A.  Les raisons justifiant la mise en place d’un processus simplifié en Ontario

Les recommandations de la CDO destinées à simplifier le processus de nomination d’un représentant légal pour les bénéficiaires d’un REEI répondent principalement aux aspirations des adultes handicapés, ainsi qu’aux familles, aux amis et aux fournisseurs de services qui veulent les aider à établir un REEI.

Lorsque le gouvernement fédéral a mené des consultations publiques au cours de son examen des REEI, il a reçu des centaines de mémoires; plusieurs exposaient des préoccupations quant au processus actuel de nomination d’un titulaire de REEI. Comme il a été mentionné précédemment, les REEI ne prévoient pas de processus de nomination d’un titulaire de REEI pour un bénéficiaire jugé incapable de conclure un contrat avec une institution financière. Ce régime diffère de ceux gérés par l’État, dans lesquels est intégrée une procédure pour désigner un aidant ou un substitut pour la prise de décisions.

Par exemple, un membre de la famille, un soignant ou toute autre personne peut déposer une demande auprès des Services pour les personnes ayant une déficience intellectuelle au nom d’une personne déficiente qui souhaite recevoir du financement individualisé pour des services et du soutien[77]. Le RPC, la SV et le POSPH permettent également aux bénéficiaires et aux personnes intéressées de demander que soit désigné un « fiduciaire » informel pour gérer les paiements mensuels[78].

Dans le cas des REEI, un titulaire de REEI doit être nommé à titre de tuteur ou à titre de personne « légalement autorisée » en vertu de lois provinciales distinctes[79]. Toutefois, les lois provinciales actuellement en vigueur et ciblant ces circonstances ont tendance à aborder des domaines de la gestion des biens plus larges que les REEI, comme le paiement des factures, l’achat et la vente de biens immobiliers, ainsi que les dépenses courantes. À quelques exceptions près, ces lois se concentrent principalement sur la protection des adultes contre des préjudices graves qui pourraient être subis quand ils sont incapables de décider par eux-mêmes, plutôt que de faciliter l’accès à un programme de prestations comme les REEI. Par conséquent, ces processus de nomination peuvent se révéler rigides selon le cadre de chaque province.

Le gouvernement fédéral a indiqué que, dans certaines provinces, établir un REEI est « une démarche à laquelle les proches de la personne handicapée peuvent devoir consacrer beaucoup de temps et d’argent et qui peut avoir des répercussions importantes sur cette personne[80] ». Au cours des consultations tenues auprès des Ontariens et des Ontariennes, la CDO a entendu des témoignages reflétant ces préoccupations, en ce qui concerne notamment la nécessité que le titulaire de REEI soit un procureur ou un tuteur nommé en vertu de la Loi sur la prise de décisions au nom d’autrui (LPDNA), une loi destinée à une application plus générale sur la gestion des biens.

Nous avons entendu le témoignage d’un adulte handicapé qui voulait donner procuration à l’égard des biens, mais qui a été informé par son avocat qu’il ne pouvait le faire parce qu’il n’en démontrait pas la capacité suffisante en vertu de la LPDNA[81]. Des parents, des frères et des sœurs ont refusé de présenter une demande de tutelle pour devenir les titulaires du REEI afin d’éviter à leur proche qu’il soit déclaré « incapable » de gérer ses biens[82]. D’autres membres de la famille ont été accueillis à la banque, de façon informelle dans un premier temps, mais ont par la suite rencontré des difficultés dans la gestion du REEI et dans leurs communications avec les administrateurs gouvernementaux parce qu’ils n’étaient pas légalement habilités en vertu de la LPDNA[83]. Un parent a décidé d’obtenir une ordonnance de tutelle du tribunal afin d’établir un REEI; toutefois, il s’est dévoué à cette tâche pendant plus de six mois, sans succès, en plus de prendre en charge des frais juridiques substantiels tout au long de ce processus[84].

Comme ces quelques exemples le démontrent, aucun des témoignages livrés par les participants aux consultations de la CDO n’est identique à un autre. Néanmoins, on peut dégager des thèmes communs concernant les types d’obstacles rencontrés par les personnes en Ontario. Ces personnes ont exprimé le désir de voir un autre processus être spécifiquement conçu pour les bénéficiaires de REEI. Ces questions seront abordées successivement ci-dessous.

