A.    Contexte

1.      Le projet de la CDO sur le droit et les personnes âgées

Ce projet est basé en partie sur une proposition transmise à la CDO peu après sa création par David Freedman, professeur de droit des aînés à l’école de droit de l’Université Queen’s.

Les changements démographiques des dernières années ont mis davantage en évidence les besoins et les réalités des personnes âgées. Au fur et à mesure que la population du Canada vieillit, l’élaboration d’une démarche rigoureuse à l’égard du droit et des politiques publiques touchant les Canadiens du troisième âge prend une importance croissante.

Malgré les travaux avant-gardistes réalisés par des organismes comme l’Advocacy Centre for the Elderly (ACE) et le Canadian Centre for Elder Law (CCEL), la question des rapports entre les personnes âgées et le droit au Canada a été peu traitée jusqu’ici. De travaux importants ont été menés sur certains aspects du droit des aînés, comme les lois ayant trait à la capacité et au consentement, la retraite obligatoire et les mauvais traitements à l’égard des personnes âgées. Toutefois, au Canada, il existe peu de recherches sur l’accès des personnes âgées au droit et les obstacles à cet accès, ainsi que sur les améliorations requises pour accroître l’efficacité, l’équité et l’accessibilité du droit pour les personnes âgées. En outre, dans les recherches et les politiques consacrées aux rapports entre les personnes âgées et le droit, on s’est davantage concentré sur les lois qui concernent explicitement ou manifestement les aînés de manière disproportionnelle, comme celles sur les exigences du permis de conduire fondées sur l’âge ou sur les soins de longue durée, que sur la façon dont les lois d’application générale peuvent avoir des effets différents sur les personnes âgées. En ce qui concerne ce domaine du droit, il serait donc avantageux d’élaborer une démarche plus générale et fondée sur des principes.

Dans son Guide sur les politiques relatives aux aînés, le Comité fédéral-provincial-territorial des hauts fonctionnaires pour les ministres responsables des aînés souligne  

ceci :

La mise en application d’une grille d’examen des politiques à l’intention des aînés permet de s’assurer que :

  • les besoins et les valeurs des aînés sont respectés;
  • les contributions des aînés à tous les aspects de la vie sont reconnues;
  • la diversité de la population des aînés est prise en compte;
  • les questions qui touchent les aînés sont abordées d’une manière holistique pour examiner les liens et les interactions avec d’autres politiques et programmes;
  • l’incidence cumulative des changements et les répercussions sur les aînés ont été scrutées à la loupe;
  • les préoccupations et les problèmes des aînés d’aujourd’hui et des générations à venir sont abordés[1].

Se fondant sur la proposition du professeur Freedman et les recherches menées par la CDO, le Conseil des gouverneurs a approuvé un projet pluriannuel visant à définir un cadre cohérent pour le droit touchant les personnes âgées. Le projet de la CDO sur le droit et les personnes âgées n’a pas pour but de faire des recommandations précises à propos de la réforme des lois touchant les personnes âgées, bien qu’une telle réforme soit nécessaire dans plusieurs cas. Le projet vise plutôt à énoncer un ensemble de principes et de considérations pouvant servir de fondement à l’élaboration d’un cadre d’analyse cohérent de ce domaine du droit, qui est la fois vaste, hétérogène et complexe. Compte tenu des obstacles qui entravent l’accès des personnes âgées à la justice, les principes et les considérations adoptés doivent servir non seulement à systématiser ce domaine du droit, mais également à accroître son équité, son accessibilité et son efficacité. Le but ultime de ce projet est de prendre appui sur les travaux déjà réalisés pour établir une base solide qui permettra d’élaborer ou d’évaluer des lois et des politiques en s’assurant que celles-ci tiennent compte des droits et des réalités des personnes âgées.

