Le présent rapport illustre combien la législation concernant la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle soulève de nombreux problèmes difficiles. Imbriquée dans le contexte social plus vaste du vieillissement, de la déficience, des soins dispensés par la famille et de la prestation des services sanitaires et sociaux, elle soulève des questions éthiques et pratiques délicates. La législation soulève aussi des questions à propos des droits fondamentaux des personnes qui très souvent sont vulnérables ou marginalisées. Les personnes consultées ont fait valoir à la CDO combien étaient graves les enjeux de la réforme de cette législation et la responsabilité de la société envers les personnes concernées. La CDO a pris ce message très au sérieux et a tenté de formuler des recommandations qui tiennent compte de la situation de ces personnes et qui respectent leurs droits et leur bien-être.

La CDO a reconnu en même temps les contraintes de la réforme législative, notamment les restrictions budgétaires pour le gouvernement et les grandes institutions, les besoins divergents des intervenants, et dans plusieurs domaines, l’absence de données probantes précises à partir desquelles la réforme pourrait commencer.

Le présent rapport expose deux démarches pour la mise en œuvre des réformes proposées. Selon la première, on analyse l’effet complet et les objectifs ultimes des projets de recommandation. Afin d’aider à la mise en œuvre et dans le cadre de sa démarche de mise en œuvre progressive de la réforme des lois du domaine, la CDO définit ci-dessous les priorités majeures de réforme, soit celles des recommandations qui sont les plus susceptibles de transformer en profondeur ce domaine législatif et qui traitent les problèmes systémiques les plus graves. La seconde fournit le cadre pratique de la réalisation progressive de cette réforme exhaustive. La CDO a défini à cette fin les projets de recommandation dont la mise en œuvre est relativement simple, et qui peuvent donc être traités dans des délais plus courts, ainsi que ceux dont la mise en œuvre exige plus de temps, de réflexion ou de ressources. Ceux-ci sont discutés à la section 3 ci-après, et leur liste complète figure à l’annexe B. Les priorités établies par la CDO ne sont pas forcément parmi les projets de recommandation dont la mise en œuvre est la plus simple : les délais ne reflètent pas les priorités, ils reconnaissent en revanche les enjeux de la réforme. Les institutions auxquelles se rapportent les projets de recommandation de la CDO peuvent décider de s’attacher d’abord aux recommandations prioritaires, ou bien à des changements plus simples tout en travaillant aux réformes plus délicates.
 

A.    Grandes priorités de réforme

La CDO a formulé dans le présent rapport plus de cinquante projets de recommandation en vue de réformer des lois, des orientations et des méthodes : le résumé de ces projets, organisés par sujet, se trouve à l’annexe A. La CDO donne priorité à ceux parmi les nombreux projets de recommandation qui abordent le plus en profondeur et au plan systémique les grands thèmes définis au chapitre I –  réduire les interventions inutiles et impropres, améliorer l’accès à la loi, renforcer la clarté et la coordination de la législation. La CDO a attribué une priorité élevée aux trois ensembles suivants de projets de recommandation.

Expansion et réforme de la Commission du consentement et de la capacité (CCC), de façon à créer un tribunal administratif indépendant et spécialisé, qui puisse rendre dans les délais des décisions souples et accessibles à propos de la nomination de mandataires spéciaux, régler les différends relatifs aux attributions de ceux-ci et faire valoir les droits que prévoit la législation (chapitre VIII). Selon la CDO, nombre des lacunes du régime actuel découlent de l’inaccessibilité et de la rigidité des mécanismes en vigueur pour faire valoir les droits et régler les différends en vertu de la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui, et un tribunal administratif élargi serait le moyen le plus pratique de régler ces problèmes.

Projets de recommandation pertinents : 24 – 26, 32 – 33

·       Transférer de la Cour supérieure de justice à la CCC le pouvoir de nommer les tuteurs, de modifier et de résilier les nominations, celui de contrôler les comptes et celui de donner des directives concernant les procurations.

