A. Remarques d’ordre général

 

Les consultations de la CDO sont généralement ouvertes à tous, et mettent l’accent sur les personnes qui vivent ou qui travaillent en Ontario, ou qui ont une expérience ou une expertise pertinente en ce qui touche la province. Comme à l’accoutumée, les consultations constituent l’occasion pour la Commission de recueillir de l’information pour étayer son processus de recherche, mais aussi pour nouer des relations qui améliorent sa capacité à apporter des réponses à l’ensemble de la population ontarienne, dans toute sa diversité.

 

La CDO s’est essentiellement appuyée sur son document de consultation pour inviter la population à participer et expliciter le projet touchant le système de justice familiale. Ce document a été transmis à une liste d’environ 200 personnes et groupes intéressés par la question, avec lesquels la CDO était entrée en contact lors de la phase de recherche préliminaire ayant abouti au choix de ce projet spécifique. Le document de consultation a également été publié sur le site Web de la CDO, en même temps qu’une enquête en ligne qui a permis aux participants de répondre aux questions de recherche ainsi soulevées. Pendant toute la période de consultation, la responsable de projet a collaboré étroitement avec la coordonnatrice des relations communautaires, ainsi qu’avec d’autres personnes, pour organiser des activités de communication et solliciter la participation des parties intéressées pour d’obtenir différents points de vue sur le projet. Les enjeux relatifs au droit de la famille ont suscité l’intérêt de nombreuses personnes et de nombreux groupes, qui ont spontanément décidé de nous transmettre leurs commentaires. La CDO tenait particulièrement à recueillir l’opinion des utilisateurs du système, ainsi que des personnes travaillant dans ce secteur.

 

B. Communiquer avec les utilisateurs

 

Pour la Commission, il est essentiel de connaître le point de vue des personnes amenées à utiliser le système. Le terme « utilisateurs » fait référence aux personnes qui font face à des difficultés d’ordre familial, et qui tentent de trouver des solutions à ces problèmes par le biais du système de justice familiale. La CDO a pu mener sept entretiens individuels avec sept utilisateurs (deux en tête à tête et cinq par téléphone) et avec cinq groupes composés en moyenne de six utilisateurs (deux en tête à tête et deux par téléphone). Elle a également organisé trois réunions physiques avec des groupes composés d’utilisateurs et de personnes travaillant dans le secteur de la justice familiale. Ces entretiens représentent près d’un tiers des échanges organisés dans le cadre du processus de consultation. En outre, 30 utilisateurs et travailleurs ont répondu à notre enquête en ligne. La CDO a ainsi pu inclure à son étude des expériences directement vécues par des utilisateurs.

 

Une méthode s’est révélée particulièrement efficace pour approcher les utilisateurs : il s’est agi de demander aux travailleurs du secteur de la justice familiale de communiquer avec les utilisateurs qu’ils connaissaient personnellement, et, en cas de réponse positive de la part de ceux-ci, de les recommander à des fins d’entretien avec la CDO. Les travailleurs du secteur de la justice familiale ont également constitué eux-mêmes des groupes d’utilisateurs dans lesquels la responsable de projet est intervenue.

 

Ce processus de mise en relation par l’intermédiaire des travailleurs a permis d’obtenir des données de la part des utilisateurs, mais a également révélé un intérêt considérable pour le projet concernant le système de justice familiale. Il a démontré à quel point il était essentiel pour les travailleurs de ce secteur de nouer des relations de confiance avec les utilisateurs. La CDO a constaté que certains utilisateurs étaient disposés à participer à la consultation et à nous faire part de leur expérience parce qu’ils faisaient confiance aux travailleurs impliqués, que ces travailleurs exercent auprès des communautés ou au sein d’un cabinet privé. Cette confiance accordée à un travailleur ou à un organisme a constitué l’élément clé qui a permis aux utilisateurs de se rassembler et de partager leur expérience respective au-delà de leurs différences. Il est intéressant de noter que des groupes de personnes qui peuvent éprouver des difficultés à avoir des conversations entre elles sont capables de se réunir dans un espace neutre pour débattre de thèmes essentiels grâce aux relations de confiance instaurées par des tiers. Par exemple, lors d’une réunion organisée entre des personnes des deux sexes, dont certaines avaient été exposées à de la violence familiale et d’autres avaient été accusées – à tort ou à raison – d’actes de violence familiale (dans des situations évidemment non liées), nous avons pu constater que ces personnes parvenaient à établir un dialogue respectueux. Dans un autre exemple (une réunion de consultation impliquant uniquement des femmes victimes de violence familiale), la consultation a été fructueuse en raison de la confiance régnant entre ces femmes et les travailleurs à l’initiative de la rencontre, mais aussi parce que ces femmes avaient vécu une expérience similaire et pouvaient s’identifier les unes aux autres en raison de leur appartenance au même sexe.