Ce projet est étroitement lié à un projet similaire de la CDO sur le droit et les personnes handicapées[2]. En effet, une minorité significative de personnes âgées ont une ou plusieurs incapacités avec lesquelles elles ont vécu toute leur vie ou qu’elles ont développées avec l’âge. De plus, les nombreux travaux publiés dans le domaine des études critiques sur l’incapacité et le droit, ainsi que les théories de l’égalité en général peuvent fournir certains éléments utiles pour élaborer une démarche anti-âgiste dans le domaine du droit. Ainsi, bien qu’ils se distinguent sur plusieurs points, ces deux projets sont menés de front et s’éclairent mutuellement.

 

2.      Préparation du projet : le processus

Étant donné l’ampleur et la complexité des enjeux qu’il soulève, ce projet s’échelonne sur plusieurs années et comporte plusieurs étapes.

Les personnes âgées forment un groupe très hétérogène, composé d’individus ayant des antécédents, des identités et des situations très variés. Toutes les lois qui concernent l’ensemble de la population touchent également les personnes âgées. Parfois les effets sont les mêmes, peu importe l’âge, mais souvent, ils sont différents pour les personnes âgées et peuvent même varier grandement selon les divers groupes d’aînés. Le droit des aînés, qui concerne exclusivement ou disproportionnellement les personnes âgées, est un domaine du droit très complexe en lui-même. À titre d’exemple, il suffit de mentionner les multiples projets de réforme et les nombreux rapports volumineux consacrés aux lois relatives à la capacité juridique et à la prise de décision au nom d’autrui.

Consciente des défis qui l’attendaient, la CDO a donc amorcé son projet par un processus de consultation préliminaire visant à cerner les thèmes, les enjeux et les approches de l’ensemble du projet. En mai 2008, la CDO a entrepris ce processus en produisant un document de consultation sur la préparation du projet[3]. Ce document a été publié sur le site Web de l’organisme et distribué à un large éventail d’intervenants issus des milieux universitaires et de la recherche, des cliniques juridiques et des organismes communautaires et gouvernementaux. Ce document proposait un aperçu des thèmes et des enjeux cernés dans la recherche préliminaire et invitait les intervenants à donner leur avis sur la portée et la conception du projet, y compris sur les enjeux et les principes clés. La CDO a reçu des observations écrites de 21 organismes. Elle a rencontré six organismes et un certain nombre d’intervenants. 

En décembre 2008, la CDO a publié un rapport sur les résultats de cette consultation préliminaire et de ses premiers travaux de recherche[4]. Dans ce rapport, elle énonçait cinq principes préliminaires, soit l’indépendance et l’autonomie, la dignité et le respect, la participation et l’inclusion, la sécurité et le respect de la diversité. Le rapport relevait également plusieurs thèmes d’intérêt particulier, dont l’âgisme et le droit, les relations des personnes âgées et leurs milieux de vie. La recherche d’envergure entreprise par la CDO pour ce projet s’appuie sur les résultats de ce rapport. 

En janvier 2009, la CDO a diffusé une demande de propositions de recherche sur les thèmes retenus afin d’obtenir des recherches complémentaires à ses propres travaux et de recueillir divers points de vue sur les enjeux clés. À l’issue de ce processus, la CDO a financé trois rapports de recherche : l’un du Advocacy Centre for the Elderly (ACE) sur l’accès au droit et les habitations collectives; un autre de Margaret Hall sur l’élaboration d’une démarche anti-âgiste dans le domaine du droit dans le contexte des cadres juridiques qui régissent la prévention des mauvais traitements envers les personnes âgées et la prise de décision au nom d’autrui; et enfin, un dernier de Charmaine Spencer sur l’âgisme et la discrimination fondée sur l’âge dans le droit de la santé et de l’habitation. Ces rapports sont accessibles sur le site Web de la CDO, à l’adresse www.lco-cdo.org/older-adults-call-for-papers.

