A.    Introduction et contexte

Au cours des consultations préliminaires de la CDO dans le cadre de ce projet, l’accès à la loi, notamment en ce qui concerne les mécanismes de règlement des différends en vertu de la LPDNA, a figuré parmi les sujets ayant suscité le plus de préoccupations. Une impression forte s’est dégagée voulant que ces mécanismes soient coûteux, complexes et difficiles d’accès et que, par conséquent, les responsabilités et les droits conférés par la LPDNA ne soient pas exercés comme prévu. Les résultats de ces consultations initiales ont été confirmés par les réponses obtenues lors des consultations publiques de la CDO de l’automne de 2014 alors que les participants ont fait savoir que de profondes réformes dans ce domaine s’imposaient. 

Il ne faut pas oublier que l’accès efficace à la loi influe sur tous les autres aspects du régime de la capacité juridique, de la prise de décision et de la tutelle. Le manque d’accessibilité peut inciter des familles à entreprendre des démarches sans caractère officiel plus risquées pour résoudre leurs problèmes ou à mettre en œuvre des solutions improvisées qui ne sont pas conformes à l’intention du législateur. Il peut aussi amener à renoncer à faire respecter ses droits, ou encore porter les parties ayant un meilleur accès aux ressources nécessaires pour s’y retrouver dans les méandres administratifs à utiliser le système à mauvais escient à leurs propres fins. 

Les préoccupations concernant le bon exercice des droits et des responsabilités en vertu de la LCSS sont liées pour la plupart à la qualité des appréciations de la capacité en vertu de cette loi, ainsi qu’à la pertinence et à l’efficacité des protections procédurales au moment de la détermination de la capacité, notamment pour la communication de renseignements sur les droits aux personnes qui sont jugées incapables en vertu de cette loi. Ces préoccupations sont analysées en détail au chapitre V du présent rapport. Bien que des critiques détaillées aient été soulevées à l’égard de la CCC, comme la question toujours actuelle de savoir si elle est trop ou insuffisamment axée sur les droits prévus par la loi et l’utilité d’examiner les possibilités de recourir plus souvent à des modes de règlement extrajudiciaire des différends, on s’entend généralement pour dire que la souplesse des mécanismes de nomination de la CCC et sa qualité de tribunal administratif accessible qui rend des décisions rapides et relativement souples en font une solution appropriée. Le présent chapitre porte donc principalement sur les préoccupations qui sont liées aux processus de règlement des différends et d’exercice des droits en vertu de la LPDNA.

Tous les processus décisionnels relevant de la LPDNA, y compris les procédures de nomination des tuteurs et de modification et d’extinction des tutelles, ainsi que les dispositions relatives à la reddition de comptes et à la demande de directives, sont étroitement liés, tout comme les processus d’enquête administrative qui relèvent du mandat du TCP. Ils sont donc tous traités ensemble dans le présent chapitre en tant que mécanismes permettant d’accéder au droit. Le chapitre IX aborde des préoccupations particulières et des propositions de réforme relatives aux processus de nomination externe. Comme ces questions sont liées aux pouvoirs étendus des arbitres plutôt qu’aux mécanismes d’accès à la loi, elles sont traitées séparément bien qu’elles soient, bien entendu, interreliées.

 

B.    État actuel du droit en Ontario

Le règlement des différends et l’exercice des droits relatifs à la capacité juridique, à la prise de décision et à la tutelle se déroulent dans de nombreuses instances en Ontario, par notamment des lignes directrices et des procédures institutionnelles internes (par exemple, les bureaux de défense des droits des patients mis en place dans de nombreux hôpitaux), des mécanismes de plaintes sectoriels comme l’Ombudsman des services bancaires, et par des mécanismes officiels de traitement des plaintes proposés par les ordres de réglementation des professionnels de la santé. Toutefois, les mécanismes ontariens pour régler les différends et faire valoir ses droits en matière de capacité juridique et de prise de décision relèvent principalement de la CCC, de la Cour supérieure de justice, et du processus d’enquête sur des « conséquences préjudiciables graves » qui est du ressort du TCP. Ces mécanismes sont détaillés ci-dessous.

1.     Rôle de la CCC

Le mandat de la CCC relève d’un certain nombre de lois, dont la Loi sur la santé mentale, la Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé et la Loi de 2006 sur le dépistage obligatoire par test sanguin, outre son rôle fondamental de surveiller l’application des lois ontariennes relatives à la capacité juridique et au consentement. Plus particulièrement, la CCC peut entendre les requêtes suivantes :

·       une requête en vue de réviser une constatation d’incapacité faite soit par un professionnel de la santé à l’égard d’un traitement[285], soit par un appréciateur relativement à l’admission dans un établissement de soins ou au consentement à des services d’aide personnelle fournis dans un foyer de soins de longue durée[286], soit par un évaluateur de la capacité relativement aux biens[287];

·       une requête en vue de nommer un représentant pour la prise de décision en ce qui a trait aux décisions à prendre en vertu de la LCSS[288];

·       une requête en vue d’autoriser un mandataire spécial à ne pas respecter les désirs exprimés antérieurement par une personne incapable alors qu’elle était capable[289];

·       une requête en vue de déterminer si un mandataire spécial agit en conformité avec les exigences de la LCSS en ce qui a trait à la manière dont les décisions doivent être prises[290];

·       une requête en vue d’obtenir des directives lorsque la bonne façon d’appliquer la LCSS relativement à la décision requise n’est pas claire[291];

·       une requête en révision de certaines décisions précises qui ont des répercussions considérables sur les droits de la personne, comme l’admission à un établissement aux fins de traitement et l’admission à l’unité de sécurité d’un établissement de soins[292].

Dans la pratique, la vaste majorité des requêtes que la CCC entend sont des révisions soit de décisions selon lesquelles une personne est incapable relativement à des traitements, soit de constatations voulant que la personne doive être admise, ou rester admise, à un établissement psychiatrique sur une base involontaire[293]. À de nombreux égards, les activités de la CCC demeurent axées principalement sur le droit de la santé mentale, comme en témoigne la composition et la culture de ce tribunal. 

Les membres de la CCC peuvent entendre des requêtes seuls ou en comités composés de trois ou cinq membres, notamment des avocats, des psychiatres et des représentants du public. Les Règles de pratique de la CCC favorisent une conception globale de l’admission de la preuve : la CCC peut « admettre toutes les preuves pertinentes à l’objet de l’instance » et elle peut décider de la forme dans laquelle la preuve est présentée[294]. La loi donne priorité aux règlements rapides : les audiences doivent commencer dans les sept jours qui suivent la réception de la requête, et les décisions doivent être rendues (et le résumé des motifs fourni aux parties) dans la journée qui suit la fin de l’audience[295]. Les décisions de la CCC sont susceptibles d’appel devant la Cour supérieure de justice sur des questions de droit et de fait[296]. 

L’efficacité de la CCC est assurée par les exigences de la LSM relatives aux conseils en matière de droits, qui sont exposées au chapitre V, et par l’offre considérable par AJO de services d’avocat gratuits aux personnes qui comparaissent devant la CCC, que détaille plus avant le présent chapitre.

2.     Rôle de la Cour supérieure de justice

La procédure de nomination des tuteurs et de modification et d’extinction des tutelles est exposée abondamment au chapitre IX et ne sera donc pas détaillée ici. Il y a deux méthodes pour obtenir une tutelle : une procédure de tutelle administrative sous régime législatif, qui s’applique aux personnes trouvées incapables en vertu de la partie III de la LSM ou de l’article 16 de la LPDNA, uniquement pour les questions liées aux biens; une procédure de nomination par les tribunaux pour les tutelles relatives aux biens ou à la personne qui peuvent être demandées par quiconque en vertu de l’article 22 ou de l’article 55 de la LPDNA respectivement. Actuellement, la plupart des tuteurs sont nommés par la procédure de tutelle sous régime législatif : la Cour supérieure de justice nomme de 200 à 260 tuteurs par an[297]. Il y a des procédures de règlement sommaire pour les requêtes en tutelle et en extinction de ces dernières, mais on y a rarement recours. Il faut se rappeler que, bien que les nominations de tuteurs et la modification et la révocation des ordonnances de tutelle puissent être relativement simples, on peut aussi chercher à obtenir de telles ordonnances dans le cadre de différends plus graves comportant, dans certains cas, la maltraitance ou une mauvaise utilisation de fonds. 

La Cour supérieure de justice exerce par ailleurs un rôle important pour contrôler les activités des mandataires spéciaux et résoudre les problèmes d’interprétation. Elle peut en particulier entendre les requêtes en reddition de tout ou d’une partie des comptes des tuteurs ou des procureurs aux biens. Elle a le pouvoir général de « donner des directives sur toute question soulevée relativement à la tutelle ou à la procuration » [nous soulignons] relative aux biens ou au soin de la personne[298].

Il est intéressant de remarquer que la Cour a des pouvoirs étendus de redressement lorsqu’elle est saisie de requêtes en vue d’obtenir des directives ou de requêtes en reddition de comptes. Sur requête en vue d’obtenir des directives, le tribunal peut « donner les directives qu’il juge être dans l’intérêt de l’incapable et des personnes à sa charge et être compatibles avec la présente loi[299] ». Lorsqu’elle approuve les comptes d’un procureur par exemple, elle peut ordonner au TCP de présenter une requête en tutelle ou en attendant le règlement de la requête, le nommer temporairement ou suspendre la procuration; elle peut aussi ordonner l’évaluation du mandant ou l’extinction de la procuration. De même, en cas de requête en reddition des comptes d’un tuteur, la Cour peut suspendre la tutelle et nommer temporairement le TCP ou une autre personne à titre de tuteur en attendant le règlement de la requête, rajuster la rémunération du tuteur ou mettre fin à la tutelle[300].
 

3.     Enquêtes du TCP

Les plaintes de nature administrative et les pouvoirs d’enquête prévus dans la LPDNA constituent une partie importante du système mis en place en Ontario pour traiter les questions liées à la capacité juridique, à la prise de décision et à la tutelle, et les intervenants sont convaincus de leur grande utilité. Il faut noter que la fonction d’enquête du TCP représente un progrès considérable sur ce que l’on trouve dans beaucoup d’autres administrations qui ne se sont pas dotées de pouvoirs d’enquête administrative pour traiter spécifiquement de questions liées à la capacité juridique et à la prise de décision et qui ont choisi plutôt de s’en remettre entièrement aux procédures judiciaires pénales et civiles. Par ailleurs, bon nombre d’administrations ont adopté des lois sur la protection des adultes qui instituent de vastes pouvoirs d’intervention dans les affaires des adultes, qu’ils soient juridiquement capables ou incapables : la CDO considère que certaines des discussions entourant les pouvoirs de traitement des plaintes et d’enquête du TCP proviennent soit d’une confusion entourant la nature d’un régime plus vaste, soit d’un désir d’en instaurer un.

D’après les articles 27 et 62 de la LPDNA, le TCP a le devoir et le pouvoir d’enquêter « sur toute allégation selon laquelle une personne est incapable » de gérer ses biens ou de prendre soin d’elle-même, si « des conséquences préjudiciables graves se produisent ou peuvent se produire en conséquence ».

La LPDNA confère au TCP des pouvoirs discrétionnaires assez importants quant à la conduite de l’enquête, ainsi que des pouvoirs d’entrée et d’accès à des dossiers aux fins de l’enquête[301]. 

Si, par suite de son enquête, le TCP a des motifs raisonnables de croire qu’une personne n’a plus la capacité juridique et que des conséquences graves – selon la définition de la loi – se produisent ou peuvent se produire, il doit présenter au tribunal une requête en tutelle temporaire. Le tribunal peut le nommer tuteur pendant une période d’au plus 90 jours et peut suspendre pendant la période de la tutelle temporaire les pouvoirs d’un procureur qui détiendrait une procuration. L’ordonnance doit préciser les pouvoirs et toutes les conditions liées à la tutelle temporaire. À la fin de cette période, le TCP peut permettre la fin de la tutelle, demander au tribunal une prolongation ou bien une ordonnance de tutelle perpétuelle. 

Il convient de souligner le lien entre les fonctions relatives aux plaintes et aux enquêtes et la possibilité d’une tutelle exercée par le TCP : la seule mesure que le TCP est habilité à prendre à la suite d’une enquête est une requête en tutelle temporaire qui, malgré sa temporalité, constitue néanmoins une intervention très lourde dans la vie de la personne touchée. C’est pourquoi la loi ne prend en considération implicitement que des enquêtes portant sur les questions les plus graves.

En 2013-2014, le TCP a reçu plus de 10 000 communications écrites, dont la plupart ont été renvoyées à d’autres services, y compris le Bureau d’évaluation de la capacité, des avocats du secteur privé, les centres d’accès aux soins communautaires, des médecins, les services policiers ou d’autres organismes d’application de la loi, en vue de mesures appropriées. Deux cent trente-neuf enquêtes ont été ouvertes : 61 ont entraîné la nomination du TCP comme tuteur aux biens en vertu des dispositions de la LPDNA relatives à la tutelle légale; 78 ont été renvoyées à d’autres sources d’aide, dont les familles, les organismes communautaires et les services policiers; 63 ont abouti à la conclusion qu’une requête en tutelle temporaire n’était pas nécessaire selon le critère de détermination de la capacité; 3 dossiers ont été fermés pour d’autres motifs comme le décès de la personne prétendue incapable; dans 8 cas, des requêtes ont été présentées à la cour en vue d’une tutelle exercée par le TCP[302].
 

C.    Sujets de préoccupation

1.     Accès à la loi 

 [traduction] Dans ses observations écrites, le MHLC [Mental Health Legal Committee] insiste sur l’importance cruciale de l’accès à la loi. Peu importe à quel point la loi est bien rédigée, elle est futile si les droits ne sont pas communiqués réellement et si la personne touchée n’a pas d’accès pratique à un avocat[303].

Une étude commandée par la CDO à l’ARCH Disability Law Centre souligne le lien étroit entre les mécanismes de règlement des différends et des principes comme la dignité et l’accessibilité.

[traduction] Quelles que soient les formes que revêtent les mécanismes de règlement des différends, il est essentiel de faire en sorte qu’ils respectent les principes d’accessibilité, lesquels exigent des mesures de protection à l’égard de la capacité juridique pour les personnes handicapées. Il faudrait envisager des mesures de soutien pour aider les personnes ayant des difficultés liées à la capacité à avoir accès aux mécanismes de règlement des différends et à les utiliser. Ces mécanismes doivent donc être conçus de manière à respecter le principe inhérent de dignité et de valeur, qui exige des mécanismes efficaces permettant de soulever des préoccupations à propos d’abus ou de maltraitance et d’obtenir réparation. Tout au moins, ils doivent être fournis en temps utile, les personnes ayant des difficultés liées à la capacité doivent pouvoir s’y retrouver et les utiliser facilement, et ils doivent être fournis gratuitement aux personnes à faible revenu[304].

