus commis au moyen des pouvoirs prévus par la loi ne sont qu’un aspect parmi d’autres du problème plus vaste de la maltraitance des personnes âgées ou handicapées. L’exploitation peut être physique, sexuelle, psychologique ou financière et comprendre un élément de négligence[251]. Elle peut être le fait d’établissements ou de particuliers : comme le signale le projet Vanguard, elle peut être due à [traduction] « quiconque est en situation d’intimité ou d’autorité vis-à-vis de l’adulte vulnérable ». Elle implique en général de trahir en quelque sorte la relation de confiance et de dépendance[252]. 

Bien que les définitions de l’exploitation, de l’exploitation des personnes âgées et de l’exploitation des personnes handicapées fassent toujours l’objet de débats, il est évident qu’il s’agit de vastes problèmes aux multiples facettes et que de nombreux aspects débordent le cadre du présent projet. Plus particulièrement, le projet ne porte pas sur les abus dont peuvent être victimes les personnes dont les capacités de prise de décision sont intactes et dont la capacité juridique n’est pas en cause. Des problèmes plus larges liés aux abus dont peuvent être victimes des aînés juridiquement capables ont été fréquemment soulevés pendant les consultations. Certes, ils font partie du contexte des enjeux auxquels le projet est consacré, mais la CDO n’entend pas formuler des recommandations sur ces questions plus générales et croit qu’il est important de maintenir la distinction, en ce qui concerne les abus, entre les situations des personnes juridiquement capables et incapables. 

L’utilisation impropre des pouvoirs de prise de décision prévus par la loi est un problème plus répandu. Une personne bien intentionnée peut ne pas être consciente du rôle et des obligations qui accompagnent sa nomination ou ne pas les comprendre correctement, ou encore elle n’a peut-être pas les compétences voulues pour s’en acquitter. Par conséquent, elle peut par exemple utiliser une procuration à des fins autres que celles qui sont prévues, négliger des obligations comme celles de consulter la personne ou de tenir des dossiers, ou appliquer d’une manière qui ne convient pas une démarche paternaliste ou fondée sur les intérêts supérieurs de la prise de décision alors que la loi prévoit une autre façon d’aborder les choses. De la sorte, il se peut que l’intention claire du législateur soit contournée, et il peut y avoir atteinte à l’autonomie, à la dignité et à la participation de la personne en cause. 

 

B.    État actuel du droit en Ontario

La législation ontarienne actuelle comprend un certain nombre de dispositions qui doivent servir de garanties contre l’utilisation abusive ou impropre des pouvoirs accordés aux mandataires spéciaux par des procurations.  

Exigences de passation : Le LPDNA prescrit un certain nombre d’exigences à respecter pour établir une procuration. Il s’agit de s’assurer que les intervenants en comprennent les conséquences et agissent hors de toute contrainte. Les conditions comprennent notamment la présence de témoins indépendants lors de l’établissement de la procuration et, dans le cas d’une procuration perpétuelle relative aux biens, l’existence d’une déclaration d’intention. 

Obligation de tenir des dossiers : Aux termes de la LPDNA, tous les mandataires spéciaux ont l’obligation de tenir des comptes relativement aux opérations faites au nom de la personne qu’ils représentent. 

Obligations procédurales : La LPDNA comprend plusieurs dispositions destinées à renforcer la transparence et la responsabilité des mandataires spéciaux, y compris l’obligation d’expliquer leur rôle à la personne qu’ils représentent, de favoriser ses contacts avec les parents et amis qui la soutiennent et de les consulter dans l’exercice de leurs fonctions.

Norme de diligence : Les mandataires spéciaux aux biens doivent se conformer à une norme fiduciaire tandis que les mandataires spéciaux au soin de la personne sont tenus d’agir avec diligence et bonne foi. 

Exigences claires en matière de prise de décision : Les exigences claires liées aux principes et aux considérations à prendre en compte dans l’exercice de leurs fonctions permettent de déterminer assez facilement si les mandataires spéciaux agissent dans l’intérêt de la personne qu’ils représentent ou dans leur propre intérêt.
 

C.    Sujets de préoccupation

Comme en a traité assez longuement le chapitre I de la partie Quatre du Document de travail, il existe des inquiétudes très répandues au sujet de l’utilisation abusive et impropre des arrangements de prise de décision au nom d’autrui et plus particulièrement des procurations. En partie à cause de la nature des lois en ce domaine et en partie à cause de la nature du problème d’abus, l’information au sujet de l’utilisation abusive des lois sur la capacité juridique et la prise de décision se résume à peu de chose. L’information disponible est examinée dans le Document de travail. 

La rareté de l’information constitue une difficulté pour la réforme du droit, mais il est juste de dire que l’utilisation abusive et impropre des lois sur la capacité juridique et la prise de décision a été une préoccupation de premier plan aussi bien dans les consultations préliminaires en vue du projet qu’au cours des consultations publiques menées à l’automne 2014. Des préoccupations ont été exprimées par des professionnels du droit, des familles, des praticiens du domaine de la santé, des intervenants et des organismes communautaires, des prestataires de soins de longue durée et des institutions financières, bref par tous ceux qui ont été consultés. L’impression générale est qu’il s’agit là d’un problème important et très troublant, et que les données démographiques et économiques donnent à penser qu’il prendra probablement de l’ampleur.  

[traduction] J’ai en ce moment une pratique à temps plein qui ne me permet d’observer que les cas où les choses se passent mal. J’espère, j’essaie de toujours m’en souvenir, que la plupart du temps, tout se passe bien. Il faut donc bien réfléchir avant de prendre des mesures qui s’appliqueront à tous les cas. Je ne vais pas perdre de vue le fait qu’il y a un nombre toujours croissant de cas d’abus terribles, d’exploitation financière… Cela dit, compte tenu du vieillissement de la population et du fait que la médecine fait des progrès qui prolongeront notre vie sans que, nécessairement, notre esprit reste fonctionnel, nous risquons davantage, avec l’âge, de devenir plus vulnérables. Il y a donc là une grande zone d’incertitude. 

Groupe de discussion – Avocats en droit des fiducies et des successions 1, 14 octobre 2014
 

La CDO a reçu un certain nombre de très longues observations écrites de membres de familles qui estimaient que leurs êtres chers avaient été maltraités par la loi et se disaient exaspérés par les mécanismes de redressement qui existent actuellement. Les prestataires de services, notamment, éprouvent souvent des difficultés à cet égard. Dans bien des cas, l’utilisation abusive ou impropre des procurations n’est remarquée qu’au moment des interactions avec eux, par exemple lorsqu’un prestataire de soins de longue durée remarque qu’un résident ne peut payer ses dépenses ou lorsqu’un membre de la famille insiste auprès d’une institution financière pour que soit prise une mesure qui semble abusive. Ces personnes et institutions sont aux prises avec de difficiles problèmes d’ordre éthique et pratique lorsqu’elles redoutent des abus. 

Il importe de ne pas oublier que, dans la vaste majorité des cas, les personnes nommées sont des membres de la famille ou des amis proches. Ce sont les personnes qui connaissent le mieux la personne touchée et qui comprennent vraisemblablement le mieux ses valeurs et ses espoirs, ont à cœur son bien-être et font preuve du dévouement et de l’engagement nécessaires pour se charger des responsabilités parfois lourdes associées à ce rôle. Ce sont en outre les personnes avec qui l’intéressé qui est incapable ou qui se prépare en vue d’une telle éventualité est susceptible d’avoir en permanence des rapports complexes d’interdépendance. Dans ce domaine du droit, il faut presque toujours appliquer les dispositions en tenant compte de la dynamique complexe des relations familiales. 

De nombreuses personnes consultées ont fait remarquer que, dans la plupart des cas, ces membres de la famille n’obéissent pas à l’appât du gain, mais agissent par amour et par sens du devoir. La plupart non seulement assument la très lourde responsabilité de mandataire spécial, mais dispensent aussi eux-mêmes des soins importants à l’être cher, tout en s’efforçant de s’acquitter de leurs obligations dans leur propre famille et au travail. La tâche, bien que presque toujours acceptée volontiers, est lourde. Ces personnes ont souligné le fait qu’elles doivent déjà s’y retrouver dans de multiples bureaucraties lourdes, remplir une foule de formalités administratives et consentir des sacrifices personnels considérables. Selon elles, il est déraisonnable de leur en demander plus, car elles sont déjà à la limite de ce qu’elles peuvent faire. Beaucoup de membres des familles ont souhaité avoir des processus de surveillance et de contrôle qui servent vraiment à déceler et à réprimer les abus, mais qui ne seraient pas écrasants pour des familles qui font de leur mieux. 

