A.    La famille : un reflet de la société ontarienne 

Il est impossible de saisir la diversité de la famille ontarienne sans comprendre la diversité de la population ontarienne en général. On retrouve parmi les faits nouveaux, par exemple, les changements des tendances en immigration qui ont mené à des changements dans la composition ethnique et religieuse de la province. Les femmes au Canada ont obtenu de plus en plus de droits sociaux et économiques au cours des deux dernières décennies (il en sera davantage question dans la prochaine section), mais les croyances de certains groupes peuvent sembler remettre en cause l’engagement d’égalité entre les hommes et les femmes qui a été reconnu dans le Code des droits de la personne de l’Ontario[23] et dans la Charte canadienne des droits et libertés[24]. Ces tendances ne sont pas nouvelles, mais elles jouent un plus grand rôle que par le passé.  

L’Ontario a inversé la proportion de sa population qui vit dans les régions rurales et urbaines au cours des 150 dernières années. En 1851, 86 % des Ontariens vivaient dans les régions rurales; en 2006, 85 % vivaient dans les centres urbains[25]. La taille des régions urbaines diffère considérablement. Statistique Canada utilise une mesure appelée « régions métropolitaines de recensement » (RMR) qui peut englober une région plus grande que la ville elle‑même[26]. En 2006, la population de l’Ontario qui vivait dans les RMR allait de 122 000 personnes à Thunder Bay[27] à plus de 5,5 millions à Toronto[28]. Les gens peuvent estimer jouir d’une meilleure vie privée en vivant dans une grande ville ou même dans une petite ville, mais ils peuvent aussi être plus isolés. D’une certaine manière, ils ont peut‑être un accès plus facile aux ressources puisqu’il y a davantage de ressources disponibles dans les grands centres; par ailleurs, dans un très grand centre, il peut être aussi long au moyen du transport en commun d’atteindre une ressource que pour une personne qui vit dans une région rurale et qui doit se rendre à un grand centre.

La population de l’Ontario vieillit. Les problèmes familiaux touchent les personnes de tous les âges : des conjoints âgés se séparent et divorcent; il peut y avoir de la violence familiale dans la relation; il peut aussi y avoir des problèmes économiques et culturels. Les conjoints âgés peuvent aussi être aux prises avec des problèmes juridiques familiaux particuliers, comme la violence faite aux parents par leurs propres enfants; ou les obligations des enfants envers leurs parents âgés[29]. Selon Un portrait des aînés au Canada, dans les 25 ans environ qui se sont écoulés entre 1981 et 2005, la proportion des aînés dans la population est passée de moins de 10 % à plus de 13 %. Selon Un portrait des aînés au Canada, le nombre d’aînés fera plus que doubler en 2036 pour passer à près de 10 millions de personnes, soit près du quart de la population[30].

Le changement des tendances d’immigration ainsi que la composition ethnique et religieuse de la province qui en découle, particulièrement dans les grands centres urbains, s’inscrivent parmi les changements démographiques les plus importants à se produire en Ontario. Bien plus de 60 % de la croissance de la population au pays provient de l’immigration[31]. Plus de la moitié des immigrants vont s’établir en Ontario[32], quoique ce chiffre pourrait être en baisse[33].

Les religions protestante et catholique demeurent les religions prédominantes en Ontario, chaque catégorie comptant près de 35 % des gens. Un peu plus de 3 % des gens sont musulmans et environ 5 % se décrivent comme « autres chrétiens » ou chrétiens orthodoxes[34]. Le discours populaire met l’accent sur les différences entre les musulmans ou les juifs, par exemple, et les dénominations chrétiennes, mais il existe une différence importante entre les chrétiens dans la façon dont ils conçoivent la vie familiale, comme c’est le cas d’autres religions.