À l’automne 2010, la CDO a été l’hôte de la Conférence canadienne 2010 sur le droit des aînés, en partenariat avec le Canadian Centre for Elder Law (CCEL) (affilié au British Columbia Law Institute) et l’Advocacy Centre for the Elderly (ACE). Lors de cette conférence, qui réunissait des universitaires, des experts, des professionnels, des fournisseurs de service, ainsi que des représentants d’organismes communautaires et de défense des droits, les participants ont examiné les thèmes de l’âgisme et du droit, de la réforme du droit et des personnes âgées et de l’accès des aînés à la justice. Quelque 100 présentateurs et conférenciers ont fait part de leurs recherches et de leurs idées, produisant un grand nombre de nouveaux documents qui sont accessibles sur le site Web de la CDO.

Afin d’obtenir une orientation pour ces travaux, la CDO a formé un groupe consultatif chargé de lui fournir des conseils sur la sensibilisation et sur les approches à adopter à l’égard des enjeux considérables qui sont en cause. La liste des membres de ce groupe se trouve dans les pages liminaires du présent rapport provisoire. La CDO souhaite adresser ses remerciements les plus sincères aux membres du groupe consultatif pour l’aide précieuse qu’ils ont fournie jusqu’ici dans le cadre de ce projet et pour le dévouement dont ils font preuve, malgré leurs nombreuses autres responsabilités.

 

3.      But principal : l’élaboration d’une démarche anti-âgiste dans le domaine du droit 

Le concept d’« âgisme » est relativement récent. On l’attribue généralement au Dr Robert Butler, qui fut le premier à utiliser ce terme à la fin des années 1970. Il est de plus en plus admis que les attitudes négatives et les stéréotypes jouent un rôle dans les expériences des personnes âgées et la façon dont on les traite, et qu’il est important de s’attaquer à ces attitudes et à ces stéréotypes pour garantir aux aînés un traitement juste et équitable.

S’inspirant des travaux réalisés sur le droit et l’incapacité et le droit et le sexe, certains ont commencé à conceptualiser l’âgisme comme un phénomène à l’œuvre autant dans les attitudes individuelles que dans les structures, les systèmes et les institutions. L’âgisme peut se manifester dans certains enjeux abordés ou négligés par le droit, ainsi que dans les a priori présents dans le droit et dans les structures établies pour appliquer les lois.

Compte tenu du mandat de la CDO, qui consiste à examiner la pertinence, l’efficacité et l’accessibilité du droit, l’étude des manifestations de l’âgisme dans le droit et son application est essentielle à l’élaboration d’un cadre du droit touchant les personnes âgées. Cette question est donc abordée au chapitre III du rapport provisoire.

 

4.      Le rapport provisoire et les étapes suivantes

Le présent rapport provisoire repose sur les recherches approfondies et les consultations étendues de la CDO évoquées ci-dessus. Il constitue un jalon important du projet.

Le rapport présente en détail la démarche anti-âgiste dans le domaine du droit que propose la CDO, laquelle comporte les éléments clés suivants :

  • l’étude des réalités et des caractéristiques des personnes âgées en vue de concevoir des programmes inclusifs et ciblés;
  • des approches visant à relever et à corriger dans les lois les manifestations des stéréotypes et des attitudes négatives à propos des personnes âgées;
  • les principes d’une démarche anti-âgiste;
  • une analyse des effets du droit sur les personnes âgées;
  • des stratégies pour améliorer l’accès au droit des personnes âgées. 

Ces éléments sont synthétisés au sein d’un cadre d’analyse pour l’adoption d’une démarche anti-âgiste dans le domaine du droit. Ce cadre est ensuite appliqué, à titre d’exemple, au droit ontarien concernant les soins à domicile. 

Afin de situer l’analyse et le cadre proposé dans leur contexte et d’y apporter des nuances, nous avons inclus des exemples détaillés de certains enjeux du droit touchant les personnes âgées, lesquels illustrent certains obstacles courants du droit ou des pratiques exemplaires à suivre pour adopter une démarche anti-âgiste dans le domaine du droit. Ces exemples sont puisés parmi les enjeux prioritaires concernant les personnes âgées qui ont été mentionnés par les participants aux consultations préliminaires. 