[traduction] À moins que les processus de surveillance ne soient pas difficiles et onéreux au point que je n’y participerai pas, mais cela pourrait… Si vous permettez à quelqu’un de se placer dans une situation périlleuse, la question de ses finances se pose probablement aussi, n’est-ce pas? Si cela peut donner lieu à des plaintes, de sorte que mon voisin puisse penser que j’exploite mon enfant adulte ou que des organismes pensent que je l’exploite, cela pourrait être signalé par n’importe qui, tout comme pour la société de l’aide à l’enfance. N’importe qui peut faire un signalement, et il y aura enquête.

Groupe de discussion – Membres des familles de personnes ayant des déficiences intellectuelles, 16 octobre 2014
 

Quelques membres des familles ont aussi exprimé le sentiment que « le gouvernement » ne devrait pas s’ingérer dans leurs affaires familiales et que, dans l’ensemble, il faut faire confiance aux familles pour s’occuper de leurs membres de façon responsable. 

[traduction] Cela ne tient pas debout pour ceux d’entre nous, pour la majorité d’entre nous qui s’occupent très bien de leur famille, que nous ayons de l’argent ou pas. Il y a encore une foule de gens qui n’en ont pas et qui s’occupent très bien des membres de la famille, et il y a toujours une menace d’ingérence qui plane. […] Si vous nous présentez à ma porte, vous ne franchirez pas le seuil, un point c’est tout. Peu importe qui vous êtes. Il s’agit de ma famille, de mon foyer et personne ne vous a invité à venir. Je n’ai pas dit que vous pouviez le faire. Personne n’envoie quelqu’un chez moi pour voir comment je m’occupe de mes autres enfants, et il arrive parfois, croyez-le ou non, qu’ils aient besoin d’aide pour prendre des décisions, comme cela se produit dans le monde réel.  

Groupe de discussion – Membres des familles de personnes ayant des déficiences intellectuelles, 16 octobre 2014
 

En revanche, d’autres membres des familles s’inquiètent, parfois énormément, des risques auxquels leurs êtres chers seront exposés s’ils leur survivent. Ils les voient comme des êtres vulnérables et ils trouvent que le régime actuel ne les protège pas suffisamment. La mère âgée d’un enfant adulte ayant une déficience a dit que si, après sa mort, les membres de sa famille ne s’acquittaient pas bien de leurs responsabilités à son égard, le seul recours qui lui resterait serait de venir les hanter toutes les nuits[253]. 

Le problème de l’utilisation impropre des pouvoirs de mandataire spécial est étroitement lié, estiment les personnes consultées, à une ignorance très répandue des exigences de la loi. Comme ceux qui établissent les procurations n’ont souvent qu’une compréhension limitée des conséquences de ces documents, ils ne réfléchissent peut-être pas assez au choix de la personne à désigner ni à la possibilité de prévoir dans le document des restrictions ou d’autres instructions. Il se peut que les mandataires soient choisis non pas en fonction de leurs compétences pour jouer ce rôle, mais de façon à éviter les désagréments ou encore les désaccords dans la famille. Par conséquent, les mandants peuvent nommer des personnes qui n’ont pas les compétences ou le tempérament voulus pour bien jouer le rôle, ou nommer conjointement des membres de la famille qui, d’après leurs antécédents, sont complètement incapables de travailler ensemble.  

Dans le même ordre d’idées, la plupart des mandataires spéciaux n’ont qu’une compréhension limitée de leur rôle. Il n’y a aucun mécanisme qui permette de s’assurer que les mandataires spéciaux comprennent leur tâche. Certains prendront l’initiative de faire des recherches sur leurs responsabilités, mais d’autres non. Il n’est donc pas étonnant que ces rôles soient souvent remplis de manière imparfaite. 

Le manque de compréhension des procurations dans les établissements et parmi les professionnels ajoute peut-être aux difficultés. Ainsi, les foyers de soins de longue durée ou les maisons de retraite peuvent encourager instamment les nouveaux résidents à établir des procurations, mais sans comprendre ni faire connaître les risques et les exigences associés à ces documents qui ont beaucoup de poids. Dans une affaire récente où une procuration relative aux biens établie dans des conditions semblables a permis une exploitation financière grave, le juge suppléant Michael Bay a formulé les observations suivantes sur la méthode d’un foyer de soins de longue durée qui consiste à « encourager fortement » les nouveaux résidents à donner une procuration : 

[traduction] Les faits révèlent qu’un responsable du centre a proposé que la famille imprime tout simplement une formule de procuration trouvée sur Internet. Rien n’indique que des conseils juridiques indépendants aient été recommandés pour la mandante. Rien n’indique non plus que les nouveaux résidents reçoivent des conseils au sujet des avantages et des inconvénients d’une procuration relative aux biens, des personnes qu’ils peuvent choisir ou doivent éviter, des garanties ou restrictions à prévoir ou de la personnalisation du document pour qu’il corresponde à leurs besoins et à leurs vœux. Et, fait le plus important, il ne semble pas que la nouvelle résidente en cause ait été avertie du fait qu’une procuration peut avoir beaucoup de poids et présenter un grave danger et qu’elle était libre de ne pas établir de procuration s’il elle ne le souhaitait pas. […]

Exercer des pressions sur des personnes âgées vulnérables pour qu’elles établissent une procuration sans y avoir mûrement réfléchi – car c’est inévitablement ce qui se produit lorsqu’une « forte suggestion » en ce sens est faite par une personne en autorité au moment de l’admission dans un établissement de soins, et sans les conseils d’un professionnel indépendant – est proprement consternant. Détourner ensuite tout le courrier d’un résident vers un tiers sans égard à la capacité du résident et sans sa permission, c’est favoriser et faciliter le type d’exploitation financière dont la personne en cause a été victime[254].

Autre sujet de préoccupation : il n’existe aucun mécanisme de contrôle proactif. Les procureurs et les tuteurs doivent tenir des dossiers, mais il est rare que l’un d’eux doive produire ses comptes. Lorsque des abus sont décelés, c’est souvent parce qu’un prestataire de services a relevé un problème : un membre du personnel d’un foyer pour personnes âgées est témoin d’une interaction déplacée, par exemple, un prestataire de soins de longue durée constate qu’un résident ne peut plus acquitter son loyer parce que ses fonds sont épuisés ou une institution financière remarque une série d’opérations douteuses. Souvent, lorsque des abus sont remarqués, ils durent depuis un certain temps. S’il s’agit d’exploitation financière, il est très difficile de récupérer les fonds; le mal est fait. Il va sans dire que l’impact de n’importe quel type d’abus sur l’estime de soi, le bonheur et le bien-être général de la victime est durable. 

L’importance attachée au maintien de l’accès aux procurations et leur facilité d’utilisation contrebalance les préoccupations pour les risques d’utilisation abusive ou impropre. Bien des personnes consultées ont insisté sur l’importance des pouvoirs prévus par procuration comme outils de planification et moyens de conserver une certaine maîtrise à l’égard de l’avenir du mandant. Selon eux, il faut encourager l’établissement de ces documents et non le décourager. Dans cette optique, des exigences qui rendent trop difficile ou trop coûteux l’établissement d’une procuration valable iraient à l’encontre des objectifs fondamentaux de ces documents.   

[traduction] Ce qui fait l’attrait des procurations, c’est leur simplicité théorique et la facilité avec laquelle chacun peut faire des plans en prévision d’une éventuelle incapacité, la facilité avec laquelle chacun peut choisir la personne à qui il veut confier la direction de ses affaires.

Groupe de discussion – Avocats en droit des fiducies et des successions 1, 14 octobre 2014

 

D.   Application des Cadres

Les préoccupations liées à l’utilisation abusive ou impropre des procurations invoquent clairement les principes de sécurité et de sûreté du Cadre de la CDO, exposés au chapitre III. Fait important, ces principes diffèrent de ceux qui ont été définis dans le Cadre du droit touchant les personnes âgées et le Cadre du droit touchant les personnes handicapées, respectivement liés à la protection contre les abus et l’exploitation; le Cadre du droit touchant les personnes âgées a également établi un lien avec la capacité d’accéder aux soutiens essentiels comme les services de santé et les services juridiques et sociaux[255]. L’importance des garanties contre les abus commis contre les personnes visées par les dispositions législatives sur la capacité juridique et la prise de décision est affirmée explicitement à l’article 12 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), qui dispose :  

Les États Parties font en sorte que les mesures relatives à l’exercice de la capacité juridique soient assorties de garanties appropriées et effectives pour prévenir les abus, conformément au droit international des droits de l’homme. Ces garanties doivent garantir que les mesures relatives à l’exercice de la capacité juridique respectent les droits, la volonté et les préférences de la personne concernée, soient exemptes de tout conflit d’intérêt et ne donnent lieu à aucun abus d’influence, soient proportionnées et adaptées à la situation de la personne concernée, s’appliquent pendant la période la plus brève possible et soient soumises à un contrôle périodique effectué par un organe compétent, indépendant et impartial ou une instance judiciaire. Ces garanties doivent également être proportionnées au degré auquel les mesures devant faciliter l’exercice de la capacité juridique affectent les droits et intérêts de la personne concernée.

