La Loi

  • La Loi sur le privilège des travailleurs forestiers portant sur leur salaire (ci-après la Loi) fournit un privilège grevant les billes ou le bois d’œuvre en fonction du montant dû aux bûcherons ontariens pour ce travail.
  • Cette Loi, adoptée en 1891, servait de mécanisme de recouvrement du salaire pour les employés forestiers travaillant dans les forêts du nord de l’Ontario. Elle n’a presque pas changé en 122 ans d’existence.
  • De nos jours, très peu de privilèges sont revendiqués, exception faite d’un certain nombre de revendications de privilèges déposées en 2009 en lien avec l’insolvabilité de Buchanan Forest Products Ltd. Celles-ci ont fait l’objet d’une requête dans le cadre de laquelle la juge Pierce a interprété la Loi et souligné que les termes archaïques et les procédures de celle-ci entraînaient des difficultés.
  • Certains termes clés, comme « travaux » et « billes ou bois d’œuvre », ainsi que les procédures et les échéances prévues par la Loi, étaient fondés sur les pratiques d’exploitation forestière du 19e siècle qui sont en grande partie désuètes de nos jours.
  • La Loi ne s’applique qu’au comté d’Haliburton et aux districts territoriaux du nord de l’Ontario. Cela exclut une zone importante des activités commerciales d’exploitation forestière qui ont actuellement lieu dans le sud de la province.
  • La Loi est mal adaptée aux protections juridiques contemporaines du salaire et ne correspond pas à la politique de la Loi sur les sûretés mobilières.

 

Transformation de l’industrie de l’exploitation forestière

Depuis l’adoption de la Loi en 1891, l’industrie de l’exploitation forestière a tellement changé qu’elle est presque méconnaissable.

Avant :

  • En 1891, à une période de développement rapide, l’exploitation forestière était un élément important de l’économie ontarienne et jouait un rôle essentiel dans la construction de chemins de fer et d’autres infrastructures.
  • Les bûcherons étaient des employés occasionnels engagés sur une base saisonnière par des scieries souvent sous-capitalisées et insolvables.
  • Les bûcherons passaient une bonne partie de l’hiver dans des forêts éloignées du nord de la province.
  • Ils vivaient dans des camps forestiers aux conditions difficiles et avaient peu de commodités. Ils recevaient un maigre salaire pour des travaux physiques très difficiles et dangereux.
  • À l’époque, le corps législatif de l’Ontario était préoccupé par les situations où les billes étaient livrées à des scieries de l’autre côté de la frontière, au Michigan, sans que les bûcherons aient été payés.

Aujourd’hui :

  • Même si l’industrie de l’exploitation forestière demeure de nos jours importante, particulièrement dans les collectivités du nord et chez les Autochtones de l’Ontario, l’économie de la province s’est diversifiée et le nombre de bûcherons est aujourd’hui beaucoup moins élevé. Vers la fin des années 1940, environ 40 000 bûcherons travaillaient en Ontario. Aujourd’hui, il n’y en a plus qu’approximativement 3 500.
  • La loi fait en sorte que le bois est transformé dans des scieries de l’Ontario. Il est plus probable que les scieries soient détenues par des multinationales de produits forestiers bien financées.
  • L’industrie est fortement mécanisée et fonctionne toute l’année. La transformation du bois récolté est une question de jours ou de semaines, et non plus une question de mois.
  • Les bûcherons sont des entrepreneurs indépendants qui possèdent leur propre matériel et facturent un prix contractuel pour leurs services. La main-d’œuvre ne représente que 20 à 30 % de ce prix, et les montants en jeu peuvent dépasser de beaucoup les réclamations prévues à l’origine par la Loi.
  • La sous-traitance est fréquente au sein de l’industrie, et plusieurs liens contractuels peuvent séparer une entreprise de produits forestiers d’un entrepreneur revendiquant un privilège.
  • Les bûcherons continuent à être confrontés à des risques commerciaux importants, en partie en raison du coût élevé du matériel, de leur dépendance économique à un nombre restreint de scieries et de la pratique dans l’industrie selon laquelle les entreprises de produits forestiers ne versent des paiements que lorsque le bois est livré à la scierie. Toutefois, ces risques ne sont pas les mêmes que ceux que la Loi visait à réduire.
  • L’industrie est réglementée par un régime complexe de permis d’exploitation forestière. Bon nombre de permis sont détenus par les entreprises de produits forestiers. Cependant, dans plusieurs cas, les titulaires de permis sont des coopératives dont les membres comprennent des bûcherons, ainsi que des entreprises de produits forestiers, des collectivités autochtones et d’autres groupes ayant un intérêt dans le bois de la Couronne. Dans certains cas, les titulaires de permis sont des coopératives entièrement constituées de bûcherons. Ces différentes ententes en matière de permis ont une incidence sur les relations contractuelles des bûcherons et, dans certains cas, peuvent partiellement tenir compte du déséquilibre des rapports de force.

 

Une loi qui n’a pas suivi l’évolution du contexte social et juridique

Un régime de privilèges pour les bûcherons n’est plus pertinent au sein du contexte juridique et de l’industrie d’aujourd’hui.

  • Dans l’industrie contemporaine, les risques que les bûcherons ne soient pas payés sont moins élevés.
  • Étant donné que le bois est transformé rapidement, parfois avant même d’avoir quitté la forêt, un privilège sur le bois a une valeur limitée.
  • Aux termes du régime actuel de permis d’exploitation forestière, certains bûcherons ne sont pas engagés; ils récoltent le bois pour leur propre compte et le vendent ensuite sur le marché libre.
  • Bien que de nombreux bûcherons continuent de dépendre économiquement des scieries qu’ils fournissent, c’est également le cas d’autres petits propriétaires-exploitants de l’industrie de l’exploitation forestière et de l’économie ontarienne en général.
  • Plusieurs aspects de l’industrie contemporaine de l’exploitation forestière sont mal adaptés à un régime de privilèges commerciaux non possessoires :
    o    le bois est difficile à décrire aux fins d’un système d’enregistrement et difficile à identifier aux fins d’application d’un privilège;
    o    la sous-traitance fait en sorte qu’il est difficile de protéger tous les bûcherons sans exposer les entreprises de produits forestiers à de multiples revendications de privilèges pour un même contrat;
    o    un registre public serait difficile à administrer dans l’industrie de l’exploitation forestière, car celle-ci est petite, fragmentée et fonctionne de façon informelle sur la base de relations à long terme;
    o    l’interdépendance économique entre les bûcherons et les entreprises de produits forestiers complique la création d’un régime de priorité qui protège efficacement les bûcherons tout en faisant en sorte que les entreprises de produits forestiers sont en mesure d’accéder au financement;
    o    contrairement aux biens assujettis à d’autres privilèges d’origine législative, comme les privilèges des réparateurs et des entreposeurs, le bois récolté n’est que la première étape d’une chaîne de valeur qui se solde par des produits issus de la transformation du bois. De nombreux fournisseurs de services ajoutent de la valeur au produit en cours de route, mais il n’est pas possible de créer un privilège pour chacun d’eux.
  • La Colombie-Britannique a conservé et modifié sa loi concernant le privilège des travailleurs forestiers, mais l’industrie forestière de cette province est beaucoup plus importante et se trouve dans un contexte politique très différent. La Colombie-Britannique a choisi de mettre en place un fonds d’indemnisation à l’intention des bûcherons en cas d’insolvabilité. Au cours des consultations de la CDO, personne ne s’est prononcé en faveur d’une telle option.