A.    Tenir compte des personnes âgées

Pour élaborer une démarche anti-âgiste dans le domaine du droit, il faut d’abord reconnaître que les personnes âgées forment un groupe dont les besoins et les expériences diffèrent, sur certains aspects, de ceux des autres, que ce soit en raison de leurs parcours de vie, des structures sociales ou de la marginalisation et des stéréotypes dont elles sont victimes. En outre, si l’on veut que les personnes âgées soient reconnues comme des citoyens importants, il faut tenir compte des besoins et des réalités qui leur sont propres dans l’élaboration des lois, des politiques et des programmes.

Comme on le verra plus en détail au chapitre III de ce rapport, il existe de nombreux stéréotypes assez répandus sur les personnes âgées. Or, une loi ou une politique basée sur des stéréotypes risque d’avoir des répercussions négatives sur cette population. Pour éviter que cela ne se produise, il importe de consulter directement les personnes âgées et de prêter attention à leurs expériences et à leurs points de vue. De plus, il faut s’appuyer sur les plus récentes recherches au sujet des personnes âgées, de sorte que les lois, les politiques et les pratiques reposent sur des faits plutôt que sur des hypothèses. 

Étant donné que les personnes âgées forment un groupe très hétérogène, il peut être difficile d’élaborer des lois ou des politiques qui prennent en compte leurs besoins et leurs réalités. Le « troisième âge » s’échelonne sur plusieurs décennies, et les personnes âgées en tant que groupe reflètent toute la diversité de la population en général, notamment sur les plans de l’origine raciale et ethnique, de l’orientation sexuelle, de la santé et de l’incapacité, de l’éducation et du statut socioéconomique, du statut de citoyenneté et d’immigration, ainsi que de la situation de famille. Contrairement à la tendance qui consiste à croire que les personnes âgées forment un groupe homogène caractérisé avant tout par l’âge, les différences entre les personnes âgées tendent à s’amplifier au fil du parcours de vie. Par conséquent, il faut considérer les personnes âgées non pas comme un groupe uniforme, mais plutôt comme une catégorie plus vaste qui englobe de nombreux sous-groupes de personnes présentant certains points communs, mais dont les expériences diffèrent à de nombreux égards.

Les sections suivantes de ce chapitre présentent certains éléments essentiels des expériences vécues par les personnes âgées. Étant donné que les possibilités sont trop nombreuses, même pour le plus volumineux des documents, il est impossible d’aborder toutes les situations qui touchent les personnes âgées. Le présent chapitre vise plutôt à proposer certains facteurs concernant les personnes âgées dont on devrait tenir compte pendant l’élaboration de lois ou de politiques.

En outre, cette réflexion sur les expériences et les réalités des personnes âgées est axée sur les aspects qui peuvent influer sur les rapports des personnes âgées avec le droit. Les chapitres IV et V de ce rapport provisoire présentent certains aspects clés des interactions des personnes âgées avec le droit, y compris avec certaines lois avec lesquelles les personnes âgées sont particulièrement susceptibles d’entrer en contact et les façons dont celles-ci peuvent accéder au droit et à la justice. Par exemple, la plupart des interactions des personnes âgées avec le droit se situent dans le contexte de leurs relations, que ce soit avec des membres de leur famille ou avec certains types d’établissements, comme les foyers de soins de longue durée. De plus, le droit intervient souvent à des moments décisifs de la vie des personnes âgées, comme le passage d’un emploi rémunéré à la retraite et à l’accès aux programmes de sécurité du revenu, ou encore le déménagement d’une résidence au sein de la collectivité à un certain type d’habitation subventionnée ou collective. Ce chapitre donne un bref aperçu des réalités des personnes âgées afin de faciliter la compréhension du contexte de lois et de politiques dans lequel ces réalités s’inscrivent.

Il convient de noter que, même si certains aspects de la vie des personnes âgées sont étroitement liés aux changements biologiques du vieillissement et que, par conséquent, l’on peut supposer qu’ils sont relativement invariables, aucune des caractéristiques mentionnées plus bas n’est coulée dans le béton. Les réalités des personnes âgées sont façonnées par leur parcours de vie, et compte tenu de la rapidité de l’évolution sociale au cours du dernier siècle, les personnes qui atteignent maintenant le troisième âge ont vécu des expériences très différentes de celles qui appartiennent actuellement au groupe des 80 à 99 ans en ce qui concerne l’éducation, les possibilités d’emploi et les habitudes de travail, les rôles attribués aux sexes et bien d’autres facteurs. De plus, la vie des personnes âgées est grandement influencée par les structures et les réalités sociales actuelles, lesquelles ne cessent de changer. Les choix en matière de milieu de vie et de soins à domicile; l’accès à des soins informels en raison des structures familiales changeantes; et les effets du contexte économique actuel sur les régimes de retraite, l’épargne et les investissements ne sont que quelques exemples des contraintes et des possibilités en constante évolution auxquelles font face les personnes âgées. La réforme du droit doit reposer sur des recherches actuelles et explorer les éventuelles tendances.

 

B.    Que signifie le terme « personne âgée »? Démarches et définitions

Les définitions dans ce domaine font l’objet de nombreux débats. L’âge devrait-il être utilisé comme une catégorie? Que signifie le terme « troisième âge »? Qui devrait-on considérer comme une « personne âgée »?

 

1.      L’âge en tant que catégorie

Le recours à l’âge pour catégoriser les gens est une pratique si courante qu’elle passe pratiquement inaperçue. L’âge marque des moments charnières attendus de notre parcours de vie : l’âge où l’on devrait commencer l’école, entrer sur le marché du travail, fonder une famille, prendre notre retraite, etc. La jeunesse et la vieillesse sont souvent associées, dans l’esprit des gens, à des qualités particulières; par exemple, on associe la jeunesse à la vivacité, à la curiosité et à l’exploration, et la vieillesse, à la sagesse et à l’intuition.

Le droit utilise aussi fréquemment l’âge, autant à une extrémité du spectre qu’à l’autre, comme catégorie permettant de faire des distinctions. L’appartenance au troisième âge constitue souvent une condition d’admissibilité à certains avantages, comme les régimes de retraite ou les programmes de soutien du revenu, un jalon entraînant des obligations supplémentaires, comme l’obligation de passer l’examen de conduite pour personnes âgées, ou encore la base sur laquelle certaines personnes sont exclues d’activités ou des avantages particuliers, par exemple, la retraite obligatoire ou les prestations d’assurance-emploi.

Compte tenu de l’attention croissante portée aux enjeux des politiques sociales concernant les personnes âgées, ainsi qu’aux obstacles et aux attitudes négatives auxquels elles font face, on commence à réévaluer la pertinence d’utiliser l’âge comme catégorie. Le projet de la Commission du droit du Canada, Une question d’âge : les rapports entre les générations et le droit, est un exemple éloquent de cette tendance[19]. On reconnaît de plus en plus que les distinctions fondées sur l’âge, tout comme celles fondées sur la race, le sexe, l’orientation sexuelle ou l’incapacité, ne sont pas toujours établies en fonction d’un besoin et peuvent être blessantes, miner la dignité des personnes âgées et avoir des répercussions négatives considérables sur celles-ci. À cet effet, la Commission ontarienne des droits de la personne a déclaré ce qui suit :

La discrimination fondée sur l’âge n’est pas perçue comme une forme de discrimination aussi importante que les autres, malgré qu’elle puisse avoir les mêmes conséquences économiques, sociales et psychologiques que toute autre forme de discrimination[20].

En outre, comme il est indiqué dans le chapitre IV du présent rapport, certaines décisions de la Cour suprême du Canada suggèrent que les distinctions fondées sur l’âge peuvent être perçues en droit de manière différente (et moins critique) que celles qui sont basées sur d’autres motifs énumérés, comme l’incapacité ou le sexe[21]. 

Les distinctions fondées sur l’âge peuvent reposer sur des stéréotypes âgistes concernant les capacités, la valeur et les apports des personnes âgées. Elles peuvent également renforcer des opinions âgistes : on a fait remarquer que le recours aux catégories entraîne inévitablement l’homogénéisation et peut créer des tensions entre les groupes sociaux[22]. L’utilisation de l’âge comme catégorie surestime l’importance de l’âge chronologique comme facteur qui détermine les intérêts et les préférences, les capacités et les limites, les désirs et les craintes d’une personne et mine notre capacité de percevoir les personnes âgées comme des individus uniques. À cet égard, la Commission du droit du Canada fait observer ceci :

La catégorisation des gens selon l’âge aux fins d’accorder des avantages ou d’imposer des restrictions comporte des inconvénients. Les catégories mènent à des comparaisons et encouragent les gens à faire ressortir les différences entre les groupes d’âge; cela peut mener à des stéréotypes et à des hypothèses erronées. La catégorisation peut également empêcher de reconnaître les similarités entre les groupes d’âge et les différences au sein des groupes d’âge[23].

Le fait d’établir des distinctions et d’inclure ou d’exclure certaines personnes en fonction de caractéristiques précises peut aller à l’encontre du principe de la « conception inclusive ». En effet, au lieu de se concentrer sur les caractéristiques généralement associées à l’âge et au vieillissement, il peut être préférable de se pencher sur la façon de concevoir des programmes et des politiques qui tiennent compte des besoins et des réalités de tous, indépendamment de l’âge et des capacités[24]. Cela ne signifie pas qu’il faut ignorer les différences, y compris celles qui sont fondées sur l’âge ou les capacités, mais plutôt que nous devons admettre que la variation fait partie intégrante de la condition humaine et qu’il faut en tenir compte dans nos plans et nos modèles, dans la mesure du possible.

Un certain nombre de solutions de rechange à l’utilisation de l’âge comme catégorie ont été proposées, par exemple, le recours à des moments décisifs de la vie (comme le retrait du marché du travail ou le déménagement dans un foyer de soins de longue durée), à des critères propres aux générations ou à la déclaration volontaire[25]. Bien entendu, ces solutions ne conviennent pas dans tous les cas – il est, en effet, difficile d’imaginer un programme de soutien du revenu basé sur la déclaration volontaire – et sont souvent plus difficiles et onéreuses à mettre en œuvre que les catégories fondées sur l’âge. 

Cependant, bien que l’utilisation des catégories fondées sur l’âge risque de renforcer les opinions âgistes, de telles catégories sont aussi essentielles pour relever et décrire les formes d’âgisme ancrées dans les institutions. Si nous n’utilisions pas l’âge comme point de repère dans les recherches en sciences sociales, nous ne serions pas en mesure, notamment, de cerner les écarts au chapitre du revenu, de l’accès aux possibilités ou de la prestation de services et de tenter de combler ces écarts. Il est impossible d’enrayer l’âgisme sans mesurer les différences qui se manifestent en cours de vie. Puisque ce projet vise l’élaboration d’une démarche anti-âgiste dans le domaine du droit, il convient d’examiner ce qu’on entend par « troisième âge », à tout le moins pour les besoins du présent projet.

Cela ne signifie pas, toutefois, que l’âge est toujours utilisé à juste titre comme catégorie. L’utilisation de catégories explicitement fondées sur l’âge dans les lois et les politiques sera examinée plus en profondeur dans le chapitre IV de ce rapport provisoire.

 

2.      Démarches en vue d’une définition 

Si l’on reconnaît la nécessité d’utiliser l’âge comme catégorie dans certains cas, la difficulté qui se pose consiste à définir l’appartenance à cette catégorie. Si « vieux » et « jeune » ou, à tout le moins, « plus vieux » et « plus jeune » sont des distinctions pratiques, comment devrait-on établir ces distinctions? Encore une fois, on ne s’entend pas sur la question.

On a fait remarquer que les étiquettes de « jeune » et de « vieux » sont de nature 

relative et échappent à la catégorisation rigide :

[traduction] Dans le contexte de la jeunesse et de la vieillesse, la nature instable et socialement construite de nos catégories devient particulièrement évidente. La vie d’une personne est en constante évolution. Cependant, à de multiples fins, la société définit le processus du vieillissement comme une succession de stades clos : l’enfance, telle qu’elle est définie par l’État, se termine exactement à 18 ans, le moment où débute l’âge adulte, qui se poursuit jusqu’à 65 ans. Ces délimitations générales sont justifiées par des caractéristiques physiques, psychologiques ou développementales. Plus important encore, elles ont une utilité sociale, légale et politique […] Cependant, elles sont définies de façon arbitraire […] [L]e processus du vieillissement est à la fois individuel et progressif : nous ne serons pas tous rendus au même point sur les plans physique, mental et même financier lorsque nous atteindrons 65 ans. En outre, nous ne nous réveillerons pas vieux un matin simplement parce que nous avons reçu notre premier chèque de pension[26].

Il existe trois démarches communément adoptées pour définir une personne « âgée » ou « plus âgée » : la démarche chronologique, la construction sociale et la déclaration volontaire.

 

La démarche chronologique

Malgré la nature relative de l’âge et du vieillissement, il n’est pas rare, encore de nos jours, de tomber sur des définitions fondées sur un certain âge chronologique, bien que cet âge puisse varier. Par exemple, à l’échelle internationale, l’Organisation mondiale de la santé a adopté l’âge de 60 ans comme le point de transition à la « vieillesse ». En Ontario, les rabais consentis aux personnes âgées et autres programmes privés fixent diverses limites d’âge variant entre 55, 60 et 65 ans. Au Canada, l’âge de 65 ans sert souvent de seuil d’admissibilité à de nombreux avantages et programmes, puisqu’il est depuis longtemps étroitement associé au moment décisif que représente le retrait de la vie active, une étape de la vie qui entraîne d’importants changements dans les niveaux et les sources de revenus, les activités, les attentes et le statut social. 

Les changements dans les comportements de la population active et l’abolition de la retraite obligatoire dans une grande partie du Canada ont atténué l’association entre l’âge de 65 ans et le retrait de la vie active, et cette tendance devrait se poursuivre. De plus, puisque l’état de santé de la population s’améliore et que l’espérance de vie augmente, 65 ans n’est plus considéré comme un âge particulièrement avancé.

Néanmoins, comme l’âge de 65 ans est couramment associé au passage au statut d’« aîné » et qu’il constitue un point de repère facile à mesurer et à comprendre, de nombreuses lois et institutions sociales continuent de l’utiliser pour désigner l’entrée dans la « vieillesse ». Pour ces raisons, Statistique Canada utilise l’âge de 65 ans comme point de repère pour brosser un portrait statistique de la population d’aînés au Canada[27].

 

Identité sociale et perception du public

Malgré sa clarté et sa simplicité, l’utilisation d’un seul point chronologique pour marquer la transition à la vieillesse comporte des désavantages considérables, puisque chaque personne vieillit à un rythme différent, autant sur les plans biologique que social. Par conséquent, certains ont adopté des démarches plus comparatives et relativistes, qui tiennent compte des dimensions sociales du vieillissement, pour définir les termes « vieillesse » et « personnes âgées ». La Commission ontarienne des droits de la personne (CODP), dans sa Politique sur la discrimination fondée sur l’âge à l’endroit des personnes âgées, a adopté la définition suivante :

Le terme « âgé » n’entend pas dénoter la « vieillesse » ni stigmatiser les personnes d’aucune façon. Il est utilisé simplement comme concept relatif, c’est-à-dire qu’il qualifie des personnes plus âgées que celles qui sont moins susceptibles de subir les types particuliers de discrimination qui sont traités. 

Il convient de se rappeler que le concept d’« âge » peut être contextuel. Par exemple, alors que l’on considère généralement que les travailleurs âgés sont ceux qui ont plus de 45 ans, dans un milieu de travail où la moyenne d’âge est de 25 ans, une candidate ou un candidat âgé de 37 ans pourrait se voir refuser un poste de crainte qu’il ne puisse pas bien s’intégrer à la culture du milieu de travail. Dans certaines situations, par exemple, lorsque la discrimination alléguée porte sur des attitudes et des stéréotypes négatifs sur le vieillissement, il convient donc d’examiner la question non pas en fonction de l’âge absolu ou réel, mais de l’âge relatif. Dans d’autres contextes, l’âge réel peut être un facteur pertinent, par exemple, lorsque l’âge de la personne est utilisé pour déterminer son admissibilité à un programme ou à un service[28].