En vue de recueillir des commentaires, la CDO a distribué ce rapport provisoire à grande échelle et l’a publié sur son site Web, à l’adresse www.lco-cdo.org. Les commentaires reçus seront pris en compte lors de la préparation du rapport final, qui sera soumis pour approbation au Conseil des gouverneurs de la CDO. 

La CDO invite toutes les personnes et tous les organismes concernés à lui transmettre des commentaires et des suggestions concernant les améliorations à apporter à son analyse et au cadre proposé. L’échéance pour ce faire est le vendredi 18 novembre 2011, en fin de journée. La dernière section du présent rapport, intitulée « Étapes suivantes », offre de plus amples renseignements sur la façon de participer au processus de consultation de cette prochaine étape du projet.

 

B.    Approches utilisées dans l’élaboration d’un cadre du droit touchant les personnes âgées

Pour élaborer sa proposition de cadre du droit touchant les personnes âgées, la CDO a eu recours à plusieurs approches, qui lui ont servi de point de départ.

 

1.       Le mandat de la CDO et l’accès à la justice

La CDO a pour mandat, notamment, de recommander des mesures de réforme de la loi visant à accroître la pertinence, l’efficacité et l’accessibilité de celle-ci; ainsi que d’améliorer l’administration de la justice en simplifiant et en clarifiant la loi; bref, d’accroître l’accès à la justice.

Dans l’élaboration d’un cadre du droit touchant les personnes âgées, la CDO doit donc accorder une attention particulière à la cohérence, à la clarté et à l’efficacité du droit et 

se poser les questions suivantes : 

  • Le droit traite-t-il des questions qui importent aux personnes âgées? Si c’est le cas, le fait-il de manière efficace?
  • Le droit tient-il réellement compte des besoins et des réalités des personnes âgées? Quels sont les principes et les démarches susceptibles de garantir une prise en compte des besoins et des réalités des personnes âgées au sein du droit? Les lacunes du droit proviennent-elles de sa conception ou de son application?
  • Que signifient l’« accès au droit » et l’« accès à la justice » pour les personnes âgées? Quelles sont les barrières qui entravent l’accès au droit des personnes âgées? Quelles sont les pratiques exemplaires susceptibles de favoriser l’accès au droit des personnes âgées?
     

2.      Initiatives servant d’assise au projet

Ces dernières années, plusieurs initiatives importantes ont été entreprises concernant le droit et les personnes âgées. La CDO a cherché à inclure et, s’il y a lieu, à synthétiser les idées et les cadres développés lors de ces initiatives afin de donner une assise à son projet. Elle s’est inspirée notamment des initiatives suivantes : 

  1. Cadre national sur le vieillissement (CNV)[5] et Guide sur les politiques relatives aux aînés : Le CNV a été défini conjointement par les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux responsables des aînés en 1998. Un complément intitulé Le guide sur les politiques relatives aux aînés a été publié en 2009. Le CNV énonçait la vision suivante : « Le Canada, une société pour tous les âges, qui favorise le bien-être et la participation des aînés dans tous les aspects de la vie »; et proposait cinq principes interreliés, soit la dignité, l’autonomie, la participation, l’équité et la sécurité. 
  2. Principes des Nations Unies pour les personnes âgées[6] : Ces principes adoptés en 1991 et le Plan d’action international de Madrid sur le vieillissement[7] constituent les deux documents internationaux les plus importants sur les personnes âgées. Les principes fournissent un vaste cadre général qui peut s’appliquer à une multitude de cultures et de contextes et dont les États peuvent se servir pour élaborer des politiques et des programmes.
     
  3. Rapport du Comité sénatorial spécial sur le vieillissement[8] : Dans son rapport final publié au printemps 2009, le comité examine les programmes et les services publics destinés aux personnes âgées. Il relève les lacunes de ceux-ci relativement à la satisfaction des besoins des personnes âgées et étudie les répercussions sur la prestation de services à l’avenir, au fur et à mesure que s’accentuera le vieillissement de la population. Afin de produire son rapport, le comité a tenu de vastes consultations à la grandeur du pays auprès des personnes âgées et des organismes qui les soutiennent ou les représentent.
     
