A.    Introduction

Bien que notre projet mette l’accent sur les points d’entrée du système juridique familial, il est nécessaire de comprendre les liens entre ces points d’entrée et le reste du système. La première partie de la description du système donne donc un bref aperçu du système dans son ensemble, y compris les points d’entrée, dont nous traiterons de nouveau de façon plus approfondie dans la deuxième partie.

La description et l’évaluation du système de justice familiale officiel de l’Ontario posent plusieurs défis. Il y a de nombreux intervenants et une fragmentation des services. Cette fragmentation peut découler de la façon dont l’information juridique est structurée et de la façon dont l’assistance juridique est fournie aux personnes à faible revenu. L’organisation des tribunaux et les nombreuses formes de règlement extrajudiciaire des différends constituent un autre facteur. En Ontario, la diversité des organismes communautaires liés au système explique aussi les différences locales et, parfois, une fragmentation des services. De plus, il existe de nombreux services de thérapie familiale publics et privés.

En Ontario, le droit de la famille est affaire de spécialistes. À nos fins, il est suffisant et préférable de décrire le système de façon générale plutôt que de s’embourber dans les détails accessoirement pertinents pour l’essentiel du projet. Nous soulignons aussi les aspects positifs du système et en décrivons les inconvénients. Au cours des deux prochains chapitres, nous proposerons des réformes afin d’y remédier. 

Toute description du système actuel doit comprendre une description des réformes mises en place au cours des deux dernières années, dont certaines faisaient suite à des recommandations figurant dans des rapports et des analyses du système. Pendant cette période, l’ancien procureur général, l’Honorable Chris Bentley, a fait de la justice familiale l’une de ses priorités. La Loi sur le droit de la famille[106] et la Loi portant réforme du droit de l’enfance[107] ont été modifiées, notamment en ce qui concerne les ordonnances de non‑communication, l’augmentation des renseignements fournis sous serment ou par déclaration solennelle (y compris concernant la violence familiale, la participation des autorités de la protection de l’enfance et les inculpations au criminel) quant à la détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant, les obligations de divulgation financière annuelle en matière de pension alimentaire pour enfants ainsi que le partage et l’évaluation des régimes de retraite suivant la rupture du mariage[108]. Ces facteurs ne sont pas directement liés à l’objet du présent projet, mais il faut les mentionner puisqu’ils touchent des questions pertinentes pour l’efficacité et l’adaptation des points d’entrée.

Se fondant sur plusieurs rapports au sujet du système de justice familiale et sur des initiatives pilotes de réforme procédurale de la justice familiale en 2010, le procureur général de l’Ontario a annoncé quatre piliers interreliés de réforme : 

  • Pilier 1 : Prodiguer de l’information dès le départ aux conjoints qui se séparent et aux enfants;
  • Pilier 2 : Offrir des occasions de délimiter les problèmes et d’orienter les parties vers des services appropriés et proportionnels;
  • Pilier 3 : Faciliter l’augmentation de l’accès à des renseignements et à des conseils juridiques et à des méthodes de règlement extrajudiciaire des différends;
  • Pilier 4 : Élaborer une procédure de la Cour de la famille rationalisée et simplifiée[109].

Avec les quatre piliers comme point de départ, les services suivants ont été étendus dans toute la province en 2011 :

  • Les services de médiation familiale, y compris un volet sur place et à l’extérieur. Les services de médiation sur place servent au traitement des questions limitées pour les parties figurant au rôle de la cour de ce jour et sont gratuits. En ce qui concerne les parties aux prises avec des questions plus complexes ou qui ont besoin de plus d’une séance, des services de médiation à l’extérieur sont offerts en contrepartie d’honoraires fondés sur le revenu et le nombre de personnes à charge.
  • Un Programme d’information obligatoire (PIO) qui aide les familles à apprendre les effets de la séparation sur les enfants et les adultes ainsi que les options dont elles disposent pour régler leurs différends.
  • Des coordonnateurs des services d’information et d’orientation (CSIO) aux Centres d’information sur le droit de la famille (CIDF) qui procurent de l’information au sujet de la médiation familiale, les effets de la séparation et du divorce sur les enfants et qui indiquent les services communautaires.  

La mise en œuvre de ces initiatives sera abordée dans le reste de l’analyse dans cette partie. Les trois premiers piliers sont liés à certains des points d’entrée que nous avons relevés dans ce projet et nous analysons la mise en œuvre des piliers en ce qui concerne les points d’entrée en cause[110]. 

 

B.    Le système actuel 

La description suivante du système du droit de la famille suit la voie « habituelle » de la personne qui veut que son problème familial soit réglé par le système juridique : l’effort afin d’obtenir des renseignements initiaux et ensuite plus poussés, la demande de l’aide d’un expert juridique ou d’un autre expert, les tentatives de régler le ou les différends sans aller à la cour et, dans certains cas, le recours au tribunal pour un règlement définitif de tout ou partie du litige. Cette façon de décrire le système est quelque peu théorique, puisque les gens recherchent vraisemblement de l’information à toutes les étapes, qu’ils peuvent éviter les formes extrajudiciaires de règlement des différends et qu’ils peuvent non seulement se rendre à la cour, mais y retourner; toutefois, elle nous permet de relever les problèmes qui nécessitent une réforme en les situant dans leur contexte global.

 

1.     La prestation d’information et de conseils 

Même si les gens peuvent commencer par s’adresser aux membres de leur famille et à leurs amis au sujet de leur problème familial, il est probable qu’ils chercheront à obtenir de l’information afin de déterminer s’ils veulent aller plus loin. À un certain moment, ceux qui décident d’aller de l’avant chercheront de l’information au sujet du système lui‑même. Nous exposons l’éventail des sources d’information et le genre d’information qui s’y trouve. L’obtention d’information est vraisemblablement le premier « point d’entrée » du système officiel. 

Si des renseignements posent problème, ce n’est certainement pas par manque d’information. Bon nombre de renseignements proviennent de diverses sources, dont certaines sont à l’extérieur du système et certaines en font partie. L’information est fournie en ligne, sur papier et en personne. 

Les renseignements (juridiques) publics peuvent jouer un important rôle en aidant les gens à prendre des décisions éclairées. Les besoins en information des gens changent suivant leur cheminement dans le système. Au départ, ils ont besoin de renseignements de base qui les aident à choisir des options de règlement de leurs problèmes, mais ils ont par la suite besoin de renseignements plus approfondis sur la façon d’appliquer l’option qu’ils choisissent. À cette étape, l’information est plus complexe et peut être vraisemblablement « interprétée » uniquement avec l’assistance d’un professionnel formé. Il y a souvent de l’information juridique publique dans les brochures et, de plus en plus, en ligne. 

Le premier pilier des réformes récemment apportées par le procureur général reconnaît l’importance de l’information préliminaire à l’intention des conjoints qui se séparent et des enfants. En 2011, les réformes du premier pilier ont amené la création de Centres d’information sur le droit de la famille dans plus de palais de justice et ont introduit un Programme d’information obligatoire que les parties doivent suivre avant de recourir au processus judiciaire. Ces instruments seront abordés plus loin. Des mesures sont constamment prises en vue de l’élaboration et de l’amélioration de l’information préliminaire, de sorte que toute description de l’ensemble des sources ne peut que faire référence à la situation à un certain moment. Par exemple, on retrouvait parmi les sources d’information préliminaire recommandées par la Home Court Advantage Initiative des campagnes de sensibilisation, des brochures et des sites Web qui peuvent être développés dans un avenir rapproché[111]. 

Près de leurs collectivités, les gens peuvent être en mesure d’obtenir de l’information en personne auprès de travailleurs qu’on peut qualifier de « travailleurs de transition » ou « intermédiaires de confiance ». Ces travailleurs peuvent être basés, par exemple, dans des organismes communautaires, des bureaux de bande ou des refuges. Pour les personnes qui ont des problèmes d’alphabétisme ou qui ne sont pas familières avec le processus judiciaire, ces intermédiaires de confiance « traduisent » souvent en langage courant les renseignements écrits et en ligne disponibles sous forme d’information juridique publique. Les intermédiaires peuvent aussi aider les gens à communiquer avec des spécialistes fournissant de l’information et des conseils.  

Toutefois, ces travailleurs font face à plusieurs difficultés :

  • Il peut être difficile pour les personnes d’avoir accès à ces points d’entrée par suite d’une déficience, d’un obstacle linguistique, de la culture ou de la distance, et les organismes communautaires pertinents devront peut‑être investir dans la sensibilisation et des locaux afin de fournir l’information.
  • Les travailleurs communautaires ne sont pas des experts en droit.
  • La continuité des services est extrêmement importante, peut‑être particulièrement pour les personnes marginalisées qui sont les plus susceptibles d’avoir accès aux services communautaires. Par exemple, si des services communautaires sont disponibles, mais que l’utilisateur n’a pas accès à un avocat qui peut combler ses besoins particuliers, il peut être difficile d’avoir accès à la justice[112]. 

De l’information en ligne est disponible auprès de nombreuses sources. L’information se situe entre des renseignements de base et des renseignements approfondis, comme des « assistants aux formulaires en ligne », qui permettent aux utilisateurs de remplir des formulaires de la Cour de l’Ontario à l’aide d’une explication de notions juridiques[113]. Même si plusieurs publications figurant sur les sites Web des gouvernements fédéral et ontarien n’ont pas été élaborées à l’intention des utilisateurs en ligne, des renseignements plus récents ont été expressément conçus aux fins d’un usage interactif sur Internet. Au début de 2011, la Commission du droit de l’Ontario a compté près de 700 pages de renseignements publics en Ontario qui étaient disponibles dans plus de dix sites Internet[114]. On peut maintenant avoir accès à la plupart des publications sur le site Web d’Éducation juridique communautaire Ontario (EJCO)[115].

Le principal site Web du gouvernement de l’Ontario opère comme organisme source d’information en ligne. Il comporte un groupe de renseignements « événements de la vie » au sujet de la séparation et du divorce. Ce groupe de renseignements constitue une porte d’entrée à l’information au sein du gouvernement provincial à l’égard d’un sujet[116]. 

Le site Web du ministère du Procureur général opère comme point central pour l’information juridique publique sur le droit de la famille en Ontario. Il comporte deux sections sur le droit de la famille. La première partie de Justice Ontario contient une liste de questions et réponses en droit de la famille[117]. La deuxième partie s’intitule « Séparation et divorce » et contient des renseignements plus généraux. Comme il a été mentionné, le ministère du Procureur général a aussi élaboré l’Assistant aux formulaires de l’Ontario qui permet aux utilisateurs de remplir les formulaires les plus utilisés en droit de la famille. Une fois que l’utilisateur sélectionne un formulaire, le programme le guide dans une série de questions en langage courant. L’Assistant aux formulaires utilise les réponses pour remplir le formulaire de la cour. Les formulaires peuvent être imprimés et sauvegardés[118]. 

Le site Web du procureur général contient aussi des publications plus longues, comme « Ce que vous devez savoir sur le droit de la famille en Ontario », qui a été publié initialement en 1999 et qui a été mis à jour depuis[119]. Il y aussi d’autres documents, dont « Aider les enfants et les adolescents à vivre la séparation et le divorce ». Il existe aussi des documents fédéraux, auxquels on peut accéder en ligne, comme « la Loi sur le divorce : questions et réponse », publié initialement en 1986 et mis à jour en février 2006[120]. En outre, « l’initiative Soutien des familles » du ministère de la Justice offre des renseignements aux parents et aux enfants[121]. Prestations du Canada comporte une section sur le divorce ou la séparation ainsi qu’une trousse de demande[122]. 

Aide juridique Ontario a lancé en mars 2011 le Programme d’information sur le droit de la famille (PIDF). Le PIDF est disponible sur le site Web d’Aide juridique Ontario et utilise les formes audio et texte. Ce programme en ligne a comme but d’aider les utilisateurs à prendre des décisions plus éclairées au sujet des problèmes juridiques et émotionnels découlant de la rupture d’une relation[123]. Le PIDF procure des renseignements sur des questions juridiques et concrètes relatives à la séparation et au divorce, au processus judiciaire et aux méthodes de règlement. Il indique aussi que même si l’utilisation d’un mode de règlement extrajudiciaire est souhaitable, parfois, aller en cour constitue la seule option réaliste[124]. Hormis les questions juridiques, le site aborde aussi les questions personnelles et interpersonnelles auxquelles peuvent faire face les adultes et les enfants à la rupture d’une relation et décrit les ressources et les stratégies qui peuvent être utiles[125]. Le programme guide les gens relativement aux diverses étapes et questions dans des segments « miniatures » qui montrent la diversité des familles. À la fin du programme, les utilisateurs peuvent imprimer un certificat d’achèvement directement à partir de leur ordinateur. Le site Web indique que les clients d’Aide juridique Ontario peuvent être tenus de produire leur certificat afin de démontrer qu’ils ont terminé le programme. Le contenu du PIDF est très similaire au contenu du Programme d’information obligatoire du ministère du Procureur général.  

D’autres organismes ont élaboré des renseignements concis en langage courant grâce à des fonds publics. EJCO[126] et Femmes ontariennes et droit de la famille (FODF)[127] affichent des publications en langage courant sur le droit de la famille, en plusieurs langues et formats. Cet organisme offre en plus des renseignements destinés particulièrement aux victimes de violence familiale ou de situations de violence faite aux enfants. FODF offre des renseignements en droit de la famille destinés aux immigrantes, aux réfugiées et aux femmes sans statut, aux femmes autochtones, aux femmes francophones, aux immigrantes qui effectuent des travaux ménagers et de garderie, aux juives, aux musulmanes, aux chrétiennes et aux femmes souffrant de déficience ainsi qu’aux femmes sourdes (sous forme audio, de langage gestuel, de Braille et de gros caractères)[128]. 