Les questions de protection contre les utilisations abusives et impropres des pouvoirs ont également un lien avec le principe de l’autonomie et de l’indépendance qui, à l’évidence, peuvent être sapées par ces utilisations. Chose certaine, il est généralement dans l’intérêt des auteurs de mauvais traitement ou d’exploitation d’exercer le plus grand contrôle possible sur leur victime. En mettant en place des garanties et des recours, on peut protéger et rétablir l’autonomie et l’indépendance de ceux qui sont victimes d’abus ou risquent de l’être. 

Pour concilier les principes, il importe de tenir compte du fait que les nominations personnelles, comme les procurations et les autorisations d’accompagnement, sont en soi des expressions de l’autonomie ou des moyens de la protéger et de la promouvoir – à moins, bien entendu, qu’elles ne soient établies dans des conditions d’ignorance, de coercition ou de manipulation. Les procurations (ce peut aussi être le cas des autorisations d’accompagnement) sont des documents soumis à relativement peu de restrictions qui permettent à chacun de faire des choix sur la conduite de la prise de décision si sa capacité juridique était atteinte ou risquait de l’être. Elles peuvent à la fois renforcer l’autonomie du mandant et, si elles ne sont pas établies avec les connaissances ou les soins voulus, accroître les risques d’abus. En d’autres termes, il faut peser les garanties et les interventions relatives aux utilisations abusives ou impropres des pouvoirs et leur valeur comme moyen de promouvoir l’autonomie et l’indépendance. Les garanties et les recours en cas de comportement abusif ou impropre peuvent restreindre l’autonomie des personnes touchées. Des garanties supplémentaires pour les nominations personnelles peuvent restreindre l’accès à ces documents capables de renforcer l’autonomie ou limiter l’éventail des choix que la personne peut faire grâce à eux. Les garanties supplémentaires doivent donc être conçues de façon à tenir compte du « prix à payer », du point de vue de l’autonomie, pour chacune d’elles.  

Un moyen d’accroître la sécurité dans le contexte des nominations personnelles est de faire en sorte qu’elles soient davantage mises en œuvre dans le contexte des réseaux sociaux larges du mandant. Autrement dit, il s’agit de mobiliser le groupe des personnes intéressées qui peuvent entourer le mandant pour qu’elles exercent un contrôle et puissent même intervenir au besoin en cas d’utilisations abusives ou impropres des pouvoirs. C’est dire que la loi et la politique peuvent servir à renforcer l’efficacité des réseaux sociaux existants. Ceux-ci ne sont peut-être pas aussi puissants ou avertis que les institutions, mais ils peuvent être perçus comme moins interventionnistes, du point de vue de la vie privée et de l’autodétermination, parce qu’il s’agit de relations choisies par la personne en cause. 

À l’évidence, pour aborder les problèmes des utilisations abusives et impropres des pouvoirs, il faut avoir une compréhension nuancée des principes d’autonomie et d’indépendance, de sûreté et de sécurité. On doit certes concilier les principes, mais il faut aussi saisir les liens étroits qui les unissent : ils ne peuvent être appliqués l’un sans l’autre.

 

E.     La CDO et la réforme

Le manque de données sérieuses sur les utilisations abusives et impropres des pouvoirs de prise de décision complique considérablement la réforme du droit en ce domaine. Plus particulièrement pour les procurations. Comme il est impossible de savoir combien de procurations sont actives dans la province et qu’il n’y a pas beaucoup de données quantitatives sur l’ampleur des utilisations abusives ou impropres des procurations, on en est réduit aux témoignages anecdotiques.  Les consultations menées par la CDO sur ces questions ont fait ressortir deux messages : la valeur des procurations, dont il est important qu’elles demeurent accessibles aux Ontariens de tous les niveaux de revenu; l’impression très répandue que ces documents, et peut-être aussi, mais à un degré moindre, les tutelles, sont mal compris, qu’il est facile d’en faire une utilisation impropre et que, en fait, ils sont très fréquemment mal utilisés (et donnent lieu à des abus flagrants). 

Lorsque le régime législatif actuel était en préparation, on a accordé beaucoup d’attention à l’équilibre entre l’accessibilité et la responsabilité dans l’établissement de nominations personnelles et de tutelles. La LPDNA prévoit un certain nombre de garanties importantes, rappelées plus haut, mais, globalement, on a privilégié l’accessibilité et la facilité d’utilisation. Le dispositif législatif est en place depuis une vingtaine d’années et l’expérience ainsi que l’évolution technologique et les tendances démographiques incitent la CDO à penser que, même si l’accès à ces documents demeure plus important que jamais, il y a lieu d’apporter des rajustements pour lutter contre le problème de leur utilisation impropre ou abusive. 

[traduction] Croyez-vous simplement… Je pense que vous [autre participant] vous êtes exprimé ainsi : c’est simplement le prix à payer pour laisser à chacune la liberté de l’autodétermination. Nous convenons tous que c’est le droit qui est la prémisse fondamentale de ces lois, et je ne pense pas que quiconque puisse vous contredire. Est-ce simplement le prix à payer? C’est un bon point qu’il faut faire valoir. Je ne sais pas trop, mais je ne suis pas sûr que cela veuille dire nécessairement qu’il faut négliger les risques d’abus s’il y a moyen de trouver un juste équilibre entre les précautions à prendre contre ces risques et la reconnaissance des droits individuels, du droit à la vie privée, du droit de choisir, etc. C’est peut-être là un aspect qu’il vaut la peine d’étudier. 

Groupe de discussion – Avocats en droit des fiducies et des successions 1, 14 octobre 2014
 

Quelques problèmes clés semblent se profiler derrière les inquiétudes au sujet de l’utilisation impropre des procurations : le problème très répandu d’une connaissance et d’une compréhension insuffisantes des responsabilités rattachées à ces documents chez ceux qui y sont nommés; le manque de transparence au sujet du contenu ou de l’existence de ces documents, de sorte qu’il est difficile de veiller à ce qu’ils soient appliqués conformément aux intentions du mandant; l’absence de mécanismes sérieux pour exiger des comptes lorsque les documents sont utilisés de façon impropre. 

La CDO a retenu les quatre objectifs suivants pour les réformes relatives à l’utilisation abusive et impropre des pouvoirs de décision : 

1.     maintenir un accès raisonnablement simple et peu coûteux aux outils de planification;

2.     promouvoir une meilleure compréhension des nominations personnelles et externes tant chez les mandants que chez ceux qui exercent les pouvoirs : il existe des prédateurs et des familles dont la dynamique est négative et propice à l’exploitation, et ces gens ne seront pas influencés par une meilleure information, mais la plupart des familles font de leur mieux et seront plus à même de s’acquitter de leurs responsabilités si elles peuvent compter sur des soutiens plus solides;

3.     les ressources étant limitées, donner la préférence aux réformes qui ne sont pas indûment complexes, lourdes ou coûteuses pour l’État, les personnes et les familles;

4.     faciliter l’expression des préoccupations à ceux qui sont déjà engagés auprès de populations particulièrement vulnérables et s’en inquiètent.

Ces éléments sont étroitement liés aux préoccupations au sujet du règlement des différends et de l’application des droits dont il est question au chapitre VIII.

 

F.     Projets de recommandation 

1.     Promouvoir la compréhension des attributions

Les questions de la sensibilisation et de l’information sont étudiées de façon plus complète au chapitre XI, mais elles seront brièvement abordées ici parce qu’elles ont été soulevées avec une insistance particulière à propos de l’utilisation abusive ou impropre des procurations. Le ministère du Procureur général propose en ligne une information utile sur les procurations, les tutelles et le rôle du tuteur et curateur public, sans oublier une série de documents[256], et on trouve une grande quantité de renseignements précieux dans la trousse du gouvernement sur les procurations. Des organismes comme ARCH Disability Law Centre, Elder Abuse Ontario, Advocacy Centre for the Elderly et Éducation juridique communautaire Ontario proposent des renseignements sous diverses formes à des auditoires variés. Toutefois, pour toutes ces sources d’information, ce sont les personnes qui établissent des procurations ou agissent en vertu d’une procuration qui doivent prendre l’initiative de les consulter. Or, ces personnes ne savent pas nécessairement ni où ni comment trouver cette information, et elles ne savent même pas toujours qu’elles doivent se renseigner. 

