Les consultations ont mis en exergue certains enjeux qu’il est important de prendre en compte, d’une part pour mieux comprendre les points d’entrée du système de justice familiale, d’autre part pour élaborer des recommandations visant l’amélioration des prestations de services fournies aux points d’entrée et de façon plus générale, celles proposées par le système de justice familiale. Premièrement, ces consultations ont clairement montré qu’il était important de reconnaître et de comprendre la dimension émotionnelle des enjeux et problèmes familiaux avant de se pencher sur les questions d’ordre juridique ou autre. Deuxièmement, elles ont permis à la CDO d’identifier des enjeux qui doivent être intégrés à la réflexion qui sous-tend la réforme du système de justice familiale. Troisièmement, elles donnent des exemples complémentaires de points d’entrée du système de justice familiale et permettent de mieux comprendre les points d’entrée déjà identifiés dans le document de consultation. Quatrièmement, elles donnent un éclairage sur l’expérience respective des utilisateurs et des travailleurs. Cinquièmement, elles explicitent les différents aspects de la prestation de services. Enfin, ces consultations ont permis de mettre en évidence des enjeux sous-jacents majeurs qui influenceront les recommandations finales de la CDO. Chacun de ces domaines sera exploré dans le reste de ce rapport.

 

A.  La dimension émotionnelle des enjeux et problèmes familiaux


Nous n’avons pas été surpris d’entendre les participants déclarer que les émotions jouent un rôle de premier plan en ce qui concerne les enjeux et problèmes familiaux. Les consultations ont confirmé que le niveau émotionnel impliqué dans la situation d’un utilisateur constituait un facteur important, dont il faut tenir compte pour résoudre l’enjeu ou le problème en question. Afin de fournir un meilleur éclairage sur le paysage émotionnel des difficultés familiales, la CDO a identifié les dimensions typiques associées aux enjeux et problèmes familiaux mis en évidence par les consultations :

 

1.    Enjeux touchant les parents


·         Un parent veut collaborer, l’autre non;

·         Un parent veut sauver le mariage ou la relation et l’autre non;

·         Les parents sont incapables de faire la distinction entre leur relation intime et leurs obligations parentales;

·         Les parents ne parviennent pas à voir la garde d’enfant et le soutien comme deux enjeux distincts; autrement dit, le montant versé par un parent au titre de la pension alimentaire n’a pas de relation avec le temps qu’il passe avec l’enfant; et

·         L’absence de relation avec son enfant est catastrophique pour un parent.

 

2.    Enjeux touchant les enfants


·         Les enfants veulent se faire entendre, mais ils ont l’impression que leur voix n’a aucune portée et aucun pouvoir face à celle des adultes, y compris leurs parents, les avocats, les conseillers et les juges;

·         Ils savent quand les choses tournent mal et comptent sur leurs parents pour régler leurs problèmes;

·         Ils éprouvent un sentiment de frustration quand celui de leurs parents qui a le plus besoin d’un suivi thérapeutique le refuse;

·         Ils sont en colère contre leurs parents;

·         Ils ont peur d’un parent agressif;

·         Ils sont troublés quand une partie de la famille parle dans le dos de l’autre;

·         Ils sont blessés quand ils ont l’impression que leurs parents ne se soucient pas d’eux;

·         Ils ressentent les émotions de leurs parents et sont convaincus qu’ils doivent les soutenir, « devenir le parent de leur parent »; et

·         Ils sont indignés par le montant des frais juridiques que leurs parents doivent verser.

 

3.    Autres enjeux


·         On peut avoir des attentes secrètes et très différentes à propos d’une relation intime, ce qui peut créer des enjeux et des problèmes;

·         Les membres de la famille doivent ajuster leurs attentes en fonction de la difficulté et du coût lié à la résolution de problèmes juridiques;

·         On voit encore d’un mauvais œil le fait d’avoir recours au droit pour planifier les finances familiales ou le soin des enfants; aujourd’hui, on fait surtout appel au droit pour résoudre les problèmes une fois qu’ils sont apparus;

·         Les personnes isolées sont celles qui sont confrontées au plus grand nombre d’enjeux et qui ont le plus besoin de réseaux de soutien pour surmonter un conflit familial; et

·         Les familles font rarement confiance aux professionnels parce qu’elles doutent que ceux-ci tentent d’assurer des services de qualité au coût le plus bas possible.

 

Il ne s’agit que de quelques exemples illustrant la dimension émotionnelle des enjeux et problèmes familiaux, et sa relation avec la prestation de services. Toutefois, les consultations ont révélé que la compréhension de telles dynamiques est essentielle pour prévenir et résoudre ces enjeux et problèmes. Les utilisateurs ont besoin que leurs émotions soient « validées » au cours du processus de résolution du conflit, et si l’appareil judiciaire n’est pas en mesure de jouer ce rôle, d’autres services doivent alors être mis en place pour répondre à ce besoin.

 

Aux yeux d’un conseiller et médiateur qui a participé au processus de consultation, les transformations émotionnelles sont nécessaires lorsqu’une personne fait face à des difficultés familiales. Ainsi, deux personnes mariées doivent se transformer en deux êtres distincts. Autre exemple : les mères qui sont le principal fournisseur de soins doivent s’habituer à ne plus être la principale personne s’occupant des enfants et à partager cette responsabilité avec l’autre parent. Il existe de nombreux scénarios possibles, mais si l’on se place sur le terrain de la santé mentale, il faut retenir que si une personne obtient gain de cause devant un tribunal sans être passée par une phase de deuil émotionnel, son problème ne sera pas résolu. Les consultations ont montré à quel point il était difficile de concilier le processus juridique et le deuil émotionnel. La plupart des professionnels interrogés par la CDO sont convaincus que deux éléments sont essentiels à l’amélioration du système de justice familiale : si possible, une approche qui favorise un processus collaboratif ou, au contraire et si nécessaire, une approche qui s’appuie sur le système juridique pour créer une distance entre les parties impliquées dans un conflit familial et fournir un soutien psychologique indépendant à chaque partie. Les consultations ont montré que tous les travailleurs impliqués dans la résolution d’enjeux et de problèmes familiaux, y compris les avocats, devaient constamment faire appel à leur jugement personnel.

 

B.  Facteurs à prendre en compte aux fins de la réforme


Les consultations ont permis d’éclairer la dimension émotionnelle des enjeux et problèmes familiaux. Elles ont aussi mis en exergue certains facteurs à prendre en compte lors de la réforme de la prestation de services aux points d’entrée et du système de résolution des conflits familiaux en Ontario. Parmi ces facteurs, certains concernent des difficultés sous-jacentes majeures affectant l’accès à la justice – on citera par exemple le manque de ressources. D’autres facteurs tiennent aux enjeux qu’affrontent les travailleurs, tels que les obstacles à la collaboration. Enfin, certains facteurs sont liés à des problèmes sociaux significatifs, comme la violence familiale. Ces facteurs orienteront le processus de réflexion de la CDO au cours de la dernière phase de recherche et de l’élaboration des recommandations.

 

1.    Manque de ressources

À l’échelon macroéconomique, de nombreuses suggestions intéressantes ont été formulées pour améliorer le système de justice familiale, par exemple en mettant en place des services à guichet unique ou en veillant à ce que les mêmes services judiciaires soient offerts dans toute la province. Toutefois, la mise en œuvre de tels services requiert des ressources. Au niveau microéconomique, les conséquences financières sont très importantes pour les utilisateurs, et les familles ne prévoient pas toujours ce type de dépenses. Elles passent d’une situation où les frais sont partagés à un contexte où chacun les finance individuellement. Les personnes à faible revenu voient leurs dépenses augmenter et les prestations de service diminuer, ce qui peut les conduire au sans-abrisme et perpétuer le cycle de la pauvreté. Les utilisateurs doivent également faire face aux coûts élevés impliqués par la résolution des conflits familiaux. La CDO a fait réaliser une étude afin d’obtenir une analyse coût-avantage des services de justice familiale. Ce document fournit de nombreux exemples illustrant les enjeux évoqués ci-dessus[4].

 

2.    Confidentialité


Personne n’apprécie que ses problèmes personnels ou familiaux soient exposés sur la place publique. La confidentialité est l’un des piliers de la confiance qui doit nécessairement s’instaurer entre des personnes tentant de résoudre des enjeux et problèmes familiaux.

 

Au cours des consultations, les professionnels de la santé mentale ont confirmé que la confidentialité constituait un réel besoin. Toutefois, ils reconnaissent que ce besoin est souvent en porte-à-faux avec le système juridique. Si l’on part du principe que toute thérapie permet de se confier dans un endroit sûr et d’explorer ses difficultés afin d’atteindre l’épanouissement personnel, il est difficile d’imaginer que quiconque puisse atteindre cet objectif si cette personne redoute que les propos tenus lors d’une séance puissent être répétés au tribunal, lors d’une audience ouverte à tous. De fait, les représentants d’un service de counseling ont mentionné qu’en trente ans d’existence, leur service n’avait eu affaire qu’une seule fois à un avocat ayant tenté d’assigner certains de ses travailleurs à témoigner. Dans un sens, grâce à sa réputation et à sa force de conviction, ce service a su imposer ses propres règles et travailler parallèlement au système judiciaire.

 

Les médiateurs se sont également exprimés sur l’enjeu représenté par la confidentialité. La médiation ouverte fait référence à un processus qui implique que tout ce qui est dit au cours de la médiation peut être réutilisé à l’audience. Dans le cadre d’une médiation sans divulgation, il est interdit de s’appuyer sur des déclarations ou des sujets évoqués lors d’un autre processus de médiation. Certains médiateurs, notamment ceux qui officient dans le domaine de la santé mentale, semblent préférer les médiations sans divulgation, car ils estiment que la confidentialité est un élément central du processus. Certains médiateurs sont également convaincus que, faute de confidentialité, le processus ne peut pas inspirer confiance aux différentes parties, puisque celles-ci ignorent les éléments qui feront l’objet d’une divulgation. Il existe généralement un consensus chez les utilisateurs en ce qui concerne les avantages des mécanismes confidentiels RED (règlement extrajudiciaire des différends). Ainsi, une utilisatrice résidant dans une petite ville a expliqué qu’à ses yeux, aller à l’audience était extrêmement difficile parce que cela impliquait de révéler devant tout le monde ses problèmes familiaux, ce qu’elle trouvait humiliant. Elle aurait préféré avoir accès aux mécanismes confidentiels RED.

 

Il faut toutefois rappeler que les règles qui régissent la conduite professionnelle de nombreux intervenants se contredisent souvent dès qu’il s’agit de confidentialité, ce qui empêche les professionnels de travailler main dans la main. La CDO a financé une étude qui explore cet aspect[5]. Il est également important d’admettre qu’il peut exister des raisons valables expliquant que les décisions judiciaires soient rendues publiques, notamment si la société dans son ensemble peut tirer parti de l’expérience d’autrui. La transparence de la prise de décisions permet également de préserver l’intégrité du système judiciaire. Il est donc très difficile d’atteindre le juste équilibre entre le besoin de confidentialité et le besoin de communiquer l’information. Cet aspect sera étudié de façon plus approfondie par la CDO au cours de sa dernière phase de recherche, sous un angle concernant plus spécifiquement les points d’entrée.

 

3.    Expertise


Les aspects judiciaires ne constituent souvent qu’une partie du processus de résolution des problèmes familiaux. Les professionnels du droit doivent donc savoir reconnaître que leur expertise a des limites. La question de l’expertise concerne tous les utilisateurs et travailleurs impliqués dans la résolution d’un conflit. Ainsi, bon nombre d’entre eux ont mentionné que les tribunaux ne possédaient pas l’expertise requise pour prendre en charge les enfants de façon appropriée. Il est évident que les juges et les avocats ne sont pas des experts en développement de l’enfant. Toutefois, ils sont néanmoins tenus de faire des plaidoiries concernant « l’intérêt de l’enfant », après avoir évalué cet intérêt. Les travailleurs sociaux et les professionnels de la santé ayant participé aux consultations ont expliqué que bien souvent, les professionnels du droit envisageaient cette notion sous un angle très simpliste. Selon eux, l’application du principe juridique visant à optimiser le contact avec les deux parents amène souvent les professionnels du droit à penser qu’« il est bon pour les enfants de voir leurs deux parents », sans connaître les conditions sociales et psychologiques nécessaires pour que ce contact soit effectivement bénéfique à l’enfant. À leurs yeux, la mise en œuvre des conditions permettant à l’enfant d’avoir une interaction positive avec un parent peut prendre un certain temps, et dans l’intervalle, « il n’est pas bon pour les enfants de voir leurs deux parents ». La question de l’expertise, particulièrement quand elle concerne les enfants, est extrêmement épineuse. Elle suscite des problématiques culturelles et peut également compromettre les relations entre les générations, comme on l’a notamment observé chez les communautés autochtones. Ces débats soulèvent la question suivante : est-il souhaitable que les aspects liés à la garde de l’enfant, à son soutien et à sa protection soient traités par un tribunal?

 

Si l’on envisage cette question sous l’angle des points d’entrée, on relève sans surprise que les interventions les plus précoces ont été effectuées par les réseaux les plus proches des familles, à savoir les proches et les amis. Les participants aux consultations estiment que si les membres de la famille ou les amis sont à même de constater l’enjeu ou le problème, et s’ils sont déterminés à fournir un soutien continu, leur intervention peut s’avérer salutaire. Une utilisatrice a ainsi confié que pendant trois ans, sa sœur l’avait accompagnée et examinait chaque document qu’elle devait signer. Dans ce cas de figure, le soutien d’un non-expert était judicieux et a permis à l’utilisatrice d’être conseillée avant de prendre des décisions cruciales pour l’évolution du processus de justice familiale.

 

Même si ces interventions sont souvent appréciées sur le plan émotionnel, la plupart des personnes qui se sont exprimées sur la question estimaient que ce soutien s’avérait insuffisant s’il n’était pas assorti d’une aide professionnelle. Tôt ou tard, l’importance de l’expertise se fait sentir. D’après les participants, bon nombre de leurs amis et des membres de leur famille connaissaient mal le système de justice familiale et se sont donc révélés incapables de les orienter vers le service juridique approprié. Selon les participants, les amis ou les membres de la famille leur ayant fourni les conseils les plus pertinents étaient ceux qui étaient avocats, ou qui connaissaient un avocat ou un autre professionnel du droit, et qui avaient réussi à organiser gratuitement un premier entretien en faisant appel à leur réseau de connaissances. Ce type d’immersion dans le système de justice familiale permet d’établir une relation de confiance et donne à l’utilisateur une impression favorable sur ce système. Par exemple, lors d’une consultation, une utilisatrice a indiqué que l’une de ses amies est psychothérapeute. Au début, elle était gênée à l’idée de solliciter son aide. Toutefois, le jour où elle a atteint un stade où sa santé mentale était en jeu, et faute de réponse immédiate de l’hôpital et d’autres professionnels, elle a appelé son amie, qui s’est révélée être la seule personne capable de lui fournir une aide rapide. Il est certain que les professionnels et les prestataires de services n’ont pas toujours la possibilité de répondre immédiatement aux urgences. En outre, le coût des services d’urgence et des services apparentés n’est pas à la portée de tous les utilisateurs. Ces services peuvent parfois constituer des points d’entrée efficaces. Néanmoins, quand aucun service n’est en mesure de répondre à la demande ou qu’il est inaccessible, les utilisateurs ont besoin d’autres options.

 

Aux yeux des participants, l’intervention d’un membre de la famille ou d’un ami est particulièrement utile quand cette personne :

 

·         sait reconnaître la dimension émotionnelle des enjeux et problèmes familiaux;

·         possède une connaissance du système de justice familiale qui lui permet de constater les difficultés et de proposer une réponse adéquate; et

·         connaît des professionnels capables d’intervenir dans ce domaine.

 

Bien sûr, il est rare que toutes ces conditions soient réunies. C’est la raison pour laquelle d’autres travailleurs qualifiés doivent fournir le support auquel de nombreuses personnes n’ont pas accès.

 

Les personnes participant au processus de consultation ont souligné que la médiation constituait un autre domaine où l’expertise était un enjeu. De nombreux avocats fournissent des services de médiation, mais c’est aussi le cas d’autres professionnels, comme les professionnels de la santé mentale. Comme nous l’avons mentionné précédemment, les participants estiment qu’il existe des difficultés en ce qui concerne les qualifications des personnes appelées à devenir médiateur, et, plus généralement, en ce qui concerne la réglementation de la médiation. La CDO s’est entretenue avec des médiateurs : certains d’entre eux étaient des spécialistes du droit de la famille; d’autres ne possédaient pas nécessairement d’expérience en la matière, mais étaient néanmoins convaincus de vouloir exercer dans ce domaine. Les avocats et les juges passent parfois d’une spécialité à une autre, ou exercent en tant que professionnels généralistes. Toutefois, les avocats et les juges, tout comme les membres d’autres professions réglementées, doivent respecter des codes de conduite plus stricts afin de garantir la qualité de la prestation de services. Les médiateurs qui proviennent de secteurs non réglementés ne sont pas soumis aux mêmes obligations professionnelles, ce qui provoque parfois des problèmes. Les participants ont néanmoins souligné qu’il existe de nombreux médiateurs familiaux très compétents en Ontario, et que si la médiation était mieux réglementée, mieux mise en avant et plus abordable, elle serait fort probablement utilisée plus fréquemment dans le cadre de la résolution des conflits familiaux.

 

4.    Services obligatoires ou volontaires


Quand les consultations ont évoqué l’accès à l’information ou aux services de justice familiale, une question est revenue fréquemment : quels sont les services qui doivent être imposés par la loi et quels sont ceux qui doivent être optionnels? Les professionnels de la santé mentale ont confirmé qu’il n’était pas réaliste de penser que quelqu’un pouvait être forcé à suivre une thérapie[6]. Selon eux, le counseling doit être un processus volontaire, mais il doit être mieux expliqué et mieux intégré aux autres services proposés par le système de justice familiale. La médiation obligatoire fait également beaucoup de sceptiques. La médiation est en effet un processus qui ne peut fonctionner que si les deux parties sont déterminées à régler leurs problèmes elles-mêmes, en étant encadrées par un médiateur, et si elles font confiance au processus. Quant aux séances d’information obligatoires, elles suscitent d’autres questions : ainsi, on peut se demander quel volume d’information va retenir quelqu’un qui participe à une séance contre son gré. Elles peuvent également s’avérer problématiques si une personne ne peut être présente pour des raisons de santé, parce qu’il lui est difficile de faire garder ses enfants, parce qu’elle ne peut pas se permettre de s’absenter de son travail ou se rendre à l’endroit où se déroule la séance. Dans de tels cas de figure, si l’absence de la personne aux séances la conduit à perdre ses droits devant la loi, le fait de rendre ces séances obligatoires n’est sans doute pas une bonne idée, à moins que des exceptions soient prévues, comme l’ont souligné les participants au processus de consultation. Il est donc très délicat de savoir s’il est approprié de rendre certains processus obligatoires ou volontaires.