Les Autochtones comptent pour 2 % de la population de l’Ontario[35]. Le Recensement de 2006 indique que les Autochtones sont beaucoup plus jeunes que les non‑Autochtones, ayant une proportion plus importante de jeunes enfants que les non‑Autochtones. Même si plus de la moitié des enfants âgés de 14 ans et moins vivent avec leurs deux parents, les enfants autochtones au Canada (il n’y a pas de statistiques pour l’Ontario seulement) sont plus susceptible de vivre dans des ménages à un seul parent, généralement la mère, et plus susceptibles de vivre avec un grand‑parent, mais aussi plus susceptibles de vivre dans des ménages à plusieurs familles, que les enfants des ménages non autochtones[36]. Soixante pour cent des Autochtones au Canada vivent hors réserve[37].

Pour les Autochtones en Ontario, la famille englobe aussi un réseau élargi de grands‑parents, de tantes, d’oncles et de cousins[38]. Traditionnellement, « la famille est le médiateur unique entre l’individu et les sphères sociales, économiques et politiques de la société »[39]. La perturbation de cette structure familiale signifie que l’individu « est effectivement laissé à lui‑même »[40]. Cette perturbation existe depuis la colonisation et se poursuit aujourd’hui[41]. 

On peut qualifier de « minorités visibles » plus de 20 % des résidents de l’Ontario, pour reprendre les termes utilisés par Statistique Canada, ces minorités comprenant plus de 2,7 millions de personnes; plus de 6 % sont sud‑asiatiques, près de 5 % sont Chinois et près de 4 % sont « noirs »[42]. Environ 46 % des résidents de Toronto sont membres de collectivités de « minorités visibles »[43].

Bien que cela n’indique toutefois pas fidèlement l’utilisation de la langue à l’extérieur du foyer, les données indiquent que près de 10 millions de personnes en Ontario parlent l’anglais à la maison, près de 290 000 parlent le français et près de deux millions de personnes parlent une « langue non officielle » (environ 240 000 parlent l’anglais et une langue non officielle)[44]. Il faut toutefois mentionner qu’à Toronto, par exemple, la quasi‑totalité de la main d’œuvre en Ontario parle l’anglais au travail[45]. Les différences dans ces données font en sorte qu’il est difficile d’évaluer la relation entre l’usage de l’anglais ou du français au travail et la capacité d’utiliser l’une ou l’autre des langues officielles dans le système juridique familial. 

Il s’agit de certains des exemples de pluralisme ou de diversité en Ontario qui doivent être reflétés dans le système familial. Nous reconnaissons toutefois que le système n’aura jamais la capacité de répondre à toutes les différences; néanmoins, lorsque les différences peuvent jouer un rôle prédominant dans la création ou le règlement de différends familiaux, il faut les prendre en considération.

 

B.    L’évolution de la famille 

La définition de « famille » peut dépendre du contexte social, de la culture et de la religion ainsi que de la situation de chacun. Dans la société pluraliste ontarienne, les gens peuvent avoir des notions très différentes de la « famille ». 

Le visage public de la famille en Ontario diffère beaucoup d’il y a cinquante ans et même d’il y a vingt ans. La jurisprudence a confirmé la reconnaissance juridique de certains de ces changements, en particulier la famille où les conjoints sont de même sexe[46]. D’autres changements dans la configuration de la famille découlent de l’augmentation du pluralisme de la population ontarienne susmentionnée. Par exemple, dans certaines collectivités, la famille élargie est devenue moins fréquente puisque les enfants adultes déménagent ailleurs au Canada tandis que dans certaines collectivités d’immigrants récemment arrivés, la famille élargie peut être courante. Dans cette section, nous offrons un bref aperçu de la diversité des familles actuelles au Canada et en Ontario.