 

1.     Il existe des bénéficiaires qui sont incapables d’octroyer une procuration pour désigner un titulaire de REEI

L’octroi d’une procuration découle d’un processus privé, rapide et autodéterminé qui devrait former le premier recours des adultes souhaitant désigner une personne à titre de titulaire de REEI. En Ontario, un adulte peut exécuter une procuration afin d’autoriser une autre personne à « faire, au nom du mandant, tout ce que pourrait faire ce dernier relativement à ses biens s’il était capable, à l’exception de son testament[85] ». Une procuration entre en vigueur immédiatement ou dès que se produit un événement que le mandant est en mesure de préciser lui-même, et, s’il s’agit d’une procuration « perpétuelle », elle restera en vigueur lorsque l’adulte sera déclaré incapable de gérer ses biens[86].

Les institutions financières ont signifié à la CDO que l’utilisation des procurations pour désigner les titulaires de REEI donne de bons résultats. Avec les procurations, il n’est pas toujours nécessaire qu’un adulte ait été déclaré formellement « incapable »; le personnel de l’institution peut être disposé à collaborer avec le procureur et le client, même après la nomination[87]. Une employée d’une banque a résumé comme suit sa pensée sur les procurations :

[traduction] « […] nous tentons d’expliquer à nos clients titulaires la différence entre une personne donnant procuration et une personne qui doit être déclarée incapable […] Il y a des clients qui donnent procuration quand ils voyagent à l’étranger. La procuration est un instrument très commun; en fait, c’est un outil informel de prise de décisions soutenue. Si vous [êtes un procureur et que vous] êtes en mesure de faire participer la personne qui a donné procuration à l’égard de la prise de décisions, c’est plus facile pour l’institution financière d’engager la discussion avec les deux membres du groupe […] Je pense qu’on peut renseigner les familles en leur disant que “la procuration est souvent un outil très précieux. Le processus de mise en place en consultant un avocat est simple et relativement peu coûteux.”[88] »

Certes, des critiques à l’égard du cadre ontarien des procurations dans les institutions bancaires et dans d’autres contextes peuvent être formulées. Nous avons soulevé certaines d’entre elles dans notre projet intitulé : Capacité juridique, prise de décisions et tutelle. Toutefois, le défi majeur qui a été évoqué à l’égard des procurations lors des consultations publiques de la CDO réside dans le fait que les adultes aux prises avec des problèmes majeurs quant à la prise de décisions ont été incapables de satisfaire aux exigences de la LPDNA qui leur permettraient de donner procuration[89].

Le critère de capacité pour donner procuration à l’égard des biens en Ontario est plus strict que dans de nombreuses provinces canadiennes. Le critère correspond à une liste détaillée d’exigences qui [traduction] « impliquent une connaissance réelle de la nature du bien du mandant et de sa valeur approximative, ainsi que la connaissance des risques et des fonctions spécifiques d’un procureur à l’égard des biens[90] ». La LPDNA se lit comme suit :

« Capacité de donner une procuration perpétuelle

8. (1) Une personne est capable de donner une procuration perpétuelle si :

a)      elle sait quel genre de biens elle possède et en connaît la valeur approximative;

b)      elle est consciente des obligations qu’elle a envers les personnes à sa charge;

c)      elle sait que le procureur pourra faire au nom de la personne, à l’égard de ses biens, tout ce que la personne pourrait faire si elle était capable, sauf faire un testament, sous réserve des conditions et restrictions énoncées dans la procuration;

d)      elle sait que le procureur doit rendre compte des mesures qu’il prend à l’égard des biens de la personne;

e)      elle sait qu’elle peut, si elle est capable, révoquer la procuration perpétuelle;

f)       elle se rend compte que si le procureur ne gère pas ses biens avec prudence, leur valeur pourrait diminuer;

g)      elle se rend compte de la possibilité que le procureur puisse abuser des pouvoirs qu’elle lui donne[91]. »

Le seuil déterminant la capacité de donner une procuration pour les soins personnels ne s’applique pas à la prise de décisions liée au REEI. Il illustre toutefois la rigueur relative du seuil propre à la gestion des biens. Une personne est capable de donner une procuration pour soins personnels si : 