 

5.    Séparation entre sphère privée et sphère publique


La décision de rendre certains processus obligatoires ou volontaires et le problème de la séparation public/privé sont deux aspects intimement liés. Puisque la plupart des familles ne planifient pas leurs relations, le droit de la famille comporte un ensemble de règles qui s’appliquent par défaut quand des personnes se marient ou vivent sous le même toit. Toutefois, quand les choses tournent mal, la résolution de ces problèmes est entièrement optionnelle dans la majorité des cas – sauf quand il s’agit d’actes criminels ou de protection de l’enfance. Autrement dit, il est facile pour le gouvernement de ne pas intervenir lors de la constitution de la famille, sauf en imposant un régime législatif par défaut, et d’imputer à la sphère privée le fardeau financier lié à l’éclatement de la famille. Dans certains cas, les familles ne reçoivent pas les ressources appropriées, même lorsqu’on les force à faire appel au système judiciaire. Par exemple, lorsque la législation provinciale contraint les personnes à faible revenu – généralement des femmes – à passer par des procédures judiciaires pour obtenir une pension alimentaire afin de pouvoir prétendre à une aide sociale, il s’agit encore une fois d’une tentative visant à transférer vers la sphère privée le fardeau financier lié aux enjeux et problèmes familiaux.

 

Depuis toujours, on considère que les familles appartiennent à la sphère privée. Pourtant, les relations familiales, tout comme d’autres relations privées, demeurent régies par la loi de l’État, par exemple à travers l’institution du mariage et d’autres mécanismes précédemment décrits. Par conséquent, la séparation sphère publique/sphère privée n’est pas aussi claire qu’on pourrait le croire. Ce manque de clarté découle également des problèmes de confidentialité évoqués ci-dessus. Le fait de considérer que les relations familiales sont des « questions privées » facilite depuis longtemps la dissimulation de graves problèmes sociaux comme la prestation de soins non rémunérée, de profondes inégalités économiques entre les sexes, une oppression fondée sur l’orientation sexuelle et la racialisation de la pauvreté. Les espaces qui permettent d’amener ces problèmes sur la place publique doivent continuer à exister afin de susciter des débats autour de ces difficultés et les régler pour éviter qu’elles restent dans l’ombre. Lors des débats portant sur ces questions, il est néanmoins important de ne pas oublier que les personnes qui pâtissent de ces problèmes ont besoin de mécanismes qui leur apportent un soutien sans renforcer ces difficultés, ce qui exige parfois un certain niveau de confidentialité. L’étude des relations familiales sous l’angle privé/public doit donc être réalisée avec prudence, et c’est ainsi que la CDO compte mener sa réflexion visant à élaborer des recommandations axées sur la réforme du système de justice familiale.

 

6.    Encourager les initiatives qui fonctionnent


Même si le système de justice familiale présente des dysfonctionnements significatifs (quelques personnes interrogées lors de l’élaboration du document de consultation soulignent même que « le système est brisé »), la prestation de services fournie à certains points d’entrée fonctionne relativement bien pour certains travailleurs et utilisateurs. Quelques excellents exemples démontrent l’efficacité de certains réseaux de travailleurs bien organisés à l’échelle de la province, et illustrent le succès d’autres initiatives régionales. Notre rapport étudiera ces exemples de façon plus approfondie dans la section concernant la prestation de services. Ce type de réseaux et d’initiatives est souvent méconnu. Il est donc essentiel de diffuser cette information pour éviter que la réforme du système judiciaire ne détruise ce qui fonctionne bien en tentant d’apporter une réponse à d’autres problèmes. Lors de la phase d’élaboration des recommandations, la CDO tentera de consolider les aspects qui ont fait la preuve de leur efficacité.

 

7.    Essayer de ne pas entendre qu’un son de cloche


Lorsque la CDO a consulté les utilisateurs, elle a généralement recueilli des témoignages reflétant un point de vue unique. Les travailleurs aussi sont souvent confrontés à cette difficulté. La CDO s’est intéressée à un grand nombre d’expériences afin de fournir des points de vue variés, qui aident les personnes impliquées à prendre suffisamment de distance afin de pouvoir élaborer des pratiques exemplaires. Des outils tels que l’information, la collaboration et une approche holistique des problèmes familiaux permettent de voir ces difficultés sous un jour nouveau et d’instaurer des conditions plus propices à leur résolution. L’amélioration de la prestation de services aux points d’entrée passe par une prise de conscience de cette réalité. Les travailleurs doivent savoir mettre en perspective les difficultés rencontrées par les familles afin de proposer une solution appropriée même quand ils n’entendent qu’un seul son de cloche.

 

8.    Résistance aux interventions précoces


L’une des principales hypothèses qui sous-tend le projet de la CDO sur le système de justice familiale est la suivante : une intervention précoce peut empêcher les problèmes familiaux d’atteindre un niveau de complexité qui les rend quasi insolubles. Toutefois, comme nous l’avons vu dans la section relative à la dimension émotionnelle des enjeux et problèmes familiaux, les utilisateurs sont parfois réticents à aborder ces enjeux et ces problèmes en amont, essentiellement pour des raisons d’ordre émotionnel. En outre, puisque le système de justice familiale s’applique davantage à empêcher la désagrégation de la famille qu’à planifier sa constitution, les travailleurs ne sont pas encouragés à intervenir de façon anticipée.

 

Il semble que l’efficacité de l’intervention précoce soit à son maximum au moment de la constitution de la famille, puisqu’il s’agit des prémices de la vie familiale. Si des enjeux et des problèmes surviennent dès ce stade, une intervention est essentielle, car elle permet d’empêcher qu’ils ne refassent surface par la suite.

 

À cet égard, les travailleurs exerçant auprès de la communauté LGBTQI ont formulé des commentaires intéressants sur la constitution de la cellule familiale. Ils ont notamment expliqué que les personnes LGBTQI désireuses de devenir parents sont confrontés à la complexité et au manque de clarté du droit. Elles subissent aussi un examen disproportionnellement plus minutieux de leur situation lorsqu’elles tentent de faire reconnaître leurs liens parentaux légalement. Par exemple, deux femmes peuvent s’enregistrer comme mères sur le certificat de naissance de leur enfant si elles utilisent un donneur de sperme anonyme et les techniques de reproduction assistée.[7] Cependant, plusieurs femmes utilisent des donneurs connus et le statut légal de ces donneurs n’est pas clair. De plus, les femmes qui utilisent des donneurs connus qui ne sont pas leurs partenaires sexuels (et qui veulent être inséminées en clinique) ne peuvent utiliser que leur sperme congelé et non pas frais. [8] Dans le cas des hommes gais, bisexuels ou queer qui veulent faire un don de sperme, ceux-ci doivent se soumettre à des procédures spéciales afin de ne pas tomber sous l’exclusion de la Directive de Santé Canada.[9] Compte tenu de ces circonstances, les personnes LGBTQI se retrouvent donc à être forcées de planifier leur projet parental.

 

A contrario, les couples hétérosexuels sont plus facilement reconnus en tant que parents, même en cas de grossesse imprévue. Ils ne sont donc pas obligés de planifier leur projet parental aussi soigneusement que les couples homosexuels. En réalité, certains couples hétérosexuels ont même le problème inverse : ils ne veulent pas être considérés comme une famille afin de ne pas avoir à supporter le poids de leurs obligations parentales.

 

Le fait de devoir planifier pour de mauvaises raisons – par exemple, comme on vient de le voir, en raison de l’orientation sexuelle – est un problème grave. Pour autant, le fait de devoir planifier un projet parental pour d’autres raisons (en vue d’une adoption, par exemple) représente-t-il aussi un problème? Dans l’ensemble, les consultations ont révélé que l’absence de planification visant à satisfaire chaque membre de la famille sur le plan émotionnel, physique et financier (notamment dans le cas des enfants) est souvent à la racine des problèmes familiaux. Elle peut également déboucher sur un déséquilibre de l’autorité au sein de la famille. Les familles seraient peut-être mieux préparées à affronter différents types d’enjeux et de problèmes si chacune d’entre elles (hétérosexuelle ou LGBTQI) était encouragée – et non forcée – à planifier sa vie de famille, et si on lui proposait des outils adaptés, sans faire preuve de discrimination.

 

Les participants au processus de consultation ont également évoqué leur expérience en matière d’intervention précoce dans le cadre du système de justice familiale, notamment en ce qui concerne le moment de cette intervention précoce. Après avoir fait face à d’importants problèmes familiaux, la plupart des participants ont estimé rétrospectivement qu’ils n’avaient pas eu accès aux services nécessaires suffisamment tôt. Toutefois, quand la CDO a évoqué des mécanismes de prévention passant par des interventions « très précoces », les participants n’ont pas réussi à trouver un consensus à propos du moment où ils souhaitent voir intervenir la justice familiale dans leur vie de famille. La majorité des participants était d’accord sur le fait qu’il était utile d’être mieux informé sur les conséquences liées à l’établissement d’une relation, à la cohabitation et au mariage. Aux yeux de certains participants, le fait de devoir assister à des séances d’information obligatoires avant la délivrance d’un permis de mariage tombait sous le sens.

 

La vulgarisation juridique est importante : chacun devrait savoir ce qu’implique un mariage – pas seulement en matière d’émotion, de passion ou de répartition des tâches ménagères, mais en ce qui concerne les obligations mutuelles des conjoints aux yeux de la loi. En particulier, les femmes devraient connaître les conséquences de l’éclatement d’une famille et être prêtes à y faire face. Les femmes qui sont doivent faire face à l’éventualité d’une séparation à l’âge de 60 ans n’ont parfois aucune idée de leurs droits. On devrait leur en parler plus tôt. (Témoignage d’une avocate exerçant dans une clinique juridique[10])

 

D’après certains participants au processus de consultation, la vulgarisation juridique est encore plus cruciale dans un contexte où les familles sont itinérantes et où la législation varie en fonction des provinces ou des pays. Cependant, bon nombre de personnes estiment qu’il est « suspect » de vouloir obtenir des renseignements juridiques tout au début d’une relation, et préfèreraient se dispenser de ces renseignements plutôt que de donner à leur partenaire intime l’impression qu’elles ne lui font pas confiance.

 

De l’avis des personnes consultées, les contrats prénuptiaux ou les accords de cohabitation font incontestablement partie des mécanismes d’intervention précoce les moins populaires. Bon nombre des personnes ayant dû assumer la frustration et les coûts d’une séparation ou d’un divorce ont déclaré qu’elles ne manqueraient pas de conclure un contrat prénuptial la prochaine fois qu’elles noueront une relation. Pourtant, certaines personnes encore aux prises avec un conflit familial coûteux n’étaient pas convaincues de la nécessité de ce type d’entente. Même quand une relation se déroule bien,  les discussions concernant l’organisation des finances, la garde des enfants ou les tâches ménagères, ainsi qu’aux échanges évoquant les conséquences d’une rupture, demeurent embarrassantes. La plupart des personnes interrogées craignent que ce type de conversation détruise leur relation amoureuse. Pourtant, plus d’un participant a suggéré que les gens devraient se montrer plus pragmatiques sur le sujet, et certains ont même comparé le mariage à un permis de conduire :

 

Nous sommes tous tenus d’obtenir le permis avant d’être autorisés à conduire un véhicule – ces obligations incluent une formation et un test. Il serait absurde d’autoriser les gens à conduire avant qu’ils aient reçu une formation théorique et pratique, pour leur reprocher ensuite d’avoir enfreint le code de la route en cas de sortie de route. Si le gouvernement et les tribunaux doivent être impliqués dans les relations interpersonnelles et familiales des citoyens, alors il est indispensable que ceux-ci sachent au préalable à quoi s’attendre en cas d’échec relationnel, de sorte que les utilisateurs et le système puissent agir avec efficacité et dans les règles. (Association des femmes autochtones de l’Ontario)

 

La comparaison entre les exigences nécessaires pour se marier ou obtenir le permis de conduire a été reprise par d’autres personnes ayant participé à la consultation. D’après les travailleurs sociaux et les professionnels de la santé mentale consultés par la CDO, la crainte et l’absence de toute discussion et planification entre les membres de la famille font souvent naître des attentes contradictoires autour des relations familiales. Plus tard, ces attentes divergentes peuvent donner naissance à des problèmes émotionnels et financiers.

 

En ce qui concerne les groupes qui sont marginalisés en Ontario depuis des siècles et qui se trouvent dans une situation économique précaire, comme c’est le cas des communautés autochtones, la résolution des enjeux et problèmes familiaux s’avère encore plus complexe. Ces groupes sont en effet exposés à des risques de conflit intergénérationnel que les interventions précoces ne suffisent pas à résoudre. Autrement dit, il existe en Ontario des enjeux systémiques qui requièrent des solutions s’inscrivant dans le long terme. La CDO s’emploiera donc à élaborer des recommandations qui tiennent compte de cette complexité.

 

Pour conclure, étant donné que les familles ne sont généralement pas incitées à mieux s’informer sur le système de justice familiale rapidement après leur constitution, la législation devra continuer à répondre aux urgences tout en tentant de créer des occasions favorisant une intervention précoce. Il faut également ajouter que le système de justice familiale propose une réponse déjà tardive si l’on en juge à la présence de nombreux problèmes systémiques (fourniture des soins/autorité financière obéissant à une logique fondée sur le sexe, racialisation de la pauvreté ou conflits intergénérationnels découlant des politiques de protection de l’enfance appliquées dans les communautés autochtones, etc.)

 

9.    Relations entre les utilisateurs et leurs avocats


La plupart des utilisateurs consultés par la CDO avaient des relations difficiles avec leur avocat – voire pas de relation du tout. Les sources de tension concernaient généralement les délais et les coûts des services juridiques, ainsi que les attentes suscitées par ces services[11]. La CDO remarque également que le rôle des avocats implique inévitablement de dire à leurs clients ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre, en leur rappelant par exemple que la mission du juge ne consiste pas à prendre en compte leurs sentiments, mais à résoudre des problèmes juridiques. Dans un tel contexte, les utilisateurs ne peuvent pas nécessairement s’attendre à ce que leur avocat les aide à se sentir mieux. Les utilisateurs eux-mêmes ont parfois indiqué que malgré leurs relations tendues avec leur avocat, c’est lui qui, en fin de compte, avait été la personne ayant le plus contribué à résoudre leur litige – ce qui est difficile à voir quand on se trouve au beau milieu d’une situation conflictuelle.

 

S’agissant des honoraires, les utilisateurs sont préoccupés par le coût des services juridiques dès le moment où ils appellent un avocat ou le rencontrent pour la première fois. Ils veulent que le coût des services juridiques leur soit expliqué clairement. Par exemple, ils veulent savoir si leur avocat leur enverra une facture quand il s’entretiendra avec la partie adverse. De leur côté, les avocats ne peuvent pas complètement anticiper la durée et la complexité des litiges; par conséquent, ils peuvent éprouver des difficultés à estimer le coût de leurs services. Néanmoins, une avocate nous a précisé qu’elle était en mesure de donner à ses clients une idée de l’ensemble des coûts engagés en se fondant sur son expérience, et qu’elle n’y voyait pas d’inconvénient. Elle a également déclaré qu’elle pensait qu’il valait mieux que ce genre de renseignements soit communiqué par son assistante, car cela permet d’établir une distance et de rassurer les clients en leur faisant comprendre qu’ils ne recevront pas une facture pour chaque minute passée à s’entretenir avec leur avocat. Quand les cabinets d’avocats collaborent avec d’autres professionnels, tels que des stagiaires en droit ou des parajuristes, ceux-ci sont en mesure de réaliser les tâches ad hoc pour des honoraires inférieurs à ceux des avocats, et prennent même le temps de communiquer avec leurs clients de façon à leur montrer qu’ils sont réceptifs sur le plan émotionnel. Malgré ces efforts, le coût des services juridiques demeure un motif de mécontentement pour certains clients. Au cours des consultations, certains avocats ont déclaré que même si leur mandat était clair, formulé par écrit et signé par leurs clients, certains de ces derniers refusaient néanmoins de se voir facturer des éléments prévisibles et s’avouaient frustrés à la réception de notes d’honoraires reflétant les frais estimés. Ces avocats sont convaincus que les attentes déraisonnables de ces clients viennent du fait que ceux-ci sont mal informés.

 

Certains utilisateurs se sont quant à eux plaints du comportement non professionnel ou non collaboratif des avocats. Une utilisatrice a notamment décidé d’assurer sa propre représentation après que son avocat a oublié de l’informer d’un changement dans les dates fixées par le tribunal. D’autres utilisateurs ont mentionné qu’il ne leur plaisait guère d’avoir l’impression que les avocats prenaient seuls des décisions les concernant, sans les en informer. Ils apprécient les avocats qui leur font sentir qu’ils font « partie de l’équipe ». Quant aux avocats, ils reprochent à leurs clients de ne pas fournir tous les éléments d’information en leur possession et de ne pas les tenir au courant d’initiatives prises de leur propre chef, qui ont parfois pour conséquence de ralentir le processus et d’accroître les coûts. Une avocats a néanmoins précisé que certains de ses confrères s’occupent d’un nombre d’affaires trop élevé, ce qui les conduit à faire des erreurs. Comme nous l’avons vu précédemment, il existe un lien entre les préoccupations relatives aux honoraires des avocats et l’absence de communication entre les avocats et leurs clients. Si les clients craignent que chaque conversation avec leur avocat se solde par une facture, ils auront tendance à lui parler aussi peu que possible. Les avocats doivent donc essayer de trouver des méthodes moins onéreuses pour permettre à leurs clients de mieux communiquer avec eux. Les clients insatisfaits, qui ne comprennent pas pourquoi leur avocat a pris une initiative donnée, sont plus enclins à déposer une plainte auprès du Barreau du Haut-Canada. Dans l’ensemble, un manque de confiance entre un avocat et son client a un coût pour l’un comme pour l’autre.

Rappelons que la dimension émotionnelle joue un rôle de premier plan dans la résolution des enjeux et problèmes familiaux. À cet égard, les utilisateurs tout comme les professionnels n’exerçant pas dans le domaine juridique semblent être convaincus que les avocats créent un climat houleux et font preuve d’une agressivité exagérée. Paradoxalement, il peut également arriver à certains utilisateurs pris dans un conflit familial très dur de se plaindre du manque de combativité de leur avocat. Les avocats signalent quant à eux que certains clients peuvent se révéler très agressifs et belliqueux, et qu’ils vont jusqu’à proférer des phrases telles que « Je vais lui faire bouffer ses couilles »!

 

La plupart des avocats qui ont participé au processus de consultation de la CDO sont d’accord sur le fait qu’un antagonisme trop fort ne contribue pas à résoudre les problèmes familiaux. Un avocat s’est dit convaincu que l’émotivité manifestée par quelqu’un à la table des négociations est souvent directement proportionnelle aux dépenses engagées et au délai nécessaire à la résolution du problème. Pour pallier cette difficulté, certains avocats ont adopté des pratiques visant à aider leurs clients à contrôler leur agressivité. Par exemple, ils peuvent leur dire :

·         « Prenons 10 minutes pour parler de ce que vous ressentez »;

·         « Plus vous vous engagez dans cette guerre, plus le conflit risque de s’enliser »; ou

·         « Si je représentais la partie adverse, j’aurais recommandé la même chose ».

 

Ils peuvent également :

·         Évoquer les limites du droit et ce que ses représentants ne peuvent pas faire,

Ø  par exemple, un juge ne leur dira pas forcément qu’ils ont raison si c’est ce qu’ils ont envie d’entendre;

·         Demander à leurs clients de se projeter cinq années dans le futur; ou

·         Faire appel à des situations hypothétiques pour faire comprendre à leurs clients leur propre comportement sans leur donner l’impression de leur faire un reproche

Ø  Cette méthode est également souvent employée par les thérapeutes (qu’ils travaillent avec des enfants ou des adultes).