Lors des consultations de la CDO, une opinion assez répandue a été entendue à savoir que les mécanismes judiciaires prévus par la LPDNA pour les nominations externes, la surveillance et le règlement des différends sont tout simplement inaccessibles pour la grande majorité des personnes qui sont touchées par la loi, que ce soient celles qui n’ont pas ou pourraient ne pas avoir la capacité juridique, les membres de leurs familles ou les mandataires spéciaux.

La plupart des intervenants sont d’avis que des obstacles liés aux coûts et à la complexité du régime créent d’importantes distorsions dans la mise en œuvre de la LPDNA. Il ne faut pas oublier que la Loi, telle que conçue et adoptée à l’origine, devait s’accompagner d’importantes mesures de soutien sous forme d’intervention comme l’avait prévu la Loi de 1992 sur l’intervention, comme l’expose le chapitre III.B de la partie Quatre du Document de travail. L’abrogation de la Loi de 1992 sur l’intervention n’a pas été suivie par la mise en place d’autres mesures de soutien à l’intention des personnes directement touchées par la LPDNA. Les personnes vulnérables ont plutôt été laissées à elles-mêmes pour s’y retrouver dans un système complexe. Quels que soient les défauts ou les avantages du régime prévu dans la Loi de 1992 sur l’intervention, l’idée centrale qui sous-tendait cette loi demeure valide, à savoir qu’il faut veiller à ce que les personnes qui n’ont pas ou pourraient ne pas avoir la capacité juridique aient un accès réel à leurs droits.

Par définition, les procédures judiciaires sont compliquées, techniques et souvent intimidantes, et il est très difficile de s’y retrouver et d’y recourir avec efficacité et facilité sans conseils et soutiens importants.

[traduction] C’est une procédure intimidante qui en rebute plusieurs. Quand ça arrive, c’est comme si son monde s’écroule, qu’on est plongé dans le chaos, qu’il faut prendre un avocat et que, somme toute, tout le monde perd la tête.

Groupe de discussion – Prestataires de services communautaires, 26 septembre 2014

Dans bien des cas, il n’est pas raisonnable que des personnes tentent seules de s’y retrouver dans ces processus. C’est d’autant plus vrai pour celles qui n’ont pas ou pourraient ne pas avoir la capacité juridique et dont les besoins sont censés être au cœur de ce domaine du droit. 

Dans les domaines du droit, comme le droit de la famille, où il est de plus en plus courant de se représenter soi-même devant les tribunaux, des efforts considérables ont été consentis pour aider les personnes qui choisissent de le faire. Parmi ces initiatives, mentionnons la mise en place d’une Cour unifiée de la famille dans plusieurs régions de l’Ontario, le Centre d’information sur le droit de la famille, ainsi que l’élaboration de divers outils et documents d’information destinés à venir en aide à ces personnes comme le Programme d’information sur le droit de la famille d’AJO et le portail d’information du Barreau du Haut-Canada[305]. Comme le nombre de personnes étant parties à un litige portant sur une tutelle est beaucoup moins important, il n’y a pas d’aide ou d’outils semblables destinés à ce groupe. Chose certaine, l’élaboration de ce genre de mécanismes de soutien n’a pas résolu les difficultés au sein du système du droit de la famille à assurer un accès réel au droit : le rapport de la CDO intitulé L’amélioration de l’accès à la justice familiale grâce à des points d’entrée globaux et à l’inclusivité détaille les nombreuses façons dont le phénomène des parties sans avocat est pénible, grève le système ontarien et incite même certaines personnes à ne pas recourir au système de justice et à renoncer à l’exercice de leurs droits[306]. 

Dans les affaires reliées à la LPDNA, le coût des conseils juridiques et de la représentation pour une requête devant le tribunal peut être hors de la portée de nombreuses familles. Au cours des consultations de groupe, un avocat en droit des fiducies et des successions a qualifié les litiges dans ce domaine de « sport des rois ». Dans la pratique, il n’y a aucune mesure de réparation puisque les personnes concernées ne disposent pas des ressources nécessaires pour y recourir.

[traduction] Les problèmes d’accessibilité et d’accès à la justice se posent aussi souvent dans ce domaine que dans tous les autres domaines du système de droit civil en Ontario. Les personnes qui n’ont pas les moyens d’intenter une instance devant la Cour supérieure de justice pour en appeler de décisions de la CCC ou pour d’autres requêtes en vertu de la LPDNA se heurtent à d’immenses difficultés. Dans les deux cas, l’accès à des ressources suffisantes est indispensable[307].

Comme l’a fait remarquer l’ARCH Disability Law Centre, cette question est exacerbée du fait que le mandataire spécial accède plus facilement que la personne jugée incapable aux fonds de celle-ci. Citant un exemple tiré de sa propre expérience, le Centre fait l’observation suivante :

[traduction] [L]a LPDNA permet aux tuteurs d’utiliser les fonds de la personne « incapable » dans le but de payer un avocat afin de contester les tentatives de cette personne « incapable » de faire valoir son autonomie. Il s’agit exactement de ce qui s’est produit dans l’affaire de Hazel : son tuteur a utilisé ses fonds pour payer son propre avocat, tout en lui refusant l’accès à ses fonds à elle, dont elle avait besoin pour se défendre. L’accès du tuteur aux fonds de Hazel était automatique, alors que la capacité de celle-ci de recouvrer les coûts s’il « dépensait trop » était fondée sur le fait qu’elle soit en mesure de convaincre un tribunal d’ordonner des dépens contre le tuteur. Ce dernier processus imposerait d’autres coûts à Hazel. Même si elle avait gain de cause et obtenait une ordonnance du tribunal, il n’y a aucune garantie que son tuteur disposerait des ressources pour respecter l’ordonnance[308].

Des préoccupations précises sont soulevées à l’égard des processus visant à nommer un tuteur et révoquer une ordonnance de tutelle. Celles concernant le coût de l’évaluation requise de la capacité par un évaluateur de la capacité désigné ont été abordées au chapitre V. Lorsqu’une mise sous tutelle passe par une procédure judiciaire, des frais supplémentaires importants sont engendrés, notamment des frais juridiques qui peuvent correspondre à des montants très considérables, en particulier pour les personnes aux moyens modestes. Des membres de familles ont dit qu’une requête en tutelle d’origine judiciaire était hors de leur portée. La CDO a entendu que certains tiers peuvent ne pas considérer la tutelle comme une option viable pour certaines personnes juridiquement incapables, en raison des obstacles de coûts et de procédures, même lorsqu’il s’agit, sur le plan juridique, de la mesure appropriée à prendre. 

En raison des difficultés entourant les requêtes en tutelle, les prestataires de services peuvent, dans les meilleures intentions, chercher à « contourner » la législation, par exemple en permettant à des familles d’exercer des pouvoirs plus étendus que ceux qui sont prévus dans la procuration existante. Les familles peuvent chercher à obtenir des pouvoirs de tutelle au-delà de ceux dont ils ont besoin pour le moment parce qu’elles ne souhaitent pas devoir s’engager, en temps et en argent, dans une nouvelle requête au tribunal si la situation change[309]. Par ailleurs, les familles peuvent également chercher à éviter les difficultés et les coûts liés aux procédures officielles par d’autres moyens, en partageant les numéros d’identification personnelle (NIP) ou en créant des comptes conjoints, ce qui leur permet d’exercer des pouvoirs considérables, sans qu’il y ait de mécanisme de contrôle ou une possibilité d’imposer une responsabilité juridique en cas d’abus. Le chapitre IX du présent rapport met en lumière l’importance de faire en sorte que la tutelle soit souple, qu’on y recourt seulement si cela s’avère réellement nécessaire, et qu’elle soit adaptée sur le plan du temps et de la portée aux besoins de la personne visée. La souplesse et l’adaptation ne sont pas faciles à assurer dans un système qui dissuade en fait les personnes et les familles à y recourir. Autrement dit, l’un des objectifs essentiels de ce domaine du droit – faire en sorte que les personnes capables de prendre des décisions de façon indépendante puissent le faire et prévoir la prise de décision au nom d’autrui pour celles qui en ont réellement besoin – est sérieusement compromis par les difficultés d’accès à des processus de règlement. 

Cette inaccessibilité dans la pratique de mesures de réparation a été l’un des thèmes dominants des discussions sur l’utilisation abusive et impropre des procurations et des tutelles. Ces obstacles à l’accès font en sorte que l’utilisation abusive et impropre de la loi ne soit pas abordée. Un avocat en droit des fiducies et des successions a fait l’observation suivante : [traduction] « C’est pourquoi je pense qu’il y a beaucoup d’utilisations abusives et impropres qui passent inaperçues parce que les gens n’ont pas les moyens ou refusent de plonger dans un cauchemar qui pourraient coûter plus d’un million de dollars[310] ». Une personne a raconté à la CDO comment elle avait tenté d’obtenir justice pour sa mère qui avait été, selon elle, victime d’exploitation et de maltraitance de la part d’un de ses enfants : « Chaque porte mène au bureau d’un avocat ». En fin de compte, elle n’a pas été capable d’obtenir réparation. 

Le manque d’accès réel à des processus de règlement en vertu de la LPDNA influe sur tous les aspects de cette loi, et constitue, de l’avis de la CDO, une de ses principales lacunes. Sans accès réel, les personnes qui ont besoin d’être mises sous tutelle pour que des décisions nécessaires soient prises de manière appropriée n’ont pas accès à cette aide, et celles qui n’ont pas ou n’ont plus besoin d’être sous tutelle font face à des obstacles importants pour préserver ou retrouver leur autonomie. Aucune possibilité réelle de réparation ne peut être envisagée contre l’utilisation abusive ou impropre des pouvoirs de décision au nom d’autrui, qu’ils découlent d’une tutelle ou d’une procuration, à moins qu’elle n’atteigne le seuil très élevé nécessaire pour justifier que le TCP présente une requête en tutelle temporaire.
 

2.     Gestion des différends dans le contexte de relations suivies

De nombreux commentaires ont été formulés lors des consultations au sujet des défis et des possibilités que présente la participation des parties dans la plupart des différends dans ce domaine du droit lorsque ces dernières ont eu ou continuent d’entretenir des relations suivies, qu’il s’agisse de différends opposant les membres d’une famille à propos de la prise de décision au nom d’autrui ou des professionnels de la santé et leurs patients à propos de la capacité juridique. Les problèmes dans ce domaine touchent aux droits fondamentaux des personnes qui n’ont pas la capacité juridique ou dont la capacité est en doute. En conséquence, il y a une forte tension inhérente entre, d’une part, l’utilité d’une procédure contradictoire qui peut protéger efficacement les droits et, de l’autre, l’importance d’une démarche moins formelle ou moins contradictoire pour préserver les relations qui peuvent s’avérer essentielles au bien-être de la personne concernée.

Dans le contexte de procurations et de tutelles, on a fait remarquer que la dynamique des relations peut jouer un rôle prépondérant dans la façon dont on accède ou non au droit. Dans certains cas, le souci de préserver les relations peut contrarier la volonté d’accéder à un système accusatoire.

[traduction] Il y a aussi la difficulté en ce que certaines personnes ne veulent pas porter plainte [pour abus] parce que, vous voyez, elles veulent que l’abus cesse, mais elles ne veulent pas perdre le contact avec la personne qui en est responsable.

Groupe de discussion – Prestataires de services communautaires, 26 septembre 2014
 

Par ailleurs, lorsque des familles s’engagent dans le système accusatoire, les relations familiales peuvent être rompues définitivement alors que certains membres de la famille recourent à des stratégies de la terre brûlée contre d’autres membres de la famille où tous les coups sont permis. La CDO a parlé à un grand nombre de personnes qui ont raconté des histoires personnelles poignantes de conflit familial : il était évident que le coût au plan personnel était beaucoup plus élevé que les conséquences financières, si importantes soient-elles. Par exemple, ne pas pouvoir dire adieu à un parent avant son décès est un lourd fardeau à porter. Ces conflits peuvent être attisés non seulement par les enjeux considérables du moment et par la charge affective des rôles et des décisions que les familles doivent assumer dans ces circonstances, mais également par des histoires familiales complexes et tumultueuses. Les arbitres peuvent avoir du mal à contenir ces parties très émotives. De cette manière, ce domaine du droit revêt, dans certains aspects, quelques-uns des enjeux et des qualités du droit de la famille.

L’ARCH Disability Law Centre a fait remarquer que des processus de règlement des différends conçus d’une manière appropriée pourraient contribuer aussi bien à l’atteinte des objectifs de la loi qu’au maintien des relations, étant donné que des démarches plus accessibles et moins contradictoires peuvent réduire les tensions entre les parties et ainsi préserver les relations.

[traduction] Bon nombre des problèmes qui surviennent dans le contexte des tutelles sont liés à des questions autres que la mauvaise gestion financière ou des allégations de fraude impliquant le tuteur. Plusieurs découlent de conflits liés au degré de liberté et d’autonomie qu’accorde le tuteur à la personne sous sa tutelle. Ce sont rarement des problèmes nécessitant l’engagement de poursuites. Toutefois, il y a des questions d’une importance capitale pour les personnes sous tutelle. Si les différends qui surviennent ne sont pas résolus, de fortes tensions peuvent surgir entre la personne « incapable » et son tuteur. Dans les cas où le différend peut être résolu par la voie judiciaire, le processus n’est pas accessible à beaucoup de personnes « incapables ». Pour cette raison, dans un nouveau régime de la capacité juridique, les personnes « incapables » doivent avoir accès à des mécanismes efficaces de règlement des différends. Cela contribuerait à apaiser les tensions entre les mandataires spéciaux et les personnes « incapables », à préserver les relations entre eux et à réduire le nombre de procédures judiciaires[311].

Dans un cadre clinique, des cliniciens ont attiré l’attention sur la tension qui règne entre leur rôle de prestataire de soins de santé et le rôle juridique qu’ils doivent jouer lors d’une audience devant la CCC.

[traduction] Je suis heureux que vous [le facilitateur] ayez évoqué la situation paradoxale d’un médecin qui doit jouer un rôle strictement légal avec son patient assis à côté de lui, mais qui souhaite s’en tenir au domaine clinique… Il y a différents recours, mais je crois que, pour un médecin, il y a une tension : est-ce que je m’en tiens à la tribune [juridique] ou est-ce que j’y mets fin; est-ce que je veux vraiment m’aventurer dans une tribune si je pense qu’ils vont contester… Je préférerais qu’il n’y ait aucune contestation d’une partie quelconque de mon [inaudible] lorsque je pratique la médecine clinique. La tribune est un outil clinique et doit être utilisée comme un outil clinique, dans le domaine clinique, et défini dans le domaine clinique. Vous savez, j’ai appris beaucoup de choses, j’ai participé à tous les processus, et je peux l’affirmer, sans exception, que l’expérience a été très positive, et je m’en suis trouvé mieux sur le plan professionnel, même si ce n’est pas simplement un [inaudible] clinique. Mais les situations dans lesquelles on se trouve sont pour le moins paradoxales.