Le chapitre XI présente des projets de recommandation d’ordre plus général au sujet de la sensibilisation des personnes et de leurs mandataires spéciaux et de la communication de renseignements à ces personnes. Dans le présent chapitre, on s’intéresse à la communication de renseignements de base sur les responsabilités prévues par la loi au moment de l’établissement de la procuration ou de sa mise en vigueur. La CDO a reçu un certain nombre de propositions sur les moyens de comprendre les attributions que prévoit la législation. 

Présence d’un avocat pour établir une nomination personnelle valable

Comme il a déjà été signalé, l’Ontario a déjà des exigences de passation conçues comme des garanties contre les abus, notamment l’obligation d’avoir deux témoins. Ceux-ci doivent avoir plus de 18 ans et ne pas être sous tutelle, et ils ne peuvent être le procureur désigné dans le document, son conjoint ou son conjoint de fait, ni un enfant du mandant[257]. Certaines administrations imposent des conditions beaucoup plus rigoureuses à l’égard des témoins. Le Manitoba exige qu’ils appartiennent à certaines professions[258] tandis que la Saskatchewan veut qu’ils signent un certificat attestant de leur opinion que le mandant, au moment de la signature, pouvait comprendre la nature et l’effet d’une procuration « persistante[259] ». Dans son rapport final sur la Powers of Attorney Act de la Nouvelle-Écosse, la Commission de réforme du droit de la Nouvelle-Écosse a recommandé que soient exclus du rôle de témoin, outre les mineurs, le procureur, son conjoint ou son conjoint de fait, les enfants adultes du procureur, dans le cas des procurations perpétuelles. La Commission a fait observer : [traduction] « Nous reconnaissons qu’il est difficile de restreindre davantage l’éventail des choix de témoins possibles. Parfois, les membres de la famille et d’autres personnes intéressées sont les mieux placés pour confirmer la capacité juridique du mandat et sa volonté de consentir à une procuration[260]. »

Au cours des échanges de certains groupes de discussions de la CDO, il a été proposé que, comme protection contre les abus dans le processus de passation, outre les conditions relatives aux témoins, les mandants soient tenus, pour établir une procuration valable à l’égard des biens ou du soin de la personne, de demander des conseils juridiques.                                                                                                                              

Dans les diverses administrations au Canada, les conseils juridiques ne sont généralement pas exigés pour l’établissement d’une procuration valable. Le Yukon se distingue, car il exige que les procurations perpétuelles soient accompagnées d’un certificat d’avis juridique[261]. La Saskatchewan propose la possibilité soit d’avoir deux témoins pour l’établissement de la procuration, soit d’avoir un avocat qui donne des conseils juridiques et un certificat d’attestation[262].

Au cours des échanges des groupes de discussion de la CDO, il s’est manifesté un certain soutien pour l’obligation de produire un certificat d’avis juridique soit pour toutes les procurations, soit pour les procurations relatives aux biens seulement. Plus particulièrement, l’un des deux groupes de discussion réunissant des avocats en droit des fiducies et des successions s’est prononcé fermement en faveur de cette obligation, comme moyen de garantir la validité des procurations et la compréhension de leurs ramifications par les mandants, et donc comme mesure de prévention des utilisations abusives et impropres. En revanche, de nombreux autres participants, dont un deuxième groupe d’avocats en droit des fiducies et des successions, avaient de sérieuses réserves au sujet de cette façon de faire. Selon ce point de vue, le coût supplémentaire et les complications de l’obtention de conseils juridiques mettraient les procurations hors de la portée des personnes à faible revenu et auraient un effet dissuasif même pour ceux qui ont les moyens de payer les frais juridiques. 

La CDO croit que cette exigence serait trop lourde et découragerait un certain nombre de personnes d’établir une procuration, ce qui les pousserait à opter pour des dispositions qui sont très difficiles à contrôler et qui ne sont pas assorties des mêmes obligations juridiques (comme la communication des numéros d’identification personnelle pour les comptes bancaires ou l’ouverture de comptes conjoints) ou pour le régime beaucoup plus restrictif de la tutelle. La CDO ne recommande pas qu’on exige des conseils juridiques préalables à une nomination personnelle. 

La CDO a proposé au chapitre XI des projets de recommandation qui visent à améliorer la portée, l’accessibilité et la fiabilité de l’information et de la sensibilisation au sujet de la capacité juridique et de la prise de décision. La CDO estime qu’un meilleur accès à l’information peut améliorer la qualité des nominations personnelles sans dresser des barrières excessives comme celles de conseils juridiques obligatoires.
 

Formulaire normalisé obligatoire pour les procurations

Le ministère du Procureur général a établi une formule normalisée pour l’établissement des procurations, formulaire qui comprend des renseignements précieux et passablement nombreux sur la nature de ces documents, les responsabilités qu’ils comportent et quelques considérations d’ordre pratique. Ce formulaire n’est pas d’utilisation obligatoire, et il est difficile de savoir s’il est largement utilisé dans quelle mesure on en connaît l’existence.                      

Dans certains groupes de discussions, il a été question de rendre obligatoire l’utilisation de ce formulaire ou d’une version quelconque de ce document. On estimait que, au moins, cela garantirait à tous les mandants l’accès à des renseignements élémentaires corrects. Un certain nombre d’administrations ont des formules normalisées obligatoires. L’État australien du Victoria en a un, et la Mental Capacity Act 2005 de l’Angleterre et du Pays de Galles comprend une formule obligatoire pour les nominations personnelles. En revanche, d’autres participants ont signalé le risque qu’un nombre appréciable de personnes n’établissent par inadvertance des procurations non valables parce qu’elles ne savent pas qu’elles sont tenues d’utiliser la formule normalisée. Compte tenu du fait que le grand public comprend assez mal ce domaine du droit et que, pendant très longtemps, aucune formule obligatoire n’a été utilisée, il faudrait consacrer des ressources non négligeables à la sensibilisation de l’opinion pour assurer la transition vers une formule obligatoire. En outre, et c’est encore plus important, l’utilisation d’une formule obligatoire enlèverait une certaine souplesse aux procurations, alors que c’est l’un de leurs principaux avantages. Somme toute, la CDO ne recommande pas l’adoption d’une formule obligatoire pour les procurations. 

Étant donné que les autorisations d’accompagnement seraient à la fois une nouvelle notion et un nouveau document en Ontario, si notre recommandation à cet égard était mise en œuvre, nous croyons qu’il faudrait insister davantage sur la nécessité que ces documents soient clairs et que des renseignements élémentaires soient communiqués aussi bien à ceux qui les remplissent qu’à ceux qui acceptent ce rôle. Comme elle l’a fait valoir au chapitre VI, la CDO croit que, pour les autorisations d’accompagnement, il faudrait utiliser une formule normalisée obligatoire que le gouvernement établirait, comme il est indiqué dans le projet de recommandation 19 c).

       

Déclarations d’engagement              

Un moyen de promouvoir une bonne compréhension chez les personnes qui agissent en vertu d’une nomination personnelle des responsabilités qu’elles acceptent est d’exiger d’elles une reconnaissance officielle de ces responsabilités dans le cadre du processus de nomination. Cette proposition a reçu un large appui au cours des consultations publiques de la CDO. 

Par exemple, la Colombie-Britannique exige que le procureur signe une acceptation de la nomination avant qu’il ne puisse agir[263]. La Commission de réforme du droit de l’État du Victoria (VLRC) a recommandé, dans son examen des lois de cet État australien sur la capacité juridique et la tutelle, qu’il soit exigé de tous les décideurs qu’ils s’engagent par écrit à agir conformément aux responsabilités et fonctions que la loi leur confie[264]. Kerri Joffe et Edgar-André Montigny, de l’ARCH Disability Centre, ont recommandé que cette condition soit imposée en Ontario, ajoutant que des documents de cette nature devraient être disponibles dans toute démarche juridique ou administrative concernant les manquements à une fonction ou à une obligation donnée[265]. Dans un groupe de discussion réunissant des avocats qui exercent le droit dans ce domaine, un appui s’est manifesté pour une forme quelconque de déclaration de cette nature.

[traduction] Mais au-delà de cela, lorsque le pouvoir est effectivement invoqué, peut-être faut-il prévoir sur la formule un renvoi aux obligations, un complément d’information sur les obligations qu’apporte la nomination, une indication des sources de renseignement. Et puis il faut une case à cocher pour attester que le mandataire a lu et accepté la formule. Je sais que, en ligne, nous cochons des cases sans avoir lu le texte simplement pour passer à l’écran suivant, mais si on annexe à la formule ces critères simplifiés, mais complets, ou s’il y a un site Web qu’on peut consulter à ce sujet, qu’il s’agisse du site du PG ou d’autre chose. Il faut que toute tierce partie qui doit se fier au document puisse voir que la case a été cochée pour signifier qu’on a lu, compris et accepté le texte et voir aussi la signature du procureur. L’ensemble de ces petits détails peut être utile, si la formule prévue a une annexe qui fournit des renseignements de base et de l’information sur les sources de renseignements complémentaires sur les obligations. Procurations pour les nuls… Ou bien création d’un beau petit séminaire privé, par exemple.