Les renseignements de base fournis par les organismes communautaires et au moyen de l’information écrite et en ligne doivent être suivis par des conseils (sommaires) plus approfondis. De nombreuses sources d’information préliminaire conseillent aux gens de solliciter l’avis d’un avocat[129]. Par exemple, FODF donne le conseil suivant : « Lorsque votre relation prend fin, vous avez intérêt à consulter une avocate ou un avocat spécialiste du droit de la famille. Sans conseils juridiques, vous risquez de renoncer à des droits importants que vous ne connaissez peut‑être pas »[130]. Le PIDF déclare aussi qu’il est important d’obtenir des conseils juridiques au sujet de la séparation ou du divorce[131].

Concrètement, de nombreux utilisateurs reçoivent leurs principaux renseignements et conseils sommaires à leur principal point d’entrée de la part de travailleurs juridiques, y compris des avocats du secteur privé. Bien que les parajuristes en Ontario n’offrent pas officiellement de services juridiques en droit de la famille, comme nous l’indiquerons plus loin, les gens peuvent en pratique solliciter les conseils d’un parajuriste, particulièrement pour les affaires simples et non contestées.  

Des conseils juridiques indépendants peuvent se révéler nécessaires à différentes étapes du processus, initialement comme source d’information et par la suite comme source de conseils et/ou de représentation, peu importe la forme du règlement des différends choisie. Il existe une différence concrète, mais aussi juridique, entre l’information juridique générale et des conseils juridiques indépendants dans une affaire. Un conseiller juridique ne peut généralement pas donner de conseils juridiques indépendants aux deux parties dans un différend juridique, en raison de la possibilité de conflit d’intérêts[132]. Dans certaines affaires, cela signifie que, par exemple, les travailleurs juridiques dans les cliniques juridiques peuvent seulement donner des conseils à une personne dans un différend familial et doivent orienter l’autre personne vers d’autres fournisseurs de services juridiques, sous réserve de leur disponibilité. Cependant, nous faisons remarquer que les 77 cliniques juridiques financées par AJO[133], qui offrent des services près des collectivités, n’offrent généralement pas de services dans le domaine du droit de la famille, car le droit de la famille est souvent trop spécialisé et complexe et nécessite trop de temps. Concrètement, les cliniques juridiques peuvent jouer un rôle d’orientation dans le domaine de la justice familiale.

Pour ceux qui peuvent se le permettre, l’obtention des services d’un avocat constituera la façon la plus efficace d’obtenir des renseignements et des conseils au sujet de questions complexes. Il est aussi possible d’obtenir des renseignements sommaires ou une consultation juridique initialement par téléphone. Par exemple, le Barreau du Haut‑Canada offre un service d’Assistance – avocats pour une consultation gratuite de 30 minutes, pendant laquelle les parties peuvent expliquer leurs problèmes juridiques et apprendre leurs options[134]. Ce service n’est assujetti à aucun critère d’admissibilité financier. 

Aide juridique Ontario offre un centre de service téléphonique à la clientèle, qui permet aux clients admissibles de parler avec un avocat pendant au plus 20 minutes afin d’obtenir des conseils et des renseignements juridiques sommaires. En avril 2011, les critères d’admissibilité étaient fondés sur le revenu et la taille de la famille, qui allaient d’un revenu brut annuel de 18 000 $ pour une personne seule à 43 000 $ pour une famille d’au moins cinq personnes[135]. 

De façon générale, c’est le palais de justice qui offre les autres renseignements juridiques, conseils sommaires et conseils juridiques subventionnés dans les affaires familiales en Ontario. Nous faisons remarquer qu’on met de plus en l’accent sur le palais de justice comme point d’entrée pour l’information et les conseils sommaires à l’intention des utilisateurs. 

Au palais de justice, on peut obtenir des renseignements généraux au point d’entrée ainsi que des conseils non juridiques sommaires en s’adressant à un coordonnateur des services d’information et d’orientation (CSIO) au Centre d’information sur le droit de la famille (CIDF). Si une personne le désire, elle peut avoir recours sans frais aux services du CSIO. Le CSIO procure des renseignements sur les possibilités de modes extrajudiciaires de règlement des différends, les questions liées à la séparation et au divorce, les ressources communautaires, les renvois aux services de médiation de la cour et le Programme d’information obligatoire gratuit à l’intention des parents qui veulent recourir au processus judiciaire. Le rôle du CSIO a été renforcé et ses services ont été étendus à d’autres palais de justice dans le cadre des récentes réformes. Bala souligne que l’utilisation étendue des CSIO (aux CIDF) peut être utile pour les personnes non représentées, mais met en doute les qualifications et les ressources des CSIO et estime qu’à cette étape, il ne convient pas de rendre obligatoire une rencontre avec un CSIO[136].

Le Rapport Mamo a décrit en détail les CIDF pendant la période 2003‑2006. Les auteurs s’inquiétaient d’un manque d’uniformité et, parfois, de l’absence d’installations essentielles dans les CIDF. Par exemple, les heures d’ouverture et les locaux différaient considérablement au moment de leurs recherches. La plupart des CIDF n’avaient pas d’aire destinée aux enfants. Le personnel travaillait à temps partiel et il y avait peu de collaboration avec les organismes communautaires. Il n’y avait pas toujours de terminaux d’ordinateur[137]. 

Les consultations tenues par la CDO en 2010 ont aussi révélé qu’il existait toujours d’importantes différences entre les CIDF et que les expériences des participants étaient variables[138]. Par exemple, un CIDF avait sur les lieux un travailleur social, disposait d’un important réseau avec les organismes communautaires auxquels il pouvait renvoyer des utilisateurs, avait un mécanisme de contrôle de la qualité et pouvait aider environ 48 utilisateurs par jour. Toutefois, d’autres CIDF avaient des heures d’ouverture très limitées et aucun service juridique significatif ne leur était lié. On a aussi mentionné qu’un CIDF s’attachait davantage au processus judiciaire qu’à la procédure collaborative[139]. La capacité de servir les gens en français différait aussi[140].

Jacobs et Jacobs ont souligné la préoccupation de professionnels selon laquelle les CIDF sont intimidants pour certains utilisateurs. Des professionnels prétendent aussi qu’un renvoi à un CIDF s’inscrit dans un mode contradictoire, tandis que d’autres n’étaient pas convaincus de l’utilité des services fournis par un CIDF pour les besoins particuliers d’un client[141]. Les gens vivant dans des petites villes se sont déclarés mal à l’aise au sujet de la visibilité publique du fait de se rendre au palais de justice, où les CIDF sont situés[142]. Les répondants de la CDO ont aussi exprimé des préoccupations semblables au sujet de la vie privée lors de leur visite de CIDF[143]. 

Les cours de la famille qui n’ont toujours pas de CIDF distinct après leur expansion à davantage de sites ont d’autres sources d’information, y compris des publications au sujet de la séparation, du divorce et des questions de protection de l’enfance (par exemple, « Ce que vous devez savoir au sujet du droit de la famille en Ontario » offert en neuf langues; le Guide des procédures à la Cour de la famille du ministère; des renseignements au sujet des services juridiques, de la procédure judiciaire et des formulaires judiciaires); et à certains moments un avocat‑conseil d’Aide juridique Ontario est disponible[144]. 

En 2011, si l’un des conjoints/parents a introduit une instance devant la Cour de la famille, les deux conjoints/parents doivent participer au Programme d’information obligatoire (PIO) offert aux emplacements des Cours de la famille en Ontario à titre de première étape de l’affaire. L’exigence de participation obligatoire souffre de peu d’exceptions, même lorsque les parties vont de l’avant suivant un consentement ou lorsque les seules demandes présentées sollicitent un divorce, les dépens ou une ordonnance intégrant les modalités d’un accord ou d’une ordonnance judiciaire antérieure[145]. Comme le Programme d’information sur le droit de la famille d’Aide juridique, le PIO procure aux gens des renseignements au sujet de la séparation ou du divorce et du processus judiciaire, des solutions de rechange au litige, des questions de droit de la famille, de la procédure à la Cour de la famille ainsi que des ressources et programmes locaux destinés aux familles qui vivent une séparation et/ou un divorce. L’information va au‑delà de « la loi » et couvre des questions comme la communication constructive entre les parents, un plan parental et la supervision des ressources en vue de la création et de la mise en œuvre d’un plan parental. Un avocat et un travailleur social bénévoles donnent le programme. Ils peuvent donner des renseignements généraux, mais il leur est peu loisible de donner des conseils personnalisés. 

Les personnes à faible revenu peuvent obtenir des renseignements et des conseils juridiques auprès d’avocats‑conseils et des avocats de service de l’Aide juridique au palais de justice. Les conseils de l’avocat‑conseil et de l’avocat de service peuvent préparer les personnes à suivre les étapes concrètes du processus judiciaire, comme nous le mentionnerons plus loin, mais aux premières étapes d’un différend, l’information permet aussi aux gens de faire des choix au sujet des modes de règlement des différends, y compris le règlement extrajudiciaire des différends. 

Comme nous l’indiquons précédemment, il existe donc beaucoup de renseignements disponibles dans différents formats. On ne connaît toutefois pas entièrement le degré d’efficacité de chacun des formats.  

Les travailleurs qui ont été interrogés pour le Rapport Mamo ont exprimé des doutes au sujet des effets des renseignements écrits disponibles aux CIDF situés dans les palais de justice. Bien que la qualité des documents n’ait pas été mise en doute et que certaines publications soient populaires auprès des utilisateurs, [traduction] « l’utilité et l’efficacité potentielles des pamphlets/brochures comparativement à leur coût de production devraient être analysées afin d’assurer l’utilisation efficace des ressources »[146]. Nous sommes d’accord avec la nécessité d’examiner, à intervalles réguliers, l’efficacité de l’information écrite fournie au public à la lumière des divers groupes d’utilisateurs. 

Les sources écrites d’information préliminaire peuvent contenir certains dédoublements, et certains renseignements destinés au public peuvent être longs ou nécessiter un format plus moderne. Cependant, des publications peuvent viser plusieurs groupes d’utilisateurs et être efficaces de plusieurs manières. Certains documents, par exemple ceux qu’a élaborés EJCO, peuvent être utilisés non seulement par les particuliers, mais aussi par les travailleurs sociaux communautaires ou les étudiants pro bono, afin d’évaluer les problèmes juridiques et donner des renseignements généraux à leurs clients. Les documents élaborés par FODF donnent des renseignements particuliers aux femmes qui appartiennent à diverses collectivités et peuvent combler les besoins particuliers de renseignement de ces femmes. Nous faisons cependant remarquer qu’il n’existe pas de documents similaires à l’intention des hommes.

Bien que les sources individuelles de renseignements écrits (notamment sous forme audio) puissent combler les besoins de groupes d’utilisateurs donnés, elles font partie, lorsqu’elles sont offertes en ligne, d’une vaste gamme de renseignements auxquels il peut être difficile d’avoir accès sans point d’entrée clair. L’examen par la CDO des divers sites Web comportant des renseignements en ligne sur le droit de la famille révèle que ces renseignements sont souvent complexes et détaillés et que, dans le cas du site Web du ministère du Procureur général à tout le moins, ils sont généralement exprimés en termes juridiques. Par exemple, l’utilisateur qui accède à la section au sujet du « droit de la famille » sur le site du ministère du Procureur général lit la première question suivante : « Je veux demander le divorce. Que dois‑je faire? » La réponse oriente immédiatement l’utilisateur vers des renseignements complexes sur la procédure judiciaire qui sont composés de neuf guides. Au total, il y a environ 50 pages de renseignements complexes[147].

Les difficultés affectant la prestation par l’Ontario de renseignements publics en ligne ne sont pas inhabituelles. Le Rapport 2010 de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui s’intitule The Future of the Family 2030, décrit [traduction] « l’échec du gouvernement électronique » pour les familles : [traduction] « La plupart des sites Web gouvernementaux comportent beaucoup de renseignements – la vitrine – peut‑être même trop de renseignements »[148]. 

La publication À l’écoute de l’Ontario indique que la plupart des répondants ignoraient l’existence de ressources en ligne destinées au public[149]. Jusqu’en mars 2011, lorsqu’Aide juridique Ontario a lancé le PIDF, très peu d’utilisateurs avaient eu accès aux renseignements écrits fournis ou financés par le gouvernement ou AJO. Parmi les personnes interrogées, seulement une sur huit avait entendu parler de l’un des sites gouvernementaux mentionnés. Pendant les consultations de la CDO, on a cependant mentionné que comparativement à d’autres sources d’information, les sites Web des gouvernements provincial et fédéral étaient les plus connus. On a recommandé de ne pas surcharger les pages Web et de faire figurer sur celles‑ci des liens clairs correspondant aux besoins des gens[150], ce qui pourrait indiquer que l’information ne répondait pas aux attentes des utilisateurs  à cet égard.

 

2.     L’accès aux services juridiques 

Disponibilité et coûts 

Les coûts des services juridiques constituent un facteur majeur pour qu’il soit déterminé si les parties ont accès à l’assistance juridique et à quelles fins. Les frais juridiques moyens pour un divorce contesté en Ontario s’élèvent à environ 12 000 $ par partie[151]. Les frais juridiques moyens pour une affaire qui engendre un procès en Ontario sont encore beaucoup plus élevés : plus de 45 000 $ par partie[152]. L’appel aux services d’autres professionnels du secteur privé, comme des médiateurs ou des évaluateurs, peut ajouter aux frais des affaires de divorce et de séparation en Ontario[153]. 

En ce qui concerne les parties pour lesquelles les frais juridiques sont (très) élevés, il peut y avoir d’imposantes pressions susceptibles d’influer sur l’issue de la procédure en droit de la famille. Par exemple, les aspects financiers peuvent nuire à la relation entre les utilisateurs et leurs avocats. Les utilisateurs s’inquiètent des frais juridiques, tandis que les avocats ne peuvent pas prédire avec exactitude les coûts[154]. Il s’agit d’une complication qui s’ajoute à un processus de communication qui peut déjà être complexe. Selon le document 2010 de la CDO relativement à ses consultations, « le coût des services juridiques et des autres services professionnels a été évoqué à plusieurs reprises lors de chaque consultation »[155].

