A.              Introduction

L’exposé qui précède montre que les intervenants du système de justice familiale, petits et grands, ont consacré beaucoup de temps et de ressources pour rendre ce système plus accessible, plus efficace et plus abordable pour les familles vivant une rupture. De très nombreux services ont été élaborés pour aider les familles, puisque différents intervenants du système de justice ayant divers mandats ont tenté de régler les problèmes au sein de leur administration ou d’élaborer des services pour aider leurs citoyens. Plusieurs initiatives importantes visant à aider les familles ont vu le jour récemment, particulièrement au cours des deux ou trois dernières années. Nous souscrivons aux commentaires de la juge en chef de la Cour supérieure de justice qu’elle a formulés en réponse à notre rapport préliminaire. La juge en chef a insisté sur l’importance et la réussite de ces initiatives jusqu’à maintenant, en soulignant particulièrement l’importance des réformes dans les périodes de difficultés économiques ainsi que [traduction] « le dévouement et l’engagement du personnel du [ministère du Procureur général] », « le soutien indéfectible de la magistrature » et le « bénévolat altruiste de nombreux membres du Barreau ».

Il ne fait aucun doute que la volonté d’engager et de mettre en œuvre les réformes des dernières années s’est révélée un préalable essentiel à la capacité de faire face aux défis du système juridique familial. Malgré ces réformes prometteuses, il reste tout de même plusieurs questions à régler. En particulier, les obstacles les plus importants à l’accès au système de justice familiale demeurent l’absence d’une approche systémique à l’égard de la diversité que les réformes, y compris les plus récentes, ne prennent pas en considération explicitement; l’absence d’une approche cohérente à l’égard de la communication d’information; l’absence d’une aide abordable; et le besoin de nouveaux moyens pour tenir compte des points communs des problèmes familiaux d’ordre juridique et non juridique liés à l’éclatement de la famille. La seconde partie du présent rapport traite des façons d’améliorer ces aspects particuliers du système.

Dans ce chapitre, nous présentons un portrait de la société ontarienne moderne et illustrons l’importance d’établir l’objectif de l’inclusivité comme valeur prédominante devant être prise en considération pour apporter des changements plus précis et coordonner les initiatives disparates actuelles. En songeant aux caractéristiques particulières dont il sera question plus loin, il est important de reconnaître que nous ne correspondons pas à une seule « catégorie » et que nous ne pouvons pas être définis par une caractéristique particulière. Nos identités sont plutôt fluides, et certaines caractéristiques peuvent être prédominantes, selon le contexte. De plus, l’inclusivité n’équivaut pas à enfermer les gens dans des carcans d’identité, mais plutôt à leur fournir les conditions nécessaires pour mettre en œuvre l’engagement de l’Ontario envers le pluralisme.

 

B.              Le pluralisme de l’Ontario et le caractère évolutif des circonstances

1.               Introduction

Nous admettons que le système juridique familial ontarien et le système juridique en général ont élaboré des programmes et des approches visant à tenir compte des diverses populations de la province et à les inclure. Par exemple, le ministère du Procureur général a préparé de l’information sur le droit de la famille à l’intention des Autochtones. Éducation juridique communautaire Ontario (CLEO) et d’autres intervenants ont fourni des renseignements sur le droit familial ou général en plusieurs langues. Le système juridique ontarien est « dualiste » et est censé fournir des services en français et en anglais. Des efforts sont déployés pour améliorer l’accès à ces services. De manière plus générale, les tribunaux ont tenu compte des besoins des personnes handicapées.

Ces tentatives d’inclusivité n’ont pas encore été entièrement mises en œuvre. Pour ne citer que deux exemples très différents, mentionnons le fait que les Centres d’information sur le droit de la famille (CIDF) semblent ne pas avoir la même capacité à fournir des services en français (dans le même ordre d’idées, nous avons été informés lors des consultations dans le cadre de notre projet sur la modernisation de la Loi sur les infractions provinciales que les défendeurs francophones n’avaient pas toujours droit en temps opportun à un procès en français)[209]; et le fait que l’information sur le droit familial fournie en ligne n’est pas facile d’accès pour les personnes vivant dans des régions de la province où Internet à haute vitesse n’est pas accessible ou pour les personnes ayant un faible niveau de littératie. Ces initiatives témoignent toutefois de la reconnaissance d’un besoin. De plus, la province a pris des mesures pour s’assurer que ses lois et ses politiques prennent en considération les besoins en matière de diversité. Comme il en sera fait mention plus loin, la fonction publique de l’Ontario (FPO) a élaboré une approche pour évaluer les lois et les politiques par rapport à différents types de caractéristiques.

Nous croyons non pas que le système et les intervenants pertinents n’ont pas tenu compte de diverses façons du pluralisme de l’Ontario et que l’inclusivité est un projet continu, mais plutôt qu’il convient d’adopter une approche systémique. Nous sommes également conscients que les meilleures intentions sont confrontées à des défis financiers. Dans les cadres que nous avons élaborés respectivement pour les personnes âgées et les personnes handicapées, nous reconnaissons le principe de « réalisation progressive » : bien qu’il soit impossible de tout faire en même temps, il est important de connaître les objectifs, les écarts entre l’aspiration et la réalisation ainsi que les mesures requises pour atteindre les objectifs[210]. La même affirmation pourrait s’appliquer au système de droit de la famille. Lorsque les ressources sont limitées, la mise en œuvre de nouveaux systèmes et de nouvelles approches peut être réalisée au fil du temps lorsque les ressources sont accessibles ou lorsqu’il a été établi que les ressources à l’appui des approches dépassées peuvent être réattribuées aux programmes qui amélioreront le système. Il est toutefois également important de déterminer les objectifs finaux et de prendre des mesures progressives pour les atteindre.

Dans la prochaine section, nous nous penchons sur certaines façons dont la société ontarienne et les relations familiales ont été transformées. Nous traitons ensuite de questions précises ayant une incidence sur l’accès à la justice lorsque les gens envisagent d’entrer ou entrent dans le système, y compris la pertinence de la diversité en lien avec ces questions. Nous terminons le troisième chapitre de la première partie en insistant de nouveau sur l’importance de l’inclusivité pour promouvoir l’égalité réelle, notamment en ce qui concerne les points d’entrée au système de justice familiale.

 

2.               Dresser un portrait

La diversité au sein des familles ontariennes reflète la diversité de la population ontarienne en général. Par exemple, parmi les faits nouveaux, on constate que les changements relatifs aux tendances de l’immigration ont modifié la composition ethnique et religieuse de la province. Bien que les femmes au Canada aient acquis davantage de droits sur le plan social et économique au cours des deux ou trois dernières décennies, il serait possible de croire que les croyances de certains groupes minent l’engagement envers l’égalité entre les hommes et les femmes qui a été reconnue dans la Charte canadienne des droits et libertés[211] et le Code des droits de la personne[212] de l’Ontario. Les pères participent de plus en plus activement à l’éducation de leurs enfants, et on s’attend à ce qu’ils entretiennent les relations avec leurs enfants après une séparation. Même si certains estiment peut-être qu’elle a tardé à venir, la reconnaissance juridique des couples de même sexe (qu’il s’agisse du droit de subvenir aux besoins d’un enfant ou d’en obtenir la garde, du droit de visite ou du droit au mariage) a été accompagnée d’une acceptation généralisée de l’homosexualité, une forme de sexualité qui était auparavant contraire à la loi. La compréhension plus générale de l’identité sexuelle et de l’expression de l’identité sexuelle est désormais reconnue[213]. Les politiques publiques reposent maintenant sur la reconnaissance qu’une société fondée sur l’hypothèse de l’« aptitude physique » doit être remodelée pour intégrer les besoins des personnes ayant différents types et degrés d’incapacités. Le « vieillissement » de la population nous a permis de prendre conscience de la réalité, à savoir que l’accès au système juridique et les problèmes inhérents peuvent être différents pour les personnes âgées et les adultes plus jeunes. Les connaissances élargies des jeunes à certains égards ainsi que l’élimination des obstacles spatiotemporels que la technologie a rendue possible sur une courte période ont, de façons complexes, modifié les relations entre les parents et les enfants. Ces situations nouvelles ainsi que d’autres ont donc des conséquences sur la façon dont nous percevons les obligations collectives et les défis auxquels nous faisons face sur le plan social.

Pour que le système de justice familiale soit efficace et réponde aux besoins des familles, il doit reconnaître la mesure dans laquelle les familles sont non seulement semblables, mais également différentes. Dans une province qui a à cœur la diversité, il convient de reconsidérer les systèmes, les processus et les méthodes qui reposent sur le principe d’une structure familiale et d’un contexte familial principalement homogènes. Le système doit tenir compte non seulement des problèmes qui touchent l’ensemble des familles, mais également de ceux qui découlent de diverses situations familiales. Pour ce faire, une compréhension des changements survenus au sein des familles de l’Ontario depuis les deux ou trois dernières décennies est nécessaire. Il convient également de reconnaître qu’il ne s’agit pas d’une situation statique, que la relation des nouveaux arrivants avec la société ontarienne évolue, que les enfants de la deuxième génération voient peut-être les choses très différemment de leurs parents et que les conditions sociales peuvent avoir des répercussions sur cette dynamique changeante. Dans le présent rapport, nous sommes particulièrement conscients des différentes dimensions de la diversité qui ont une incidence sur la capacité à accéder aux services.