Groupe de discussion – Avocats en droit des fiducies et des successions 1, 14 octobre 2015
 

La CDO convient que pareille exigence donnerait un moyen d’informer les mandataires spéciaux ou les accompagnateurs de la nature de leurs responsabilités, de leur faire comprendre qu’il s’agit d’obligations graves et importantes, qu’on peut exiger d’eux des comptes sur l’exercice de leurs responsabilités. Elle garantit aussi clairement qu’ils acceptent ces responsabilités et l’obligation de rendre des comptes. Il est vrai que cette exigence alourdit le processus de mise en vigueur des procurations ou des autorisations d’accompagnement, mais la CDO estime que, au total, l’obligation de remplir une déclaration d’engagement à la mise en vigueur d’une procuration ou d’une autorisation d’accompagnement n’est pas une exigence excessive, compte tenu des avantages qui peuvent en découler. Les déclarations d’engagement peuvent être associées aux déclarations de prise de fonction des procureurs, exposées plus loin; des documents comme ceux-là donnent aux procurations un caractère plus officiel, mais à relativement peu de frais.

PROJET DE RECOMMANDATION 21

a)     Que la personne qui accepte d’être nommée mandataire spécial aux termes de la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui signe, avant d’agir en vertu de la nomination, une déclaration d’engagement au moyen d’une formule obligatoire établie par le ministère du Procureur général et précisant :

i.          les responsabilités législatives de la personne nommée;

ii.          les conséquences du non-respect des responsabilités;

iii.          l’acceptation par la personne nommée de ces responsabilités et des conséquences qui les accompagnent.

b)     Que, lorsqu’il y a lieu, ce formulaire fasse partie de la déclaration de prise de fonction exposée à la recommandation 22.

 

2.     Transparence plus poussée      

L’une des préoccupations maintes fois réitérées au sujet des procurations concerne le manque de transparence de ces documents. Il peut être difficile de savoir si une procuration existe, si elle est valide et si elle devrait être en vigueur. Il peut exister un lien entre cette opacité et les risques d’abus. 

Plusieurs prestataires de services ont fait remarquer qu’il était difficile de vérifier qui avait en fait le droit d’agir au nom d’une personne dont la capacité est atteinte, soit à cause des embûches à surmonter pour trouver les procurations, soit parce qu’il n’était pas simple d’en vérifier la validité. Ils ont souvent établi un rapport avec les lacunes dans le contrôle des mandataires spéciaux, car, à défaut de ces renseignements de base, il est très difficile de savoir combien il existe de procurations, combien sont en vigueur, quelles personnes elles concernent et qui agit en vertu de ces documents.  

La CDO a recueilli le point de vue de quelques membres des familles qui soupçonnaient que leur être cher était victime d’abus, d’exploitation ou de négligence de la part d’une personne prétendant détenir une procuration, mais qui étaient incapables de contraindre cette personne à produire une copie de la procuration pour en vérifier le contenu sans recourir à de coûteuses démarches juridiques. Selon eux, il devrait être beaucoup plus facile de vérifier, sans intenter des poursuites, l’existence des procurations et la portée des pouvoirs qu’elles accordent.
 

Registres

Pendant les échanges des groupes de discussions, un éventail très large de participants, dont des membres des familles, des prestataires de services, des professionnels du monde juridique et des personnes directement touchées, ont beaucoup parlé des registres. Bien des personnes consultées estimaient qu’un registre serait utile pour assurer la transparence et la responsabilité et atténuerait les risques d’abus. L’Ontario Brain Injury Association a fait observer dans ses observations écrites :

[traduction] Les mandataires qui sont choisis par les personnes elles-mêmes peuvent faire obstacle aux intervenants qui essaient d’apporter un soutien. Il peut être difficile de savoir s’il existe un mandataire et, selon celui dont il s’agit, il peut y avoir des difficultés à surmonter pour proposer des services sûrs et confidentiels. Un régime de registres est une solution qui est à envisager dans l’intérêt des prestataires de services qui apportent un soutien à la personne et il aiderait à atténuer les risques d’abus. Ainsi, un mandataire peut s’inscrire à ce titre et produire les données démographiques de base, de façon que le prestataire de services puisse faire des vérifications et s’assurer que c’est la bonne personne qui apporte le soutien et que, comme organisation, il recueille les bonnes signatures de consentement aux services. Comme le nom et les données de la personne chargée de la procuration seraient officiellement consignés, il pourrait y avoir là un moyen d’atténuer le risque d’abus. 

Les registres soulèvent des problèmes de mise en œuvre complexes, notamment sous l’angle des coûts et du respect des renseignements personnels. 

Un registre obligatoire correctement mis en place serait probablement une entreprise coûteuse, ce qui fait apparaître le problème du financement. Ceux qui inscriraient au registre une procuration (ou peut-être aussi une autorisation d’accompagnement) seraient-ils tenus d’acquitter des frais? Dans l’affirmative, faudrait-il que ces frais soient élevés? Cela entraverait-il l’accès pour les personnes dont les moyens sont modestes? Ou encore les membres de la famille et les prestataires de services seraient-ils tenus de payer pour consulter les renseignements consignés au registre? 

D’autres questions plus complexes encore concernent le respect des renseignements personnels. Jusqu’à un certain point, un registre fait passer les procurations du domaine privé au domaine public. L’avantage, c’est que ces documents se prêteraient davantage à un examen rigoureux; l’inconvénient, c’est que les renseignements de la personne qui établit la procuration seraient aussi plus accessibles à qui veut les examiner. Qui aurait le droit de consulter les renseignements consignés au registre et quels renseignements aurait-il le droit de recevoir? L’effet sur le respect des renseignements personnels du mandant aurait-il une influence sur la probabilité que des procurations soient établies? 

[traduction] Même avoir ce genre de conversation avec maman… Le simple fait de parler de procuration la rendait nerveuse. C’était quand elle était aux tout premiers stades d’un type de démence. Elle était toujours très consciente. Mais elle répugnait à en discuter parce qu’elle ne voulait pas y penser. Il se peut que les coûts soient prohibitifs et quelqu’un peut fort bien dire qu’il ne veut pas que le gouvernement intervienne ou assumer l’obligation de renouveler la procuration tous les cinq ans ou tous les trois ans. Cela peut mettre encore plus mal à l’aise des gens qui, au départ, n’aiment guère cette idée. Je suis d’accord en principe, mais cet élément risque fort d’empêcher des gens d’envisager cette possibilité ou de passer à l’acte. 

Groupe de discussion – Prestataires de services communautaires, 26 septembre 2014

De plus, l’un des problèmes les plus délicats que les procurations puissent présenter pour les prestataires de service est la difficulté d’en établir la validité. Qui peut dire qu’un mandant était juridiquement capable au moment de l’établissement d’une procuration perpétuelle relative aux biens? Lorsqu’il y a des procurations multiples divergentes (ce qui est étonnamment fréquent, selon de nombreux prestataires de services), laquelle faut-il accepter et appliquer? Ce n’est pas parce qu’il y aurait un bureau chargé d’un registre que ce bureau aurait le pouvoir de faire enquête sur une procuration. Il ne pourrait que prendre note de son existence. Qu’il y ait un registre ou non, les prestataires de services devraient toujours voir s’il est acceptable de donner suite à une procuration, lorsque la situation est préoccupante.  

Compte tenu de ces difficultés et de ces limites, la CDO croit qu’il est possible d’atteindre certains des objectifs des registres de façon plus souple et efficace par rapport aux coûts au moyen du mécanisme des déclarations de prise de fonction exposées plus loin. Certes, ce mécanisme ne dissiperait pas les préoccupations au sujet de la validité des procurations et ne simplifierait pas non plus l’accès aux nominations personnelles pour les prestataires de services, mais il améliorerait la transparence au sujet de la mise en vigueur des nominations personnelles et donnerait à certains l’accès à des renseignements sur le contenu de la nomination et les modalités de son exécution, ce qui améliorerait la responsabilité et la transparence. Par conséquent, la CDO ne recommande pas de créer un registre des procurations.  