Ces deux démarches ne sont pas nécessairement incompatibles, puisque celle qui est la plus apte à contrer les attitudes négatives envers les personnes âgées et la discrimination fondée sur l’âge peut être différente de celle qui est la plus appropriée pour décrire les caractéristiques démographiques des Canadiens. Cependant, il est vrai qu’elles soulèvent deux aspects différents de l’identité sociale liée au vieillissement. Le premier, qui se rapporte à l’âge chronologique, est fondé sur une identité gérée de façon administrative et sert généralement de variable substitutive pratique pour les évaluations plus complexes de l’admissibilité aux programmes. Par exemple, le gouvernement utilise souvent notre date de naissance pour déterminer nos droits et responsabilités. Le deuxième aspect du vieillissement est transmis par l’apparence physique du corps et la façon de se présenter dans divers contextes sociaux, et n’est ainsi pas particulièrement lié à une date ou à un âge précis[29].

 

Déclaration volontaire

Dans son récent Rapport final, le Comité sénatorial spécial sur le vieillissement, reconnaissant la diversité des personnes âgées, a évité de définir les termes « vieillesse » et « personnes âgées », laissant aux lecteurs le soin de déterminer si le statut de personne âgée leur correspondait ou non : 

En dernière analyse, nous laissons au lecteur le soin de décider ce qu’il entend par personne âgée. Il y a autant de façons de vieillir qu’il y a de personnes vieillissantes. Le terme aîné convient tout à fait à certaines personnes dans la soixantaine; heureuses de leur statut, elles peuvent y voir une consécration de la sagesse que procure l’expérience ou le signe d’une retraite bien méritée après une vie de travail.

D’autres en revanche se hérissent devant cette étiquette et les images qui y sont associées.

Nous emploierons donc les termes « aînés » et « personne âgée » au sens large, en laissant au lecteur le soin de décider s’il se sent concerné[30].

 

3.      La démarche de la CDO

Le présent projet se concentre sur les rapports du droit avec les personnes âgées. L’expérience du vieillissement est le résultat d’une interaction complexe entre les changements biologiques (qui varient d’une personne à l’autre), le parcours de vie, les contraintes et les possibilités découlant des structures sociales ainsi que les diverses identités des personnes âgées. Compte tenu de cette complexité et des multiples interactions entre le droit et l’âge, il serait impossible, aux fins de ce projet, d’adopter une définition unique pour le terme « personne âgée ».

Dans certains cas, le droit utilise l’âge chronologique comme critère pour déterminer l’admissibilité à des avantages, imposer des exigences ou refuser des possibilités; dans de telles situations, les aspects administratifs de l’identité fondée sur l’âge revêtent une importance capitale. Lorsque les personnes responsables de l’élaboration ou de l’administration du droit risquent d’être influencées par des attitudes négatives ou des stéréotypes liés à l’âge, une démarche plus comparative fondée sur l’identité sociale perçue et l’incidence des opinions âgistes s’avère plus appropriée. La déclaration volontaire peut se révéler utile pour illustrer comment la culture, les expériences personnelles et les attentes sociales influent sur le processus du vieillissement. 

Certains aspects des rapports du droit avec les personnes âgées abordent plusieurs dimensions du vieillissement. Si l’on examine les rapports d’un résident d’un foyer de soins de longue durée avec le droit, les facteurs en cause peuvent comprendre les problèmes de santé qui accompagnent parfois le vieillissement; la présence ou l’absence de sources de soutien social, comme les aidants et intervenants naturels, ou l’accès aux soins à domicile et aux soins de santé formels; les comportements des membres de la famille, des amis et du personnel des foyers de soins de longue durée envers les personnes âgées; ainsi que les espoirs et les attentes de ces dernières à l’égard de leurs droits, de leur milieu de vie et de leur niveau de vie. Pour raffiner encore davantage l’analyse, on peut également tenir compte des éventuelles conséquences du sexe ou de la catégorisation dans un groupe d’âge particulier. Par exemple, les attentes sociales, l’accès à l’éducation, les rôles en matière de prestation de soins et la segmentation du marché du travail ont une incidence importante sur les ressources financières et sociales dont disposent les femmes âgées qui s’établissent dans une habitation collective.

Ce projet vise toutes les personnes considérées comme « âgées » ou « plus âgées », selon les cadres juridiques ou stratégiques et selon les attitudes et les perceptions sociales, ou qui se perçoivent comme telles.

 

C.      Comprendre les réalités des personnes âgées

La présente section donne un aperçu de certains aspects essentiels de la vie des personnes âgées qui expliquent à quel moment et en quoi les besoins et les réalités de celles-ci et, par le fait même, leurs rapports avec le droit peuvent différer de ceux des adultes plus jeunes. Puisque chaque aîné a des réalités qui lui sont propres, et compte tenu des contraintes d’espace, cette section ne se veut pas un résumé complet de tous ces aspects, mais vise plutôt à souligner certains facteurs clés qui s’avèrent particulièrement pertinents au chapitre de l’interaction des personnes âgées avec le droit.

En outre, il ne faut pas oublier qu’en raison des bouleversements démographiques en cours, des attitudes sociales changeantes et des contextes législatifs et stratégiques qui évoluent rapidement, les réalités des personnes âgées ne cessent de changer. Au moment où l’abolition de la retraite obligatoire prévue par la loi présente de nouvelles possibilités pour certaines personnes âgées dont la sécurité financière dépend de leur travail, un changement économique rapide risque de miner la sécurité des gens qui se sont déjà retirés du marché du travail. En Ontario, les récentes réformes des lois régissant les foyers de soins de longue durée et les résidences pour personnes âgées risquent de transformer profondément les milieux de vie des personnes âgées. Les réalités d’aujourd’hui ne seront peut-être pas celles de demain. 

De plus, la vie et les réalités des personnes âgées sont grandement façonnées non seulement par les lois et les politiques actuelles, mais aussi par celles qui étaient en vigueur lorsqu’elles étaient des enfants, de jeunes adultes et des personnes d’âge mûr. Par exemple, le niveau d’alphabétisation des gens qui sont maintenant âgés est le résultat des décisions en matière de politique publique qui ont été prises il y a plusieurs décennies et des conditions socioéconomiques qui régnaient à cette époque. Les défis actuels associés à l’accès des octogénaires d’aujourd’hui à l’information sur leurs droits et responsabilités sont issus des décisions prises il y a longtemps par les gouvernements, les familles et les individus.

Cette situation a deux conséquences sur l’évaluation des lois et des politiques touchant les personnes âgées. Premièrement, les lois et les politiques élaborées pour tenir compte des réalités des personnes faisant actuellement partie du troisième âge doivent reposer sur une compréhension approfondie de la façon dont le parcours de vie de ces personnes a modelé leurs expériences et leurs besoins actuels. Deuxièmement, pour comprendre l’incidence des lois, des politiques et des pratiques sur les personnes âgées, il importe d’évaluer la manière dont les lois et les politiques en vigueur façonnent la vie de ceux qui appartiendront un jour à ce groupe. Quelle influence nos lois et politiques auront-elles sur les vieux jours de ceux qui sont actuellement des enfants, des jeunes ou des adultes d’âge mûr?

 

1.      Les personnes âgées au Canada et en Ontario : un aperçu

Tendances démographiques 

Il n’est guère nouveau d’affirmer que la population de l’Ontario et du Canada en général vieillit et continuera de vieillir en raison à la fois des faibles taux de fécondité, de l’espérance de vie plus longue et des répercussions de la génération du baby-boom. En 1981, les personnes âgées de plus de 65 ans ne représentaient que 9,6 pour cent de la population du Canada. En 2005, ce chiffre s’établissait à 13,1 pour cent. Selon les prévisions, en 2036, les personnes de plus de 65 ans formeront environ le quart de la population du Canada[31]. En Ontario, la part de la population de plus de 65 ans est actuellement légèrement inférieure à la moyenne nationale, à environ 12,8 pour cent en 2005[32]. Indépendamment de la proportion de la population appartenant à la catégorie de « personne âgée », il est nécessaire de tenir compte des besoins des personnes âgées pendant l’élaboration des lois, et cette nécessité est d’autant plus urgente vu l’expansion de cette population.

 

Niveau de scolarité et d’alphabétisation

Le niveau de scolarité est un important facteur à prendre en considération pour comprendre les réalités des personnes âgées, non seulement parce qu’il a une incidence sur leur accès à l’information, mais aussi parce qu’il est étroitement lié à d’autres aspects clés de la vie des personnes âgées. Par exemple, une personne dont le niveau de scolarité est plus élevé est généralement en meilleure santé et est moins susceptible de toucher un faible revenu ou d’être isolée socialement.

Dans l’ensemble, le niveau de scolarité des personnes âgées est plus faible que celui de la population en général; cependant, les choses changent. L’augmentation de l’accès aux études supérieures dès les années 1960 apporte un important changement, depuis les 20 dernières années, dans le niveau de scolarité des personnes âgées. La part des personnes âgées qui n’ont pas terminé leurs études secondaires ne cesse de diminuer, tandis que la proportion d’entre elles qui ont fait des études postsecondaires augmente. Cette tendance s’applique autant aux hommes qu’aux femmes et elle se poursuivra, compte tenu des niveaux de scolarité actuels. À l’heure actuelle, tout juste un peu moins de la moitié des hommes âgés de 65 ans et plus n’ont pas leur diplôme d’études secondaires, tandis que moins de 10 pour cent d’entre eux sont titulaires d’un diplôme universitaire. Une étude menée en 2003 a révélé que plus de 80 pour cent des Canadiens de plus de 65 ans avaient une compréhension de textes suivis jugée inférieure au seuil souhaité pour pouvoir s’en tirer dans une société du savoir complexe, comparativement à 40 pour cent chez la population âgée de 16 à 45 ans et à environ 45 pour cent parmi les gens âgés de 46 à 55 ans. La même tendance s’observait dans le domaine de la numératie. Encore une fois, les niveaux d’alphabétisation et de numératie des personnes âgées augmenteront probablement à l’avenir, selon les tendances actuelles en matière d’éducation[33].

La technologie de l’information et l’informatique sont des moyens de communication de l’information et d’accès à l’information de plus en plus utilisés. Le nombre d’aînés qui disposent d’un ordinateur personnel et d’un accès à Internet à domicile augmente constamment, bien qu’il demeure beaucoup plus faible que chez les groupes d’âge plus jeunes. Les hommes âgés sont plus susceptibles d’utiliser Internet ou le courriel que les femmes âgées, et l’on observe une certaine corrélation entre les niveaux de scolarité plus élevés et l’utilisation de la technologie de l’information et des ordinateurs. Les aînés se sentent, de façon générale, beaucoup moins à l’aise que les utilisateurs plus jeunes d’installer ou de mettre à jour des logiciels, mais la majorité d’entre eux croient que leurs compétences en informatique répondent à leurs besoins actuels[34].

 

Participation au marché du travail 

Au Canada, les personnes âgées de 50 ans ou plus représentent environ le quart de la population active. Bien que la participation au marché du travail diminue avec l’âge, un peu moins de 300 000 Canadiens âgés de 65 ans et plus étaient actifs en 2004[35]. 

Au cours des 30 dernières années, la participation des personnes âgées au marché du travail a changé constamment. Entre le milieu des années 1970 et le milieu des années 1990, le taux d’activité des hommes âgés a subi une chute importante. Toutefois, entre 1996 et 2004, il a augmenté de façon régulière et considérable, autant chez les 55 à 65 ans que chez les 65 ans et plus[36]. Bien que le taux de participation au marché du travail des femmes âgées demeure beaucoup plus faible que celui des hommes, il ne cesse d’augmenter depuis les années 1970. En 2004, le taux d’activité des femmes âgées de 55 à 64 ans s’élevait à 49 pour cent, tandis qu’il était de 11 pour cent chez les femmes de 65 ans et plus[37]. Les titulaires d’un diplôme universitaire, les hommes comme les femmes, sont bien plus susceptibles de demeurer au sein du marché du travail en vieillissant, et cela est d’autant plus vrai pour les personnes de 65 ans et plus. 

Compte tenu des changements dans les structures professionnelles, comme l’augmentation des emplois atypiques et la diminution du nombre de travailleurs participant à un régime de pension agréé[38], les sondages révèlent que la proportion de Canadiens souhaitant continuer à travailler après 65 ans ou aussi longtemps que leur état de santé le leur permet continue de croître : en 2003, 26 pour cent des personnes sondées par Décima ont exprimé ce point de vue[39].

Une proportion importante et stable de travailleurs âgés occupe un emploi à temps partiel. Plus du tiers des travailleurs masculins de plus de 65 ans travaillent à temps partiel, tandis que les travailleurs à temps partiel forment environ 10 pour cent des hommes âgés de 55 à 64 ans. Pour ce qui est des femmes actives de plus de 65 ans, près des deux tiers travaillent à temps partiel, tandis que les travailleuses à temps partiel représentent environ le tiers des femmes âgées de 55 à 64 ans[40]. Dans l’ensemble, les personnes âgées sont bien plus susceptibles que les plus jeunes d’occuper un poste à temps partiel. Elles sont également plus susceptibles d’occuper un emploi temporaire ou d’être des travailleurs indépendants. Le rapport du Groupe d’experts sur les travailleurs âgés fait l’observation suivante :

Une forte proportion de travailleurs âgés travaillent dans des emplois atypiques. Ces types de régime d’emploi peuvent permettre aux travailleurs âgés d’avoir les coudées franches dans leur vie. Les travailleurs âgés peuvent mieux gérer l’équilibre entre le travail et la famille, et les travailleurs retraités peuvent retourner sur le marché du travail, participer au niveau qu’ils choisissent, arrondir leur revenu de retraite et s’impliquer dans un travail significatif.

Pourtant, la croissance de l’emploi à temps partiel pourrait également témoigner d’un manque de possibilités d’emploi à temps plein, et les emplois à temps partiel ou d’autres types d’emplois atypiques peuvent ne pas toujours être le premier choix des travailleurs âgés […] Si l’emploi atypique donne aux travailleurs âgés l’occasion d’exercer un plus grand choix et une plus grande flexibilité dans la façon dont ils participent au marché du travail, bon nombre souhaitent continuer et être productifs au moyen d’un emploi à temps plein[41].

Bien que les travailleurs âgés réussissent généralement bien sur le marché du travail, certains d’entre eux sont vulnérables. Parmi les travailleurs au chômage, une forte proportion de ceux qui sont âgés de 55 à 64 ans tend à perdre leur emploi contre leur gré. Lorsqu’ils sont au chômage, les travailleurs âgés tendent à rester en moyenne plus longtemps sans travail. En outre, l’incidence du chômage à long terme augmente avec l’âge[42].

Les travailleurs âgés doivent également affronter d’autres défis : ils peuvent être concentrés dans certaines industries en déclin, éprouver de la difficulté à avoir accès à la formation et à l’éducation et devoir faire face à des coûts élevés en cas de perte d’emploi (par exemple, parce qu’ils doivent déménager)[43]. 

Les travailleurs âgés peuvent également faire face à un éventail d’attitudes négatives de la part d’employeurs ou d’employeurs potentiels, ce qui peut leur compliquer la tâche pour se trouver ou conserver un emploi. Dans son rapport de consultation sur la discrimination fondée sur l’âge à l’endroit des personnes âgées, la Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) rapporte ce qui suit :

Les commentaires reçus sur la discrimination basée sur l’âge en milieu de travail ont servi à confirmer les problèmes mentionnés dans le Document de travail de la Commission. En particulier, beaucoup se sont plaints que les stéréotypes et les attitudes négatives envers les travailleurs âgés (dès l’âge de 45 ans!) sont monnaie courante dans le monde du travail. En effet, certains croient que les aînés sont moins ambitieux et dynamiques, plus paresseux et incapables d’assimiler de nouvelles connaissances. Certaines personnes âgées se sont plaintes de s’être vu refuser des occasions de perfectionnement ou d’avancement et d’avoir été mises à pied à cause de leur âge. D’autres ont signalé les difficultés qu’elles ont eues à trouver de l’emploi à leur âge […] Beaucoup ont déclaré que ce sont les aînés qui souffrent davantage de la réorganisation de l’entreprise et de ses licenciements massifs[44].

 

Sécurité du revenu

En ce qui concerne la sécurité du revenu, la situation financière des Canadiens âgés s’est grandement améliorée au cours des 25 dernières années. En effet, leur revenu moyen avant impôt a augmenté de près de 25 pour cent au cours de cette période, et le nombre de personnes âgées à faible revenu a considérablement diminué, et ce, indépendamment de la mesure du faible revenu utilisée. Cela s’applique à tous les groupes de personnes âgées, hommes ou femmes, célibataires ou mariés[45]. Cependant, des différences subsistent lorsqu’on compare les groupes de personnes âgées, et certains ont plus profité de cette augmentation du revenu que d’autres. 