·       Réformer la composition et les règles de procédure de la CCC, de façon à renforcer son expertise et à adapter ses procédures à ces nouveaux pouvoirs, en revoyant notamment les délais actuellement en vigueur pour rendre les décisions.

·       Élargir le pouvoir de la CCC de donner des directives à propos des volontés de la personne et celui de se prononcer sur le respect des obligations du mandataire spécial.

·       Mettre sur pied un projet pilote en vue d’élaborer un programme de médiation spécialisée à la CCC.

Ces réformes permettraient à la fois de répondre plus utilement aux inquiétudes exprimées par de nombreux intervenants sur les abus des pouvoirs de décision au nom d’autrui, et d’envisager la tutelle de façon plus adaptée et plus circonscrite, grâce aux réformes proposées au chapitre IX et brièvement reprises ci-après.

Renforcer l’information et la vulgarisation à l’intention des personnes touchées, des familles, des spécialistes et des prestataires de services concernés par la législation sur la capacité juridique et la prise de décision (chapitre XI) : il est apparu clairement à la CDO pendant les consultations publiques que ce domaine du droit est mal compris. Sa complexité rend compréhensible le fait qu’il soit ignoré et mal compris, mais en pratique, cela aboutit à des lacunes systémiques dans la mise en application des lois. Faute d’être mieux comprises, elles sont mal appliquées, et de surcroît, toute réforme est confrontée aux mêmes difficultés.

Projets de recommandation pertinents : 45 – 54

·       Établir un mandat, clairement conféré par la loi, pour coordonner et élaborer des actions, des stratégies et des documents de vulgarisation et d’information, qui répondent aux besoins des personnes directement touchées, des mandataires spéciaux, des accompagnateurs, des spécialistes et des prestataires de services.

·       Mettre sur pied un bureau central et coordonné d’informations en langage courant et en divers formats accessibles à l’intention des mandataires spéciaux et des accompagnateurs.

·       Conférer aux arbitres le pouvoir d’exiger que les tuteurs ou les personnes nommées par l’intéressé obtiennent de la formation sur des aspects précis de leurs attributions.

·       Que les établissements de formation professionnelle et les ordres de réglementation des professions de la santé réexaminent leurs exigences et leurs programmes de cursus dans ce domaine, et envisagent de traiter davantage les problèmes dans ce domaine du droit.

Améliorer la qualité de l’évaluation de la capacité, et faire en sorte que les personnes reconnues incapables aux termes de la LCSS puissent davantage faire valoir leurs droits fondamentaux en matière de procédure (chapitre V) : la CDO s’inquiète beaucoup de l’absence généralisée, dans la pratique, de protections fondamentales en matière de procédure et d’assurance de qualité pour les personnes dont le droit fondamental de décider par elles-mêmes est supprimé. Ces recommandations permettraient aux responsables de la gestion des évaluations et des renseignements à fournir sur les droits de mieux comprendre la législation; elles permettraient aux personnes dont l’incapacité juridique a été prononcée en vertu de la LCSS d’avoir mieux accès à la justice; elles permettraient enfin de réduire le recours indu à la prise de décision au nom d’autrui en vertu de la LCSS.

Projets de recommandation pertinents : 8 – 14

·       Établir des lignes directrices officielles pour l’évaluation de la capacité sur le fondement de la LCSS.

·       Élaborer des normes minimales, qui soient prévues par la loi, pour les renseignements sur les droits à fournir en vertu de la LCSS.

·       Étudier des moyens de fournir des renseignements indépendants et spécialisés sur les droits des personnes reconnues incapables sur le fondement de la LCSS.

·       Renforcer la surveillance et les mesures de soutien pour les renseignements sur les droits que fournissent les institutions existantes, Qualité des soins de santé Ontario, Réseaux locaux d’intégration des services de santé par exemple, ainsi que le contrôle et la qualité des systèmes de contrôle des soins de longue durée.

·       Suivre ces réformes et évaluer leur degré de réussite quant à la gestion de l’évaluation de la capacité et au respect des droits en matière de procédure.

