A.   Protections juridiques du salaire

La Woodman’s Lien for Wages Act originale de l’Ontario procurait un privilège uniquement aux employés forestiers, mais elle a tôt fait l’objet d’une modification afin de protéger également les entrepreneurs forestiers[119]. Au début du 20e siècle, il était logique que la Loi protège aussi bien les employés que les entrepreneurs, car ils effectuaient tous du travail physique et ni les uns ni les autres ne disposaient de moyens de récupérer l’argent qui leur était dû[120]. De leur côté, les employés de scieries n’ont jamais été couverts par la Loi, même avant l’introduction d’autres protections juridiques du salaire[121]. Certains commentateurs ont laissé entendre que c’était parce que les employés de scieries se trouvaient en meilleure position pour évaluer la santé financière de l’entreprise avant d’investir des efforts[122].

Aujourd’hui, quasiment tous les bûcherons sont des entrepreneurs indépendants plutôt que des employés. Cependant, la Loi continue à s’appliquer aux employés forestiers et, à cet égard, elle a sans doute une incidence sur l’équilibre des intérêts représentés dans les protections juridiques modernes du salaire[123]. Depuis 1969, l’Ontario a un régime administratif permettant le recouvrement de salaires impayés; il fait actuellement partie de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi (LNE)[124]. Dans certaines circonstances, en vertu de la LNE, les employés peuvent recouvrer leur salaire auprès des directeurs d’une personne morale qui est un employeur[125].

La loi protège aussi les employés en mettant leurs réclamations pour salaire impayé en priorité par rapport à d’autres créanciers. Aux termes de la LNE, jusqu’à concurrence de 10 000 $, la réclamation d’un employé pour salaire impayé l’emporte sur les réclamations non garanties[126]. Dans le cas d’une faillite ou d’une mise sous séquestre, ce régime des priorités des créances est remplacé par celui établi dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI)[127]. Aux termes des articles 81.3 et 81.4 de cette dernière, une priorité élevée est accordée aux réclamations pour salaire impayé, mais celles-ci ne visent que le salaire touché au cours des six mois précédant la faillite, jusqu’à concurrence de 2 000 $[128].

Dernièrement, le gouvernement fédéral a adopté la Loi sur le Programme de protection des salariés (LPPS) grâce auquel les employés touchés par une faillite ou une mise sous séquestre peuvent présenter directement au gouvernement une demande d’indemnité relative aux salaires impayés, jusqu’à un maximum d’environ 3 500 $[129]. Le gouvernement est ensuite subrogé à la réclamation pour salaire impayé de l’employé aux termes de la LFI.

Compte tenu de ces mesures modernes de protection des salaires, il y a de bonnes raisons d’affirmer que ce domaine est très chargé et qu’il n’est plus nécessaire de distinguer les employés forestiers en leur accordant une protection additionnelle propre à leur industrie au moyen d’un régime de privilège[130]. En outre, ce n’est pas juste non plus. Il n’y a aucune limite au montant récupéré par un privilège en vertu de la Loi. Les employés forestiers peuvent donc potentiellement récupérer une somme supérieure au maximum de 10 000 $ permis par la LNE ou au maximum d’environ 3 500 $ récupérable aux termes de la LPPS.

Si les employés forestiers n’ont plus droit à un recours fondé sur un privilège, il faut se demander si les entrepreneurs forestiers devraient continuer à y avoir droit. La Loi de 1891 visait un « travail » physique. Avant la mécanisation de l’industrie, il était logique d’inclure les entrepreneurs dans la portée de la Loi, puisqu’ils étaient, à cette époque, des ouvriers. Aujourd’hui, cependant, le travail ne représente que 20 à 30 % du prix habituel d’un contrat de récolte. Le reste concerne le profit et les coûts liés à l’équipement, et il est quelque peu incongru que les entrepreneurs contemporains continuent à bénéficier de ces droits juridiques. Au mieux, la coordination de la Loi avec les autres protections juridiques du salaire de l’Ontario laisse à désirer.