Groupe de discussion – Cliniciens, 12 septembre 2014

Une partie du problème découle aussi de la difficulté à réconcilier les conceptions médicales et juridiques de ces questions. La CDO a entendu les commentaires de différents intervenants à propos de l’importance d’un mécanisme efficace pour assurer la protection des droits des patients et l’imputabilité des personnes qui prennent des décisions influant sur leurs droits. Par exemple, un participant d’un groupe de discussion de défenseurs et de conseillers en matière de droits a fait la remarque suivante : [traduction] « Je trouve que le système accusatoire, sa manière de fonctionner, constitue la seule forme d’imputabilité des médecins ». D’un autre côté, des cliniciens ont affirmé que l’importance accordée aux droits légaux s’avérait parfois contre-productive.

[traduction] [N]ous nous penchons aussi sur l’aspect juridique par rapport à l’aspect médical et nous réfléchissons aux questions de mieux-être et aux meilleurs résultats possible par opposition aux droits et responsabilités, et ils ne sont pas très compatibles. Par exemple, ce serait peut-être une belle victoire si les avocats en santé mentale de Toronto avaient eu gain de cause dans cette affaire, bien sûr, mais la personne concernée doit demeurer à l’hôpital pour un an et elle ne sera pas traitée, donc c’est difficile.

Groupe de discussion – Cliniciens, 12 septembre 2014


3.     S’adapter au contexte

Les personnes consultées ont insisté sur l’importance que les arbitres soient bien renseignés non seulement sur le droit, mais aussi sur le contexte plus large, pour être en mesure de comprendre les besoins et les valeurs des personnes qui comparaissent devant eux et de travailler efficacement dans les systèmes multiples qui encadrent ce domaine du droit.

Il n’y a pas de doute que les arbitres dans ce domaine font face à des défis de taille. De nombreux avocats en droit des fiducies et des successions ont souligné à la CDO que de plus en plus de causes relevant de la LPDNA sont en fait des litiges préliminaires en matière de succession où les familles manœuvrent pour se placer avantageusement par rapport à la disposition des biens considérables de la personne qui n’a pas ou n’aurait pas la capacité juridique. Souvent, ce sont des processus judiciaires complexes qui n’ont que très peu à voir avec le bien-être de la personne concernée ou avec les objectifs ultimes de la loi. Comme l’a fait remarquer le Mental Health Legal Committee, « [traduction] les personnes et les familles qui disposent de moyens considérables ont accès aux tribunaux, mais, dans certains cas, elles sont susceptibles d’utiliser les différends liés à des parents incapables pour régler d’autres conflits par personnes interposées[312] ».

Plusieurs participants ont fait remarquer qu’il arrive assez fréquemment dans ces cas que non seulement la personne qui est soi-disant au cœur du conflit ne soit pas représentée, mais qu’elle ne soit pas non plus présente, faisant en sorte qu’elle soit marginalisée tant sur le plan symbolique que pratique. Il importe de trouver des moyens pour que les systèmes mis en place pour s’occuper de la capacité légale et la prise de décision surmontent ces difficultés et fassent en sorte que la personne touchée demeure au centre du processus. 

Dans le contexte des audiences de la CCC, on a fait remarquer à la CDO que la composition de ce tribunal favorisait largement l’expertise médicale ainsi que le droit dans le domaine de la santé mentale, reflétant l’amalgame des affaires qui se font jour aujourd’hui. Toutefois, l’évolution démographique et les tendances sociales accentuent la pression grandissante dans d’autres domaines, comme les questions liées à la capacité à consentir à l’admission en foyer de soins de longue durée, les questions relatives à la fin de vie et d’autres enjeux liés au vieillissement et au droit. L’affaire Rasouli, un différend très médiatisé relatif à la prise de décision au nom d’autrui et au consentement au retrait d’un traitement pour un patient inconscient, met en lumière le rôle de premier plan que joue que pourrait exercer de plus en plus la CCC dans la conception ontarienne des questions difficiles et controversées liées à la fin de vie[313]. Pour cette raison, sa structure et sa composition actuelles pourraient nécessiter des ajustements pour tenir compte de ces nouvelles réalités.

Se faisant l’écho des préoccupations exprimées dans le contexte des décisions relevant de la LPDNA, des personnes qui avaient fait l’expérience du système de santé mentale et des processus de la CCC ont dit qu’elles auraient voulu un processus plus susceptible de permettre systématiquement aux patients ayant des problèmes de santé mentale de vivre l’expérience d’être entendues jusqu’au bout, quelle que soit la décision ultime. Un grand nombre de ces personnes ont parlé de leur expérience du processus de la CCC comme d’un prolongement du système de santé mentale et de l’immense pouvoir qu’exerce leur psychiatre sur leur vie. Certaines ont parlé de façon émouvante de la puissance transformatrice d’être écoutées et respectées malgré leur maladie, encore une fois, quelle que soit la décision ultime.
 

4.     Répondre aux préoccupations suscitées par les abus

Beaucoup de prestataires de service s’inquiètent de l’absence de mécanismes explicites de réparation des abus, sauf dans les cas les plus graves et flagrants. 

[traduction] Nous avons mis en place des lois et nous pouvons en rédiger d’autres, mais, concrètement, sur quels soutiens pouvons-nous compter pour nous aider à les imposer, à les appliquer et à les appuyer? Parce qu’on sent parfois que, d’accord, j’ai un bout de papier, mais je n’ai rien pour le soutenir, pour être capable de… comme dans le cas dont vous parliez, comme, avec la loi, comme, à quel moment peut-on s’attendre à ce qu’ils interviennent? De quels soutiens disposons-nous en vertu de la loi actuelle et pas seulement de la législation?

Groupe de discussion – Personnel des centres d’accès aux soins communautaires, 4 novembre 2014
 

Le manque de soutien est une source de difficulté particulière pour les prestataires de service qui ne sont pas des spécialistes de ce domaine du droit et qui, par conséquent, ne sont pas  confrontés tous les jours à ces questions. Comme l’ont fait remarquer des établissements de services financiers à la CDO, les travailleurs de première ligne qui sont les plus susceptibles d’être confrontés à une situation préoccupante possèdent généralement une expérience dans le domaine des finances et des affaires, pas dans les services sociaux. De plus, dans le cas d’un prestataire de services qui observe des agissements suspects, qui les signale aux autorités et qu’aucune irrégularité n’est constatée, il est probable qu’il n’ait pas accès par la suite à la personne concernée. Ainsi, soulever le problème pourrait en fin de compte desservir la personne que l’on cherchait à protéger. Si la police ou le TCP ne considèrent pas que la situation atteint le seuil établi pour intervenir, la meilleure voie à suivre ne serait pas évidente. Présenter une requête en reddition de comptes ou en tutelle est une procédure coûteuse et complexe qui n’est pas à la portée de toutes les bourses et qui, le plus souvent, n’est pas un plan d’action approprié pour un prestataire de service. Certains prestataires de soins de longue durée ont formulé des observations favorables quant aux exigences et aux mécanismes prévus dans la Loi de 2007 sur les foyers de soins de longue durée pour soulever des préoccupations relativement à des abus, comme l’établissement de normes, d’obligations et de processus clairs pour que les prestataires de services puissent facilement faire ce qui s’impose[314].

Les participants ayant pris part aux consultations ont dit être conscients de l’importance des pouvoirs du TCP d’enquêter et de présenter des requêtes en tutelle temporaire et de la façon dont ils s’inscrivent dans le contexte du recours au droit pénal et des dispositions en matière de déclaration de la Loi de 2007 sur les foyers de soins de longue durée et de la Loi sur l’inclusion sociale[315]. Toutefois, ils ont dépeint également avec un sens aigu les limites des mécanismes en vigueur. Certains s’inquiètent du fait que la compétence du TCP soit trop limitée et qu’il en donne une interprétation trop restrictive, faisant en sorte que ces dispositions soient peu utiles dans des situations de maltraitance ou d’utilisation abusive.

[traduction] C’est un problème énorme. Nos employés apprennent à consigner tous les faits possibles. Sinon, le TCP termine la communication et nous dit de rappeler quand on saura de quoi on parle. Je leur dis que j’ai un problème, que je soupçonne telle chose… Nous avons collaboré avec le TCP. Ce sont des gens bien, là n’est pas la question. C’est qu’ils ne peuvent pas s’occuper de ces questions qu’ils perçoivent comme des demandes bizarres. L’autre problème, c’est les ruses infernales qu’il faut employer à cause des obstacles systémiques. Notre personnel constate un problème, disons qu’il soupçonne qu’il y a de l’abus sur le plan financier ou de la maltraitance. Il doit donc à ce moment-là, il faut… La plupart du temps, nous ne pouvons pas faire évaluer ces personnes parce que ça coûte de l’argent, pas vrai, et ce n’est pas possible parce que c’est la personne qui commet l’abus, le mandataire spécial qui en fait… qui contrôle l’argent. Donc, nous entreprenons une manœuvre complexe, nous avons recours parfois à la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé. C’est le seul moyen que nous avons comme évaluateurs pour… dans ce processus, d’obtenir une constatation d’incapacité ouvrant la porte aux soins de longue durée, c’est précipiter les choses. Mais là n’est pas le problème. Nous voudrions que ces personnes puissent demeurer à la maison, mais nous cherchons un moyen d’attirer l’attention du TCP parce que nous savons que, d’habitude, il ne donne pas suite à moins que le client soit incapable, n’est-ce pas… qu’il y ait eu évaluation et constatation d’incapacité en matière de finances et de soin, pas vrai?

Groupe de discussion – Joint Centre for Bioethics, 1er octobre 2014
 

Fait plus important encore, beaucoup de participants sont d’avis que le seuil établi pour que le TCP institue une enquête est trop élevé parce qu’il est limité aux « conséquences préjudiciables graves ». Un grand nombre d’entre eux estiment que seuls les cas les plus graves font l’objet d’une enquête. Comme nous le soulignons ci-dessus, les autres mécanismes disponibles en vertu de la loi pour aborder des questions comme la présentation d’une requête en tutelle ou de reddition de comptes sont considérés comme peu réalistes ou inaccessibles. Par conséquent, il se peut qu’il n’y ait aucun moyen utile de traiter de préoccupations concernant les abus qui n’atteignent pas le seuil fixé. 

[traduction] D’après l’expérience de l’ACE, les personnes qui appellent le bureau du TCP pour signaler des abus potentiels se font souvent dire qu’il leur faut des preuves plus solides d’incapacité pour que le TCP envisage d’entreprendre une enquête. L’ACE connaît de nombreux cas où le bureau du TCP a interprété de façon restrictive la notion de « conséquences préjudiciables graves », limitant ses enquêtes aux cas extrêmes de maltraitance et de négligence.

L’ACE reconnaît que le TCP fait déjà tout ce qu’il peut avec des ressources limitées. Toutefois, en tant qu’organisme public à qui incombe la principale responsabilité de mener des enquêtes sur des cas possibles de négligence et de maltraitance d’adultes incapables, le TCP ne suffit pas à la tâche en Ontario. L’ACE recommande une réforme de la LPDNA pour obliger le TCP à entreprendre une enquête sur toutes les allégations de maltraitance et de négligence de personnes frappées d’incapacité mentale. Bien entendu, l’ACE s’attend à ce que la portée des enquêtes varie selon les allégations soulevées et les renseignements obtenus[316].

De plus, il a été proposé que le TCP puisse recourir à une panoplie plus large de mesures de redressement à la suite d’une enquête, au-delà d’une requête en tutelle temporaire. Cette suggestion s’accompagne souvent de propositions visant à élargir l’éventail de questions sur lesquelles le TCP est habilité à enquêter. Par exemple, Joffe et Montigny recommandent la constitution d’un Bureau de la surveillance et de défense des droits, qui serait investi d’un mandat très large et doté de pouvoirs étendus l’habilitant à recevoir les plaintes et à les régler par la médiation et d’autres modes de règlement des différends[317].

Enfin, il pourrait y avoir apparence que le TCP se trouve en situation de conflits d’intérêts dans ce rôle puisque les résultats d’une enquête pourraient déboucher sur une ordonnance de tutelle de la personne touchée qui serait exercée par lui.

 

D.   Application des Cadres 

Le Cadre du droit touchant les personnes âgées rappelle que « [p]our que les principes de respect de la dignité et de la valeur et de sécurité se réalisent, il faut prévoir des mécanismes valables qui permettront aux personnes âgées de dénoncer les situations de mauvais traitements, d’exploitation ou de persécution, de disposer de véritables recours à l’égard de ces situations et d’éviter les représailles à leur endroit lorsqu’elles font de telles dénonciations[318] ». Un énoncé connexe figure à l’étape 5 du Cadre du droit touchant les personnes handicapées. Le lien entre un accès réel à des mécanismes d’exercice des droits et les principes est particulièrement évident dans ce domaine du droit où l’autonomie, la dignité et la sécurité sont directement en jeu dans l’application de la loi.

La discussion précédente illustre bien la façon dont les mécanismes de règlement des différends dans ce domaine du droit peuvent être conformes ou contraires aux principes de participation et d’intégration selon qu’ils fournissent des moyens de résoudre les différends tout en préservant les relations importantes. Elle met également en lumière l’importance de mécanismes efficaces et équitables à l’intention des familles, des professionnels et des prestataires de services, réaffirmant le principe d’appartenance à la collectivité tout entière. 

Le système actuel comporte de nombreux aspects positifs, notamment le financement par AJO de mesures de soutien et la prestation de conseils en matière de droits pour les procédures devant la CCC, les processus relativement accessibles et rapides de la CCC, ainsi que l’article 3 qui prévoit la nomination d’un avocat. Les questions faisant partie des Cadres sont utiles pour déterminer les lacunes des mécanismes actuels :

·       les mécanismes ne permettent pas de compenser le déséquilibre des rapports de force et d’empêcher les représailles potentielles contre les personnes qui soulèvent des problèmes, par exemple, les obstacles auxquels se heurtent celles qui veulent contester la nomination d’un tuteur ou les difficultés auxquelles font face celles qui n’ont pas ou pourraient ne pas avoir la capacité juridique pour contester la façon dont un mandataire spécial exerce ses pouvoirs;

·       l’absence de services d’orientation pour aider les personnes juridiquement incapables ou leurs familles à s’y retrouver dans des systèmes qui sont hautement formalisés, procéduriers et intimidants;

·       les problèmes liés à la mise en œuvre du programme des avocats nommés en vertu de l’article 3, notamment le manque de protections pour assurer un accès sans restriction à un avocat par la personne qui n’a pas ou pourrait ne pas avoir la capacité juridique. 

Les Cadres mettent en lumière certaines stratégies pour améliorer l’accès à l’exercice des droits et au règlement des différends, notamment :

·       la simplification des processus;

·       l’instauration de mesures d’aide et de soutien spécialisées à l’intention des personnes qui se heurtent à des obstacles comme un handicap, l’âge, un faible revenu ou d’autres aspects de leur identité;

·       l’habilitation des personnes par l’amélioration de l’accès à l’information et aux mesures de soutien pour défendre leurs droits. 

Les mérites et la viabilité de ces différentes stratégies dans ce contexte particulier sont examinés dans la suite du présent chapitre.