 

Selon les avocats, ces techniques les aident à gérer les attentes de leurs clients. Pour autant, certains avocats estiment que la gestion de la colère ne fait pas partie de leurs attributions, et ne semblent prendre aucune mesure particulière pour gérer les attentes de leurs clients. Les professionnels n’exerçant pas dans le domaine juridique, dont certains travaillent dans le secteur de la santé mentale, persistent à penser qu’au vu du climat de dissension instauré par le système juridique, et en dépit des efforts fournis par les avocats, il demeure très difficile de collaborer avec une personne qui exerce dans le domaine juridique.

 

Malgré les préoccupations exprimées à l’encontre des avocats, on constate que la majeure partie des personnes qui assurent leur propre représentation n’ont pas choisi de le faire, d’après le témoignage d’un avocat exerçant au sein d’un cabinet privé. Les personnes qui assurent leur propre représentation le font parce qu’elles ne peuvent pas s’offrir les services d’un avocat. Certaines personnes optent pour cette solution parce qu’elles ont vécu une expérience négative en faisant appel à un avocat incompétent. Cependant, dans la plupart des cas, les personnes qui assurent leur propre représentation préfèreraient conserver les services d’un avocat si elles pouvaient se le permettre. Les avocats qui représentent des clients lors de litiges où la partie adverse n’est pas représentée par un confrère trouvent d’ailleurs cette situation difficile. L’absence d’un avocat provoque un déséquilibre qui peut jouer sur la durée et les coûts de la procédure. Pour les juges, le très grand nombre de plaideurs qui ne font pas appel aux services d’un avocat s’avère également problématique. Du point de vue de l’accès à la justice, le juge souhaite se montrer équitable vis-à-vis de ces personnes, ce qui le met dans une situation délicate; puisqu’il doit être juste tout en restant impartial. Les difficultés liées à la non-représentation par un avocat soulèvent d’autres questions plus globales et axées sur le coût du système de justice familiale. Nous reviendrons sur ces questions dans la dernière section de ce rapport.

 

La dimension émotionnelle est un aspect fondamental qui doit être reconnu et pris en charge (probablement par les réseaux de soutien personnels de l’utilisateur ainsi que par des personnes travaillant dans le domaine de la santé mentale). Pour autant, les avocats doivent maintenir une certaine distance et éviter d’« absorber » les émotions de leurs clients. Le droit de la famille est un domaine de spécialité très exigeant, et les participants au processus de consultation estiment d’ailleurs que les avocats représentant les familles devraient recevoir une formation plus approfondie sur la façon de prendre en charge les émotions de leurs clients, ainsi que les leurs. Les avocats consultés ont indiqué qu’ils éprouvaient des difficultés à traiter avec un confrère représentant la partie adverse quand celui-ci s’impliquait personnellement dans l’affaire. Ils ont également reconnu qu’il existe une distinction subtile entre le fait de reprocher à un client son comportement et le fait de lui expliquer comment son attitude peut influencer positivement ou négativement sa capacité à résoudre son problème. Les utilisateurs ont d’ailleurs confirmé qu’ils n’appréciaient pas d’avoir l’impression d’être jugés par leur avocat. Certains avocats ont indiqué qu’ils « triaient » leurs affaires – autrement dit, ils repèrent les affaires où la dimension émotionnelle est très forte, mais aussi celles qui nécessitent une réaction urgente, et traitent ces affaires différemment des affaires standard. Ils ont réalisé que ce tri les aidait à prendre en charge les émotions de leurs clients, parce qu’ils pouvaient prévoir que leur affaire serait plus exigeante à cet égard que d’autres. Ce tri peut intervenir à tout moment au cours de la relation professionnelle, car certains problèmes peuvent émerger au cours du processus de représentation. Pour synthétiser, certains participants ont suggéré que le maintien d’une distance professionnelle doublée d’une capacité à gérer les émotions sont deux aspects à intégrer à la formation des avocats spécialisés dans le droit de la famille, car ils pourraient bien constituer l’un des piliers de la confiance entre les avocats et leurs confrères, entre les avocats et les autres professionnels, et enfin entre les avocats et leurs clients.

 

10. Relations entre professionnels


Cette section se penche sur les relations entre les professionnels, et en particulier sur celles qui existent entre les avocats et d’autres professionnels, mais aussi sur les relations entre les avocats eux-mêmes.

 

a.    Confiance


Le manque de confiance qui règne entre les avocats et les autres professions non juridiques est bien illustré par cette citation :

 

La plupart des avocats n’orientent pas leurs clients vers des travailleurs sociaux afin de les aider à surmonter les réactions émotionnelles que suscite un divorce. La violence au foyer est trop souvent ignorée; parfois, la consultation juridique minimise l’importance du fait que les femmes maltraitées ne sont pas sur un pied d’égalité avec le partenaire qui exerce des violences sur elles. (Burlington Counselling & Family Services)

 

De nombreuses méthodes permettent aux professionnels de nouer des relations de confiance. L’une d’entre elles consiste à communiquer plus fréquemment. Une autre – comme le suggère la citation ci-dessus – passe par la reconnaissance et la valorisation du domaine d’expertise de chaque professionnel.

 

b.    Courtoisie


Une avocate a indiqué que la courtoisie régnant entre les avocats, qui sont parfois amenés à représenter chaque partie impliquée, varie selon les régions. Elle a mentionné qu’au niveau régional, elle entretenait d’excellentes relations avec la plupart des avocats spécialisés dans le droit de la famille, mais qu’il était difficile de traiter avec certains avocats exerçant dans d’autres régions. En d’autres termes, la culture et les attitudes des avocats sont variables, et tous n’emploient pas le même niveau de courtoisie dans leurs relations avec leurs confrères. Le degré d’amabilité que se témoignent les avocats a une influence sur le niveau d’agressivité au cours du processus de résolution du litige et joue également sur la qualité de la prestation de services, car il peut encourager les relations de mentorat ou au contraire y faire obstacle.

 

c.    Déséquilibre du pouvoir


Les avocats, les avocats-médiateurs et les professionnels de la santé mentale ont également souligné que le déséquilibre du pouvoir entre les avocats et les autres professionnels compliquait les collaborations. Malgré ces tensions, de nombreux professionnels n’exerçant pas dans le domaine juridique reconnaissent qu’il est essentiel que leurs clients reçoivent un avis juridique de qualité, et tentent de les convaincre de faire appel à un avocat.

 

d.    Réticence à collaborer


Il existe aussi des tensions entre les avocats eux-mêmes, car bon nombre d’entre eux n’ont pas la même façon d’aborder les problèmes familiaux. Certains préfèrent une approche accusatoire; d’autres privilégient une démarche collaborative. Ces désaccords amènent certains avocats à se montrer critiques vis-à-vis de leur profession :

 

La pire erreur consiste à entamer une procédure trop rapidement. S’il est possible d’avoir recours à une négociation à gains mutuels, cette option doit être envisagée en priorité avant de déposer formellement une requête. « Nous » – c’est-à-dire les avocats – savons déjà comment éviter cette erreur. En règle générale, nous ne fournissons pas les efforts nécessaires pour travailler ensemble sur une résolution raisonnable du conflit. Il est plus simple de lancer une requête. De surcroît, celles-ci sont plus lucratives pour les avocats, et la responsabilité de la résolution du conflit devient du ressort du tribunal. (Une avocate)

 

Selon certains travailleurs et certains utilisateurs, les avocats qui évoquent toutes les options possibles avec leurs clients n’expliquent pas toujours très bien les options collaboratives à ces derniers :

 

Les professionnels du droit ne pensent pas que le partage de l’information et l’orientation font partie de leur travail. (Association for Better Care of Children)

 

Une avocate a expliqué qu’elle donnait à ses clients des explications sur toutes les options disponibles lors de leur premier rendez-vous. Ces options incluent notamment la médiation, le droit collaboratif, la médiation non réglementée, l’arbitrage et le contentieux. Elle a également indiqué que ces explications durent entre une heure et une heure et demie en moyenne. Une utilisatrice a précisé qu’elle avait été contrainte de prendre une décision concernant les options collaboratives après seulement une demi-heure d’explications de la part de son avocat. Elle a opté pour la médiation, mais cette option ne s’est pas révélée concluante. De plus, elle a précisé que son ex-mari avait refusé d’avoir recours aux services du médiateur nommé par le tribunal. Ce dernier appliquait une grille tarifaire à échelle mobile, ce qui signifie que l’utilisatrice s’était vue dans l’obligation de payer deux fois les honoraires. Elle a mentionné qu’elle aurait apprécié qu’on lui fournisse un conseil juridique pour l’orienter vers l’option la mieux adaptée à son cas avant d’initier une quelconque procédure. Elle a souligné qu’à ses yeux, les médiateurs devraient être réglementés par un ordre professionnel. Aujourd’hui, l’Association ontarienne de médiation familiale (Ontario Association for Family Mediation) propose un système d’accréditation destiné aux médiateurs[12]. Toutefois, il n’est pas nécessaire d’être membre de cette association pour proposer des services de médiation familiale en Ontario[13].

 

e.    Le droit collaboratif : une approche pluridisciplinaire


D’après l’un des avocats participant au processus de consultation, le principe fondamental sur lequel s’appuie le droit collaboratif est le suivant : initialement, il est interdit d’évoquer la position du client. Le processus doit commencer par un échange de renseignements, auquel succède une réunion de brainstorming qui aboutit à une prise de décision. Toutefois, les avocats qui pratiquent le droit collaboratif indiquent que les raisons suivantes doivent EXCLURE la voie collaborative :

·         La collaboration est généralement déconseillée dans les affaires qui impliquent une violence physique, de graves difficultés émotionnelles, une détérioration mentale ou un déséquilibre du pouvoir;

·         Elle ne fonctionne pas dans les situations qui impliquent des problèmes de santé mentale ou de consommation excessive d’alcool ou de stupéfiants;

·         Intrinsèquement, un déséquilibre financier peut constituer un facteur défavorable, mais tout dépend du contexte. Si l’une des parties reconnaît que la partie adverse en situation financière précaire a droit à une pension alimentaire, ou si la partie la plus avantagée financièrement agit de bonne foi, alors le droit collaboratif est une option envisageable même si les deux parties ne sont pas sur un pied d’égalité sur le plan financier; et

·         Si la partie adverse est obsédée par le contrôle et l’a toujours été, le tribunal est tout indiqué, même si le besoin d’argent est pressant ou que les enfants ont quitté le domicile familial, ou que l’une des parties n’a pas d’emploi et se trouve financièrement démunie.

Avant d’avoir recours au droit collaboratif, il faut s’assurer au préalable que chacune des deux parties possède les ressources financières lui permettant d’être représentée par un avocat, ce qui fait du droit collaboratif un privilège qui n’est accessible qu’à une minorité. Toutefois, si les ressources publiques vont davantage aux services juridiques, les consultations n’ont mis en évidence aucune raison expliquant de façon convaincante pourquoi ces ressources ne pourraient pas être réparties équitablement entre les avocats qui pratiquent des procédures classiques et ceux qui optent pour une approche collaborative, à condition qu’un système adéquat soit mis en place pour orienter les clients vers les services appropriés. Les participants au processus de consultation ont également expliqué que le droit collaboratif peut impliquer une approche d’équipe pluridisciplinaire. Certains avocats et professionnels de la santé mentale participant aux consultations ont mis en avant le fait que l’approche d’équipe pluridisciplinaire du processus collaboratif devrait faire l’objet d’un financement (lequel pourrait émaner de plusieurs sources gouvernementales). Ils sont fermement convaincus que le travail en équipe permet de détecter les problèmes plus tôt, et in fine, de réaliser des économies.

 

f.      Coordination entre thérapies et services juridiques


Pour les conseillers, le libre arbitre et la confidentialité sont deux valeurs essentielles. C’est pourquoi ils estiment qu’il est incroyablement difficile de collaborer avec des avocats offensifs, qui n’hésiteraient pas à utiliser n’importe quelle source d’information – y compris des renseignements issus de séances de thérapie – pour décrédibiliser la partie adverse. D’après les participants au processus de consultation, cette contradiction va parfois jusqu’à empêcher les utilisateurs d’avoir recours à des services de santé mentale, de peur que leurs propos ne soient ensuite utilisés contre eux par le système judiciaire. Par exemple, l’avocat de la partie adverse pourrait utiliser ces renseignements pour avancer que ces personnes ne sont pas en mesure de s’occuper de leurs enfants.

 

Les participants au processus de consultation relèvent qu’il est souvent fait appel aux avocats pour tenter de boucler la procédure plus rapidement, et que ceux-ci font parfois pression pour accélérer d’autres processus professionnels. Pourtant, les conseillers savent qu’une procédure de counseling rapide est vouée à l’échec. Pour autant, ils ne sont pas opposés aux services juridiques : la plupart d’entre eux reconnaissent que ceux-ci sont nécessaires pour résoudre – et résoudre rapidement – l’aspect juridique des conflits familiaux. Les conseillers ajoutent que même si les avocats sont en mesure de régler rapidement certains problèmes, il n’en demeure pas moins que le système juridique dans son ensemble n’a pas toujours réagi promptement par le passé. Les avocats consultés ont néanmoins précisé que certaines questions d’ordre juridique peuvent s’avérer plus complexes qu’elles n’en ont l’air, ce qui prolonge la durée de résolution du conflit. Certains travailleurs sociaux et certains avocats s’accordent à dire que le processus thérapeutique peut être anéanti par la non-résolution des questions juridiques ainsi que par une procédure judiciaire longue et de plus en plus houleuse. Ces facteurs sont défavorables aux initiatives de résolution de conflits axées sur la collaboration.

 

Malgré les difficultés inhérentes à la coordination entre les services thérapeutiques ou sociaux et le processus juridique, les participants au processus de consultation ont rappelé que de tels services jouaient un rôle de premier plan dans la résolution des enjeux et problèmes familiaux. Il en va de même pour les utilisateurs qui ont réussi à résoudre leurs difficultés sans faire appel à des services professionnels : ils ont su coordonner la dimension émotionnelle de leur problème et tous les autres aspects en jeu. Si l’on en croit certains participants au processus de consultation, ces facteurs sont encore plus importants quand le processus implique des enfants. Ils rappellent que le rôle parental est une responsabilité à long terme, et que le partage de cette responsabilité à l’issue d’une séparation est un véritable défi, notamment pour les parents qui ne participaient pas auparavant au soin des enfants. Les parents sont obligés d’avoir une interaction minimale avec leurs enfants et leur ancien conjoint après la séparation. Les conseillers et les travailleurs sociaux possèdent les compétences qui permettront aux parents de mieux comprendre leur rôle vis-à-vis de leurs enfants, et de passer d’une situation où l’art d’être parent était une affaire de couple à une situation où l’éducation des enfants se fait dans deux foyers. Dans les affaires très conflictuelles, les travailleurs sociaux peuvent également faire office de coordinateurs parentaux. Autrement dit, ils peuvent aider les parents à élaborer des plans parentaux, et agir en tant que médiateur et arbitre dans des disputes intervenant lors de la mise à exécution du plan parental. Dans les scénarios qui impliquent une violence familiale, il est essentiel qu’intervienne une séparation franche entre les personnes impliquées afin de les protéger. En bref, les personnes ayant participé au processus de consultation sont convaincues que la coordination des services sociaux et juridiques est un aspect essentiel de la réforme du système de justice familiale.

 

11. Besoins en matière de services d’accompagnement


La CDO s’est entretenue avec des travailleurs de soutien juridique ainsi qu’avec des travailleurs de soutien transitoire qui ne sont pas des avocats, mais qui ont une certaine connaissance du droit (en raison de leur formation ou par expérience), et qui jouent un rôle essentiel au sein du système de justice familiale. En règle générale, ces personnes travaillent auprès de cliniques d’aide juridique ou de refuges pour femmes battues. Ces travailleurs fournissent aux personnes qu’ils encadrent des services d’accompagnement complets, et les aident à faire le suivi de leur cause. Ils facilitent l’obtention d’un soutien juridique et aident ces personnes à effectuer les formalités administratives connexes. Dans la mesure du possible, ils les accompagnent à de nombreuses réunions et aux audiences. Ils les conseillent pour qu’elles conservent tout ce dont elles ont besoin pour le suivi de leur affaire. Ils leur fournissent un soutien sur le plan émotionnel. Ils aident les utilisateurs à traiter avec les organismes de services sociaux, notamment en intercédant en leur faveur auprès de ces organismes pour garantir leur crédibilité. Ces travailleurs jouent un rôle indispensable en offrant un soutien aux personnes qui n’ont pas accès à un réseau de soutien personnel (amis ou famille), et dont les ressources financières sont limitées – ce qui signifie qu’elles ne peuvent pas se permettre d’avoir recours à d’autres services professionnels. Il faut toutefois rappeler que les travailleurs de soutien juridique ne sont pas des avocats. Comme il n’y a généralement pas suffisamment d’avocats exerçant pour ce type de population, les travailleurs de soutien juridique sont amenés à traiter un nombre excessif de dossiers d’utilisateurs n’ayant pas accès aux services d’un avocat. Leurs services auraient une utilité accrue s’ils travaillaient en collaboration avec des services de soutien juridique, des avocats bénévoles et d’autres professionnels.

 

12. Répondre aux besoins des enfants et des jeunes


Bien souvent, au cours des consultations, les débats axés sur l’expérience des utilisateurs reflétaient uniquement le point de vue d’adultes. Il a été difficile d’obtenir l’opinion d’enfants. En dépit de cette difficulté, la CDO s’est entretenue avec les personnes et les groupes suivants :

·         Un groupe de jeunes Ontariens francophones;

·         Un groupe de jeunes anglophones résidant à Toronto;

·         Des adultes ayant vécu des problèmes familiaux dans leur enfance ou adolescence;

·         Des professionnels travaillant avec des enfants et des jeunes.

 

Adultes et enfants se sont accordés à dire que l’opinion des enfants n’était pas prise en compte lors des audiences au tribunal, mais que les enfants pouvaient avoir leur mot à dire dans des domaines tels que la coordination parentale, la médiation, l’aide sociale et les services de soutien psychologique. Bon nombre d’entre eux étaient convaincus que tout travailleur ayant à traiter des problèmes familiaux devrait réfléchir au développement psychosocial des enfants et éviter d’encourager les dissensions entre les parents. Un avocat a expliqué que les plans parentaux conclus à l’amiable pour prendre en compte les besoins des enfants ont des conséquences plus favorables pour les enfants, mais également sur le plan financier. D’après certaines expériences relatées à la CDO, de nombreux enfants sont plongés dans des situations extrêmement douloureuses dont les ravages peuvent affecter plus d’une génération. C’est la raison pour laquelle la CDO est convaincue qu’il est essentiel que ces témoignages soient entendus, afin que le bien-être des enfants soit pris au sérieux.

 

a.    Groupe francophone de jeunes de 17 ans


Dans le cadre de sa consultation avec un groupe de jeunes francophones de tout l’Ontario, la CDO a demandé à ces adolescents avec qui ils voudraient vivre en cas de crise familiale. Ces jeunes n’avaient pas vécu de tels enjeux et problèmes familiaux eux-mêmes, mais avaient des amis qui étaient passés par cette expérience. Ils ont évoqué leur perception générale des points d’entrée.