La vie familiale au Canada et en Ontario a changé, et les rôles traditionnels des hommes et des femmes ont changé aussi. Les hommes ne sont plus les principaux soutiens de famille[47]. L’accès égal à l’éducation a donné aux femmes un accès accru à tous les segments de la main‑d’œuvre ainsi que la capacité de se forger une carrière. Les femmes sont donc moins dépendantes financièrement de leurs époux ou conjoints de fait. La participation économique accrue des femmes, parmi d’autres facteurs[48], a engendré la tendance selon laquelle les unités familiales ont moins d’enfants et ont des enfants plus tard[49], de sorte que l’éducation des enfants, la carrière et, dans certains cas, le soin des membres âgés de la famille doivent avoir lieu simultanément[50]. L’incidence plus élevée des mères au travail et le rôle accru que jouent les pères modernes dans l’éducation des enfants peuvent mener à une réorientation graduelle des dispositions de garde et d’accès[51]. La mobilité des membres de la famille, en Ontario ou au Canada, et même dans le monde, peut aussi poser des problèmes de garde et d’accès. Nous devrions toutefois nous rappeler que ces tendances générales ne se manifestent pas nécessairement au sein de certaines collectivités qui favorisent les grandes familles ou s’attendent à ce que les femmes se concentrent sur la maison et l’éducation des enfants.

Malgré le changement des tendances au sein des familles, il existe toujours des différences entre les rôles des hommes et ceux des femmes, en particulier dans les familles avec enfants. Par exemple, même si de nombreuses mères travaillent, elles travaillent à temps partiel plus souvent que les pères, souvent pour s’occuper des enfants. Trente‑deux pour cent des mères travaillent à temps partiel[52]. 

La position des enfants dans les familles a aussi changé. La vie familiale moderne a rendu les enfants plus indépendants de certaines manières, mais plus dépendants de leurs parents d’autres manières. Les familles passent moins de temps ensemble qu’auparavant en raison des contraintes du travail[53]. La technologie moderne a donné aux enfants un accès accru à des réseaux indépendants d’amis et de membres de la famille, y compris les parents qui n’habitent pas avec eux après une séparation et un divorce, et aux services en ligne[54]. Toutefois, dans l’infrastructure urbaine canadienne, les enfants doivent souvent se fier aux parents et à d’autres adultes pour être mobiles[55].

Selon Statistique Canada, il y avait en 2006 plus de quatre millions de familles en Ontario. La plupart de ces familles sont composées de couples mariés et la majorité sont des couples avec enfants[56]. Le mariage hétérosexuel traditionnel ne constitue cependant plus la seule façon ou la principale façon dont les gens forment une unité économique ou sociale. Les familles où les parents sont des conjoints de fait constituent un nombre important de familles[57], avec 192 000 familles sans enfants et 144 000 familles avec enfants[58]. En 2006, il y avait 17 000 couples de même sexe (3 700 couples mariés et plus de 13 000 couples en union libre)[59]. De plus, les technologies de procréation, l’adoption et les nouveaux mariages après un divorce signifient que les enfants peuvent avoir des liens avec des parents non biologiques (sociaux) et des parents biologiques ou, dans certains cas, peuvent n’avoir que peu de contacts, voire aucun, avec les parents biologiques[60]. 

En raison de la séparation et du divorce, il y a un grand nombre de familles monoparentales[61]. Il y avait en 2006 plus de 540 000 familles monoparentales en Ontario[62]. La plupart des chefs de familles monoparentales après un divorce au Canada sont des femmes, quoique de 10 à 12 % sont des hommes[63]. Il y a eu une augmentation du nombre de familles où le père est monoparental au Canada[64]. 

Certains des changements de la vie familiale ont influencé les décisions juridiques au sujet de la famille à la rupture. Les modifications législatives, l’évolution de la composition de la famille, l’égalité accrue des femmes, les technologies de procréation et, en sus, le pluralisme croissant de la société ontarienne ont tous eu un effet sur les demandes faites au système familial et à sa capacité de régler les différends familiaux.  