 

E.     Projets de recommandation 


1.     Améliorer l’accès à l’exercice des droits et au règlement des différends sous le régime de la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui

Les personnes consultées ont souligné que, pour les personnes directement touchées par la loi, la possibilité de se sentir écoutées et de parler de questions influant directement sur leur vie est indispensable à leur bien-être. Afin d’évaluer les mécanismes d’accès, il faut déterminer si la tribune proposée donne lieu à une décision judicieuse, éclairée et applicable. 

[traduction] [N]os clients veulent être entendus. Il reste à déterminer la tribune devant laquelle cela doit se faire. Elle doit être adaptée et presque personnalisée pour nos clients. Ils veulent simplement être entendus et tant mieux si la CCC ou la Cour supérieure répond à leurs besoins. Si seulement il y avait un mécanisme qui ferait en sorte que tous soient satisfaits d’avoir eu une audience équitable, que tout le monde a eu son mot à dire et qu’une décision a été rendue. Cela fait partie, d’une certaine façon, du processus de rétablissement…

Groupe de discussion – Conseillers et défenseurs, droits, 25 septembre 2014
 

Trois options ont été proposées dans le Document de travail, entre autres, pour améliorer l’accès à la loi en vertu de la LPDNA. Elles ont toutes fait l’objet de commentaires au cours des consultations publiques de la CDO : 

1.     mettre en place un tribunal spécialisé ou des procédures judiciaires spécialisées afin d’améliorer l’accès à l’exercice des droits et au règlement des différends en vertu de la LPDNA;

2.     confier une partie ou l’ensemble des fonctions en vertu de la LPDNA qui relèvent actuellement de la compétence de la Cour supérieure de justice à un tribunal administratif, très probablement la CCC dotée d’un mandat élargi;

3.     élargir la fonction relative aux plaintes et aux enquêtes. 

Ces options ne sont pas mutuellement exclusives. En fait, la mise en œuvre de l’une de ces trois mesures peut renforcer l’efficacité d’une autre. Sur la base des résultats de ses consultations, de ses recherches et de ses analyses, la CDO recommande une combinaison de moyens pour renforcer l’accès à l’exercice des droits et au règlement des différends en vertu de la LPDNA.

Tribunal spécialisé ou procédures judiciaires spécialisées 

Dans son Document de travail, la CDO s’est demandé si la création d’un tribunal spécialisé centré sur ces questions serait utile pour le régime ontarien de la capacité juridique et de la prise de décision. L’Ontario a créé plusieurs tribunaux spécialisés qui sont en mesure de fournir des services spécialisés, ciblés et généraux, afin de mieux cadrer avec leur contexte particulier. Les cours unifiées de la famille et le tribunal spécialisé dans les problèmes de santé mentale sont deux exemples réputés de cette façon d’aborder la justice. Le tribunal spécialisé dans les problèmes de santé mentale a été créé en 1998 afin de répondre aux pressions exercées sur la Cour de justice de l’Ontario par le nombre croissant d’accusés souffrant de troubles mentaux au palais de justice de l’ancien hôtel de ville de Toronto. Ce tribunal fournit des services de déjudiciarisation, s’adapte aux besoins des accusés ayant un problème de santé mentale, traite rapidement des questions « d’aptitude à subir un procès » et s’efforce de « ralentir les portes tournantes ». Il fournit des services spécialisés et généraux : les procureurs sont des employés permanents qui se consacrent aux affaires devant ce tribunal, neuf travailleurs en santé mentale y sont rattachés, un psychiatre du Centre de toxicomanie et de santé mentale est présent quotidiennement pour effectuer des évaluations immédiates, et les greffiers ont une connaissance spécialisée du système[319].

La Cour de protection du Royaume-Uni fournit un exemple d’un tribunal spécialisé de ce type dans le contexte du droit relatif à la capacité juridique et à la prise de décision. Il s’agit d’un tribunal qui a le mandat exprès de traiter de ce domaine du droit et qui dispose d’un éventail plus large d’outils pour le traitement de ces questions. Elle possède une vaste compétence qui comprend les éléments suivants : 

·       décisions relatives à la capacité juridique;

·       prononcé de jugements déclaratoires, de décisions ou d’ordonnances sur des questions financières ou de bien-être touchant des personnes jugées incapables;

·       nomination ou exclusion de représentants pour prendre des décisions sur une base continue au nom de personnes jugées incapables;

·       détermination de la validité des procurations;

·       examen des objections à l’enregistrement d’une procuration[320].

La Cour de protection a adapté ses procédures et ses pouvoirs, y compris des règles de procédure[321], et s’est dotée d’un « code de déontologie[322] » complet, rédigés en langage clair et faisant autorité, ainsi que d’un personnel à plein temps capable de renseigner et d’aider ponctuellement les personnes qui doivent s’engager dans sa procédure complexe et remplir des formules détaillées. La Cour de protection peut également demander un rapport à un « visiteur spécial », au tuteur et curateur public, aux autorités locales ou à un organisme du service de santé national[323].

Comme nous l’avons déjà indiqué, la Cour supérieure de justice de l’Ontario entend de 200 à 260 requêtes en tutelle par an, ainsi qu’un nombre indéterminé de requêtes en modification, extinction et contrôle des tutelles et des procurations. D’après ce qu’ont dit des praticiens lors de discussions, le nombre de cas dans ce domaine du droit n’est pas très élevé, probablement à cause des problèmes d’accessibilité détaillés ci-dessus. 

Un tribunal spécialisé, chargé de questions relatives à la capacité juridique et à la tutelle, pourrait instaurer des processus et des mesures de soutien adaptés pour faciliter l’accès et permettre une appréciation plus globale des questions en cause comme, par exemple, le Tribunal pour les personnes ayant des troubles mentaux. Toutefois, la CDO estime que cette solution ne serait probablement pas viable en Ontario en raison du nombre peu élevé de cas, à moins que les questions relevant actuellement de la CCC soient confiées de nouveau à la Cour, une option peu susceptible de plaire aux utilisateurs actuels de la CCC. Son existence fait en sorte que les tribunaux judiciaires n’entendent qu’une partie seulement des affaires reliées à la capacité juridique et à la prise de décision à la différence, par exemple, de la Cour de protection en Angleterre et au Pays de Galles, qui entend la totalité des affaires dans ce domaine du droit. Des investissements considérables pour mettre en place des mesures de soutien seront probablement nécessaires pour aplanir les obstacles, réels et pressentis, à l’accès aux tribunaux judiciaires, afin d’encourager les personnes et les familles qui abandonnent actuellement leurs tentatives d’obtenir un redressement à s’adresser aux tribunaux. Par conséquent, la CDO ne recommande pas la création d’un tribunal spécialisé pour aborder les questions liées à la capacité juridique et à la prise de décision.

Toutefois, les caractéristiques des tribunaux spécialisés montrent l’utilité que l’organisme compétent puisse adapter ses décisions au contexte dans un domaine comme celui-ci où le droit est étroitement lié à des questions sociales plus vastes et où les personnes touchées peuvent nécessiter des services d’aide ou de soutien spécialisés pour avoir un accès effectif à des processus de règlement. Une expertise, une conception globale et la mise en place de processus pouvant répondre aux besoins particuliers sont des éléments susceptibles de renforcer l’accès à la loi des personnes touchées par des questions liées à la capacité juridique, à la prise de décision et à la tutelle. On le verra plus loin, la CDO est d’avis qu’un tribunal administratif peut fournir l’expertise spécialisée et les solutions adaptées nécessaires pour un processus de règlement réel et accessible dans ce domaine du droit.
 

Tribunal administratif élargi et renouvelé 

Au chapitre II.C de la partie Quatre du Document de travail, la CDO a souligné l’intérêt manifesté par certains intervenants pour l’accroissement du rôle des tribunaux administratifs dans le régime ontarien de la capacité juridique, de la prise de décision et de la tutelle, et elle a soulevé la question à savoir si le transfert d’une partie ou de l’ensemble des fonctions exercées actuellement par la Cour supérieure de justice à un tribunal administratif, comme une CCC élargie et renouvelée, présente des avantages. Des consultations indiquent que des réformes allant dans ce sens suscitent un grand intérêt.

Un tribunal administratif est créé généralement pour mettre en place un processus décisionnel moins coûteux, moins formel et plus spécialisé. Dans Rasanen c. Rosemount Instruments Ltd, la juge Abella, au nom de la Cour d’appel de l’Ontario, explique ainsi les attributions du tribunal administratif :

[traduction] Ils ont été expressément créés comme des organismes indépendants pour remplacer le processus judiciaire, notamment son arsenal de procédures. Conçus pour être moins lourds, moins coûteux, moins formels avec des délais plus courts, ces organes décisionnels impartiaux devaient régler des différends relevant de leur compétence d’une manière plus rapide et accessible, mais tout aussi efficace et crédible[324].

L’exhaustif Report of the Review of Tribunals, Tribunals for Users: One System, One Service de 2001 de sir Andrew Leggatt, qui formule des recommandations relatives à la réforme du système de tribunaux administratifs, souligne ce qui suit :

[traduction] Le choix d’un tribunal administratif pour trancher un différend doit présenter deux avantages distinctifs pour les utilisateurs. Premièrement, les décisions rendues par un tribunal administratif sont souvent prises conjointement par un groupe de personnes qui mettent en commun des connaissances juridiques spécialisées, et elles s’en trouvent mieux grâce à cet éventail de compétences. Deuxièmement, les procédures et les méthodes des tribunaux administratifs pour surveiller la préparation et l’instruction d’une cause peuvent s’avérer plus simples et moins formelles que celles des tribunaux judiciaires, même à la suite des réformes du système de justice civile. La plupart des utilisateurs devraient donc être aptes à préparer et à présenter eux-mêmes leur cause devant un tribunal administratif, à condition de disposer de l’aide nécessaire. Favoriser cette forme de participation est en soi une justification importante de la création de tels tribunaux[325].

Le rapport Leggatt a aussi fait valoir comme un avantage potentiel des tribunaux administratifs leur capacité à employer des compétences spécialisées, surtout lorsque les questions en cause concernent des cadres stratégiques ou des contextes plus larges, ou encore des enjeux « polycentriques » touchant des considérations ou des intérêts interdépendants multiples. Les membres des tribunaux sont censés prendre en compte des facteurs culturels et socioéconomiques contextuels et s’appuyer sur des connaissances spécialisées pour servir les objectifs stratégiques énoncés par le Parlement[326].

Comme nous l’avons vu dans le Document de travail, les États australiens ont confié les compétences liées à la capacité juridique, à la prise de décision et à la tutelle à des tribunaux administratifs dans le cadre d’un vent de réforme qui a soufflé durant les années 1980 et 1990. Chacun des tribunaux des États est doté de structures et de pouvoirs quelque peu différents. On considère généralement que la mesure est une réussite. Un examen approfondi a conclu ce qui suit : 

[traduction] Les tribunaux administratifs ont tendance à porter davantage attention à la réalité sociale et au fonctionnement social et ils sont moins susceptibles de nommer des mandataires. Cela peut avoir quelque chose à voir avec la forme du tribunal administratif ou le style plus inquisitorial de l’audience. Toutefois, cela reflète aussi une interprétation différente, une vision différente de ce que vise ce champ de compétence. Les tribunaux administratifs ont besoin de renseignements sociaux afin de déceler des crises sociojuridiques. Ils peuvent être réticents à nommer des mandataires, mais ils sont plus interventionnistes que les tribunaux judiciaires relativement aux questions systémiques. Ils veillent également plus attentivement à ce que la personne pour le compte de laquelle la requête est présentée fasse partie d’une alliance[327].

La Commission de réforme du droit du Queensland et celle du Victoria ont terminé récemment des examens approfondis de leurs lois dans ce domaine et elles proposent des modifications de leurs systèmes judiciaires respectifs sans toutefois donner à entendre que les tribunaux régleraient ces affaires plus efficacement[328]. La Commission de réforme du droit du Victoria a examiné brièvement l’utilisation dans d’autres pays des tribunaux judiciaires pour entendre des requêtes en tutelle, mais comme elle n’a pas reçu de suggestion d’abandonner le tribunal administratif, elle a conclu que [traduction] « la conception australienne fondée sur les tribunaux administratifs constitue l’un de ses points les plus forts et devrait être maintenue[329] ».

Au cours des consultations publiques de la CDO, le recours à des tribunaux administratifs pour trancher des questions qui relèvent de la LPDNA a suscité un intérêt considérable. Dans l’ensemble, les propositions vont dans le sens d’une extension des compétences de la CCC. 

La création de la CCC fut l’une des plus importantes innovations introduites par les réformes des années 1990. Les réponses fournies par les intervenants durant les consultations de la CDO confirment que la CCC est largement reconnue comme une réussite. Bien que les personnes consultées aient soulevé des préoccupations précises à son égard, dont l’éternel débat sur la question de savoir si elle est trop ou insuffisamment axée sur la défense des droits et si elle possède les compétences appropriées pour entendre tous les types d’affaire qui sont portés devant elle, elle jouit d’un fort appui en tant qu’organisme qui possède les capacités à développer et à mettre à contribution une expertise dans ce domaine du droit ainsi qu’à résoudre rapidement et d’une manière relativement souple des différends, et qui est relativement accessible. La proposition visant à étendre la compétence de la CCC dans le domaine qui relève de la LPDNA peut être interprétée comme une reconnaissance de ses résultats favorables et une intention de miser sur cette réussite.

Le transfert à un tribunal administratif, notamment la CCC, des compétences pour trancher les questions relevant de la LPDNA, est considéré comme présentant un certain nombre d’avantages possibles.

Spécialisation : Comme le souligne le rapport Leggatt, les tribunaux administratifs ont la capacité de se spécialiser dans des domaines du droit relevant de leur compétence. Les arbitres peuvent être sélectionnés en fonction de leurs champs d’expertise : comme nous l’avons dit précédemment dans le présent chapitre, la CCC compte actuellement parmi ses arbitres environ un tiers d’avocats, un tiers de psychiatres et un tiers de représentants du public qui possèdent un large éventail de connaissances et une vaste expérience. En outre, du fait que la CCC soit axée sur un seul domaine du droit, les arbitres peuvent approfondir leurs connaissances de la dynamique et du contexte des affaires qu’ils doivent entendre. 

De plus, les tribunaux administratifs peuvent adapter leurs processus et leurs procédures aux besoins de leur clientèle. En raison de leur spécialisation, ces tribunaux peuvent parvenir à une meilleure compréhension de ses besoins et des circonstances dans lesquelles elle se trouve, ainsi que des obstacles auxquels elle fait face pour avoir accès à la justice. Ils peuvent également adapter leur fonctionnement de manière à les aplanir. La pratique de la CCC de tenir des audiences dans différents lieux, dont, notamment, des établissements psychiatriques et des hôpitaux, est un exemple de la façon dont les tribunaux administratifs peuvent s’adapter pour éliminer les obstacles et répondre aux besoins. 

Comme le démontre l’analyse ci-dessus, il y a des exemples dans le contexte ontarien de tribunaux se spécialisant de cette manière, bien que cela nécessite inévitablement des efforts plus importants compte tenu de la structure des tribunaux. De plus, étant donné le petit nombre d’affaires qu’entend actuellement la Cour supérieure de justice, il lui est difficile d’acquérir une expertise de pointe dans ce domaine. 