 

Trois jeunes de 17 ans ainsi qu’un adulte de 21 ans travaillant auprès de jeunes ont indiqué qu’ils ne sauraient pas nécessairement chez qui ils voudraient vivre s’ils devaient affronter des difficultés sur le plan familial. Un jeune a déclaré qu’il téléphonerait peut-être à un avocat. Une adolescente a précisé qu’elle espèrerait que le conflit familial pourrait être réglé par des moyens autres que juridiques, tels qu’une thérapie ou une médiation. Elle a affirmé que les parents voudraient sans doute tenter de résoudre leurs problèmes sans en parler à leurs enfants, afin de les protéger. Pour elle, il était évident que les adultes sont capables d’arriver à un accord avant de faire appel à un avocat. D’autres jeunes ont mentionné que les écoles, et plus particulièrement les conseillers en orientation, constituaient des ressources utiles et qu’ils n’hésiteraient pas à communiquer avec eux s’ils devaient faire face à des difficultés familiales. Certains d’entre eux – qui résidaient dans des zones rurales – ont précisé que dans ces régions, les conseillers en orientation n’étaient pas aussi bien formés qu’ailleurs, et ne seraient peut-être pas aussi efficaces. Toutefois, ils étaient d’avis qu’au sein des petites écoles, il était possible de communiquer avec presque tout le monde pour solliciter de l’aide. Les écoles faisant appel à la médiation en avaient informé leurs élèves, et ces derniers considéraient donc la médiation comme une méthode possible de résolution des difficultés familiales. S’il reçoit une formation adéquate en matière de justice familiale, le personnel des écoles est donc capable de jouer un rôle positif, tant en matière de prévention que de résolution des difficultés familiales.

 

Les jeunes ont également exprimé leur option sur l’organisation des relations familiales. Une jeune fille de 17 ans a ainsi expliqué que les tâches domestiques sont complexes et qu’elles génèrent des tensions au sein de son foyer. Elle a notamment déclaré :

 

C’est une question de communication. Chaque personne qui vit avec autrui est éduquée d’une façon spécifique. C’est aussi une question de valeurs. Les valeurs peuvent entraîner des conflits. Il est important de comprendre qu’il existe des différences entre chaque personne, et il est important d’être capable de comprendre que tout le monde ne voit pas les choses de la même façon.

 

Un adulte de 21 ans a expliqué que sa mère lui avait appris à nettoyer une maison, et que sa mère était la personne qui avait fait de lui quelqu’un qui ne suit pas les stéréotypes de genre. À ses yeux, les gens doivent comprendre que la façon dont les choses se déroulent dans un foyer découle d’un accord entre les personnes qui y vivent, principalement les parents, et que chaque couple est différent. Il a déclaré qu’il avait du mal à comprendre comment il était possible d’apprendre à des couples l’art de négocier, attendu que chaque couple est unique. Il semblait penser que la négociation est quelque chose qui s’apprend au fur et à mesure. Ce qu’il a appris dans son foyer est lié aux valeurs et aux règles qui y avaient été établies, ce que nous avons précédemment appelé la « loi » régnant au sein de la famille.

 

Les jeunes ont également donné leur avis sur la violence familiale et l’intimidation dans les écoles, des problèmes que nous étudierons dans une section ultérieure en les replaçant dans le contexte de la résolution des conflits familiaux. Ils ont mentionné que des campagnes de sensibilisation à ces problèmes avaient lieu dans les écoles, et ils ont plébiscité ce type d’initiative. Il faut néanmoins noter qu’un jeune a précisé que dans son école, qui est un établissement catholique, personne n’aurait mené de campagnes à propos de la violence, car cela aurait été perçu comme quelque chose de honteux. D’autres adolescents ont indiqué que même si leur école avait mené des campagnes contre l’intimidation, par exemple, celles-ci n’avaient pas nécessairement donné de résultats tangibles. Pour conclure, si l’on se fonde sur les expériences de ces jeunes et leur niveau de compréhension, il semble que certains jeunes Ontariens grandissent toujours dans des foyers et un environnement scolaire non sécuritaires. Le gouvernement provincial a récemment décidé de ne pas mettre en œuvre un nouveau curriculum d’éducation sexuelle qui aurait aidé les enfants et les jeunes à mieux comprendre la sexualité ainsi que les enjeux LGBTQI. À la suite de certaines controverses concernant le contenu du nouveau programme, le gouvernement a décidé de continuer à utiliser le curriculum d’éducation sexuelle qui est enseigné dans les écoles depuis 1998[14]. Ce curriculum, qui s’adresse à des élèves âgés de 12 à 14 ans, est axé sur des questions sur la sexualité adaptées à leur âge, et aborde notamment « les aspects affectif, physique et social d’une sexualité saine », ainsi que l’abstinence[15]. La nouvelle version du curriculum d’éducation sexuelle, proposée en 2010 et subséquemment annulée, reconnaissait que les élèves de cet âge sont en pleine construction de leur identité personnelle, laquelle inclut l’identité sexuelle[16]. De plus, ce curriculum visait à enseigner aux jeunes adolescents les notions suivantes : retarder le moment du début de l’activité sexuelle; prévenir le risque de grossesse et de maladie; comprendre comment l’identité de genre et l’orientation sexuelle peuvent affecter l’identité personnelle et la perception de soi dans leur ensemble, et enfin prendre des décisions en matière d’intimité et de santé sexuelle[17]. Le fait d’être revenu à la version précédente du curriculum constitue un exemple d’occasion manquée, car le nouveau curriculum aurait permis de faire de l’école un point d’entrée utile et de fournir aux Ontariens des outils adéquats pour prévenir les enjeux et problèmes familiaux.

 

b.    Groupe d’enfants anglophones âgés de 8 à 13 ans


Les six enfants (âgés de 8 à 13 ans) constituant ce groupe ont fait part de l’expérience qu’ils ont vécue lors de la séparation ou du divorce de leurs parents. Ce groupe est plus jeune que le groupe précédemment consulté, et chaque jeune avait vécu personnellement des difficultés familiales. Les jeunes interrogés avaient tous une grande facilité d’expression et ont décrit de façon très claire ce qu’ils pensaient et ressentaient. Ils avaient été réunis par l’intermédiaire d’un service de counseling auquel ils avaient tous eu affaire par le passé. Les enfants et leurs parents ont tous donné leur consentement par écrit avant que les enfants puissent participer à la consultation. Le responsable de ce service de counseling, qui prend en charge des jeunes et leurs parents depuis de longues années, co-animait la réunion.

 

Pour ces enfants, la séparation ou le divorce de leurs parents a eu un impact très négatif. Quand nous leur avons demandé quels étaient les souvenirs qu’ils associaient à cette séparation ou à ce divorce, ils ont répondu après seulement quelques minutes de réflexion qu’ils se souvenaient de leurs parents en train de se disputer ou de s’opposer avec violence. Un jeune garçon a évoqué le fait qu’il avait été réveillé en pleine nuit par les échanges acrimonieux de ses parents. Deux fillettes ont déclaré qu’elles avaient dû appeler la police elles-mêmes parce qu’elles avaient peur que leur père étrangle ou blesse grièvement leur mère. Une autre jeune fille a précisé qu’elle avait dû vivre dans un refuge avec sa mère pendant un certain temps après la séparation de ses parents. Une autre a mentionné qu’elle n’avait pas été surprise que ses parents se séparent, et qu’elle avait éprouvé un sentiment de soulagement quand son père a quitté le domicile familial. Pour chacun de ses enfants, la séparation ou le divorce de leurs parents a constitué une épreuve extrêmement difficile.

 

Les jeunes de ce groupe avaient également leur mot à dire sur la thérapie. Une jeune fille a observé que bien que sa mère et elle aient suivi une thérapie, son père en aurait bénéficié bien davantage. Elle a déclaré qu’elle espérait qu’un jour, il se déciderait à se faire suivre, mais elle était convaincue que son père ne se souciait nullement d’elle, de sa mère ou du conflit familial. En outre, elle a avoué qu’elle s’était souvent interrogée sur l’intérêt de la thérapie, mais qu’elle ne pensait pas qu’elle pouvait poser cette question à son thérapeute.

 

De nombreuses jeunes filles avaient une image très négative de leur père, qui s’était montré violent avec leur mère ou avec elles-mêmes. En évoquant leur père, elles employaient des expressions choquantes, en déclarant par exemple « Mon père est un pauvre type » et « Je le hais ». Elles semblaient écœurées par le comportement de leur père. L’une des fillettes a avoué qu’elle avait peur de son père. En revanche, une autre jeune fille a tenu à dire qu’elle aimait toujours son père. Les garçons présents ont été perturbés d’entendre ces jeunes filles utiliser un langage aussi cinglant pour faire référence à leur père. Parallèlement, l’un des garçons semblait se demander pourquoi les pères étaient souvent ceux qui adoptaient un comportement inapproprié. Selon l’un des jeunes, la famille de sa mère et la famille de son père avaient toutes deux une perception négative l’une de l’autre, mais elle était plus prononcée du côté maternel. Il a déclaré que vers la fin de la relation de ses parents, il trouvait très perturbant d’entendre les membres d’une partie de la famille critiquer l’autre dans son dos. À noter que si les filles se sont montrées particulièrement dures en décrivant leur père, elles ont également exprimé un sentiment de frustration vis-à-vis de leur mère.

 

Quand nous avons évoqué le processus juridique, il est apparu que tous les enfants voyaient les avocats sous un angle négatif. Ils ont indiqué qu’ils s’étaient sentis particulièrement frustrés par le fait que les avocats ne leur avaient pas demandé leur opinion, ou au contraire, leur avaient demandé leur avis, mais sans donner l’impression d’y prêter attention. L’une des jeunes, qui était représentée par son propre avocat, précise que lorsque son avocat lui posait une question telle que « Veux-tu voir ton père? » et qu’elle répondait par un « Non » très clair, l’avocat tentait alors de reformuler la phrase (en demandant par exemple : « Si tel ou tel événement survenait, voudrais-tu voir ton père? »), ce qui n’empêchait pas la jeune fille de continuer à répondre par la négative. La jeune fille a déclaré que son avocat ne cessait de reformuler ce qu’elle disait, et qu’il n’avait jamais accepté sa réponse. Elle a eu l’impression qu’aucun avocat ne faisait attention à son discours et qu’il lui était impossible de se faire entendre. Un jeune a déclaré : « Pourquoi ma mère devrait-elle payer cent dollars pour un courriel d’une ligne? ». Une autre s’est exprimée sur les délais d’attente. Selon elle, le système judiciaire ne fonctionne pas et doit être entièrement revu. Ces enfants ont donc fait clairement comprendre que d’après eux, l’appareil judiciaire présentait certains dysfonctionnements.

 

Une fillette âgée de 11 ans estimait qu’il était injuste qu’elle n’ait pas pu être entendue à l’audience parce qu’elle n’avait pas encore 12 ans. Elle a également indiqué que l’enregistrement sonore de sa déposition auprès des services de police ne restituait pas du tout le son de sa voix, et qu’il ne reflétait pas son opinion. Elle était fermement convaincue qu’elle aurait dû être autorisée à témoigner à l’audience afin de compléter cet enregistrement. La CDO a demandé à ces enfants à quel âge, selon eux, les enfants devraient être autorisés à donner leur propre opinion, sans intermédiaire. Ils ont répondu que tout dépendait de l’enfant et qu’il était difficile de définir un âge en particulier. Certains ont suggéré de proposer un questionnaire aux enfants, ou de demander à un enseignant d’évaluer leur capacité à s’exprimer. Un jeune a cependant déclaré que selon lui, chaque enfant devrait avoir le droit de donner son opinion, quelle que soit sa capacité à s’exprimer. Les jeunes ont semblé apprécier que la consultation leur donne l’occasion de relater leur expérience.

 

La CDO leur a demandé quels éléments les avaient aidés à surmonter leurs problèmes familiaux, et quels mécanismes d’adaptation ils recommanderaient à d’autres jeunes. Les enfants ont donné les conseils suivants :

Dessine, écoute de la musique, chante;
Joue à des jeux vidéo, regarde la télévision ou un film;
Vois un thérapeute pour dire ce que tu as sur le cœur;
Ne reste pas déprimé trop longtemps, essaie d’être joyeux;
Écris un journal intime;
Procure-toi un petit ballon de boxe ou un sac d’entraînement, ou alors crie dans ton oreiller et donne-lui des coups de poing;
Dis ce que tu penses, mais fais attention à qui tu parles (une jeune fille a avoué qu’elle avait été très abattue en apprenant que l’une de ses amies avait révélé ses problèmes à toute sa classe);
Parle seulement aux gens en qui tu as confiance;
Parle à un ami ou à un membre de ta famille (un cousin, par exemple), qui a déjà vécu la même expérience;
Si quelqu’un ne t’écoute pas, essaie une autre méthode;
Fais du vélo;
Écris une lettre, mais ne l’envoie pas;
Fais-toi faire des tresses;
Trouve-toi un petit ami/une petite amie; ou
Sers-toi de ton imagination, pense à l’avenir, à des choses incroyables.
 

Un jeune a ajouté la chose suivante : « Si tu connais quelqu’un qui vit la même expérience, dis-lui que tu comprends ce qu’il ressent ».

 

Tous ces enfants ont déclaré qu’ils avaient éprouvé un sentiment de colère, qu’ils s’étaient montrés agressifs ou qu’ils avaient été tentés de le faire. Chacun d’entre eux avait élaboré sa propre stratégie pour contrôler ce sentiment de colère. Une fillette a indiqué que quand elle avait envie de monter dans sa chambre et de donner des coups de poing dans le mur, elle parlait avec sa mère. Une autre a déclaré qu’après une dispute avec sa mère, elle allait dans sa chambre, s’allongeait et regardait le plafond, et réfléchissait un moment. Ensuite, elle retournait voir sa mère, qui la serrait parfois dans ses bras, ce qu’elle appréciait particulièrement. L’un des garçons a déclaré que depuis le divorce de ses parents, il pensait trop, sans cesse, et qu’il remettait tout en question, ce qu’il ne faisait jamais auparavant. Un autre a avoué qu’il avait donné des coups à un camarade de classe, et qu’il s’était senti très mal ensuite. Les enfants sont tombés d’accord sur le fait que faire preuve de violence à l’encontre d’autres enfants ne résolvait rien, mais ils sont fermement convaincus qu’il faut trouver un moyen pour évacuer la colère, d’où le conseil consistant à donner des coups de poing à un sac de boxe ou à un oreiller.

Cette consultation a permis aux enfants de se faire entendre, mais elle a aussi mis en évidence le fait que même à un très jeune âge, les enfants souffrent d’une oppression due à des stéréotypes raciaux ou fondés sur le sexe. En raison de leur âge, le pouvoir décisionnel dont ils disposent est différent, notamment s’agissant de signer des documents, de consentir à une relation sexuelle ou de témoigner devant un tribunal. Ils sont également contraints de se plier à des décisions prises par les adultes en ce qui concerne leur éducation, ce qui peut parfois les affecter de façon significative. Ces différents degrés de dépendance les rendent vulnérables et les rendent méfiants à l’égard des adultes et des décisions que ceux-ci prennent à leur égard. La prestation de services aux enfants requiert des conseillers et des avocats qui travaillent avec des enfants ou les représentent afin que ces dynamiques restent présentes à l’esprit de chacun.

 

13. Violence familiale et intimidation juridique


Les utilisateurs et les travailleurs sont nombreux à penser que le système de justice familiale ne gère toujours pas correctement les problèmes de violence familiale et d’intimidation juridique. Dans cette section, nous utilisons le terme « violence familiale » essentiellement pour faire référence à un comportement violent de la part du partenaire intime, mais aussi pour désigner plus généralement les violences exercées au sein du foyer, entre les membres d’une même famille. Quant au terme « intimidation juridique », il se rapporte aux situations dans lesquelles une personne utilise l’appareil judiciaire pour intimider quelqu’un par le biais de menaces, en soumettant un nombre inapproprié de requêtes ou en optant pour une approche extrêmement agressive, par exemple. D’autres participants au processus de consultation ont mentionné que de nombreux renseignements erronés circulaient à propos de la violence familiale, et qu’il existait peu d’occasions de suivre régulièrement une formation de qualité à ce propos[18]. Selon un avocat spécialiste du droit de la famille, le droit pénal est trop sévère vis-à-vis des agressions mineures, mais ne punit pas assez sévèrement les agressions graves. En outre, même si le droit de la famille et le droit pénal sont nécessaires à la résolution de certaines de ces affaires, les résultats les plus probants en ce qui concerne la diminution des cas de violence familiale et d’intimidation juridique semblent être obtenus grâce à des processus de sensibilisation et de construction de l’estime de soi qui ne dépendent pas du système judiciaire. Dans le meilleur des cas, le système de justice familiale n’apporte aucune solution à ces problèmes; dans le pire des cas, il contribue à les renforcer en procurant aux plaideurs des outils qui leur permettent de perpétuer leur comportement.

 

a.    Violence familiale


Les travailleurs et les utilisateurs peuvent avoir une perception très différente de la façon dont le système de justice familiale prend en charge les problèmes de violence familiale. Certains travailleurs, qui ont très certainement participé à de nombreuses réunions sur la violence familiale au fil des ans, semblent penser qu’ils sont suffisamment informés sur cette question. Ils ne manifestent pas nécessairement un grand enthousiasme à l’idée de mettre davantage l’accent sur cet aspect du droit de la famille. D’autres semblent irrités par le discours féministe autour de la violence familiale sans pour autant apporter la preuve qu’ils le comprennent. Certains estiment que le point de vue des hommes n’est pas souvent entendu dans les discussions portant sur la violence familiale, mais ne semblent pas voir sous un jour positif les efforts qui ont permis de mieux faire entendre le point de vue des femmes dans ce domaine. Comme l’ont relevé de nombreux participants au processus de consultation, il faut travailler davantage pour revenir à l’essentiel : la violence familiale et d’autres types de violence créent des dégâts à long terme, qui sont souvent intergénérationnels; toutes les violences ne se ressemblent pas et ne sont pas nécessairement extrêmes dans leur nature; toutes les formes de violence doivent être prises au sérieux; au sein du système de justice familiale, une grande patience est nécessaire pour repérer la violence et évaluer des allégations de violence. Les consultations avec les enfants ont bien montré que ces derniers étaient profondément affectés par les relations violentes de leurs parents, que la colère qu’ils éprouvent peut les amener à construire des stéréotypes de genre et parfois, quand ils n’arrivent pas à maîtriser cette colère, les conduire à intimider d’autres enfants. Il est donc indéniable que la violence familiale demeure un problème très sérieux.

 

De plus, les consultations ont révélé que la violence familiale et l’intimidation juridique restent fréquentes. La plupart des utilisateurs consultés par la CDO avaient été confrontés à une forme de violence familiale ou une autre, y compris ceux qui n’avaient pas été conviés aux consultations par des travailleurs s’occupant principalement de victimes de violence familiale. La violence familiale reste répandue, même si le discours concernant la violence familiale peut avoir évolué au fil du temps :

 

La violence du partenaire est l’une des principales raisons pour lesquelles une famille est orientée vers la SAE. (Un travailleur exerçant auprès d’une société d’aide à l’enfance).