« a)     elle est en mesure de comprendre si le procureur s’intéresse réellement à son bien-être;

b)     elle se rend compte qu’elle peut avoir besoin que le procureur prenne des décisions pour elle[92]. »

La CDO a reçu des mémoires exposant que les conditions d’octroi d’une procuration à l’égard des biens en vertu de la LPDNA tiennent compte des risques qu’un procureur puisse abuser de son autorité pour réaliser un gain financier personnel. En outre, ces mémoires démontrent que l’octroi d’une procuration est convenable lorsque tous les biens d’un adulte sont en jeu[93]. Des critères semblables pour l’octroi d’une procuration perpétuelle à l’égard de la gestion des biens ont été adoptés au Nunavut, dans les Territoires du Nord-Ouest et en Colombie-Britannique. La Law Reform Commission of Nova Scotia a récemment recommandé l’adoption d’un tel critère dans son ressort territorial[94].

Néanmoins, les participants à nos consultations ont reconnu que les exigences de la LPDNA pourraient être impossibles à rencontrer pour les adultes les plus touchés par ce projet en raison de leurs besoins particuliers, en plus de la complexité du REEI comme véhicule d’investissement financier. Par conséquent, les bénéficiaires peuvent être incapables de désigner personnellement un titulaire de REEI, de sorte que la demande de tutelle est leur seule option pour établir un REEI.

 

2.     Les exigences relatives à la demande de tutelle sont démesurées par rapport à la nomination d’un titulaire de REEI

En Ontario, tous les adultes sont présumés capables de prendre des décisions par eux-mêmes[95]. La tutelle est un moyen de dernier recours qui est généralement réservé aux cas où les mécanismes de soutien informels d’un adulte ne peuvent répondre à ses besoins, où ce dernier n’a pas de procuration ou ne peut en accorder une, et où la procuration est inadaptée. Seuls les adultes déclarés légalement incapables de gérer leurs biens par des professionnels mandatés pour le faire sont passibles d’être soumis à la tutelle. La Cour supérieure de justice a conclu qu’une personne [traduction] « a la capacité mentale lorsqu’elle est capable de prendre elle-même ses décisions avec l’aide d’une autre personne[96] ». En fait, la LPDNA interdit aux tribunaux de désigner un tuteur si une « autre ligne de conduite » satisfait aux besoins d’un adulte de manière à ne pas requérir une déclaration d’incapacité et « est moins contraignante […] en ce qui a trait aux droits qu’a la personne de prendre des décisions[97] ».

Les usagers ciblés par le processus simplifié recommandé par la CDO dans le présent projet sont les adultes qui n’ont pas encore nommé un procureur ou un tuteur pour tenir lieu de titulaire de REEI. Bon nombre de ces adultes gèrent leurs finances avec un certain degré d’autosuffisance, en ce qui concerne par exemple les opérations bancaires courantes, ou profitent de soutien offert à la maison, par le réseau d’amis ou par des fournisseurs de services. Par exemple, les participants aux groupes de discussion de la CDO se composaient d’adultes handicapés qui travaillent de concert avec un fiduciaire du POSPH pour gérer leurs paiements. Les familles ont également décrit des outils personnels de planification financière, comme les fiducies Henson. On nous a dit que la combinaison créative de ces mécanismes novateurs a fait en sorte qu’avant de tenter d’établir un REEI, des adultes n’ont pas connu de situations nécessitant la demande formelle de la mise sous tutelle[98].

Le REEI confronte ces personnes à un dilemme. Dans un mémoire conjoint présenté par l’Association canadienne pour l’intégration communautaire, Intégration communautaire Ontario et PooranLaw, cela est expliqué comme suit :

« Les personnes avec une déficience intellectuelle et leur famille mentionnent souvent que les obligations d’avoir la capacité de conclure un contrat et d’être légalement autorisées à contracter un [REEI] empêchent les bénéficiaires admissibles de le faire. Bon nombre sont déchirés; ils doivent choisir entre leur désir d’assurer la sécurité financière de leur proche et la stigmatisation et la restriction des droits fondamentaux à la liberté qu’ils savent inévitables lorsque le proche fait officiellement l’objet d’une ordonnance de tutelle ou qu’un mandataire est officiellement nommé[99]. »

 

Déterminer la capacité d’un adulte

Les participants ont invoqué différentes raisons pour exprimer leurs inquiétudes envers la tutelle. La raison invoquée par l’ACIC, par ICO, par PooranLaw et par les personnes qu’ils représentent a trait à la manière dont le concept de la « capacité » est perçu et appliqué en droit.