L’accessibilité : L’idée de transférer les affaires relevant de la LPDNA à un tribunal administratif reçoit un appui considérable des intervenants consultés qui considèrent que les tribunaux administratifs peuvent rendre une justice plus accessible et moins intimidante que le système judiciaire actuel et répondre ainsi aux préoccupations les plus importantes concernant les obstacles pour régler les différends et faire valoir ses droits dans ce domaine. Par exemple, le Northumberland Community Legal Centre a fait l’observation suivante dans ses observations écrites : [traduction] « les tribunaux judiciaires doivent être dessaisis de questions comme l’abus de pouvoir par des procureurs puisque ces procédures sont souvent trop longues, trop coûteuses et hors de la portée des personnes vulnérables à faible revenu[330] ». Indéniablement, comme il a été mentionné dans Rasanen c. Rosemount Instruments Ltd., l’accroissement de l’accessibilité et la réduction de la complexité font partie de la justification de la mise en place de l’ensemble des tribunaux administratifs.

La tendance vers la « judiciarisation » de la justice administrative est considérée comme un risque possible de la délégation de pouvoirs décisionnels relevant de la LPDNA à des tribunaux administratifs qui s’apparentent de plus en plus à des tribunaux judiciaires et deviennent plus formels et plus coûteux[331]. Il serait important, en déléguant des pouvoirs que confère la LPDNA, d’examiner attentivement la structure organisationnelle et les pratiques en matière de procédure du tribunal au regard de la facilité de s’y retrouver et des difficultés auxquelles fait face ce groupe de requérants potentiels[332]. 

La souplesse : Il se peut que la spécialisation accrue des tribunaux administratifs et la suppression des obstacles à l’accès qu’ils entraînent leur permettent de prendre des décisions plus souples qui prennent en compte le contexte et qui sont adaptées aux questions liées à la capacité juridique, à la prise de décision et à la tutelle. Au chapitre IX du présent rapport, la CDO propose plusieurs projets de recommandation qui préconisent l’adaptation des tutelles aux besoins réels des personnes visées. Bien que les recommandations formulées puissent être mises en œuvre dans le système actuel, comme on l’affirme ici, il est peu probable qu’elles aient une incidence importante tant que le coût et les exigences procédurales des mécanismes de règlement de l’Ontario dans ce domaine représentent des obstacles à l’accès à la loi et encouragent, bien involontairement, les personnes qui accèdent au système à tenter d’obtenir une fois pour toutes le maximum de pouvoirs pour ne pas avoir à y recourir ultérieurement.

Coordination du système : Dans la pratique, les questions relatives aux biens, au soin de la personne et au traitement sont étroitement liées. Bien que les modalités relatives à la capacité juridique et à la prise de décision diffèrent dans le secteur de la santé par rapport à d’autres cadres en raison de la nature du contexte, les principes et les enjeux sous-jacents sont les mêmes. Le partage actuel des pouvoirs décisionnels relatifs à la capacité juridique et à la prise de décision entre la CCC et la Cour supérieure de justice est quelque peu artificiel et il contribue à aggraver les difficultés de s’y retrouver dans le système et de l’employer efficacement. Par exemple, pour rendre des décisions relatives à des requêtes concernant des désirs exprimés lorsque la personne était capable, la CCC doit souvent prendre en compte les dispositions et l’effet d’une procuration relative au soin de la personne. Par contre, il ne semble pas que la CCC soit habilitée à examiner la validité des procurations qui lui sont présentées : si des questions sont soulevées à cet égard, seule la Cour supérieure de justice est habilitée à statuer[333], faisant en sorte que les questions de responsabilité doivent être séparées. L’idée d’une démarche commune dans ce domaine du droit au sein d’une seule institution n’est pas sans valeur.

La CDO est d’avis qu’il serait plus sensé de mettre à profit la CCC, puisqu’elle existe déjà, plutôt que de créer un nouveau tribunal. Il faut reconnaître toutefois que la CCC, dans sa forme actuelle, est principalement axée sur le domaine du droit de la santé mentale, ce qui influe fortement sur sa composition et ses procédures. Elle possède une expertise en matière de capacité juridique et de prise de décision, en plus de servir les collectivités marginalisées et de faire l’équilibre entre les enjeux éthiques et stratégiques considérables qui entourent ce domaine du droit. Cette expérience fournit une base solide, mais il importe de réexaminer la composition et les processus de la CCC, ainsi que la formation de ses membres, pour qu’elle puisse exercer efficacement un mandat élargi, notamment en ce qui concerne l’examen des questions financières qui sont souvent soulevées en vertu de la LPDNA. Il y a plus de 200 tribunaux administratifs en Ontario qui statuent sur un large éventail de questions allant des droits fondamentaux et de la protection environnementale aux services financiers et aux valeurs mobilières. On peut donc s’appuyer sur de nombreux précédents pour adapter la CCC afin qu’elle puisse exercer un mandat plus large.

Comme nous l’avons déjà vu, la CCC, sous sa forme actuelle, comporte des caractéristiques fort avantageuses, notamment un historique et un engagement de règlement rapide, la pratique inhabituelle de mener ses audiences à l’endroit où se trouve la personne concernée et de veiller à ce qu’elle ait l’occasion d’y assister et d’y participer, ainsi que l’accès à des mesures de soutien solides grâce à AJO. Toutes ces caractéristiques auraient un effet bénéfique sur le règlement des questions qui sont tranchées actuellement en vertu de la LPDNA.

Certains ont exprimé des doutes sur la capacité d’un tribunal administratif comme la CCC de traiter de questions plus difficiles qui sont tranchées actuellement par les tribunaux judiciaires en vertu de la LPDNA. C’est le point de vue exprimé dans le rapport de la Chambre des lords sur l’« examen post-législatif » de la Mental Capacity Act, 2005 de l’Angleterre et du Pays de Galles, qui a pris en compte les propositions visant à remplacer la Cour de protection (détaillée ci-dessus) par une structure de tribunal, mais qui les a écartées en fin de compte. Les auteurs du rapport ont affirmé ceci : [traduction] « Bien que nous comprenions les préoccupations à l’égard de l’accès et des lenteurs, nous sommes d’avis que le remplacement de la Cour par un nouveau système de tribunal pourrait entraîner une perte d’expertise et accroître les coûts du système[334] ». Expressément, les auteurs ont soulevé des préoccupations liées au pouvoir d’enquête des tribunaux et à la logistique que nécessitent les fréquents ajournements d’audiences. Dans le cas de la Cour de protection, les auteurs n’avaient pas à choisir entre le système judiciaire en général et un tribunal administratif, mais entre un tribunal spécialisé expert existant et la création d’un nouveau tribunal administratif.

D’autres personnes consultées ont fait remarquer toutefois que la CCC est déjà responsable de questions relatives à la fin de vie qui sont lourdes de conséquences, complexes et aussi controversées que puisse l’être une question juridique.

L’invocation des dispositions de la LPDNA par des familles en conflit pour contester l’accès aux fonds, surtout dans des situations où la personne n’ayant pas la capacité juridique ou qui est prétendue incapable possède des biens considérables, soulève des problèmes différents, à savoir si la CCC, dans sa forme actuelle, a la capacité de moduler efficacement la dynamique des affaires dans lesquelles les parties sont prêtes à dépenser des sommes énormes et à entreprendre une démarche rigoureusement axée sur la confrontation. Les enjeux ne sont pas nécessairement plus complexes, mais la gouverne des parties en litige peut s’avérer difficile. Cependant, ce n’est pas une difficulté que l’on ne rencontre qu’en droit relatif à la capacité juridique et à la prise de décision. En outre, la CDO est d’avis, comme il a été dit ailleurs, que l’invocation des dispositions de la LPDNA dans le cadre de litiges en matière de succession et d’affaires semblables est une utilisation abusive des lois sur la capacité juridique et la prise de décision qui ont pour objet l’intérêt de la personne qui n’a pas ou n’aurait pas la capacité juridique.

Tout compte fait, la CDO est d’avis que, dans le contexte ontarien où un tribunal administratif qui traite de questions semblables et connexes existe déjà et a prouvé sa capacité de rendre des décisions éclairées, judicieuses et relativement applicables, il est logique de lui transférer les compétences dans d’autres matières liées à la capacité juridique et à la prise de décision comme façon d’accroître la spécialisation, l’accessibilité, la souplesse et la coordination de l’exercice des droits et du règlement des différends dans ce domaine du droit. 

La CDO estime que la mise en œuvre de cette proposition ne nécessite pas la redéfinition du mandat de la CCC dans d’autres domaines, comme ses responsabilités en vertu de la LPRPS ou de la Loi de 2006 sur le dépistage obligatoire par test sanguin.

Pour maximiser son efficacité, cette mesure doit s’accompagner de réformes visant à aider la CCC à remplir son nouveau mandat. Il pourrait être utile, par exemple, de réexaminer l’éventail des compétences de ses membres et d’évaluer l’utilité de disposer d’un noyau de membres à plein temps. Il va de soi que l’élargissement des questions dont elle serait saisie et la diversification de sa clientèle nécessiteraient un réexamen de l’étendue et de la nature de la formation que reçoivent les arbitres. En outre, la responsabilité de décider de questions financières et de nominations à long terme pourrait obliger à repenser certains aspects des règles de pratique en vigueur.

Comme on l’a souligné à la section B2 du présent chapitre, la CCC peut entendre des requêtes en vue d’obtenir des directives lorsque la bonne façon d’appliquer la LCSS relativement à la décision requise n’est pas claire et en vue de déterminer si le mandataire spécial agit en conformité avec les exigences de la LCSS en ce qui a trait à la manière dont les décisions doivent être prises (appelée communément « requête en vertu de la formule G » en référence à la formule de la CCC qui est utilisée pour présenter une telle requête). L’élargissement des requêtes que peut entendre la CCC à des questions qui relèvent de la LPDNA permettrait non seulement d’assurer la cohérence de son rôle, mais aussi de créer un moyen d’aborder plus facilement les questions concernant l’abus et le mauvais usage de procurations ou de tutelles, une préoccupation importante soulevée dans la section C1.

Actuellement, seul un praticien de la santé proposant un traitement, une personne proposant l’admission dans un établissement de soins ou un membre du personnel responsable du service d’aide personnelle peut présenter une requête en vertu de la formule G. La CDO a reçu plusieurs propositions suggérant que la personne directement touchée soit aussi habilitée à présenter une telle requête à la CCC. L’Advocacy Centre for the Elderly et le Mental Health Legal Committee ont tous deux proposé cette modification dans leurs observations écrites. De l’avis de la CDO, bien que beaucoup de personnes préoccupées par les décisions que prennent leur mandataire ne soient pas en mesure dans la pratique de présenter une telle requête, une modification à cet effet serait utile pour plusieurs personnes qui ont le soutien nécessaire pour ce faire et serait conforme à l’objectif général voulant qu’une attention plus grande soit accordée aux valeurs et aux volontés de la personne qui n’a pas la capacité juridique.

Il a aussi été proposé que des membres de la famille ou d’autres personnes ayant des liens étroits avec la personne incapable soient habilités à présenter une requête en vertu de la formule G et, dans ce sens, à défendre ses intérêts. On a fait remarquer que les médecins peuvent avoir plusieurs raisons pour ne pas présenter une requête et pourraient ne pas être en mesure de vérifier si le mandataire se conforme aux exigences de la loi. Il faudrait bien réfléchir aux circonstances qui pourraient justifier la présentation d’une telle requête par des membres de la famille ou des amis, mais la CDO estime que cette proposition a du mérite.

Il y aurait aussi plusieurs questions pratiques auxquelles il faudrait réfléchir. Plus tôt dans la discussion, la question de la validité des procurations a été abordée : il faudrait étudier sérieusement la possibilité que le pouvoir d’en juger soit transféré à la CCC. Bien que ce soit approprié, par exemple, qu’elle puisse décider si une personne a la capacité requise pour établir une procuration, certains sont d’avis que des questions liées à une influence indue conviennent mieux aux tribunaux judiciaires.

Le chapitre VI traite de la création de nouvelles nominations personnelles prenant la forme d’autorisation d’accompagnement : une telle réforme nécessiterait la création de mécanismes de règlement de différends et d’exécution. Si le gouvernement adopte le projet de recommandation de la CDO portant sur les autorisations d’accompagnement, l’extension des compétences de la CCC devrait comprendre la surveillance de ces autorisations, en plus du recours à des superviseurs comme le recommande le chapitre VII.

Élargissement et renforcement de la fonction relative aux plaintes et aux enquêtes

L’élargissement et le renforcement des mécanismes ontariens de plainte et d’enquête liés à l’utilisation abusive de pouvoirs décisionnels conférés par la loi ou à l’exploitation de personnes qui n’ont pas la capacité juridique figurent dans les priorités de nombreux participants aux groupes de discussion, et ils ont été abordés dans certaines observations écrites. Il a été suggéré d’élargir les pouvoirs d’enquête du TCP pour qu’il ne se limite pas aux « conséquences préjudiciables graves » et au besoin d’une tutelle temporaire, et qu’il se penche et statue sur l’abus des pouvoirs de mandataire, en plus des cas graves de maltraitance ou de négligence. Trois éléments interreliés interviennent ici :

·       le pouvoir discrétionnaire dont jouit le TCP en ce qui concerne les enquêtes sur les plaintes;

·       les types de problèmes qui relèvent des compétences du TCP (actuellement seulement ceux qui pourraient avoir des « conséquences préjudiciables graves » en raison d’un manque de capacité);

·       les recours dont dispose le TCP à la suite d’une enquête, se limitant actuellement à une requête en tutelle temporaire.

Dans l’État australien du Victoria, le défenseur des personnes handicapées exerce, entre autres les responsabilités liées [traduction] « aux enquêtes sur les plaintes ou les allégations de maltraitance ou d’exploitation de personnes handicapées, et à la nécessité ou à l’utilisation inappropriée d’une tutelle[335] ». Une enquête peut être ouverte soit à l’instigation du tribunal civil et administratif du Victoria, soit à la suite d’une plainte d’une personne. La Commission de réforme du droit du Victoria note ceci : [traduction] « Bien que ces dispositions soient exprimées en termes généraux, leur application se limite à des circonstances où une tutelle ou une ordonnance administrative pourrait être appropriée. De plus, le défenseur des personnes handicapées ne détient pas un large éventail de pouvoirs pour s’acquitter de ces fonctions[336] ». La Commission a recommandé que les pouvoirs d’enquête du défenseur des personnes handicapées soient renforcés et que son rôle soit élargi pour inclure les situations où on craint qu’une personne jouant un rôle d’accompagnateur, de codécideur ou de tuteur privé abuse de ses pouvoirs ou agit d’une manière inappropriée en maltraitant, en négligeant ou en exploitant une personne dont la capacité est diminuée à cause d’une invalidité[337].