L’Ontario a donné certains exemples de « pluralisme » depuis sa création, voire même avant. En fait, les Premières Nations étaient hétérogènes, et la « diversité » est devenue encore plus marquée lors des premiers contacts avec des Européens. Les enjeux auxquels nous faisons allusion ici tels qu’ils se rapportent aux Premières Nations sont en partie attribuables au choc de la culture précoloniale au contact de la société non autochtone qui émergeait au Canada ou aux contrastes entre les deux cultures et leurs visions du monde. Les personnes handicapées ont toujours évolué au sein de la société, bien que leur situation ait considérablement changé au fil du temps et que le gouvernement et la société en général aient reconnu qu’ils devaient tenir compte d’un plus grand nombre de types d’incapacités. Dans d’autres cas, comme les relations entre les hommes et les femmes, celles-ci ont changé considérablement, alors que les conséquences n’ont pas été entièrement prises en compte. Par ailleurs, bien que les relations homosexuelles existent depuis longtemps, la structure familiale juridiquement autorisée a changé en raison de la reconnaissance du mariage entre personnes de même sexe. L’un des changements les plus importants est certainement la modification de la composition ethnique, culturelle et religieuse de la province, particulièrement dans ses régions urbaines, qui a touché non seulement le système de justice, mais également les relations économiques, politiques et sociales.

Il nous est impossible de décrire de façon exhaustive les très nombreux changements survenus au sein de la société ontarienne ou les façons dont les circonstances actuelles sont perçues différemment, particulièrement depuis environ les 30 dernières années. Il n’est également pas dans notre intention de décrire seulement les cas nouveaux ou particulièrement frappants. Nous considérons toutefois qu’il est important de justifier notre point de vue selon lequel une approche systémique en matière d’inclusivité est essentielle lorsqu’il s’agit d’améliorer l’accès au système juridique familial. Par conséquent, nous présentons des exemples de diverses circonstances qui, à notre avis, doivent être prises en compte lorsqu’il s’agit de déterminer la façon d’adapter les points d’entrée. Nous posons le principe selon lequel le système doit être conçu de manière à être inclusif et souple en reconnaissant que ce ne sont pas toutes les personnes qui semblent être caractérisées par une identité particulière qui partagent les mêmes points de vue et les mêmes expériences. Le défi consiste toujours à éviter de « faire entrer » les gens dans certaines catégories, tout en restant ouvert aux différents besoins et attentes.

La plupart des 3,6 millions de familles de l’Ontario sont des couples mariés, alors qu’un nombre beaucoup plus petit de familles vit en union de fait[214]. La proportion de familles monoparentales est d’environ 16 %. Au cours de la période de 2006 à 2011, le nombre de familles monoparentales ayant un chef masculin a connu une hausse plus marquée que celui des familles monoparentales ayant un chef féminin, bien que ce dernier demeure beaucoup plus élevé[215]. Parallèlement, la structure familiale chez les groupes ethnoculturels présente certaines différences à cet égard comme nous le verrons plus loin.

Comme il fallait s’y attendre, le nombre de mariages légitimes entre personnes de même sexe a connu une hausse substantielle entre 2006 et 2011 après que le gouvernement fédéral a accordé aux partenaires de même sexe le droit légal au mariage en 2005[216]. Bien que les tendances quant aux mariages entre personnes de sexe opposé ou entre personnes de même sexe soient semblables partout dans le pays, les couples homosexuels ont tendance à se regrouper dans les grandes villes[217]. Fait intéressant, le nombre de couples homosexuels vivant dans les grandes villes est légèrement inférieur à celui noté en 2006, ce qui porte à croire que les mariages entre personnes de même sexe deviendraient peut-être plus courants dans les villes plus petites.

Le nombre de couples ayant des enfants vivant à la maison a diminué légèrement en 2011, ce qui va de pair avec le vieillissement de la population[218]. Les couples homosexuels sont moins susceptibles que les couples hétérosexuels d’avoir des enfants vivant à la maison, et il est probable qu’un plus grand nombre de couples de même sexe composés de femmes ont des enfants vivant à la maison que les couples de même sexe composés d’hommes[219]. Nous pouvons nous attendre à ce que cette situation change à l’avenir compte tenu de la définition du mariage et de la meilleure acceptation des relations homosexuelles[220].

La situation des familles a été compliquée non seulement par les techniques de reproduction et l’adoption dans le contexte desquelles les enfants peuvent établir des liens avec leurs parents non biologiques et entretenir peu de contacts, voire aucun, avec leurs parents biologiques[221], mais aussi par le remariage à la suite d’un divorce. En 2011, Statistique Canada a, pour la première fois, été en mesure d’établir une distinction entre les familles comptant des enfants biologiques ou adoptés (qu’on appelle « familles intactes ») et les « familles recomposées »[222]. Au Canada, en 2011, plus de 87 % des familles avec des enfants étaient des « familles intactes », tandis que plus de 10 % étaient des « familles recomposées »[223]. Lorsque les enfants appartiennent à plus d’une famille, cette situation peut compliquer les arrangements en ce qui concerne la garde et le droit de visite des enfants pris après la séparation d’un couple. De plus, les difficultés accrues résultant de l’éclatement d’une seconde famille peuvent assurément ajouter à la détresse habituelle ressentie par les enfants lors de la dissolution de leur famille.

La plupart des enfants de 14 ans et moins vivaient en famille avec leurs parents, alors que les autres vivaient avec des personnes apparentées ou non apparentées[224]. Environ 19 % des enfants vivaient avec un parent seul, soit une légère augmentation par rapport à 2011. De ce nombre, plus de 82 % vivaient avec leur mère[225]. On a constaté une légère hausse du nombre d’enfants vivant en ménage avec leurs grands-parents, même si la plupart d’entre eux vivaient également avec l’un de leurs parents ou les deux[226]. Par conséquent, un plus grand nombre de grands-parents peuvent demander à obtenir la garde ou le droit de visite des enfants en cas d’éclatement de la famille. Un projet de loi visant à renforcer les droits des grands-parents pour établir et maintenir les relations avec leurs petits-enfants a été présenté à l’Assemblée législative de l’Ontario en avril 2012[227]. Même si la tendance selon laquelle plusieurs générations vivent sous un même toit est peut-être moins répandue dans certaines cultures, elle est possiblement plus marquée dans d’autres cultures où il n’est pas rare que les grands-mères et parfois d’autres parentes s’occupent de la famille[228].

Au sein de la famille, le rôle de la femme a subi une profonde transformation, notamment en raison de l’indépendance accrue des femmes sur le plan économique, de leur plus grande indépendance en général sur le plan juridique et social et de l’évolution des attentes à l’égard du rôle des hommes. Cette situation met également en évidence une économie et des attentes plus grandes à l’égard du rôle des parents en tant que pourvoyeurs, lesquelles exigent maintenant la présence de deux soutiens économiques au sein du ménage. Fait remarquable, les hommes ne sont plus les principaux soutiens financiers de la famille[229]. Cependant, les femmes touchent encore un salaire inférieur à celui des hommes, quelle que soit la mesure de calcul utilisée, bien que l’écart s’amenuise dans le cas des femmes plus jeunes[230]. La participation accrue des femmes sur le plan économique est en partie responsable de la tendance selon laquelle les couples ont moins d’enfants et fondent une famille à un âge plus avancé[231].

Il semble que nous vivions une période de transition importante en ce qui concerne les relations entre les conjoints de sexe masculin et féminin, puisqu’un plus grand nombre de pères jouent un rôle déterminant auprès de leurs enfants, que les couples décident si un parent restera à la maison avec les enfants en se fondant sur d’autres facteurs que le statut de mère et qu’un plus petit nombre de couples présument que ce sera la mère qui prendra congé lorsque les enfants seront malades[232]. Néanmoins, malgré ces changements, il subsiste d’énormes différences entre les rôles au sein de la famille selon le sexe. Par exemple, 32 % des femmes qui occupent un emploi à temps partiel le font pour faire face aux responsabilités relatives aux soins des enfants, alors que seulement 6 % des hommes qui occupent un tel emploi le font pour cette raison[233]. En 2010, les Canadiennes ont passé en moyenne un total de 50 heures par semaine à prendre soin des enfants du ménage, ce qui représente le double du nombre d’heures accumulées par les hommes[234]. Bien que les hommes et les femmes affirment prendre soin des personnes âgées, les femmes consacrent plus de temps à cette tâche[235]. Même si les relations familiales ont commencé à changer, les employeurs sont moins susceptibles d’offrir un horaire de travail flexible qu’en 2001[236]. Néanmoins, la capacité d’indépendance accrue des femmes sur le plan financier et le désir des hommes de s’occuper de leurs enfants ne sont que deux aspects des relations en évolution qui ont une incidence sur la décision de savoir qui assumera les obligations en matière de garde, de droit de visite et de pension alimentaire. Une question qui revêt un intérêt potentiel est celle de savoir si ces circonstances en évolution ont eu des répercussions sur la façon dont les hommes et les femmes négocient différemment les questions familiales.