 

B.    Autres secteurs ayant retenu l’attention

La mise en œuvre des priorités grâce aux projets de recommandation précités transformerait toute la législation du domaine, et aurait de grandes répercussions sur de multiples aspects de celle-ci. L’établissement de ces recommandations à priorité élevée ne détourne pas de l’importance de traiter les inquiétudes sur des problèmes plus spécifiques, surtout les protections contre les abus, et le fait de réduire ou d’adapter le recours à la tutelle. Selon les divers intervenants qui ont exprimé ces inquiétudes dès le début du projet, elles sont au cœur même du bon fonctionnement de la législation dans ce domaine. Profondément liées aux valeurs qui la sous-tendent, elles sont traitées dans les principes des Cadres.

Réduire ou adapter le recours à la tutelle (chapitres VI et IX) : la législation ontarienne en vigueur pour la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle a notamment pour objet le fait d’éviter les interventions inutiles ou impropres et celui de préserver dans la mesure du possible l’autonomie des personnes dont la capacité de décider est diminuée. La tutelle ne doit être que le dernier recours. Dans la pratique cependant, la législation ontarienne a des lacunes, en raison soit de difficultés de mise en application, soit de l’absence d’options pour répondre à la diversité des besoins des personnes touchées.

Projets de recommandation pertinents : 18 – 20, 34 – 40

·       Préciser la notion d’accommodement issue des droits de la personne, et l’intégrer à l’évaluation de la capacité juridique et aux attributions des prestataires de services.

·       Créer une autorisation d’accompagnement, prévue par la loi, pour les décisions ordinaires de tous les jours relatives aux biens et aux soins personnels, afin que les personnes qui se font aider par d’autres pour prendre des décisions puissent nommer celles-ci.

·       Étudier les aspects pratiques d’un cadre juridique pour la prise de décision en réseau.

·       Renforcer les dispositions de la LPDNA sur la prise en compte, avant de nommer le tuteur, de solutions moins contraignantes.

·       Remplacer la procédure de tutelle que prévoit la loi par la requête en nomination de tuteur auprès de la Commission du consentement et de la capacité, de concert avec la mise en œuvre des projets de recommandation visant à élargir le mandat de celle-ci.

·       Accroître les possibilités de contrôle des nominations de tuteur et de création de nomination à durée déterminée.

·       Habiliter les arbitres, si les circonstances s’y prêtent, à prononcer des tutelles aux biens qui soient restreintes.

·       Habiliter les arbitres à nommer un représentant pour une seule décision.

Renforcer les protections contre les abus (chapitre VII) : moyen souple et accessible pour planifier les besoins à venir, la procuration est toutefois, en tant que document privé, susceptible d’abus, et d’ailleurs, on s’inquiète des nombreux cas d’utilisation impropre ou carrément abusive de la procuration par le procureur. La CDO a proposé des réformes qui visent à apporter à cet instrument plus de transparence et de responsabilité, tout en lui conservant sa simplicité et sa facilité d’emploi.

Projets de recommandation pertinents : 21 – 23

·       Obliger les personnes qui acceptent d’être nommées, par procuration ou par autorisation de soutien personnel, à signer, avant d’agir, une déclaration d’engagement énonçant leurs responsabilités légales, les conséquences en cas de manquement à leurs responsabilités et le fait qu’elles acceptent leurs responsabilités et les conséquences.

·       Obliger les procureurs, au moment où ils commencent leur fonction, à remettre une « déclaration de prise de fonction » aux personnes désignées.

·       Codifier dans la législation l’option pour les mandants (et l’obligation, pour les personnes qui établissent une autorisation de soutien) de nommer un responsable, chargé de prendre des mesures raisonnables pour savoir si le procureur satisfait aux exigences que la loi prévoit pour l’exécution de sa fonction.
 

C.    Délais de mise en œuvre des réformes

Pour aller dans le sens de la mise en œuvre progressive des projets de recommandation, la CDO reconnaît que quelques changements sont plus difficiles et prendront plus de temps à obtenir. Les recommandations dont la mise en œuvre est relativement simple et qui pourraient donc être traitées dans un délai assez court, celles qui sont sensiblement plus difficiles et coûteuses, et enfin celles dont la mise en œuvre exige plus de temps, de ressources et de réflexion figurent à l’annexe B. Comme on l’a indiqué précédemment, l’attribution de délais particuliers aux projets de recommandation reflète la facilité de leur mise en œuvre plutôt que leur degré de priorité. Ce classement vise à aider à la mise en place progressive d’une réforme exhaustive.