En Ontario, un adulte est présumé « incapable de gérer ses biens [s’il] ne peut pas comprendre les renseignements qui sont pertinents à la prise d’une décision concernant la gestion de ses biens, ou [s’il] ne peut pas évaluer les conséquences raisonnablement prévisibles d’une décision ou d’une absence de décision[100] ». Cette définition de la capacité repose sur une soi-disant « approche cognitive » qui consiste à évaluer le processus de raisonnement pour en arriver à une décision particulière. On considère que l’approche cognitive [traduction] « cadre bien avec le principe selon lequel une personne a le moins de restrictions possible […] étant donné qu’il englobe une approche proportionnelle ayant une intrusion minimale sur l’autonomie décisionnelle[101] ».

La définition de la capacité de la LPDNA rejette l’hypothèse nettement tranchée selon laquelle les personnes handicapées n’ont pas la capacité d’agir de façon autonome et ont besoin de protection. L’approche cognitive permet aux personnes de prendre des décisions qui comportent des risques, que d’autres pourraient juger imprudentes. De plus, elle s’adapte aux capacités variables et propres à des questions précises en restreignant l’attribution de l’incapacité à des questions particulières du processus décisionnel, à travers, par exemple, la distinction entre la gestion des biens et les soins personnels[102].

Malgré les avantages couramment perçus de la promotion de l’autonomie par l’approche cognitive, la définition de la capacité donne lieu à des débats passionnés, tout comme celle de savoir si le fait de désigner une personne « incapable » devrait, ou ne devrait pas, servir de fondement aux arrangements relatifs à la prise de décisions.

Le Comité des droits des personnes handicapées (le Comité), qui veille à la mise en œuvre de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, a mis en évidence la stigmatisation et l’effet préjudiciable engendrés par le concept de capacité et sa négation des droits fondamentaux [traduction] « de nombreux groupes au cours de l’histoire, dont les femmes (particulièrement après le mariage) et les minorités ethniques[103] ». Selon le Comité, [traduction] « les personnes handicapées restent le groupe dont la capacité juridique est la plus souvent bafouée dans les systèmes judiciaires du monde entier » et parmi ces gens, ceux ayant des troubles cognitifs et de santé mentale sont touchés de manière disproportionnée[104]. Ce comité est devenu une tribune mondiale de discussion sur le rôle des gouvernements dans la prestation de services et sur l’élaboration de compromis pour les personnes recherchant du soutien pour exercer leur capacité sans avoir recours à un substitut pour la prise de décisions, en ce qui concerne notamment les occasions, les contraintes et les risques d’exploitation.

Dans le cadre du présent projet, la CDO a entendu les témoignages de membres de la famille de personnes souffrant de déficience intellectuelle qui remettent en question les exigences en matière de « compétence » découlant la LIR. Ils contestent également le cadre juridique de l’Ontario, où une déclaration d’incapacité est une condition préalable à la nomination d’un titulaire de REEI pour les bénéficiaires qui sont incapables de donner procuration. Par conséquent, ces membres de la famille ont refusé de présenter une demande de tutelle afin d’établir un REEI[105].

D’autres participants à nos consultations, y compris des membres de la famille, des organismes communautaires et des juristes n’ont pas émis d’opinions très tranchées sur le sujet ou ils semblaient en faveur du critère de capacité pour nommer un substitut à la prise de décisions[106]. Il a été reconnu que la communauté « est divisée[107] ». L’Advocacy Centre for the Elderly a endossé la définition de la capacité de l’Ontario dans un mémoire présenté à la CDO qui se lit comme suit :

[traduction] « L’ACE reconnaît que la capacité cognitive crée une barrière à l’accès au REEI, comme elle le fait dans d’autres occasions pour les adultes jugés incapables de gérer leurs biens et leurs finances. Toutefois, l’ACE reconnaît aussi que, dans certaines circonstances, cette barrière est « un mal nécessaire » pour éviter l’exploitation et l’insécurité financière. L’ACE croit que la capacité cognitive établit un fondement raisonnable et légitime pour évaluer l’effet juridique des décisions, tout en reconnaissant qu’un seuil cognitif précis doit être délicatement [façonné] pour chaque type de décision, afin qu’elles soient le moins restrictives possible[108]. »