Bien que les observations faites dans le paragraphe précédent soient généralement monnaie courante, on constate de nombreuses différences entre les femmes. Des facteurs tels que la sexualité, l’ethnicité, le statut d’Autochtone, le statut économique, la religion ou la culture, la capacité, l’âge, le lieu de résidence (zone urbaine ou rurale) ont une incidence sur la vie des femmes, tout comme ils en ont sur la vie des hommes[237]. Nous fournissons quelques exemples qui peuvent être pertinents dans le contexte des relations familiales et en cas d’éclatement de la famille.

Les femmes autochtones sont moins enclines à vivre une relation de mariage que les femmes non autochtones[238]. Par ailleurs, elles sont plus susceptibles d’être des mères seules et d’avoir un plus grand nombre d’enfants à un plus jeune âge[239]. Cependant, il est plus probable que d’autres personnes, dont les aînés, participent à l’éducation des enfants[240]. Les femmes autochtones sont moins susceptibles de détenir un diplôme universitaire que les femmes non autochtones (mais davantage que les hommes autochtones)[241] et d’occuper un emploi que les femmes non autochtones et que les hommes autochtones vivant à l’extérieur d’une réserve[242] [243], mais plus susceptibles que les femmes non autochtones et les hommes autochtones de toucher un faible revenu[244].

Depuis les deux ou trois dernières décennies, un changement notable a généralement été observé quant au pays d’origine des immigrants, et cela est vrai dans le cas des femmes. Les immigrantes proviennent maintenant de plus de 220 pays, et la proportion d’immigrantes provenant de l’Europe, de l’Asie et du Moyen-Orient a été inversée depuis 1971[245]. Un plus grand nombre d’immigrantes (et d’immigrants) sont susceptibles d’être des membres d’une minorité visible comparativement à ce qui était le cas dans le passé, en raison du changement des « pays d’origine ». Par conséquent, « [e]n 2006, les immigrantes appartenant à un groupe de minorités visibles représentaient 55 % de toute la population d’immigrantes, une hausse par rapport à 1981 alors que cette proportion s’établissait à 22 %[246] ».

Les immigrantes sont plus susceptibles d’être mariées que les femmes nées au Canada[247]. Un plus grand nombre de femmes appartenant à une « minorité visible » que de femmes n’appartenant pas à une minorité visible sont mariées[248]. Par ailleurs, les femmes membres d’une minorité visible sont plus susceptibles de posséder un diplôme universitaire que les femmes non membres d’une minorité visible[249]. Les immigrantes sont généralement plus susceptibles de détenir un diplôme universitaire que les femmes nées au Canada, même si une proportion très élevée d’immigrantes occupent un emploi rémunéré (près de 90 % des immigrantes dans le principal groupe d’âge actif de 25 à 54 ans étaient salariées) et que leur taux d’emploi et leur niveau de revenus sont inférieurs à ceux des femmes nées au Canada. L’écart est toutefois moins grand pour les immigrantes qui résident au Canada depuis longtemps. Les femmes sont plus enclines à entrer au Canada en tant que membres de la catégorie du regroupement familial ou en tant que conjointes ou personnes à charge d’un demandeur principal de la catégorie économique plutôt que comme immigrantes de la catégorie économique. Cette situation a d’ailleurs peut-être une incidence sur leurs compétences linguistiques et professionnelles[250].

Comme nous l’avons mentionné précédemment, bien que la vie des femmes puisse différer à certains égards, la vie de nombreuses femmes est différente de celle des hommes dans la plupart des collectivités que ce soit sur le plan économique, social ou autre. Par exemple, les femmes sont plus susceptibles que les hommes d’être victimes de violence conjugale et de formes plus graves de violence. Dans le cas des femmes autochtones, le taux de violence conjugale déclaré en 2009 était de 12 % comparativement à 6 % dans le cas des femmes non autochtones[251]. Les femmes autochtones ont également déclaré des taux élevés de violence psychologique ou d’exploitation financière, mais, dans ce cas, les taux étaient semblables à ceux déclarés par les hommes autochtones[252].

En 2006, les Autochtones représentaient 2 % de la population ontarienne. Le recensement de 2006 a révélé que la population autochtone est beaucoup plus jeune et qu’elle comprend un plus grand nombre de jeunes enfants que la population non autochtone. Même si plus de la moitié des enfants autochtones canadiens de 14 ans et moins vivaient avec leurs deux parents, les enfants autochtones étaient plus susceptibles de vivre en ménage avec un parent seul (le plus souvent avec la mère ou un grand-parent). Ils étaient également plus susceptibles de vivre en ménages multifamiliaux. Soixante pour cent des Autochtones du Canada vivaient à l’extérieur d’une réserve, et près de vingt pour cent vivaient en régions rurales[253]. Affaires autochtones et Développement du Nord Canada affirme que « [en Ontario], une Première nation sur quatre est une petite collectivité isolée, accessible uniquement par avion tout au long de l’année ou par des routes de glace en hiver. L’Ontario compte plus de Premières Nations éloignées que les autres régions du Canada[254]. » Cette situation entraîne des répercussions sur la façon de communiquer l’information et de fournir des services aux membres de ces collectivités.

Pour les Autochtones de l’Ontario, la famille est formée d’un réseau élargi de grands-parents, de tantes, d’oncles et de cousins. Cette composante de l’identité culturelle autochtone est très pertinente pour les questions du droit familial telles que la garde et le droit de visite et souligne la nécessité de faire preuve de sensibilité aux réalités culturelles dans le contexte du système de justice familiale.

Les Autochtones sont surreprésentés dans le système de droit de la famille et le système de justice pénale de l’Ontario[255]. Les collectivités autochtones font face à des obstacles uniques et complexes lorsqu’elles tentent d’accéder à la justice. Parmi les barrières importantes, notons la méfiance exprimée par de nombreux Autochtones à l’égard du système de justice et des organismes chargés de l’application de la loi, qui témoigne des différentes conceptions de la justice, de la discrimination de longue date dans les tribunaux et des obstacles linguistiques[256].

Le rapport Miser sur nos compétences ne contenait pas d’information sur les niveaux de littératie des populations autochtones de l’Ontario. Il précisait toutefois que « [l]es résultats des populations autochtones observées dans le domaine des textes suivis sont inférieurs à ceux de toute la population canadienne », alors que 60 % des Autochtones des villes du Manitoba et de la Saskatchewan n’atteignaient pas le niveau 3 à l’échelle des textes suivis (comparativement à 48 % de la population canadienne globale)[257]. Bien que nous ne disposions pas de données sur les niveaux de littératie pour l’Ontario, nous constatons que, dans cette province, 38 % des Autochtones n’ont pas terminé l’école secondaire et que près de 38 % ont fait des études postsecondaires (comparativement à 51 % des personnes non autochtones)[258].

Pour les Indiens inscrits vivant sur une réserve, le droit de la famille est plus complexe sur le plan législatif que pour la plupart des personnes vivant au Canada. Par exemple, le foyer conjugal sur une réserve ne relève pas de la loi provinciale, bien que les projets de loi présentés au Parlement appliqueraient la loi provinciale à cet égard dans les réserves[259]. Les Premières Nations qui sont régies par la Loi sur la gestion des terres des premières nations doivent prévoir des règles générales relatives aux terres, qui sont applicables en cas d’échec du mariage[260].

Dans le cadre de l’élaboration de sa Stratégie de justice applicable aux Autochtones, AJO a été informé de quatre obstacles particuliers auxquels les Autochtones sont confrontés lorsqu’ils accèdent au système de justice : 1) les problèmes d’ordre administratif et opérationnel (incluant les obstacles géographiques liés à la vie dans les collectivités éloignées, l’accès limité à un ordinateur ou à un téléphone et les barrières linguistiques); 2) le manque de compétences culturelles des avocats et du personnel d’AJO; 3) l’accès difficile à l’éducation et à l’information juridiques pour les collectivités autochtones et les fournisseurs de services; et 4) le manque de liaisons et le nombre très insuffisant de possibilités de réseaux entre les collectivités autochtones et les organisations[261]. Bon nombre de ces catégories ont en commun le manque de matériel éducatif axé sur la culture accessible au public, particulièrement de documentation qui reconnaît les injustices commises envers les Autochtones dans le passé[262]. Depuis l’élaboration de sa Stratégie de justice applicable aux Autochtones, AJO prend chaque année des mesures afin de la promouvoir en offrant une formation en matière de compétence autochtone, en cherchant à embaucher du personnel autochtone et en élaborant, parmi d’autres initiatives, un « plan d’éducation juridique communautaire axé sur la protection des enfants autochtones qui sera présenté dans un format approprié à la culture, imprimé, audio et vidéo[263] ».

Les changements relatifs aux tendances de l’immigration ont modifié la composition ethnique et religieuse des familles ontariennes, particulièrement dans les grands centres urbains. Environ 67 % de la croissance de la population canadienne est maintenant attribuable à l’immigration[264]. Dans le recensement de 2006, les Canadiens nés à l’étranger ont indiqué plus de 200 pays d’origine. L’Ontario était la terre d’accueil de plus de trois millions d’immigrants de première génération, ce qui représentait presque 30 % de la population ontarienne [265]. En 2009 et 2010, un peu plus de 42 % des nouveaux immigrants canadiens (118 116 personnes) se sont installés en Ontario, ce qui représente le pourcentage le plus élevé de toutes les provinces[266] [267]. La plupart des immigrants en Ontario (80 %) s’installent dans la région du Grand Toronto[268]. Bien que la majorité de ces immigrants vivent à Toronto, les immigrants s’installent aussi de plus en plus dans les collectivités des banlieues, comme Mississauga et Brampton. D’autres collectivités urbaines telles qu’Ottawa, Hamilton et London attirent également un nombre croissant d’immigrants[269].