Dans l’État du Queensland, le tuteur des adultes est habilité à enquêter sur toute plainte ou allégation selon laquelle un adulte aux capacités affaiblies est ou a été victime de négligence, d’exploitation, de maltraitance ou d’une utilisation abusive ou impropre de pouvoirs de décision au nom d’autrui[338]. Dans le cadre de ce mandat, le tuteur des adultes est autorisé à exiger des procureurs ou tuteurs aux biens la production de comptes détaillés et l’accès à [traduction] « toute l’information nécessaire pour enquêter sur une plainte ou une allégation ou pour procéder à une vérification[339] ». Au terme d’une enquête ou d’une vérification, le tuteur des adultes produit un rapport et le communique à la personne ayant demandé l’enquête ou la vérification, ainsi qu’à chaque procureur et tuteur aux biens ou à la personne et à toute autre partie intéressée[340]. Si le tuteur des adultes détermine que la demande d’enquête était frivole, abusive ou sans fondement, la personne l’ayant présentée peut être contrainte de verser une somme que le tuteur considère comme suffisante pour payer les coûts de l’enquête. De même, lorsque le tuteur des adultes établit que le procureur ou le tuteur a enfreint la loi en ce qui concerne les finances, il peut exiger le paiement des coûts de l’enquête. Dans son examen des lois du Queensland sur la capacité juridique et la tutelle, la Commission de réforme du droit du Queensland a examiné en détail la question de savoir si le tuteur des adultes doit avoir l’obligation impérative d’enquêter sur toutes les plaintes. Elle a rejeté cette proposition en affirmant ce qui suit :

[traduction] De l’avis de la Commission, l’article 180 de la Guardianship and Administration Act 2000 (Queensland) doit continuer à prévoir que le tuteur des adultes dispose d’un pouvoir discrétionnaire quant aux plaintes et allégations faisant l’objet d’une enquête. Bien que, d’un côté, il puisse paraître intéressant de proposer que le tuteur des adultes soit tenu d’enquêter sur les plaintes ou les allégations d’autres organismes du régime de tutelle, la Commission craint que, si la loi est modifiée pour obliger le tuteur des adultes à enquêter sur les plaintes ou les allégations formulées par certains organismes, le respect de cette obligation puisse nuire à sa capacité de déterminer les dossiers prioritaires et d’enquêter sur les plaintes et les allégations où les adultes concernés sont les plus à risque[341].

En vertu de la Mental Capacity Act 2005 en Angleterre et au Pays de Galles, le tuteur public travaille en collaboration avec d’autres organismes pour aborder des préoccupations relatives aux cas d’abus. Il est habilité à recevoir des « observations » (y compris des plaintes) concernant la façon dont les tuteurs et les procureurs exercent leurs pouvoirs[342]. Le tuteur public est investi de pouvoirs d’enquête, bien qu’il puisse enquêter conjointement avec d’autres organismes comme les services sociaux, les Services nationaux de santé, la police et autres. Il peut également renvoyer des plaintes aux organismes compétents, même s’il continue à assumer la responsabilité de fournir à la Cour de protection l’information dont elle a besoin pour prendre toutes les mesures nécessaires concernant les tuteurs et les procureurs[343].

La CDO a étudié les propositions voulant que le TCP entreprenne au moins un minimum d’enquête sur toutes les plaintes reçues, mais elle est arrivée à la conclusion qu’une telle exigence nécessiterait des investissements considérables et présenterait relativement peu d’avantages. Bien qu’elle puisse être formulée de manière à permettre au TCP de rejeter, sans mener d’enquête, des plaintes qui, par exemple, ne relèvent pas de sa compétence ou qui sont frivoles ou abusives, l’officialisation des pouvoirs discrétionnaires du TCP et le contrôle judiciaire dont ferait l’objet ce processus seraient lourds à gérer. De plus, cette exigence ne permettrait pas d’aborder la question fondamentale, à savoir la compétence du TCP et les mesures de réparation dont il dispose relativement aux plaintes et aux enquêtes.

Selon les consultations, il semble que la pression qui s’exerce sur le système d’enquête de l’Ontario provient de l’inaccessibilité relative des mécanismes judiciaires existants de règlement des différends. Dans les cas où l’on soupçonne l’utilisation abusive d’une ordonnance de tutelle ou d’une procuration, seules les personnes qui disposent de grands moyens financiers et qui savent faire preuve de persévérance peuvent s’engager dans la présentation à la Cour supérieure de justice d’une requête en reddition de comptes ou en tutelle. La réforme des mécanismes ontariens de règlement relevant de la LPDNA pourrait alléger la pression exercée sur les mécanismes du TCP.

Une fonction relative aux plaintes et aux enquêtes au sein du TCP, dont la définition serait élargie, constituerait certainement un moyen d’améliorer l’accès aux droits protégés par la LCSS. Comme l’a fait remarquer l’ARCH Disability Law Centre, une fonction qui ferait preuve de souplesse en ce qui a trait aux questions liées non seulement à la négligence et à l’utilisation abusive de tutelles et de procurations, mais également aux problèmes beaucoup plus courants d’abus de pouvoirs de décision, pourrait s’avérer utile à beaucoup de personnes. Toutefois, la CDO est d’avis qu’un tribunal administratif élargi, comme nous l’avons déjà exposé, serait préférable à l’attribution de responsabilités accrues au TCP. Cela contribuerait à accroître l’accessibilité à des nominations en vertu de la LPDNA, ainsi qu’à leur utilisation. De plus, il pourrait s’avérer difficile pour un mécanisme administratif de traitement des plaintes de résoudre les différends qui surgissent souvent au sein des familles et qui suscitent beaucoup de préoccupations liées à l’utilisation abusive de tutelles et de procurations. Les pouvoirs dont dispose actuellement la CCC pour déterminer si un mandataire spécial nommé en vertu de la LCSS rempli les exigences de la Loi relativement à la prise de décision et pour donner des directives lorsque l’application correcte de la LCSS à une décision requise n’est pas claire pourraient être élargis utilement pour que des questions relevant de la LPDNA entre dans ses compétences. Comme mesure additionnelle, on pourrait allonger la liste des personnes qui ont qualité pour présenter une demande à la CCC concernant le respect des exigences de la loi par le mandataire spécial pour y ajouter la personne touchée elle-même, lui procurant ainsi un moyen d’exprimer ses préoccupations, plutôt que de s’en remettre à un tiers pour cerner les problèmes. 

La CDO considère que l’élargissement des compétences de la CCC constitue la solution la plus pratique et efficace pour améliorer l’accès à la loi et que, si c’est impossible à court terme, il s’agit néanmoins de la meilleure option à long terme. Toute mesure prise pour tenir compte des préoccupations qui sous-tendent la proposition à l’égard de l’élargissement des compétences de la CCC doit, par conséquent, être conforme au principe de mise en œuvre progressive, poursuivre l’objectif d’améliorer l’accès à la loi et ne pas nuire à son atteinte. Si le gouvernement décide de ne pas donner suite à cette recommandation, il y aurait peut-être intérêt à examiner la possibilité de transférer au TCP au moins certains types de plaintes en vertu de la LPDNA. L’élargissement de la portée des questions sur lesquelles le TCP peut mener une enquête ne pourrait pas s’appliquer à celles qui sont liées à l’accessibilité et à la souplesse du processus de nomination. De plus, il y a des limites sur les types de questions qu’un processus purement administratif pourrait traiter de façon appropriée. Toutefois, en l’absence d’autres réformes, l’idée de conférer au TCP le pouvoir d’examiner un éventail plus large de questions liées au respect des exigences de la LPDNA, comme des plaintes concernant l’obligation du mandataire spécial de tenir une comptabilité, de favoriser les contacts personnels avec des parents ou des amis qui sont d’un grand soutien ou de choisir la solution la moins restrictive, n’est pas sans valeur. 

Enfin, outre l’objet de l’enquête, il serait peut-être utile d’examiner s’il y aurait un intérêt de prévoir un plus grand nombre de moyens d’intervention pour faire suite à une enquête au nom du TCP. Une requête en tutelle temporaire par le TCP est une intervention très lourde et ne sera appropriée que dans des circonstances limitées. Si le projet de recommandation 24 voulant que les compétences de la CCC soient élargies est adopté, le TCP pourrait avoir le choix de transmettre un rapport écrit à la CCC qui serait habilitée à émettre des ordonnances diverses sur la base du rapport, prescrivant, par exemple, qu’un tuteur ou un procureur entreprenne une formation ou présente régulièrement des rapports, ou il pourrait exercer ses pouvoirs de suspendre, modifier ou mettre fin à une tutelle ou à une procuration. 
 

PROJET DE RECOMMANDATION 24.
            Que le gouvernement ontarien modifie la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé et la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui afin

a)     de transférer à la Commission du consentement et de la capacité la compétence qui est actuellement celle de la Cour supérieure de justice, à l’égard de ce qui suit :

i.          la création, la modification et l’extinction des tutelles;

ii.          le contrôle des comptes et l’élaboration de directives concernant les procurations et les tutelles;

b)     de conférer à la Commission du consentement et de la capacité les pouvoirs de réparation suivants :

i.          rajuster la rémunération d’un tuteur, et suspendre ou mettre fin à une tutelle ou à une procuration;

ii.          ordonner au TCP de présenter une requête en tutelle;

iii.          nommer temporairement le TCP ou une autre personne à titre de tuteur.

 

PROJET DE RECOMMANDATION 25. 
           Que le gouvernement ontarien, en donnant suite à la recommandation 24, modifie les dispositions de la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé relatives à la composition et aux règles de procédure de la Commission du consentement et de la capacité afin de renforcer l’expertise de celle-ci dans ces domaines et de lui permettre d’adapter ses procédures à ce domaine de compétence. 
 

PROJET DE RECOMMANDATION 26.            Que le gouvernement ontarien modifie les compétences de la Commission du consentement et de la capacité en vertu des articles 35, 37, 52, 54, 67 et 69 de la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé de façon à lui permettre i) de fournir des directives relatives aux volontés exprimées par la personne, et ii) de déterminer si le mandataire spécial respecte ses obligations en matière de prise de décision, aux fins suivantes :

a)     insérer la prise en compte similaire des questions relevant de la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui;

b)     permettre à la personne soumise aux décisions d’autrui de présenter une requête contestant le respect par le mandataire spécial des obligations;

c)      permettre aux membres de la famille ou à d’autres personnes ayant des liens de confiance avec la personne soumise aux décisions d’autrui de présenter de telles requêtes dans des circonstances définies.

 

PROJET DE RECOMMANDATION 27.  
          Que le gouvernement ontarien étudie les avantages de conférer au tuteur et curateur public le pouvoir discrétionnaire d’envoyer, à la suite d’une enquête qui ne justifie pas la présentation d’une requête en tutelle temporaire, un rapport écrit à la Commission du consentement et de la capacité, laquelle pourrait – avec les processus appropriés connexes – ordonner que le mandataire spécial suive une formation, entreprenne une médiation ou présente régulièrement des rapports. 

 

2.     Mesures de soutien accrues pour l’orientation et l’intervention

Comme nous l’avons déjà dit, le règlement de questions liées à la capacité juridique, à la prise de décision et à la tutelle pourrait être facilité par des services de soutien administratif et juridique destinés à améliorer l’efficacité et l’accessibilité des processus de règlement. Le régime ontarien de la capacité juridique, de la prise de décision et de la tutelle comporte actuellement plusieurs formes de soutien qui contribuent à améliorer l’équité et l’efficacité du système, notamment l’avocat nommé en vertu de l’article 3 et les services d’aide juridique.

Comme nous l’avons déjà exposé au présent chapitre, la représentation par un avocat est un élément important de l’accès à la loi, que ce soit pour les personnes directement touchées, les mandataires­­ spéciaux ou d’autres parties intéressées. 

Bien entendu, l’enjeu est majeur pour les personnes qui n’ont pas la capacité juridique ou dont la capacité est en doute puisque ce sont elles qui font face généralement aux obstacles pratiques les plus sérieux pour avoir accès aux services d’un avocat. Ces obstacles ont été pris en compte dans les dispositions parallèles de l’article 3 de la LPDNA et de l’article 81 de la LCSS. Examiné plus en détail ci-dessous, l’article 3 de la LPDNA confère à la Cour un pouvoir discrétionnaire de désigner un avocat pour représenter une personne dont la capacité juridique est mise en cause en vertu de la Loi et qui n’est pas assistée d’un avocat. L’article 81 de la LCSS stipule que, dans le cas d’une personne qui est partie à une instance devant la CCC, qui est peut-être incapable et qui n’est pas assistée d’un avocat, la CCC peut ordonner à AJO de prendre des dispositions en vue de sa représentation par un avocat. Il convient de souligner que ceci n’oblige en rien AJO à délivrer un certificat d’aide juridique relativement à cette représentation en justice si la personne n’est pas par ailleurs admissible, et cette dernière sera alors responsable du paiement des frais de justice qui en découlent. La CCC a émis une Ligne directrice relative à cette disposition[344].

Malgré l’aide d’AJO et les dispositions de l’article 81 de la LCSS, il arrive que certaines personnes qui n’ont pas ou pourraient ne pas avoir la capacité juridique ne sont pas représentées par un avocat devant la CCC – par exemple, lorsqu’elles refusent en connaissance de cause d’être représentées par un avocat. Dans ces cas, la Ligne directrice 2 de la CCC fournit aux membres de la CCC des directives sur la façon d’aider ces personnes. Elle indique que l’obligation de se renseigner « donne à la Commission le pouvoir de jouer un rôle proactif durant une audience à laquelle participe une personne visée par une requête qui n’est pas représentée par une avocate ou un avocat » et que, tout en faisant preuve d’équité à l’égard des autres parties, « [l]e comité doit prendre soin d’aider le plus possible la personne non représentée[345] ».

Les dispositions de l’article 3 de la LPDNA et de l’article 81 de la LCSS sont, bien entendu, axées sur les besoins de la personne au centre du litige, tout comme le programme de certification d’AJO. Il n’est pas rare que des membres de la famille ne soient pas représentés lorsqu’ils comparaissent devant la CCC, et c’est très courant que les médecins aussi se représentent eux-mêmes, ce qui au fil des années a donné lieu à des commentaires[346].

Renforcement des dispositions de l’article 3 relatives à la nomination d’un avocat

Les dispositions ontariennes relatives à la nomination d’un « avocat en vertu de l’article 3 » constituent des éléments importants de l’accès à la loi dans ce domaine. Les personnes peuvent retenir les services de leur propre avocat si elles le souhaitent. L’article 3 de la LPDNA prévoit la nomination d’un avocat lorsqu’une personne n’a pas retenu les services d’un avocat et que sa capacité juridique est en doute. En vertu de cet article, le tribunal peut, dans ces circonstances, faire prendre des dispositions pour que la personne soit représentée par un avocat, et la personne est réputée capable de retenir les services d’un avocat et de le mandater.

Dans certains cas de ce genre, la personne peut être admissible à l’aide juridique, et un certificat peut être délivré à cette fin. Si elle ne l’est pas, elle doit assumer les frais de justice. Elle ou son tuteur aux biens ou son procureur nommé par procuration relative aux biens peut demander l’examen des honoraires juridiques demandés par l’avocat nommé en vertu de cet article.