Les coûts du processus juridique peuvent être compensés par l’aide juridique, administrée par AJO. L’article 1 de la Loi de 1998 sur les services d’aide juridique énonce que la Loi « a pour objet de faciliter l’accès à la justice, partout en Ontario, pour les particuliers à faible revenu »[156]. Parmi d’autres aspects de la prestation d’aide juridique, la Loi indique que la souplesse et l’innovation sont souhaitables et que les avocats du secteur privé jouent un rôle de « premier plan » dans la prestation de services dans les domaines du droit criminel et du droit de la famille et que « les cliniques jouent un rôle comparable dans leurs domaines de pratique». De façon générale, le « droit des cliniques » ne comprend actuellement pas les affaires de droit de la famille. La Loi mentionne aussi qu’elle a pour objet de faciliter l’accès à la justice « en définissant, en évaluant et en reconnaissant les divers besoins sur le plan des particuliers à faible revenu et des collectivités défavorisées de l’Ontario ».  

Seules les personnes à très faible revenu peuvent obtenir l’aide juridique afin d’être représentées par avocat. Une personne seule ayant un revenu brut de plus de 12 500 $ ou une famille monoparentale avec deux enfants et un revenu brut de plus de 26 220 $ ont actuellement peu de chances d’être admissibles à un certificat d’aide juridique[157]. Cela empêche une grande partie des Ontariens à faible et à moyen revenu d’obtenir une représentation par avocat subventionnée. Pour les personnes à faible revenu qui sont financièrement admissibles à une représentation complète, l’aide juridique couvre certaines questions, mais pas d’autres. Par exemple, on peut obtenir un certificat pour des questions familiales comme la garde, l’accès aux enfants et la pension alimentaire pour enfants de même que pour le partage des biens, mais non pas pour la pension alimentaire pour époux[158].

Le document À l’écoute de l’Ontario indique que le droit de la famille est un domaine du droit où il peut être difficile d’avoir accès à la justice[159]. En 2008, Trebilcock s’est exprimé ainsi :

[traduction]

Selon plusieurs observations [à son examen de l’aide juridique], les critères d’admissibilité financière ne reflètent pas la situation financière actuelle et ont un effet particulièrement néfaste sur les groupes déjà vulnérables. Plusieurs ont aussi souligné que les travailleurs pauvres et les personnes de la classe moyenne avaient beaucoup de difficultés à obtenir l’accès à la justice et ont relevé le phénomène croissant des parties non représentées. De nombreuses observations ont soulevé des préoccupations particulières au sujet de l’accès très restrictif à l’aide juridique en matière familiale[160]. 

Les experts du droit de la famille concluent aussi que [traduction] « le temps qu’attribue aux avocats les certificats d’aide juridique est manifestement inadéquat »[161]. 

Trebilcock a ajouté que près de 8 % des personnes admissibles à l’aide juridique ne réussissaient pas à trouver un avocat, tandis que dans 50 % des cas, beaucoup de temps s’écoulait avant l’acceptation du certificat d’aide juridique[162]. Cela est causé en partie par la diminution du nombre d’avocats familialistes qui acceptent l’aide juridique[163]. Parmi les raisons qui peuvent expliquer cette diminution, on retrouve la rémunération horaire (quoique celle‑ci ait été accrue depuis l’examen de l’aide juridique 2008 par Trebilcock), mais aussi la charge émotionnelle que les affaires familiales imposent aux avocats, les frustrations relatives au processus et la concurrence avec d’autres domaines de droit. 

Sans recherches supplémentaires, on ignore dans quelle mesure le financement limité de l’aide juridique et les coûts élevés touchent les différents groupes d’utilisateurs. Il est cependant clair que le pourcentage élevé de parties non représentées est, à tout le moins en partie, la conséquence des coûts élevés du processus juridique, coûts qui ne sont pas compensés par l’aide juridique de manière à permettre une représentation complète pour les parties à faible et à moyen revenu[164].

Dans certaines affaires, l’absence de représentation juridique (complète) peut compromettre la réalisation de l’objectif de l’accès à la justice, et ce, de plusieurs façons :

  • Certains Ontariens n’ont pas du tout accès au système de justice familiale[165].
  • L’égalité dans l’application de la loi pour les parties ainsi que la « symétrie » du processus peuvent être compromises, si une personne a accès à l’assistance juridique tandis que l’autre n’y a pas accès, ou si une personne a accès à une assistance juridique plus étendue que l’autre[166].
  • Les affaires judiciaires dans lesquelles l’une des parties ou les deux ne sont pas représentées peuvent subir d’importants retards[167]. 

L’« asymétrie » entre une partie représentée et une partie non représentée peut aussi toucher la personne qui est représentée. Il faut souvent plus de temps dans de telles affaires, ce qui engendre des honoraires d’avocat supplémentaires pour la partie représentée[168]. Les avocats interrogés par Bala et Birnbaum ont aussi souligné que leurs clients croient que la cour favorise la partie non représentée[169].

Le manque de représentation juridique peut engendrer des coûts humains et financiers :

  • L’autoreprésentation est stressante et touche en particulier les familles monoparentales et leurs enfants, qui font déjà face à un stress financier et personnel.
  • Les parties se représentant elles‑mêmes (non représentées) imposent au système et à ses travailleurs de la pression, car elles ont davantage besoin de renseignements et sont plus susceptibles de commettre des erreurs procédurales[170]. Malgré les orientations données aux juges[171], en réalité, l’attitude des juges à l’égard des parties non représentées peut différer[172]. Les juges participants ont mentionné dans le cadre des consultations tenues par la CDO qu’ils trouvaient parfois difficile de traiter avec des parties non représentées[173]. Mamo, Chiodo et Jaffe décrivent les frustrations qu’éprouvent les juges au sujet des parties non représentées qui n’ont pas bénéficié d’information de la part d’un avocat de service[174].
  • Le personnel de la cour fait face à des pressions supplémentaires parce qu’il doit traiter avec des parties non représentées, qui peuvent être « impatientes »[175].
  • Les avocats ont signalé des pressions de communication en raison des parties non représentées déraisonnables avec lesquelles ils doivent traiter[176].
  • Lorsque les utilisateurs ont un accès limité à un avocat en raison des coûts ou de la disponibilité, d’autres travailleurs hors du système judiciaire peuvent se voir imposer un fardeau. C’est le cas des travailleurs de soutien juridiques et des travailleurs de soutien transitoires qui ne sont pas des avocats, mais qui ont une certaine connaissance juridique et qui travaillent généralement dans des cliniques juridiques ou des refuges pour femmes violentées[177]. 

Les parties non représentées et les personnes qui payent des frais juridiques élevés peuvent estimer que le système est inéquitable et se former des opinions négatives. Selon l’étude canadienne menée en 2009 et intitulée Les problèmes juridiques de la vie quotidienne, les issues qui sont considérées comme inéquitables engendrent des opinions négatives[178]. Les gens qui ont reçu une aide utile sont plus susceptibles d’avoir une opinion positive[179]. 

 

Les parties non représentées 

Les coûts élevés et la disponibilité limitée des services juridiques se traduisent par de nombreuses parties se représentant elles‑mêmes. Les services subventionnés visant à les aider peuvent être qualifiés d’assistance juridique sans représentation complète par avocat, ou de « libre‑service »[180].

Les personnes à faible revenu peuvent être admissibles à des services juridiques subventionnés sans représentation complète par avocat, mais les personnes à faible et à moyen revenu qui ne répondent pas aux critères d’admissibilité (financiers) afférents à ces services peuvent devoir se fier sur l’aide limitée fournie par des avocats du secteur privé, sur l’aide générale offerte par les tribunaux à l’égard de la procédure et des formulaires judiciaires et/ou sur les renseignements juridiques plus approfondis figurant dans des documents et en ligne que fournissent les tribunaux et le ministère du Procureur général.

Afin d’élaborer une stratégie uniforme de libre‑service, il est important de connaître les besoins des personnes pour lesquelles le libre‑service pourrait être une solution. 

Il existe certains renseignements sur les profils des parties se représentant elles‑mêmes ou non représentées, quoique ces renseignements ne révèlent pas d’écarts généralement importants entre les parties représentées et les parties non représentées, y compris sur la base du sexe[181]. À la lumière des recherches et des sondages qui ont été effectués en Ontario et dans des territoires comparables, on peut dresser un tableau de parties non représentées qui, souvent malgré une scolarité élevée[182], ont [traduction] « un besoin écrasant de conseils procéduraux »[183]. Les conseils et le soutien nécessaire peuvent avoir trait aux renseignements relatifs à la procédure et aux formulaires judiciaires et aux règles de preuve[184]. En ce qui concerne les gens se trouvant dans une situation de vulnérabilité en raison de nombreux problèmes, les recherches indiquent qu’ils ignorent souvent où s’adresser pour obtenir des conseils et qu’ils ont besoin d’aide aux points d’entrée du système de justice civile[185].

Selon le sondage 2005 fait par Langan parmi 35 utilisateurs non représentés à la Cour de la famille de Kingston, les utilisateurs estiment que « remplir les formulaires » (60 %), « connaître mes droits légaux » (57 %) et « négocier avec des avocats et parler à des avocats » (37 %) causaient le plus de problèmes[186]. Soixante‑cinq pour cent des utilisateurs estimaient que l’autoreprésentation faisait augmenter le temps qu’il fallait pour régler l’affaire. Dans 57 % des affaires, les parties se représentant elles‑mêmes n’ont pas pu régler l’affaire[187]. Nous ignorons si des parties représentées par un avocat seraient plus enclines à régler l’affaire, quoiqu’il y ait des indications que tel pourrait bien être le cas[188]. 

L’étude menée en 2008 et intitulée Study on the Experiences of Abused Women, commandée par Luke’s Place, indiquait que parmi les femmes recensées, 48 % estimaient qu’il n’y avait pas suffisamment de services et de ressources dans le système de justice familiale, quoique le sondage indique qu’elles avaient eu accès à de nombreux services juridiques et en étaient très satisfaites[189]. Ces femmes ont éprouvé des difficultés à remplir les documents, à comprendre la procédure ainsi que les réponses de la cour et du personnel, à connaître les éléments de preuve à présenter, à savoir comment se comporter à la cour et à traiter avec leur ancien conjoint et/ou son avocat[190].  

Selon une enquête effectuée en 2011 par Bala et Birnbaum auprès de 325 avocats familialistes, les parties non représentées, selon les avocats qui ont répondu, s’adressent régulièrement à l’avocat représentant l’autre partie pour obtenir des renseignements et des conseils. Ils ont aussi déclaré que les parties non représentées [traduction] « n’ont aucune idée de la preuve qui les aidera ». Les avocats ont indiqué qu’il est plus difficile de réaliser un règlement extrajudiciaire lorsque l’une des parties dans un litige familial n’est pas représentée. Cela s’explique, selon les avocats, par le fait que les parties non représentées ont tendance à avoir des attentes irréalistes[191]. Bala et Birnbaum ont l’intention d’effectuer une enquête auprès des parties non représentées elles‑mêmes[192]. 

Ces rapports indiquent tous que, malgré les situations très différentes dans lesquelles se trouvent les utilisateurs, il y a d’importantes préoccupations dans tout le système au sujet de l’accès à la justice des parties non représentées[193].

 

3.     L’assistance juridique, sans représentation complète par avocat 

Les services juridiques dégroupés (« mandat limité »)

On s’est attaqué au coût des services juridiques notamment en « dégroupant » les services d’un avocat. Grâce au dégroupement des services juridiques (ou aux « mandats limités »), les parties qui ne peuvent pas se payer une représentation complète pourraient obtenir de l’aide de la part d’un avocat du secteur privé sur un aspect particulier de leur affaire et payer seulement pour cette aide limitée. Par exemple, une partie peut faire appel aux services d’un avocat uniquement pour que celui‑ci lui donne des conseils juridiques initiaux, rédige une convention, l’aide à préparer les documents ou comparaisse à la cour, tandis que le client remplit les formulaires ou participe à la médiation sans assistance juridique. 

Il ne fait aucun doute qu’il y aura de plus en plus de services dégroupés fournis aux clients et que ces services devraient être considérés comme une forme de représentation par avocat. Il y a cependant certaines réserves. L’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans R. c. Neil[194] donne à penser que [traduction] « une fois qu’un avocat joue un rôle dans la représentation d’un client, il doit se charger de tous les aspects de l’affaire du client »[195] et, jusqu’à récemment, le Code de déontologie[196] du Barreau du Haut‑Canada prévoyait la même chose. Néanmoins, les services juridiques dégroupés sont devenus plus courants, et le Barreau a modifié le Code de déontologie de manière à répondre aux préoccupations soulevées par les services dégroupés, y compris la compétence, la qualité et la communication[197]. Le Conseil a aussi modifié le Code à l’égard des mandats limités concernant les parajuristes[198]; toutefois, les parajuristes ne peuvent à l’heure actuelle fournir de services en droit de la famille[199]. 

Selon une crainte au sujet du dégroupement des services juridiques, des personnes pourraient être incapables de prendre des décisions saines au sujet des services à obtenir à la pièce[200]. Parmi les autres préoccupations, mentionnons le non‑respect des délais de prescription et l’oubli d’éléments essentiels au litige par l’avocat et le client[201]. Le dégroupement est donc plus susceptible d’être bénéfique dans les affaires moins complexes ou à faible niveau de conflit et de bénéficier aux personnes qui connaissent le jargon juridique et qui ont la confiance nécessaire pour gérer leur dossier. Par exemple, un avocat familialiste a mentionné que les clients ont besoin d’information générale pour que les conseils soient « contextualisés »[202]. 

Nous soulignons que le dégroupement peut emprunter différentes formes : un client peut solliciter les services de plus d’un avocat pour différents aspects de l’affaire ou le client n’a pas accès à l’avocat pendant toute l’affaire, mais pourrait néanmoins s’y adresser lorsqu’il a besoin d’assistance. Lorsque la continuité des services d’un avocat est possible, cela atténue certains des problèmes associés au dégroupement. Lorsque cela n’est pas possible, le dégroupement pourrait signifier que les parties doivent relater leur histoire à plusieurs reprises à divers fournisseurs de services. En outre, différents avocats pourraient avoir différentes opinions sur la façon de traiter divers aspects de l’affaire. Une responsabilité divisée pour des parties du dossier renforcerait donc la perception que personne ne voit l’ensemble de la situation. 