B.   La Loi sur les sûretés mobilières

La Loi est entrée en vigueur bien avant l’avènement d’un régime de sûretés mobilières en Ontario. Même s’il existait, en 1891, plusieurs dispositifs de sûreté comme les hypothèques mobilières et les contrats de vente conditionnelle, il n’y avait aucun mécanisme central permettant d’ordonner ces intérêts. Cela donnait un régime juridique fragmenté et confus qui rendait plus compliquées les relations commerciales au sein du milieu des affaires[131]. L’ajout d’un nouveau dispositif de sûreté concernant un groupe d’intérêt spécial, cette fois les bûcherons, n’a pas eu d’incidence considérable sur la scène commerciale.

Cela a changé en 1976, avec l’adoption de la Loi sur les sûretés mobilières (LSM), d’un registre central et d’un régime de priorité selon l’ordre d’enregistrement[132]. Aux termes de la LSM, les créanciers accordant des montants relativement importants de crédit peuvent se protéger en négociant un contrat de sûreté qui leur fournit une sûreté relativement aux biens personnels du débiteur[133]. Le créancier peut ensuite rendre opposable la sûreté en enregistrant un état de financement dans le registre des sûretés mobilières. Un état de financement signale qu’il existe une sûreté potentielle dans un bien grevé, mais ne constitue pas une preuve de celle-ci. Une fois que la sûreté est rendue opposable à la suite de l’enregistrement, il est facile de la retrouver en cherchant dans le registre des sûretés mobilières. En règle générale, la priorité relative des sûretés dépend de l’ordre de l’enregistrement, sans égard à l’avis connexe. Par conséquent, la priorité d’une sûreté enregistrée (ou une sûreté rendue opposable par possession) est garantie par rapport aux sûretés subséquentes[134]. Ce régime centralisé est suffisamment prévisible pour que les parties commerciales puissent gérer leur risque de crédit.

Les privilèges découlant d’une loi ou d’une règle de droit ne sont pas visés par la LSM[135]. Par conséquent, celle-ci n’a aucune incidence directe sur les privilèges des travailleurs forestiers, créés aux termes de la Loi; en fait, la LSM confirme la priorité absolue de ces privilèges[136]. Toutefois, la Loi ne correspond pas à l’esprit de la LSM dans la mesure où elle ne prévoit pas que les tierces parties soient mises au courant des sûretés rattachées aux biens grevés. Selon le professeur Cuming,

[traduction]
« Le droit canadien reflète un engagement de longue date envers le principe voulant qu’un certain enregistrement public soit une condition préalable à l’efficacité d’une sûreté non possessoire auprès d’une tierce partie[137].

Cette préoccupation envers les tiers créanciers a mené à l’intégration des privilèges des réparateurs et des entreposeurs au registre des sûretés mobilières, en 1989[138]. Même si les privilèges des travailleurs forestiers doivent être enregistrés au greffe local de la Cour supérieure, il n’existe aucun registre central permettant aux tierces parties de se renseigner efficacement sur les privilèges antérieurs rattachés au bois. Ainsi, les tierces parties demeurent dans le doute quant à la valeur de leurs sûretés.

En outre, la Loi mine la règle de la LSM à propos de la priorité selon l’ordre d’enregistrement en accordant aux bûcherons une priorité absolue qui les avantage par rapport aux créanciers protégés par la LSM et aux créanciers non protégés[139]. En outre, la Loi prévoit qu’un privilège s’applique contre un tiers acquéreur du bois[140]. Cela se distingue du principe de la LSM selon lequel les tiers acheteurs doivent pouvoir, dans le cours normal des affaires, acquérir les biens grevés libres de toute sûreté antérieurement rendue opposable[141].

Les privilèges des travailleurs forestiers ne sont pas les seuls privilèges établis par la loi qui sont exclus du registre des sûretés mobilières. Les privilèges et les autres sûretés non consensuelles, comme les fiducies réputées établies par la loi, sont des outils législatifs populaires pour l’obtention de paiements, qui sont considérés comme étant d’intérêt public[142]. Il existe de nombreux privilèges de la Couronne garantissant le paiement des dettes, y compris notamment le privilège lié aux droits de coupe aux termes du régime de permis d’exploitation forestière de l’Ontario[143]. Dans l’ensemble, ces privilèges sont également indépendants du système de la LSM, et les créanciers n’ont pas les avantages que procure le registre des sûretés. Cependant, la philosophie qui guide la réforme des transactions garanties a été, lorsque c’était approp