                                  

Environ 14 % des affaires où il est fait appel aux visites surveillées impliquent une violence familiale. (Un travailleur aux visites surveillées)

 

Pendant les consultations, plusieurs utilisateurs ont évoqué des expériences de violence familiale et d’incapacité. Une personne a parlé des pressions exercées par sa famille élargie – dont les membres appartiennent à une communauté racialisée – pour qu’elle reste avec son partenaire. Les problèmes associés à la violence familiale peuvent donc adopter de nombreuses formes. De nombreux utilisateurs ont parlé du fait que les gens qui les entouraient, y compris des travailleurs tels que des policiers ou des juges, ne voulaient pas admettre qu’ils se trouvaient devant une situation de violence familiale, même quand les utilisateurs leur fournissaient preuves qu’ils jugeaient convaincantes.

 

Pourtant, de nombreux travailleurs ont expliqué comment ils identifiaient les situations de violence familiale. Pour certains avocats, cela ne semblait pas présenter de difficultés. Leurs clients le leur annoncent parfois eux-mêmes, et certains leur demandent même s’ils ont déjà traité des affaires impliquant une violence familiale. Un avocat a néanmoins souligné que dans certains cas, les clients ne s’identifient pas directement comme une victime. Ils se contentent de relater leur expérience et minimisent même parfois les actes de leur agresseur. Certains travailleurs indiquent que la violence psychologique est plus difficile à détecter que la violence physique, et estiment que des signes d’agression physique mineure peuvent dissimuler un problème plus grave. De nombreux utilisateurs ont expliqué qu’ils avaient pris conscience très tard qu’ils se trouvaient dans une situation de violence familiale. Certains se sont seulement rendu compte de la gravité du problème quand un conseiller leur a indiqué qu’il s’agissait de violence. Pour un utilisateur ou un travailleur, la violence – qu’elle soit d’ordre physique, psychologique, sexuel, spirituel ou financier – n’est pas toujours facile à repérer. Il est également difficile d’élaborer des dispositifs de repérage sophistiqués dès le premier entretien avec le client, ainsi que tout au long de la prestation de services. De nombreuses personnes consultées estiment que les travailleurs exerçant dans le domaine du droit de la famille devraient suivre régulièrement des formations sur la violence familiale. La CDO remarque que la réticence, l’impatience ou la frustration qui sont manifestées par certains utilisateurs et certains travailleurs lors des discussions portant sur ce thème constituent autant de sentiments susceptibles de compliquer le processus d’empêcher la détection de la violence familiale.

 

Certains utilisateurs de sexe masculin participant aux consultations ont révélé qu’ils avaient été reconnus coupables de violence, et d’autres utilisateurs ont évoqué de façon plus générale les problèmes psychologiques et financiers auxquels ils faisaient face en raison de la séparation. Ils ont précisé que, même si initialement, ils étaient réticents à l’idée de rejoindre un groupe de soutien pour hommes, ils avaient ensuite regretté de ne pas l’avoir fait plus tôt. Certains conseillers, qui travaillent avec des hommes que la justice a contraints à se faire suivre psychologiquement, ont mentionné que les thérapies obligatoires ne menaient pas très loin. Les groupes de soutien pour hommes consacrés à la violence familiale et fonctionnant sur la base du volontariat sont moins connus et moins nombreux que les groupes de soutien pour femmes[19]. Selon certains travailleurs, il est encore trop tôt pour évaluer l’impact positif éventuel de ces groupes. En revanche, d’autres personnes – par exemple des travailleurs qui proposent des thérapies de groupe aux victimes de violence familiale ainsi qu’à des personnes qui font face à de graves difficultés dans leur famille (y compris des hommes) – déclarent qu’elles ont constaté des transformations positives chez leurs clients. La CDO a remarqué qu’en règle générale, les hommes qui ont participé aux consultations aimeraient qu’il existe un plus grand nombre de services proposés aux hommes et dédiés à des problèmes tels que la garde des enfants ou la violence familiale.

 

La plupart des femmes ayant vécu dans un contexte de violence familiale ont souffert de différentes formes de maltraitance commises par un partenaire de sexe masculin; certaines avaient souffert de maltraitance de la part de leurs enfants; enfin, certains adultes ont précisé qu’ils avaient vu leur mère se faire maltraiter quand ils étaient enfants, et qu’ils avaient été eux aussi victimes de maltraitance. Comme nous l’avons vu dans la section concernant les enfants et les jeunes, les enfants souffrent très profondément d’être exposés à des actes de violence familiale. La plupart des femmes qui ont fait appel à des refuges et à des services de soutien transitoire ont jugé que ces prestations leur avaient été très utiles. Une jeune fille a indiqué qu’elle avait vécu temporairement dans un refuge avec sa mère, et qu’elle avait apprécié la gentillesse du personnel de ce refuge. Certains travailleurs ont souligné que le système de refuges et de services contre la violence à l’égard des femmes s’avérait très performant pour les femmes non handicapées et relativement jeunes. En revanche, ils étaient d’avis qu’il serait possible de mieux répondre aux besoins des femmes plus âgées, des femmes handicapées, des femmes qui n’ont pas obtenu la garde des enfants à l’issue d’une séparation, des femmes de la communauté LGBTQI et des femmes racialisées ne parlant ni français ni anglais.

 

De nombreuses personnes âgées qui sont exposées à une violence familiale n’osent pas signaler leur situation ni en parler de peur d’être placées dans un foyer de soins. (The Ontario Network for the Prevention of Elder Abuse)

 

Dans ses recommandations, la CDO prendra en compte le besoin d’élargir la palette de services contre la violence familiale. La CDO mène également un autre projet axé sur le droit des aînés, lequel a également mis en évidence l’existence d’un problème de violence à l’encontre des personnes âgées. La CDO propose un forum de discussion portant sur cet aspect[20].

 

b.    Intimidation juridique


En ce qui concerne l’intimidation juridique, qui peut être liée ou non à une situation de violence familiale, nous avons demandé aux personnes qui ont participé à la consultation et à celles qui ont répondu au questionnaire comment elles définiraient la notion d’« intimidation juridique ». Leurs réponses illustrent différents points de vue, dont les suivants :

Selon nous, l’« intimidation juridique » reflète l’échec de l’appareil judiciaire sur le plan systémique. La communauté juridique et les services de divorce élargis sont ceux qui commettent l’« intimidation juridique » – les clients qui souhaitent harceler la partie adverse ne sont que des éléments catalyseurs. (Conseil canadien pour le rôle parental égal)

 

Pour moi, l’« intimidation juridique » consiste à utiliser des menaces afin d’utiliser l’appareil judiciaire contre quelqu’un (il peut s’agir par exemple du fait de menacer de faire appel à un avocat ou à la police pour contrôler le comportement de l’autre personne, même si la menace est injustifiée). (Un travailleur exerçant dans un refuge pour femmes battues)

 

Tous les avocats de ma région ont recours à l’intimidation judiciaire. (Un utilisateur)

 

Le fait qu’une partie puisse recourir au système judiciaire de façon abusive pour s’opposer à la partie adverse est corrélé au déséquilibre systémique du pouvoir en Ontario. Ce phénomène ne se limite pas à la sphère familiale. De nombreux témoignages montrent que des plaideurs jouissant d’un fort pouvoir économique ont déjà traîné de force certaines personnes ou entités devant les tribunaux. Pour autant, cela ne signifie pas qu’il ne faut pas mettre en place des mécanismes permettant d’identifier les personnes ayant recours à l’intimidation juridique et les empêcher de le faire. Le système judiciaire a imaginé certains mécanismes pour traiter de tels cas, mais aussi remédier au déséquilibre du pouvoir. L’expérience vécue par certains utilisateurs et certains travailleurs révèle néanmoins que de nombreuses personnes passent entre les mailles du filet.

 

Dans le contexte du droit de la famille, l’intimidation juridique reflète un déséquilibre du pouvoir au sein du foyer. Différentes raisons peuvent motiver certains utilisateurs à prolonger les procédures et harceler la partie adverse sur le plan juridique. Il peut s’agir d’un moyen de refuser qu’une relation soit arrivée à son terme, ou d’un désir de continuer à contrôler l’ancien partenaire comme au cours de leur relation. Les participants au processus de consultation ont également souligné que certains avocats, en utilisant parfois des tactiques visant à retarder la procédure afin de gonfler leurs notes d’honoraires, se livraient à une forme d’intimidation juridique. D’autres ont précisé que les écoles tentaient parfois d’intimider les parents qui n’avaient pas obtenu la garde de leurs enfants, mais qui cherchaient à obtenir des renseignements à leur propos. Dans le contexte du droit de la famille, l’intimidation juridique peut donc revêtir de nombreuses formes.

 

En ce qui concerne le système judiciaire, de nombreux utilisateurs ont mentionné au cours des consultations que les juges pourraient être plus efficaces pour mettre un terme aux actes d’intimidation juridique. Ces utilisateurs seront sans doute heureux d’apprendre ce que les juges de la Cour supérieure de justice ont confié à la CDO sur le sujet :

 

Si certaines parties d’un affidavit sont inappropriées, elles devraient être radiées. Des sanctions financières devraient ensuite être imposées. (Juges de la Cour supérieure de justice (CSJ) – Région du Centre-Sud de l’Ontario)

 

Un partenaire manipulateur et abusif peut replonger la partie adverse dans la victimisation – toutefois, la réponse ne consiste pas à exclure cette personne de la procédure en infligeant des sanctions financières, en ordonnant la radiation des actes de procédure ou en faisant en sorte que la procédure se poursuive sans que cette personne soit défendue. Dans ce cas, le litige risque d’être jugé en fonction d’éléments qui n’ont pas de rapport avec le mérite, au lieu d’être jugé de façon à servir au mieux les intérêts des enfants ou des parties. La réponse consiste à empêcher d’autres présentations ou auditions sans autorisation, et – c’est là un point essentiel – de contraindre les parties à respecter les ordonnances déjà prises, par le biais de procédures pour outrage au tribunal et/ou d’une suspension temporaire. (Juges de la CSJ – Région du Nord-Est de l’Ontario)

 

Les tribunaux civils sont amenés à faire face à des plaideurs vexatoires qui présentent les mêmes caractéristiques que ceux à qui l’on peut avoir affaire dans les litiges familiaux. Dans de tels cas, nous n’hésiterions pas à utiliser une exigence obligatoire qui veut que nous traitions toutes les affaires avec équité, en utilisant les ressources juridiques dans la proportion nécessaire, afin d’émettre des ordonnances restreignant de futures motions/entretiens, d’empêcher l’intervention des plaideurs vexatoires, de prescrire des délais, et de proposer des dates de procès qui ne peuvent pas être ajournées. Il faut également cesser de penser que toutes les affaires peuvent ou doivent être réglées. De nombreuses affaires ne peuvent pas être réglées, et ne devraient pas l’être. Il n’y a rien de répréhensible dans le fait d’instruire des affaires et d’imposer des décisions à ceux qui ne peuvent pas ou ne veulent pas prendre ces décisions eux-mêmes. (Juge de la CSJ – Toronto)

 

14. Points de vue sur les juges


Les avocats ont fait l’objet de nombreuses critiques de la part des participants au processus de consultation – parmi lesquels certains avocats. Les juges constituent un autre groupe à l’égard duquel les participants ont formulé des griefs. Rappelons que les juges sont d’anciens avocats, et puisque cette profession a une influence significative en ce qui concerne la résolution des conflits familiaux, les utilisateurs comme les travailleurs attendent beaucoup d’eux. La façon dont les juges sont perçus est également influencée par la dynamique de pouvoir qui règne entre les professionnels du droit et les autres professions. En outre, il ne faut pas oublier que quand les utilisateurs en sont arrivés au point où seule une tierce partie est capable de résoudre leur conflit et de prendre des décisions à leur place, ils se montrent très souvent mécontents des décisions prises, même s’ils éprouvent parallèlement un sentiment de soulagement. Comme l’indique un juge de la Cour de justice de l’Ontario, la « satisfaction du client » n’est pas un critère qui peut être utilisé pour évaluer l’efficacité du système de justice familiale. Il n’en demeure pas moins que l’opinion des utilisateurs doit être prise en compte. Ils doivent pouvoir faire entendre leur voix dans un contexte aussi émotionnellement lourd que celui des conflits familiaux.

 

Certains participants étaient d’avis que les juges du système de justice familiale disposent de leur propre dynamique interne du pouvoir, et qu’il existe notamment une certaine compétition entre les juges de la Cour de justice de l’Ontario et ceux de la Cour supérieure de justice. Ils sont convaincus que cette dynamique de pouvoir dessert les utilisateurs comme les travailleurs puisque, dans l’ensemble, elle suscite une adversité au sein du système de justice familiale. Les participants au processus de consultation ont également souligné que certains juges semblaient peu communiquer avec le personnel du tribunal, et que cela n’était guère propice à l’instauration d’un environnement collaboratif. En bref, le système hiérarchique du système de justice contribue à exacerber les rivalités. Malgré ces critiques, certains juges ont pleinement conscience de la valeur du travail accompli par le personnel :

 

Il serait utile que la description de la mission de nos officiers des services aux tribunaux soit révisée pour que soit reconnu le fait qu’un officier exerçant auprès du tribunal de la famille a des attributions plus spécifiques que dans d’autres domaines de la Cour supérieure… Un bon officier est un allié précieux, notamment quand il s’agit d’organiser le rôle d’audience et de le passer au crible pendant que le juge traite d’autres aspects au tribunal. (Juges de la CSJ – Centre-Est)

 

De nombreuses personnes consultées ont souligné que les juges devraient être mieux formés. Certaines ont évoqué le fait que tous les juges ne connaissaient pas suffisamment bien les Règles en matière de droit de la famille[21]. Toutefois, la plupart d’entre eux s’avouaient surtout préoccupés par la façon dont les juges comprenaient les enjeux sociaux, notamment la violence familiale et les affaires très conflictuelles, mais aussi les questions concernant la communauté LGBTQI, les différentes communautés ethniques et les personnes handicapées. Certains juges de la Cour supérieure de justice ont d’ailleurs signalé eux-mêmes qu’ils souhaiteraient suivre une formation plus approfondie :

 

Il est difficile de justifier les coûts faramineux de tous ces congrès quand, souvent, ils abordent à peine notre travail au tribunal de la famille… Nous devrions entendre des experts en violence familiale, pas juste des « victimes » – les deux points de vue devraient être présentés, et il nous faudrait obtenir des indications sur les stratégies conseillées/déconseillées pour traiter avec chacune des parties…. Des formations telles que celles proposées par l’Institut national de la magistrature (par exemple le récent programme intitulé « managing the domestic violence trial ») devraient être prévues chaque année, et nous devrions en être informés suffisamment à l’avance de façon à pouvoir organiser notre emploi du temps afin d’y assister si nous le souhaitons. (Juges de la CSJ – Centre-Est)

 

Bon nombre de participants au processus de consultation ont déclaré qu’ils avaient l’impression qu’il existait toujours des préjugés liés au genre au sein du système judiciaire de l’Ontario. Quelques personnes ont évoqué des préjugés à l’encontre des femmes, d’autres des préjugés à l’encontre des hommes. Certains participants de sexe masculin avaient le sentiment que les femmes obtenaient plus facilement la garde des enfants que les hommes. Ils estimaient également qu’il était plus aisé de porter des accusations non fondées de violence familiale à l’encontre d’un homme qu’à l’encontre d’une femme. Certaines femmes pensaient que leur crédibilité était plus souvent contestée que celle des hommes, avec à la clé le sentiment de ne pas être prises au sérieux. Les membres de la communauté LGBTQI ont indiqué que puisque pendant très longtemps, ils avaient été traités très peu équitablement par les tribunaux, il leur était très difficile de faire confiance aux procédures juridiques, particulièrement pour les affaires ayant trait au droit de la famille[22]. D’après les expériences vécues par les travailleurs et les utilisateurs, ces préjugés sont perpétués aussi bien par des juges de sexe féminin que masculin.

 

Bien que les travailleurs et les utilisateurs aient formulé des critiques à l’encontre des juges, la plupart d’entre eux ont reconnu qu’ils avaient besoin d’un symbole d’autorité (tel qu’un juge) pour résoudre certains types de litiges familiaux très conflictuels. De même, même si les juges se plaignent du nombre élevé de plaideurs non représentés et de l’absence de fonds de soutien juridique permettant aux utilisateurs d’être défendus par un avocat, ils ont également souligné qu’ils étaient convaincus que les utilisateurs doivent avoir le droit de se pourvoir en justice s’ils l’estiment nécessaire. Les juges ne sont donc pas nécessairement opposés au fait de fournir aux utilisateurs des outils leur permettant d’assurer leur propre représentation. Pour conclure, disons que tout comme dans le cas des avocats et de leurs relations avec les autres utilisateurs et professionnels, les relations entre les juges, les utilisateurs et les autres professionnels constituent un domaine qui mérite d’être étudié dans l’optique de la réforme du système de justice familiale.

 

C.  Points d’entrée

1.    Remarques générales

Les personnes ayant participé au processus de consultation ont identifié les facteurs qui expliquent pourquoi telle ou telle personne passera par tel ou tel point d’entrée. Ces facteurs, et les exemples connexes, dépendent :

·         De l’angle sous lequel ces personnes envisagent leur problème (juridique, économique, spirituel),

Ø  Quelqu’un qui veut sauver son mariage pourra par exemple consulter une personne représentant l’autorité au sein de son groupe confessionnel;

·         De l’état de leurs finances,

Ø  Quelqu’un qui bénéficie de ressources financières pourra plus facilement faire appel à une aide professionnelle;

·         De la gravité du conflit familial,

Ø  Les conflits les plus graves imposent souvent le recours à des professionnels du droit ou de la santé mentale, aux tribunaux, aux services de soutien aux femmes victimes de violence familiales, aux services de police et de bien-être de l’enfance;

·         Du fait que le recours au système de justice familiale soit volontaire ou non,

Ø  Si une personne qui a besoin d’une aide sociale a l’impression qu’elle n’a pas d’autre choix que de poursuivre son ex-conjoint de fait pour obtenir une pension alimentaire;[23] ou

Ø  Si un tiers a appelé une société d’aide à l’enfance;

·         Du stade de leur relation (pré-engagement, relation suivie, séparation et dissolution),

Ø  Si une personne poursuit une relation suivie depuis de nombreuses années et que tous les aspects de sa vie sont liés à son conjoint, elle peut se trouver dans une situation d’isolement et avoir du mal à trouver des amis proches ou des membres de sa famille à qui se confier;

·         Du fait que ces personnes connaissent l’existence des services liés au droit de la famille, et du degré de ces connaissances,

Ø  Si une personne sait qu’elle a droit au versement d’une pension alimentaire, elle peut se rendre dans une clinique d’aide juridique ou consulter Internet pour obtenir des renseignements plus détaillés;

·         De leur stabilité émotionnelle au moment où les problèmes apparaissent,

Ø  Les personnes atteintes de dépression peuvent se sentir isolées et demander de l’aide uniquement lors d’une crise extrême en téléphonant à un numéro d’urgence;

·         De l’idée que ces personnes se font du système judiciaire,

Ø  Si quelqu’un se méfie des avocats, la dernière chose qu’il fera sera d’en appeler un; et

·         Du fait que des enfants soient impliqués,

Ø  Les parents sont davantage amenés à fréquenter les établissements scolaires que les personnes qui n’ont pas d’enfant; par conséquent, les parents ont accès à l’information mise à disposition par l’école de leur enfant pour ce qui a trait aux services juridiques, sociaux ou de santé.