 

C. Communiquer avec les travailleurs

 

De nombreux travailleurs se sont manifestés spontanément pour débattre sur le projet visant le système de justice familiale. La CDO a consulté des travailleurs du secteur juridique (personnes travaillant auprès des services juridiques communautaires, commis au soutien juridique, avocats, médiateurs, arbitres et juges) et d’autres domaines (intervenants auprès de programmes d’appui transitoire, travailleurs sociaux, thérapeutes, conseillers financiers, personnes chargées des visites surveillées, interprètes et agents de police). Le réseau de cliniques d’aide juridique de la province a été d’une aide précieuse pour entrer en relation avec ces travailleurs dans de très nombreuses régions, en dehors de Toronto et d’Ottawa. De nombreuses associations ou groupes communautaires ont organisé des réunions de consultation auxquelles ils ont convié leurs membres. Pour résumer, la CDO a organisé 17 entretiens individuels avec des travailleurs, dont sept en face à face et dix par téléphone. Elle a également arrangé 17 entretiens en groupe, dont dix en face à face, trois par téléphone et quatre en face à face, avec intervention d’autres personnes par conférence téléphonique. Au total, la CDO a mené 34 réunions de consultation avec des travailleurs.

 

En marge des réunions de consultation de la CDO, l’ABO et l’Institut d’arbitrage et de médiation de l’Ontario ont invité notre responsable de projet à prendre part à leur sommet de novembre 2009[2], ce qui a donné à la CDO la possibilité d’évoquer son projet avec d’autres parties prenantes.

 

D. Clarification des concepts et de la terminologie

 

Une partie de l’approche adoptée par la CDO a consisté à établir des termes de recherche clés. Ces termes font l’objet d’une description dans le document de consultation et portent sur des domaines tels que le processus de justice familiale, les points d’entrée, les utilisateurs et les grappes de problèmes, ainsi que les travailleurs et les problèmes de cloisonnement. Les consultations ont permis à la CDO de tester si son emploi de certains concepts s’inscrivait dans une logique similaire à celle utilisée par une grande variété d’utilisateurs et de travailleurs, afin de veiller à ce que ses recommandations soient formulées dans un langage compréhensible. Les réponses fournies par les personnes ayant pris part au processus de consultation ont parfois conforté nos choix conceptuels, mais nous ont également parfois contraints à définir plus précisément le vocabulaire que nous avons choisi d’employer. Ces discussions terminologiques ont également permis à la CDO d’identifier certains enjeux évoqués dans la troisième partie de ce document. Les principaux concepts abordés étaient les suivants : famille, enjeux et problèmes familiaux, et points d’entrée.

 

1. Famille

 

 

Le document de consultation prend acte du fait que les perceptions liées au concept de « famille » ont évolué au cours des décennies écoulées. Nous avons donc délibérément laissé les participants au processus de consultation définir eux-mêmes cette notion. Toutefois, comme lors de toute tentative visant à prendre en compte la pluralité des modèles familiaux, il existe toujours le risque d’être trop général, ou au contraire, trop spécifique. Une approche généraliste favorise l’inclusion; en revanche, elle peut également laisser de côté certaines réalités. Une approche spécifique met l’accent sur une réalité donnée. Elle peut empêcher d’avoir une vision générale et inclut des réalités qui n’ont pas encore été reconnues ou qui sont ignorées. Un exemple de ce risque est survenu pendant une réunion de consultation avec un groupe LGBTQI (personnes lesbiennes, bisexuelles, gaies, transgenres, queer et intersexuées).

 

Cette consultation a révélé que le fait d’évoquer le concept de « famille » en adoptant des termes généraux ne suffisait pas à mettre en évidence les réalités auxquelles ce groupe est confronté. L’absence de référence spécifique aux foyers homosexuels (et aux difficultés vécues par les familles LGBTQI qui souhaitent avoir des enfants ou en ont déjà) donnait à ce groupe l’impression d’être invisible dans le cadre du processus de consultation. Autrement dit, certains membres de la communauté LGBTQI étaient convaincus que, pour être plus inclusif, le concept de « famille » devait être redéfini de façon plus spécifique. Cette situation est largement due à une tendance historique forte qui voit la cellule familiale comme une unité hétérosexuelle associée à des rôles strictement définis en fonction du sexe. Étant donné que dans le cadre de cette étude, l’objectif de la CDO n’est pas de donner une définition exhaustive du terme « famille », nous utiliserons des exemples spécifiques pour illustrer à quel point ce terme devrait être plus inclusif.