  4. Projet de la Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) sur les droits des personnes âgées : En 1999, afin de souligner l’Année internationale des personnes âgées, la CODP a lancé un projet sur les droits des personnes âgées. Les recherches et les consultations publiques menées par la CODP dans le cadre de ce projet ont donné lieu à des recommandations, à un rapport de consultation intitulé Il est temps d’agir[9] et à la Politique sur la discrimination fondée sur l’âge à l’endroit des personnes âgées[10]. Ces documents proposent un cadre d’analyse de l’âgisme et de la discrimination fondée sur l’âge à l’égard des personnes âgées dans le contexte des droits de la personne.
     
  5. Advocacy Centre for the Elderly (ACE) : Fondé en 1984, l’ACE a été la première clinique juridique canadienne dotée d’un mandat et d’une expertise dans le domaine du droit des aînés. Il conseille et représente autant les individus que les groupes et exerce des activités de réforme du droit et de sensibilisation du public. Dans le cadre de son mandat, l’ACE applique un principe fondamental selon lequel les personnes âgées sont avant tout des « personnes », aptes à prendre des décisions par elles-mêmes et ayant même le droit de faire des choix farfelus, si elles le souhaitent. L’ACE a concentré ses efforts sur le phénomène du « mauvais exercice du droit » ainsi que sur la violation ou l’application paternaliste généralisées des lois visant à protéger les droits des personnes âgées.
     
  6. The Canadian Centre for Elder Law (CCEL) : Créé en 2003, le CCEL est affilié au British Columbia Law Institute, l’organisme de réforme du droit de la Colombie-Britannique. Cet organisme national à but non lucratif explore les questions de droit qui touchent en particulier les personnes âgées et a réalisé des projets de recherche et de réforme du droit portant notamment sur les règlements d’assurance-viatique, les lois régissant la tutelle des adultes, les prêts hypothécaires inversés et les pratiques de prêt à des conditions abusives.
     
  7. Outil d’évaluation en matière d’inclusion de la Fonction publique de l’Ontario (FPO) : Cet outil d’analyse a été mis au point par le Bureau de la diversité de la FPO dans le but d’aider le personnel de la fonction publique à prendre en considération divers aspects de la diversité lors de l’élaboration, de la mise en œuvre et de l’examen de politiques, de programmes ou de services. L’outil recense dix-sept aspects de la diversité, dont l’âge (chez les jeunes et les personnes âgées), l’incapacité, le sexe et la situation socioéconomique. 

En plus des initiatives décrites ci-dessus, il faut mentionner les projets importants entrepris par plusieurs organismes canadiens de réforme du droit relativement à diverses questions touchant les personnes âgées. Parmi ceux-ci se trouvent celui de la Commission du droit du Canada sur les rapports entre les générations et le droit; ceux de la Nova Scotia Law Reform Commission sur les droits des grands-parents et les résidences pour personnes âgées; celui de la Western Conference of Law Reform Agencies sur les procurations perpétuelles; et plusieurs autres[11].

En particulier, le travail réalisé par les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux responsables des aînés en vue d’élaborer le Cadre national sur le vieillissement, et, plus récemment, l’Outil d’évaluation des politiques en matière de santé mentale des aînés fournit une excellente assise pour élaborer une démarche cohérente et fondée sur des principes à l’égard des politiques publiques concernant les personnes âgées, et l’Outil d’évaluation en matière d’inclusion de la FPO constitue un exemple de la façon dont les considérations en matière de diversité peuvent être mises en pratique.

Le projet de la CDO s’appuie sur l’ensemble des travaux mentionnés ci-dessus pour examiner en profondeur et de manière holistique les enjeux du droit touchant les personnes âgées et leurs conséquences sur la conception et la mise en œuvre des lois et des politiques d’application générale comme particulière.