En 2003, la part des aînés à faible revenu était de 15 pour cent, lorsqu’on la mesure à l’aide du seuil de faible revenu avant impôt, ou d’environ 7 pour cent si on la mesure selon le seuil de faible revenu après impôt[46]. Les personnes âgées seules étaient beaucoup plus susceptibles d’avoir un faible revenu que les couples mariés. Les femmes seules forment la proportion la plus élevée de personnes à faible revenu, selon le seuil de faible revenu avant impôt, à un peu moins de 19 pour cent. En raison des conséquences des rôles traditionnellement attribués aux sexes, de nombreuses femmes âgées dépendent de leur époux en matière de sécurité du revenu et peuvent se retrouver dans la catégorie des personnes à faible revenu après la mort de celui-ci[47]. Le taux d’aînés à faible revenu est désormais plus faible au Canada que dans la plupart des pays industrialisés, notamment la Suède, les États-Unis et la Grande-Bretagne[48]. 

L’avoir des personnes âgées a également augmenté au cours des 25 dernières années. En 1999, l’avoir moyen d’une famille dirigée par une personne de 65 ans ou plus s’élevait à 126 000 $. Près des trois quarts des personnes âgées de 65 à 74 ans habitent leur propre résidence, et la plupart d’entre elles ont terminé de rembourser leur hypothèque. Le taux de propriétaires diminue chez les personnes âgées de 75 ans et plus[49]. 

La maturité du Régime de pensions du Canada et la création de divers programmes de soutien du revenu à l’intention des personnes âgées ont joué un rôle important dans l’augmentation du revenu des aînés. Les prestations du Régime de pensions du Canada et du Régime de rentes du Québec représentent présentement environ 20 pour cent du revenu des personnes âgées. En outre, plus de 95 pour cent des aînés touchent des prestations des programmes de la Sécurité de la vieillesse, du Supplément de revenu garanti ou de l’Allocation au survivant. Les aînés ont également profité considérablement des améliorations apportées à la protection offerte par les régimes de pension privés dans les années de l’après-guerre. En 2003, près de 70 pour cent des hommes âgés de 65 ans et plus et tout juste un peu plus de la moitié des femmes touchaient un revenu d’un régime de pension privé[50]. 

Cependant, comme il a été mentionné plus haut, le nombre de participants à un régime de pension agréé est à la baisse, ce qui signifie qu’à l’avenir, la sécurité financière de bien des personnes âgées pourrait être compromise[51]. De plus, ce ne sont pas tous les aînés qui ont droit à ces prestations. Les immigrants âgés, par exemple, ne sont pas admissibles aux prestations de la Sécurité de la vieillesse avant d’avoir habité au Canada pendant 10 ans; cette politique est reconnue pour avoir d’importantes conséquences sur la sécurité financière et psychologique des immigrants âgés[52]. 

Selon les données recueillies par Statistique Canada en 2008, les bouleversements économiques observés au pays depuis peu pourraient avoir une incidence importante sur la sécurité du revenu des aînés, qui dépendent parfois largement des revenus découlant de leurs placements. De 2007 à 2008, le nombre de personnes âgées vivant sous le seuil de faible revenu après impôt a augmenté de 18 pour cent; il s’agit de la hausse la plus importante enregistrée pour tous les groupes d’âge confondus[53].

 

Le milieu de vie des personnes âgées

Le milieu de vie des personnes âgées influe grandement sur leur bien-être, comme c’est le cas pour chacun d’entre nous. Le milieu de vie comprend non seulement le lieu de résidence, mais aussi un réseau de mesures de soutien et de relations à l’échelle de la collectivité. Pour examiner les effets d’un milieu de vie donné sur des personnes âgées, il faut tenir compte à la fois des caractéristiques du lieu physique et de la mesure dans laquelle celui-ci offre à ses résidents la protection, l’accès aux mesures de soutien et aux services dont ils ont besoin et la possibilité de demeurer des membres actifs de la collectivité en général. 

Les personnes âgées ne nécessitent pas toutes des mesures de soutien spécialisées pour maintenir leur sécurité physique, psychologique et émotionnelle, conserver leur autonomie et mener une vie active, mais pour celles dont c’est le cas, les possibilités que leur offre leur milieu d’accéder à des mesures de soutien formelles et informelles sont essentielles à leur bien-être. Ainsi, il est impossible d’évaluer la qualité d’un milieu de vie sans tenir compte des enjeux liés à la disponibilité des mesures de soutien. 

Compte tenu des problèmes de santé et des limitations d’activité qui touchent de nombreuses personnes âgées, la diversité des moyens de transport et l’accessibilité de la collectivité sont essentielles. 

Le vieillissement chez soi est le principe clé en matière de condition de vie des personnes âgées. En effet, les personnes âgées préfèrent vieillir dans leur propre maison. Près de 80 pour cent des Canadiens ayant répondu à un récent sondage estimaient que vieillir à la maison procure une meilleure qualité de vie, un plus grand confort, une plus grande indépendance et la possibilité d’être plus près de la famille. Les répondants les plus âgés ont plus fortement exprimé leur préférence à vieillir chez eux que tous les autres[54]. Le vieillissement chez soi est également considéré comme une solution plus rentable, puisque les soins de longue durée prodigués en établissement sont onéreux[55]. Ce principe a été intégré à tous les principaux documents d’orientation canadiens se rapportant aux personnes âgées, y compris le Cadre national sur le vieillissement (CNV), le rapport de la CODP sur les droits de la personne et les personnes âgées intitulé Il est temps d’agir, ainsi que le Rapport final du Comité sénatorial spécial sur le vieillissement. En réalité, toutefois, vieillir à la maison relève plutôt d’un idéal que d’une solution réaliste pour plusieurs. Il n’est pas rare que les personnes âgées doivent changer de milieu de vie pour avoir accès à des mesures de soutien, à un logement abordable ou à un lieu adapté[56]. 

Les milieux de vie des personnes âgées sont très variés. Nous verrons ci-dessous certains aspects clés de ces milieux de vie. 

Géographie et vieillissement : En général, le Canada est de plus en plus urbain. En 2001, près des deux tiers des Canadiens vivaient dans un grand centre urbain. Cette même année, environ 70 pour cent des gens de plus de 65 ans habitaient une ville comptant au moins 50 000 habitants. Au Canada, environ 23 pour cent des aînés vivent dans des régions rurales. La plupart d’entre eux habitent toutefois une région rurale située à proximité d’une grande ville[57].

Les personnes âgées qui vivent dans des collectivités nordiques, rurales ou éloignées sont confrontées à des défis particuliers. Par exemple, le manque de moyens de transport peut occasionner des difficultés de taille pour les personnes âgées qui ne peuvent plus conduire, puisque nombre de ces collectivités n’ont aucun réseau de transport public, et que les services essentiels y sont parfois difficiles d’accès. Le manque de moyens de transport peut causer l’isolement des personnes âgées et compromettre leur bien-être physique, psychologique et émotionnel[58].

Personnes âgées habitant leur propre maison : La grande majorité des personnes âgées vit dans un ménage privé, soit 93 % des gens de 65 ans et plus[59]. Dans la plupart des cas, les personnes âgées habitent leur propre maison plutôt qu’un appartement loué. Comme il a déjà été mentionné, la vaste majorité des personnes âgées préfère vieillir dans leur propre maison; cependant, vieillir chez soi comporte un certain nombre de défis.

  • La plupart des résidences ne sont pas munies des caractéristiques d’accessibilité nécessaires aux personnes à mobilité réduite. La Société canadienne d’hypothèques et de logement propose des programmes qui cherchent à pallier cette difficulté dans une certaine mesure[60].
  • Même si beaucoup plus de personnes âgées que de Canadiens plus jeunes sont propriétaires d’une maison, la plupart d’entre elles ont un revenu fixe. Ainsi, bien qu’elles aient un avoir important dans leur maison, elles n’ont parfois aucune autre ressource financière importante, et elles se heurtent à des obstacles financiers en demeurant chez elles. Le coût des rénovations majeures et les importantes hausses des impôts fonciers rendent leur maison inabordable. Par conséquent, les personnes âgées ont parfois recours à des instruments financiers tels que les prêts hypothécaires inversés pour combler leurs besoins d’argent[61].
  • De plus, les soins à domicile sont souvent coûteux ou difficiles d’accès. La Loi de 1994 sur les services de soins à domicile et les services communautaires établit un cadre pour la prestation des soins à domicile en Ontario[62]. Comme cela est décrit en détail au chapitre VII du présent rapport provisoire, bien que la Loi traite des services de soutien communautaire, des services d’aides familiales et des services de soutien personnel, la réalité est que les critères d’admissibilité à ces services ne sont pas transparents et que l’accès à ces services dépend des enveloppes budgétaires[63]. Le manque d’accès aux mesures de soutien formelles et informelles pour accomplir les activités quotidiennes comme les courses, les travaux ménagers ou la cuisine, fait en sorte qu’il est impossible pour les personnes âgées de demeurer dans leur maison. Le Comité sénatorial spécial sur le vieillissement a suggéré au gouvernement d’élaborer un programme national de soins à domicile et d’accroître le soutien offert aux aidants naturels, notamment par la mise en place de soins de relève ou l’augmentation des prestations de compassion[64].
                                       

Les personnes âgées et les logements locatifs : En 2006, un peu plus d’une personne sur cinq âgée de 65 à 74 ans était locataire, et chez les personnes de 75 ans et plus, la proportion de locataires s’élevait à 28 pour cent. Certaines personnes âgées sont locataires pendant la majeure partie de leur vie, sinon toute. Pour les anciens propriétaires, le décès du partenaire est souvent la cause du déménagement dans un logement locatif.

Les seuils de revenu imposés par les propriétaires peuvent causer des difficultés pour les personnes âgées habitant un logement locatif. En outre, certains propriétaires hésitent à louer à des gens plus âgés par crainte de futures limitations fonctionnelles qui viendraient leur imposer un « fardeau ». Lorsqu’une détérioration de l’état de santé d’un locataire âgé requiert des modifications à leur logement ou à leur immeuble, il arrive parfois que le propriétaire refuse d’en assumer les dépenses et essaie d’inciter le locataire à déménager[65]. 

Plus de la moitié des locataires de 65 à 74 ans, et près des deux tiers de ceux de 75 ans et plus ont de la difficulté à se trouver un logement abordable. Les locataires âgés sont généralement moins aisés financièrement que les propriétaires âgés, et il s’agit souvent de veuves qui vivent seules. En Ontario, les personnes âgées forment le quart des demandeurs de logement social[66].

Les programmes de logement social sont importants pour de nombreux citoyens vulnérables, notamment les personnes âgées. En Ontario, ce type de logement est offert par l’entremise d’un réseau complexe de services et de fournisseurs. Parmi les fournisseurs de logement social, on retrouve des entreprises privées, des coopératives, des corporations municipales à but non lucratif et des sociétés locales de logement. Le financement est assuré à l’échelle fédérale, provinciale ou municipale. Le logement social peut prendre la forme de logements à prix abordable, de logements sans but lucratif, de coopératives d’habitation à loyer proportionné au revenu et de logements supervisés dans une résidence communautaire offrant des services de soutien personnel et d’aides familiales aux personnes âgées en perte d’autonomie et aux personnes vivant avec divers types d’incapacités[67].

Le logement destiné aux personnes âgées fait généralement l’objet de dispositions dans les politiques et les règlements municipaux. Plusieurs municipalités offrent des services de logement social à l’intention des personnes âgées à faible revenu. Par exemple, la Ville de Kingston compte huit projets de logement social, dont certains sont destinés uniquement aux personnes âgées et d’autres accueillent à la fois des aînés et des personnes handicapées. Kingston régit l’accès à ses habitations pour personnes âgées selon une politique d’admissibilité descendante, selon laquelle les personnes de 65 ans ou plus obtiennent la priorité dans la liste d’attente, suivies des personnes de 60 à 64 ans, puis des personnes de 55 à 59 ans[68]. La Ville de Toronto gère plus de 19 000 unités d’habitation réservées aux personnes âgées (comprenant des unités à loyer proportionné au revenu et des unités à loyer économique au sein de projets d’habitation à but non lucratif, municipale ou coopérative)[69]. La ville a fixé à 59 ans l’âge minimal d’admissibilité à ce type de logement. La municipalité régionale de Peel compte 32 immeubles pour personnes de 65 ans ou plus qui offrent des logements à loyer proportionné au revenu, à loyer économique ou subventionné[70].

Résidences pour personnes âgées : De plus en plus d’Ontariens âgés habitent des résidences pour personnes âgées, ou des « maisons de soins » aux termes de la Loi de 2006 sur la location à usage d’habitation. On estime qu’il existe en Ontario plus de 700 maisons de soins où vivent environ 40 000 personnes âgées[71]. Les mesures de soutien et les services offerts sont très différents d’une résidence à l’autre. De plus, la taille de ces résidences varie grandement. Si certaines d’entre elles n’offrent que les services d’assistance de base, d’autres fonctionnent pratiquement comme des foyers privés de soins de longue durée[72]. Certains se sont dits préoccupés par le fait que le secteur des résidences pour personnes âgées se privatise graduellement et forme un réseau parallèle à celui des foyers de soins de longue durée, au lieu de fournir une solution intermédiaire essentielle parmi l’éventail de services destinés aux personnes âgées[73].

Jusqu’à récemment, les résidences pour personnes âgées en Ontario étaient principalement réglementées par la Loi de 2006 sur la location à usage d’habitation (LLUH). Dans l’ensemble, la LLUH oblige les résidences pour personnes âgées à respecter les mêmes normes que celles qui s’appliquent aux autres types de location à usage d’habitation, mais elle prévoit quelques exceptions importantes en ce qui concerne les renseignements à l’intention des locataires, les augmentations de loyer et les expulsions[74]. L’absence de cadre législatif réglementant les soins offerts dans une résidence pour personnes âgées est une source de préoccupations majeures et de vives critiques, particulièrement en raison du manque de places dans les foyers de soins de longue durée en Ontario et du fait que certaines résidences pour personnes âgées sont exploitées comme des foyers de soins de longue durée « illégaux » dotés de services d’hospitalisation clos pour les cas lourds[75].                                                

En 2010, le gouvernement de l’Ontario a adopté la Loi de 2010 sur les maisons de retraite[76], laquelle prévoit certaines normes minimales au chapitre des soins et de la sécurité des résidents et comprend une Déclaration des droits des résidents. Cette loi régit l’industrie des résidences pour personnes âgées par l’intermédiaire d’un modèle de réglementation par des tiers. L’Office de réglementation des maisons de retraite dispose de la compétence de délivrer ou de refuser de délivrer un permis autorisant l’exploitation d’une maison de retraite, ou encore d’imposer des conditions aux permis délivrés. L’Office nomme des inspecteurs responsables de s’assurer que les titulaires de permis se conforment aux exigences de la Loi. De plus, il reçoit et traite les plaintes reçues au sujet de contraventions à la Loi commises par les titulaires de permis. L’Office peut également émettre des ordonnances aux termes de la Loi. Bien que le gouvernement puisse nommer des membres au conseil d’administration de l’Office, il ne peut pas nommer la majorité des membres du conseil. La majorité des administrateurs doit être élue par les autres membres.        

Soins de longue durée : Comme il a été mentionné auparavant, la grande majorité des personnes âgées, à savoir 93 pour cent, habite une résidence privée. Sept pour cent des aînés seulement vivent dans une habitation collective comme un foyer de soins infirmiers ou un hôpital. La probabilité de vivre dans un établissement augmente en fonction de l’âge : c’est le cas d’environ le tiers des personnes de plus de 85 ans. Les femmes de 85 ans et plus sont considérablement plus susceptibles que les hommes du même âge de vivre dans un établissement. Comme on le verra plus loin, cette situation est fort probablement attribuable aux différences entre l’espérance de vie des hommes et des femmes et à la tendance des femmes d’épouser un homme plus âgé qu’elles. Ainsi, les femmes sont plus susceptibles de vivre plus longtemps que leur époux et de se retrouver seules[77].