Les projets de recommandation à court terme peuvent être mis en œuvre immédiatement ou très bientôt. Ils sont relativement simples, le fait d’éclaircir la législation par exemple. Le coût de leur mise en œuvre est plutôt faible, et ils ne nécessitent pas de modification législative ou bien celles qui sont nécessaires peuvent être faites sans refonte de la loi en cause.

Les projets de recommandation à moyen terme exigent soit un investissement de ressources, soit, en raison de leur complexité, davantage de travail pour rédiger des dispositions législatives efficaces. Leur mise en œuvre ne peut donc être immédiate, ils doivent être entrepris dès que les ressources ou le temps le permettent.

Les projets de recommandation à long terme comportent des aspects difficiles ou novateurs. Leur mise en œuvre peut s’appuyer sur la mise en œuvre préalable d’autres projets de recommandation ou peut nécessiter davantage de recherches ou de consultations. Il faut commencer à travailler à ces projets de recommandation en sachant qu’il faudra peut-être du temps pour établir des démarches efficaces de mise en œuvre.

Plusieurs projets de recommandation, plutôt simples et peu coûteux, peuvent être mis en œuvre en assez peu de temps. Ce sont notamment des recommandations visant à préciser les lois et donc à en renforcer l’application. Il est peu probable que seules, elles suscitent des transformations, mais elles peuvent aider à l’action générale d’amélioration de l’efficacité de ces lois. Il s’agit des projets de recommandation suivants : ceux du chapitre III portant sur l’éclaircissement des objets et des principes du droit, ceux du chapitre III portant sur l’obligation d’accommodement dans l’évaluation de la capacité, et ceux du chapitre VI portant sur les obligations du mandataire spécial. 

La mise en œuvre de quelques projets de recommandation nécessitera d’y travailler dans la durée. La CDO est d’avis par exemple que la tutelle par le tuteur et le curateur public devrait concerner surtout les personnes qui ont besoin de ses services spécialisés et fiables, afin que des décisions adaptées soient prises en leur nom. La tutelle légale, qui fait de celui-ci le tuteur de dernier recours pour nombre de personnes, est en définitive incompatible avec les principes qui sous-tendent la législation, et entraîne pour lui un fardeau excessif, en ce qu’il pourrait se consacrer plus efficacement à d’autres tâches. La CDO reconnaît toutefois que la tutelle légale est essentielle dans le régime législatif actuel et qu’elle ne peut être supprimée du jour au lendemain. Les projets de recommandation visant la suppression de la tutelle légale et la réorientation de la fonction de tuteur et curateur public sont donc classés à long terme.

Il faut approfondir le recours à des représentants professionnels et à des organismes communautaires pour exercer la fonction de mandataire spécial, qui pourrait permettre d’élargir les options possibles, de mieux prendre en compte les besoins de quelques groupes et d’orienter plus efficacement le travail du tuteur et curateur public. Il faut cependant examiner attentivement le coût et les avantages d’un régime de mandataires spéciaux professionnels qui serait convenablement contrôlé, ce que les pouvoirs publics sont les mieux à même de faire. Les projets de recommandation de ce domaine sont également classés à long terme.

Si le gouvernement devait entreprendre de réformer la législation concernant la capacité juridique, la prise de décision et la tutelle, la CDO le presse d’intégrer à sa démarche des mécanismes destinés à contrôler les effets de ses réformes. Nous n’avons cessé de le souligner, les problèmes sont ardus et multidimensionnels, et la population concernée est souvent vulnérable. Divers problèmes de mise en application entravent l’efficacité de la législation en vigueur : le contrôle actif de l’effet des réformes permettrait d’apporter les modifications voulues.

 

Précédent Prochaine
Première page Dernière page
Table des matières