En 2006, plus de 20 % des résidents de l’Ontario étaient des personnes racialisées[270]. À Toronto, environ 43 % des résidents étaient racialisés[271]. Bien que les taux dans des collectivités précises puissent varier, les personnes racialisées vivant à Toronto sont beaucoup plus susceptibles d’être touchées par la pauvreté que les membres d’autres groupes[272]. Cela signifie que la disponibilité de l’aide juridique ou d’autres moyens permettant l’accès à une représentation juridique a des répercussions encore plus grandes sur les membres de ce groupe et d’autres groupes (comme les familles monoparentales, les personnes de plus de 65 ans et les Autochtones).

L’arrivée de nouveaux arrivants de l’Asie et du Moyen-Orient a été accompagnée d’une augmentation du nombre de personnes qui se désignent comme étant adeptes des religions musulmane, hindoue, sikhe et bouddhiste, bien que le protestantisme et le catholicisme romain demeurent les religions prédominantes en Ontario[273]. En ce qui concerne le degré de « religiosité », une étude a conclu que les jeunes sont moins enclins à être religieux que les personnes plus âgées et que « [l]es hommes sont aussi nettement plus susceptibles que les femmes de présenter un faible niveau de religiosité ». De plus, l’étude a révélé que 41 % « [des immigrants] arrivés au Canada entre 1982 et 2001 ont un niveau élevé de religiosité, comparativement à 26 % des personnes nées au Canada » [274]. Lorsque la religion joue un rôle important dans la famille ou seulement pour un conjoint, elle peut aider à définir les relations au sein du couple et les attentes en cas d’éclatement de la famille et en matière de garde et de droit de visite, et possiblement la façon dont la collectivité traitera l’un ou l’autre des conjoints.

La plus grande diversité des immigrants ainsi que des normes et des valeurs culturelles a aussi une incidence sur l’accès au système juridique familial. Aux fins de notre rapport, nous avons déterminé deux points importants, à savoir la mesure dans laquelle les immigrants sont mal informés au sujet du système de justice canadien en général et plus particulièrement du système de justice familiale (un point qu’ils ont peut-être en commun avec les personnes nées au Canada, mais pour des raisons différentes), et la mesure dans laquelle les immigrants sont confrontés à des obstacles linguistiques et culturels qui compliquent leurs interactions avec le système. Plusieurs membres des collectivités racialisées (immigrants ou personnes nées au Canada)[275] peuvent éprouver de la méfiance envers le système parfois en raison d’expériences vécues dans leur pays d’origine, mais aussi peut-être en raison d’expériences précédentes avec le système canadien, qui les rendent réticents à accéder aux services en lien avec le système judiciaire, par exemple[276].

Les immigrants sont confrontés à plusieurs défis liés à l’accès au système de justice, particulièrement aux obstacles linguistiques. Selon le recensement de 2006, 1,8 million d’Ontariens parlent une langue autre que le français ou l’anglais la plupart du temps à la maison et près de 270 000 Ontariens n’ont aucune connaissance de l’une ou l’autre des langues officielles[277]. Durant la période s’échelonnant entre le recensement de 2001 et celui de 2006, le nombre de personnes en Ontario qui ne connaissaient pas l’une ou l’autre des langues officielles a augmenté d’environ 34 000, alors que le nombre de personnes qui parlaient une langue non officielle le plus souvent à la maison a augmenté de près de 275 000. Cela ne signifie toutefois pas qu’elles ne disposaient pas de ressources offertes en français ou en anglais. Le recensement de 2011 a révélé que, à Toronto, à peine plus de 15 % des personnes parlent seulement une langue autre que le français ou l’anglais[278].

Karen Cohl et George Thompson, qui ont rédigé en 2008 un rapport intitulé Connecting Across Language and Distance, estiment que jusqu’à 500 000 Ontariens pourraient avoir besoin d’un interprète pour accéder à des renseignements juridiques. La vaste majorité d’immigrants confrontés à des problèmes linguistiques vit dans des centres urbains tels que Toronto, ce qui indique que l’accès linguistique à la justice est principalement une question touchant la population urbaine, malgré certaines exceptions comme les travailleurs migrants temporaires [279] [280]. Il convient de remarquer que ce problème ne touche pas seulement les immigrants pour qui le français (ou l’anglais) n’est peut-être pas leur langue maternelle. Même si la plupart des femmes autochtones ont affirmé en 2006 que leur langue maternelle était l’anglais et qu’une proportion beaucoup moins élevée a indiqué qu’il s’agissait du français, près d’un cinquième des femmes autochtones ont déclaré que leur langue maternelle était une langue autochtone[281].

À cet égard, on a fait observer que, bien que de nombreuses personnes décrivent les coûts élevés et les délais de procédure comme étant les principaux obstacles à l’accès au système de justice, l’absence d’une langue commune et d’un dialogue quant au sens du mot « justice » constitue un autre obstacle majeur[282]. Dans le système familial, cet obstacle peut se traduire par les différentes compréhensions de la définition d’une « famille efficace » ou des relations appropriées entre les membres d’une famille. À partir de l’éventail des possibilités en matière de vie familiale, certains pays développés ont élaboré un concept juridique plus pragmatique de la « famille » ou de la « vie familiale » en droit de la famille[283] en se fondant sur la situation factuelle des personnes formant des liens étroits sur le plan personnel et financier[284]. Lorsque des enfants sont concernés, le concept inclut les liens émotionnels présumés entre les parents (biologiques ou non biologiques) et les enfants ou entre des parents proches comme des grands-parents et les enfants[285]. En pratique, un tel concept peut soulever des questions complexes pour les familles récemment immigrées possédant ces caractéristiques familiales[286].

L’absence d’une langue commune au sein des diverses collectivités peut nuire à la capacité des immigrants ou des personnes racialisées d’obtenir de l’information sur leurs options juridiques qui est à la fois accessible et applicable à leur situation. Dans Cultural Fluency for Family Law Lawyers, Fareen Jamal traite de la répercussion des différences culturelles sur les questions liées au droit de la famille. Bien qu’elle insiste sur le fait qu’il est impossible de prédire le comportement d’une personne en se fondant uniquement sur son appartenance ou son contexte culturel, elle souligne l’utilité de comprendre les aspects culturels pour expliquer le comportement dans un contexte pluraliste, particulièrement lorsque, comme elle le fait remarquer, différentes personnes accèdent aux services de justice familiale qui [traduction] « ont toujours été conçus pour répondre aux besoins des familles caucasiennes nord-américaines de classe moyenne ayant reçu un héritage européen[287] ». Julie MacFarlane fait remarquer que [traduction] « la revendication du droit à l’universalisme signifie que le droit dispose de peu de moyens, voire aucun, pour reconnaître les normes culturelles personnelles ou les incompréhensions culturelles des différentes parties à un conflit, et qu’il dispose d’un nombre encore plus limité de moyens pour en tenir compte dans le traitement d’une demande ou l’issue d’une affaire[288] ».

Le rapport Miser sur nos compétences, qui traite des niveaux de littératie, ne fait pas de distinction entre les niveaux de littératie des immigrants selon la province, mais mentionne que « [à] l’échelle des textes suivis, les deux catégories d’immigrants [soit les immigrants récents et ceux établis] et la population née au Canada [se situent aux niveaux 1 et 2, soient les plus faibles niveaux] dans des proportions respectives de 60 % et 37 % ». Fait intéressant, « [l]es immigrantes récentes se situent au niveau 1 dans une proportion de 34 % comparativement à 9 % des femmes nées au Canada[289] ». Les immigrants dont la langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais présentent des niveaux de littératie inférieurs pour ce qui est des textes suivis. Le rapport Miser sur nos compétences a toutefois précisé qu’il était impossible de généraliser les résultats dans la langue maternelle des immigrants à partir de ces niveaux[290].

D’autres obstacles empêchent également les immigrants d’accéder au système de justice. De nombreux immigrants proviennent de pays adoptant un système juridique très différent et peuvent ignorer les droits fondamentaux garantis par le système canadien ainsi que les services sociaux qui leur sont offerts. La langue, le manque de connaissances informatiques, un faible revenu, l’isolement et la discrimination sont tous des obstacles qui peuvent empêcher les immigrants de se renseigner au sujet des services et des mesures de soutien[291]. Certains immigrants hésitent à accéder aux services qui ne tiennent pas compte de leur culture, de leur système de valeurs et de leurs traditions religieuses[292].