De nombreux groupes ont exprimé leur insatisfaction à propos du manque de soins de longue durée appropriés pour combler leurs besoins particuliers. Par exemple, les installations actuelles ne conviennent pas nécessairement aux besoins culturels, linguistiques ou religieux de certaines personnes âgées. Les personnes âgées GLBT peuvent se voir forcées à retourner dans le placard en raison du manque d’installations et de services adaptés à leurs besoins. Les Canadiens sourds ont fait valoir que l’absence d’appareils de télécommunication pour sourds et d’alarmes visuelles dans les chambres et les salles de bains de certains foyers de soins de longue durée compromettait la sécurité des personnes âgées sourdes et menait à leur exclusion dans leur propre milieu de vie. La Société Alzheimer du Canada a exprimé ses préoccupations sur l’absence de soins et de services destinés aux personnes atteintes d’Alzheimer ou de maladies connexes. Cette situation est particulièrement problématique étant donné que les personnes atteintes de démence représentent une proportion très élevée des résidents de foyers de soins de longue durée[78].

L’Advocacy Centre for the Elderly (AS) a soulevé un certain nombre d’enjeux systémiques sérieux auxquels font face les résidents de foyers, y compris les politiques du « premier lit disponible » qui font en sorte que des personnes âgées se retrouvent parfois dans des établissements qui ne répondent pas à leurs besoins; les contrats d’admission inappropriés; des politiques douteuses sur la détention et le recours aux moyens de contention; ainsi que le manque de procédures de présentation de plaintes efficaces et accessibles, ce qui rend les personnes âgées vulnérables aux mauvais traitements dans leur foyer[79].

La réglementation du secteur des soins de longue durée en Ontario subit d’importants changements. La Loi de 2007 sur les foyers de soins de longue durée (LFSLD)[80] est entrée en vigueur le 1er juillet 2010. Elle vient remplacer trois actes législatifs qui réglementaient auparavant ce secteur de façon disparate. La LFSLD établit un régime complet qui couvre la délivrance des permis et le financement des foyers, l’admission des résidents, les normes de prestation de programmes et de services, les qualités requises du personnel, la prestation de renseignements aux résidents, les conseils des résidents et des familles, la prévention des mauvais traitements et de la négligence, les plaintes ainsi que les inspections et l’exécution. Puisque cette loi n’est en vigueur que depuis peu, cela prendra un certain temps avant qu’on puisse évaluer si elle accomplit efficacement son mandat de garantir que les foyers de soins de longue durée offrent un milieu de vie sûr, confortable et respectueux de la dignité de leurs résidents.

 

La famille, les relations et la prestation de soins

Les personnes âgées ne sont pas différentes des autres êtres humains : les relations qu’elles entretiennent sont au cœur de leur vie, et l’étendue et la qualité de ces relations ont une incidence importante sur leur qualité de vie en général. 

Un soutien social insuffisant est associé non seulement à une augmentation de la mortalité, de la morbidité et de la détresse psychologique, mais aussi, de manière générale, à une moins bonne santé et à un moindre bien-être. Les perturbations dans les liens personnels, la solitude et les relations conflictuelles constituent des sources majeures de stress, alors que les relations de soutien social et les relations intimes sont une source vitale de force psychique[81].

Les interactions sociales ont un effet bénéfique sur la santé aussi bien physique que mentale. De nombreuses études ont révélé que les personnes dont les liens sociaux sont faibles courent un plus grand risque que les autres de mourir plus tôt, même si l’on tient compte de l’effet de l’âge, des limitations physiques, de la maladie et du statut socioéconomique[82]. Les personnes âgées, comme tout le monde, croient que la solitude, l’isolement et la perte d’un être cher sont des éléments majeurs ayant un effet nuisible sur la qualité de vie[83]. Selon la Société Alzheimer, les interactions sociales réduisent le risque de contracter une maladie. À ce sujet, la Coalition canadienne pour la santé mentale des personnes âgées formule le commentaire suivant :

Le réseau social est très important [chez les aînés], car l’isolement […] entraîne la dépression et la perte d’autonomie. Les programmes communautaires ou institutionnels qui procurent du soutien aux aînés contribuent à leur santé mentale[84].

Les personnes âgées qui n’ont aucun réseau social sont moins susceptibles d’entendre parler et de tirer profit des mesures de soutien et des services à leur disposition.

Certains groupes de personnes âgées sont particulièrement vulnérables à l’exclusion sociale, notamment les personnes à faible revenu, les nouveaux arrivants, les personnes handicapées, les femmes et les gens très âgés. Le Comité sénatorial spécial sur le vieillissement recommande au gouvernement fédéral d’investir dans la recherche sur les réseaux sociaux des personnes âgées et d’appuyer les organisations qui offrent un soutien social aux personnes âgées[85]. 

Relations et conditions de vie : En vieillissant, la probabilité de vivre seul augmente, et c’est d’autant plus vrai pour les femmes. En 2001, un peu plus d’une personne sur cinq âgée de 65 à 74 ans vivait seule, tandis que la proportion de personnes vivant seules formait un peu plus du tiers des gens âgés de 85 ans et plus. Les écarts entre les hommes et les femmes s’expliquent par l’espérance de vie plus longue des femmes et par la tendance des hommes à épouser des femmes plus jeunes qu’eux. Par exemple, seulement 18 pour cent des hommes âgés de 75 à 84 ans vivaient seuls en 2001, tandis que cette proportion représentait 43 pour cent des femmes de ce même groupe d’âge[86].

En général, les personnes âgées vivent avec leur époux, bien que le nombre d’aînés habitant en couple varie et diminue avec l’âge. En 2001, il s’agissait de la situation la plus courante chez les hommes âgés de 85 ans et plus – 38 pour cent d’entre eux vivaient avec leur conjointe – tandis que c’était la moins fréquente chez les femmes du même âge, c’est-à‑dire que seulement 7 pour cent d’entre elles habitaient avec leur conjoint[87]. Le nombre d’aînés qui ne se sont jamais mariés ou qui sont divorcés augmente. Par exemple, en 1981, seulement 4 pour cent des femmes âgées de 55 à 64 ans étaient divorcées, comparativement à 11 pour cent en 2001. Cette hausse donne à penser que les conditions de vie des personnes âgées risquent de connaître un virage important à l’avenir. 

La plupart des personnes âgées ont des enfants : en 2001, moins de 10 pour cent des gens de 65 à 74 ans n’avaient pas d’enfant. Cependant, le nombre moyen d’enfants qu’ont les personnes âgées diminue parallèlement à la baisse des taux de fécondité. Un pourcentage important de personnes âgées, soit un peu plus de 17 pour cent en 2001, habite avec leurs enfants ou leurs petits-enfants. Environ 4 pour cent des Canadiens vivent dans un ménage multigénérationnel[88].

Les personnes âgées, comme les Canadiens plus jeunes, affirment généralement avoir des amis, dont des amis intimes. Cependant, la probabilité de n’avoir aucun ami intime, ou même aucun ami du tout augmente avec l’âge. Par exemple, 18 pour cent des personnes âgées de 75 et plus ont dit n’avoir aucun ami intime, comparativement à 5 pour cent des gens de 25 à 54 ans. Cette situation est en partie attribuable au fait que les personnes âgées sont plus susceptibles d’être confrontées à la mort de leurs proches, mais aussi au fait qu’elles ont moins d’occasions de se faire des nouveaux amis. Ainsi, les personnes de 75 ans et plus sont plus susceptibles que tous les autres groupes d’âge de dire n’avoir rencontré aucune nouvelle personne au cours du dernier mois (82 pour cent)[89]. Cependant, les personnes âgées ont plus tendance à voir les membres de leur famille (autres que leur conjoint et leurs enfants) ou à leur parler régulièrement, de même qu’à connaître leurs voisins et à entretenir des liens avec eux[90].

Prestation de soins et mesures de soutien : Lorsque les personnes âgées perdent leur autonomie ou qu’elles développent une incapacité, les relations qu’elles entretiennent avec leurs parents et amis peuvent avoir une incidence importante sur leur capacité de demeurer actives et de continuer à vivre au sein de leur collectivité, de même que sur leur santé et leur bien-être en général. Par exemple, les procurations perpétuelles visées par la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui permettent aux personnes âgées de nommer une personne en qui elles ont confiance qui sera chargée de prendre des décisions en leur nom à l’égard de leurs biens ou de leurs soins s’il advenait qu’elles perdent la capacité juridique de le faire. De façon similaire, en vertu de la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé, un membre de la famille peut être chargé de prendre des décisions à caractère médical pour une personne âgée qui n’est plus apte à prendre de telles décisions pour elle-même. La façon d’exercer ces pouvoirs fondamentaux a des répercussions importantes sur la vie et le bien-être des personnes concernées. Ainsi, les relations des personnes âgées ont une incidence sur leur niveau de participation et d’intégration à la collectivité, sur leur capacité à maintenir leur indépendance et leur autonomie, ainsi que sur leur sécurité en général.

Bien que les personnes âgées soient souvent dépeintes comme des gens qui dépendent grandement de leurs proches pour accomplir les tâches quotidiennes, les statistiques révèlent une réalité plus nuancée. Selon Statistique Canada, « les aînés ne sont pas les seuls, et peut-être pas les principaux, bénéficiaires du soutien social dans la société[91]. » En général, les personnes âgées ne sont pas plus susceptibles que les plus jeunes de recevoir de l’aide d’une personne avec qui elles n’habitent pas pour les travaux ménagers, le transport ou les courses, et sont moins susceptibles que les adultes plus jeunes d’obtenir du soutien affectif, de l’encadrement ou des conseils pratiques. Cependant, il n’est pas étonnant que les personnes âgées habitant seules aient plus tendance à obtenir de l’aide pour les travaux ménagers, le transport et les courses.

Comme on pourrait s’y attendre, les personnes âgées sont plus susceptibles que les plus jeunes à obtenir de l’aide (de toute source) en raison d’un problème de santé à long terme. Cette situation est d’autant plus fréquente chez les gens de plus de 85 ans : seulement 16 pour cent des personnes de 65 à 74 ans reçoivent de l’aide en raison d’un problème de santé à long terme, tandis que cette proportion s’élève à 60 pour cent chez les plus de 85 ans. Les femmes âgées, particulièrement celles qui habitent seules, requièrent plus souvent ce genre d’aide que les hommes âgés. Environ les trois quarts des personnes qui reçoivent de l’aide en raison d’un problème de santé à long terme obtiennent cette aide, en partie ou en totalité, de sources informelles. En vieillissant, les gens sont plus susceptibles de recevoir de l’aide, en partie ou en totalité, de sources formelles, ce qui est le cas pour environ 60 pour cent des gens de 85 ans et plus[92].

[Traduction] Au fur et à mesure que la population vieillit, l’un des plus grands défis de la politique en matière de santé consiste à trouver le juste équilibre entre le soutien à l’autonomie en matière de soins (les personnes qui s’occupent d’elles-mêmes), aux sources informelles (prestation de soins par les membres de la famille et les amis) et aux sources formelles (services de santé et services sociaux). Les soins formels comprennent les soins de santé primaires (offerts principalement dans la collectivité) et les soins en établissement (dans les hôpitaux ou les foyers de soins infirmiers). Même s’il ne fait aucun doute qu’une grande part des soins dont les individus ont besoin sont administrés soit de manière autonome, soit par des aidants naturels, la plupart des pays répartissent leurs ressources financières à l’inverse de cette réalité, c’est‑à‑dire que la plus grande part des dépenses est allouée aux soins en établissement[93].

De nombreuses personnes et organisations ont exprimé leurs préoccupations quant au manque de soutien offert aux aidants naturels. Dans Il est temps d’agir, son rapport sur les droits des personnes âgées, et Le coût de la prestation de soins, son rapport sur les droits de la personne et les aidants membres de la famille, la CODP, a fait état de préoccupations concernant les conséquences du manque de soutien à la prestation de soins informels sur les personnes âgées et leur famille. La CODP a recommandé au gouvernement d’augmenter son soutien aux personnes âgées et à leurs aidants naturels[94]. Dans son récent rapport, le Comité sénatorial spécial sur le vieillissement a également formulé plusieurs recommandations concernant l’intervention gouvernementale en la matière[95]. 

On oublie souvent que les personnes âgées contribuent grandement à leur collectivité en prodiguant des soins à leurs parents et amis, que ce soit à titre de principaux aidants de proches malades ou handicapés, par le soutien familial qu’ils offrent en tant que grands-parents, ou par la sagesse, les conseils et l’expérience qu’ils transmettent à leurs proches. Une proportion importante de personnes âgées offre de l’aide et des soins aux autres. Chez les personnes âgées de moins de 75 ans, un plus grand nombre de gens affirment donner de l’aide qu’en recevoir. Les personnes un peu moins âgées sont plus susceptibles que celles de plus de 75 ans d’offrir de l’aide pour les travaux ménagers, d’entretien ou à l’extérieur (environ le quart des personnes de 65 à 74 ans affirme fournir ce genre d’aide à une personne qui n’habite pas avec elles) et pour la garde d’enfants (22 pour cent des personnes de 65 à 74 ans). Si les gens de plus de 75 ans obtiennent plus souvent de l’aide pour les travaux ménagers, les courses et le transport qu’ils en offrent, ils ont plus tendance à fournir du soutien affectif, de l’enseignement et de l’encadrement[96]. Les Nations Unies, dans le cadre du Plan d’action international de Madrid sur le vieillissement, insistent vivement sur l’importance de reconnaître, de respecter et de soutenir davantage les contributions apportées par les personnes âgées à titre d’aidants[97].

Violence familiale : La violence familiale est la cause d’environ le tiers des incidents de victimisation avec violence touchant les personnes âgées. Les femmes âgées sont beaucoup plus susceptibles d’être victimes de violence familiale que les hommes âgés. Parmi les personnes âgées qui ont été victimes d’un incident violent en 2003, on retrouve 40 pour cent de femmes âgées victimes de violence de la part d’un membre de la famille, comparativement à 20 pour cent d’hommes âgés. Dans les cas de violence familiale, les enfants adultes de sexe masculin (33 pour cent) et les conjoints de sexe masculin (30 pour cent) étaient le plus souvent accusés; tandis que les membres de la famille élargie de sexe masculin représentaient 15 pour cent des accusés. La majorité des agressions dans la famille ont eu lieu à la maison, et la victime et l’agresseur partageaient souvent le même logement. 

 

Participation à la collectivité

Les personnes âgées de moins de 75 ans sont tout aussi susceptibles que les adultes plus jeunes d’être membres d’un organisme ou d’une association bénévole (à un taux de participation d’un peu plus de 50 pour cent) et de participer à des activités de groupe au moins une fois par semaine. Toutefois, le taux de participation est légèrement inférieur chez les personnes de plus de 75 ans. Les personnes âgées sont plus susceptibles que les plus jeunes d’être membres de groupes religieux, de sociétés fraternelles ou d’un club social. Cependant, elles sont moins susceptibles que les adultes plus jeunes d’être membres d’organismes sportifs et récréatifs ou de participer aux activités offertes par ceux-ci. Les personnes plus jeunes ont également plus tendance à s’engager dans des associations communautaires, scolaires, civiques ou de quartier. La probabilité de faire partie d’un organisme augmente en fonction du niveau de scolarité[98]. 

En 2004, environ 45 pour cent des Canadiens ont fait du bénévolat. Les personnes âgées sont un peu moins susceptibles de faire du bénévolat (39 pour cent des personnes de 65 à 74 ans en ont fait en 2004), mais lorsqu’elles en font, elles ont tendance à y consacrer davantage d’heures. Par exemple, les bénévoles âgés de 65 à 74 ans ont contribué en moyenne 250 heures au bénévolat en 2004, soit environ 100 heures de plus que le nombre d’heures moyen consacré au bénévolat chez les 25 à 54 ans. Pour les personnes âgées, l’obstacle le plus courant au bénévolat était un problème de santé ou une incapacité physique : plus de 70 pour cent des gens de 75 ans et plus ont donné cette raison pour ne pas faire de bénévolat[99].

Les personnes âgées sont plus susceptibles de voter, à tous les paliers du gouvernement, que les autres groupes d’âge. En 2003, près de 90 pour cent des adultes de 65 ans et plus ont dit avoir voté aux dernières élections fédérales, comparativement à 70 pour cent des personnes de 25 à 54 ans. Ils sont en outre bien plus susceptibles que les adultes plus jeunes d’être des électeurs réguliers. Cependant, ils sont moins susceptibles de signer une pétition, de boycotter ou de choisir un produit pour des raisons d’éthique, et de participer à une manifestation ou à une marche de protestation[100]. Il est probable que cette tendance reflète les changements associés aux différents stades de la vie, ou encore les différences entre les générations dans les formes de participation à la vie politique. 