Les avocats nommés en vertu de l’article 3 jouent un rôle fondamental en veillant à ce que les droits des personnes dont le manque de capacité juridique est allégué soient reconnus et défendus, ce que des intervenants clés ont reconnu d’une manière générale lors des consultations. Ce rôle s’avérera tout aussi important si les fonctions de la Cour supérieure de justice sont transférées à la CCC comme le recommande la CDO.

Des avocats agissant à ce titre ont souligné à la CDO que, dans un nombre non négligeable d’affaires, la personne agissant alors à titre de tuteur ou exerçant une procuration pour la personne visée a des intérêts contraires aux siens, et que ces mandataires spéciaux ont amplement d’occasions et de raisons de vouloir empêcher la représentation efficace par un avocat nommé en vertu de l’article 3. S’ils ont la garde physique de la personne, ils peuvent essayer de bloquer ou de limiter l’accès à l’avocat, ou ils peuvent tenter de surveiller les conversations entre l’avocat et son client ou de les écouter clandestinement. Ils peuvent utiliser le contrôle qu’ils exercent sur les finances de la personne afin de bloquer ou de retarder déraisonnablement le paiement des honoraires juridiques. Ces difficultés peuvent miner la capacité de l’avocat nommé en vertu de l’article 3 de s’acquitter efficacement de son rôle et peuvent décourager les avocats d’accepter des clients en vertu de cet article. Il a été mentionné que des réformes sont nécessaires afin de réduire les possibilités que les mandataires spéciaux contrecarrent l’intention des dispositions de l’article 3. Comme le fait remarquer le Mental Health Legal Committee : 

[traduction] Il faut qu’il soit clairement explicité dans la LPDNA qu’on ne peut pas entraver l’accès aux services d’un avocat, notamment à ceux qui sont nommés en vertu de l’article 3 de la LPDNA. Voici quelques exemples anecdotiques d’obstacles à l’accès par des tiers qui cachent la personne concernée ou empêchent physiquement l’avocat de lui parler ou de la rencontrer, qui insistent pour être présentes pendant les rencontres avec l’avocat, qui enregistrent subrepticement ou épient les rencontres avec l’avocat, qui retiennent les services d’un autre avocat, qui utilisent le contrôle qu’ils exercent sur les finances de la personne afin de bloquer le paiement des honoraires juridiques, qui présentent une motion visant à priver un avocat du droit de représenter une partie, qui présentent une motion en vertu de la règle 57.07 des Règles de procédure civile pour que l’avocat paie les dépens, et qui engagent des procédures parallèles (c.-à-d. une action en négligence) contre un avocat nommé en vertu de l’article 3. Il faudrait également envisager la possibilité d’ajouter l’avocat nommé en vertu de l’article 3 à la liste des personnes que nul ne doit gêner ni entraver en vertu de l’article 89 de la LPDNA.

Nous convenons que les avocats nommés en vertu de l’article 3 doivent être protégés contre les actions qui peuvent les empêcher de s’acquitter efficacement de leurs fonctions ou qui leur rendent la tâche difficile. 

Des préoccupations ont été soulevées au sujet de la formation offerte aux avocats nommés en vertu de l’article 3. Il a été proposé que des normes soient élaborées pour la sélection des avocats souhaitant être nommés dans le cadre de ce programme, définissant notamment des exigences pertinentes relatives à l’expérience et à la formation requises.

PROJET DE RECOMMANDATION 28.            Que le gouvernement ontarien modifie la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui afin de préciser que quiconque empêche l’avocat nommé en vertu de l’article 3 d’exercer les fonctions que lui impose cette loi, ou entrave celles-ci, commet une infraction, et afin de codifier le droit de l’avocat de s’entretenir en privé avec son client.

PROJET DE RECOMMANDATION 29.            Que le ministère du Procureur général désigne une entité responsable de l’élaboration de normes claires relatives aux compétences requises, notamment la formation minimale, pour les avocats nommés en vertu de l’article 3 de la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui.
 

Améliorer l’aide juridique

La Loi de 1998 sur les services d’aide juridique prévoit des services dans le domaine du droit de la santé mentale[347]. AJO fournit notamment des certificats aux clients qui se trouvent dans le système civil de santé mentale et qui exercent leur droit à un examen devant la CCC en vertu de la LSM et de la LCSS. Les exigences d’admissibilité à un certificat d’aide juridique pour une audience devant la CCC sont assez souples comparativement à d’autres domaines. Au cours de l’exercice 2010-2011, AJO a dépensé 2,8 millions de dollars pour des certificats relatifs à des requêtes à la CCC, ce qui comprend la délivrance de 2 836 certificats et la tenue de 2 566 audiences. Pour mettre ces chiffres en contexte, 5 216 requêtes ont été déposées devant la CCC au cours de cet exercice[348].

Aussi, le système communautaire de clinique d’aide juridique et les cliniques juridiques spécialisées comme l’ARCH Disability Law Centre et l’Advocacy Centre for the Elderly (ACE) jouent un rôle déterminant non seulement pour aider les personnes à faire valoir leurs droits, mais également pour traiter de questions systémiques dans ce domaine du droit, notamment par des séances de vulgarisation et des activités liées à la réforme du droit. 

Le financement de l’aide juridique accordé actuellement dans le cadre d’audiences devant la CCC constitue l’un des points forts du régime et il a une incidence considérable sur son accessibilité et son efficacité. À supposer que le gouvernement accepte la recommandation de la CDO préconisant l’élargissement du mandat de la CCC, il serait important qu’AJO étudie comment bonifier ses services afin de répondre à un éventail de questions plus large. Dans l’éventualité où les questions relevant de la LPDNA fassent toujours partie de la compétence de la Cour supérieure de justice, AJO pourrait contribuer à résoudre certaines questions liées à l’accès en se concentrant davantage sur ces dossiers.

Le Mental Health Legal Committee préconise, entre autres, l’accroissement de l’aide juridique allouée à ce domaine du droit.

[traduction] Dans les instances en vertu de la LPDNA, la représentation par un avocat de la personne prétendue incapable est souvent d’une importance cruciale. Toutefois, il est particulièrement difficile de la financer lorsque les biens de cette personne ont été détournés ou ne sont pas immédiatement disponibles. AJO est pratiquement absente du financement des services d’avocats retenus directement par la personne prétendue incapable ou nommés en vertu de l’article 3 de la LPDNA. Elle n’a pas établi de grille tarifaire pour ces honoraires judiciaires et elle n’a pas de compréhension institutionnelle de ce que cela comporte. Le financement par AJO de ce type de représentation doit être rétabli. Elle peut, entre autres, faciliter la représentation dans les cas où il y a un manque de liquidités en enregistrant un privilège sur les biens immobiliers d’un client[349].

Dans son budget de 2014, dans le cadre d’une stratégie plus vaste visant à améliorer l’accès à la justice et à l’assistance juridique, notamment pour les personnes et les groupes vulnérables[350], le gouvernement ontarien s’est engagé à augmenter l’aide juridique en relevant le seuil de revenu y donnant droit[351]. Prenant en compte les objectifs et le financement énoncés ci-dessus, AJO a élaboré un plan pluriannuel global visant à élargir considérablement l’accès à la justice pour les Ontariens et Ontariennes à faible revenu. Ce projet entraînera la hausse la plus importante et la plus rapide du nombre de certificats d’aide juridique en plus de 25 ans[352]. Dans le cadre de ce projet, AJO élargit les services de certificat pour fournir une aide juridique aux clients admissibles dans le cadre d’instances en santé mentale relatives à des conflits au sujet de la tutelle légale et de la prise de décisions au nom d’une personne déclarée incapable[353]. Plusieurs nouveaux certificats pour des services de représentation devant la CCC et la Cour supérieure de justice seront mis à la disposition des personnes qui se retrouvent au cœur d’un litige lié à une tutelle ou qui demandent un examen de l’ordonnance de tutelle, et des mandataires dont les décisions au sujet des soins de santé sont contestées. Ce projet vise à augmenter :

[…] les possibilités de défense des droits devant les tribunaux de la santé mentale et lors d’instances judiciaires mettant en cause de graves questions relatives à la liberté et à la sécurité personnelle liées à la tutelle de la personne et aux décisions d’un mandataire au sujet de ses biens et de ses soins[354].

Il faudrait prendre note qu’AJO est en train d’élaborer une stratégie en matière de santé mentale « pluriannuelle à plusieurs volets qui vise à améliorer l’accès aux services, à augmenter la capacité de fournir ces services et à étendre la gamme des services qu’AJO propose en ce moment[355] ». Un document de consultation a été publié en novembre 2013 et les consultations se sont terminées en février 2014[356]. Dans ce document, l’objectif global d’AJO pour sa Stratégie en matière de santé mentale a été défini comme suit :

·       élargir l’accès aux services d’aide juridique en santé mentale, y compris l’admissibilité financière;

·       mettre au point des structures, des politiques et des processus au sein d’AJO et du système de justice qui témoignent d’une fine compréhension des besoins des clients ayant des troubles mentaux;

·       fournir un soutien de meilleure qualité et plus systémique aux avocats, aux cliniques communautaires, aux organismes communautaires et aux autres prestataires de services qui proposent des services d’aide juridique en santé mentale;

·       favoriser le débat en cours et l’évaluation des services d’aide juridique en santé mentale par AJO, les clients, les avocats, les cliniques communautaires et les autres intervenants[357]. 

La CDO formule ci-après des projets de recommandation portant sur les mesures de soutien d’AJO dans le système actuel. Si le projet de recommandation relatif aux autorisations d’accompagnement ou à l’élargissement du mandat de la CCC est accepté, la CDO encourage AJO à examiner la façon dont ces réformes peuvent être mises en place dans le cadre de son mandat et avec les ressources dont elle dispose.

Des préoccupations ont été exprimées concernant la variation du degré de connaissance des avocats qui se présentent devant la CCC. Il s’agit d’un problème particulièrement grave dans la région du Grand Toronto où les affaires sont moins nombreuses et, par conséquent, où il existe moins de possibilités pour les avocats d’acquérir les compétences et les connaissances spécialisées nécessaires. 

PROJET DE RECOMMANDATION 30.   
         Qu’Aide juridique Ontario envisage les améliorations suivantes, dans le cadre de ses nouvelles actions dans le domaine :

a)     augmenter le financement des affaires relevant de la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui et d’accroître tout particulièrement l’aide pour :

i.          améliorer l’accès aux services d’un avocat nommé en vertu de l’article 3;

ii.          améliorer l’accès aux services d’un avocat pour une personne qui n’est pas admissible aux services de ceux nommés en vertu de l’article 3 et qui veut contester la nomination d’un tuteur;

iii.          permettre aux personnes de porter plainte à l’égard du fait qu’un mandataire spécial nommé en vertu de la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui ne s’acquitte pas correctement des responsabilités que lui confère la Loi;

b)     prévoir des mesures de soutien additionnelles pour améliorer les connaissances et les compétences des avocats qui fournissent des services financés par AJO dans ce domaine du droit.
 

3.     Recours accru à la médiation et à des modes de règlement extrajudiciaire des différends

La possibilité d’accroître le recours à la médiation dans ce domaine comme moyen de réduire les coûts, de faire en sorte que le processus soit moins intimidant et de préserver les relations a été examinée à fond dans le Document de travail. Les risques liés au recours à la médiation pour résoudre des questions relatives à la capacité juridique, à la prise de décision et à la tutelle ont également été soulignés. Lorsque les questions sont liées à des droits fondamentaux, la médiation pourrait s’avérer inappropriée : par exemple, un large consensus s’est dégagé des consultations menées par le British Columbia Law Institute dans le cadre de son étude sur le recours à la médiation pour les aînés et sur la tutelle, voulant que les questions liées à la capacité juridique ne puissent pas faire l’objet d’une médiation. Le rapport de la Colombie-Britannique intitulé Elder and Guardianship Mediation Report[358] reflète ce consensus. Aussi, le processus de médiation peut soulever des préoccupations parce que la personne qui n’a pas ou n’aurait pas la capacité juridique se trouve intrinsèquement dans une situation de vulnérabilité : en raison du déséquilibre manifeste des rapports de force, il y a un risque que la médiation fasse basculer le processus vers une intervention excessive. 

[traduction] Je ne sais pas ce que fait la CCC ailleurs dans la province, mais pendant quelque temps, elle tentait de proposer des médiations. Elle réunissait tout le monde et interposait sa médiation. Et, vous savez, la personne retirait sa demande pour, disons, un statut de cure obligatoire, parce que le médecin était maintenant d’accord qu’elle pouvait avoir certains privilèges. Mais rien n’empêchait le médecin de changer d’avis le lendemain en disant, ah, mais, vous avez changé, vous n’êtes pas comme vous étiez hier. Je pense que la médiation n’est pas vraiment très utile dans ce genre de situation et, donc, je crois, parce que la personne, il lui faut une réponse, oui ou non. Ça ne peut pas être quelque chose qui change. Si on emploie la médiation, il faut trouver une façon de la faire respecter. Et la médiation réussit seulement si les deux parties sont sur un pied d’égalité. Même en faisant un gros effort d’imagination, on ne peut pas dire qu’un patient et un médecin sont sur un pied d’égalité du point de vue du pouvoir.

Groupe de discussion – Conseillers et défenseurs, droits, 25 septembre 2014
 

Comme on l’a souligné tout au long du présent rapport , des différends surgissent dans l’application du droit sur la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle dans un contexte de dynamique familiale embrouillée et de relations d’interdépendance compliquées. Pour aboutir à un règlement, il faut porter attention non seulement aux affaires juridiques qui sont en jeu, mais aussi aux questions sous-jacentes.

Une grande part de l’utilité de la médiation dans un tel contexte serait donc fonction des niveaux élevés de connaissances et de compétences spécialisées des médiateurs.

Malgré ces limites reconnues, un recours accru à la médiation et à d’autres modes de règlement extrajudiciaire des différends dans ce domaine du droit a suscité un intérêt considérable, quoique circonspect. Par exemple, le Mental Health Legal Committee écrit dans ses observations que [traduction] « [l]es procédures judiciaires pour le règlement de différends et l’exécution de droits en vertu de la LPDNA bénéficieraient, à notre avis, d’un élargissement de l’exigence de médiation obligatoire prévue à la règle 75.1.02 des Règles de procédure civile[359] », qui définit les exigences s’appliquant à la médiation obligatoire dans le cadre d’instances relatives à des successions, des fiducies et des décisions prises au nom d’autrui. Actuellement, cette règle s’applique uniquement dans la ville d’Ottawa, la cité de Toronto et le comté d’Essex. La médiation obligatoire en vertu de la règle 75.1.02 fait partie d’une série de processus de plus grande ampleur pour la médiation dans les actions au civil. Dans le cadre d’une médiation obligatoire, les différends sont arbitrés par des médiateurs privés choisis de commun accord par les parties désignées. Le ministère du Procureur général leur fournit une liste de médiateurs privés, mais elles peuvent choisir une personne dont le nom n’y figure pas. Étant donné la nature des questions soulevées par les lois relatives à la capacité juridique et à la prise de décision qui sont souvent associées aux droits fondamentaux, les circonstances et les besoins particuliers des personnes directement touchées par ces lois, ainsi que la dynamique de leurs relations, il est peu probable qu’un simple élargissement du programme de médiation obligatoire actuel puisse répondre aux besoins spécifiques à ce domaine, mais il pourrait engendrer un risque de résultats négatifs pour les personnes touchées directement. Cela ne signifie pas que la médiation ne pourrait pas être utile pour accroître l’accès à un règlement satisfaisant des différends, mais il se pourrait qu’une méthode plus adaptée s’impose.