Le système doit reconnaître que les changements relatifs à la vie familiale ne sont pas les mêmes pour toutes les collectivités dans la société ontarienne. Par exemple, les gens qui ont certaines convictions religieuses, ceux qui vivent dans des petites collectivités, les Autochtones[65] ainsi que les gens qui ont émigré en provenance de sociétés plus traditionnelles peuvent concevoir « la famille » d’une façon différente, comparativement à la conception générale ou prédominante. Les notions traditionnelles au sujet des rôles rattachés au sexe, des liens avec les membres de la famille élargie, du divorce ou de l’éducation des enfants peuvent dominer. Toutefois, les familles provenant de sociétés plus traditionnelles peuvent adopter différentes attitudes en raison de l’influence d’un environnement multiculturel, particulièrement dans les centres urbains[66]. Tout en reconnaissant la diversité de la vie familiale, le système juridique a l’obligation de respecter les attentes générales – les normes, les droits de la personne et les exigences constitutionnelles – au sujet de questions comme l’égalité des sexes. 

Ainsi, dans un contexte complexe, diversifié et parfois très douloureux, le système de justice familiale en Ontario devra élaborer ses réponses aux défis découlant de ces changements dans la société et la structure familiale, par exemple : 

  • Même si la dépendance économique entre hommes et femmes a diminué, il y a toujours des différences de revenu. Dans certaines cultures, les femmes ne peuvent pas être un soutien de famille ni développer les compétences nécessaires pour accéder au marché du travail. Cela peut avoir une incidence sur le calcul de la pension alimentaire pour conjoint et pour enfants.
  • Il peut être difficile de déterminer les liens familiaux et même les liens parentaux lorsque la vie familiale est diversifiée. La diversité de la vie familiale a donné naissance à une notion juridique plus pragmatique de la « famille » ou de la « vie familiale » en droit de la famille dans les pays développés[67], compte tenu du fait que les gens nouent des liens économiques et personnels étroits[68]. Lorsque des enfants sont en cause, cela comporte les liens émotionnels présumés entre les parents (biologiques et non biologiques) et les enfants, ou avec des membres de la famille proches comme entre les grands‑parents et les enfants[69]. Concrètement, cela peut soulever des questions complexes[70]. 
  • Les familles provenant de sociétés ayant des notions traditionnelles sur les biens familiaux et la position de l’enfant peuvent rechercher des modes de règlement communautaire des différends hors du système officiel, ce qui pourrait désavantager les femmes.
  • Permettre aux enfants de s’exprimer dans les affaires de garde et d’accès est compatible avec le rôle plus indépendant que bon nombre d’enfants jouent au sein des familles. Toutefois, la protection du bien‑être d’un enfant peut rendre plus difficile pour les parents et le système d’intégrer l’enfant à un processus judiciaire dans lequel des choix difficiles doivent être faits. Dans les familles plus traditionnelles, l’opinion de l’enfant n’est pas nécessairement considérée comme un facteur qui doit être pris en compte. 
  • La violence familiale demeure une préoccupation importante, malgré de nombreux efforts pour la contrer[71], et il faut en tenir compte lorsqu’on détermine la réponse du système juridique à la rupture des familles de tous les niveaux de revenu et de scolarité[72]. Il peut s’agir de la raison de la rupture de la famille, quoique dans certains cas, la famille continue d’exister avec une menace constante de violence familiale et son effet sur la victime, généralement des femmes[73], et des enfants[74]. Cette violence peut se poursuivre après la séparation de la famille[75]. Les victimes peuvent trouver extrêmement pénible de parler de leurs expériences. Cela peut être encore plus pénible dans les cultures à structure patriarcale dominante. 

L’un des plus grands défis que pose la réinvention du système juridique familial est la discordance entre le système et la situation des familles en crise. Concrètement, les familles n’ont pas seulement besoin de solutions juridiques, mais aussi d’un mode de fonctionnement durable pendant et après la séparation et le divorce, particulièrement dans les affaires où des enfants sont en cause. Nous pouvons seulement résumer les recherches sur la vie familiale et sur le divorce et la séparation en Ontario et au Canada de façon générale; toutefois, ce contexte est essentiel pour comprendre les raisons pour lesquelles nos recommandations reflètent le besoin d’autres expertises que de l’expertise juridique afin de répondre à la rupture de la famille.