LAWPRO, l’assureur de la profession juridique en Ontario, a reconnu que le dégroupement se produit et continuera de se produire, mais craint que cela n’ait mené à des fautes professionnelles : [traduction] « Les causes fondamentales des fautes professionnelles les plus courantes que constate LAWPRO sont au moins également, voir même davantage, susceptibles de se produire au cours de la prestation de services juridiques dégroupés »[203]. LAWPRO explique ce qui suit :

[traduction]

L’une des préoccupations les plus importantes de LAWPRO, c’est que les avocats qui limitent la portée de leur représentation puissent néanmoins être tenus responsables d’avoir fait défaut d’avertir le client d’importantes questions ou réclamations juridiques, même si celles‑ci n’étaient pas visées par la convention de représentation limitée. Aux États‑Unis, les tribunaux ont tenu des avocats responsables de faute professionnelle dans cette situation[204] (italiques dans l’original).

 

Les parajuristes 

Dans certains autres domaines de droit, les parajuristes peuvent constituer une solution de rechange efficace et moins coûteuse aux avocats. Les parajuristes et les autres non‑avocats qui offrent des services juridiques ne sont pas autorisés à représenter les parties en matière familiale, cependant. En 2007, la Loi sur le Barreau a fait du Barreau du Haut‑Canada l’organisme de réglementation des parajuristes en Ontario[205]. Dès lors, il est devenu interdit aux parajuristes d’agir dans certains domaines du droit où ils avaient l’habitude d’œuvrer avant d’être réglementés. Un rapport du Barreau publié en 2000 a expliqué que le droit de la famille est trop « complexe » et qu’il existe un niveau élevé de risques pour les parties en matière familiale[206]. Un rapport ultérieur a indiqué que les parajuristes pourraient se charger de certaines questions de droit familial et qu’au lieu d’accepter que le droit de la famille est « complexe », il faudrait prendre des mesures pour le rendre moins complexe[207]. Les règlements adoptés par le Barreau précisent la portée des activités des parajuristes et excluent actuellement les questions de droit de la famille[208].

 

Les services d’aide juridique

Les avocats‑conseils d’Aide juridique Ontario qui sont situés dans les Centres d’information sur le droit de la famille aux tribunaux de la famille fournissent des renseignements juridiques de base et des conseils sommaires aux personnes à faible revenu. Les avocats de service peuvent aussi donner des conseils sommaires. Les palais de justice où des Centres de services de droit de la famille ou des Bureaux des avocats de service (BAS)[209] sont établis peuvent offrir des conseils et de l’aide au moyen d’avocats salariés et, lorsque la demande le justifie, un soutien administratif et parajuridique[210].  

Les critères d’admissibilité applicables aux avocats‑conseils et aux avocats de service se situent entre un revenu brut annuel de 18 000 $ pour une personne seule et de 43 000 $ pour une famille de cinq personnes ou plus, soit les mêmes critères que pour les conseils téléphoniques du centre de service à la clientèle de l’Aide juridique[211].  

Les avocats de service que fournit Aide juridique Ontario peuvent donner des conseils (limités) à l’égard des droits et obligations d’une partie en droit, préparer ou examiner les consentements et les procès‑verbaux de règlement, examiner les documents judiciaires et aider à préparer des documents judiciaires comme des motions, des affidavits et des états financiers, orienter vers d’autres sources d’assistance, comme la médiation sur place ou à l’extérieur, l’aide juridique ou un avocat du secteur privé[212]. Les avocats de service peuvent en outre contribuer à la négociation et au règlement et peuvent « assister lors des audiences portant sur la protection de l’enfance, lors des audiences d’ordonnance alimentaire, lors des demandes d’ajournement, lors de motions, lors d’audiences pour des problèmes tels que la garde d’enfants, le droit de visite et les pensions alimentaires dans les affaires simples »[213]. Les avocats de service ne peuvent cependant pas représenter une partie dans un procès. 

Les services offerts par les avocats de service relativement à l’accès, la garde et la pension alimentaire se limitent aux services qui devraient prendre moins de 20 minutes : 

  • La représentation et la défense des intérêts lors des négociations pour déterminer si un règlement par consentement est possible;
  • La préparation et/ou l’examen d’un procès‑verbal de règlement avec le client, de même que la présentation du procès‑verbal à la cour;
  • La représentation dans le cadre d’une motion, d’une conférence préparatoire ou d’une conférence de règlement[214].  

En raison de ces restrictions, « dans les affaires complexes ou vivement contestées, il ne devrait faire aucun doute dans l’esprit du client que l’avocat de service ou l’avocat‑conseil ne peut remplacer le propre avocat du client »[215]. 

Il faut souligner que l’Aide juridique, malgré son financement limité, a pris des mesures afin d’investir dans la prestation des services juridiques dans le domaine du droit de la famille. Ces mesures s’inscrivent dans le troisième pilier des réformes 2010‑2011 du droit de la famille, « augmenter l’accès à des conseils juridiques et à des méthodes de règlement extrajudiciaire des différends ». Les mesures comprennent un accès accru aux avocats de service à la Cour de justice de l’Ontario et à la Cour supérieure de justice. Il y a six nouveaux Centres de services de droit de la famille (CSDF) à Toronto, North York, Brampton, Newmarket, Chatham et Sarnia. CSDF sont un « guichet unique », qui offrent de l’aide en matière de documents, d’orientation vers des avocats‑conseil, de représentation complète, d’orientation vers un avocat du secteur privé qui accepte l’aide juridique, de médiation et de conférences de règlement et d’orientation vers les organismes de services sociaux. La médiation est offerte à plusieurs endroits et est disponible si au moins l’une des parties est admissible à l’aide juridique. En outre, des projets pilotes à Milton et à Brampton comportent un système de tri pour faire correspondre les services aux besoins des clients admissibles[216]. 

Les CSDF sont situés dans les palais de justice, comme les CIDF. Les CSDF offrent des services destinés aux personnes financièrement admissibles aux services d’Aide juridique Ontario, tandis que les CIDF offrent des services à tous les utilisateurs. Concrètement, les CIDF constituent le point d’entrée des services d’aide juridique et orientent les clients vers les CSDF.

À certains endroits en Ontario, on retrouve des services à « guichet unique » multidisciplinaires qui comportent des équipes de travailleurs qui ont chacun leur propre expertise en matière familiale. Les utilisateurs peuvent accéder directement à ces services ou d’autres points d’entrée peuvent les orienter vers ces services (spécialisés)[217]. Lorsqu’il existe des services multidisciplinaires, cela facilite grandement l’orientation des autres points d’entrée. Les services peuvent combiner les divers points d’entrée du système de justice familiale, par exemple au moyen des services familiaux médicaux et communautaires. Les services peuvent aussi comporter des services juridiques ou être étroitement liés à des fournisseurs de services juridiques familiaux. Au point d’entrée de ces centres multidisciplinaires, la situation familiale est évaluée et les utilisateurs sont orientés vers les services pertinents du « guichet unique » ou vers des services qui n’y sont pas disponibles.

 

4.     Les centres multidisciplinaires 

Les services multidisciplinaires aident souvent les personnes qui éprouvent plusieurs problèmes graves, y compris la violence familiale, la toxicomanie et les problèmes de santé mentale. Comme il a été mentionné, la rupture de la famille constitue un principal facteur à la source de bien d’autres problèmes[218]. De plus, des problèmes émotionnels peuvent nécessiter d’autres services[219], souvent en même temps que le processus officiel de règlement du différend. Certains observateurs et travailleurs estiment que les méthodes globales et intégrées sont mieux en mesure d’aider les familles éprouvant plusieurs problèmes et peuvent empêcher l’escalade des problèmes. Currie recommande une aide dès que possible pour les problèmes familiaux de même qu’une méthode globale en vue de combler les nombreux besoins d’aide juridique et de soutien[220]. Pendant les consultations tenues par la CDO, les participants ont fait valoir que les modèles de services globaux étaient plus attrayants que les services ciblés. Parmi les avantages des modèles de services globaux, mentionnons la méthode de guichet unique qui a été proposée afin d’éviter aux victimes de violence familiale la tâche de répéter leur histoire[221]. 

Jacobs et Jacobs décrivent certaines pratiques locales et régionales de services multidisciplinaires en Ontario. Les services peuvent être axés sur différents aspects des problèmes des gens : un volet violence familiale[222], un volet santé mentale[223], un volet santé[224] et un volet famille[225]. Les modèles multidisciplinaires sont les plus courants pour les victimes de violence familiale, comme le projet sur la violence familiale de la région de Waterloo[226], l’Intimate Relationship Violence Empowerment Network (DRIVEN) de la région de Durham[227] et la clinique commémorative Barbra Schlifer[228]. Récemment, un centre de justice familiale multidisciplinaire a ouvert ses portes dans la région de Peel[229]. Les organismes adoptent différentes méthodes, mais ont en commun une méthode plus multidisciplinaire et la collaboration avec les autres organismes, y compris les organismes communautaires.

Hormis le fait de constituer un « guichet unique », ce qui réduit le nombre de renvois, les services multidisciplinaires peuvent constituer un point de liaison avec d’autres organismes et avec le système officiel de justice familiale, et un centre (régional) d’expertise, d’éducation du public et de sensibilisation. Par exemple, la clinique commémorative Barbra Schlifer a des fonds consacrés aux services juridiques spécialisés, offre des services de thérapie en plusieurs langues, des services d’interprète pour les immigrantes et les réfugiées qui ne parlent pas l’anglais, et constitue un point de liaison avec les refuges, les centres communautaires, les services de santé, les services juridiques et les services d’habitation. La clinique offre des services en droit de la famille, de l’immigration et criminel, et offre des ateliers d’information du public et de perfectionnement professionnel[230].

Le « guichet unique » peut offrir divers niveaux de services juridiques. Jacobs et Jacobs soulignent que l’intégration de services juridiques (à faible niveau) dans les centres multidisciplinaires pour les familles différait en Ontario. Par exemple, le Centre Hincks‑Dellcrest, qui aide 8 000 enfants et leurs familles quant aux problèmes de santé mentale, s’en remet généralement aux cliniques juridiques communautaires. Ce centre a indiqué que les services juridiques ne devraient pas être intégrés à leurs services en raison de la nature contradictoire du processus judiciaire[231]. Même si les services juridiques fournis dans les autres centres étudiés par Jacobs et Jacobs étaient limités, il y avait manifestement une forte demande de services juridiques.  

Les équipes de prestation de services multidisciplinaires éprouvent certains problèmes. Jacobs et Jacobs indiquent que ces équipes sont composées de différents professionnels ayant des compétences distinctes, mais qui fournissent des services globaux, et à un seul emplacement, tout en respectant les limites et les rôles de chaque professionnel[232]. Les équipes peuvent être composées de médecins, d’infirmières, d’enseignants, de travailleurs sociaux, d’avocats, d’éducateurs à la petite enfance et de médiateurs familiaux qui collaborent au sein d’équipes axées sur les besoins multidimensionnels[233]. 

Très concrètement, le maintien du financement constitue un problème affligeant une équipe multidisciplinaire puisque les services peuvent être financés suivant différents programmes et par différents ordres de gouvernement ou différents organismes[234]. Les attitudes professionnelles peuvent causer d’autres problèmes. Il y a par exemple des différences entre [traduction] « la culture juridique et la culture des professions de soins»[235]. Jacobs et Jacobs mentionnent les divergences de points de vue et de priorités des professionnels en général[236] et l’application de stéréotypes parmi les professionnels[237].  

Les modèles de services globaux rassemblent des professions ayant des codes de déontologie différents[238]. Dans le cadre des règles applicables à la profession, les travailleurs doivent convenir de méthodes et du partage de l’information. Cela peut se faire dans certains cas au moyen de formulaires de consentement. Jacobs et Jacobs soulignent qu’il existe peu de règles sur le travail au sein d’une équipe multidisciplinaire qui procure des services familiaux[239]. Le Barreau du Haut‑Canada, tout en reconnaissant la valeur potentielle des cliniques multidisciplinaires qui fournissent des services juridiques, sociaux et de santé sous un seul toit[240], exige que « l’avocat qui exerce dans un cabinet multidisciplinaire fait en sorte que ses associés et les professionnels salariés non titulaires de permis se conforment au présent code et à tous les principes de déontologie qu’il doit respecter dans l’exercice de ses obligations professionnelles »[241]. En ce qui concerne la confidentialité, le respect de la vie privée et l’obligation de déclaration, il existe [traduction] « une toile complexe d’obligations »[242]. Nous ajoutons qu’en offrant des services juridiques, les équipes multidisciplinaires doivent éviter le conflit d’intérêts dans les différends familiaux, ce qui peut signifier qu’une seule personne peut recevoir des conseils juridiques indépendants ou se faire représenter par avocat, tandis que l’autre partie doit être orientée vers d’autres fournisseurs de services juridiques[243]. 

La continuité des services, le respect de la vie privée et l’anonymat des solutions communautaires constituent aussi des défis. Par exemple, les parents, les adolescents et les enfants qui ont participé à la création des points d’entrée municipaux multidisciplinaires des services familiaux aux Pays‑Bas, les « Centres pour les jeunes et la famille », ont indiqué à un endroit qu’ils voulaient un organisme ouvert à tous, l’accès à une personne de confiance et un bureau qui pourrait aussi répondre à des questions simples. Dans un autre endroit, les jeunes âgés de 14 à 17 ans ont indiqué qu’ils voulaient l’anonymat lorsqu’ils entraient dans l’immeuble, l’absence de salles d’attente (de sorte que personne d’autre ne les voit) et la stricte confidentialité des renseignements qu’ils donnent[244].