Notre Document de discussion revient plus en profondeur sur le concept de capacité et sur l’interprétation de la CDPH (consultez les chapitres II.B.3, « Qu’est-ce que la capacité? Concepts de base et tensions », et IV.B.4, « Convention relative aux droits des personnes handicapées » dans le Document de discussion). Ces questions sont également abordées dans notre projet intitulé : Capacité juridique, prise de décisions et tutelle.

 

Les aspects procéduraux de la présentation d’une demande de tutelle

La plus grande préoccupation exprimée dans presque tous les groupes de discussions et entretiens de la CDO touche aux aspects procéduraux de la présentation d’une demande de tutelle : les processus de présentation de la demande en Ontario ont été décrits comme extrêmement fastidieux, coûteux et chronophages pour les personnes qui souhaitent simplement établir un REEI.

Un membre de la famille d’un adulte handicapé a indiqué à la CDO ce qui suit : 

[traduction] « […] on devrait présenter le REEI en vous disant : “Êtes-vous prêt à ce que la Cour désigne un tuteur? Êtes-vous prêt à ce que le système judiciaire gère vos affaires? Si vous êtes prêt à franchir toutes ces étapes, nous avons un REEI pour vous” […] [O]n vous annonce que vous êtes admissible au REEI et tout de suite vous vous dites : “c’est merveilleux, je dispose finalement d’un véhicule pour y mettre mon argent, et je sais qu’à un certain âge je pourrai le retirer” […] Puis, vous réalisez que tout cela est nécessaire pour continuer à cheminer dans le système […] C’est très, très difficile[109]. »

Il y a deux façons de présenter une demande de tutelle à l’égard des biens en Ontario : présenter une demande d’évaluation de la capacité pour la tutelle légale ou obtenir une ordonnance du tribunal. Toute personne peut demander à la Cour supérieure de justice de nommer un tuteur pour un adulte trouvé incapable par un juge de gérer ses biens. La LPDNA prévoit que le tribunal peut « subordonner la nomination aux autres conditions que le tribunal juge appropriées[110] ». Ainsi, la demande peut se limiter à désigner un tuteur qui prendra les décisions concernant le REEI uniquement, et non pas tous les biens de l’adulte. Cela imposerait une tutelle « partielle », une façon reconnue de réduire le caractère intrusif des ordonnances de tutelle dans la province[111].

Les procédures judiciaires peuvent toutefois être complexes pour les parties non représentées et coûteuses pour celles qui font appel à un avocat. La CDO a appris que les honoraires des avocats pour les demandes de tutelle entendues à Toronto peuvent varier entre 8 000 $ et 20 000 $ pour une nomination non contestée, selon la complexité de l’affaire[112]. Le père d’un adulte handicapé d’Ottawa a déclaré à la CDO qu’il avait payé environ 5 000 $ pour une ordonnance accordée en procédure sommaire, sans qu’une audience devant un juge soit nécessaire. Il a noté que ces coûts, « ce n’est pas forcément un problème pour nous… mais ça peut l’être pour des familles qui sont à faibles revenus[113] ».

Le processus de nomination aux fins d’une tutelle légale en Ontario propose une façon simplifiée de devenir tuteur aux membres des familles sans qu’il soit nécessaire d’obtenir une ordonnance du tribunal. Cette mesure a été proposée pour faciliter l’accès [traduction] « dans les cas où l’incapacité d’une personne ne laissait planer aucun doute et où cette dernière ne s’opposait pas à l’idée d’avoir un [tuteur][114] ». Cela consiste à présenter une demande au Bureau du Tuteur et curateur public de l’Ontario (BTCP) après qu’un professionnel qualifié indépendant, appelé un « évaluateur de la capacité », ait établi que l’adulte est incapable. Les évaluations de la capacité pour la tutelle légale sont volontaires, se déroulent dans la communauté et peuvent coûter moins de 1 000 $ pour l’ensemble du processus[115].