Déclaration de prise de fonction par le procureur

La Western Conference of Law Reform Agencies, dans son examen des mesures de prévention des utilisations abusives des procurations, a recommandé l’adoption d’une disposition législative exigeant que le procureur ayant une procuration perpétuelle communique une « déclaration de prise de fonction », une fois que l’incapacité juridique du mandant de gérer ses propres affaires est constatée et que la responsabilité exclusive du procureur de gérer les affaires du mandant est effective, sans que celui-ci ait la possibilité de contrôler l’utilisation de la procuration ou d’annuler celle-ci. Le mandant peut désigner nommément dans la procuration la ou les personnes qui doivent recevoir la déclaration ou désigner les personnes qui ne doivent pas la recevoir. Dans les cas où aucune personne n’est nommée, le procureur doit déployer des efforts raisonnables afin de la communiquer aux membres de la famille immédiate du mandant. S’il n’y a personne à qui le procureur peut la communiquer, la déclaration doit être remise au représentant public compétent.                    

La Commission de réforme du droit de la Nouvelle-Écosse, tout en adoptant la notion de déclaration de prise de fonction, a recommandé que les mandants puissent explicitement refuser l’exigence de déclaration, étant donné les importantes questions de respect des renseignements personnels qui sont en cause[266]. La CDO partage cette préoccupation au sujet des renseignements personnels. Bien que la déclaration informe les membres de la famille de la nomination d’un procureur – et de l’entrée en vigueur de cette nomination –, avec la possibilité d’une utilisation abusive ou impropre de la procuration, ce qui, par ailleurs, ne pourrait pas venir à l’attention des autres membres de la famille, cet avantage semble, globalement, avoir moins de poids que le risque de différends inutiles et mal intentionnés ou de la communication de renseignements personnels à des gens n’ayant pas de relations étroites suivies avec le mandant. Tous les membres de la famille n’ont pas des relations étroites avec lui et ne jouent pas tous un rôle constructif, et une notification par défaut peut faire apparaître des risques de différend ou d’utilisation impropre de la procuration ou encore de violations de vie privée qui, au total, l’emportent sur le surcroît de transparence apporté par la communication de déclarations par défaut.

La Commission de réforme du droit de la Nouvelle-Écosse a soulevé dans son Document de travail d’autres préoccupations au sujet du moment où la déclaration est communiquée : 

[traduction] Sur le plan pratique, exiger que la déclaration soit communiquée uniquement après que l’incapacité du mandant a été constatée, c’est présumer que le mandant n’aura pas besoin de l’aide d’autrui pour s’assurer que le procureur se charge correctement de ses fonctions avant ce moment. Comme nous l’avons constaté dans tout le présent document, il n’en va pas toujours ainsi. Une longue période peut s’écouler entre le moment où le mandant [sic] commence à agir au nom d’un mandant vulnérable et celui où l’incapacité de celui-ci est constatée de façon définitive – pour peu qu’il soit jamais « déclaré » incapable. À notre avis, la déclaration devrait être communiquée dans un délai raisonnable après que le procureur a commencé à exercer tout pouvoir accordé par la procuration perpétuelle. Cette condition s’appliquerait également à tout procureur remplaçant qui assume ultérieurement la nomination[267].

Néanmoins, dans son rapport final, la commission néo-écossaise a recommandé d’établir un lien entre la communication de la déclaration et le début de l’incapacité, puisque la loi trace une ligne de démarcation nette entre capacité et incapacité et qu’elle protège le mandant tant qu’il conserve sa capacité : c’est uniquement au moment de la constatation de l’incapacité que la protection commence à jouer[268]. 

Il ne faut pas oublier que, aux termes de la LPDNA, tandis que la procuration relative au soin de la personne peut prendre effet immédiatement et s’appliquer jusqu’à ce qu’il y ait incapacité, la procuration relative aux biens peut soit prendre effet immédiatement et durer jusqu’à ce qu’il y ait incapacité, soit prendre effet lorsque l’incapacité est constatée, selon ce que dit le texte de la procuration. Il se peut qu’une procuration relative aux biens ne nécessite jamais une constatation d’incapacité. Dans Zonni v. Zonni Estate, la mandante d’une procuration perpétuelle a conservé sa capacité jusqu’à son décès : si la procuration s’appliquait, le procureur nommé n’a jamais été actif, et le tribunal a rejeté une tentative visant à tenir le procureur responsable d’opérations immobilières survenues après l’entrée en vigueur de la procuration[269]. Dans d’autres affaires, des personnes agissant en vertu d’une procuration ont été jugées responsables de toutes les opérations faites après qu’ils eurent pris leurs fonctions, même si le mandant conservait certaines fonctions[270]. La CDO estime que le moment où le procureur commence à exercer le pouvoir et assume donc la responsabilité, en vertu d’une procuration perpétuelle, est peut-être celui qui convient pour communiquer une déclaration de prise de fonction. 

La CDO convient que les déclarations de prise de fonction peuvent constituer un moyen raisonnablement peu coûteux et souple d’améliorer la transparence et la responsabilité pour les personnes qui agissent en vertu d’une procuration. Il faut concilier avec soin les besoins variables des mandants. Tous ne veulent pas forcément que les membres de la famille soient avisés, que leurs raisons soient bonnes ou mauvaises. Les régimes de communication automatique des déclarations risquent d’éveiller l’attention de personnes qui pourraient se rendre coupables d’abus ou de susciter des différends inutiles. Lorsqu’une procuration précise qu’une ou plusieurs personnes doivent recevoir une déclaration de prise de fonction, celle-ci doit s’accompagner de la déclaration d’engagement préconisée plus haut. 

PROJET DE RECOMMANDATION 22.            Que le gouvernement ontarien modifie la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui pour exiger que, au moment où le procureur commence à exercer un pouvoir en vertu d’une procuration, il communique une déclaration de prise de fonction qui présente les caractéristiques suivantes :

a) la déclaration est toujours communiquée au mandant;

b) le mandant peut donner dans la procuration l’instruction expresse de ne pas communiquer la déclaration à qui que ce soit d’autre que lui-même et à certaines personnes précises;

c) sauf instruction à l’effet contraire dans la procuration, la déclaration est communiquée aux personnes suivantes :

i.          le conjoint ou le conjoint de fait du mandant;

ii.          les parents du mandant;

iii.          les enfants adultes du mandant; 

iv.          les frères et sœurs adultes du mandant;

v.          toute personne nommée comme surveillant dans la procuration, ne figurant pas dans la liste qui précède;

d) la déclaration suit une formule normalisée et obligatoire, élaborée par l’État et s’accompagne d’une déclaration d’engagement.

 

3.     Contrôle

Comme le révèle un bref examen de la législation ontarienne, les mécanismes de contrôle des activités des procureurs sont limités, et il revient aux mandants de considérer avec soin les candidats possibles et de faire preuve de prudence dans leurs nominations. Les mécanismes qui existent pour lutter contre les utilisations abusives ou impropres des procurations sont en grande partie « passifs » plutôt que préventifs. Ainsi, alors que la tenue de comptes est une  tâche importante, il est possible que ceux qui agissent en vertu d’une procuration ne soient jamais obligés de les communiquer à qui que ce soit. Par conséquent, il peut être difficile de déceler les abus lorsqu’ils se produisent. Voilà pourquoi, au cours des consultations, un intérêt considérable s’est manifesté pour accroître le contrôle ou l’examen serré des mandataires spéciaux.
 

Rapports annuels

L’Ontario exige que les tuteurs et les procureurs (à la gestion des biens ou au soin de la personne) tiennent des dossiers sur leurs activités. Sur présentation d’une demande en ce sens, la Cour peut ordonner la passation des comptes d’un tuteur ou d’un procureur, selon des modalités semblables à celles de la passation des comptes des exécuteurs et des administrateurs. La Cour peut, au moment de la passation des comptes, prendre diverses mesures et notamment exiger que le TCP fasse une demande de tutelle aux biens, ordonner une évaluation de la capacité du mandant d’une procuration ou suspendre la procuration ou la tutelle ou y mettre fin[271]. 

Dans certaines administrations, les tuteurs et, parfois, les procureurs à la gestion des biens sont tenus de remettre leurs comptes chaque année[272]. Joffe et Montigny sont en faveur d’une obligation générale, pour tous les décideurs, de produire des comptes : 

[traduction] Dans leurs rapports, les décideurs doivent indiquer ce qu’ils ont fait pour promouvoir l’autonomie et la prise de décision chez la personne « incapable » et comment ils l’ont encouragée à participer à la vie de la collectivité. Les rapports doivent décrire les efforts que les décideurs ont fait pour mobiliser les membres de la famille ou les amis qui soutiennent la personne « incapable » afin d’améliorer la qualité de vie de celle-ci. Les décideurs doivent aussi signaler toute préoccupation exprimée par la personne « incapable » et rendre compte des mesures prises pour dissiper ces préoccupations. 