Les personnes atteintes de certains types d’incapacités ou d’une incapacité grave peuvent avoir de la difficulté à accéder au système de justice familiale. Environ 15 % de la population ontarienne est atteinte d’un certain type d’incapacité et, dans certains cas, de plusieurs types d’incapacités[293]. Les femmes sont plus susceptibles que les hommes de déclarer qu’elles sont atteintes d’une incapacité ou d’affirmer qu’elles sont atteintes d’une incapacité plus grave que les hommes, bien qu’elles soient également plus susceptibles que les hommes d’occuper un emploi[294]. Le taux d’incapacité est plus élevé chez les Autochtones que dans tous les autres segments de la population. De plus, les Autochtones atteints d’une incapacité touchent plus souvent un faible revenu que les autres Autochtones et que les personnes non autochtones atteintes d’une incapacité[295]. Les Canadiens atteints d’une incapacité gagnent, en moyenne, un revenu inférieur à celui des Canadiens non atteints d’une incapacité[296]. Le type et la gravité de l’incapacité ont également une incidence sur la probabilité de toucher un faible revenu ou de l’aide sociale.

Les personnes handicapées sont souvent confrontées à des obstacles en matière d’accès à la justice qui sont propres à leur incapacité. Par exemple, une personne à mobilité réduite pourrait ne pas être en mesure d’assister à une séance du Programme d’information obligatoire (PIO) tenue dans un endroit inaccessible, tandis qu’une personne ayant un type particulier de trouble d’apprentissage pourrait avoir de la difficulté à accéder à une séance du PIO offerte en ligne. Si elle est jugée inapte, une personne atteinte d’un trouble cognitif pourrait se voir empêcher de prendre des décisions concernant l’engagement d’une action en justice[297]. L’expérience du handicap de chaque personne doit être prise en compte lorsqu’il s’agit d’évaluer l’accès à la justice dans le système de justice familiale.

Bon nombre de personnes handicapées n’ont pas les moyens de se payer un avocat et, à moins qu’elles aient accès à une aide juridique, elles peuvent être moins enclines à entreprendre une action en justice[298]. De plus, les personnes handicapées dépendent souvent des membres de leur famille pour subvenir à leurs besoins. Cette dépendance peut les dissuader de porter plainte ou d’entamer une poursuite contre ces fournisseurs de soins[299].

D’autres obstacles à l’accès à la justice comprennent les ressources limitées et le manque de mesures d’adaptation liées aux incapacités pour rendre accessibles les services et les programmes[300]. Bien que les progrès technologiques aient amélioré l’accès au système de justice (p. ex. les systèmes de communication sans fil permettent aux personnes malentendantes d’utiliser des écouteurs pour entendre leur cause), le manque de ressources empêche certaines personnes d’accéder à ces outils[301].

Les obstacles sur le plan de la communication demeurent un problème crucial pour les personnes handicapées, qu’il s’agisse de l’information accessible ou de la communication en personne avec des professionnels du droit. En 2006, une étude nationale a révélé qu’aucun document accessible au public dans les présentoirs des palais de justice, des bureaux d’aide juridique et des centres d’éducation et d’information juridiques qui ont fait l’objet de l’étude n’était rédigé en gros caractères ou offert en format audio[302]. Depuis lors, les organismes publics de l’Ontario se sont toutefois engagés à satisfaire aux exigences de la Loi de 2005 sur l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario qui a pour but de réduire ou d’éliminer les obstacles auxquels sont confrontées les personnes handicapées et d’exiger de la plupart des organismes qu’ils prennent des mesures proactives d’ici 2025 ou plus tôt dans certains cas[303]. Le site Web du ministère du Procureur général explique comment il est possible de demander et d’obtenir des mesures d’adaptation, notamment un appareil fonctionnel pour personnes malentendantes et l’établissement d’un horaire précis des causes[304]. La frustration, la peur et le manque de compréhension des actes judiciaires peuvent également constituer d’autres obstacles qui empêchent une personne de communiquer efficacement avec les intervenants du système de justice[305]. Ces derniers peuvent avoir de la difficulté à comprendre les personnes atteintes d’un quelconque trouble de communication[306].

Les troubles d’apprentissage peuvent compliquer l’apprentissage de la lecture. Par conséquent, ils sont associés à de faibles niveaux de littératie, particulièrement s’ils ne sont pas détectés précocement[307]. D’autres formes d’incapacité peuvent également être liées à de faibles niveaux de littératie. Par exemple, nous avons été informés que le français ou l’anglais est la langue seconde de nombreuses personnes sourdes et que celles-ci doivent recourir à un interprète pour rédiger des documents[308].

Finalement, les personnes handicapées sont souvent victimes de stéréotypes capacitistes qui multiplient les obstacles en matière d’accès à la justice et les repoussent aux marges de la société, à la fois sur le plan social et financier. Plus particulièrement dans les cas où l’incapacité d’une personne n’est pas visible (ce qui comprend certains types d’incapacités physiques, mentales et cognitives), il est possible d’observer un manque de sensibilisation et de tact de la part des professionnels du droit qui, comme bon nombre d’entre nous, ne connaissent pas toujours les conséquences des incapacités non visibles[309].

En réponse à notre rapport préliminaire dans le cadre de ce projet, la Société canadienne de l’ouïe a porté à notre attention un exemple frappant de l’écart entre les besoins d’un groupe de personnes handicapées et la prestation de services :

[traduction]
Bien que le rapport vise à améliorer le système de droit de la famille, les clients sourds ou malentendants qui ont besoin de services en langage ASL continuent d’être confrontés à des obstacles systémiques. Pour ces clients, l’accès aux points d’entrée, comme une conversation téléphonique de 20 minutes, est impossible sans le recours à un interprète professionnel qualifié, lequel est déjà utilisé par les services juridiques eux-mêmes. Les obstacles se dressent si le fardeau de l’accès équitable repose sur le client qui utilise une autre langue pour communiquer. La plupart des avocats, des avocats de service et d’autres intervenants du système juridique ne savent pas comment fournir des services appropriés sur le plan culturel et linguistique aux utilisateurs qui s’expriment en langage ASL. De plus, il semble que, une fois que les problèmes sont résolus dans une région, la solution n’est pas partagée avec les autres régions, de sorte que chaque collectivité réinvente la roue et forme le personnel, les avocats et les autres intervenants sur l’accès équitable pour assurer la qualité des services et de l’information.

La population de l’Ontario vieillit[310]. Les questions familiales comme la séparation et le divorce touchent les personnes de tout âge. Cependant, le nombre accru de personnes âgées en Ontario a une incidence sur certaines questions liées au droit de la famille comme la violence envers les parents commise par les enfants adultes, les obligations des enfants adultes envers leurs parents âgés et le droit des grands-parents de voir leurs petits-enfants. Certains facteurs associés au vieillissement peuvent désavantager certaines personnes âgées lorsqu’elles accèdent au système de justice. De nombreuses personnes âgées vivent avec une limitation sur le plan de la mobilité au fur et à mesure qu’elles vieillissent et ont besoin de mesures de soutien (y compris un moyen de transport et des améliorations favorisant l’accessibilité physique) pour accéder au système de justice. Les personnes âgées vulnérables dépendent souvent des membres de leur famille ou d’autres fournisseurs de soins pour jouir d’un bien-être physique, émotionnel et financier. Elles peuvent hésiter à déposer une réclamation en vertu du droit de la famille contre une personne avec qui elles souhaitent maintenir des relations continues ou avec qui elles ont besoin de maintenir de telles relations. Les personnes âgées peuvent aussi être réticentes à signaler les cas de violence si elles ont l’impression que la police est insensible à leur réalité ou leur manque de respect [311]. Le rapport Miser sur nos compétences a révélé que les niveaux de littératie dans le domaine des textes suivis diminuaient avec l’âge et que la plupart des personnes de plus de 65 ans se situaient au niveau 1, d’où leur difficulté à utiliser l’information juridique[312]. La communication d’information en ligne peut également désavantager les personnes âgées qui ne possèdent pas de compétences informatiques. De plus, les personnes âgées qui ont dû renoncer à leur permis de conduire peuvent considérer qu’il est difficile de se trouver un moyen de transport pour se rendre dans un grand centre si elles habitent dans une région rurale.

Les personnes âgées font également face à des obstacles systémiques en ce qui concerne l’accès à la justice. Ceux-ci comprennent les attitudes âgistes ou paternalistes des personnes responsables de la mise en œuvre des lois, le manque de formation et d’information sur les exigences du droit à l’intention de ces personnes, le manque de mécanismes de surveillance des droits juridiques et des mesures de protection, le manque de solutions convenables dans les cas où des droits ont été violés, la tendance à trop compter sur les systèmes de présentation de plaintes et le défaut de reconnaître et de satisfaire les besoins des personnes âgées dans la conception et la mise en œuvre des services[313]. La complexité des lois relatives aux personnes âgées pose un sérieux problème, car seule une petite minorité d’avocats possèdent une expertise connexe et très peu de documents rédigés en langage clair sur les droits juridiques des personnes âgées sont actuellement accessibles au public[314].