 

2.      Identités croisées : l’âge et les désavantages qui s’accumulent 

Puisque, comme il a déjà été mentionné, les personnes âgées ne forment pas un groupe homogène, il est important d’examiner attentivement comment l’expérience du vieillissement peut varier en fonction notamment du sexe, de l’orientation sexuelle, de l’origine ethnique, de l’appartenance à un groupe autochtone, d’un problème de santé ou d’une incapacité, du lieu de résidence, de la situation socioéconomique, ou encore du statut d’immigrant ou de citoyen. Le but de la présente section est de fournir un point de départ pour l’examen des répercussions réelles de ces différentes identités et du parcours de vie sur les besoins et les réalités des personnes âgées.

 

Le vieillissement chez les hommes et les femmes

La majorité des aînés sont des femmes, et cette proportion augmente avec l’âge. En 2005, tandis que les femmes représentaient 52 pour cent des personnes âgées de 65 à 69 ans, elles totalisaient 75 pour cent des personnes de 90 et plus[101]. Même si l’on s’attend à ce que cet écart diminue au fur et à mesure que s’atténuera la différence entre l’espérance de vie des hommes et des femmes, à l’heure actuelle, le vieillissement est un enjeu qui touche, en grande partie, les femmes. Comme l’a fait valoir une chercheuse universitaire : 

[traduction] Il est donc essentiel que les chercheurs examinent et exposent le cadre législatif qui définit la sécurité personnelle, sanitaire et financière des citoyens âgés en tenant compte du fait que la majorité des aînés et de leurs aidants sont des femmes. La réforme du droit et des politiques concernant les aînés doit tenir compte de cette réalité et veiller à ne pas empirer la discrimination et l’injustice dont les femmes sont actuellement victimes[102].

Les femmes et les hommes âgés diffèrent à de nombreux points de vue. Les femmes ont une plus grande probabilité de vivre le veuvage que les hommes puisqu’elles ont une espérance de vie plus longue et qu’elles ont tendance à épouser un homme plus âgé qu’elles. Ce fait a plusieurs répercussions sur le revenu (en particulier parce que les femmes âgées présentement sont moins susceptibles d’avoir travaillé dans leur jeunesse et, par conséquent, de bénéficier de leurs propres prestations de retraite et du contrôle sur leur argent que les femmes plus jeunes aujourd’hui)[103], sur la prestation de soins (en vieillissant, les femmes sont moins susceptibles d’avoir un conjoint pour combler leurs besoins en matière de soins) et sur les conditions de vie (elles ont plus tendance que les hommes à vivre dans une habitation collective). En outre, les femmes âgées ont souvent un niveau de scolarité plus faible que les hommes de leur âge (un autre facteur qui changera chez les générations plus jeunes). Étant donné que le niveau de scolarité est étroitement lié à de nombreux indicateurs du bien-être, comme la santé et l’isolement social, il s’agit là d’un aspect important[104].

Bien que les médias dépeignent les personnes âgées en général de façon négative, cette image négative est souvent plus problématique pour les femmes. Les Nations Unies, dans le Plan d’action international de Madrid sur le vieillissement, soulignent ce qui suit : 

Les femmes âgées sont particulièrement victimes de stéréotypes trompeurs et négatifs : au lieu d’être présentées sous un jour qui tient compte de leurs contributions, atouts, ressources et qualités humaines, elles sont souvent présentées comme des êtres faibles et tributaires, ce qui renforce les pratiques d’exclusion à l’échelle locale et nationale[105].

Compte tenu de ces réalités, les cadres stratégiques sur le vieillissement recommandent souvent au législateur et aux décideurs de porter une attention particulière aux incidences du sexe sur les expériences et les circonstances des personnes âgées[106].

 

L’immigration chez les personnes âgées 

Une proportion considérable de personnes âgées sont des immigrants. En 2001, plus du quart des personnes de 65 à 84 ans était des immigrants. La majorité d’entre eux, toutefois, sont arrivés au Canada dans leur jeunesse et habitent ici depuis des dizaines d’années. En 2001, moins de 10 pour cent des personnes âgées immigrantes étaient arrivées au Canada au cours des 10 années précédentes. Chaque année, les personnes de plus de 65 ans représentent de 2 à 4 pour cent des immigrants et des réfugiés qui arrivent au Canada[107]. Ainsi, le nombre de nouveaux arrivants âgés est relativement faible. Cependant, il importe de prendre leurs besoins en compte, puisque les nouveaux arrivants âgés sont plus susceptibles d’avoir une situation beaucoup plus précaire que les personnes âgées immigrantes qui habitent au Canada depuis longtemps. Ils disposent d’un accès plus limité aux programmes de soutien du revenu, ils dépendent parfois des membres de leur famille pour conserver leur statut juridique au pays, il arrive qu’ils ne connaissent aucune des deux langues officielles et ils sont moins susceptibles d’avoir un réseau social important sur lequel ils peuvent compter[108]. 

Les personnes âgées immigrantes qui habitent au Canada depuis longtemps proviennent principalement de l’Europe de l’Ouest (à 54 % en 2001). Les personnes âgées qui ne sont pas nées au Canada ou en Europe de l’Ouest représentent toujours une faible minorité de la population totale de personnes âgées[109].

 

Langue

Pratiquement toutes les personnes âgées peuvent parler l’une des deux langues officielles du Canada. En 2001, seulement 4,5 pour cent des personnes âgées ne pouvaient parler ni l’anglais ni le français. Cependant, 13,5 pour cent des gens de 65 à 74 ans n’utilisent aucune des deux langues officielles à la maison[110].

Sur un total de 576 000 Franco-ontariens, il y a environ 160 000 personnes âgées[111]. La population franco-ontarienne est donc un peu plus âgée que le reste de la population de l’Ontario. La proportion d’aînés francophones est plus élevée dans le Nord-Est et l’Est de l’Ontario, comme c’est le cas pour la population francophone en général. 

Le taux de conservation de la langue chez les francophones de 65 ans et plus est plus élevé (évalué selon la langue parlée à la maison pour les personnes dont la langue maternelle est le français). Toutefois, comme c’est le cas chez la population francophone en général, le taux de conservation du français diminue chez les aînés[112].

Les francophones font face à des obstacles particuliers en ce qui concerne l’accès aux services gouvernementaux, malgré les garanties prévues par la Loi sur les services en français. La CDO été informée que : 

[…] l’un des obstacles à l’accès au système judiciaire pour la population de langue française (576 000 personnes de langue première française en Ontario) et en particulier pour les aînés (environ 160 000) est la faible disponibilité des services en français de qualité équivalente à ceux dispensés en anglais. La Loi stipule que les francophones ont le droit de se faire servir en français dans le domaine de la Justice, mais malgré les efforts indéniables du Ministère du Procureur général de l’Ontario en ce sens (Institut linguistique par exemple, progrès au sein de la Police provinciale de l’Ontario), il y a beaucoup de travail à faire, et peut-être des outils « créatifs » à développer pour atteindre l’objectif de parité de services[113].

 

Personnes âgées associées à une certaine origine raciale

On dispose de peu de renseignements sur les personnes âgées associées à une certaine origine raciale, ou « racialisées ». L’ethnogérontologie, l’étude de l’influence de la race, de l’origine ethnique, de l’origine nationale et de la culture sur le vieillissement des individus et de la population, est un domaine d’étude relativement nouveau[114]. Les personnes âgées racialisées représentent une proportion croissante de la population de personnes âgées. Entre 1981 et 2001, la proportion de personnes âgées membres d’une « minorité visible » au sens de la Loi sur l’équité en matière d’emploi est passée de 2 pour cent à 7 pour cent. Parmi ce groupe, la plus grande part était des Canadiens d’origine chinoise (39 pour cent). Venaient ensuite les Canadiens d’origine sud-asiatique (tout juste un peu plus de 20 pour cent) et les Canadiens d’origine africaine (13 pour cent)[115]. La majorité de ces personnes âgées habite les grands centres urbains, ce qui a d’importantes incidences sur leur expérience du vieillissement. 

Les personnes âgées racialisées sont plus susceptibles d’avoir un faible revenu, une situation qui touche particulièrement les femmes. En effet, 25 pour cent des femmes âgées racialisées touchent moins que le seuil de faible revenu, selon les chiffres de Statistique Canada[116].

Lors d’une consultation publique tenue par la CODP sur les droits des personnes âgées, des préoccupations ont été soulevées sur la façon dont les fournisseurs de services répondent aux besoins culturels et religieux de certains groupes de personnes âgées. La CODP a fait valoir que les fournisseurs de services dans tous les secteurs doivent respecter l’identité et la dignité de tous et être ouverts aux besoins variés des personnes âgées qui découlent de leur culture, de leur religion, de leur race ou de leur origine ethnique[117].

Lors des premières réunions de consultation tenues aux fins de ce projet, la CDO a appris que les membres de certaines communautés racialisées sont parfois victimes de discrimination ou de racisme lorsqu’ils reçoivent des services, et que certains groupes de personnes âgées racialisés qui ont été victimes de discrimination tout au long de leur vie peuvent se montrer plus réticents à se prévaloir de leurs droits ou à demander de l’aide[118].

 

Autochtones 

En raison de ses taux de fécondité et de natalité plus élevés, la population autochtone du Canada est plus jeune que le reste de la population. En 2006, les personnes âgées appartenant à un groupe autochtone représentaient 5 pour cent de la population autochtone, soit un peu moins de 60 000 personnes. Ces statistiques ne comprennent pas, toutefois, toutes les personnes qui se déclarent Autochtones dans les centres urbains. Il est bien connu que l’état de santé, la situation socioéconomique, le niveau d’alphabétisation et l’espérance de vie des Autochtones en général sont inférieurs à ceux du reste de la population canadienne. Comparativement aux autres Canadiens, la majorité des personnes âgées issues de collectivités des Premières nations ou inuites ont vécu dans des conditions insalubres et ont eu une moins bonne santé pour la plus grande partie de leur vie. Les Autochtones présentent des taux plus élevés de maladies chroniques, comme le diabète, l’asthme et les maladies cardiaques[119].

Il importe de noter que, chez les Autochtones, les personnes âgées forment la majorité de ceux qui connaissent et peuvent parler une langue autochtone. Les personnes âgées appartenant à un groupe autochtone qui parlent bien ou couramment une langue autochtone sont plus susceptibles d’accorder de l’importance à la spiritualité et à la culture traditionnelle. Par conséquent, elles peuvent constituer la principale courroie de transmission des traditions et de la langue aux générations plus jeunes[120]. 

De nombreuses personnes âgées autochtones ont été très éprouvées par l’expérience des pensionnats. Parmi les Premières nations, plus de 40 pour cent des gens de plus de 60 ans et près de la moitié de ceux de 50 à 59 ans ont fréquenté un pensionnat autochtone. Il a été démontré que les personnes âgées autochtones ayant vécu cette expérience sont plus susceptibles d’avoir une plus faible estime de soi et une plus grande dépendance envers les autres en raison de la dépréciation de leur culture et de la perte de leur mode de vie traditionnel dans les pensionnats. Les survivants des pensionnats autochtones peuvent ressentir des conséquences physiques, psychologiques et émotionnelles de leurs expériences[121].

 

Orientation et identité sexuelles

Il y a un vide énorme dans l’information au sujet des personnes âgées gaies, lesbiennes, bisexuelles et transgenres (GLBT). La vie de ces personnes a été façonnée par les effets à long terme de la stigmatisation, de la discrimination et de la marginalisation, et plusieurs d’entre elles ne se sont jamais senties suffisamment en confiance pour dévoiler publiquement leur orientation sexuelle. En outre, en raison des pratiques âgistes adoptées dans la communauté GLBT, la plupart des organismes et des programmes visent les personnes plus jeunes, et ces dernières bénéficient d’une plus grande vitrine. Les personnes âgées GLBT sont, par conséquent, largement invisibles autant dans la communauté des aînés que dans celle des GLBT, et elles peuvent éprouver une grande difficulté à accéder à des mesures de soutien et à des services appropriés[122].

 

Problèmes de santé, limitations d’activité et incapacités

Pour la plupart des gens, le vieillissement est associé à une détérioration de la santé en général et à l’apparition de divers types de limitations d’activité. Cependant, il ne faut pas amplifier l’étendue des problèmes de santé chez les personnes âgées. Bien que l’auto-évaluation favorable de l’état de santé diminue avec l’âge, 37 pour cent des personnes âgées de 65 ans et plus se considéraient en très bonne ou en excellente santé en 2003, comparativement à 63 pour cent chez les 25 à 54 ans[123]. 

Un Canadien né en 2003 a une espérance de vie à la naissance de 80 ans et devrait passer la majorité de sa vie en bonne santé. En 2001, un homme âgé de 65 ans pouvait s’attendre à passer encore 12,7 années en bonne santé, alors que ce chiffre s’élevait à 14,4 années pour les femmes.

Certaines maladies chroniques touchent un nombre disproportionné de personnes âgées. L’arthrite, ou le rhumatisme, est la plus fréquente d’entre elles, touchant plus de la moitié des personnes de 75 ans et plus. Quarante pour cent des gens de plus de 65 ans affirment être atteints d’hypertension artérielle. De plus, les personnes âgées sont particulièrement touchées par des problèmes oculaires, comme les cataractes et le glaucome. En 2003, environ 70 pour cent des personnes de plus de 65 ans étaient atteintes d’un problème de vision quelconque, mais seulement 4 pour cent d’entre elles avaient un problème non corrigé (cette proportion s’élève à 8 pour cent chez les plus de 80 ans). La maladie d’Alzheimer et les autres formes de démence sont relativement rares à tout âge, mais le risque de développer une telle maladie augmente considérablement avec l’âge. Environ 2 pour cent des personnes âgées de 65 ans et plus ont reçu le diagnostic de l’une ou l’autre de ces maladies, et l’incidence est, encore une fois, plus élevée chez les personnes les plus âgées[124].

Bien que les personnes âgées soient plus susceptibles que les plus jeunes d’être atteintes d’une limitation d’activité, il n’en est rien pour la plupart d’entre elles. En 2003, une personne âgée de 75 ans et plus sur dix habitant une résidence privée avait besoin d’aide pour ses soins personnels (par exemple pour se laver, s’habiller et manger), comparativement à un adulte de 25 à 54 ans sur cent. Le quart des gens de 75 ans et plus, environ, avait besoin d’aide pour accomplir les travaux ménagers. Les limitations de la mobilité sont beaucoup plus répandues chez les personnes les plus âgées; près de la moitié des gens de 85 ans et plus sont incapables de marcher ou requièrent une assistance mécanique ou l’aide d’une personne pour se déplacer, comparativement à moins de 10 pour cent des personnes âgées de 65 à 74 ans[125]. 

Contrairement aux stéréotypes, la plupart des personnes âgées sont en bonne santé mentale et ont une attitude positive. Les gens de 25 à 64 ans affichent les niveaux de détresse psychologique les plus élevés, et ceux de 65 à 74 ans, les plus faibles, tandis que les personnes âgées de 55 à 64 ans et de 75 ans et plus présentent un taux semblable. Les statistiques sont similaires en ce qui concerne la relation entre l’âge et l’auto-évaluation du bien-être, c’est-à-dire que les personnes âgées ont une perception de leur bien-être plus favorable que les personnes de 25 à 54 ans[126].

Comme cela est expliqué plus en détail dans un autre chapitre de ce rapport, puisqu’il existe une corrélation entre le vieillissement, la détérioration de la santé et l’augmentation du risque de développer une déficience, l’âge sert parfois de variable substitutive pour l’état de santé et les déficiences, puisqu’il est beaucoup plus facile à mesurer. Comme l’explique la CDO dans une autre publication, définir l’incapacité est une tâche complexe et controversée qui exige souvent le recours à des mécanismes d’arbitrage étoffés[127]. Il peut donc être tentant d’utiliser l’âge comme variable substitutive, mais cette pratique peut se révéler problématique, comme on l’a vu plus haut dans le bref examen de la relation complexe qui unit le vieillissement, l’état de santé et les déficiences, et ce, particulièrement lorsqu’elle renforce des stéréotypes inexacts et la perception selon laquelle les personnes âgées représentent un fardeau pour la société et n’ont plus rien à apporter. 