 

C.     L’effet de la rupture de la famille 

On estime que 40 % de l’ensemble des mariages ou relations au Canada se terminent par une rupture[76]. Il est difficile de dire combien il y a de ruptures familiales en Ontario puisque même la rupture d’unions libres de longue durée ne fait pas nécessairement l’objet de procédures officielles[77]. En 2006, 679 900 Ontariens âgés de 15 ans ou plus ont officiellement divorcé, soit près de 7 % des personnes âgées de 15 ans et plus[78]. 

Bien que le divorce ne comporte plus le stigmate social d’autrefois et qu’il soit facilité par les procédures judiciaires, une rupture familiale peut être très perturbatrice. Currie écrit qu’au Canada, environ 33 % des personnes en situation de rupture familiale déclarent que cela a gravement perturbé leur vie, tandis que 50 % déclarent que cela l’a quelque peu perturbée[79].  

Les recherches indiquent que le divorce entraîne généralement une période de stress, d’instabilité, de solitude et de peine, voire même d’hostilité. C’est d’autant plus vrai pour les familles avec enfants. Un conflit conjugal entraîne un risque accru de problèmes de santé mentale et physique. C’est encore plus répandu après un divorce et une séparation. Les conflits entre les parents ont aussi un effet négatif sur les enfants[80]. Un divorce peut toucher les membres de la famille élargie, par exemple les grands‑parents, lorsque l’un des parents empêche le contact[81]. 

Même si on tend à mettre l’accent sur les effets négatifs de la séparation ou du divorce, il faut se rappeler que le maintien de l’unité familiale peut avoir des conséquences plus graves. Par exemple, Ambert souligne que les divorces qui mettent fin à un conflit interparental peuvent avoir des conséquences positives pour les enfants[82]. Toutefois, les divorces dans des cas à faible niveau de conflit peuvent avoir un fort effet négatif sur les enfants[83]. Certaines relations où il n’y avait aucun conflit pendant un mariage peuvent dégénérer en divorce très acrimonieux qui a des conséquences négatives pour les enfants[84]. Les recherches démontrent cependant que les niveaux élevés de conflits au divorce sont moins probables que par le passé[85]. 

Il est difficile de prédire les conséquences à long terme du divorce pour les enfants et elles dépendent de chaque situation. Par exemple, le remariage de la mère qui a la garde peut avoir un effet positif pour les enfants en raison de la situation financière et du bien‑être de la mère[86]. En général, les enfants en tirent des avantages lorsque le père non résident demeure un parent actif dans leur vie[87]. 

Les personnes qui vivent un divorce et une séparation peuvent faire face à de nombreux problèmes, non seulement sur les plans juridique et financier, mais aussi en ce qui a trait à la sécurité, à la santé et au bien‑être général. Ces problèmes peuvent être, et sont souvent, interreliés. Il peut aussi y avoir d’autres problèmes de droit de la famille touchant les enfants (comme l’appréhension ou l’enlèvement d’un enfant), des problèmes financiers, des dettes de consommation, le chômage et l’aide sociale[88]. Dans l’étude de Currie, 81 % des répondants estimaient qu’il était extrêmement ou très important de régler les problèmes connexes de justice civile[89].  

De nombreux problèmes suivant une rupture familiale sont liés aux conséquences économiques. Comme le souligne Semple, un divorce se traduit par la perte soudaine des économies d’échelle découlant de la cohabitation[90]. Puisque de nombreuses familles canadiennes sont économiquement vulnérables en raison de l’augmentation du ratio dette du ménage‑revenu[91], une rupture familiale peut avoir des effets graves. Des facteurs comme la disponibilité de places en garderie peuvent toucher la capacité du parent qui a la garde de travailler à l’extérieur du foyer[92]. Même si cela peut constituer un facteur important pour les femmes même lorsque la famille est intacte, ce facteur revêt encore plus d’importance pour les familles monoparentales, qui sont le plus souvent dirigées par des femmes.  