Outre la diversité de sa population, l’Ontario doit également composer avec sa diversité géographique. Au cours des 150 dernières années, la proportion de la population ontarienne vivant en régions rurales et en régions urbaines a été inversée. En 1851, 86 % de la population vivait en régions rurales, alors que, en 2006, 85 % de la population vivait dans les centres urbains[315]. Selon Statistique Canada, en 2011, la population des régions urbaines de l’Ontario variait, atteignant près de 119 000 personnes à Peterborough et plus de 5,5 millions de personnes à Toronto[316]. Indépendamment de cette tendance à l’urbanisation, il est nécessaire de fournir des services juridiques partout dans la province, ce qui comprend les lieux les plus éloignés. La distance a été définie comme le principal obstacle à l’obtention d’information et de services juridiques. Par exemple, l’accès aux services à large bande est impossible dans certaines parties de la province.[317]

L’une des formes de diversité les plus importantes et probablement les plus largement reconnues en ce qui a trait à l’accès au système juridique, y compris au système familial, est le statut économique. L’aide juridique et les autres moyens utilisés pour offrir des services juridiques à faible coût sont des mesures prises pour faire face à l’incapacité de certaines personnes d’accéder de façon efficace au système, étant donné qu’elles n’ont pas les moyens de payer une représentation juridique. Cependant, l’inaccessibilité au système juridique pour des raisons économiques demeure un problème important non seulement sur le plan de la représentation juridique, mais aussi à d’autres égards. Par exemple, il peut être plus difficile pour des personnes habitant certaines régions d’assister en personne à une séance du PIO ou de prendre part à une instance judiciaire ou de médiation en raison de leur horaire de travail ou de la souplesse de leurs heures de travail. La nécessité de payer pour la garde des enfants dans des situations semblables pose également problème.

Le « statut économique » n’est pas toujours synonyme de pauvreté, puisque, comme nous l’avons mentionné ailleurs dans ce rapport, les gens de la classe moyenne font face à des obstacles économiques importants lorsqu’ils accèdent au système, étant donné qu’ils n’ont pas ou presque pas les moyens de payer les services juridiques et qu’ils ne sont pas admissibles à l’aide juridique. La situation financière de chaque partie à un différend peut influer sur la portée de sa décision à régler un conflit et sur sa vie après la séparation. En réponse à notre rapport préliminaire, une avocate nous a écrit ce qui suit au sujet de ses clients de la classe moyenne :

[traduction]
Bon nombre de mes clients appartiennent à la classe moyenne. Ils ne disposent pas d’économies substantielles, de sorte qu’ils s’endettent ou qu’ils doivent vendre leur résidence, emprunter de l’argent, etc. Ils vivent souvent dans l’attente de leur prochain chèque de paie avant même que la relation prenne fin. En général, leur situation financière ne s’améliore pas après la rupture de la relation. Durant cette période difficile, les enfants doivent composer avec des parents qui, en plus, sont préoccupés par le système judiciaire et l’absence d’une solution rapide et efficace.

Bien que divers groupes présentent un statut socioéconomique inférieur comme nous l’avons mentionné plus tôt dans cette section, certains groupes sont plus susceptibles de toucher un faible revenu ou de vivre une situation financière précaire, notamment les Autochtones, les personnes handicapées, les femmes, particulièrement les mères seules, et certains groupes ethniques. Les personnes qui présentent plusieurs de ces caractéristiques peuvent être confrontées à des difficultés économiques encore plus grandes. Comme le fait remarquer l’Ontario Association of Interval and Transition Houses (OAITH) dans sa réponse à notre rapport préliminaire,

[traduction]
…[L]’examen de la mesure dans laquelle la pauvreté constitue une entrave à l’accès à la justice sans tenir compte des degrés disproportionnés de pauvreté présentés par certains groupes, lesquels sont aggravés par la discrimination fondée sur l’incapacité ou la race, ne permettra pas de prendre adéquatement en considération les réalités vécues par de nombreux Ontariens qui compromettent leur accès aux ressources et aux options que d’autres tiennent pour acquis.

L’Ontario abrite une population importante et diversifiée, qui comprend de nombreuses personnes vulnérables. Certaines personnes présentent des vulnérabilités qui se chevauchent, et chaque personne a ses propres expériences et attitudes. Les intervenants au sein du système ont fourni des services qui tiennent compte des défis en matière d’accès posés par la diversité. Bien que des efforts soient déployés notamment pour fournir de la documentation dans différentes langues ou pour préparer de l’information propre aux collectivités autochtones, les réformes ne semblent pas répondre, de manière générale, aux défis posés par la diversité. Pour les personnes vivant dans les collectivités éloignées, les personnes qui ne communiquent ni en français ni en anglais, les femmes qui ont des enfants en bas âge nécessitant des soins, les personnes handicapées et les immigrants de pays dirigés par un gouvernement dysfonctionnel et autoritaire, les palais de justice peuvent demeurer intimidants et inaccessibles comme c’était le cas avant l’implantation des réformes, et ce, pour différentes raisons. De plus, les réformes, qui sont principalement axées sur les tribunaux, ne répondent pas non plus aux besoins de nombreuses personnes qui ont besoin d’obtenir de l’information et de l’aide avant d’envisager de faire appel à un tribunal. Comme nous l’avons fait remarquer dans le deuxième chapitre de cette partie, même s’il existe une grande quantité d’information offerte par de nombreuses entités différentes, une grande partie de cette information est difficile à retrouver ou à comprendre, particulièrement si aucune aide n’est fournie.

Le défi que doit relever le système de justice familiale de l’Ontario consiste à s’assurer que les services tiennent compte de cette diversité afin d’améliorer l’accès à la justice pour tous les Ontariens. Les décideurs doivent avoir une compréhension nuancée de la composition différente des familles ontariennes et des divers rôles au sein de la famille afin de fournir des services qui répondent aux besoins des utilisateurs du système. Cela ne veut pas dire que les intervenants du système de justice familiale ont élaboré la documentation et défini les services en ne tenant pas compte de la diversité[318]. Cela signifie plutôt qu’une sensibilisation continue et même accrue à l’égard des défis posés par la prestation de services à une population diversifiée – et par la dynamique en évolution de cette diversité – doit constituer un point central de l’élaboration des politiques et des programmes et de la prestation des services.

 

3.               Le fondement d’un système de droit de la famille inclusif

Une personne a formulé le commentaire suivant :

[traduction]
…Bien que nous ne puissions pas savoir tout ce qu’il y a à savoir sur les différentes personnes avec qui nous interagissons et les différentes situations qu’elles vivent, nous devons être conscients de l’existence de ces autres réalités et situations. Par conséquent, nous devons développer une sensibilité nous permettant de reconnaître l’existence d’autres réalités que la nôtre, qui peuvent influencer une situation ou un contexte.

Pour y parvenir, nous devons continuellement remettre en question nos postulats et les conclusions que nous tenons pour acquises. En raison de notre passé d’inclusion dans la société et d’exclusion de la société, nous devons reconnaître le moment où des situations, des systèmes et même nos lois ne sont plus équitables. Cela suppose également qu’il faut parfois adopter une approche différente pour créer une égalité en matière de possibilités ou d’accès. Cela signifie que, même si nous avons l’impression que nous avons suffisamment entendu parler de la question de la diversité et de l’inclusion, cela n’est pas le cas[319].

Le défi que constitue la prestation de services à divers groupes de personnes n’est pas propre à l’Ontario. Bon nombre de pays partout dans le monde se diversifient sur le plan culturel, et les immigrants tiennent de plus en plus compte des lois, des politiques et des pratiques d’un État-nation, qui favorisent une participation politique accrue et la reconnaissance officielle de leur langue et de leur religion. Par conséquent, la gestion de la diversité et l’élaboration de politiques axées sur l’inclusion sociale sont devenues une priorité majeure pour de nombreux pays. L’Australie, par exemple, a dû relever des défis semblables au sein de son système de justice familiale. En février 2012, le Family Law Council of Australia a publié un rapport à l’intention du Procureur général, qui avait pour titre Improving The Family Law System for Clients from Culturally and Linguistically Diverse Backgrounds[320]. Même si nous n’affirmons pas que la comparaison est tout à fait juste, il convient de noter que le Conseil a déterminé [traduction] « des facteurs, qui une fois conjugués, empêchent les personnes ayant divers antécédents culturels et linguistiques d’accéder aux services du système de droit de la famille ». Ces facteurs sont semblables à ceux relevés dans le cadre de nos recherches et de nos consultations et comprennent ce qui suit :

[traduction]

Le manque de connaissances sur le droit et le manque d’information sur les services offerts, les obstacles sur le plan linguistique et de la littératie, les obstacles culturels et religieux qui empêchent certaines personnes de chercher de l’aide à l’extérieur de la collectivité, les perceptions négatives à l’égard des tribunaux et des services axés sur les relations familiales, l’isolement social, le manque de collaboration entre les services aux migrants et le système de droit de la famille, la peur des organismes gouvernementaux, l’absence de services adaptés à la culture, les facteurs législatifs et le personnel biculturel ainsi que les questions de coûts et de ressources[321].

Dans le cadre de ses consultations, le Conseil a conclu que, même si des faits confirmaient que les fournisseurs de services et les membres des collectivités collaboraient ensemble afin de répondre aux besoins des collectivités culturelles et linguistiques, son [traduction] « examen de ces questions port[ait] à croire que l’adoption d’un ensemble plus général de mesures est justifiée[322] ». Même si la portée du rapport du Conseil était limitée aux diverses populations culturelles et linguistiques, les auteurs ont déclaré que de nombreux fournisseurs de services dans le système de droit de la famille les avaient informés que [traduction] « bon nombre des obstacles empêchant des clients ayant différents antécédents culturels et linguistiques de prendre part activement au système avaient également une incidence sur d’autres clients de statut socioéconomique inférieur ou d’autres milieux défavorisés[323] ».