Fait intéressant à noter, malgré ces corrélations entre le vieillissement, l’état de santé et les déficiences, ainsi que les parallèles entre l’âgisme et le capacitisme, ou la discrimination fondée sur la capacité physique, peu d’attention a été accordée à la relation entre l’âge et l’incapacité à l’extérieur du domaine de la santé. Les défenseurs des droits des personnes handicapées se penchent rarement sur les expériences vécues par les personnes âgées atteintes d’incapacités, tandis que les organismes anti-âgistes omettent souvent d’aborder la question de l’incapacité chez les personnes âgées. Il existe trop peu de travaux savants sur le croisement entre l’âge et l’incapacité. 

Il importe de reconnaître les deux façons dont l’âge et l’incapacité peuvent se croiser. Certaines personnes naissent avec une incapacité ou la développent à l’âge adulte et vieillissent avec elle. D’autres ne sont atteintes d’aucune incapacité pendant leur enfance, leur jeunesse et une grande partie de leur vie d’adulte, et en développent une uniquement lorsqu’elles atteignent le troisième âge. Les membres de ces deux groupes connaissent le plus souvent des expériences profondément différentes. Par conséquent, ils vivent différemment avec leurs déficiences. Une personne sourde de naissance qui s’intègre à la communauté culturelle des sourds verra ses expériences en matière de vie sociale, d’éducation et d’emploi considérablement modelées par cette déficience. Une personne ayant une capacité auditive normale à la naissance et qui développe un trouble d’audition à la vieillesse peut avoir le même degré de perte auditive qu’une personne sourde depuis la naissance, mais aura vécu des expériences différentes qui ont eu une incidence sur ses réseaux sociaux, sur sa conception de soi et, dans bien des cas, sur son accès à l’éducation et à l’emploi. Ces deux personnes atteintes de déficiences similaires nécessiteront, à la vieillesse, des services et des mesures de soutien différents. Les différences entre ces personnes sont mises en évidence par la terminologie utilisée pour les identifier, à savoir la personne sourde, devenue sourde ou malentendante.

En outre, il peut arriver que les personnes âgées soient aux prises non pas avec une incapacité, mais plutôt avec la perception qu’elles deviendront sûrement handicapées, et, par le fait même, un fardeau, ou qu’elles auront besoin d’un logement ou de soins coûteux ou onéreux sur le plan administratif[128]. Dans le Code des droits de la personne de l’Ontario, la définition du terme « handicap » englobe les incapacités antérieures, actuelles et perçues, mais pas les incapacités anticipées. Cependant, dans l’affaire Mercier, la Cour suprême du Canada a examiné une situation où une personne atteinte d’une légère courbure de la colonne vertébrale, qui ne lui causait à l’époque aucune limitation fonctionnelle, s’est vu refuser un emploi parce que l’employeur anticipait que cette anomalie causerait ou pourrait causer, à l’avenir, une limitation fonctionnelle. La Cour a déclaré que cette affaire était visée par la protection des droits de la personne en matière de handicap, en affirmant ce qui suit :

C’est alors qu’une approche multidimensionnelle qui tient compte de l’élément socio-politique s’avère très pertinente. En insistant sur la dignité humaine, le respect et le droit à l’égalité, plutôt que sur la condition biomédicale tout court, cette approche reconnaît que les attitudes de la société et de ses membres contribuent souvent à l’idée ou à la perception d’un « handicap ». Ainsi, une personne peut n’avoir aucune limitation dans la vie courante sauf celles qui sont créées par le préjudice et les stéréotypes[129].

Il existe certaines similitudes entre la situation des personnes âgées et celle des personnes handicapées au sein de la société, en particulier parce que ces deux groupes sont largement exclus du marché du travail, ce qui entraîne leur dépendance structurelle et fait en sorte qu’ils ne sont pas considérés comme des « adultes »[130]. Comme ils sont associés à un corps déficient et à l’incapacité, ils suscitent tous deux la peur de la vulnérabilité et de la mort et sont donc victimes d’isolement social. Les personnes handicapées et les personnes âgées connaissent fréquemment la ségrégation sociale et géographique, car elles habitent des établissements résidentiels spécialisés, une expérience considérée par certains comme une forme de « mort sociale »[131].

Cela étant dit, il existe des différences notables entre la perception des personnes plus jeunes atteintes d’une incapacité et celle des personnes qui développent une incapacité pendant la vieillesse. Alors que l’on considère généralement comme anormales les déficiences congénitales ou acquises pendant la jeunesse, les déficiences et les limitations d’activités qui se développent pendant la vieillesse sont souvent perçues comme « normales », et même comme une caractéristique inhérente à ce stade de la vie. Par conséquent, les personnes âgées atteintes de déficiences sont plus rarement perçues comme des personnes « handicapées » que les personnes plus jeunes ayant des déficiences similaires. Les personnes âgées ne sont pas considérées comme handicapées, à moins d’être incapables d’accomplir les activités qu’une personne âgée « normale » pourrait faire. Le développement d’une déficience et le retrait du marché du travail sont probablement les plus importants indicateurs sociaux de la transition vers le « troisième âge ». Le développement d’une déficience pourrait donc ne pas avoir les mêmes effets perturbateurs sur l’identité à la vieillesse que lorsqu’elle se développe plus tôt dans la vie[132].

Au cours des dernières décennies, d’importants progrès ont été réalisés par les mouvements de défense des droits des personnes handicapées et des personnes âgées. Il est intéressant de noter, toutefois, que les personnes âgées sont sous-représentées au sein du premier mouvement, surtout si l’on tient compte de l’incidence élevée des incapacités parmi celles-ci et des conséquences de ces incapacités, et du fait que les personnes âgées atteintes d’une incapacité sont aussi marginalisées par les nouvelles façons de concevoir la vieillesse. C’est d’ailleurs ce que souligne Mark Priestley :

[traduction] Dans un certain sens, la stratégie politique du mouvement [de défense des droits des personnes handicapées] a cherché à éloigner les débats sur les incapacités des associations négatives avec la vieillesse et la dépendance en accordant plus d’importance aux valeurs et aux enjeux des adultes. De façon similaire, les mouvements de défense des droits des personnes âgées et du troisième âge ont mis l’accent sur le « vieillissement actif » afin de séparer leurs revendications de l’image négative associée à l’incapacité et à la dépendance.

Ainsi, tant le mouvement de défense des droits des personnes âgées que celui des personnes handicapées ont comme stratégie de revendiquer la reconnaissance du statut d’adulte et de citoyen en dissociant leurs combats des associations négatives avec l’autre mouvement. Il est fort probable que ces revendications parallèles profitent aux personnes qui se situent en marge de l’inclusion (c.‑à‑d., les personnes handicapées plus jeunes et les personnes dans la cinquantaine et la soixantaine) en leur permettant de se libérer de l’image de fragilité, de dépendance et de fardeau trop souvent associée aux personnes d’un âge très avancé atteintes de déficiences sévères[133].

Ces stratégies, néanmoins, risquent d’accroître la marginalisation d’un groupe très défavorisé : les personnes d’un âge très avancé atteintes de déficiences sévères. 

Dans le cadre de son projet sur le droit et les personnes handicapées, la CDO adoptera une vision anti-âgiste et, pour le présent projet, elle mettra de l’avant une démarche excluant le capacitisme à l’appui de la prise en compte des expériences des personnes âgées. 

 

Identités croisées et multiplication des désavantages

En gardant à l’esprit que les personnes âgées ne forment pas un groupe homogène et qu’elles ont des réalités, des ressources, des expériences de vie et des identités croisées différentes, il importe de reconnaître que certaines personnes âgées sont plus susceptibles que d’autres de subir des désavantages ou sont défavorisées de manière différente. 

Les personnes âgées marginalisées tout au long de leur vie en raison d’autres aspects de leur identité continuent de subir les conséquences de cette marginalisation durant leur vieillesse. Par exemple, lorsqu’elles atteignent le troisième âge, les personnes âgées racialisées ou autochtones qui ont été victimes de discrimination directe et systémique sur le marché du travail possèdent moins d’économies, n’ont droit à aucune prestation d’un régime de pension privé et reçoivent des prestations réduites du Régime de pensions du Canada. De façon similaire, par le passé, il était moins important ou moins approprié pour les femmes de poursuivre des études de niveau supérieur. Cette réalité peut influer non seulement sur la sécurité financière des femmes âgées, mais aussi sur leur capacité d’accéder à des renseignements sur leurs droits et d’utiliser cette information pour faire valoir leurs droits.

Les effets de la marginalisation subie tout au long de la vie peuvent être subtils. Par exemple, les personnes âgées GLBT sont plus susceptibles d’avoir adopté une stratégie de survie qui consiste à demeurer dans le « placard », ce qui a de multiples conséquences sur leurs relations. De plus, cette stratégie de survie fondée sur le silence et l’invisibilité risque de multiplier les effets de l’invisibilité déjà imposée aux personnes âgées par les pratiques âgistes et, par le fait même, de faire en sorte que les besoins, et parfois l’existence même, des personnes âgées GLBT ne soient pas reconnus. Il n’y a, en effet, pratiquement aucun programme destiné à ces personnes[134]. 

Des identités multiples peuvent donner lieu à une multiplication particulière des désavantages. Les femmes handicapées subissent beaucoup plus de mauvais traitements de tous genres que les femmes non handicapées ou que les hommes handicapés. En outre, elles ont parfois moins de possibilités que les autres de se sortir d’une situation de violence, notamment parce que les maisons de refuge et les maisons de transition destinées aux femmes leur sont souvent inaccessibles[135]. Les exigences en matière de parrainage des personnes âgées immigrantes créent parfois un rapport de force inégal dans la dynamique familiale qui peut mener à de mauvais traitements et à l’exploitation. De plus, en raison des obstacles linguistiques et culturels auxquels les personnes âgées immigrantes font face, il leur est d’autant plus difficile de signaler les mauvais traitements dont elles sont victimes ou de se sortir d’une telle situation[136].

Les personnes atteintes d’incapacités peuvent ressentir certains effets biologiques du vieillissement à un rythme différent ou être davantage à risque de développer d’autres incapacités. Par exemple, les personnes atteintes du syndrome de Down sont beaucoup plus à risque de développer les symptômes de démence associés à la maladie d’Alzheimer. Aussi, les personnes atteintes de déficiences intellectuelles qui ont toujours vécu avec leurs parents risquent, lorsqu’elles entrent elles-mêmes dans le troisième âge et que leurs parents atteignent un âge très avancé ou meurent, de se retrouver soudainement coupées de la structure qui les a soutenues toute leur vie et d’être laissées dans une situation de grande insécurité sur le plan du soutien et des conditions de vie[137].

Dans certains cas, le désavantage se manifeste différemment, plutôt que de manière disproportionnée. Par exemple, la violence envers les personnes âgées prend des formes particulières selon les cultures[138]. Les hommes âgés gais peuvent être particulièrement vulnérables à l’exploitation financière ou aux agressions physiques perpétrées par un partenaire sexuel plus jeune[139].

Certaines situations similaires ont des répercussions différentes sur les individus, selon leur identité et leur parcours de vie. Le principe du « vieillissement chez soi » reconnaît l’importance, pour tous les aînés, de conserver leur place dans leur collectivité. Cependant, ce principe n’a pas la même signification pour tous et a une incidence différente dans certaines communautés. Chez une personne qui vit avec une incapacité depuis de nombreuses années et qui a établi un réseau de soutien communautaire, le fait d’être coupé de ce réseau en raison d’un déménagement aura des répercussions profondes. Pour une personne âgée immigrante qui fait face à des obstacles linguistiques et qui possède des valeurs culturelles distinctes, la transition d’une vie autonome à un foyer de soins de longue durée peut se révéler particulièrement perturbante. Une personne âgée autochtone qui a vécu toute sa vie dans une collectivité des Premières nations et qui est forcée de déménager à un âge avancé en raison du manque de mesures de soutien appropriées dans sa collectivité devra subir des conséquences particulières. Et dans les communautés autochtones qui attribuent un rôle et une valeur uniques aux anciens, le départ d’une personne âgée aura également des répercussions distinctes. En outre, pour les Autochtones qui ont subi l’expérience des pensionnats dans leur jeunesse, la réintégration dans un établissement peut causer un traumatisme important[140].

 

D.     La « vulnérabilité », l’inégalité et le risque chez les personnes âgées

Comme on le verra plus en détail au chapitre IV, dans les lois et les politiques, la vieillesse sert souvent de variable substitutive pour d’autres caractéristiques ou d’autres formes de désavantage, comme un faible revenu ou une incapacité. Cette tendance est reliée à une perception assez répandue selon laquelle les personnes âgées, en tant que groupe, sont en quelque sorte des gens « vulnérables » qui risquent davantage de subir des conséquences néfastes, par exemple de toucher un faible revenu ou encore d’être victimes de mauvais traitements, d’exploitation ou de discrimination.

Le bref examen des réalités des personnes âgées présenté dans ce chapitre révèle la relation complexe entre l’âge et diverses formes de désavantage. Cependant, les « personnes âgées », peu importe comment on les définit, forment un groupe très hétérogène, composé d’individus dont les ressources, les capacités et les points de vue sont très variés. Les personnes âgées ne sont pas toutes pauvres, malades, handicapées ou autrement défavorisées.

En reconnaissant cette réalité, on évite en quelque sorte d’utiliser l’âge uniquement comme marqueur du désavantage. On s’efforce plutôt de déterminer, à l’intérieur de la catégorie générale des « personnes âgées », des sous-groupes de personnes « fragiles » ou « vulnérables » auxquels les lois et les politiques doivent accorder une attention et une protection supplémentaires .

Il est vrai que certaines personnes âgées, à tout le moins, sont exposées à des conséquences considérablement néfastes. Ne pas reconnaître ou aborder les risques accrus auxquels elles font face pourrait aggraver leur situation et accroître leur marginalisation.

[Traduction] Il existe une attente sociale et une responsabilité non avouées d’atteindre cet idéal [du vieillissement réussi] imposées aux personnes qui ne peuvent être blâmées pour leur incapacité.

L’âgisme entretient également la croyance selon laquelle les individus sont à même d’atteindre, par eux-mêmes, cet idéal du « vieillissement réussi », ou qu’ils peuvent, en déployant des efforts et en démontrant suffisamment de volonté, mettre un terme à toutes les inégalités sociales qu’ils ont subies tout au long de leur vie ou à celles qui se manifestent plus tard dans la vie[141]. [Le texte original est en italique.] 

Comme l’indique le présent chapitre, lorsqu’elles entament ce stade de la vie, certaines personnes disposent de ressources, financières ou autres, insuffisantes pour relever les défis du vieillissement. Certains aspects du vieillissement, comme la probabilité plus élevée de développer une maladie ou une déficience et l’incapacité de récupérer les pertes financières, exposent les personnes âgées à des risques de désavantage plus importants. En effet, certaines personnes âgées subissent davantage de conséquences néfastes et ont de plus grands besoins en matière de mesures de soutien et de ressources que les gens plus jeunes ou que d’autres personnes âgées. Les lois d’application générale qui ne tiennent pas compte des risques plus élevés auxquels sont exposées certaines personnes âgées peuvent faire en sorte que celles-ci aient plus de difficulté à exercer et à faire valoir leurs droits. Le défi consiste à déterminer qui sont ces personnes âgées et à élaborer des démarches conceptuelles à l’égard de leurs besoins qui ne reproduiront pas les problèmes suscités par les approches qui considèrent l’ensemble des personnes âgées comme « fragiles » et « vulnérables ».

 

1.      Le concept de « vulnérabilité » est-il pertinent pour le droit touchant les personnes âgées?

Comme il a été mentionné auparavant, le concept de « vulnérabilité » est couramment utilisé pour décrire les personnes âgées qui nécessitent des mesures de protection supplémentaires.

Ce concept ne fait pas l’unanimité dans le domaine du droit touchant les personnes âgées, comme le montrent les débats constants qui visent à déterminer si les personnes âgées, ou certaines d’entre elles, doivent être considérées comme « vulnérables ». Étant donné le conflit perpétuel entre la promotion de l’autonomie des personnes âgées et la protection de leur sécurité au sein du droit des aînés, le concept de la vulnérabilité a une incidence importante sur ce domaine.

Le Petit Robert donne deux définitions pour l’adjectif « vulnérable » : 1) Qui peut être blessé, frappé par un mal physique; et 2) Qui peut être facilement atteint, se défend mal. Ainsi, une personne « vulnérable » est exposée à un risque accru de subir une blessure ou un préjudice quelconque. Le concept de la vulnérabilité peut suggérer que les autres ont une obligation accrue de prévenir d’éventuels préjudices ou d’y remédier, ou encore que les personnes vulnérables ont droit à des mesures de protection supplémentaires.