 

5.     L’effet des niveaux de conflit, de la violence familiale et de la complexité sur le cheminement dans le système 

L’information préliminaire, les facteurs financiers et la disponibilité locale des services peuvent jouer un rôle important dans la façon dont les gens entrent dans le système de justice familiale et les choix qu’ils font, mais le cheminement de la personne dans le système de justice familiale est souvent influencé par le niveau de conflit, les risques de violence familiale et la complexité de la question. Ici, le « choix » de la personne relativement à une méthode de règlement des différends se heurte à la disponibilité des ressources du système et à la nécessité de donner accès à des services « appropriés » et « proportionnels » afin de donner accès à la justice à tous les utilisateurs. Il est important que les points d’entrée puissent offrir l’occasion de cerner les problèmes et d’orienter les parties vers des services appropriés proportionnels, conformément à l’objectif du deuxième pilier des réformes 2010‑2011 de la justice familiale.

 

Le tri et l’orientation 

Terme médical utilisé pour décrire le processus d’évaluation des patients relativement à la gravité de leurs blessures ou maladies et de la disponibilité de traitement et d’autres ressources ainsi que l’établissement d’un ordre de priorité entre les patients en fonction de ces facteurs, le tri a été transposé dans le contexte juridique. Dans le contexte juridique, cela signifie évaluer les besoins des différentes familles et établir l’ordre de priorité de leur accès au système juridique ou déterminer les méthodes qui répondraient le mieux à leurs besoins. Par exemple, les affaires à niveau de conflit élevé – définies comme les couples qui sont incapables de s’entendre ou les cas de violence familiale – recevront la priorité. L’évaluation et le tri peuvent être effectués très tôt dans le processus et peuvent aussi être effectués pendant le processus afin que les parties qui ont besoin le plus des ressources ou d’une méthode particulière de règlement de leurs problèmes puissent y accéder. Au sein du système judiciaire lui‑même, on peut qualifier le tri de « gestion des causes ». 

L’un des principaux objets des réformes 2010‑2011 de la justice familiale consiste à orienter les utilisateurs vers un règlement des différends à faible niveau de conflit ou extrajudiciaire. Ce mode de règlement des différends est considéré moins contradictoire, plus abordable et plus rapide[245]. Par conséquent, les ressources spécialisées, principalement aux tribunaux, peuvent se charger des familles à niveau de conflit élevé et d’autres affaires complexes. 

Hormis la gestion des causes aux tribunaux, que nous décrirons plus tard, le système de justice familiale en Ontario ne comporte actuellement pas de fonction claire de tri qui oriente les utilisateurs vers le mode le plus approprié de règlement des différends, qu’il s’agisse d’un règlement judiciaire ou autre, ou vers des services multidisciplinaires susceptibles de contribuer au règlement de leurs problèmes non juridiques. Il existe cependant certaines fonctions de tri :

  • À AJO, les avocats salariés exercent une fonction de « tri de l’aide juridique ». Cette fonction pourrait être élaborée davantage.
  • On peut concevoir la fonction renforcée de conseil du CSIO au CIDF comme une forme de tri volontaire. 

En l’absence de fonction claire de tri avant que les utilisateurs n’aient recours au processus judiciaire, le système de justice familiale en Ontario donne un choix aux parties à l’égard de la méthode générale de règlement de leur différend. Toutefois, en ne facilitant pas et en ne subventionnant pas certaines méthodes qui nécessitent la participation plus approfondie de professionnels comme les médiateurs, les experts en santé mentale et les avocats (de l’aide juridique), on limite les choix de bon nombre d’utilisateurs à faible et à moyen revenu. Au sein du système officiel de justice familiale, le cheminement le plus abordable pour un grand nombre d’utilisateurs se traduit par huit heures de médiation subventionnée ainsi que par le processus judiciaire avec autoreprésentation[246]. Pour un bon nombre de personnes à faible et à moyen revenu dans des affaires à niveau de conflit élevé, la dernière option peut être la seule option qui se présente au sein du système officiel.  

Concrètement, les travailleurs du système doivent constamment évaluer le niveau de conflit et, en fonction de leur expérience et de leur expertise, décider d’atténuer le conflit et de promouvoir la collaboration ou d’utiliser des mesures plus coercitives. Par exemple, les avocats familialistes expérimentés qui ont participé aux consultations de la Commission du droit de l’Ontario ont indiqué qu’ils effectuaient un « tri » à l’égard du niveau de conflit afin d’agir dans les affaires qui pourraient être particulièrement exigeantes ou nécessiter des mesures urgentes[247].

Nous soulignons que les avocats du secteur privé peuvent jouer un important rôle consultatif pour leurs clients. Les personnes qui communiquent avec des avocats sont généralement satisfaites de l’information et des conseils qu’elles reçoivent[248]. Toutefois, les travailleurs au sein du système de justice familiale craignent que l’utilisation d’avocats comme point d’entrée oriente les utilisateurs vers une méthode plus juridique et contradictoire. Ils peuvent ainsi s’attacher aux solutions juridiques et être moins portés à orienter les gens vers les services de médiation[249] ou vers les autres services familiaux[250]. Cela dépend naturellement de l’avocat[251] et de l’efficacité de l’information et des conseils généraux émanant des organismes qui offrent information et conseils au début du processus. Dans les affaires très contestées, il est probable que les avocats se serviront du processus judiciaire plutôt que du mode extrajudiciaire de règlement des différends[252]. 

À un certain moment, que l’information soit adéquate ou non, une personne qui se trouve dans une situation à niveau de conflit élevé, une victime de violence familiale ou une personne qui éprouve des problèmes juridiques plus généraux peut nécessiter une assistance plus particulière de la part d’experts provenant de l’extérieur du système de droit de la famille. Il peut cependant y avoir une interaction insuffisante entre les avocats et les autres professionnels qui pourraient être en mesure de s’attaquer aux problèmes non juridiques auxquels font face les parties en matière familiale ou à tout le moins d’en apprécier le rôle. Pendant les consultations de la CDO, un organisme a fait valoir que [traduction] « les professionnels du droit ne perçoivent pas la diffusion de l’information et l’orientation comme faisant partie intégrante de leur travail »[253]. L’expérience au R.‑U. confirme que lorsqu’ils servent de point d’entrée, les avocats n’orientent pas nécessairement les parties vers les services de soutien généraux, et que [traduction] « peu de renvois ont été faits aux autres services que la médiation ou les services offrant de l’aide relative à la violence familiale »[254]. 

Il existe au sein du système de justice familiale actuel certaines fonctions particulières et certains instruments d’orientation vers les services familiaux généraux. Aux Centres d’information sur le droit de la famille, les coordonnateurs des services d’information et d’orientation ont le mandat précis d’orienter les personnes vers les services communautaires. Les avocats salariés expérimentés aux nouveaux CSDF d’AJO doivent aussi orienter les personnes vers les services sociaux. Même si ces renvois sont souvent effectués aux points d’entrée et au début d’un différend familial, on peut aussi cerner plus tard le besoin d’accès à des services sociaux ou à une thérapie. Par exemple, dans le cadre du processus judiciaire, les juges peuvent ordonner à une personne de suivre une thérapie. 

Le système de justice familiale officiel comporte des mécanismes d’orientation vers les services familiaux juridiques et non juridiques, mais la continuité des services semble néanmoins souffrir du syndrome des « silos » et de la fragmentation des services :  

  • En raison de la division des services juridiques familiaux subventionnés au palais de justice et des autres services juridiques fournis par les cliniques juridiques et les services pro bono, les personnes peuvent devoir se rendre à différents bureaux pour obtenir des conseils juridiques[255].
  • Souvent, les services familiaux généraux en Ontario sont fragmentés et difficiles d’accès[256].
  • Les gens qui éprouvent des problèmes de santé mentale ou de dépendance doivent souvent faire face à une multitude de services[257].  

Cela peut mener à de nombreux renvois à des institutions spécialisées ou au syndrome des silos, ce qui peut laisser de nombreux problèmes sans solutions[258].

 

Les affaires à niveau de conflit faible 

Malgré la rareté des données disponibles, il est probable que bon nombre de couples qui se séparent tentent de trouver un terrain d’entente sans l’aide d’un tiers comme un médiateur ou un juge. Les recherches effectuées au R.‑U., par exemple, démontrent que 55 % des parents ont conclu une entente parentale extrajudiciaire. Seulement un enfant sur dix, environ, faisait l’objet de dispositions de contact ordonnées par les tribunaux. Toutefois, environ 30 % des couples n’ont pas tenté de conclure une entente ou de régler l’affaire, y compris les parents qui ont simplement quitté[259]. Selon une étude, les règlements extrajudiciaires étaient en grande partie (entre 75 % et 85 %) conclus de façon informelle. Seulement une convention touchant les enfants sur quinze, environ, avait été négociée par des médiateurs ou des avocats[260]. Nous ignorons si ces chiffres sont applicables en Ontario. Selon une étude réalisée en 2007, 60 % des versements de pension alimentaire pour enfants au Canada étaient fondés sur une entente[261]. On ignore la façon dont ces ententes ont été conclues.

 

Les affaires à niveau de conflit élevé 

Il est probable que de nombreuses personnes se trouvant dans des situations de conflit élevé ou de contestation d’aspects juridiques sollicitent les conseils d’un avocat. Les avocats sont probablement les principaux représentants et conseillers en ce qui concerne les conventions négociées entre les parties, mais on ne sait pas trop comment les avocats conseillent les clients qui ne peuvent s’entendre immédiatement sur des questions. 

Bien qu’elles constituent un groupe relativement petit, les familles à niveau de conflit élevé peuvent [traduction] « accaparer une partie disproportionnée du temps des professionnels et de la cour »[262]. On ne sait pas toujours comment l’expression « niveau de conflit élevé » est utilisée. Bala et Birnbaum soulignent que cette expression est un terme parapluie, qui englobe les cas :

  • de taux élevés d’introduction et de réintroduction d’instances;
  • de niveaux élevés de colère et de méfiance et de difficultés à communiquer au sujet des enfants;
  • de problèmes graves de violence conjugale;
  • d’aliénation de l’enfant par suite de la conduite ou de l’attitude d’un parent[263].  

Il n’existe aucune réponse claire au problème des affaires à niveau de conflit élevé. Bala et Birnbaum concluent à partir des études de sciences sociales que les besoins et les réponses doivent être plus clairement différenciés dans les affaires à niveau de conflit élevé. [traduction] « Le conflit qui découle d’un désir sincère de la part des parents de continuer à entretenir une relation parent‑enfant importante et régulière après la séparation peut nécessiter des interventions en matière de garde et d’accès ainsi que des recommandations/décisions en matière parentale très différentes que le conflit caractérisé par les stratégies de contrôle, notamment physiques »[264].

Les affaires à niveau de conflit élevé sont souvent causées par le comportent déraisonnable et hostile de l’un des parents ou des deux. Le comportement abusif et les troubles de la personnalité peuvent jouer un rôle[265]. Certains observateurs estiment que les clients écoutent généralement les avocats et que les avocats peuvent jouer un important rôle d’éducation et réduire la conduite parentale néfaste[266]. Dans les cas plus graves, une collaboration rapide entre les avocats et les professionnels de la santé mentale peut parfois éviter entièrement l’intervention judiciaire, au bénéfice de tous[267]. Il est probable que certains avocats jouent un rôle d’éducation dans une affaire et tentent de réduire le conflit et gérer les attentes de leur client. C’est toutefois complexe dans la pratique quotidienne[268]. Une étude réalisée au R.‑U. mentionne que les avocats semblent accorder peu d’importance à la discussion avec leurs clients de questions comme la thérapie, les services de santé et de santé mentale et le soutien des enfants[269].

Nous soulignons que les cas où il y a conflit ou différend juridique ne constituent pas tous des affaires à niveau de conflit élevé comme les ont décrites Bala et Birnbaum. La question importante qu’il faut se poser consiste à savoir si, et dans quelle mesure, les affaires à « niveau de conflit élevé » nécessitent l’intervention des juges et des autres professionnels dans le cadre d’un processus judiciaire et ce qu’il y a lieu de faire, à l’intérieur ou à l’extérieur du processus judiciaire, afin d’empêcher que ces différends ne deviennent des affaires à niveau de conflit très élevé.  

Comme il a déjà été expliqué, les parties en droit de la famille reçoivent généralement des renseignements sur les formes extrajudiciaires de règlement des différends, renseignements qui proviennent souvent de diverses sources. Ces sources expliquent les inconvénients du système judiciaire pour les personnes pour lesquelles on peut prévoir un règlement extrajudiciaire[270]. Par exemple, selon le Programme d’information sur le droit de la famille d’Aide juridique Ontario, la procédure judiciaire « peut demander du temps, être dispendieuse et épuisante sur le plan affectif » et les parties ne peuvent « pas complètement prévoir la conclusion »[271]. Toutefois, les sources publiques soulignent aussi que le règlement extrajudiciaire des différends ne constitue pas la méthode qui convient le mieux dans des situations de niveau conflit élevé, de violence familiale et dans les cas où un conjoint est plus dominant[272]. Cela ne signifie pas que les sources privées transmettent toutes le même message. Selon un site Web ontarien, les recherches indiquent que les victimes de violence conjugale se sentaient mieux en mesure de se défendre lors d’une médiation[273].

Avec ou sans les conseils d’un avocat, les parties qui ne peuvent s’entendre sur des questions peuvent décider de solliciter un règlement extrajudiciaire de leurs différends ou de s’adresser aux tribunaux. Il y a un manque de recherches empiriques sur les raisons pour lesquelles les parties choisissent une forme particulière de règlement des différends, particulièrement pour les parties qui choisissent une autre méthode que le processus judiciaire (c’est‑à‑dire, qui choisissent volontairement la médiation à la cour ou à l’extérieur ou des méthodes totalement externes au système judiciaire, y compris la négociation et le « droit collaboratif », par exemple). Les coûts plus faibles (prévus) comparativement au système judiciaire peuvent influencer les choix. Les sources d’information publique, qu’elles prennent la forme de l’Internet, de documents ou d’un autre mode de diffusion, peuvent aussi influencer les choix. Par exemple, les coordonnateurs des services d’information et d’orientation aux CIDF ont le mandat d’orienter les parties vers les services de règlement des différends disponibles dans leur collectivité, y compris la médiation externe. Le Rapport Mamo, qui a décrit les cours de la famille avant l’expansion des CIDF à davantage de palais de justice, a cependant démontré que la plupart des gens recensés avaient eu accès à de la médiation subventionnée liée aux cours de la famille sans y être renvoyés par le personnel de la cour ou les juges[274] ou par les avocats (seulement de 20 % à 40 % des affaires faisant l’objet d’une médiation suivaient une référence par un avocat)[275]. La majorité des affaires où il y a eu médiation portaient sur l’accès, la garde et la pension alimentaire pour enfants. 