Actuellement, aux termes de la LPDNA, les personnes « incapables » peuvent demander la passation des comptes. Dans le nouveau régime relatif à la capacité juridique, il faudrait plutôt que la passation des comptes des décideurs soit obligatoire et soit prévue dans toutes les nominations ou ordonnances relatives à la prise de décision, indifféremment du fait que quiconque ait exprimé des inquiétudes au sujet des actes du décideur ou encore demandé la passation des comptes. Les décideurs doivent être tenus à la passation de leurs comptes à intervalles réguliers – chaque année ou plus fréquemment –, selon la situation de la personne « incapable ». Les comptes peuvent être remis avec le rapport de façon à réduire au minimum le nombre de contrôles[273].

Dans un certain nombre de groupes de discussion de la CDO, il a été question des rapports à produire régulièrement. Alors que d’aucuns estiment que l’exigence de rapports réguliers inciterait les mandataires spéciaux à prendre leurs responsabilités plus au sérieux et pourrait décourager certains abus, on a aussi exprimé la crainte que l’obligation de produire des rapports annuels serait trop lourde pour eux. Pour que ces rapports aient du sens et se prêtent à un examen, il faudrait normaliser la présentation et le contenu précis des comptes, ce qui obligerait les mandataires spéciaux à maîtriser les détails de ces exigences. 

De plus, si on veut que les rapports soient plus qu’une simple charge administrative pour les mandataires spéciaux, il faudrait qu’il y ait un examen sérieux des comptes remis, et il faudrait également qu’on apporte à ces mandataires de l’information et un soutien pour qu’ils s’efforcent de satisfaire à cette exigence. Il faudrait donc un personnel non négligeable pour remplir cette fonction. 

De l’avis de la CDO, étant donné que les ressources sont limitées, il vaudrait mieux les déployer vers d’autres priorités : prévenir l’utilisation impropre des pouvoirs par la sensibilisation et l’information et rendre possible une réaction plus efficace aux abus grâce à des mécanismes améliorés de traitement des plaintes, plutôt que d’affecter des ressources considérables au contrôle des mandataires spéciaux, dont la majorité se conforment aux dispositions. Par conséquent, la CDO ne recommande pas qu’on oblige les mandataires spéciaux à produire des rapports régulièrement.  

Audits

Il a été avancé que les régimes ontariens relatifs à la capacité juridique et à la prise de décision gagneraient à avoir un programme d’audit aléatoire. 

Joffe et Montigny, par exemple, recommandent la mise en place d’un bureau de surveillance et de défense des droits doté de larges pouvoirs pour notamment contrôler et surveiller les décideurs, intervenir dans les situations où des décideurs font un usage abusif ou impropre de leurs pouvoirs et se saisir des plaintes de personnes à qui la capacité juridique fait défaut. Selon la conception de ces auteurs, ce bureau recevrait et étudierait les rapports des décideurs et il aurait le pouvoir de lancer des enquêtes ou de prendre des ordonnances exécutoires pour donner suite à ces rapports. Le bureau gérerait également un programme de « visites » et aurait le pouvoir de faire enquête sur les préoccupations exprimées par un visiteur et d’agir en conséquence[274]. Les visiteurs seraient soit des bénévoles ayant reçu une formation, soit des professionnels qui dispensent des conseils aux personnes dont la capacité juridique est réduite ou douteuse.  

Un certain nombre d’administrations en régime de common law à l’extérieur du Canada ont des programmes de visites dont la portée et les pouvoirs varient. Ainsi, dans le cadre de la Mental Capacity Act, 2005 (MCA), l’Angleterre et le Pays de Galles ont un système de « visiteurs de la Cour de protection ». Ces visiteurs, dont certains, désignés « spéciaux », ont des compétences dans le domaine des déficiences liées à la capacité, peuvent recevoir de la Cour de protection instruction de rendre visite à des « deputies » (représentants, qui sont l’équivalent des tuteurs en Ontario), à des procureurs ou aux personnes au nom desquelles ils agissent et d’établir des rapports pour le tuteur public sur diverses questions[275]. Le Code of Practice du MCA énonce leur rôle en ces termes :

[traduction] Le rôle du visiteur de la Cour de protection est de donner des conseils indépendants à la Cour et au tuteur public. Il donne son avis sur la façon dont quiconque a reçu un pouvoir aux termes de la Loi s’acquitte de ses devoirs et responsabilités ou devrait le faire. On distingue visiteurs généraux et visiteurs spéciaux. Les derniers sont des médecins praticiens autorisés qui ont les compétences voulues. La Cour ou le tuteur public peuvent envoyer un type de visiteur ou l’autre, selon ce qui convient le mieux, rendre visite à une personne dont la capacité peut être réduite et discuter avec elle. Les visiteurs peuvent aussi avoir des entretiens avec des procureurs ou des tuteurs et examiner tout dossier de santé ou de service social pertinent. Les procureurs et les tuteurs doivent collaborer avec les visiteurs et leur communiquer tout renseignement pertinent. Dans le cas contraire, la Cour peut annuler leur nomination si elle est d’avis qu’ils n’ont pas servi les intérêts supérieurs de la personne[276].

Les visiteurs peuvent non seulement faire enquête sur les abus, mais aussi évaluer le bien-être général de la personne et apporter des conseils et un soutien aux procureurs et tuteurs. 

Le programme de visites en Angleterre et au Pays de Galles a une fonction plus large, dans le régime de capacité juridique et de prise de décision de cette administration, au-delà de l’audit de conformité. Il est en fait étroitement lié au fonctionnement de la Cour de protection spécialisée et à ses mécanismes pour régler les différends et faire valoir les droits. 

Le système des « visites communautaires » de l’État australien du Queensland est axé sur les personnes qui vivent dans des établissements collectifs tels que les foyers de soins de longue durée et les établissements psychiatriques. Le système comprend des fonctions de surveillance et de traitement de plaintes. Dans le cadre de leurs fonctions de surveillance, les visiteurs vont régulièrement dans les établissements psychiatriques et d’autres lieux (sauf les domiciles privés) où des personnes aux capacités réduites résident ou reçoivent des soins[277] afin d’examiner les aspects suivants et de présenter des rapports à leur sujet :

·       qualité des services d’évaluation, de traitement et de soutien de l’établissement;

·       qualité des services d’hébergement, de santé et de bien-être de l’établissement;

·       mesure dans laquelle les pensionnaires de l’établissement reçoivent des services d’une manière qui limite le moins possible l’exercice de leurs droits;

·       qualité de l’information donnée aux pensionnaires au sujet à leurs droits;

·       accessibilité et efficacité des procédures prévues par l’établissement pour permettre aux pensionnaires de se plaindre des services reçus[278].

Il incombe aux visiteurs de faire enquête sur les plaintes, de chercher à les régler et, à défaut de pouvoir le faire, d’en saisir rapidement l’instance compétente pour enquête ou règlement ou les deux[279]. Ils sont dotés de larges pouvoirs qui leur permettent de [traduction] « faire toutes choses nécessaires ou appropriées pour s’acquitter de leurs fonctions », notamment d’accéder sans préavis aux établissements « visitables », d’exiger la production de renseignements ou de documents et de s’entretenir sans témoins avec les personnes représentées[280].

Le programme de visites adopté dans le Queensland est très large et ses répercussions s’étendent bien au-delà de la capacité juridique et de la prise de décision. Il englobe des efforts systématiques et individuels de défense des droits dans une large gamme de cadres collectifs. Il répond à des préoccupations analogues à celle de la commission des soins de santé proposée par l’Advocacy Centre for the Elderly dans une étude de 2009 commandée par la CDO dans le cadre du projet Law as It Affects Older Adults[281]. Tout en relevant de nombreux aspects intéressants dans le système de visites du Queensland et la commission des soins de santé proposée, la CDO estime qu’ils soulèvent des questions qui débordent du cadre du projet et qui exigeraient beaucoup de recherches et de consultations encore. 

Un vaste programme d’audits aléatoires exigerait beaucoup de ressources et empiéterait sur la vie privée des familles et des personnes directement touchées. Aussi la CDO ne le recommande-t-elle pas. Au chapitre IX, dans le cadre des discussions sur les réformes à apporter aux processus de nomination externe, on abordera l’applicabilité et la viabilité d’un type de programme de visites limité axé sur la recherche des solutions les moins restrictives.
 