 

Ces facteurs et ces exemples prouvent qu’en comprenant mieux l’expérience vécue par un utilisateur, il est plus facile d’évaluer la probabilité de le trouver à un point d’entrée plutôt qu’à un autre. Il est donc essentiel de prendre cette expérience en compte lorsqu’on tente d’améliorer les systèmes de réseautage et de référence entre les points d’entrée. La CDO s’emploiera à poursuivre ce travail d’identification en étudiant d’autres facteurs pertinents au cours de la dernière phase de son étude.

 

2.    Quelques exemples de points d’entrée


Les consultations ont permis de mieux comprendre le fonctionnement de plusieurs points d’entrée et de fournir des études de cas documentées pour chacun d’entre eux. Cette section synthétise les différentes études de cas fournies par les services d’interprétation, les cliniques d’aide juridique travaillant avec les communautés racialisées et isolées, les groupes francophones luttant contre la violence familiale et les professionnels du droit familial collaboratif exerçant auprès des Centres d’information sur le droit de la famille. La CDO prendra en compte les remarques de ces parties prenantes lors de l’élaboration des recommandations dans le cadre de la réforme.

 

Témoignage d’une professionnelle faisant partie d’une communauté racialisée


Une femme, qui présente un œil tuméfié, pénètre dans le bureau de la responsable d’un service d’interprétation et lui relate ce qui lui est arrivé. La responsable du service d’interprétation vient d’Asie du Sud. Avocate de formation, elle n’exerce désormais plus cette profession. La femme qu’elle reçoit est mère d’un adolescent de 17 ans. Un jour, lassée du comportement de son mari, elle décide qu’elle ne le tolèrera pas une seconde de plus et quitte son foyer. Plus tard, elle décide de revenir chercher son ordinateur et tombe sur une autre femme, avec laquelle son mari a eu une relation extraconjugale. Sa première réaction consiste à hurler, suite à quoi son mari la frappe d’un coup de poing au visage. La douleur est telle qu’elle laisse tomber son ordinateur. Elle commence ensuite à se frapper la tête contre le sol. Son mari appelle alors la police en indiquant que sa femme est devenue folle. Bien que cette femme sache s’exprimer en anglais, elle refuse de parler à l’agent qui se présente, et qui prend donc uniquement la déposition de son mari. L’agent donne sa carte à la femme et lui indique de se rendre au poste de police si elle souhaite faire une déposition. La femme ignore si une plainte a été déposée contre elle ou non. Personne n’a appelé l’hôpital. Aucun suivi n’a eu lieu. Aujourd’hui, cette femme ignore quelle déposition elle doit faire au poste de police. Elle souhaite se séparer de son mari et obtenir la moitié de la valeur de la maison. Elle déclare au responsable du service d’interprétation qu’elle ignore où se rendre pour obtenir de l’aide. La responsable du service d’interprétation est consciente que cette femme est venue la voir parce qu’elles appartiennent à la même minorité racialisée et parce que cette femme savait qu’elle avait exercé en tant qu’avocate. La responsable du service d’interprétation estime que cette femme ne devrait pas être contrainte de faire appel à elle pour évoquer des problèmes familiaux, et que les services relatifs au droit de la famille (y compris en matière de droit pénal) devraient être plus accessibles. (Étude de cas fournie par un service d’interprétation)

 

La responsable du service d’interprétation a considéré que dans ce cas de figure, elle constituait un point d’entrée parce qu’elle réunissait un ensemble de caractéristiques : elle est membre d’une minorité racialisée, et elle a exercé comme avocate par le passé. C’est donc la combinaison de ses compétences et de ses caractéristiques identitaires qui ont fait la différence. De nombreux professionnels ayant participé au processus de consultation ont indiqué qu’ils avaient été considérés comme des points d’entrée par des membres de leur communauté (p. ex., communauté racialisée, linguistique ou LGBTQI). De tels professionnels peuvent constituer des points d’entrée très utiles s’ils sont capables d’orienter les personnes qui les approchent vers les services appropriés. Dans l’exemple cité ci-dessus, la femme aurait pu être orientée vers un centre communautaire offrant des services aux femmes exposées à la violence familiale, et de préférence vers des services conçus pour les femmes d’Asie du Sud et dispensés dans leur langue maternelle. Pour cette femme, cela constituerait un moyen sûr d’avoir accès à de l’information relative aux services juridiques et de santé mentale.

 

Organisations communautaires spécifiques à une culture ou à une langue


Madame Liu[24] et son conjoint sont mariés depuis de longues années. Tous leurs enfants sont désormais des adultes. Ni Madame Liu ni son mari ne travaillent, mais ils possèdent une maison qu’ils louent. Ils vivent dans des pièces séparées. Madame Liu vit au sous-sol; son mari occupe leur chambre. Il a demandé aux locataires de lui verser directement l’argent du loyer. Madame Liu n’a donc aucune ressource financière. Son mari lui a également déclaré que s’ils divorçaient, il lui donnerait seulement 30 000 dollars, et que si elle voulait ne serait-ce qu’un centime de plus, il la tuerait. Mais Madame Liu ne veut pas appeler la police.

 

Elle consulte plusieurs sites Web pour trouver un avocat parlant chinois. Elle a téléphoné à plusieurs avocats, mais n’en a rencontré aucun. Les avocats avec lesquels elle a communiqué lui ont dit que même s’ils préparaient un accord pour elle et son mari, celui-ci pouvait néanmoins changer d’avis et l’affaire finir devant le tribunal. Si elle utilise ses économies pour régler les honoraires d’un avocat, il ne lui restera rien pour vivre. Si seulement elle était sûre qu’un accord suffirait, elle serait prête à dépenser une certaine somme en frais juridiques; mais dans le cas contraire, ce serait de l’argent perdu. De son point de vue, la loi ne signifie rien pour son mari, et il n’y a rien qu’elle puisse faire. Madame Liu décide alors de consulter son député provincial, qui l’oriente vers une clinique d’aide juridique proposant des services à la communauté chinoise. Madame Liu n’avait jamais entendu parler de sites Web donnant des renseignements relatifs au droit de la famille.

 

Elle ne comprend pas l’anglais, et doit s’appuyer sur des avocats qui parlent chinois. Les brochures d’information doivent elles aussi être en chinois. Si elle ne peut pas comprendre le contenu des brochures, il faut que quelqu’un puisse le lui expliquer. Elle est quinquagénaire, et même si elle réside au Canada depuis neuf ans, elle ne parle pas anglais et il lui est très difficile d’apprendre une nouvelle langue. (Étude de cas fournie par une clinique d’aide juridique dédiée à une culture et à une langue spécifique)

 

Tout comme dans le premier scénario, la femme évoquée ci-dessus a commencé par communiquer avec un professionnel qui parlait sa langue et appartenait au même groupe culturel qu’elle. Parce qu’elle était pleine de ressources, cette femme est allée jusqu’à parler à son député provincial, qui l’a aidée à trouver une clinique d’aide juridique appropriée fournissant des renseignements sur le droit de la famille dans sa langue maternelle. Toutefois, après s’être renseignée sur les différentes options possibles sur le plan juridique, elle n’a pu poursuivre sur sa lancée faute de pouvoir trouver d’avocat sinophone désireux de s’occuper de son affaire bénévolement ou, si elle répond à leurs critiques d’admissibilité, par l’intermédiaire d’Aide juridique Ontario. Même les services bien intentionnés susceptibles de constituer des points d’entrée efficaces ne peuvent pas être utiles en raison de l’absence de services complémentaires gratuits ou abordables, tels que des services juridiques dans ce cas précis.

 

Services en français


L’étude de cas précédente mettait en exergue l’un des obstacles auxquels font face les Ontariennes et Ontariens qui ne parlent pas anglais. Les consultations ont confirmé que les obstacles auxquels se heurtent les Ontariens francophones ne sont pas du tout du même ordre. Les francophones de l’Ontario s’attendent à avoir accès à des services en français en raison du cadre juridique et culturel qui prévoit la prestation de services en français dans la province. Toutefois, les consultations ont mis en évidence le fait que ce cadre juridique et culturel était généralement encore mal compris à la fois par les utilisateurs et les travailleurs de l’Ontario. Bien entendu, les habitants anglophones de la province savent qu’il existe deux langues officielles au Canada. Ils sont également conscients de l’existence d’une minorité francophone en Ontario, notamment s’ils résident dans une région où se trouve une forte concentration de francophones. En revanche, ils ne savent pas toujours que la législation prévoit la prestation de services en français. Les consultations ont révélé que certains utilisateurs francophones ignoraient eux aussi qu’ils avaient le droit de recevoir des services en français. En outre, de nombreux travailleurs anglophones, ainsi que les utilisateurs dont la langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais, ne comprennent pas comment identifier les francophones et leur fournir des services adéquats, ce qui n’aide pas les travailleurs francophones à atteindre les personnes qui ont besoin de leur soutien. Les participants au processus de consultation ont évoqué cette situation de façon approfondie en la plaçant dans le contexte du droit de la famille, mais ont rappelé que le problème de la prestation de services en français en Ontario ne se limitait pas uniquement à ce domaine.

 

Comme nous l’avons vu dans la précédente étude de cas, le lien entre culture, langue et émotions joue un rôle clé sur le plan de la justice familiale. Du point de vue culturel, le fait de pouvoir obtenir des services en français, d’une façon qui reconnaît les différences culturelles, aide à mieux gérer les enjeux émotionnels épineux, tout comme pour les autres groupes culturels ou linguistiques.

 

Par rapport aux autres groupes linguistiques – y compris les anglophones – les populations francophones de l’Ontario sont placées dans une situation délicate. D’un côté, elles sont perçues comme ayant un statut privilégié, dans le sens où la législation leur accorde le droit d’avoir accès à des prestations en français. D’un autre côté, quand des personnes francophones tentent d’obtenir des services en français, elles sont souvent accueillies avec surprise et peu d’empressement par les travailleurs qui ignorent l’existence de ce droit ou les méthodes appropriées permettant d’offrir l’accès à des prestations de services en français. Notre responsable de projet a téléphoné ou rendu visite à des Centres d’information sur le droit de la famille de Toronto, où les travailleurs des services de première ligne ont semblé surpris qu’on communique avec eux en français. Dans le cas où ils étaient capables de reconnaître cette langue et qu’ils savaient que certaines personnes parlaient français dans leur bureau, ils ont semblé hésiter avant de transférer l’appel à ces personnes, ou ont semblé indiquer qu’aucun système n’était prévu pour répondre à ce type d’appels. Cette attitude donne l’impression qu’un appel émanant d’une personne s’exprimant en français est transféré au premier employé francophone venu, et pas nécessairement à l’employé connaissant la réponse à la question posée. À la lumière de ces observations, il semble douteux que les personnes confrontées à des problèmes très sensibles sur le plan émotionnel trouvent que les services gouvernementaux – disponibles en français en théorie, mais pas en pratique – constituent des points d’entrée utiles.

 

Certains travailleurs ont indiqué que même quand ils étaient en mesure d’offrir des services en français, les utilisateurs décidaient parfois de poursuivre en anglais de peur de retarder la procédure, par exemple dans les cas où il leur aurait fallu attendre pour avoir accès à un juge bilingue. Cette situation semble frustrante pour de nombreux travailleurs qui s’efforcent de proposer des services en français. Leurs efforts risquent en effet d’être voués à l’échec – à moins qu’un plus grand nombre de travailleurs exerçant au sein du système judiciaire puissent eux aussi fournir des services en français. Même à Ottawa, de nombreuses personnes ont confié à la CDO qu’il était difficile de trouver un avocat spécialiste du droit de la famille francophone ou bilingue.

 

Les travailleurs bilingues ou maîtrisant suffisamment le français constituent donc des points d’entrée précieux pour la population francophone. Il leur faut néanmoins mettre leurs compétences linguistiques en évidence. Ainsi, il est important que lors de la première prise de contact, le travailleur ou le service accueille l’utilisateur en français. Même si l’utilisateur commence la conversation en anglais, il est du ressort du travailleur d’indiquer qu’il est capable de proposer des services en français. À cet égard, la réception du Barreau du Haut-Canada, à Toronto, constitue un excellent exemple. Notre responsable de projet a pu constater que l’agente de réception lui répondait en français à chacune de ses visites au Barreau du Haut-Canada.

 

Comme nous l’avons mentionné précédemment, les travailleurs francophones indiquent que les travailleurs anglophones rechignent à orienter les utilisateurs vers des centres francophones. Rappelons que cette réticence semble liée à l’impossibilité d’identifier un utilisateur francophone en tant que tel, et à un manque de compréhension et de volonté à travailler de façon collaborative en dépassant les différences culturelles. Certains travailleurs francophones ont émis l’hypothèse que ce problème pouvait aussi être lié aux structures de financement. Ils sont convaincus que le fait de mettre l’accent sur les statistiques relatives au nombre de clients crée des tensions. Ils ont ainsi souligné que certains centres anglophones semblaient inquiets à l’idée de perdre des clients – et les financements connexes – en orientant ces derniers vers une autre structure.

 

Les travailleurs francophones ont fait part des stratégies qu’ils emploient pour faire comprendre que les services en français constituent un besoin réel, et que cette prestation de services doit être améliorée :

 

·         Ils mettent l’accent sur le fait qu’en raison du lien très fort entre émotions et langue, il est essentiel de prendre en compte les besoins émotionnels dans la langue de l’utilisateur concerné, particulièrement quand il s’agit de recueillir des renseignements intimes sur sa vie de famille;

·         Ils s’emploient à instaurer des relations fructueuses avec des travailleurs clés dans le domaine du droit de la famille, et à identifier les travailleurs capables de s’exprimer en français;

·         Ils expliquent à leurs collègues anglophones que le fait d’avoir accès à des services en français est une question de culture, de mode de vie, et pas uniquement un enjeu linguistique;

·         Ils adoptent une approche collaborative et pleine de tact en demandant à leurs collègues anglophones s’ils peuvent les aider et comment, au lieu de recourir à une approche susceptible de créer des tensions (et qui consisterait par exemple à demander à ces collègues pourquoi ils n’orientent pas les clients francophones vers leurs propres services ou à leur rappeler que les travailleurs francophones ne constituent pas un service de traduction à la disposition des organismes anglophones); ou

·         En dernier recours, ils déposent une plainte concernant l’absence de services en français.

 

Dans le contexte du droit de la famille et des liens entre langue et émotions, les participants au processus de consultation ont expliqué que pour les utilisateurs, il était stressant d’avoir affaire à un avocat ne parlant pas leur langue, et qu’il était important qu’ils aient la possibilité de s’exprimer dans leur langue maternelle. Ils ont rappelé que le fait de ne pas pouvoir communiquer avec des travailleurs francophones pouvait rendre la prestation de services médiocre, par exemple en cas de malentendu. Ils ont indiqué que la protection de l’enfance constituait l’un des domaines où il est difficile d’avoir accès à des services en français, et que les malentendus résultant d’un problème de communication peuvent avoir de graves conséquences pour les utilisateurs.

 

Les participants au processus de consultation ont rappelé qu’en Ontario, il n’existait pas une, mais des populations francophones. Ainsi, de nombreux membres de la communauté francophone sont originaires de pays africains francophones. Certains participants ont également évoqué les liens entre la communauté métisse et la communauté francophone. Deux participants qui s’étaient initialement présentés comme francophones ont révélé au cours de la discussion qu’ils étaient également métis. Cependant, ils ont indiqué qu’ils résidaient dans une petite ville où la marginalisation des francophones allait croissant, et qu’ils avaient donc pris l’habitude de ne pas évoquer leur appartenance à la communauté métisse de peur d’être marginalisés à double titre. Malgré cette difficulté, une femme francophone qui dirige un service accueillant les victimes de violence familiale a expliqué qu’elle entretenait d’excellentes relations avec des femmes ayant des origines autochtones diverses qui, selon elle, ont élaboré des processus de guérison dont pourraient bénéficier des femmes de toute culture. Tout échange interculturel peut s’accompagner d’obstacles significatifs. Toutefois, comme le prouve ce témoignage, la CDO a eu l’occasion d’obtenir des renseignements sur des exemples de communications fructueuses entre des groupes différents – des exemples qui peuvent rendre les points d’entrée du système de justice familiale plus réceptifs aux besoins des utilisateurs.

 

Centres d’information sur le droit de la famille ouverts dans les tribunaux


De nombreux utilisateurs et travailleurs ont évoqué les Centres d’information sur le droit de la famille des tribunaux. Leur utilité en tant que point d’entrée ne fait pas l’unanimité. Certains d’entre eux, notamment celui de London, semblent constituer des points d’entrée efficaces. Selon les participants au processus de consultation, le Centre d’information sur le droit de la famille des tribunaux de London est le premier en Ontario[25]. Le concept de Centres d’information sur le droit de la famille a dépassé les frontières de cette région pour devenir un modèle de prestation de services collaboratif. Aujourd’hui, un travailleur social exerce à l’interne au Centre de London. Ce Centre propose des services internes et externes. Autrement dit, il détermine les services à dispenser en interne et ceux à externaliser, ainsi que la meilleure façon de les coordonner. Depuis de nombreuses années, il s’emploie à développer le tissu communautaire, et se révèle donc en mesure d’orienter les clients. Grâce à ces efforts de développement, il est également capable d’effectuer des contrôles de la qualité, ce qui permet à son personnel de repérer la diffusion d’éléments d’information erronés et donc d’organiser des formations pour y remédier. Certains services font l’objet de frais d’utilisation, comme les services d’interprétation pendant la médiation. Les participants au processus de consultation ont indiqué que leur modèle de financement pouvait servir environ 48 personnes par jour. Un tel modèle semble difficilement applicable dans toute la province. Pour conclure, les consultations ont révélé qu’en Ontario, certains Centres d’information sur le droit de la famille semblaient constituer des points d’entrée utiles.

 

Toutefois, certains participants ont signalé que c’était loin d’être le cas général. Ainsi, un participant a mentionné qu’à Ottawa, le Centre d’information sur le droit de la famille des tribunaux était très axé sur le tribunal et incapable d’encourager les processus collaboratifs. La CDO a appris qu’à Timmins, les bureaux n’ouvraient que quelques heures par jour. Les juges de la Cour supérieure de justice de la région du Nord-Ouest de l’Ontario ont précisé qu’aucun Centre d’information sur le droit de la famille des tribunaux, aucun avocat de service et aucun médiateur n’était attaché à la cour. Par conséquent, la première conférence préparatoire constitue souvent une séance d’information sur le processus de droit de famille appliqué par le juge saisi. Les juges estiment qu’il s’agit là d’un gaspillage des ressources. Le fait de ne pas bénéficier des services d’un Centre d’information sur le droit de la famille des tribunaux est préjudiciable; toutefois, certains Centres d’information sur le droit de la famille semblent moins efficaces que d’autres.

 

Certains des participants au processus de consultation ont mentionné que pour des raisons de sécurité, les victimes de violence familiale ont besoin d’une salle d’attente séparée dans les Centres d’information sur le droit de la famille. Pourtant, au Centre d’information sur le droit de la famille des tribunaux d’Oshawa, la responsable du projet de la CDO sur le système de justice familiale a pu constater en personne que les bureaux de l’avocat-conseil et du coordonnateur de l’information et des renvois n’offraient aucune confidentialité[26]. Il était possible de voir les clients qui se tenaient sur un vaste plateau situé dans le bâtiment du tribunal, car les stores n’étaient pas baissés pendant les consultations. Pour les victimes de violence familiale, l’obligation de partager une salle d’attente avec un auteur de mauvais traitements ou le fait d’être aperçues pendant une consultation avec un avocat présente des risques pour leur sécurité et leur vie privée.