Dans son rapport Delivering Services in Multicultural Societies, Alexandre Marc avance que la prise en compte de la diversité par les politiques publiques comporte plusieurs avantages, notamment la diminution du nombre de conséquences liées à l’exclusion sociale qui [traduction] « limite l’accès aux services, à l’emploi ou à la justice »[324]. M. Marc explique que les chercheurs du domaine de la santé mentale ont défini le concept du « savoir-faire culturel » comme étant [traduction] « un ensemble cohérent de comportements, d’attitudes et de politiques qui s’intègre dans un système ou une organisation ou qui est partagé par des professionnels et qui permet à ce système, à cette organisation ou à ces professionnels de travailler efficacement dans des situations interculturelles[325] ». Cet ensemble est également digne d’intérêt pour les intervenants du système juridique et peut s’avérer un outil de collaboration entre le système juridique et d’autres disciplines ou systèmes. M. Marc ajoute que [traduction] « le concept du savoir-faire culturel va au-delà de la sensibilisation aux réalités culturelles. Il représente l’institutionnalisation des efforts déployés pour fournir des programmes ou des politiques appropriés à diverses populations[326] ».

Fareen Jamal a également souligné l’importance de la « maîtrise culturelle » dans la pratique du droit de la famille :

[traduction]
La maîtrise culturelle est particulièrement importante dans le domaine du droit de la famille parce que c’est souvent précisément dans le contexte de leur relation matrimoniale que les personnes souhaitent appliquer les normes d’éthique établies sur le plan culturel.
[…]
La famille est un sujet délicat qui porte à controverse. Toute controverse entourant la « famille » se rapporte à des engagements affectifs profonds qui façonnent l’opinion sociale et politique des gens et les incitent à défendre leur point de vue ou à faire des compromis. Ces engagements reposent sur des faits culturels et alimentent les débats sur le type de société auquel nous attachons de l’importance et auquel nous aspirons
[327].

Bien que l’exposé présenté ci-dessus se rapporte précisément à la question de la diversité culturelle, y compris l’appartenance à une collectivité autochtone, il est également important de déterminer les autres dimensions de la diversité décrites dans la section précédente, dont l’âge, l’incapacité, le sexe, l’orientation sexuelle, la littératie, l’emplacement géographique et le statut économique, et d’en tenir compte. Par conséquent, un autre défi que le système de justice familiale doit relever est la création de modèles de prestation de services qui tiennent compte des différentes dimensions de la diversité, tout en ayant comme objectif une inclusivité réelle accrue. Le gouvernement provincial est bien au fait de cette question et a pris des mesures importantes pour s’assurer que la diversité est prise en compte dans l’élaboration des programmes et des services. En 2009, le gouvernement provincial a mis sur pied le Plan stratégique triennal sur la diversité de la FPO[328]. Dans le Rapport annuel sur la diversité de la FPO 2011, Vers l’inclusion, le Bureau de la diversité a défini en ces termes la motivation d’adopter un plan axé sur la diversité :

La fonction publique de l’Ontario (FPO) offre des programmes, des politiques et des services à 13 millions de personnes dans l’un des [plus] territoires de compétence les plus diversifiés au monde.

[…] l’Ontario a connu des changements spectaculaires et les projections montrent que cette évolution se poursuivra à long terme à mesure que notre population vieillit et que nous continuons d’attirer de nouveaux arrivants du monde entier. En 2009, le Bureau de la diversité a publié le Plan stratégique triennal sur la diversité de la FPO, Diriger le changement à partir d’une base solide, qui visait à intégrer diversité, accessibilité et inclusion aux activités centrales de la FPO[329].

Le plan stratégique sur la diversité de la FPO prévoit notamment l’élaboration d’une perspective de la diversité et de l’inclusion. L’Outil d’évaluation en matière d’inclusion pour la FPO est un outil en ligne qui met en évidence les obstacles actuels et potentiels en matière d’inclusion lorsqu’il s’agit d’élaborer ou d’examiner des politiques, des programmes et des services. Il soulève des questions relatives à la diversité, à l’accessibilité et à l’inclusion. Cet outil est essentiellement un cadre analytique des 17 dimensions de la diversité utilisé par le personnel de la FPO dans le contexte de son travail, y compris lors de la mise en place d’un programme ou d’un service. La mise en œuvre complète de cet outil est prévue pour 2016. Selon une description fournie par le Bureau de la diversité de la FPO :

[traduction]
L’Outil permet de s’assurer que les politiques, les programmes et les services gouvernementaux sont conçus de façon inclusive et répondent aux besoins de tous les Ontariens. Cela est très important pour la fonction publique de l’Ontario qui offre des services publics à la fois excellents et pertinents. L’inclusion et l’accessibilité constituent une priorité majeure pour le gouvernement de l’Ontario, et l’Outil représente un engagement décisif du Plan stratégique triennal sur la diversité de la FPO[330].

L’utilisation d’un outil analytique tel que l’Outil d’évaluation en matière d’inclusion permet d’évaluer de façon critique les programmes et les services du point de vue de la diversité. Nous croyons que tout programme ou service destiné au public doit faire l’objet d’une telle évaluation afin de garantir son accessibilité à tous les Ontariens. La CDO a élaboré deux cadres qui pourraient être utiles pour le gouvernement et les intervenants des secteurs privé et quasi public lorsqu’ils examinent les lois, les politiques et les pratiques en vigueur ou en élaborent de nouvelles, le cas échéant. Ces cadres ont pour but de favoriser respectivement la prise en compte des expériences et des besoins des personnes âgées et ceux des personnes handicapées, et sont conçus pour promouvoir l’égalité réelle[331].

L’un des domaines en particulier dans lesquels la diversité a été reconnue par les politiques provinciales est celui de la violence familiale. Par exemple, l’un des volets du Plan d’action ontarien contre la violence familiale vise la transformation d’un programme « du courant dominant » en un programme axé sur des « [a]pproches ciblées permettant de satisfaire à divers besoins (communautés francophone et autochtone, groupes ethno-culturels et raciaux, personnes handicapées, collectivités rurales, agricoles et du Nord, personnes âgées) », y compris les « [i]nitiatives ciblées destinées aux groupes qui sont plus vulnérables à la violence familiale ou pour lesquels l’accès aux mécanismes de soutien est restreint par des considérations d’ordre linguistique, géographique ou culturel ou par des handicaps[332] ».

Bien que des efforts isolés aient été déployés pour favoriser l’inclusion, dont certains ont été mentionnés précédemment, il semble qu’une approche systémique en matière de diversité sur le plan familial fait souvent défaut. Tout comme le font la perspective de la diversité de la FPO et les deux cadres de la CDO, une approche systémique déterminerait les caractéristiques pertinentes qui sont liées aux interactions personnelles avec le système juridique familial (c’est-à-dire qui ont une incidence sur celles-ci). Une telle démarche permettrait de s’assurer de prendre en compte ces caractéristiques lors de la création ou de l’examen des programmes et des services et de l’établissement des calendriers de mise en œuvre prévus. Comme nous en avons fait mention précédemment, la mise en œuvre de nouveaux programmes ou services ou encore la refonte des programmes ou des services existants respecterait le principe de la réalisation progressive : une fois les objectifs définis, il est possible de déceler les lacunes qui subsistent et de les combler lorsque les ressources sont accessibles.

Dans la prochaine section, nous traitons très brièvement de la façon dont la diversité ou l’inclusivité a influencé notre évaluation des premières étapes du processus au sein du système familial et dont ces concepts prévalent sur les aspects individuels du système.

 

C.              L’inclusivité en tant que valeur prédominante : promouvoir une égalité réelle

L’inclusivité est une valeur prédominante plutôt qu’équivalente lorsqu’il s’agit d’améliorer un aspect particulier du système tel qu’offrir un meilleur accès à la représentation juridique. Elle est toutefois renforcée par les améliorations apportées à ces aspects particuliers et, à son tour, contribue à l’atteinte d’une égalité réelle dans la société ontarienne. La reconnaissance de l’« atteinte d’une égalité réelle » comme valeur prédominante des deux cadres que nous avons élaborés (sur les personnes âgées et les personnes handicapées respectivement) a influencé la façon dont nous avons élaboré les principes et envisagé leur application dans le contexte des cadres. Elle a également influencé la façon dont nous avons mené ces projets. Cela est également vrai dans le cas du présent rapport final sur notre projet La loi et la famille.

À cet égard, il est important de faire remarquer que, même si nous nous attardons ci-dessous sur la mise en évidence des aspects du système qui pourraient tirer des avantages précis des réformes (communication d’information, accès à la représentation juridique et aux conseils juridiques et prise en compte de la relation entre les questions juridiques et non juridiques), il existe des questions plus générales qui ne peuvent être ignorées (lesquelles ne sont pas particulières au droit de la famille) et qui compliquent la façon de tenir compte de ces aspects plus précis.