Les nominations aux fins d’une tutelle légale peuvent être simples; toutefois, on procède rarement à ce type de nomination pour la tutelle partielle. Par conséquent, des adultes handicapés ayant vécu dans le passé de manière indépendante ou avec le soutien nécessaire pour gérer leurs affaires pourraient se retrouver, après la nomination, avec non seulement un titulaire de REEI, mais avec aussi un tuteur détenant une autorité pleine et entière sur la gestion de leurs biens.

Il est aussi possible que la présentation de la demande de nomination aux fins d’une tutelle légale auprès du BTCP soit excessivement onéreuse puisqu’elle revêt une portée relativement large. Le demandeur ou la demanderesse doit préparer un plan de gestion détaillé des biens de l’adulte et des éléments complexes (comme les difficultés à préparer la demande ou les conflits familiaux) qui peut entraîner une prolongation du processus ou faire en sorte qu’il se règle devant un juge[116].

Il est important de se rappeler que les étapes procédurales décrites ci-dessus sont destinées à l’ensemble des adultes sous tutelle, qui peuvent avoir des actifs modestes ou importants. Elles sont destinées à s’assurer que des demandeurs appropriés obtiennent le statut de tuteur à l’égard des biens afin de protéger les adultes contre ceux qui pourraient abuser de leurs pouvoirs. En outre, elles ont pour but d’empêcher que les personnes soient privées de leur autonomie dans des situations d’abus de procédure.

Dans son projet de plus grande envergure intitulé : Capacité juridique, prise de décisions et tutelle, la CDO examine les questions entourant l’accessibilité des processus de nomination en Ontario et les possibilités liées à la tutelle partielle. La CDO a entendu de nombreux témoignages établissant, dans le cadre du présent projet sur le REEI, que les exigences en matière de procédure de demande de tutelle, en vertu de la loi existante, sont démesurées par rapport à la nomination d’un titulaire de REEI, qui peut faciliter l’accès à ce programme social.


B.  La nécessité d’un moyen simple de désigner une personne de confiance

[traduction] Votre nouveau projet de loi doit être rédigé en gardant à l’esprit que cette majorité silencieuse est capable de soutenir un membre de leur famille ou à un ami ayant un handicap plus facilement et de manière plus économique, et qu’elle mérite d’être autorisée à le faire avec aussi peu d’intervention gouvernementale ou d’interférence extérieure que possible[117].

La majorité des adultes handicapés et leurs familles et amis ont décrit ce qu’ils souhaiteraient voir se dégager du projet de la CDO en termes de simplicité, de caractère informel et de protection de la vie privée. Nous avons discuté précédemment de quelques-uns des outils que la communauté des personnes handicapées utilise comme méthodes courantes pour déléguer la gestion des actifs sans la nomination d’un procureur ou d’un tuteur. Dans nos groupes de discussion, la CDO a rencontré plusieurs familles qui « se sont débrouillées » pour prendre des décisions avec leurs enfants, leur frère ou leur sœur ou l’ont fait en leur nom en dehors du cadre de la LPDNA. On nous a souvent demandé pourquoi un processus « formel » ou « juridique » était nécessaire pour les REEI, par opposition aux actifs, tels que les paiements du POSPH, l’argent dans une fiducie privée et le financement individualisé des services en matière de déficience intellectuelle[118].

La LIR exige qu’un titulaire de REEI soit une personne légalement autorisée. Toutefois, les fiduciaires du POSPH, les fiducies privées et d’autres modalités qui autorisent quelqu’un à gérer les finances d’un adulte sont également fondés en droit. La Loi de 1997 sur le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, ses règlements et les Directives pour le soutien du revenu permettent l’existence des fiduciaires du POSPH[119]. Les fiducies privées sont réglementées en vertu de la common law et des lois, par exemple la Loi sur les fiduciaires[120]. En outre, la Loi de 2008 sur les services et soutiens favorisant l’inclusion sociale des personnes ayant une déficience intellectuelle détermine qui peut demander, recevoir et administrer du financement individualisé pour une personne ayant une déficience liée au développement[121].

La particularité de ces exemples n’est pas qu’ils sont moins juridiques, mais peut-être qu’ils semblent moins formels. Par exemple, des parents ont déclaré qu’ils avaient peu de difficulté à devenir un fiduciaire du POSPH parce qu’ils pouvaient rencontrer un travailleur en service social et que leur nomination pouvait être confirmée sans procédure ou retard excessif. Bien qu’elles soient coûteuses, on qualifiait les fiducies privées de rapides et faciles à mettre en place avec les services professionnels d’un avocat[122].