L’emplacement physique des Centres d’information sur le droit de la famille peut également avoir un impact sur leur accessibilité. À Mississauga, une personne travaillant dans une clinique d’aide juridique a signalé que  l’avocat de service passait une soirée par semaine à donner des conseils sommaires en droit de la famille à un centre commercial, en vertu du programme de certificats de deux heures d’Aide judirique Ontario. L’utilisation de locaux moins intimidants ou plus « conviviaux » que ceux des tribunaux – centres commerciaux, centres communautaires, etc. – pourrait faciliter l’accès aux Centres d’information sur le droit de la famille.

 

Tout comme les autres points d’entrée, les Centres d’information sur le droit de la famille peuvent donc être plus ou moins utiles en fonction de leur emplacement, de leur financement, de leur dotation en personnel, de leurs initiatives d’approche, de leurs connaissances et de leur capacité à fournir des services en plusieurs langues.

 

Services de police


Un homme téléphone au poste de police et déclare à l’officier qui lui répond que sa femme est en pleine crise d’hystérie. Une équipe de policiers est envoyée à leur domicile. La femme, qui crie et pleure, ne parle pas anglais. Elle est originaire de Somalie. Une agente de police lui fait comprendre qu’elle doit venir avec elle dans une pièce séparée. Elle reste avec cette femme pendant environ un quart d’heure et demande que l’on envoie un interprète. L’interprète arrive. Grâce à son aide, l’agente de police découvre que la femme a apparemment été agressée sexuellement et que ses cris sont dus au fait qu’un objet a été introduit dans son vagin. L’agente et l’interprète prennent en charge cette affaire sur les lieux mêmes. La femme s’est calmée dès qu’on lui a fourni une aide appropriée. (Étude de cas fournie par un service d’interprétation)

 

Même si cet exemple ressort du droit pénal, les agents de police qui exercent essentiellement dans ce domaine constituent souvent des points d’entrée dans le système de justice familiale. Dans ce scénario, la collaboration entre l’agente de police et l’interprète a permis à la victime présumée d’une agression sexuelle d’expliquer sa situation. Cette conversation a exigé beaucoup de tact ainsi qu’une connaissance des enjeux liés à la violence familiale de la part de l’agente de police. Pour que ce point d’entrée soit efficace, les agents de police devraient ensuite orienter les personnes impliquées vers des services où elles peuvent obtenir de l’information sur le droit de la famille et le droit pénal. Les participants au processus de consultation ont souligné que les agents de police devraient orienter les utilisateurs vers des centres traitant les cas de violence familiale et d’agression sexuelle, ainsi que vers les cliniques d’aide juridique spécialisées dans ce domaine, comme la Barbra Schlifer Commemorative Clinic de Toronto et le centre Luke’s Place d’Oshawa.

 

Comme l’ont rappelé certains participants, les agents de police peuvent constituer des points d’entrée utiles s’ils reçoivent des formations régulières sur la violence familiale et le droit de la famille. Un entretien avec une agente de police spécialiste des problèmes de violence familiale a révélé qu’au cours des dix dernières années, de telles formations avaient été organisées en Ontario[27]. Elle a précisé que les agents de police ont généralement l’habitude de travailler dans le cadre du droit pénal, ce qui suppose qu’ils ne connaissent pas toujours bien le droit de la famille, pas plus que sa terminologie. Elle a également souligné que dans certaines villes ontariennes, y compris Toronto, les agents de police appliquent une politique qui consiste à ne pas demander leur statut d’immigration aux personnes impliquées dans des situations de violence familiale, ce qui les aide à répondre plus efficacement aux besoins de personnes parfois exposées à des difficultés multiples, qui peuvent associer des problèmes relevant du droit pénal, du droit familial et du droit de l’immigration[28]. Cependant, même si les agents de police évitent de poser des questions sur le statut d’immigration, rien ne les empêche de communiquer les renseignements obtenus pendant leur enquête, et c’est la raison pour laquelle certains utilisateurs préfèrent ne pas avoir recours à leurs services.

 

Écoles

Une mère prend contact avec un auxiliaire juridique communautaire qui exerce dans sa clinique d’aide juridique locale. Elle lui explique que l’école de son enfant a découvert que le père de ce dernier était violent à son encontre. L’école a alors décidé d’appeler une société d’aide à l’enfance. En revanche, ils n’ont pas appelé la mère de l’enfant et n’ont pas pensé que celle-ci pourrait se sentir menacée parce que le père risquait de penser qu’elle avait pris l’initiative d’appeler la société d’aide à l’enfance, et non l’école. Elle indique qu’elle redoute d’éventuelles représailles de la part du père de l’enfant. (Étude de cas fournie par une clinique d’aide juridique du Nord de l’Ontario)

 

Dans ce scénario, qui a été fourni par l’une des participantes au processus de consultation, la clinique d’aide juridique, qui est située dans une petite ville, s’est avérée être un point d’entrée utile pour la mère. L’auxiliaire juridique communautaire a pu lui fournir un soutien émotionnel. En revanche, celui-ci pensait que l’école aurait pu constituer un point d’entrée utile, non seulement pour l’enfant, mais également pour la mère, parce qu’il était plus probable que la mère aurait pu s’entretenir avec l’école avant de s’adresser à la clinique d’aide juridique. Le fait que l’école n’ait pas pensé au risque de représailles à l’encontre de la mère a empêché l’établissement d’être un point d’entrée utile pour deux catégories d’utilisateurs et non une seule. Tout comme dans le scénario précédent, le fait que ces points d’entrée aient des connaissances en matière de violence familiale leur a permis d’être utiles.

 

3.    Autres points d’entrée


Outre les exemples fournis ci-dessus, les participants au processus de consultation ont cité de nombreux points d’entrée que nous ne pouvons pas évoquer de façon approfondie dans le présent document. On peut néanmoins citer les sociétés d’aide à l’enfance et le programme Ontario au travail. En ce qui concerne le programme Ontario au travail, l’une des personnes ayant rempli le questionnaire, et qui est agent d’aide au recouvrement, a indiqué que :

 

Les gens viennent nous voir avant de se pourvoir en justice, notamment les parents qui sont seul soutien de famille… Leurs besoins les plus pressants, comme l’accès à la nourriture, sont pris en charge afin qu’ils puissent faire appel au système judiciaire.

 

Les participants ont également indiqué que les lieux sécuritaires, tels que les bibliothèques publiques, les librairies, les refuges, les centres communautaires, les services de lutte contre la violence familiale et même une propriété que l’utilisateur détient ailleurs en dehors de sa résidence principale (un autre lieu sûr) peuvent constituer des points d’entrée utiles.

 

Les participants au processus de consultation ont aussi mentionné qu’en Ontario, il existe une différence entre les points d’entrée ruraux et urbains. En ce qui concerne les cliniques d’aide juridique implantées dans des petites villes (voir l’exemple ci-dessus), un avocat exerçant dans une clinique d’aide juridique de l’île Manitoulin a précisé que sa clinique était le troisième service le plus fréquenté après l’école et l’hôpital. Dans ce cas, il n’est donc pas difficile d’identifier les points d’entrée. En revanche, dans les villes encore plus petites, où la clinique ou ses bureaux auxiliaires sont censés desservir une zone plus vaste, il est parfois difficile aux points d’entrée de se faire connaître en tant que tels. La CDO prendra ces facteurs en compte lors de la formulation de ses recommandations.

 

Pour conclure, les consultations ont mis en évidence qu’il existait de nombreux points d’entrée dans le système de justice familiale, et que l’utilité de ces derniers pouvait varier. Elles ont également confirmé que tous les utilisateurs confrontés à des problèmes familiaux ne vont pas demander de l’aide aux mêmes endroits. Pour améliorer l’efficacité des points d’entrée, la première étape consiste inévitablement à continuer d’identifier ceux qui existent et à encourager les travailleurs qui y exercent à miser davantage sur la collaboration.

 

D.  Modèles de prestation de services


Les consultations ont permis de prendre la mesure de la dimension émotionnelle des difficultés familiales, d’identifier les principaux enjeux relatifs aux prestations de services des points d’entrée ainsi que d’obtenir des études de cas sur les points d’entrée. Outre ces aspects, les participants au processus de consultation ont également évoqué les modèles de prestation de services vus sous un angle opérationnel. En ce qui touche la prestation de services, les principaux aspects traités étaient axés sur l’approche holistique, les systèmes de réseautage, d’information, de repérage et d’orientation ainsi que sur les différents systèmes d’honoraires.

 

4.    Approche holistique


Bon nombre de participants ont indiqué que les modèles de prestation de services holistiques étaient plus intéressants que les modèles axés sur un service unique. Ils ont notamment mentionné que l’approche holistique pouvait par exemple regrouper des services juridiques, de santé ou d’immigration. Certains des participants étaient d’avis que pour pouvoir offrir un vaste éventail de services, le meilleur moyen consiste à ouvrir un service à guichet unique ou un comptoir de services dans un lieu facilement accessible au groupe d’utilisateurs ciblés. Les utilisateurs peuvent ainsi s’y rendre sans rendez-vous, exprimer leurs besoins et être rapidement orientés vers des services appropriés et situés à proximité. En ce qui concerne les régions moins étendues où le transport est un problème, certains participants suggèrent que le même objectif pourrait être atteint en mettant en place une clinique mobile à laquelle pourrait être rattaché un réseau de professionnels et qui se rendrait périodiquement dans ces régions. Notons que l’une des études financées par la CDO explore d’autres modèles de prestation de services holistiques[29].

 

Dans le mémoire par écrit soumis à la CDO, le Centre des visites surveillées de Brantford et de la région a fourni un exemple de service à guichet unique qui utilise les nouvelles technologies pour mettre en relation les utilisateurs et les travailleurs, ce qui est particulièrement utile dans les cas de violence familiale :

 

Nous faisons partie d’un groupe communautaire baptisé « BRAVE » qui permet aux victimes [de violence familiale] d’avoir accès à un « guichet unique » en utilisant Internet pour faire appel à un organisme virtuel. Ainsi, la victime n’a pas besoin de raconter plusieurs fois son expérience : nous lui proposons un service « enveloppant », moins traumatisant et également plus rentable du point de vue des organismes.

 

Le système BRAVE (Brant Response to Violence Everywhere Committee) est une initiative du comté de Brant qui répond à un besoin identifié lors de consultations organisées par des travailleurs dans le domaine de la violence familiale, et dont l’objectif est d’éviter que les victimes aient à relater plusieurs fois leur expérience. Le système BRAVE permet à plusieurs travailleurs de se connecter à Internet de sorte que la victime puisse s’entretenir simultanément avec eux[30].

 

D’autres participants au processus de consultation ont cité des exemples d’approches holistiques mises en œuvre par des communautés autochtones. Dans son mémoire par écrit, l’Association des femmes autochtones de l’Ontario évoque notamment l’initiative « Healing Continuum of the Aboriginal Family Healing Strategy » :

 

[Il s’agit d’un] processus dans lequel la compréhension des aspects propres à la violence familiale, les stratégies et mesures individuelles de prévention, la gestion de stratégies de crise, curatives et rééducatrices, et la promotion de la stabilité pour les particuliers, les familles et les communautés sont autant d’éléments nécessaires dans le cadre des mesures de réforme et de l’accessibilité offertes aux personnes ayant recours au système judiciaire.

 

Le Child Welfare Community Council de l’Aboriginal Legal Services of Toronto[31] est un autre exemple d’option holistique destinée aux personnes qui ne souhaitent pas faire appel à l’organisme Native Child and Family Services of Toronto. D’après les participants à la consultation qui travaillent en étroite coopération avec les communautés autochtones, l’approche holistique correspond mieux à leurs traditions.

 

Dans le cadre d’une prestation de services envisagée sous un angle holistique, on peut en effet prendre en compte la culture et la religion des utilisateurs. L’organisme MCASS (Muslim Children’s Aid and Support Services) a été cité comme un exemple d’organisme sans but lucratif conçu pour compléter les services des sociétés d’aide à l’enfance en fournissant des services d’urgence aux membres de la communauté musulmane. Les participants au processus de consultation ont également souligné que certaines associations spécifiques à une culture ou à une religion donnée, comme l’organisme Jewish Family and Child Service of Toronto ou la Société catholique de l’aide à l’enfance ville de Toronto sont ouvertes à tous, même si l’essentiel de leur clientèle est constitué de personnes de confession juive ou catholique. Cette ouverture offre davantage d’options aux utilisateurs et permet de créer des liens entre les différentes communautés, en plus d’assurer des services spécifiques à une culture ou à une religion donnée.

 

5.    Systèmes de réseautage, d’information, de repérage et d’orientation


Les participants au processus de consultation ont rappelé qu’il était essentiel que les travailleurs instaurent des relations de confiance afin de pouvoir échanger des éléments d’information, de développer leurs connaissances, d’orienter leurs clients vers d’autres professionnels et de travailler de façon collaborative. Dans cette partie, nous allons étudier de façon plus approfondie les témoignages des participants à la consultation sur l’importance de la mise en place de systèmes de réseautage, d’information, de repérage et d’orientation. Nous assortirons cette étude d’exemples pertinents.

 

a.    Le réseautage et l’établissement de relations


Une travailleuse de Kapuskasing a fourni un exemple illustrant le succès d’une initiative de réseautage lancée dans sa région. Elle a expliqué qu’elle avait commencé par organiser un événement dans la région de Kapuskasing, et que celui-ci avait ensuite été adopté par la région de Hearst. Rappelons qu’il s’agit de deux régions du Nord de l’Ontario où résident de très nombreux francophones. Quatre fois par an, chacune de ces deux régions organise des rencontres dans le cadre desquelles de nombreux prestataires de services gouvernementaux et communautaires disposent de kiosques où ils présentent leurs activités en séances de 15 minutes. La travailleuse a indiqué que ces événements avaient considérablement contribué à mieux faire connaître les services disponibles dans chaque région. Depuis la première rencontre qu’elle avait organisée, d’autres travailleurs ont repris le flambeau et la personne chargée de l’organisation change tous les ans. Elle est convaincue que l’enthousiasme suscité par cette initiative est dû au fait que les travailleurs peuvent en constater les bénéfices tous les jours.

 

b.    Diffusion de l’information
 

Certaines personnes « pensent » connaître leurs droits! (Une employée de la municipalité de Sudbury)

 

La plupart des participants sont d’avis qu’il est nécessaire et utile de fournir des renseignements élémentaires sur le droit de la famille. Pour un avocat, le fait que les populations soient de plus en plus mobiles et la différence du système de justice familial d’une province à l’autre et d’un pays à l’autre sont autant d’arguments qui justifient cette mise à disposition de l’information. La plupart des participants jugent qu’il est également essentiel de dispenser de l’information sur la parentalité, sur les effets d’une séparation sur les enfants et sur la dimension émotionnelle propre aux enjeux et problèmes familiaux et leur impact sur les adultes. Dans l’ensemble, les participants au processus de consultation sont convaincus qu’il est crucial de recevoir de l’information sur les aspects juridiques et psychologiques dès le début du processus de résolution des conflits. Le Public Information Forum Working Group de l’Association of Family and Conciliation Courts de l’Ontario est un bon exemple de groupe ayant commencé à étudier en détail le contenu des séances informatives.

 

Certains participants ont mentionné que de nombreux éléments d’information diffusés à propos des aspects juridiques et émotionnels du système de justice familiale gagneraient à être précisés. Certains utilisateurs ont souligné que ces renseignements devraient inclure une section les orientant vers les services appropriés, car l’information en elle-même n’était pas suffisante. Les victimes de violence familiale ont révélé que pour elles, le moment le plus difficile a été celui où elles ont commencé à réfléchir aux moyens de se renseigner. Certains travailleurs ont également indiqué que l’information générale devrait comporter un avertissement précisant que cette information pouvait ne pas être applicable dans les cas de maltraitance. Certains des participants au processus de consultation ont rappelé que les personnes vivant une crise ou en état de choc ne sont pas capables de mémoriser l’information, et qu’il est donc important de fournir des renseignements sur la violence familiale à des étapes antérieures de la constitution de la famille. Certains pensaient aussi que ces éléments d’information devraient être adaptés à chaque étape atteinte par les couples dans leur relation. D’autres étaient d’avis que les renseignements concernant l’impact d’une séparation et les mécanismes de résolution d’un conflit familial devraient être fournis à tous les couples quel que soit le stade de leur relation, y compris avant qu’ils se lancent dans cette relation ou fondent une famille. Aux yeux de certains participants, les éléments d’information relatifs au système de justice familiale devraient être enseignés à l’école.

 

La CDO a assisté à des séances d’information organisées à Toronto et conçues pour les personnes impliquées dans une procédure de la Cour supérieure de justice et de la Cour de justice de l’Ontario. Nous avons observé que ces séances semblaient utiles pour les plaideurs qui y assistaient, mais qu’elles ne répondaient pas nécessairement à toutes leurs questions. La séance organisée par la Cour de justice de l’Ontario répondait à un besoin exprimé par certains des participants à la consultation, à savoir le fait qu’il faudrait instaurer une période de questions pendant laquelle un avocat et un travailleur social pourraient répondre à l’utilisateur. Sans toutefois entrer dans les détails spécifiques de chaque affaire, les sessions d’information devraient être suffisamment fréquentes et longues pour répondre aux questions élémentaires des plaideurs, ce qui ne semble pas être le cas à l’heure actuelle.

 

Les participants ont estimé que, outre les séances d’information organisées dans le cadre des procédures judiciaires, les émissions de radio communautaires et la presse locale pouvaient constituer des vecteurs efficaces pour diffuser l’information concernant le droit de la famille. Une auxiliaire juridique communautaire exerçant dans une petite ville du Nord de l’Ontario, mais dont la clinique d’aide juridique dessert une vaste région, a notamment mentionné qu’après que sa clinique a décidé d’organiser une campagne d’un an dans les médias locaux à propos de l’accès à l’information juridique et à l’aide sociale, le nombre des affaires dont cette clinique s’occupait a décru d’environ 40 pour cent. De nombreux participants ont précisé que cette information devrait être accessible aux personnes handicapées et diffusée en plusieurs langues. Certains d’entre eux ont indiqué que l’annexe de documents au chèque de paie – une initiative du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées – constituait un moyen efficace pour informer ce public de la tenue de séances d’information. Les participants au processus de consultation sont également convaincus que tous les professionnels impliqués dans le système de justice familiale devraient eux-mêmes recevoir l’information concernant les séances d’information et les outils mis à disposition du public, et la communiquer autour d’eux pour aider à sa diffusion.

 

Quant à la diffusion de l’information sur le droit de la famille par le biais de sites Web, il apparaît que les sites des gouvernements provincial et fédéral sont les plus connus des participants, et aussi ceux qu’ils consultent le plus. En revanche, d’autres sources d’information – par exemple les outils destinés aux femmes – sont moins connues. Certains utilisateurs ont expliqué qu’il faudrait concevoir des pages Web plus sobres, et mieux mettre en évidence les liens correspondant aux besoins des personnes qui les consultent, par exemple en les faisant précéder de mentions telles que « Si votre partenaire vous fait subir de mauvais traitements, cliquez ici ».