 

3.      Une démarche holistique et contextuelle 

Conformément à son Plan stratégique et comme plusieurs autres organismes actuels de réforme du droit, la CDO réalise autant des projets ciblés et techniques à portée restreinte que des projets d’envergure à vocation sociale qui requièrent une démarche multi et interdisciplinaire et un processus de consultation et de collaboration à grande échelle. Le présent projet appartient à la seconde catégorie.

Afin de cerner les expériences des personnes âgées vis-à-vis du droit, la CDO a fait appel non seulement aux travaux de recherche en droit, mais également à ceux réalisés dans les domaines des sciences sociales, de la santé et des politiques. Elle a cherché à comprendre les contextes social, économique et médical au sein desquels les personnes âgées ont des interactions avec le droit, ainsi qu’à trouver des approches qui permettraient au législateur et aux décideurs de tenir compte de ces contextes lors de la conception et de l’application de lois et de politiques susceptibles d’avoir une incidence sur les personnes âgées.

L’examen du parcours de vie fait partie des approches retenues pour tenir compte des expériences des personnes âgées. En effet, les expériences vécues par les personnes âgées dans leur enfance, leur jeunesse et leur maturité ont une influence inévitable sur leur santé, leur bien-être et leur sécurité financière dans leur vieillesse. Par exemple, selon l’Organisation mondiale de la santé, les politiques sur la santé et le vieillissement devraient prendre en compte le fait que les facteurs de risque des états chroniques comme le diabète et les maladies cardiaques émergent dès la petite enfance et sont influencés par d’autres facteurs durant le parcours de vie, comme la situation socioéconomique. Par conséquent, le risque de maladie non transmissible devrait être évalué durant tout le parcours de vie afin que les personnes âgées aient de meilleures chances de vivre une vieillesse en santé et active[12]. Le CNV recommande aux décideurs de considérer les effets cumulatifs sur les personnes âgées de demain des politiques et des programmes destinés aux groupes d’âges plus jeunes[13]. Reconnaissant que l’adoption d’une approche du vieillissement fondée sur le parcours de vie peut améliorer la compréhension des expériences et des réalités des personnes âgées et favoriser l’élaboration de politiques plus efficaces, la CDO analysera au besoin les lois et les politiques relatives au vieillissement sous l’angle du parcours de vie dans le cadre de ce projet. Par exemple, lors de la Conférence canadienne 2010 sur le droit des aînés, l’honorable juge Murray Sinclair, président de la Commission de vérité et de réconciliation, a effectué une telle analyse en soulignant la façon dont les rapports des personnes âgées autochtones avec le droit et le gouvernement sont façonnés par leur expérience des pensionnats dans leur jeunesse et par la nature des relations entre les Canadiens d’origine autochtone et la loi au cours de l’histoire.

Il est important de prendre en considération l’influence de divers facteurs sur le parcours de vie, notamment le sexe, le niveau de scolarité, la racialisation, le lieu de naissance, l’orientation sexuelle et l’incapacité. Par exemple, la participation des femmes au marché du travail diffère encore de celle des hommes en raison des responsabilités accrues de celles-ci à titre de pourvoyeuses de soins. Ce facteur a des répercussions importantes sur le type de retraite, de sécurité du revenu et de réseaux sociaux dont disposent les hommes et les femmes à un âge avancé. Ainsi, les politiques publiques doivent donc tenir compte des parcours de vie distincts des hommes et des femmes.

L’analyse du parcours de vie permet également de tenir compte de la diversité des personnes âgées. Étant donné l’influence des particularités du parcours de vie, la diversité des individus tend à s’accroître plutôt qu’à diminuer avec l’âge. Comme les personnes âgées ne forment pas un groupe homogène, il est essentiel de saisir les nuances de l’influence que peuvent avoir sur leur expérience du droit des facteurs comme le statut économique, le lieu de résidence, le niveau de scolarité, l’expérience de travail, l’âge, le sexe et la racialisation.