 

2. Enjeux c. problèmes

 

 

Les consultations nous ont offert de nombreuses possibilités : d’une part, elles ont permis d’étudier le concept de « famille » et d’explorer des modèles familiaux spécifiques; d’autre part, elles ont souligné à quel point il était essentiel de faire une distinction entre les concepts d’« enjeu » et de « problème ». Le document de consultation différencie ces deux concepts. Les enjeux sont définis comme étant des difficultés moins sérieuses – bien que souvent complexes – tendant à se manifester lors d’événements heureux (au moment de s’installer ensemble, par exemple). Les problèmes sont des difficultés plus sérieuses qui interviennent quand les choses tournent mal (par exemple, lors d’une procédure de divorce à l’issue d’un mariage ayant impliqué des violences conjugales; ou encore lorsqu’un couple homosexuel tente d’avoir des enfants et doit faire face à une discrimination). Le fait d’établir une distinction entre les enjeux et les problèmes a permis à la CDO d’inscrire son approche de la justice familiale dans un cadre plus large et de mettre davantage l’accent sur la prévention et l’intervention précoce.

 

Pendant les consultations, l’emploi du terme « enjeu » a permis d’attirer l’attention sur des difficultés que les familles ne voient pas nécessairement comme une source de problèmes potentiels. Parmi les exemples d’enjeu, on peut citer le fait de prendre des décisions en toute connaissance de cause – ouvrir un compte joint, consacrer quelques heures par semaine à un programme d’aide, etc. Quand l’accent est mis sur les « problèmes », le cadre juridique et les risques impliqués par la non-résolution de ces enjeux peuvent ne pas être aussi visibles qu’ils devraient l’être afin de prévenir de futurs problèmes. D’après les personnes ayant participé au processus de consultation, cette absence de sensibilisation ou l’incapacité à identifier les enjeux familiaux rejoignent une difficulté plus vaste, celle de la « vulgarisation juridique ». En effet, quand ces risques ne sont pas identifiés et qu’aucune mesure n’est prise pour les prendre en compte, ils risquent de se transformer en disputes familiales dévastatrices. Par exemple, les conséquences de certains modèles familiaux conçus selon le sexe sont bien connues : si une femme quitte la population active pendant un certain temps, elle risque d’avoir des difficultés à retrouver un emploi par la suite; si un homme ne participe pas aux soins des enfants, il aura du mal à établir une relation avec eux plus tard[3]. Comme l’indiquait pendant les consultations une travailleuse en santé mentale et médiatrice, si, tout au long d’une relation à long terme, les attentes ne sont pas claires, le prix à payer pour résoudre ce conflit peut être élevé. Du point de vue de la réforme du droit, une partie de la difficulté consiste à élaborer un cadre juridique capable d’aborder les « problèmes » familiaux tout comme les « enjeux » auxquels les familles font face, et ce, à de nombreux stades de leur développement. Ce cadre juridique serait également plus efficace s’il prenait en compte la « loi » qui règne au sein de la famille, et pas simplement la loi de l’État. Les consultations ont révélé qu’en règle générale, la justice familiale n’avait pas encore fait ses preuves comme outil de prévention. Il reste encore beaucoup à accomplir avant que les « enjeux » familiaux deviennent partie intégrante de notre cadre juridique. Pour les raisons évoquées ci-dessus, la CDO continuera donc à faire la distinction entre « enjeux » et « problèmes ».

 

3. Points d’entrée

 

 

Les consultations ont également permis de clarifier la notion de « point d’entrée ». Les participants ont constaté une différence évidente entre un point d’entrée « auquel une personne s’adresse en premier lieu en cas de difficulté familiale » (« catégorie 1 ») et un point d’entrée « qui permet vraiment de résoudre cette difficulté » (« catégorie 2 »). Les consultations ont prouvé que malheureusement, les points d’entrée de catégorie 1 étaient plus répandus que les points d’entrée de catégorie 2. Une partie du projet de la CDO consiste à évaluer comment transformer la catégorie 1 en catégorie 2. Dans les cas où cela s’avère impossible, nous pourrons explorer différentes façons d’orienter les personnes concernées vers les points d’entrée de catégorie 2, pour leur éviter de se retrouver à des endroits qui ne leur permettront pas de régler leurs difficultés. Pour atteindre ces objectifs, il convient de mieux comprendre les besoins des différents utilisateurs, de choisir des modèles de prestation de services appropriés, de mieux former et informer sur les services familiaux et de mettre en place des mécanismes pour contrôler la qualité de ces services – ce qui n’est évidemment pas une tâche aisée.

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