 

D’autres ont signalé qu’il était également important de mettre en place des mécanismes de contrôle de la qualité pour éviter que les utilisateurs et les travailleurs ne soient mal informés. Une travailleuse a ainsi indiqué que dans sa région un incident avait eu lieu au cours duquel la police avait donné des renseignements erronés à des personnes impliquées dans une situation de violence familiale. Le Centre d’information sur le droit de la famille s’était rendu compte de cette situation. Il a alors demandé à son sous-comité de liaison avec les ressources d’organiser une conférence d’une journée à laquelle les membres de la communauté pouvaient assister moyennant dix dollars. De nombreux policiers y ont participé, ce qui a permis de remédier au problème. L’objectif était de rassembler tous les acteurs impliqués pour clarifier l’information à donner aux personnes exposées à une violence familiale. De tels mécanismes de contrôle de la qualité pourraient être appliqués dans d’autres secteurs. À titre d’exemple, des participants ont mentionné que les travailleurs aidant les nouveaux arrivants à s’établir – qui constituent des points d’entrée importants dans le système de justice familiale puisqu’ils parlent souvent la même langue que les utilisateurs – devraient être mieux informés sur le droit de la famille. D’autres participants ont souligné que les greffiers du tribunal devraient faire preuve de vigilance lorsqu’ils diffusent de l’information à propos des critères d’admissibilité aux services d’Aide juridique Ontario, de façon à ne pas dissuader les utilisateurs de se renseigner davantage sur leur admissibilité. Comme nous l’avons vu précédemment, le réseautage et l’établissement de relations entre des travailleurs situés à différents points d’entrée peuvent contribuer à améliorer la qualité de l’information qui circule au niveau de ces points d’entrée.

 

c.    Systèmes de repérage et de triage


Les discussions évoquant les systèmes de repérage et de triage visaient souvent les services judiciaires, mais également d’autres points d’entrée. Les consultations ont permis de déterminer clairement que la procédure de repérage la plus élémentaire, celle qui devrait intervenir à chaque point d’entrée, consiste à s’interroger sur la capacité de ce point d’entrée à répondre aux besoins des utilisateurs. Cette étape implique déjà que les travailleurs ou les organismes sont conscients d’être un point d’entrée dans le système de justice familiale et qu’ils savent identifier les besoins des utilisateurs. L’étape suivante consiste à répondre à ces besoins en adoptant une approche différente pour traiter chaque besoin ou, quand il s’avère impossible de proposer le service requis, d’orienter les utilisateurs vers les organismes appropriés.

 

Les participants au processus de consultation ont donné des exemples qui, selon eux, améliorent l’efficacité des activités de dépistage et de triage dans le contexte du droit de la famille. Ces exemples incluent notamment les procédures suivantes : poser des questions pertinentes en fonction du type de point d’entrée ainsi que de l’identité et de l’expérience vécue par l’utilisateur, mettre en évidence la présence éventuelle de violence (physique ou autre), détecter la présence chez les parents d’une anxiété ou d’un stress consécutif à un traumatisme qui peuvent avoir un impact sur la façon dont les parents tentent de résoudre le conflit qui les oppose. Ces utilisateurs sont donc d’avis que les activités de dépistage et de triage peuvent exiger une formation spécialisée.

 

Les discussions menées sur les compétences requises pour mener les activités de dépistage et de triage ont amené les participants à s’interroger sur l’identité des travailleurs censés les accomplir. Ils sont tombés d’accord sur le fait qu’il devrait s’agir d’une personne possédant les connaissances appropriées. Tout comme dans le cas des séances d’information, il est apparu clairement que, pour répondre aux besoins des utilisateurs du système de justice familiale, il est nécessaire de posséder à la fois des connaissances sur le système juridique et sur les services sociaux. Certains participants pensaient également que, même quand un travailleur possède les connaissances adéquates, il est difficile de réunir dès le départ suffisamment de renseignements sur la situation de l’utilisateur pour pouvoir l’orienter correctement. D’autres ont demandé si le travailleur chargé du triage pourrait entendre le point de vue de chaque personne impliquée avant de classer l’affaire traitée dans une catégorie donnée. Certains participants estiment que les systèmes de triage propres au droit de la famille devraient être uniformisés à chaque point d’entrée pour être certain que le triage ne se résume pas à l’opinion personnelle non éclairée d’un travailleur. Il a également été rappelé que le travailleur chargé du triage doit comprendre qu’il existe une différence subtile entre fournir de l’information et donner un avis, et que son rôle se limite strictement à fournir de l’information.

 

Étant donné qu’il existe de très nombreux points d’entrée dans le système de justice familiale et que les enjeux et les problèmes surviennent à différents stades de la vie familiale, il semble inévitable que plusieurs travailleurs soient amenés à s’occuper du triage et que chacun le fasse probablement à sa façon.

 

d.    Systèmes d’orientation


Les systèmes d’orientation sont reliés à tous les autres systèmes évoqués ci-dessus, puisqu’ils ont besoin d’information à propos des différentes prestations de services offertes en Ontario et au sein de communautés spécifiques. Les travailleurs responsables de l’orientation doivent également nouer des relations avec les personnes réalisant ces prestations de services. Quand le repérage d’un besoin spécifique est effectué à un point d’entrée qui n’est pas en mesure d’y répondre de façon adéquate, les systèmes d’orientation constituent un moyen efficace pour aider les utilisateurs à trouver les ressources et l’information dont ils ont besoin pour trouver une solution aux difficultés qu’ils affrontent.

 

Même si de nombreux participants ont reconnu qu’il était important d’orienter les clients vers les services appropriés, plusieurs ont souligné qu’il était difficile de construire, de tenir à jour et de rendre publiques des listes de renvoi de qualité. Ils estiment que n’importe quel organisme gouvernemental, y compris Aide juridique Ontario, serait réticent à élaborer des listes de renvoi. En effet, ces organismes redoutent que l’on suppose qu’ils « avalisent » ainsi certains professionnels ou certains organismes de prestation de services. De plus, ils ne sont pas en mesure d’appliquer des mécanismes efficaces en matière de contrôle de la qualité. Ces préoccupations semblent être partagées par certaines organisations non gouvernementales et par certains prestataires de services privés. Le secret professionnel qui lie un avocat à son client a également été cité comme un élément qui empêche d’élaborer des systèmes d’orientation efficaces, notamment quand ceux-ci impliquent le partage d’information relative aux utilisateurs. Lors de cette discussion sur la responsabilité professionnelle, une organisation non gouvernementale a suggéré que les professionnels exerçant dans le domaine du droit ou de la santé devraient être tenus d’orienter des clients vers d’autres professionnels, et ce, dans toutes les disciplines, mais qu’ils devraient uniquement être tenus responsables des renvois vers les spécialistes de leur propre discipline, et être exonérés de toute responsabilité en ce qui concerne les renvois vers des professionnels d’autres disciplines, puisque ceux-ci sortent du champ de leur expertise.

 

Les participants au processus de consultation ont néanmoins estimé que le processus d’orientation était nécessaire et que de nombreux travailleurs y avaient recours dans les cas appropriés. Ainsi, les personnes travaillant au sein d’une clinique d’aide juridique orientent généralement les clients vers des professionnels n’exerçant pas dans le domaine juridique. Par exemple, si un utilisateur risque de ne plus bénéficier d’une aide sociale alors qu’il est évident qu’il est admissible au Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, le travailleur de la clinique d’aide juridique l’orientera vers une infirmière afin qu’obtenir un rapport médical d’un centre de santé communautaire des environs. D’autres participants ont mentionné qu’ils procédaient à des références à l’interne, ce qui peut être plus facile à gérer, mais impose néanmoins l’instauration d’un processus efficace. Dans les cas de violence familiale, l’organisme Jewish Family and Child Service of Toronto oriente hommes et femmes vers les programmes adéquats proposés dans le cadre de leurs prestations de services. La clinique d’aide juridique du Centre francophone de Toronto oriente les clients représentés par le Centre à la clinique médicale de ce dernier. Le Centre a néanmoins mentionné qu’il n’avait pas mis en place de système permettant d’orienter les personnes qui se rendent à la clinique médicale uniquement pour obtenir un conseil sommaire. Autre élément fondamental souligné lors des consultations : les systèmes d’orientation fonctionnent tant qu’il existe des personnes vers qui renvoyer les utilisateurs – ce qui n’est pas toujours le cas.

 

Un exemple qui illustre la difficulté à tenir à jour des listes de renvoi efficaces concerne les listes d’Aide juridique Ontario. Ces listes répertorient les avocats acceptant les certificats d’AJO dans le domaine du droit de la famille. Un avocat exerçant dans une clinique d’aide juridique a ainsi expliqué qu’AJO tient à jour des listes d’avocats spécialistes du droit de la famille qui incluent, peut-être par erreur, le nom d’avocats qui n’acceptent pas les certificats d’aide juridique, mais qui ont insisté pour figurer sur ces listes. Cet avocat a estimé que cela pouvait expliquer pourquoi les utilisateurs étaient contraints d’appeler plusieurs avocats avant de trouver un avocat acceptant les certificats d’aide juridique. Il est également d’avis qu’il n’est pas utile d’avoir une telle liste si elle n’est pas tenue à jour.

 

Dans les régions plus petites où les prestataires de services se connaissent, un avocat d’une clinique d’aide juridique qui travaille en étroite collaboration avec des communautés autochtones et non autochtones a précisé que le fait de donner un nom provenant d’une liste ne suffisait pas. Selon lui, il est important d’établir une relation significative avec la personne vers laquelle les utilisateurs sont orientés. Cela permettrait aux utilisateurs de communiquer avec cette personne sans se sentir mal à l’aise et, plus important, d’avoir le sentiment qu’ils peuvent lui faire confiance.

 

6.    Systèmes d’honoraires


Le coût des services juridiques et des autres services professionnels a été évoqué à plusieurs reprises lors de chaque consultation. Le montant de ces honoraires peut en effet empêcher les utilisateurs d’accéder à de nombreux points d’entrée dans le système de justice familiale. Pour améliorer l’accessibilité des points d’entrée dans le système de justice familiale, il est nécessaire de mettre en place différents systèmes d’honoraires reflétant les différents niveaux de revenu des Ontariens. À l’inverse, il serait bon d’informer les Ontariens du coût des services de justice familiale avant la survenue d’enjeux et problèmes familiaux. Les systèmes d’honoraires cités au cours des consultations incluent les services bénévoles, ceux d’Aide juridique Ontario, les systèmes tarifaires à échelle mobile et les systèmes d’honoraires indexés sur le marché.

 

a.    Services bénévoles


De nombreux professionnels ayant pris part aux consultations, dont des avocats, s’occupent d’affaires à titre bénévole. Le commentaire le plus important formulé par des avocats pendant les consultations est le suivant : en ce qui concerne le droit de la famille, de nombreux avocats préfèrent travailler bénévolement plutôt qu’accepter les certificats d’Aide juridique Ontario (AJO). Au vu des honoraires très bas proposés par AJO, du nombre d’heures insuffisant alloué à leur affaire, ainsi qu’en regard du fardeau administratif lié à l’obligation de faire des rapports à AJO, l’acceptation des certificats d’aide juridique ne présente tout simplement pas d’intérêt. Même si le travail bénévole aide les utilisateurs, et que de nombreux professionnels continueront à offrir des services gratuits, les participants au processus de consultation semblent convaincus que ces efforts ne suffisent pas à répondre aux besoins des Ontariens à faible revenu. Selon eux, les services bénévoles constituent une solution incomplète, qui ne règle pas le problème du manque d’accessibilité aux services de justice familiale.

 

b.    Services d’Aide juridique Ontario


Le système d’Aide juridique Ontario (AJO) a connu des transformations au cours des consultations menées sur le système de justice familiale. Les participants qui étaient au courant des débats actuels concernant Aide juridique Ontario ont observé que ces discussions avaient un lien avec les débats qui s’interrogent depuis longtemps sur la meilleure façon de fournir des services de justice familiale aux Ontariens marginalisés sur le plan économique. Pour eux, la réduction du financement d’Aide juridique Ontario il y a une dizaine d’années explique pourquoi AJO offre peu de services de justice familiale. D’après leur expérience, ces dix dernières années, ces services ont été fournis par le biais de certificats d’aide juridique, sauf dans les rares cas où des cliniques proposaient un conseil juridique en droit de la famille – or, par le passé, les cliniques d’aide juridique étaient plus nombreuses à proposer des services de justice familiale.

 

Les participants au processus de consultation étaient unanimes pour dire qu’AJO devait continuer à offrir des services de justice familiale. Pour autant, faut-il proposer ces services par l’intermédiaire de cliniques d’aide juridique? Les réponses à cette question étaient moins consensuelles. Certains participants étaient d’avis que les cliniques d’aide juridique doivent proposer des services de justice parce qu’ils pensent que ces cliniques constituent des points d’entrée non négligeables. Les cliniques d’aide juridique ont en effet réussi à acquérir une bonne visibilité au sein des communautés où elles sont implantées, et les membres de ces communautés ont pris l’habitude de les considérer comme des points d’entrée pour toute question juridique. Une autre raison expliquant l’opinion des participants tient peut-être au fait qu’ils estiment que le système des certificats d’aide juridique n’est pas satisfaisant. Des utilisateurs et des travailleurs ont signalé qu’ils éprouvaient un sentiment de frustration vis-à-vis des bureaux d’AJO en raison de leur manque de transparence – ils n’expliquent pas pourquoi certaines affaires sont acceptées et pas d’autres – et de leur manque d’amabilité envers certains utilisateurs. Certains participants ont expliqué que les listes de renvoi tenues par AJO et qui répertorient les avocats ne sont pas adéquates, et que les utilisateurs étaient amenés à téléphoner à plusieurs avocats avant d’en trouver un prêt à accepter leur affaire – voire à renoncer à leur projet. Par conséquent, ils ont conclu que si le système des certificats d’aide juridique ne fonctionne pas, il vaudrait peut-être mieux offrir des services de justice familiale par le biais des cliniques d’aide juridique. Malgré les opinions divergentes des participants sur la question des prestations de services, il apparaît que le problème central tient au fait qu’Aide juridique Ontario devrait consacrer davantage de ressources aux services de justice familiale.

 

Aujourd’hui, dans certaines régions ontariennes comme Moosonee, il semble que la plupart des utilisateurs peuvent seulement avoir accès à des consultations juridiques sur le droit de la famille en sollicitant AJO et l’obtention de certificats d’aide juridique. De plus, pour les avocats spécialistes du droit de la famille de ces régions, ce type d’affaires constitue l’essentiel de leur travail rémunéré. Si ces avocats cessaient d’accepter les certificats d’AJO, les services de justice familiale disparaîtraient dans ces régions, puisqu’aucun de ces avocats ne peut se permettre d’accepter des affaires à titre bénévole. Cet exemple montre clairement qu’en Ontario, il est nécessaire de mettre en place des structures de soutien minimales pour appuyer les services de justice familiale de nombreuses petites régions, à l’intention des utilisateurs les plus démunis.

 

Certains participants ont fait remarquer que si le système de certificats d’AJO était amené à être pérennisé et amélioré, il serait également nécessaire de prendre en compte la qualité des services proposés. Ils estiment notamment que les mécanismes de contrôle doivent être revus et que les avocats qui acceptent ces certificats devraient faire partie d’un groupe d’experts afin d’être plus sensibles à la situation des utilisateurs. D’autres participants ont souligné que pour faire partie du groupe d’experts d’AJO sur la violence familiale, les avocats étaient seulement tenus d’assister à une demi-journée de formation sur ce sujet, formation qu’ils peuvent accomplir en visionnant un DVD[32]. Ils estiment que les critères de perfectionnement professionnel exigés de la part des avocats acceptant les certificats d’AJO sont insuffisants, et que la formation devrait également aborder la question de l’intimidation juridique. Cette précision révèle une préoccupation portant sur la protection du concept de justice sociale et sur la qualité des prestations de services réservées aux utilisateurs ayant obtenu un certificat d’AJO.

 

D’autres participants ont souligné que le seuil financier qui conditionne l’admissibilité aux services de justice familiale d’AJO est extrêmement bas, et que les Ontariens admissibles se voyaient souvent offrir des services partiels, quand des problèmes de logement ou ressortant du droit pénal s’ajoutent à leurs difficultés familiales, par exemple. Certains participants ont suggéré que si ce seuil n’était pas relevé, Aide juridique Ontario devrait au moins veiller à ce que les Ontariens les plus démunis reçoivent des services complets et non partiels.

 

c.    Systèmes tarifaires à échelle mobile


Dans le cadre du droit de la famille, les systèmes tarifaires à échelle mobile financés par le secteur public ou par le secteur privé constituent d’autres options de prestations de services. Au cours des consultations, certains exemples ont mis en évidence que certains services semblaient fonctionner efficacement sur la base d’une échelle tarifaire mobile. On peut notamment citer le centre de médiation du comté de Simcoe, qui est financé par le gouvernement de l’Ontario, ou encore le programme « Families in Transition », de Family Services Toronto, qui est quant à lui intégralement financé par des dons privés. Les services de visites surveillées financés par le gouvernement constituent un troisième exemple intéressant[33]. Certains avocats ont mentionné qu’ils proposaient occasionnellement des plans de paiement flexibles et pratiquaient des honoraires moins élevés, pour les mêmes raisons qui les poussent à travailler à titre bénévole. Une avocate a déclaré qu’elle était prête à pratiquer des honoraires moins élevés dans 10 à 20 pour cent des cas. Une autre avocate a indiqué que l’un de ses clients lui versait 50 dollars tous les mois pour régler des services déjà accomplis. D’après elle, les utilisateurs dont les revenus sont plus élevés sont plus réticents à régler leurs notes d’honoraires que les personnes à plus faible revenu. Lors de la discussion comparant les avantages du travail bénévole et ceux des systèmes tarifaires à échelle mobile, un avocat a déclaré que le fait de devoir payer des honoraires, même très réduits, pouvait inciter les utilisateurs à prendre des décisions susceptibles de résoudre leurs problèmes.

 

d.    Services professionnels indexés sur le marché


Les travailleurs ont précisé que les utilisateurs disposant de ressources financières conséquentes pouvaient accéder à des services professionnels. Ils peuvent recourir à un arbitrage privé et éviter de porter leur affaire devant les tribunaux s’ils souhaitent qu’elle demeure confidentielle. Ils peuvent engager des avocats, ainsi que d’autres professionnels s’ils le désirent. Si les deux parties en présence dans un conflit familial disposent de ressources financières, les personnes impliquées doivent gérer des aspects parfois complexes, qu’ils soient d’ordre émotionnel ou juridique; en revanche, elles n’ont pas à affronter de difficultés liées à leur représentation juridique. Toutefois, dans la plupart des cas, les deux parties ne sont pas à égalité sur le plan financier – un déséquilibre que le droit de la famille vise à contrebalancer par le biais de mesures telles que l’octroi d’une pension alimentaire ou le partage des biens. Lors de la procédure suivie pour obtenir une pension alimentaire ou le partage des biens, ce déséquilibre financier peut néanmoins influencer les chances de succès de certains mécanismes de résolution des conflits. Certains avocats ont ainsi souligné que si l’une des parties est prête à reconnaître que la partie adverse est désavantagée sur le plan financier et qu’elle a droit au versement d’une pension alimentaire, et si la partie la plus avantagée financièrement agit de bonne foi, il peut être possible de mettre en place des processus de résolution collaboratifs. Toutefois, dans le cas inverse – et si la situation est très conflictuelle – le tribunal peut constituer la seule solution possible, qui s’accompagne parfois de coûts conséquents, non seulement pour la partie la plus avantagée financièrement, mais aussi pour les contribuables qui financent l’appareil judiciaire.

 

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