 

4.      Une démarche fondée sur des principes

Afin d’établir l’ensemble de principes sur lesquels repose sa démarche dans le domaine du droit touchant les personnes âgées, la CDO s’inspire du Cadre national sur le vieillissement et des Principes des Nations Unies pour les personnes âgées, ainsi que des travaux réalisés pour élaborer l’Outil d’évaluation des politiques en matière de santé mentale des aînés et l’Outil d’évaluation des politiques et programmes en matière de prévention des mauvais traitements à l’égard des personnes âgées. Les principes permettent de définir un cadre normatif du droit et de déterminer les buts que devraient viser les lois et les politiques relativement aux personnes âgées. Un cadre fondé sur des principes fournit une orientation générale tout en demeurant souple et adaptable à diverses situations.

L’établissement de ces principes est une étape importante, mais elle constitue le point de départ de la démarche, pas sa finalité. Le plus difficile reste à faire, soit définir avec précision la portée éventuelle et souhaitée de ces principes dans la vie des personnes âgées et élaborer un guide pratique pour la mise en pratique de ceux-ci dans le domaine du droit.

Dans certaines situations, il est possible que des principes entrent en conflit et qu’il faille trouver des moyens de les concilier. Tel est le défi d’une démarche fondée sur des principes, qui permet par ailleurs de cerner et d’analyser les complexités du droit touchant les personnes âgées.

Enfin, dans le cadre d’une telle démarche, il faut reconnaître que, même lorsqu’on souhaite mettre en œuvre l’ensemble des principes dans toute la mesure possible, certaines contraintes, comme des priorités stratégiques divergentes ou un financement limité, peuvent entraver la capacité du législateur et des décideurs à le faire. Dans ces circonstances, il faudra peut-être adopter une approche progressive visant à mettre en œuvre l’intégralité des principes en plusieurs étapes concrètes, planifiées et ciblées, qui se succéderont à l’intérieur d’une période relativement courte. Cependant, grâce à ces principes, nous pourrons évaluer le trajet qui nous reste à parcourir avant d’atteindre notre but ultime, soit une démarche anti-âgiste dans le domaine du droit.

 

5.       Le point de vue des personnes âgées

Si les principes constituent des éléments normatifs essentiels à l’établissement du cadre, ils doivent néanmoins s’appuyer sur les expériences et les réalités concrètes des personnes âgées. Autrement, ils entraîneront l’élaboration de programmes, de politiques et de lois inefficaces. Ainsi, la prise en compte des expériences et des points de vue des personnes âgées jouera un rôle central dans le cadre lui-même et dans son application pour élaborer certains aspects particuliers du droit.

Afin de respecter cet objectif, la CDO s’engage à consulter directement les personnes âgées lors de l’élaboration de son cadre définitif et à s’assurer que le présent projet reflète leurs opinions et leurs points de vue.

 

6.      L’établissement de bases solides

Le droit des aînés est un domaine assez récent. Les États-Unis ont précédé le Canada en cette matière, notamment avec la Older Americans’ Act qui attirait l’attention, dès 1965, sur des enjeux touchant les personnes âgées comme la nutrition, la socialisation et le logement. Cependant, ce n’est qu’en 1979 que l’American Bar Association a créé sa commission sur les problèmes juridiques des personnes âgées, et au milieu des années 1980 qu’a eu lieu la fondation de la National Academy of Elder Law[14].

Au Canada, les écoles de droit offrent très peu de cours sur le droit des aînés et la question est assez peu abordée dans les travaux universitaires sur le droit. De plus, il existe peu de praticiens du droit spécialisés dans le domaine, et, jusqu’à récemment, l’ACE était la seule clinique juridique canadienne vouée aux besoins et aux expériences des personnes âgées.