Bon nombre de situations à niveau de conflit élevé mèneront au processus judiciaire, quoique pas nécessairement à un procès. Puisqu’on ne sait pas exactement ce qui définit une affaire à niveau de conflit élevé, il est difficile de déterminer le nombre de ces affaires au sein du système judiciaire. Bala souligne qu’une minorité de toutes les affaires (entre 2 % et 5 %) sont des affaires à « niveau de conflit élevé » qui mènent à la tenue d’un procès[276]. Toutefois, le nombre d’affaires susceptibles de devenir des affaires à niveau de conflit élevé est probablement plus élevé. Par exemple, le Rapport Mamo déclare que de la violence familiale a été signalée dans 14 % des affaires soumises aux cours de la famille[277]. Le pourcentage des gens qu’on estime être victimes de violence aux mains de leur conjoint après une séparation et un divorce s’établit à 17 %[278]. Quoiqu’une situation à niveau de conflit élevé et une situation de violence familiale ne soient pas nécessairement la même, le nombre élevé d’affaires comportant des allégations de violence indique qu’il existe des risques pour la sécurité personnelle et que le processus de divorce et de séparation peut être très acrimonieux dans un grand nombre d’affaires.

Comme dans d’autres territoires, le système de justice familiale en Ontario fait face à des défis lorsqu’il est saisi d’affaires à niveau de conflit élevé. À la cour, l’application d’ordonnances plus coercitives et l’orientation des utilisateurs vers des méthodes (subventionnées) extrajudiciaires (comme la thérapie) peuvent nécessiter d’importantes ressources de « gestion des causes », ainsi que des services et de l’expertise supplémentaires en matière familiale. Les règles modifiées en droit de la famille indiquent clairement qu’un différend peut être renvoyé directement à procès après une conférence[279]. Cela peut procurer aux juges l’occasion de renvoyer à procès les familles à niveau de conflit élevé qui ne concluront vraisemblablement pas d’entente.

Le processus judiciaire lui‑même peut devenir une plateforme permettant la poursuite du conflit et peut être manipulé par les parties[280]. Pendant les consultations tenues par la Commission du droit de l’Ontario, on a souligné que le processus judiciaire peut « contribue[r] à […] renforcer [l’intimidation juridique] en procurant aux plaideurs des outils qui leur permettent de perpétuer leur comportement »[281]. Certains participants estimaient que les juges ne répondent pas toujours adéquatement aux intimidateurs juridiques. Les juges ont mentionné plusieurs mesures qu’ils pouvaient utiliser, comme l’imposition des dépens, l’exécution forcée des ordonnances au moyen d’ordonnances d’outrage au tribunal ou d’ordonnances temporaires, et le prononcé d’ordonnances qui limitent les motions/conférences, l’arrêt des procédures vexatoires, l’imposition de limites de temps et la fixation de dates de procès fermes. Toutefois, un juge a aussi mentionné le dilemme selon lequel l’imposition des dépens et la radiation d’actes de procédure pourraient signifier qu’une décision ne porte pas sur le fond et que l’issue n’est peut‑être pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant ou d’une partie[282].

Il existe des ressources propres aux familles à niveau de conflit élevé en Ontario, comme le Bureau de l’avocat des enfants et le programme de visites surveillées. Dans certains cas, on peut aussi orienter avec succès les familles à niveau de conflit élevé vers des solutions extrajudiciaires multidisciplinaires précises[283]. 

Particulièrement dans les affaires à niveau de conflit élevé, la représentation par un avocat familialiste d’expérience peut offrir le [traduction] « niveau d’objectivité requis par la défense des intérêts à la cour »[284] et atténuer le fardeau imposé au système par les parties non représentées dans un contexte très émotionnel[285]. Comme il a été mentionné, cependant, les frais juridiques élevés peuvent constituer un obstacle à la représentation, et les litiges faisant intervenir des parties non représentées peuvent compliquer la gestion des causes et nuire à la résolution des situations à niveau de conflit élevé. D’autres contraintes s’appliquent aux parents à faible et à moyen revenu dans les affaires touchant les enfants en raison du coût lié aux évaluateurs de la capacité des parents et à la coordination parentale[286].

 

La violence familiale

Les affaires à niveau de conflit élevé peuvent être caractérisées par la présence de violence familiale, quoique ce ne soit pas toujours le cas. Le système de justice familiale en Ontario offre des ressources considérables aux victimes de violence familiale. Ces ressources ont été renforcées par un nouveau Programme des agents de soutien dans le contexte de la cour en 2011[287]. Toutefois, la situation des victimes de violence familiale, qui ne se déclarent pas comme telles, demeure une source particulière de préoccupations. Les victimes s’abstiennent parfois de signaler la violence familiale en raison de la honte ou de la crainte qu’elles éprouvent ou parce qu’elles ne reconnaissent pas le fait qu’elles ont été victimes de violence familiale. Le système doit rejoindre ces personnes, leur donner un accès suffisant aux ressources et comporter des mécanismes d’examen ainsi qu’un personnel formé qui peut reconnaître les signes de violence familiale. 

Les victimes et leurs enfants, le cas échéant, peuvent avoir besoin de services de refuge et nécessiteront dans de nombreux cas des conseils sur les plans de sécurité. Il existe en Ontario de nombreux organismes procurant des refuges et des organismes communautaires offrant des services aux victimes de violence familiale[288]. Bien que des services soient accessibles pour les hommes et les femmes, il existe des services précis pour les femmes de même que le Projet pour Hommes[289]. Malgré l’existence d’organismes de refuge, il est parfois difficile de répondre aux besoins des personnes qui font face à plusieurs problèmes : par exemple, les femmes victimes de violence sont à risque si elles sont coupées des systèmes de soutien et des services en raison des obstacles linguistiques et culturels[290].

Lorsque les victimes de violence familiale ont accès au système officiel de justice familiale, c’est généralement par l’entremise des tribunaux. Dans de nombreuses affaires, il s’agit d’un tribunal criminel. Dans les affaires familiales, certains peuvent choisir une méthode extrajudiciaire de règlement des différends. Pour certains utilisateurs, de telles méthodes peuvent donner lieu à une issue viable. En général, toutefois, les méthodes plus collaboratives de règlement des différends conviennent moins et la plupart des victimes choisiront le processus judiciaire. Le système judiciaire prévoit des procédures particulières à l’intention des victimes de violence familiale. Le Rapport Mamo a démontré que

[traduction]

Dans l’ensemble, les références à la violence familiale ont été inscrites et documentées dans 14 % de tous les dossiers examinés (63 affaires). Dans 11 % de ces 63 affaires, une demande d’ordonnance d’interdiction de contact a été présentée. La majorité des dossiers comportant des références à la violence familiale étaient des dossiers à procédure accélérée (70 %). Dans 98 % des dossiers liés à la violence familiale et aux ordonnances d’interdiction de contact, des femmes étaient requérantes et avaient un revenu médian d’environ 21 000 $ (dans une fourchette se situant entre 0 $ et 62 000 $). De plus, des enfants étaient en cause dans 84 % de ces affaires.[291]

Cette information indique que dans les instances de droit de la famille qui comportent de la violence familiale, les femmes constituent le principal groupe de requérants[292]. Le recours à la procédure accélérée des tribunaux indique que la violence familiale est une priorité. 

Aide juridique Ontario a aussi fait de la violence familiale une priorité. Par exemple, le site Web d’AJO oriente les utilisateurs vers la ligne d’aide Assaulted Women, le numéro sans frais d’AJO et les Centres de services de droit de la famille situés à six endroits[293]. Selon son site Web : 

Les services d’AJO sont fournis à toutes les victimes de violence familiale, quel que soit leur statut d’immigrant au Canada. Les auteurs d’une demande d’aide juridique qui ne parlent ni anglais ni français ont accès gratuitement à des services d’interprétation par téléphone[294].

La couverture d’Aide juridique Ontario vise les questions et les changements contestés aux ordonnances judiciaires familiales. Toutefois, les critères d’admissibilité financière d’Aide juridique Ontario continuent de s’appliquer. Cela signifie que, selon le revenu, les personnes à faible et à moyen revenu qui sont victimes de violence familiale ou accusées de violence familiale peuvent devoir faire face à un processus « asymétrique » dans lequel les parties à un différend familial ont accès à différentes formes de représentation juridique ou d’assistance juridique sans représentation complète par avocat. Dans certaines affaires, les deux parties sont non représentées. 

Tout récemment, à l’automne 2011, le ministère du Procureur général a lancé un Programme d’agent de soutien dans le contexte de la Cour de la famille[295] en vue de former le personnel des organismes communautaires afin qu’il procure soutien et assistance aux victimes de violence familiale qui cheminent dans le système judiciaire familial[296]. Le programme s’applique à tous les districts judiciaires de l’Ontario. Le programme vise à aider les victimes pendant le processus judiciaire, au moyen des services suivants : 

Fournir aux victimes des renseignements sur le déroulement des procédures dans les Cours de la famille;

  • Documenter l’historique des mauvais traitements pour le tribunal;
  • Orienter les victimes vers les services et soutiens spécialisés dans la collectivité;
  • Contribuer à la planification de la sécurité pendant les comparutions au tribunal;
  • Accompagner les victimes aux instances judiciaires, s’il y a lieu.[297]  

Malgré les nouvelles mesures de soutien des victimes de violence familiale, le processus judiciaire familial peut être difficile pour les victimes de violence familiale, en particulier celles qui ne peuvent se payer une représentation complète et/ou les victimes qui font face à un ancien conjoint ou époux non représenté.  

La combinaison des procédures criminelles et des procédures en droit de la famille peut rendre le processus encore plus complexe. Le projet pilote du tribunal intégré pour l’instruction des causes de violence familiale (Tribunal ICVF) à la Cour de justice de l’Ontario à Toronto vise à harmoniser les procédures en droit criminel et en droit de la famille, les conditions de la remise en liberté sous caution et les questions d’accès et de garde[298]. Ce tribunal a ouvert en juin 2011 et a tenu ses premières séances en juillet 2011[299]. Les parties peuvent remplir un formulaire de consentement afin de soumettre une affaire à la cour. Un juge préside la séance et traite des questions de garde, d’accès, de pension alimentaire pour enfant et pour époux et d’ordonnances d’interdiction de contact. Dans les affaires criminelles, la cour entend les demandes de modification des conditions de la mise en liberté sous caution et peut tenir des conférences préparatoires et inscrire des plaidoyers de culpabilité[300]. Dans les affaires familiales, le Tribunal ICVF tient des conférences, rend des ordonnances temporaires s’il y a lieu et rend des ordonnances finales sur consentement des parties. La Cour de justice de l’Ontario en indique plusieurs avantages, y compris l’uniformité entre la cour de la famille et la cour criminelle puisqu’un seul juge se prononce sur les questions ainsi qu’une réduction des délais d’audition des affaires familiales et criminelles. De plus, le Tribunal ICVF dispose d’un coordonnateur des ressources communautaires lui permettant d’orienter les parties vers un soutien et des services communautaires[301].

 

6.     Les formes de règlement des différends 

Nous aborderons dans la section suivante le règlement judiciaire des différends (c’est‑à‑dire, par l’entremise des tribunaux). Ici, nous énonçons brièvement la possibilité d’autres formes de règlement des différends, particulièrement la médiation à l’extérieur du système judiciaire.

 

Les formes non judiciaires de règlement des différends  

Les méthodes de règlement des différends autres que par l’entremise du système judiciaire peuvent emprunter de nombreuses formes, qu’il s’agisse du règlement informel des différends, peut‑être par des organismes religieux[302], ou de méthodes complexes faisant intervenir des experts, comme le droit collaboratif, la coordination parentale, l’arbitrage et la médiation/arbitrage.

Certaines parties en droit de la famille choisissent la négociation ou la médiation plutôt que d’aller en cour, ou comme prélude à une audience judiciaire, ou la méthode de règlement des différends que privilégient leurs propres collectivités. Ces méthodes peuvent s’inscrire à l’extérieur du système officiel (et l’issue est exécutoire seulement au moyen des ententes conclues par les parties de la même façon que l’exécution des contrats). Les parties peuvent aussi choisir de régler leur différend au moyen de l’arbitrage officiel en vertu de la Loi de 1991 sur l’arbitrage[303] et de la Loi de 2006 sur le droit de la famille[304]. Notamment, une entente ou une sentence arbitrale fondée sur des pratiques religieuses données (plutôt que sur le droit ontarien) n’est pas exécutoire[305].  

Le coût et la qualité afférents au règlement extrajudiciaire des différends peuvent différer, et il y a peu de recherches ou d’information sur l’un ou l’autre. Dans certains cas, les coûts peuvent être considérables, particulièrement lorsque plusieurs experts et avocats sont en cause. La médiation visant à avoir un « effet fondamental » afin de contribuer à une entente parentale constructive peut nécessiter un nombre relativement élevé de ressources[306]. Cela signifie que la médiation ou d’autres formes de règlement extrajudiciaire des différends ne sont pas nécessairement beaucoup plus abordables que les tribunaux. Cela peut constituer une source de déception pour les utilisateurs[307].  