Véhiculant les préjugés sur la faiblesse, la fragilité et la dépendance des personnes âgées, le droit, tout comme l’imaginaire populaire, associe souvent la vieillesse en général à la « vulnérabilité ». Les lois en matière de protection des adultes constituent un bon exemple de cette association[142]. La vulnérabilité particulière des personnes âgées à un faible revenu a mené à la création d’un ensemble de programmes de sécurité du revenu très efficaces axés sur les personnes âgées.

Le concept de « vulnérabilité » et son association à la vieillesse sont des questions controversées. L’a priori voulant que toutes les personnes âgées soient vulnérables repose sur des stéréotypes et les entretient, alors que ceux-ci sont contredits par l’existence de nombreuses personnes âgées actives, en santé et engagées. La tendance à concentrer les discussions au sujet des personnes âgées et de la vulnérabilité sur la capacité juridique et la prise de décision ne fait qu’empirer le problème, et ce, à un point tel que la vulnérabilité et l’incapacité juridique et décisionnelle sont couramment employées comme des notions interchangeables. Le concept de vulnérabilité, tel qu’il est appliqué aux personnes âgées, tend à revêtir une connotation péjorative, plutôt que d’être considéré comme une part intégrante de la condition humaine en général. La vulnérabilité risque d’être perçue comme une caractéristique inhérente aux personnes âgées, au lieu d’une particularité issue du parcours et des conditions de vie de certaines d’entre elles.

En outre, l’association des personnes âgées à la vulnérabilité sert parfois à justifier une intervention contraignante et paternaliste dans la vie de celles-ci. Comme l’indique Margaret Hall :

[traduction] Il y a beaucoup de résistance à l’idée selon laquelle la vulnérabilité constitue une catégorie conceptuelle cohérente du droit et du vieillissement, et cette résistance provient de l’association de la vulnérabilité à la faiblesse et du refus de concevoir le vieillissement comme une perte de capacité. On craint que la doctrine axée sur la vulnérabilité personnelle augmente la vulnérabilité sociale, la source de préjudice la plus importante, au point de renforcer les préjugés âgistes sur la faiblesse et l’incapacité. Il existe une protection juridique pour les personnes réellement incapables, indépendamment de leur âge; outre cela, les personnes âgées doivent être traitées comme tout autre adulte, en droit et à tous les égards[143].

La juriste Martha Fineman a suggéré un nouveau concept de vulnérabilité, qui ne tient pas compte des sous-groupes particuliers (comme les personnes âgées et les enfants) et qui se concentre sur l’idée que la vulnérabilité est au cœur de la condition humaine et constitue un état [traduction] « qui découle de notre incarnation et qui porte en soi la probabilité imminente et toujours présente de subir un préjudice, une blessure ou un malheur[144] ». Selon cette approche, la vulnérabilité comporte des aspects institutionnels et des aspects individuels et suppose une relation de responsabilité entre l’État et l’individu :

[traduction] Bien que tous les êtres humains se trouvent constamment en position de vulnérabilité, la nature de cette position diffère selon les individus. Chacun d’entre nous occupe une position différente dans le monde et au sein des réseaux de relations économiques et institutionnelles. Par conséquent, l’ampleur et la probabilité de la vulnérabilité varient d’une personne à l’autre. La vulnérabilité est à la fois universelle et individuelle; chacun de nous la vit différemment. En ce qui concerne cette particularité, il importe de souligner que notre expérience individuelle de la vulnérabilité dépend de la qualité et de la quantité des ressources que nous possédons ou dont nous pouvons disposer. Bien que la société ne soit pas en mesure d’éliminer notre vulnérabilité, elle peut agir sur celle-ci, y faire contrepoids et la réduire par l’intermédiaire de programmes, d’institutions et de structures, ce qu’elle fait effectivement. Par conséquent, une analyse de la vulnérabilité doit tenir compte à la fois de la position de chacun et des relations institutionnelles[145].

Même s’il pourrait être utile de changer l’orientation de l’État et des institutions par rapport à la lutte contre la vulnérabilité, il est important de reconnaître que les mesures prises par l’État et les institutions à l’égard de la vulnérabilité perçue chez les personnes âgées sont parfois paternalistes, coercitives et contre-productives. Certains ont fait valoir que les mesures législatives visant à contrer la vulnérabilité, comme la déclaration obligatoire des cas de violence envers les personnes âgées, peuvent parfois augmenter le risque plutôt que le réduire[146]. L’intervention du droit à l’égard de la vulnérabilité peut être une source d’inquiétudes légitimes, et il importe de se demander si cette intervention est appropriée et jusqu’à quel point des mesures paternalistes ou coercitives sont réellement nécessaires ou souhaitables.

L’adoption d’une démarche anti-âgiste dans le domaine du droit et l’application de principes appropriés pendant l’élaboration de lois, de politiques et de programmes destinés aux personnes âgées peuvent contribuer à éviter les mesures inappropriées ou contraignantes pour contrer la vulnérabilité. Cependant, cela ne permet pas de déterminer si le concept de vulnérabilité demeure pertinent et utile dans le domaine du droit touchant les personnes âgées, malgré le recours à des mesures inappropriées pour lutter contre la vulnérabilité dans le passé, ni s’il est nécessaire d’élaborer de nouveaux concepts et de nouvelles démarches. À cet égard, il peut être avantageux de considérer l’analyse des droits à l’égalité et les concepts du risque.

 

2.      Application d’une analyse des droits à l’égalité à la situation des personnes âgées

L’analyse des droits à l’égalité constitue une autre façon d’examiner les circonstances dans lesquelles les lois et les politiques doivent accorder une attention ou une protection supplémentaire aux personnes âgées. 

Les garanties à l’égalité et à la non-discrimination conférées par les droits constitutionnels et les droits de la personne aux personnes âgées et aux autres personnes ou groupes marginalisés ou défavorisés sont décrites de façon plus détaillée dans le chapitre IV de ce rapport provisoire. Le but ici ne consiste pas tant à entreprendre une analyse juridique qu’à souligner le fait que nous avons reconnu, en tant que société, l’égalité et la non-discrimination comme des valeurs fondamentales, et que nous allons souvent à l’encontre de ces valeurs.

Comme le montre la jurisprudence très complexe aux termes de l’article 15 de la Charte, le terme « égalité » est difficile à définir. Ce qui est clair, c’est qu’« égalité » ne signifie pas « uniformité » : il ne s’agit pas de traiter de la même façon tous ceux dont les situations sont semblables. Les gens sont différents, et ces différences sont importantes. Afin d’assurer l’égalité, il convient notamment de reconnaître les réalités et les caractéristiques des personnes et des groupes concernés ainsi que d’en tenir compte. L’inégalité apparaît lorsqu’on attribue à une personne ou à un groupe des différences qui n’existent pas (en raison de stéréotypes, par exemple) et que l’on agit en fonction de celles-ci. Mais elle peut également survenir lorsqu’on ignore ou minimise de véritables différences[147]. 

On a déjà abordé dans le présent chapitre certaines différences entre les personnes âgées et d’autres groupes, comme une tendance supérieure (qui augmente avec l’âge) à résider dans une habitation collective, à vivre avec certains types de déficiences et d’incapacités ou à se retirer du marché du travail et à toucher un revenu fixe. De telles différences, si elles ne sont pas reconnues, peuvent positionner les personnes âgées différemment par rapport au droit et faire en sorte qu’elles éprouvent plus de difficulté à exercer et à faire valoir leurs droits.

Une analyse des droits à l’égalité comporte l’avantage d’être une démarche positive, en ce sens qu’elle se concentre sur le but ultime des interventions qui ciblent les personnes âgées, ou certaines d’entre elles : l’augmentation de l’égalité. Autrement dit, ce genre d’analyse vise l’atteinte d’un résultat positif, plutôt que la seule réduction des effets négatifs. Dans cette optique, les personnes âgées sont considérées comme des titulaires de droits, et non comme les sujets passifs et fragiles des interventions des autres. Contrairement aux approches fondées sur le concept de vulnérabilité, une telle analyse ne tend pas en soi à accorder plus d’importance à la sécurité des personnes âgées qu’à la préservation de leur indépendance et de leur autonomie.

 

3.      Les personnes âgées et le risque accru

Une solution de rechange plus souple à l’emploi du terme « vulnérables » pour qualifier les personnes âgées qui nécessitent des mesures de soutien ou de protection supplémentaires consiste à se concentrer sur les indicateurs de l’exposition à un risque accru.

À la différence du concept de vulnérabilité, la notion de risque accru reconnaît d’emblée que l’état d’un individu varie selon les situations et au fil du temps : le risque est une question de degré, et ne relève pas du « tout ou rien ». De plus, le concept du risque accru est axé non seulement sur les caractéristiques de chaque personne, mais aussi sur les facteurs propres à son environnement immédiat ou plus vaste. Ainsi, il tient compte des facteurs sociaux qui peuvent entraîner des conséquences néfastes et réduit la stigmatisation des personnes considérées comme plus vulnérables[148]. Dans cette perspective, tous les êtres humains sont exposés à un certain degré de risque, et ce degré diminue ou augmente selon la qualité des ressources ou des atouts de chacun. Certaines personnes âgées sont exposées à un niveau de risque plus ou moins élevé que d’autres : il s’agit donc de déterminer les facteurs ou les mesures de soutien qui augmentent ou diminuent le risque. Cette façon de faire reconnaît la diversité des personnes âgées, évite de les catégoriser d’une manière stigmatisante, par exemple en leur attribuant des caractéristiques distinctives, et contribue à garantir que les programmes et les initiatives ciblent ceux qui en ont le plus besoin.

Cependant, cerner les sources de risque accru pour les personnes âgées n’a rien d’une simple tâche. On peut avoir tendance à penser que le risque est associé à des situations ou à des choix individuels. Par exemple, une personne qui choisit de vivre seule malgré son niveau d’incapacité croissant peut être exposée à un risque de blessure plus élevé, et une personne atteinte de démence peut être plus vulnérable à l’exploitation financière.

Bien que la nature du risque diffère selon les personnes, il faut néanmoins tenir compte du contexte social plus vaste dans lequel ce risque surgit. Les relations qu’une personne âgée entretient avec les membres de sa famille et d’autres personnes, ses conditions de vie, ainsi que ses sources et son niveau de revenu constituent des facteurs qui, selon leur qualité et leur importance, peuvent contribuer à hausser ou à diminuer le niveau de risque auquel elle est exposée. En outre, bien que l’apparition d’un problème de santé, d’une limitation d’activité ou d’une incapacité puisse exposer une personne âgée à des risques supplémentaires, ces risques relèvent autant du fait que la société ne tient pas compte des besoins des personnes que des déficiences elles-mêmes. Les exemples fournis dans les paragraphes suivants illustrent cette réalité. 

Milieu de vie : Le milieu de vie des personnes âgées peut accroître ou réduire leur vulnérabilité, selon la qualité et les mesures de soutien qu’il offre. Les milieux de vie qui entraînent l’isolement social, réduisent l’autonomie ou ne veillent pas à la sécurité physique ou émotionnelle de base des personnes âgées augmentent le risque auquel elles sont exposées. Vivre de façon autonome ou dans une habitation collective peut augmenter ou réduire la vulnérabilité, selon la qualité du milieu de vie et le caractère approprié du mode de vie choisi. Cependant, il convient de noter que les habitations collectives présentent des risques uniques, car bien qu’elles offrent des mesures de soutien importantes aux personnes âgées qui en ont besoin, elles peuvent également réduire leur indépendance et leur autonomie, en plus d’entraîner leur isolement social. Les résidents d’établissements qui souhaitent se plaindre de leur situation se heurtent à des obstacles plus sérieux que les autres personnes âgées, et cela est d’autant plus vrai pour ceux qui sont hébergés dans des services d’hospitalisation clos[149]. 

Famille et relations : Comme il a été souligné précédemment, le soutien offert par de solides relations sociales favorise le bien-être émotionnel, mental et physique des personnes âgées. Pouvoir contribuer, sur le plan pratique ou émotionnel, au bien-être des personnes qui leur sont chères permet aux personnes âgées de continuer de faire partie de leur collectivité et d’avoir le sentiment qu’elles sont des membres à part entière de celle-ci. De la même façon, un réseau social solidement tissé peut aider les personnes âgées à continuer de vivre au sein de la collectivité et à maintenir leur indépendance et leur autonomie. Il contribue également à garantir que les droits des personnes âgées sont respectés, qu’elles vivent dans la collectivité ou dans une habitation collective. Inversement, l’isolement social a une incidence sur la santé et le bien-être et peut rendre les personnes âgées plus vulnérables aux mauvais traitements ou à l’exploitation. Alors que les années s’écoulent, les membres de la famille et les amis meurent ou deviennent moins accessibles. En outre, les attitudes sociales négatives à l’endroit des personnes âgées peuvent faire en sorte que celles-ci ont plus de difficulté à tisser de nouveaux liens.

Situation socioéconomique : Les personnes âgées qui jouissent d’une sécurité financière sont plus aptes que celles qui ne sont pas financièrement à l’aise à se prévaloir des mesures de soutien nécessaires au maintien de leur santé, de leur participation et de leur sécurité et à s’assurer que leurs droits sont respectés. Il est possible que les personnes âgées à faible revenu et dont les niveaux de scolarité et d’alphabétisation sont moins élevés disposent de moins de ressources pour affronter les défis du vieillissement et qu’elles éprouvent plus de difficulté à accéder à de l’information et à des mesures de soutien pour combler leurs besoins.

Bien entendu, ces facteurs individuels et sociaux façonnent le parcours de vie des personnes âgées. Dans certains cas, le risque accru auquel est exposée une personne âgée est le résultat des décisions qu’elle a prises et des désavantages qu’elle a subis durant son enfance, sa jeunesse et une grande partie de sa vie d’adulte. Par exemple, comme il a été mentionné auparavant, les personnes qui ont été victimes de racisme, de sexisme ou d’autres formes de discrimination tout au long de leur vie sont plus susceptibles d’avoir un niveau de scolarité et d’alphabétisation plus faible et une moins grande sécurité financière lorsqu’ils atteignent le troisième âge, ce qui les place dans une situation désavantageuse pour affronter les défis du vieillissement.

Le droit peut également hausser ou diminuer le niveau de risque auquel sont exposées les personnes âgées. Par exemple, les régimes légaux visant les procurations perpétuelles ou la protection des résidents d’un logement collectif peuvent soit garantir la protection des droits des personnes âgées, soit exposer celles-ci à la violence ou aux mauvais traitements. Les lois d’application générale qui ne tiennent pas compte des besoins des personnes âgées peuvent faire en sorte que celles-ci ont plus de difficulté à défendre leurs droits.

Les attitudes sociales ont aussi une incidence sur le niveau de risque. À cet égard, il est raisonnable de penser que les personnes âgées, dans l’ensemble, sont visées par des sources de risque différentes des autres groupes. Même si bien des personnes âgées sont en santé, à l’aise financièrement, jouissent de solides réseaux de soutien social et s’engagent activement dans leur collectivité, elles sont tout de même vulnérables aux conséquences de l’âgisme. Les effets de la discrimination, des attitudes négatives et de l’exclusion sociale peuvent accroître les risques pour les personnes âgées. Par exemple, comme on l’a vu plus tôt dans le présent chapitre, les personnes âgées peuvent avoir plus de difficulté à trouver et à conserver un emploi en raison de la discrimination fondée sur l’âge, ce qui les expose à un plus grand risque d’insécurité financière. Cela peut être d’autant plus vrai pour les personnes âgées racialisées, GLBT, qui sont arrivées au pays depuis peu ou qui sont confrontées à d’autres obstacles comportementaux uniques. Les changements biologiques souvent associés au vieillissement peuvent faire naître un plus grand sentiment de vulnérabilité physique, alors que le corps vieillit et devient plus fragile, ainsi qu’un plus grand risque d’isolement social, au fur et à mesure que parents, amis et conjoints prennent de l’âge et meurent. Ces changements peuvent susciter chez les personnes âgées un sentiment d’insécurité. Il est important de reconnaître ce sentiment d’insécurité, tout comme il est important de reconnaître que certains l’éprouvent plus que d’autres, et que ce type de désavantage courant n’est pas suffisant pour justifier les intrusions paternalistes dans la vie des personnes âgées en général.