De façon générale, les conséquences économiques et personnelles d’une rupture de la famille peuvent différer pour les hommes et les femmes. Cela s’explique par les différences entre la participation des hommes et des femmes au marché du travail et le soin des membres de la famille, y compris après une séparation ou un divorce. L’Institut Vanier indique que parmi toutes les personnes qui travaillent au Canada, les mères monoparentales âgées de 25 à 44 ans travaillent en moyenne le plus : près de 11 heures de travail rémunéré et non rémunéré par semaine sur une semaine de sept jours[93]. Selon un rapport de 2011 de Statistique Canada, parmi les types de famille, les familles monoparentales (dont la grande majorité sont dirigées par des femmes) avaient le ratio le plus élevé endettement‑revenu[94]. En 2002, 35 % des familles monoparentales dirigées par la mère au Canada vivaient dans une pauvreté grave[95]. Toutefois, la situation économique de bon nombre de familles monoparentales pourrait s’être améliorée plus récemment[96]. 

La situation financière des pères et mères monoparentaux peut avoir un effet considérable sur les enfants. Selon Ambert, bon nombre des conséquences d’un divorce, en particulier pour les enfants, sont liées à la pauvreté plutôt qu’au divorce. La solitude, l’intimidation, l’absentéisme scolaire et la délinquance peuvent être liés à un nouveau logement causé par la pauvreté suivant le divorce ainsi qu’à plusieurs facteurs de stress pour les parents, qui les rendent moins disponibles pour les enfants. Tout particulièrement pour les jeunes enfants, la pauvreté peut avoir des effets à long terme sur le développement cognitif et verbal[97]. 

La rupture familiale peut exacerber la vulnérabilité. Les personnes récemment immigrées peuvent faire face à des problèmes d’immigration comme la crainte d’expulsion ou des pressions de la part de la collectivité pour qu’elles restent mariées[98]. Les personnes handicapées peuvent faire face à l’isolement et éprouver des difficultés à avoir accès aux services et à communiquer[99]. Parmi les familles monoparentales, les mères de groupes minoritaires qui sont racialisés et désavantagés sont particulièrement vulnérables. Par exemple, elles peuvent être incapables de former de nouvelles unions ou des unions stables en raison d’un manque d’hommes célibataires de leur collectivité[100]. Bien que pour plusieurs pères et mères monoparentaux il soit de plus en plus difficile de trouver un logement adéquat[101], certains groupes comme les immigrantes et les membres des Premières nations peuvent éprouver des problèmes particuliers à cet égard[102].  

Le système juridique familial ne peut pas régler toutes les conséquences de la séparation et du divorce, mais pour que le système soit efficace et adapté, il doit en tenir compte. Pour permettre aux responsables du système de planifier, il est important que la vie familiale en Ontario et au Canada demeure documentée. Malheureusement, [traduction] « en raison de l’évolution des relations et de la complication des définitions », Statistique Canada ne recueillera plus ni ne ventilera les données sur les taux annuels de mariage et de divorce[103]. La documentation du changement des structures familiales devra donc provenir d’autres sources disparates qui n’offrent pas nécessairement une comparaison au fil du temps[104].

Les défis qui précèdent nécessitent un système de justice familiale qui, dans ses décisions et procédures :

  • est souple quant au droit à la vie familiale dans ses nombreuses formes, mais qui fait en sorte que les problèmes familiaux soient réglés dans le contexte du droit canadien[105], sur la base d’absence de discrimination, d’égalité dans l’application de la loi et des intérêts supérieurs de l’enfant;
  • donne aux victimes de violence familiale et de violence contre les enfants l’accès à la sécurité au moyen de mécanismes de détection rapide et d’interventions immédiates et adéquates;
  • tient compte du lien entre les problèmes juridiques et les autres problèmes familiaux.

 

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