Comme il a déjà été mentionné, il existe en Ontario une médiation gratuite et à faible coût liée aux tribunaux, qui sera appliquée à tous les tribunaux à l’été 2011. On peut aussi avoir accès à cette médiation subventionnée avant l’ouverture d’un dossier judiciaire. À la Cour de la famille, la médiation relative aux affaires moins complexes est gratuite. En ce qui concerne la médiation externe, qui se produit dans le bureau du médiateur, on prévoit huit heures de médiation subventionnée, y compris la prise en charge. En pratique, on peut faire preuve d’une certaine souplesse dans la mesure où le progrès réalisé est suffisant. Un barème d’honoraires s’applique aux services de médiation externes[308]. Cela signifie que les parties payent pour la médiation subventionnée selon leurs revenus et le nombre de leurs personnes à charge. La contribution du client commence à 5,00 $ de l’heure pour les personnes à faible revenu[309].  

Les fournisseurs de services de médiation subventionnée liée aux tribunaux doivent respecter les normes professionnelles applicables à la médiation familiale[310]. Il existe en Ontario deux organismes qui établissent des normes de médiation : l’Association ontarienne de médiation familiale (AOMF) et l’ADR Institute of Ontario[311]. De plus, il y a aussi Médiation familiale Canada[312]. Malgré les normes professionnelles requises, on craint que le financement consacré à la médiation subventionnée liée aux tribunaux ne suffise pas pour attirer les médiateurs les plus qualifiés. Le Rapport Mamo a révélé que dans certaines affaires, les juges ne faisaient pas confiance au médiateur et n’orientaient pas les parties vers la médiation[313]. La CDO a souligné que même si les participants à la consultation ont mentionné qu’il y avait bon nombre de médiateurs compétents en Ontario, on mettait parfois en doute leur expertise et leurs qualifications. Les participants estimaient que d’autres professions réglementées avaient des codes de déontologie plus stricts[314]. 

Salem souligne que dans le contexte nord‑américain, les médiateurs liés aux tribunaux sont souvent aux prises avec une imposante charge de travail[315], les affaires renvoyées en médiation sont de plus en plus complexes[316] et des médiateurs subissent la pression de conclure des règlements. Il s’ensuit donc que dans certaines affaires, la médiation ne donne pas aux parties l’occasion d’exprimer leurs préoccupations[317]. On ne sait pas si ces préoccupations s’appliquent aussi dans le contexte de la médiation liée aux tribunaux en Ontario. Par exemple, dans les territoires américains, le nombre d’heures subventionnées s’établit seulement à deux ou trois heures[318], par opposition à huit heures de médiation externe subventionnée en Ontario. Nous mentionnons que certains organismes en Ontario ont proposé un nombre plus élevé d’heures subventionnées pour la médiation externe liée aux tribunaux[319]. Il est cependant probable que huit heures de médiation suffisent pour qu’un nombre considérable d’affaires à faible niveau de conflit permettent la conclusion d’au moins une convention partielle afférente à des aspects particuliers. Pour les affaires plus complexes, la médiation n’est peut‑être pas le mode de règlement des différends qui convient. 

Même si les renseignements et les conseils donnés insistent sur la médiation et que cela constitue une « bonne chose », cette insistance peut comporter certains risques si le processus judiciaire lui‑même est considéré inabordable ou intimidant. Pour certains, la promotion de la médiation dans le cadre des renseignements et des conseils sommaires donnés peut être considérée comme si on insistait pour que les utilisateurs n’aillent pas en cour. Dans le contexte du processus judiciaire, le juge en chef de l’Ontario Winkler a mentionné ce qui suit :

[traduction]

Le plus grand service que les cours de première instance peuvent rendre pour aider les parties à régler leurs différends par médiation consiste à veiller : premièrement, à ce que des juges soient disponibles pour juger l’affaire en cas d’échec de la médiation; deuxièmement, à ce que les procès se déroulent d’une façon qui les rend aussi abordables que possible. Nul ne devrait être forcé d’accepter un règlement inéquitable en médiation simplement parce que la partie adverse pourra l’épuiser et prolonger l’affaire[320].

Les intervenants communautaires en Ontario craignent que les victimes de violence familiale soient forcées à accepter la médiation bien qu’il ne s’agisse pas de la méthode appropriée[321]. Certains intervenants communautaires craignent aussi que le médiateur ne saisisse pas l’historique de violence lors de l’examen initial ou estime à tort qu’il a mis suffisamment de mesures de protection en place dans le processus de médiation[322]. 

Les praticiens dans le domaine du règlement extrajudiciaire des différends doivent cependant être vigilants à l’égard des questions, notamment de violence, liées au pouvoir et à l’intimidation, et ils sont censés faire l’examen préalable des affaires. Le site Web du ministère du Procureur général fait référence à plusieurs outils d’examen préalable à l’intention des arbitres[323]. Il faut du temps et de l’expérience pour discerner l’existence de violence familiale dans de nombreux cas, et il est donc plus risqué de la part de médiateurs moins chevronnés d’examiner ces affaires sans assistance[324]. Les médiateurs doivent aussi être sensibles aux questions de diversité, non seulement dans les affaires de violence familiale, mais y compris dans ces affaires[325]. Il faut aussi que les arbitres en matière familiale soient formés conformément à la politique sur la violence de l’AOMF, y compris la formation sur l’utilisation de l’un des outils d’examen[326]. Ils sont tenus de suivre des pratiques particulières, comme l’obtention par les parties de conseils juridiques indépendants[327]. 

Souvent, des non‑avocats dirigent le règlement extrajudiciaire des différends. On craint qu’ils omettent des questions juridiques, ce qui pourrait désavantager les parties. On craint aussi que lorsque d’importantes questions de droit sont réglées dans le cadre d’un processus confidentiel qui ne crée pas de précédents, l’issue peut, en rétrospective, manquer de transparence pour les parties.

 

Le règlement judiciaire des différends : le système judiciaire 

Même si le système judiciaire peut constituer plus ou moins le premier point d’entrée pour certaines parties, la plupart des parties ne se rendent pas devant les tribunaux avant d’avoir essayé d’autres méthodes comme la négociation ou la médiation. Lorsque ces méthodes échouent, le tribunal peut constituer la seule option. Il existe des processus au niveau de la cour qui visent à encourager le règlement avant une intervention plus poussée par un juge ou à réduire le nombre de questions qui seront soumises au juge. Il faut comprendre que cela s’inscrit dans le système judiciaire plutôt que d’y être étranger. Dans certaines affaires, le pouvoir d’un juge est nécessaire pour régler une affaire au moyen d’un procès. Il faut toutefois souligner que relativement peu d’affaires entrainent un procès. 

Le système de justice familiale en Ontario est complexe en ce qu’il y a trois cours différentes qui se penchent sur les conséquences de la rupture familiale : la Cour supérieure de justice, la Cour de justice de l’Ontario et la Division de la famille de la Cour supérieure de justice (aussi appelée la Cour unifiée de la famille [CUF]). Selon le lieu de résidence des parties et des questions juridiques, les parties peuvent solliciter de la CUF des services précis ou s’adresser à l’une des autres cours ou aux deux. 

La CUF, qui a pris naissance comme projet pilote en 1977 et qui a été élargie en 1995 et en 1999, a été constituée en vue de traiter de façon intégrée du droit de la famille. Avec chaque expansion de la CUF, la province a mis en œuvre des services, notamment la médiation sur place et externe, les coordonnateurs des services d’information et d’orientation ainsi que les séances facultatives d’information destinées aux parents dans les locaux de la CUF[328]. En 2011, ces services ont été étendus à l’ensemble des tribunaux qui sont saisis d’affaires familiales. La séance d’information destinée aux parents a été remplacée par le Programme d’information obligatoire.

Il existe actuellement 17 Cours unifiées de la famille en Ontario. Depuis 1998, en tant que Cour de la famille, elles constituent une division de la Cour supérieure de justice et ont compétence sur les lois provinciales et fédérales. Puisque les CUF n’ont pas été étendues à d’autres emplacements, les Ontariens ne peuvent pas tous avoir accès à ces cours et à leurs services[329]. 

À d’autres endroits, les parties ont accès à la Cour de justice de l’Ontario ou à la Cour supérieure de justice. La Cour de justice de l’Ontario a compétence sur la protection de l’enfance, l’adoption, la garde, l’accès ainsi que la pension alimentaire pour enfants et pour conjoint, mais n’a pas compétence sur le divorce ou sur les questions de biens. La Cour supérieure de justice a compétence sur le divorce, les biens, la garde, l’accès et la pension alimentaire, mais n’a pas compétence sur la protection de l’enfance et l’adoption.

Les tendances quinquennales figurant dans le Rapport annuel 2009‑2010 de la Division des services aux tribunaux indiquent qu’entre 2005 et 2010, il y avait devant tous les tribunaux ontariens regroupés environ 75 000 nouvelles affaires en droit de la famille autres que les instances de protection de l’enfance[330]. Sur toutes les affaires familiales soumises aux tribunaux canadiens, environ 70 % sont des affaires de divorce et d’autres affaires de rupture familiale. La partie restante de 30 % est composée d’affaires d’adoption, de protection de l’enfance, de protection civile, de tutelle et d’autres affaires familiales[331]. Selon son rapport biannuel 2006‑2007, près des deux tiers de l’ensemble des affaires familiales soumises à la Cour de justice de l’Ontario sont des affaires de garde, d’accès et de pension alimentaire[332]. 

Le processus judiciaire peut être lent. Selon À l’écoute de l’Ontario, quatre personnes sur dix (44 %) ayant un problème de relation familiale n’avaient pas réglé leur problème en trois ans[333].  

En Ontario, sur 107 822 affaires de rupture familiale, notamment de divorce, actives en 2009‑2010 :

  • 57 072 se trouvaient dans le système depuis un an ou moins;
  • 33 646 s’y trouvaient depuis un ou deux ans;
  • 8 990 s’y trouvaient depuis deux ou trois ans;
  • 3 763 s’y trouvaient depuis trois ou quatre ans;
  • 4 351 s’y trouvaient depuis quatre ans et plus[334]. 

Cela signifie qu’au moins 50 % de l’ensemble des affaires demeurent dans le système pendant plus d’un an ou pendant (beaucoup) plus longtemps. Cela peut s’expliquer, par exemple, par les aspects émotionnels d’une affaire, mais aussi par la capacité des tribunaux. 

Non seulement les affaires de garde, d’accès et de pension alimentaire entrainent le plus de litiges devant les cours de la famille au Canada (et en Ontario), mais elles ont aussi tendance à demeurer plus longtemps dans le système de justice familiale. Les affaires touchant les enfants prenaient plus d’un an[335]. Il a été démontré que les affaires touchant l’accès aux enfants et les ententes de pension alimentaire pour enfants et/ou pour époux comportaient la proportion la plus élevée d’affaires qui demeurent dans le système[336]. Entre les questions d’accès et de pension alimentaire, l’accès était la question la plus contestée[337].  

Les longues affaires font vraisemblablement intervenir plus d’un ou même plus de deux juges (et dans certaines affaires de nombreux juges), ce qui entraîne des frais et des délais supplémentaires pour les parties et le système de justice familiale[338] ainsi qu’une plus grande frustration, alors que les parties elles‑mêmes ou leurs avocats expliquent leurs affaires à de nombreuses reprises. Même si, à cette étape, les parties ne se trouvent plus à un « point d’entrée », il convient d’examiner ce qui pourrait être fait au point d’entrée pour réduire les frais, les délais et la frustration. 

Les tribunaux ont introduit des procédures afin d’accélérer le cheminement des affaires dans le système. De certaines façons, il s’agit du processus traditionnel de « gestion des causes ». Par exemple, le projet pilote de gestion des causes en matière familiale d’Ottawa a été introduit en réponse à la publication The Family Court information Crisis[339]. Ce projet repose sur la nomination de gestionnaires des affaires familiales; il s’agit de protonotaires qui ont la compétence nécessaire pour régler les questions de procédure dont est saisie la Cour de la famille[340]. Le programme à Ottawa a réduit considérablement les délais et a accru l’efficacité de l’utilisation des ressources judiciaires[341].

2005 (avant le projet pilote)  2009 (2 ans après le projet pilote)
Famille
Conférences préparatoires 11 semaines 4 semaines
Motions 10 semaines 4 semaines
Conférences de règlement 21 semaines 4 semaines
Procès 13 mois 6 mois

 

À plusieurs endroits, la cour effectue la gestion de la cause, par laquelle un juge est affecté à une affaire. Les règles de gestion des causes ont été modifiées en 2011. Elles prévoient que les juges jouent un rôle actif, y compris en ayant le pouvoir d’ordonner aux parties d’assister à une conférence de règlement devant un agent de règlement des différends ou de participer à une rencontre avec un service de médiation lié à la cour ou à un programme offert au moyen d’un service communautaire[342].

Le plan stratégique de la Cour supérieure de justice englobe la notion de gestion des causes ou de tri et établit des objectifs ambitieux. Il déclare que :  

Donner accès à la justice signifie fournir des services et des procédures judiciaires en droit de la famille qui soient opportuns, efficients, efficaces et abordables. Le but de ces services et procédures est de régler les instances en droit de la famille de façon à réduire au minimum les conflits, à protéger l’intérêt véritable des enfants et des garanties juridiques de tous les membres de la famille, et ce, dans les plus brefs délais possible[343].

Il faut relever dès que possible les affaires à niveau de conflit élevé et les attribuer au même juge aux fins de gestion lorsque c’est possible[344]. 

L’énoncé de vision en droit de la famille de la Cour de justice de l’Ontario et le plan stratégique de la Cour supérieure de justice établissent des objectifs ambitieux afin de garantir une décision efficace en temps opportun. Par exemple, le plan stratégique de la CSJ prévoit une révision plus structurelle fondée sur les principes de l’accessibilité et de l’efficacité[345]. À l’égard de l’accessibilité, il déclare que des ressources judiciaires appropriées et des services judiciaires familiaux doivent être disponibles à tous les emplacements de la cour, compte tenu de facteurs comme la population et la géographie. Le processus judiciaire doit être plus facile à comprendre pour toutes les parties, y compris les parties non représentées, et doit promouvoir le règlement rapide, équitable et expéditif. L’efficacité devrait être fondée sur le principe voulant que « les services de première ligne et les procédures judiciaires doivent être conçus pour garantir que chaque comparution en cour soit nécessaire, utile et opportune, et qu’elle englobe le plus d’aspects possible ».