Cela étant dit, la situation est en voie de changer. Les personnes âgées se font entendre de plus en plus dans la société en général, et leurs rapports avec le droit font l’objet d’une attention accrue. Grâce à la concertation, des organismes de défense des droits des personnes âgées ont réussi à faire abroger des lois autorisant la retraite obligatoire en Ontario et en Colombie-Britannique et ont fait ressortir la nécessité de tenir compte des besoins, des droits et des réalités des personnes âgées dans les lois. Une nouvelle clinique juridique destinée aux personnes âgées vient d’ouvrir ses portes en Colombie-Britannique, et un certain nombre de projets sont en cours au pays afin d’améliorer l’accessibilité de celles-ci au droit. Enfin, grâce au Canadian Centre for Elder Law (CCEL), les besoins des personnes âgées sont considérés sous l’angle de la réforme du droit. 

Ainsi, comme on peut le constater, le droit des aînés est un domaine en pleine évolution. Consciente que son projet ne peut faire le tour de la question, la CDO cherche plutôt à établir des bases solides pour les recherches, les analyses et les débats à venir.

 

C.     Quelques commentaires sur la terminologie

Il n’existe aucun terme généralement reconnu pour désigner les personnes « plus âgées ». On emploie couramment les termes « aînés », « personnes âgées » et « personnes du troisième âge », et plus rarement « personnes du quatrième âge »[15].

Le terme « aînés » est très répandu. C’est probablement celui qui est le plus utilisé dans le langage courant. Les gouvernements l’emploient abondamment, en particulier en ce qui a trait aux programmes gouvernementaux destinés à ce groupe d’âge, comme les pensions et les mesures de soutien du revenu. Le terme est donc fréquemment associé à une conception chronologique du vieillissement et sert à identifier les personnes qui ont atteint l’âge d’admissibilité à certains programmes importants comme la Sécurité de la vieillesse et le Régime de pensions du Canada. C’est pourquoi Statistique Canada l’utilise précisément pour désigner les personnes de 65 ans et plus[16].

Le terme « anciens » désigne plus rarement les personnes âgées en tant que groupe, notamment pour éviter la confusion avec les Anciens chez les Autochtones, et parce qu’il revêt une connotation péjorative susceptible de renforcer les stéréotypes à l’égard de la fragilité et de la dépendance des personnes âgées.

L’expression « personnes âgées » est de plus en plus répandue, en particulier au sein des organismes internationaux et dans le domaine des droits de la personne. Elle met l’accent sur l’aspect relatif du vieillissement et évite les connotations péjoratives associées à d’autres termes.

Dans le cadre du présent rapport provisoire, le terme « anciens » désignera uniquement les personnes qui occupent le rôle culturel et communautaire associé à celui des Anciens au sein des collectivités autochtones. Le terme « aînés » sera employé pour parler du vieillissement d’un point de vue chronologique, par exemple, lorsqu’il sera question de l’admissibilité à un programme ou à un avantage en fonction de l’âge (habituellement 65 ans). Dans tous les autres cas, la CDO utilisera le terme « personnes âgées ». 

Selon la définition qu’on lui donne, la « vieillesse » peut s’échelonner sur une très longue période, pouvant dépasser trente années. Au cours de cette période, la situation d’une personne est susceptible d’évoluer considérablement, ce dont ne rend pas compte le terme « vieillesse ». C’est pour cette raison que l’on répartit souvent les personnes âgées en trois catégories : les personnes du troisième âge ou les « vieux jeunes », qui ont de 65 à 74 ans, celles du quatrième âge ou les « personnes moyennement âgées », qui ont de 75 à 84 ans, et celles du cinquième âge ou les « personnes très âgées », qui ont plus de 85 ans. Cette distinction vise à rendre compte des différences importantes entre les trois groupes d’âge sur les plans de la santé, de la participation à la vie active, du revenu, des conditions de vie et d’autres facteurs clés[17]. Néanmoins, certains ont émis des réserves à propos de cette classification, faisant valoir que, contrairement à son objectif, qui est de réduire les stéréotypes à propos des personnes âgées, celle-ci estompe les particularités individuelles du processus de vieillissement et ne fait que reporter les stéréotypes et les attitudes âgistes sur les personnes du cinquième âge[18]. Par conséquent, la CDO n’adoptera pas cette classification. 

 

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