Lorsque nous avons présenté plus tôt des exemples de la diversité, notre intention n’était pas de laisser entendre qu’ils sont uniques au contexte familial ou que leur prise en compte réglera nécessairement d’autres aspects de la vie des gens, même si nous croyons qu’ils puissent avoir une certaine incidence. En fait, il est possible que certaines personnes n’aient jamais besoin d’accéder au système de justice familiale ou qu’elles y aient recours dans une mesure très limitée. Cela ne signifie pas toutefois que nous ne devons pas chercher à en atténuer l’incidence dans la mesure du possible. Dans le même ordre d’idées, lorsque des membres de certaines collectivités vivent une relation tendue avec le système juridique familial pour une raison ou une autre, cette situation problématique peut s’étendre au système juridique en général. Lorsque les points de vue sur le rôle des femmes sont contraires au courant dominant, ils influent non seulement sur les attentes en cas de dissolution de la famille, mais également sur la façon dont les femmes doivent se comporter dans la société en général. Nous devons prendre en considération ces points de vue si nous voulons comprendre et améliorer le portrait global et évaluer leurs liens avec les valeurs canadiennes fondamentales. Nous devons toutefois prendre conscience que la valeur prédominante de l’inclusivité tient compte de la répartition inégale des désavantages auxquels font face différents groupes de l’Ontario.

Certains problèmes ne se limitent pas aux expériences ou aux besoins de groupes particuliers; ils peuvent avoir des conséquences qui varient selon les caractéristiques ou les antécédents personnels. Dans de tels cas, il peut s’avérer nécessaire de réaliser des adaptations précises à des mesures plus générales. Par exemple, en ce qui concerne l’amélioration de l’accès à l’information, nous pouvons faire certaines suggestions générales sur le besoin de rendre les sources d’information plus faciles à comprendre et de faciliter la navigation dans le dédale des renseignements en ligne. En créant un « point central » d’information, nous devons toutefois nous rappeler, par exemple, que les compétences en littératie peuvent avoir une incidence sur l’accès à la documentation en ligne. Puisque les faibles niveaux de littératie ne sont pas propres à certains groupes, les moyens utilisés pour élever ces niveaux peuvent être utiles au sein de la population, particulièrement dans les groupes ayant un faible niveau d’éducation. Parallèlement, les Autochtones, les personnes âgées et certains immigrants sont plus susceptibles de posséder des compétences en littératie limitées.

Il a été avancé que les programmes conçus et offerts par des personnes non autochtones ne peuvent pas combler l’écart culturel entre le système de justice prédominant et les points de vue et les besoins uniques des collectivités autochtones. Il existe actuellement en Ontario certains services juridiques axés sur la culture, tels les Aboriginal Legal Services of Toronto[333]. Dans les cas où le système offre des services en ne tenant pas compte des antécédents des utilisateurs, il peut être souhaitable de mettre l’accent sur la formation des fournisseurs de services autochtones[334].

Voici d’autres exemples. De nos jours, les personnes âgées présentent généralement un faible niveau d’éducation et sont moins susceptibles de posséder des connaissances en informatique[335]. Il peut être très difficile pour une personne dont la langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais de tirer avantage d’une séance du PIO si elle ne peut pas être accompagnée de son « traducteur », qui peut être un membre de la famille et qui, dans tous les cas, n’est probablement pas familier avec le contenu du PIO. (Nous sommes conscients que des efforts sont déployés pour fournir le PIO dans d’autres langues.)

Dans le même ordre d’idées, nous savons que la pauvreté et le faible revenu ne sont pas uniques à certains groupes et qu’il n’est pas nécessaire de concevoir les services offerts aux utilisateurs à faible revenu en fonction de chaque groupe précis. Néanmoins, un plus grand nombre de personnes dans certains groupes touchent un faible revenu. Un nombre considérable de personnes âgées vivent dans la pauvreté[336]. Les femmes âgées en particulier qui souhaitent rompre leur mariage ou qui doivent se plier au désir de leur époux de mettre un terme à leur mariage peuvent avoir de la difficulté à obtenir les fonds pour accéder hâtivement à des conseils judicieux et se faire représenter. Le faible revenu constitue également un problème pour les personnes handicapées. Comme nous l’avons indiqué précédemment, les taux de pauvreté sont plus élevés dans certaines collectivités de « minorités visibles ». Pour certains groupes en particulier, la pauvreté aggrave la difficulté d’obtenir de l’aide en premier lieu. La façon précise dont différentes personnes sont touchées par la pauvreté peut déterminer à tout le moins en partie les lieux et le mode de prestation des services d’aide juridique ainsi que les moyens utilisés pour faire connaître ces services. En d’autres mots, il n’est pas question de concevoir des services d’aide juridique pour les personnes handicapées (par exemple) et d’autres pour les personnes âgées. Il s’agit plutôt de proposer de tels services pour les personnes qui n’ont pas les moyens d’obtenir une assistance juridique et d’intégrer les aspects qui sont particulièrement utiles pour les personnes handicapées ou les personnes âgées et qui, sans aucun doute, sont utiles pour d’autres groupes.

 

D.              La nécessité d’un changement systémique

Les obstacles que nous avons cernés tout au long de notre processus de recherche et de consultation sont complexes, et notre système de justice familiale, tel qu’il existe actuellement, ne peut pas les surmonter. Cela n’est guère surprenant. Hormis certaines exceptions (importantes), notre système présume que les utilisateurs forment un groupe homogène et il se fonde sur la présence d’avocats qui possèdent des connaissances spécialisées et la formation nécessaire pour guider les profanes au sein du système. De plus, dans la plupart des cas, le système sépare les problèmes juridiques des autres problèmes liés à la rupture d’une relation. Nous croyons que toute nouvelle réforme du système doit tenir compte de ces questions afin d’offrir un accès efficace au système de justice familiale aux citoyens de l’Ontario. Pour ce faire, il faut considérer notre système de justice familiale de la façon dont il est perçu par les personnes qui doivent y accéder, en s’assurant que la diversité est prise en compte lors de la conception des services, et ce, le plus possible en conformité avec le principe de la réalisation progressive. Il convient également de réfléchir de manière créative à la façon d’offrir les services juridiques. La représentation juridique complète n’est pas à la portée d’un grand nombre de personnes, si ce n’est de la plupart des gens.

Il est de plus en plus reconnu que le système de justice ne peut plus fonctionner et que les avocats ne peuvent plus exercer en se fondant sur la proposition du « tout ou rien » que suppose la représentation juridique traditionnelle. Nous devons examiner minutieusement en quoi consiste l’« exercice du droit » et trouver des moyens de concevoir des services juridiques spécialisés et efficaces qui excèdent les limites de la représentation juridique complète. Il est également nécessaire de trouver un moyen de régler efficacement tous les problèmes découlant de l’échec d’un mariage et de veiller à ce que les personnes concernées aient accès aux services non juridiques dont elles ont besoin pour assurer la santé et la stabilité de leur famille.

Nos consultations, nos recherches et les réponses obtenues à notre rapport préliminaire ont révélé que les personnes qui font face à l’éclatement de leur famille cherchent de l’information et des solutions aux endroits où elles se sentent à l’aise et où un lien de confiance a été établi entre elles et le fournisseur de services. Ces endroits, qu’ils soient officiels ou non ou encore qu’ils soient ou non directement liés au système judiciaire, servent de « points d’entrée » dans le système de justice familiale : ils permettent l’accès à la justice familiale. Des efforts ont été déployés afin de créer des points d’entrée à l’extérieur des palais de justice afin de mieux tenir compte des besoins des utilisateurs. Ces efforts comprennent les récentes collaborations entre AJO et les centres de justice familiale visant à fournir, dans ces centres, des services par des avocats de service ainsi que la création d’un Programme d’information sur le droit de la famille fondé sur le PIO, qui est accessible à toutes les personnes ayant accès à Internet. La portée de ces initiatives est toutefois limitée. En ce qui concerne l’accès à la justice pour les collectivités rurales et éloignées et les minorités linguistiques, Karen Cohl et George Thompson ont fait observer ce qui suit :

Il existe peu de preuves d’efforts, à l’échelle régionale ou provinciale, visant à apporter une réponse systémique aux défis que présente l’accès à la justice, une réponse qui repose sur une vision commune, qui met en cause tous ceux qui ont besoin d’y participer, qui indique les principales questions prioritaires et qui tient compte des avantages liés au travail commun. Il existe une certaine collaboration et des partenariats innovateurs, mais peu de mesures incitatives sont prises pour les créer et les encourager. Par conséquent, on ne prête pas suffisamment attention aux questions systémiques[337].

Cette observation peut également s’appliquer aux défis en matière d’accès à la justice auxquels font face de nombreux Ontariens qui habitent dans de plus grandes collectivités et qui vivent une rupture familiale. Nous croyons qu’une approche systémique visant à résoudre les problèmes qui empêchent l’accès efficace au système de justice familiale devrait favoriser une meilleure coordination des efforts afin de créer des modèles complets de prestation de services. Ces modèles devraient tenir compte des critères de référence mentionnés précédemment et considérer l’inclusivité comme une valeur prédominante.

Dans la seconde partie, nous examinons les faits récents et novateurs survenus en Ontario ainsi que dans d’autres provinces et territoires, qui pourraient servir de leçons et de principes directeurs pour surmonter les obstacles systémiques à la justice familiale en Ontario. Pour créer ces points d’entrée, il est nécessaire d’apporter des changements importants au mode de prestation des services juridiques. Cependant, nous estimons que l’approche optimale pour surmonter ces obstacles consiste à renforcer l’accès aux services par la création de points d’entrée intégrés et, ce faisant, promouvoir l’égalité réelle en Ontario.

 

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