 

C.     Renseignements sur les parties qui n’ont pas recours au système judiciaire 

Les personnes choisissent différentes façons de régler leurs différends familiaux pour de nombreuses raisons, mais il arrive que des personnes prospères et des personnes à faible revenu « se soustraient » au processus judiciaire, quoique pour différentes raisons et avec différentes conséquences. D’ailleurs, certains observateurs se demandent si les utilisateurs « de haute gamme » choisissent de plus en plus de se soustraire au système de justice familiale en faveur d’un règlement privé de leurs différends[346].

Bala souligne que pour les parties prospères, la médiation, l’arbitrage et la « médiation‑arbitrage » (une combinaison de la médiation et de l’arbitrage) privé peuvent être plus rapides et prévisibles que le processus judiciaire en plus de l’avantage d’être plus confidentiels[347]. L’une des options actuelles de règlement des différends « de haute gamme » est le droit de la famille collaboratif, pratiqué par des avocats formés à cette fin qui doivent veiller à ce que leurs clients divulguent tous les renseignements pertinents au moment voulu et qui doivent les encourager à régler l’affaire[348]. Concrètement, après la rencontre initiale entre chaque client et son avocat respectif, le droit collaboratif procède généralement au moyen d’une série de rencontres « à quatre » entre les deux clients et les deux avocats[349]. Dans d’autres affaires, on peut constituer des équipes collaboratives interdisciplinaires comprenant des professionnels de la santé mentale qui agissent comme guides du divorce, un spécialiste de l’enfance et un spécialiste financier neutre[350].  

Selon ses promoteurs, le droit de la famille collaboratif procure une solution de rechange au modèle contradictoire qu’offre le litige[351]. Le droit de la famille collaboratif, qui peut être long et coûteux, soulève certaines préoccupations. Wiegers et Keet soulignent que le fait que le droit collaboratif mette [traduction] « l’emphase sur le bien‑être de la famille peut aussi imposer une pression aux parties plus faibles, généralement les mères, pour qu’elles abandonnent des réclamations légitimes afin de réduire le conflit et clore l’affaire »[352]. 

Les utilisateurs à faible revenu pour lesquels le système est intimidant ou non accessible n’entrent peut‑être pas du tout dans le système ou le quittent sans obtenir de décision. Par exemple, le UK Family Justice Review indique que par suite d’une proposition de réduction de l’accès à l’aide juridique au R.‑U., il se pourrait que [traduction] « certains parents ne donneront tout simplement pas suite à leur litige, ce qui fera en sorte que certains enfants perdront le contact avec un parent »[353]. Cela pourrait être le cas en Ontario, où l’assistance juridique est déjà peu abordable. Toutefois, les Ontariens au revenu le plus faible, soit ceux qui reçoivent de l’aide sociale, peuvent être tenus d’entrer dans le système afin d’obtenir une ordonnance officielle de pension alimentaire pour enfants auprès de la cour pour recevoir de l’aide. 

Certains couples qui jugent le système intimidant ou n’ont pas les moyens d’y recourir peuvent solliciter des solutions communautaires, par l’entremise d’organismes religieux ou communautaires, par exemple. Même si les solutions communautaires peuvent se révéler durables et équitables, elles peuvent aussi être fondées sur des traditions patriarcales et des présumées obligations familiales. Comme il a été mentionné, cela défavorise souvent les femmes en pratique[354].

On s’inquiète particulièrement de l’efficacité du système pour les Autochtones. Il existe certains programmes et certaines méthodes de règlement des différends destinées aux Autochtones, mais ceux‑ci éprouvent souvent de nombreuses difficultés à accéder au système de justice familiale et à ses éléments juridiques. Les Autochtones souffrent depuis longtemps d’une situation défavorisée[355], et les Autochtones sont surreprésentés dans certains domaines du droit de la famille, particulièrement en ce qui a trait à la violence familiale et au bien‑être de l’enfant[356].

En droit de la famille, les Autochtones occupent une position précise. La Loi sur les services à l’enfance et à la famille reconnaît que la culture d’un enfant est pertinente pour la détermination de son intérêt véritable[357]. La Loi a aussi comme objet, dans la mesure où il est compatible avec l’intérêt véritable de l’enfant, de :

Reconnaître que les populations indiennes et autochtones devraient avoir le droit de fournir, dans la mesure du possible, leurs propres services à l’enfance et à la famille, et que tous les services fournis aux familles et aux enfants indiens et autochtones devraient l’être d’une façon qui tient compte de leur culture, de leur patrimoine, de leurs traditions et du concept de famille élargie[358]. 

On retrouve parmi les services destinés aux Autochtones le programme des auxiliaires parajudiciaires autochtones qui vise à aider les parties autochtones dans les affaires familiales[359]. Le programme est financé par le ministère du Procureur général et par le gouvernement fédéral[360]. En outre, certains services juridiques précis sont destinés aux Autochtones, y compris ceux qui vivent dans des régions éloignées[361]. 

Néanmoins, il existe plusieurs problèmes à l’égard des peuples autochtones et du système de justice familiale, notamment :

  • la capacité d’accéder physiquement au système pour les personnes qui vivent dans des régions éloignées;
  • des obstacles à l’éducation et à l’information ou des obstacles linguistiques[362];
  • la mesure dans laquelle la législation s’applique aux réserves; par exemple, il existe une lacune législative relativement aux biens détenus dans le cadre de la relation[363], ce qui désavantage généralement les femmes[364];
  • la mesure dans laquelle la législation applicable reconnaît le point de vue des Autochtones[365].

 

D.     L’importance des points d’entrée 

Avec ce bref portrait des étapes et des intervenants du système de justice familiale, nous revenons au début, soit les points d’entrée, qui constituent le point de mire du présent projet. 

Aux premières étapes de la rupture d’une famille, il y a divers points d’entrée destinés aux personnes qui recherchent une solution à leurs problèmes. Les personnes peuvent accéder à plus d’un point d’entrée pour obtenir des renseignements, des conseils et des orientations. Comme il a été mentionné, les personnes peuvent obtenir des renseignements de nombreuses façons. Les sources d’information peuvent être officielles (au moyen de nombreuses sources publiques et de fournisseurs de services spécialisés rémunérés) et informelles (par l’entremise de membres de la famille, d’amis, d’organismes religieux et de fournisseurs de services non spécialisés comme les médecins de famille et les enseignants). Le point d’entrée utilisé repose sur la préférence de la personne et la disponibilité des services. Par exemple, dans les régions éloignées et rurales, il y a parfois un manque de disponibilité des avocats familialistes et les tribunaux sont parfois difficiles d’accès. 

Les points d’entrée du système de justice familiale peuvent jouer un rôle crucial pour aider les gens à s’y retrouver dans le système. C’est à cette étape que les gens commencent à recueillir des renseignements du système et à prendre des décisions au sujet de la façon de gérer le différend. À ces étapes initiales, les intervenants peuvent :

  • aider une personne à décider de régler son problème par la voie juridique ou de trouver une autre voie de recours;
  • informer la personne des incidences juridiques de la rupture de la famille;
  • informer la personne des options lui permettant d’obtenir une solution juridique à ses problèmes de droit de la famille ainsi que de leurs avantages et ses inconvénients, y compris en frais et en temps;
  • informer la personne des autres services familiaux (comme les conseils financiers ou la thérapie) qui lui sont offerts;
  • sensibiliser la personne aux conséquences personnelles de la rupture de la famille et à la relation avec l’ancien conjoint – par exemple le niveau de conflit et la possibilité d’établir une relation viable dans le cadre d’une séparation ou d’un divorce;
  • sensibiliser la personne aux conséquences de la rupture de la famille pour les enfants et au conflit entre les parents;
  • faire une première évaluation de la situation familiale, y compris les questions juridiques, le niveau de conflit et les complications qui peuvent survenir dans un dossier;
  • informer la personne de la méthode qui lui convient le mieux à la lumière de sa situation familiale, des ressources financières et des services disponibles;
  • orienter la personne vers le niveau suivant de services et préparer un dossier de prise en charge à l’intention des fournisseurs de services se situant à la prochaine étape du « continuum juridique» ou, dans le cas de services multidisciplinaires, à l’intention des fournisseurs de services juridiques et non juridiques;
  • donner des conseils ou effectuer le tri à l’égard des services ou du cheminement en fonction d’une évaluation de l’affaire et de l’établissement d’un ordre de priorité. 

On peut diviser les points d’entrée selon la mesure dans laquelle ils sont liés au système officiel et dans laquelle ils peuvent atteindre les objectifs de points d’entrée susmentionnés. 

Comme nous l’avons indiqué, l’une des premières choses que de nombreuses personnes font lorsqu’elles constatent un problème familial ou lorsqu’un autre membre de la famille leur dit qu’il y a un problème, c’est de parler aux membres de la famille – par exemple, une participante à la consultation a parlé à sa sœur – ou à des amis. Selon les recherches et les consultations, les personnes à faible revenu en particulier se sont souvent fiées aux membres de leur famille et à leurs amis pour obtenir des renseignements[366]. Il s’agit généralement de gens qui n’ont aucun lien, ou aucun lien officiel, avec le système juridique. Ils connaissent peu le système ou n’ont aucune connaissance spécialisée ou générale à son égard. Parfois, ils ont leurs propres problèmes familiaux, et les conseils qu’ils donnent ou l’impression qu’ils ont du système sont fondés sur leur propre expérience. Ces intervenants peuvent influencer la façon dont les gens entrent dans le système officiel et il vaut la peine de déterminer s’il y a une façon de lier ces premières considérations au sujet des problèmes familiaux d’une personne à une expertise plus approfondie.

Le deuxième type de point d’entrée consiste en des personnes qui, à titre de professionnelles, possèdent l’information nécessaire pour orienter les gens vers les services de justice familiale. On parle notamment des médecins de famille, des conseillers familiaux, des thérapeutes, des enseignants, des travailleurs sociaux, des policiers, des conseillers spirituels et des travailleurs du système d’aide sociale. Les services de référence téléphonique généraux, comme 211 Ontario[367], peuvent aussi être considérés faire partie de ce groupe, quoique le 211 Ontario fournit aussi des conseils généraux et des orientations vers des services communautaires précis, ce qui en fait un important point d’entrée dans le cœur du système de justice familiale.

Un troisième point d’entrée consiste en un groupe de travailleurs dont le lien avec le système juridique familial est plus direct et fréquent, soit des travailleurs communautaires « transitoires », des travailleurs œuvrant dans les bureaux de bande et ceux qui œuvrent dans des refuges offrant des renseignements de base et qui peuvent être « un intermédiaire de confiance » pour les personnes vulnérables que le système de justice familial officiel intimide peut‑être. Dans le contexte pluraliste de l’Ontario, des intermédiaires de confiance peuvent jouer un rôle très important dans l’accès à la justice familiale pour certaines personnes. Ils peuvent, par exemple, aider les personnes handicapées, les personnes qui n’ont pas accès aux services en ligne ou qui ont de la difficulté à utiliser les lignes téléphoniques, les personnes éprouvant des problèmes d’alphabétisme, les personnes faisant face à des obstacles culturels et les personnes qui ont subi des expériences traumatisantes. Ce rôle est reconnu officiellement au moyen de l’introduction récente des agents de soutien dans le contexte de la Cour de la famille. Ces agents peuvent aider les victimes de violence familiale et constituer un lien entre les organismes à but non lucratif qui appliquent le programme et d’autres travailleurs du système officiel. Ainsi, les agents de soutien dans le contexte de la Cour constituent un pont entre les utilisateurs et leurs réseaux informels, d’une part, et le système officiel, d’autre part.  

À un certain moment, la personne qui éprouve un problème familial cherchera vraisemblablement à obtenir des renseignements plus approfondis. Les services d’information, qui peuvent aussi être des services d’orientation, et qui peuvent être offerts sous forme écrite, audio‑vidéo, en ligne, par téléphone ou en personne, constituent un point d’entrée principal. Nous avons décrit auparavant les nombreux points d’entrée en matière d’information juridique préliminaire, de conseils sommaires non juridiques et de conseils juridiques préliminaires.  

Il existe des points d’entrée qui peuvent non seulement fournir des renseignements de base et de l’orientation, mais peuvent aussi contribuer à une solution. Dans un certain sens, ces intervenants et services sont hybrides, servant à la fois de points d’entrée et de points de règlement. Comme nous l’avons mentionné, les voici :

  1. les médiateurs communautaires, ce par quoi nous entendons les personnes non agréées à qui on demande de faire office de médiateur dans un différend familial, notamment il peut s’agir des conseillers spirituels ou des chefs communautaires;
  2. les avocats du secteur privé (qu’on y ait accès directement, au moyen du service Assistance‑avocat du Barreau du Haut‑Canada[368] ou par l’entremise d’Aide juridique Ontario);
  3. les fournisseurs agréés de services de règlement extrajudiciaire des différends;
  4. les avocats‑conseils et les avocats de service d’Aide juridique Ontario ainsi que le personnel du Bureau de l’avocat de service pour les personnes à faible revenu;
  5. les greffiers et les juges de la cour, particulièrement pour les couples qui entrent directement dans le processus judiciaire sans participer à un programme d’information obligatoire.

À un certain moment dans le règlement de leur différend familial, les personnes sont en contact avec un ou plusieurs de ces fournisseurs de services. La mesure dans laquelle ceux‑ci sont des points d’entrée reposera souvent sur l’information (orientation) et les conseils que leurs clients ont reçus auparavant.

Nous avons aussi analysé les centres multidisciplinaires comme points d’entrée. Ceux‑ci ont la capacité de répondre à la nature multidimensionnelle des problèmes familiaux ou ont l’expertise nécessaire pour orienter les membres de la famille vers des services plus spécialisés.

La question essentielle étudiée dans le présent rapport est la façon dont des points d’entrée pertinents peuvent aider les personnes à régler les problèmes auxquels elles font face. Dans le prochain chapitre, nous décrirons la façon dont le système de justice familiale et ses points d’entrée peuvent relever les défis qui attendent ses utilisateurs et ses travailleurs.

 

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