Au cours du présent projet, la CDO s’est attaquée à un défi classique de la réforme du droit : elle a dû déterminer quelle était la meilleure façon d’adapter une loi dépassée en fonction du contexte juridique et social contemporain de l’Ontario. La Loi sur le privilège des travailleurs forestiers portant sur leur salaire (la Loi), adoptée en 1891, servait de mécanisme de recouvrement du salaire pour les employés forestiers récoltant le bois dans les forêts du nord de la province. La Loi fournit un privilège sur le bois pour le montant dû aux bûcherons pour ce travail.

De nos jours, relativement peu de privilèges sont revendiqués aux termes de la Loi. Cependant, un certain nombre de revendications de privilège ont été déposées en 2009 liées à l’insolvabilité de Buchanan Forest Products Ltd. Les créanciers privilégiés ont demandé à la juge régionale principale Pierce d’interpréter la Loi et, dans sa décision, elle a souligné que les termes et les procédures archaïques de la Loi entraînaient des difficultés. La décision a incité la CDO à élaborer une ébauche, puis à entreprendre le projet.

Le rapport décrit en premier lieu les caractéristiques désuètes de la Loi qui l’empêchent de protéger efficacement les bûcherons au sein de l’industrie contemporaine. Il se penche ensuite sur le contexte historique de la Loi et décrit plusieurs différences majeures entre l’industrie de l’exploitation forestière de 1891 et l’industrie d’aujourd’hui. Celles-ci comprennent des changements fondamentaux à la nature même des travaux d’exploitation forestière, à la relation entre les bûcherons et les entreprises de produits forestiers qui les engagent, ainsi qu’au régime de permis d’exploitation forestière et à son incidence sur les relations commerciales dans l’industrie.

Puis, le rapport examine la façon dont la Loi est en harmonie avec le cadre du droit commercial connexe. Elle est mal adaptée aux protections juridiques contemporaines du salaire, aussi bien provinciales que fédérales. Même si, à proprement parler, la Loi est compatible avec le droit ontarien sur les transactions garanties, de même qu’avec le droit fédéral sur la faillite et l’insolvabilité, elle mine certaines politiques sous-jacentes à ces régimes. Plus précisément, la Loi va à l’encontre de la philosophie de la Loi sur les sûretés mobilières, car elle ne fournit pas un registre central permettant aux tierces parties de déterminer si les privilèges rattachés aux biens dans lesquels ils ont un intérêt sont enregistrés.

Le rapport étudie ensuite plusieurs difficultés plus précises liées à la conception de la Loi et qu’il faudrait surmonter afin de la réformer. Certaines de ces difficultés ne sont pas faciles à résoudre. Les travaux d’exploitation forestière sont régulièrement confiés à des sous-traitants, et une difficulté consiste à concevoir la Loi de manière à ce qu’elle protège ces derniers, sans toutefois exposer les titulaires de permis à de multiples revendications de privilège pour un même contrat. Une autre question importante consiste à déterminer la priorité à accorder aux créanciers privilégiés lorsque d’autres personnes peuvent prétendre au bois, surtout dans les situations d’insolvabilité.

Chacun des facteurs ci-dessus a des implications pour la viabilité continue de la Loi et, globalement, ils laissent entendre qu’un régime de privilège des travailleurs forestiers pourrait ne plus être commercialement ou légalement approprié pour l’économie ontarienne d’aujourd’hui.

Le rapport s’intéresse aux autres régimes juridiques de privilège commercial afin de s’en inspirer en vue d’une potentielle réforme de la Loi. Le régime juridique le plus apparenté est celui de la Forestry Service Providers Protection Act de 2010 de Colombie-Britannique. Il s’agit d’un modèle réaliste de réforme de la Loi ontarienne. Cependant, l’industrie de la Colombie-Britannique se distingue de celle de l’Ontario sur plusieurs points. L’un des éléments essentiels de la loi de la Colombie-Britannique, un fonds d’indemnisation pour les bûcherons en cas d’insolvabilité, ne serait probablement pas une stratégie efficace en Ontario.

Le rapport conclut que, dans certaines situations, il vaut mieux ne pas adapter une loi dépassée en fonction du contexte social et juridique contemporain. En ce qui concerne la Loi sur le privilège des travailleurs forestiers portant sur leur salaire, il semble que son importance ait disparu en même temps que les conditions industrielles historiques qu’elle devait régir. Les sous-traitants et entrepreneurs forestiers d’aujourd’hui ne ressemblent pas aux employés forestiers occasionnels des années 1890, et le risque financier qui pèse sur les bûcherons contemporains ne se compare pas aux conditions économiques de leurs homologues d’antan. Dans les circonstances, il est préférable d’abroger la Loi plutôt que de prolonger un régime de privilège dépassé. La CDO recommande donc l’abrogation de la Loi.

 

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