Surveillants

Aux termes de la Representation Agreement Act de la Colombie-Britannique, quiconque établit un accord de représentation doit désigner un surveillant, à moins que le représentant ne soit le tuteur et fiduciaire public, un conjoint ou une société fiducie ou une coopérative de crédit, ou à moins que la personne n’ait désigné deux ou plusieurs représentants qui doivent agir de concert[282]. Le surveillant doit déployer des efforts raisonnables pour vérifier si le représentant se conforme aux exigences de la loi. Il a le droit de rendre visite à l’adulte représenté, de parler avec lui et de consulter les dossiers et les comptes. S’il a des motifs de croire que le représentant ne se conforme pas aux exigences de la Loi, il doit en informer rapidement le tuteur et curateur public[283]. En Alberta et au Yukon, il n’y a pas d’exigences semblables pour ceux qui contrôlent les arrangements de prise de décision accompagnée. Le Manitoba a prévu l’obligation pour les procureurs de rendre des comptes à la personne désignée dans la procuration ou s’il n’y en a aucune, de rendre des comptes chaque année au parent le plus proche[284]. La personne qui reçoit les comptes n’a aucune obligation ni responsabilité à cet égard.  

Les groupes de discussion, notamment ceux qui réunissaient des personnes directement touchées et des membres de leur famille ont manifesté un intérêt considérable pour la notion de surveillant. Il a semblé que c’était là un moyen relativement simple et peu coûteux d’assurer une certaine surveillance des activités des personnes qui agissent en vertu d’une nomination personnelle et d’une incitation à prendre plus au sérieux les exigences de la loi. 

[traduction] L’idée d’un surveillant est excellente. C’est comme si cela se trouvait dans le plan de traitement, celui qu’on a choisi : je veux être dans cet hôpital, pas un autre. Le surveillant peut examiner la situation : oui, il se trouve dans cet hôpital, oui, il est traité par ce médecin, c’est extra, ces questions-là sont réglées. Le surveillant a commencé à jouer son rôle. Nous allons arroser les plantes, nous occuper des animaux de compagnie. C’est extra. Tout cela a été fait. Voilà un rôle qui semble vraiment précieux.

Participant d’un Groupe de discussion – Personnes ayant une déficience mentale, 21 août 2014
 

Il a été signalé que bien des gens n’ont pas un grand cercle d’amis et de membres de leur famille à qui ils font confiance. Il peut être déjà assez difficile de trouver quelqu’un pour exercer une procuration sans aussi chercher une deuxième personne qui se chargerait de la surveillance. Même lorsque le mandant a une famille, celle-ci ne joue pas forcément un rôle constructif dans sa vie. Il y aurait donc un risque à lui donner automatiquement accès aux renseignements hautement confidentiels du mandant, bien que la loi manitobaine prévoie cette solution par défaut.  

Il a donc semblé préférable que les surveillants ne soient pas obligatoires pour les procurations. En revanche, il a été recommandé que de l’information publique, dont la formule normalisée de procuration établie par les pouvoirs publics, renseigne à ce sujet et incite fortement les mandants à désigner un surveillant, et qu’il y ait des dispositions législatives claires au sujet du rôle de surveillant. Dans le groupe de discussion des personnes ayant des déficiences mentales, un participant a fait observer que, bien que les surveillants puissent jouer un rôle utile, ils risquent aussi d’avoir une attitude trop marquée par la confrontation et trop interventionniste et donc peu utile, précisant : [traduction] « … si vous mettez cela en place, il faudra baliser ce rôle au moyen de lignes directrices en matière d’éthique ».  

Si on veut que le recours aux surveillants soit une mesure efficace, il faudrait qu’ils aient non seulement des fonctions claires définies par voie législative, mais aussi les pouvoirs nécessaires pour jouer le rôle qui leur est confié. Ainsi, ils devraient avoir le droit de consulter l’information nécessaire à l’exécution de leur travail et de rencontrer la personne qui a fait la nomination.

Le chapitre VI a abordé la question des surveillants dans le contexte des autorisations d’accompagnement. Vu les différences dans les rôles des accompagnateurs et des mandataires, les risques d’utilisation abusive ou impropre des pouvoirs associés aux arrangements de prise de décision accompagnée diffèrent à certains égards (mais non pas tous, certainement) de ceux qui sont associés à la prise de décision au nom d’autrui. Le succès de la prise de décision accompagnée dépend entièrement de la qualité du processus employé plutôt que des résultats, si bien qu’il est difficile d’évaluer objectivement ces arrangements. Comme l’accompagnateur n’est pas censé prendre les décisions, il n’est pas tenu de tenir le même genre de dossiers qu’un mandataire spécial sur ses activités. Le surveillant chercherait avant tout à s’assurer que le processus de prise de décision convient et que la personne accompagnée croit toujours qu’il répond à ses besoins. Comme l’évaluation de la réussite des arrangements de prise de décision accompagnée est une tâche d’ordre qualitatif, la CDO estime que la participation d’un surveillant de confiance à l’arrangement d’accompagnement, ce qui permet d’être constamment au courant du processus, est une garantie essentielle.
 

PROJET DE RECOMMANDATION 23.            Que le gouvernement ontarien modifie la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui pour

a)     indiquer la possibilité, pour le mandant, de nommer au moins un surveillant; 

b)     exiger la nomination d’un surveillant dans le cadre de l’autorisation d’accompagnement; 

c)      préciser les fonctions suivantes du surveillant de procuration ou d’autorisation d’accompagnement :

i.          la responsabilité de déployer des efforts raisonnables pour s’assurer que le procureur ou l’accompagnateur se conforme aux exigences de la loi pour sa fonction;

ii.          la tenue de dossiers sur ses activités relativement à cette fonction;

iii.          la préservation du caractère confidentiel des renseignements dont il a pris connaissance pour exercer sa fonction, sauf dans la mesure où il doit les communiquer pour prévenir l’utilisation abusive ou impropre de la fonction de procureur ou d’accompagnateur et y remédier;

iv.          signaler rapidement ses préoccupations au tuteur et curateur public s’il a des motifs de croire que :

·       la personne nommée par procuration ou autorisation d’accompagnement manque à ses obligations ou exerce sa fonction de façon impropre; 

·       le mandant ou l’auteur d’une autorisation d’accompagnement est frappé d’incapacité juridique;

·       des conséquences préjudiciables graves au sens de la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui en découlent pour le mandant ou l’auteur;

d)     donner aux surveillants les droits suivants, avec les recours à l’arbitrage qui conviennent dans les cas de dérogation :

i.          rendre visite à la personne qui les a nommés et s’entretenir avec elle;

ii.          examiner les comptes et les dossiers tenus par le procureur ou l’accompagnateur.

 

G.   Résumé

Pour formuler des recommandations de réforme dans les mécanismes ontariens qui portent sur l’utilisation abusive ou impropre des pouvoirs de prise de décision, il faut concilier avec soin un certain nombre d’objectifs : utiliser efficacement des ressources rares; maintenir l’accès aux outils de planification; éviter de surcharger les membres de la famille et les amis bien intentionnés qui acceptent des responsabilités prévues par la loi; promouvoir la compréhension des droits, risques et responsabilités chez tous ceux qui sont concernés; réduire l’incidence de l’utilisation abusive et impropre des pouvoirs et améliorer les moyens de déceler et de réprimer ce comportement. 

Les projets de recommandation de la CDO ont porté surtout sur la recherche de solutions qui peuvent s’appliquer à faible coût et sans imposer une charge déraisonnable aux personnes désignées par une nomination personnelle, tout en favorisant plus de clarté et de transparence et une meilleure surveillance. Plus particulièrement, la CDO recommande que ceux qui sont désignés par un document de nomination personnelle soient tenus de remplir une déclaration d’engagement au moment où ils assument leurs responsabilités en vertu de la nomination et que les mandants soient invités à énumérer les personnes qui doivent être prévenues lorsque la personne désignée commence à jouer le rôle prévu dans une nomination personnelle. Elle recommande en outre que le rôle de surveillant soit officialisé, et que le recours à ce mécanisme soit encouragé pour les procurations et exigé pour les autorisations d’accompagnement. 

Comme il a été dit au début du présent chapitre, les préoccupations au sujet de l’utilisation abusive ou impropre des procurations ont été attribuées dans une large mesure à l’incompréhension et à l’ignorance de ces documents importants. Certaines des réformes proposées dans le présent chapitre, comme les déclarations d’engagement, visent à atténuer ce problème. Le chapitre XI porte sur les problèmes d’information et de sensibilisation dans le contexte plus large de ce domaine du droit.  

Le chapitre qui s’achève a mis l’accent sur l’établissement et le contenu des nominations personnelles. Le chapitre VIII, qui suit, porte sur les institutions et les processus actuels d’exécution des droits et de règlement des différends en Ontario. Lorsqu’il y a des divergences de vues au sujet de la validité d’une procuration ou des actes d’un procureur, par exemple, ce sont les institutions et les processus auxquels les familles recourent pour obtenir une réparation ou un règlement. Par conséquent, les réformes proposées dans le présent chapitre devraient également être prises en considération dans le contexte des projets de recommandation présentés au chapitre VIII.

 

 

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