De nombreuses familles dans la communauté des personnes ayant une déficience intellectuelle ont également expliqué avoir formé des « cercles d’amis » et des « réseaux de soutien personnel » qui prennent des décisions en collaboration tout en tenant compte des commentaires et des intérêts d’un adulte. Ces réseaux communautaires sont constitués de membres de la famille, d’amis et de prestataires de services de confiance, dont certains peuvent avoir l’autorisation légale de prendre des décisions au nom de l’adulte dans un domaine précis. Les réseaux communautaires peuvent devenir des entités sans but lucratif — appelées [traduction] « microcomités » en Colombie-Britannique et « Arohas » en Ontario — et peuvent conclure des ententes contraignantes avec les organismes gouvernementaux, pour gérer le financement individualisé[123].

Les participants à nos consultations ont exprimé leur appui à un processus simplifié pour les REEI, qui mettrait en pratique les leçons tirées de ces expériences, en mettant l’accent sur les moyens de désigner une personne ayant une étroite relation de confiance avec le bénéficiaire. Maintenir au centre du processus des personnes adultes souffrant d’un handicap, avec la participation de leurs réseaux communautaires, a été présenté comme un moyen de juger du caractère approprié du représentant légal REEI et également de se prémunir contre le risque d’exploitation financière[124].

 

C. Les préoccupations des tiers intéressés

Dans son document de consultation sur l’examen des REEI, le gouvernement fédéral a recommandé que toute proposition de rechange envisagée par les provinces et les territoires pour la nomination d’un représentant légal REEI « devra être examinée sous l’angle des coûts, de la faisabilité administrative, de la responsabilité légale, de la surveillance et de la responsabilisation[125] ». Les difficultés dont la CDO a pris connaissance dans le cadre de ses propres consultations constituent des problèmes importants pour les tiers intéressés de l’Ontario qui facilitent la participation aux activités d’un REEI, notamment les institutions financières et le gouvernement de l’Ontario.

Bien que le produit soit complexe, les institutions financières l’offrent de leur propre gré. Elles l’offrent parce que cela améliore leur image de marque, mais également parce que des clients non admissibles et certains de leurs propres employés comptent parmi les familles et amis de personnes ayant une déficience[126]. Les institutions financières consacrent du temps et des efforts pour administrer les REEI, et elles doivent disposer de solutions pour surmonter les difficultés auxquelles elles sont confrontées. En ce qui concerne le projet de la CDO, cela signifie que les institutions financières doivent être à l’aise avec un processus de rechange visant à nommer un représentant légal REEI.

Le fait pour les institutions financières d’être à l’aise se traduit par la certitude qu’elles pourront s’en remettre à un nouveau processus valide en vertu de la loi, dans le cadre duquel un représentant légal REEI est autorisé à agir relativement au REEI (à titre de volet particulier de la gestion financière) et qu’elles ne seront pas tenues responsables des décisions prises par le représentant légal REEI en cas de perte ou de différend[127].

De plus, les institutions financières partagent la volonté du gouvernement de l’Ontario quant à la mise au point d’un processus tenant compte des contraintes opérationnelles et liées aux ressources. Les participants aux consultations de la CDO ont insisté sur le fait que l’objet du présent projet était la création d’un mécanisme pratique qui pourrait servir sur le terrain. Cela signifie que toute mesure de réforme du droit doit être accessible, rentable et faisable sur le plan administratif[128].

De façon plus particulière, les contraintes liées aux ressources influent grandement sur la mise en œuvre de la loi en vigueur dans ce domaine et elles continueront d’avoir une incidence sur le système aux termes de toute réforme du droit. La CDO comprend qu’il est peu probable, dans le climat économique actuel, que le gouvernement de l’Ontario dispose d’importantes ressources à injecter dans le système. Notre intention est de faire en sorte que les recommandations du présent projet répondent aux attentes des consommateurs individuels qui utiliseront un processus éventuel, mais aussi que le coût supplémentaire imposé à ceux qui l’administreront demeure peu élevé.

 

 

 

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