Un examen post-législatif de l’application de la Mental Capacity Act, 2005 en Angleterre et au Pays de Galles a permis de conclure que [traduction] « la médiation serait bénéfique dans un plus grand nombre de cas avant d’introduire une instance devant la Cour de protection »; il recommande d’envisager que l’étape de la médiation soit une condition préalable à l’introduction d’une instance, surtout pour les procédures relatives aux biens et aux questions financières, dont les coûts devront être assumés par la personne n’ayant pas la capacité juridique[360].

L’ADR Institute of Ontario (ADRIO) a formulé les observations suivantes relativement à la prise de décision accompagnée et la codécision :

[traduction] L’ADRIO appuie la poursuite des travaux de réflexion aussi bien sur la décision accompagnée que sur la codécision, mais en faisant une mise en garde importante : il faut tenir compte de la probabilité qu’un différend survienne entre les accompagnateurs et mettre en place un cadre de gestion des différends qui permet à la personne touchée de se faire entendre. Cela ne pourra pas se faire si un processus de règlement des différends n’est pas intégré au système. L’ADRIO encourage donc la CCC à adopter un processus de médiation anticipée qui s’inscrit dans une importante stratégie visant à résoudre le conflit qui surgit inévitablement entre les accompagnateurs, que ce soit des parents, des enfants, des voisins ou des amis[361].

L’ADRIO a attiré l’attention sur ses efforts visant à aider les centres d’accès aux soins communautaires à définir le rôle de facilitateur indépendant chargé de résoudre des différends liés aux soins de santé et aux soins de la personne qui sont fournis par l’intermédiaire des CASC. Il a été suggéré que la CCC établisse [traduction] « une liste de médiateurs professionnels, accessibles partout dans la province, qui possèdent des connaissances spécialisées du domaine et qui seraient disponibles, suivant les besoins, pour effectuer une médiation anticipée et résoudre les différends liés à la capacité et à d’autres décisions ».

Des personnes consultées ont fait remarquer les contraintes que font peser les délais serrés prévus par la loi, dans le contexte de la CCC, sur les modes de règlement extrajudiciaire des différends, ainsi que les médiations qui ne sont pas adaptées à certains aspects du mandat de la CCC, notamment la détermination de la capacité. En revanche, elles ont aussi indiqué qu’il serait utile d’explorer davantage le potentiel de la médiation pour certains types de requêtes, comme celle introduite par la « formule G », qui ont trait au respect des dispositions législatives, à savoir, par exemple, si un mandataire spécial a respecté les principes qui s’appliquent pour donner ou refuser un consentement au traitement.

[traduction] J’accorde une grande valeur à la médiation préalable à l’audience issue du processus enclenché par la formule G pour tenter de résoudre un différend. Fort de mon expérience de ce processus, j’ai constaté récemment, il y a environ deux mois que, même si la médiation n’a pas donné les résultats voulus, elle a permis de réduire la durée de l’audience. Même si nous ne sommes pas parvenus à dégager un consensus, toutes les personnes ayant un rôle à jouer et les parties représentées savaient ce que l’on attendait d’elles, quels témoins comparaîtraient, que leur capacité serait probablement évaluée et quelles étaient les responsabilités du mandataire spécial. Ainsi, au lieu de s’étaler sur plusieurs jours, l’audience s’est déroulée sur une seule journée – une longue journée, mais une seule. Le concept même de la médiation préalable me plaît, peut-être parce que la relation thérapeutique aussi se construit si on peut arbitrer le conflit avant d’en arriver à l’audience qui est bien sûr beaucoup plus conflictuelle.

Groupe de discussion – Joint Centre for Bioethics, 1er octobre 2014

Ce commentaire permet de constater toute l’importance de situer la médiation dans le contexte plus large des processus préalables à l’audience qui comportent des mécanismes pour échanger des renseignements et cerner tous les enjeux. 

D’autres proposent d’explorer la possibilité de mettre en place un service quelconque de règlement des différends auquel on pourrait recourir avant le dépôt de la requête, possiblement par l’intermédiaire d’organismes communautaires. 

[traduction] Je me demande dans quelle mesure il serait possible de simplement supprimer les procédures avocassières et d’examiner ce que nous pourrions faire avant qu’un différend survienne. Et voilà pourquoi, lorsque j’ai mentionné l’Administrative Justice Support Network… ce qui fonctionne bien au sein de la communauté, comment les personnes qui arrivent à se tirer d’affaires et à permettre à leurs êtres chers de vivre une vie qui en vaille la peine, comment ces personnes pourraient agir à titre de conseillères, des personnes sur qui l’on pourrait compter avant d’en arriver à une situation qui doit être arbitrée ou autre chose.

Groupe de discussion – Membres des familles de personnes ayant des déficiences sur le plan de leur développement intellectuelles, 16 octobre 2014
 

[traduction] Comme la médiation ou quelque chose du genre? Je me demande si ça conviendrait, parce que, encore une fois, les coûts et toutes ces choses peuvent devenir prohibitifs, mais les organismes, les petits organismes communautaires parfois – je pense à St. Stephen où on propose des services de règlement de différends de quartier et que sais-je encore. Quelque chose de beaucoup moins formel, mais qui réunit – parce que, encore une fois, on en arrive à la dynamique familiale où, bien entendu, les personnes sont intéressées d’une façon ou d’une autre à ce qui arrivera parce que… sinon, elles ne seraient pas là. Donc, je pense à quelque chose de moins formel, peut-être basé dans la communauté, qui n’est pas inabordable, qui serait peut-être basé sur le revenu, et que sais-je encore, la capacité de payer de la personne, ou encore, en faire un service communautaire qui pourrait être offert par les différents organismes communautaires existants.

Groupe de discussion – Prestataires de services communautaires, 26 septembre 2014
 

Il faudrait noter que le TCP est habilité par la LPDNA à servir de médiateur dans des différends qui surviennent dans le contexte de la prise de décision au nom d’autrui en vertu de cette Loi[362]. Toutefois, les autres rôles que confère la LPDNA au TCP, notamment le pouvoir d’enquêter et de présenter une requête en tutelle temporaire, peuvent créer, à tout le moins, une perception de conflits d’intérêts qui nuit à sa capacité de s’acquitter de cette fonction.

Tout compte fait, la CDO est d’avis que le régime ontarien de la capacité juridique, de la prise de décision et de la tutelle doit faire plus de place à la médiation et à d’autres formes de règlement extrajudiciaire des différends. Le rapport exhaustif du British Columbia Law Institute, intitulé Elder and Guardianship Mediation, susmentionné, conclut que [traduction] « l’expérience récente des lois et de la pratique privée nous apprend que la médiation effectuée en matière de tutelle des aînés ouvre la voie à de nouvelles perspectives positives et prometteuses d’élargissement du droit au Canada[363] ». Il formule plusieurs recommandations utiles portant sur les meilleures pratiques de médiation en cette matière. La CDO considère que les recommandations suivantes de ce rapport sont applicables aux réformes éventuelles en Ontario[364] :

·       Les médiateurs qui interviennent dans des affaires de tutelle doivent posséder un minimum de compétences de base pertinentes, notamment des connaissances de la loi applicable et des solutions de rechange à une tutelle, des notions sur la capacité et les besoins des personnes qui peuvent être touchées par des questions relatives à la capacité et sur la façon d’y répondre, ainsi qu’une compréhension des déséquilibres des rapports de force inhérents aux questions relatives à la capacité et des stratégies pour y remédier.

·       La médiation dans le cas d’une tutelle doit reposer sur des normes et des valeurs claires et sur un code de déontologie.

·       Les médiateurs qui interviennent dans des affaires de tutelle doivent s’assurer que toutes les parties sont aptes à participer à la médiation. Si une partie ne l’est pas, le médiateur doit déterminer s’il y a une personne compétente capable de représenter la volonté de la personne incapable dans le processus de médiation. Lorsque le médiateur est d’avis qu’une partie n’est pas apte à participer pleinement dans le processus et qu’il n’y a pas de représentant ou une autre personne compétente capable de représenter la volonté de la personne incapable, il ou elle devrait suspendre le processus ou y mettre fin. Ni les questions liées à la capacité juridique ni les cas graves de maltraitance ne doivent faire l’objet d’une médiation.

·       Les programmes de tutelle relevant des tribunaux devraient d’abord faire l’objet de projets pilotes. 

La CDO convient que la médiation peut faciliter les processus dans lesquels s’engagent les parties devant la CCC ou lors de procédures judiciaires, à condition que des protocoles de médiation appropriés soient appliqués comme ceux recommandés dans le rapport du British Columbia Law Institute et énumérés ci-dessus. 

Parmi les questions pratiques à prendre en considération pour envisager un recours accru à la médiation au sein de la CCC, surtout si le champ de compétence de la CCC est élargi comme le préconise la recommandation 24, mentionnons la règle 7 des Règles de procédure civile qui stipule qu’aucune transaction sur une demande présentée par un incapable ou contre lui ne peut lier ce dernier sans qu’elle ait été homologuée par le tribunal. Cette règle protège les personnes incapables contre l’exploitation par d’autres parties[365]. Toutefois, son application dans le droit administratif n’est pas claire. Dans l’affaire Lang c. Ontario, portée devant le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (TDPO) et concernant un mineur handicapé, le vice-président a déterminé que le TDPO ne pouvait pas adopter de procédures dont l’application aurait pour effet de porter atteinte à la compétence inhérente de la Cour supérieure, qu’il n’avait pas compétence en vertu de sa loi constitutive, ni de la Loi sur l’exercice des compétences légales, de rendre une ordonnance autorisant un règlement et que, par conséquent, il ne rendrait pas d’ordonnance autorisant le règlement proposé[366]. De plus, dans leur exposé intitulé Addressing the Capacity of Parties before Ontario’s Administrative Tribunals, les auteures Tess Sheldon et Ivana Petricone de l’ARCH Disability Law Centre font remarquer que [traduction] « la question de savoir si un règlement visant des personnes sous la tutelle du TCP serait exécutoire sans l’autorisation du tribunal reste en suspens[367] ».

 

PROJET DE RECOMMANDATION 31. Dans le cas où le gouvernement ontarien ne donne pas suite à la recommandation 24 de la CDO, selon laquelle un tribunal administratif élargi et renouvelé est habilité à se prononcer sur des questions relevant de la LPDNA, qu’il réfléchisse à la possibilité d’élargir l’accès à la médiation pour ces types d’affaire, sous réserve des protocoles suivants :

a)     déterminer les questions qui sont indiquées pour la médiation, en excluant les cas d’abus et de capacité juridique;

b)     mettre en place des médiateurs qui possèdent les compétences de base nécessaires à une médiation efficace dans ce domaine du droit, notamment une expérience et une connaissance approfondie des lois sur la capacité et la tutelle et des textes législatifs applicables, des valeurs et des principes sous-jacents aux lois sur la capacité et la tutelle et aux droits de la personne, des besoins des personnes touchées par ce domaine du droit et des circonstances dans lesquelles elles se trouvent, et des solutions de rechange à la tutelle et à la prise de décision au nom d’autrui;

c)      élaborer un code de déontologie ainsi que des normes pour la médiation dans ce domaine, y compris des conseils sur la capacité et le consentement à entreprendre une médiation.
 

PROJET DE RECOMMANDATION 32.            Qu’en modifiant la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé en vue de préparer la Commission du consentement et de la capacité à remplir son nouveau rôle, le gouvernement ontarien examine s’il convient de maintenir pour toutes les requêtes les délais prévus actuellement pour statuer ou si, pour certaines questions sur lesquelles la Cour supérieure de justice s’est déjà prononcée, les délais ne devraient pas être plus souples pour favoriser un recours accru aux modes de règlement extrajudiciaire, dont la médiation.
 

PROJET DE RECOMMANDATION 33.            Que la Commission du consentement et de la capacité élabore un projet pilote dans le but d’explorer les possibilités d’un programme de médiation spécialisé pour certains types de requête, qui serait régi par le protocole suivant :

a)     déterminer les questions qui sont indiquées pour la médiation, en excluant les cas d’abus et de capacité juridique;

b)     mettre en place des médiateurs qui possèdent les compétences de base nécessaires à une médiation efficace dans ce domaine du droit, notamment une expérience et une connaissance approfondie des lois sur la capacité et la tutelle et des textes législatifs applicables, des valeurs et des principes sous-jacents aux lois sur la capacité et la tutelle et aux droits de la personne, des besoins des personnes touchées par ce domaine du droit et des circonstances dans lesquelles elles se trouvent, et des solutions de rechange à la tutelle et à la prise de décision au nom d’autrui;

c)      élaborer un code de déontologie ainsi que des normes pour la médiation dans ce domaine, y compris des conseils sur la capacité et le consentement à entreprendre une médiation.

 

F.     Résumé

Il a été établi, dès le lancement de ce projet, que l’accès à la loi pour les personnes visées par la LPDNA présentait l’une des plus sérieuses lacunes des lois ontariennes régissant la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle, et qu’il fallait en faire une priorité urgente en matière de réforme. Le système judiciaire actuel demeure inaccessible au commun des mortels et, par conséquent, les droits positifs que confère la loi ne sont pas respectés et la promesse inscrite dans la loi ne s’est pas concrétisée.

Cette inaccessibilité, et le manque de souplesse qui en résulte, influent sur tous les aspects de ce domaine du droit, notamment le recours abusif à la tutelle et les expédients informels et risqués dont peuvent user les prestataires de services et les familles pour ne pas être tenus de s’adresser aux tribunaux, ainsi que les préoccupations constantes relatives à l’utilisation abusive des procurations.

Les questions relatives à l’accès à la loi ne sont pas propres au domaine de la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle : la portée de l’enjeu est plus vaste. Ce qui se joue dans le cas présent, ce sont des droits fondamentaux, et la population touchée est, par sa nature même, particulièrement vulnérable, ce qui plaide l’urgence du problème.

La CDO a exploré de nombreuses solutions pour y remédier. La recommandation voulant que la surveillance de la LPDNA soit confiée à une CCC élargie et renouvelée est une démarche audacieuse. Elle entraînera à court terme des frais de mise en exploitation, mais, de l’avis de la CDO, elle représente à long terme l’option la plus porteuse, rentable, réaliste et pratique pour pallier le problème.

Assouplir le processus de prise de décisions en vertu de la LPDNA et le rendre plus accessible permet d’adopter et de consolider d’autres réformes pouvant contribuer à réduire le nombre d’interventions inutiles comme on le verra au chapitre suivant.

 

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