En outre, les risques peuvent se combiner ou s’accumuler. Par exemple, le niveau de risque auquel sont exposées les femmes âgées veuves peut être plus élevé en raison de leur plus grande insécurité financière ainsi que des stéréotypes et des désavantages fondés sur le sexe auxquels elles font face, et ce, particulièrement alors qu’elles vieillissent et qu’elles ont de moins en moins accès aux mesures de soutien social. 

Un examen attentif du « risque » ou du « risque accru » constitue ainsi un moyen flexible pour comprendre les contextes dynamiques de la vie des personnes âgées et pour tenir compte des circonstances dans lesquelles elles subissent des désavantages. Il ne s’agit pas de voir le désavantage comme une caractéristique inhérente à une personne âgée en particulier, mais de se concentrer sur une variété de facteurs, internes et externes, qui peuvent susciter des conséquences néfastes.

Bien que les concepts de l’égalité, de l’inégalité et du risque jettent un éclairage différent sur les expériences des personnes âgées, ils sont néanmoins interreliés. Pour élaborer des lois, des programmes et des politiques qui visent à cerner les situations d’inégalité et à les améliorer, il est nécessaire d’identifier les personnes les plus vulnérables aux désavantages et aux préjudices.

 

4.      Mesures visant à contrer le risque accru et l’inégalité chez les personnes âgées

Compte tenu des politiques adoptées par le passé pour intervenir auprès des personnes âgées perçues comme fragiles ou incapables, il faut agir avec prudence lorsqu’on met au point des mesures législatives visant à contrer l’inégalité ou le risque accru. L’application d’un ensemble de principes qui reconnaissent à leur juste valeur l’autonomie, la dignité, la participation et l’inclusion des personnes âgées et qui ne sont pas uniquement axés sur la sécurité peut contribuer à déterminer les mesures qui favorisent l’égalité et le bien-être de cette population, au lieu de la marginaliser encore plus. 

Afin d’adapter les mesures au risque, il est important d’examiner attentivement et précisément les préjudices ou les conséquences néfastes auxquels les personnes âgées sont exposées. Quelle est la conséquence néfaste qui risque de s’ensuivre? Nous songeons la plupart du temps à la violence physique ou psychologique, ou encore à l’exploitation sexuelle ou financière, mais il existe d’autres types de conséquences, comme la pauvreté et l’itinérance, l’isolement social et l’exclusion, la discrimination ou le crime. Par ailleurs, comme le degré de préjudice varie, il faut adapter les mesures au degré de préjudice qui risque de se concrétiser. 

Selon la nouvelle conceptualisation de la vulnérabilité proposée par Martha Fineman, le rôle des gouvernements à l’égard de la vulnérabilité ne consiste pas à enrayer celle-ci complètement, ce qui est impossible, mais plutôt à accroître la résilience, soit [traduction] « le fait de disposer des moyens requis pour affronter le malheur et s’y adapter ».

[Traduction] Les établissements forment collectivement des réseaux qui jouent un rôle important pour réduire, améliorer et compenser la vulnérabilité. De manière conjointe et autonome, ils nous fournissent des ressources sous la forme d’avantages ou de mécanismes d’adaptation qui nous protègent lorsque nous sommes exposés au malheur, au désastre et à la violence. Ces atouts combinés nous offrent la résilience dont nous avons besoin pour faire face à notre vulnérabilité commune[150].

Selon Martha Fineman, ces atouts ou ressources peuvent prendre cinq formes : physique, humaine, sociale, écologique ou environnementale et existentielle. Cette tentative d’augmenter la résilience, par la prestation de ressources, constitue une solution de rechange à l’une des mesures les plus courantes pour contrer le risque auquel sont exposées les personnes âgées, c’est-à-dire augmenter le contrôle sur celles-ci et réduire leurs choix.

 

E.      Les conséquences de l’élaboration d’une démarche contextuelle dans le domaine du droit touchant les personnes âgées

Pour élaborer une démarche anti-âgiste dans le domaine du droit, il faut d’abord comprendre et respecter les besoins et les réalités des personnes âgées. Selon Margaret Hall, le fait de ne pas [traduction] « répondre de manière appropriée aux besoins véritables des personnes âgées dans l’ensemble (alors qu’elles forment un groupe très hétérogène), en tenant compte de ce qui distingue leur situation et leurs besoins de ceux des personnes plus jeunes » est l’une des façons dont l’âgisme peut se manifester dans le droit[151]. Ce constat s’applique autant au contenu du droit qu’à sa mise en œuvre.

Cependant, ce n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire. La tendance qu’ont certains à voir les personnes âgées comme un « autre » homogène, caractérisé principalement par la fragilité, la dépendance et la proximité avec la mort ne rend pas justice à la complexité du vieillissement et à la richesse des expériences de vie et des points de vue des personnes âgées. Les cadres juridiques et stratégiques fondés sur une conception normalisée de l’expérience du vieillissement donnent inévitablement lieu à l’inclusion ou à l’exclusion d’un trop grand nombre de personnes âgées qui s’écartent de la norme perçue, et peuvent aussi causer des situations d’injustice. Cette réalité pose un défi important pour ceux qui tentent d’élaborer des politiques et des programmes destinés aux personnes âgées.

En outre, comme on le verra plus en détail au chapitre suivant, lorsqu’on fait des généralisations sur les personnes âgées, il faut s’assurer que ces généralisations ne sont pas entachées de stéréotypes ou de préjugés négatifs à leur endroit. Les lois et les politiques doivent reposer sur des recherches et des données probantes, plutôt que sur des hypothèses. Comme l’indiquent les forces démographiques et les tendances sociales, le portrait de la population de personnes âgées est en constante évolution, et ce qui s’applique aujourd’hui aux personnes âgées ne s’appliquera peut-être qu’à une petite minorité d’entre elles demain.

Le présent chapitre proposait un bref examen de certaines situations et caractéristiques des personnes âgées pouvant avoir une incidence sur les rapports des personnes âgées, dans l’ensemble, avec le droit. Les responsables de l’élaboration, de l’application et de l’évaluation des lois doivent tenir compte de l’incidence que ces situations et caractéristiques peut avoir sur l’effet des lois et l’accès à la justice. Les paragraphes ci-dessous fournissent certains exemples de l’incidence que peuvent avoir ces situations et caractéristiques. Ces exemples, qui ne couvrent pas toutes les possibilités, indiquent de quelle manière le législateur et les décideurs peuvent s’y prendre pour analyser les effets potentiels de leurs initiatives sur les personnes âgées.

Ainsi, bien que les lois, les programmes et les politiques doivent reconnaître les capacités et l’individualité des personnes âgées, cette reconnaissance doit être contrebalancée par la prestation de mesures de soutien supplémentaires aux personnes âgées plus défavorisées ou vulnérables de manière à garantir que le droit favorise la dignité, l’autonomie, la participation et la sécurité de chacune d’entre elles. La stratégie adoptée pour assurer l’autonomie et la sécurité d’un homme de 60 ans en santé, heureux en ménage et qui jouit d’une sécurité financière ne sera pas la même que pour une veuve de 85 ans à mobilité réduite et atteinte de démence, dont les enfants vivent à plusieurs heures de chez elle et qui habite un foyer de soins de longue durée.

Espérance de vie : Dire qu’il est plus probable que les personnes âgées disposent de moins de temps devant elles que les adultes plus jeunes semble être l’évidence même. Néanmoins, la perspective de disposer de moins de temps devant soi influe notamment sur l’efficacité de la mise en œuvre et les mécanismes d‘exécution.

Le délai de recours juridique est un aspect important de l’accès à la justice pour tous. Les longs processus risquent de décourager les gens en quête de justice ou de rendre les recours inefficaces au moment où ils sont obtenus. Pour les personnes d’un âge avancé dont l’espérance de vie est limitée, toutefois, la rapidité du processus peut prendre une importance particulière, puisque les recours exigeant de longues procédures sont pratiquement inutiles[152]. Bien entendu, cette préoccupation s’accroît avec l’âge : cet enjeu est moins crucial pour une personne dans la soixantaine que pour les octogénaires ou les nonagénaires. 

Niveaux de scolarité et d’alphabétisation : Même si les niveaux de scolarité et d’alphabétisation des personnes âgées augmenteront au fil du temps en raison des tendances actuelles en matière d’éducation, le fait que les personnes âgées d’aujourd’hui ont, de façon générale, des niveaux de scolarité et d’alphabétisation moins élevés que les Canadiens plus jeunes a une incidence importance sur leur accès à l’information et, par le fait même, sur leur capacité à comprendre et à exercer leurs droits. Ce problème est d’autant plus grave compte tenu du virage observé dans la façon dont l’information sur les garanties juridiques est diffusée :

[traduction] De plus en plus, dans bien des régions du Canada, l’information publique sur le droit et les renseignements du gouvernement sur les services et les prestations sont diffusés non plus par des personnes, mais par des sources virtuelles comme Internet. Selon le Comité sénatorial spécial sur le vieillissement, la publication de renseignements sur le Web repose sur le principe que les gens ont une capacité de lecture élémentaire et qu’ils ont accès à Internet. De nombreuses personnes âgées, particulièrement des femmes, n’ont pas accès à Internet ou ne savent pas comment l’utiliser[153].

Cela signifie que les personnes âgées risquent d’être moins au fait de leurs garanties juridiques et d’avoir plus de difficulté à accéder à l’information sur celles-ci. Le régime juridique en général est de plus en plus complexe : 

[traduction] Les intervenants et la population conviennent à l’unanimité que le régime juridique de l’Ontario est trop coûteux et trop compliqué pour la grande majorité des gens. Il existe une inégalité croissante entre les plaideurs riches et les plaideurs pauvres. L’utilisateur moyen est intimidé par le régime et a l’impression qu’il est destiné à l’élite de l’Ontario. Les participants ont déclaré que le processus juridique est trop complexe et qu’une telle complexité cause des retards non nécessaires et préjudiciables[154].

Il vaut la peine de souligner, en outre, que de nombreuses lois qui touchent particulièrement les personnes âgées, comme celles ayant trait à la capacité, au consentement et à la prise de décision au nom d’autrui, sont extrêmement complexes, même dans les circonstances les plus favorables. Par exemple, le manuel du praticien sur les foyers de soins de longue durée et les résidences pour personnes âgées de l’AS compte plus de 600 pages, tandis que le guide du logement à loyer proportionné au revenu de la ville de Toronto, qui explique la loi au personnel et aux administrateurs de coopératives d’habitation et de logements sans but lucratif, en compte plus de 200. Le manque de connaissance de leurs droits peut représenter un obstacle important pour les personnes âgées qui cherchent à accéder à la justice[155]. 

Participation au marché du travail : Bien que cette situation puisse changer à l’avenir, la plupart des personnes âgées se sont retirées du marché du travail et n’ont pour seul gagne-pain que le revenu fixe de leur régime de retraite ou des programmes gouvernementaux. Ainsi, la majorité des personnes âgées peuvent difficilement assumer des dépenses imprévues et élevées, qui pourraient les forcer à passer le reste de leurs jours dans une situation de pauvreté ou de précarité financière. Cela signifie que, pour nombre d’entre elles, dépenser des sommes d’argent considérables pour intenter une poursuite n’est pas une solution réaliste aux difficultés qu’elles peuvent éprouver à exercer leurs garanties juridiques. La difficulté d’accès à l’Aide juridique ne fait qu’empirer ce problème.

[Traduction] Les participants au sommet se sont entendus pour dire que l’Aide juridique est sous-financée et qu’elle n’est pas à même de remplir adéquatement son mandat, lequel consiste à s’assurer que tous les Ontariens disposent d’un accès équitable et réel au système juridique.

En raison de critères d’admissibilité stricts, bien des demandeurs à revenu faible ou moyen ne peuvent avoir recours à l’Aide juridique. En fait, il est presque impossible d’y avoir accès dans les affaires au civil. En outre, l’Aide juridique verse aux avocats des honoraires beaucoup moins élevés que dans la pratique privée. Par conséquent, moins d’avocats se chargent des cas traités par l’organisme. Les plaideurs admissibles à l’Aide juridique, particulièrement dans les régions rurales, ont de la difficulté à trouver un avocat pour les représenter[156]. 

Sécurité du revenu : Bien que le taux de personnes âgées touchant un faible revenu soit actuellement assez bas, la pauvreté s’observe de façon disproportionnée chez certains groupes de personnes âgées, comme les femmes âgées seules. En outre, selon les tendances actuelles en matière de régime de retraite et d’épargne-retraite, on peut présumer que le nombre de personnes âgées à faible revenu risque d’augmenter de nouveau dans l’avenir. Cela signifie, par exemple, que les coûts associés à l’accès aux garanties juridiques et aux recours pourraient constituer un obstacle pour certains groupes importants de personnes âgées.

Milieu de vie : Bien que la plupart des personnes âgées habitent un logement privé, elles sont beaucoup plus susceptibles que les autres adultes de vivre dans une habitation collective, comme un foyer de soins de longue durée. Cela vaut particulièrement pour les femmes d’un âge avancé. Cette situation a une incidence importante sur la manière dont les personnes âgées accèdent à l’information, bénéficient de services et d’avantages et font valoir leurs droits.

Les personnes qui vivent dans une habitation collective, particulièrement un foyer de soins de longue durée, peuvent se heurter à d’importants obstacles à l’accès à la justice. À cet égard, l’Advocacy Centre for the Elderly (AS) a déclaré ce qui suit : 

[traduction] Dans les habitations collectives, le déséquilibre de pouvoir entre les personnes âgées et le personnel ou les fournisseurs de soins constitue l’un des principaux facteurs contribuant à créer un climat où les personnes âgées hésitent à se plaindre et à demander justice. Les résidents sont « prisonniers » de leur milieu de vie : c’est-à‑dire qu’ils ne peuvent pas se passer de l’aide qui y est offerte, qu’ils sont peu ou pas du tout consultés à propos des fournisseurs de soins, et qu’ils ne peuvent pas déménager s’ils ne sont pas satisfaits des soins reçus. Des résidents ayant participé à nos groupes de discussion nous ont confié qu’ils évitent de se plaindre par crainte de subir les représailles du personnel ou d’être expulsés. De plus, ils ont dit qu’ils ne voulaient pas « faire des histoires » ou « causer des problèmes ». Certains d’entre eux craignent d’être « expulsés » de leur résidence ou de leur foyer s’ils ne respectent pas les « règles »[157].

Un nombre disproportionné de gens de 65 ans et plus habite les régions rurales ou éloignées[158] et, par conséquent, est confronté à des enjeux particuliers sur le plan de l’accès aux services. Comme il a été mentionné auparavant, le transport peut devenir un problème majeur pour les personnes âgées qui sont incapables de conduire et qui n’ont pas accès à un réseau de transport public en raison de leur lieu de résidence. Le manque de services juridiques et gouvernementaux dans ces régions ne fait qu’aggraver ces problèmes[159]. 

La famille, les relations et la prestation de soins : Le bien-être des personnes âgées dépend parfois d’autres personnes, en raison d’un problème de santé, d’une incapacité, d’une dépendance financière ou de la dynamique familiale. Par conséquent, les personnes âgées peuvent hésiter à se plaindre de l’exploitation financière ou de la violence psychologique, physique ou sexuelle que leur fait subir un membre de la famille ou un fournisseur de soins (formels ou informels) dont elles dépendent pour conserver un certain niveau d’indépendance et de bien-être[160]. Par exemple, pour une personne qui vit encore dans la collectivité grâce à des mesures de soutien, porter plainte pourrait entraîner la perte du réseau de soutien et ne laisser d’autre choix que le déménagement dans un établissement, ce à quoi elle pourrait s’opposer catégoriquement. 

Problème de santé, limitation d’activité et incapacité : En vieillissant, les personnes âgées sont plus susceptibles de développer des déficiences physiques ou sensorielles. De plus, de nombreux Canadiens vieillissent avec une incapacité et requièrent des services dénués d’obstacles. Cela signifie que les immeubles et les services doivent être conçus de manière à être accessibles à tous. Par exemple, les renseignements affichés sur les sites Web doivent être accessibles aux lecteurs d’écran, les niveaux de bruit ambiant doivent être ajustés pour les malentendants et les obstacles physiques doivent être éliminés pour les personnes qui utilisent un fauteuil roulant, une marchette, un scooter ou tout autre appareil de mobilité.

Dans cette même perspective, l’accessibilité physique des établissements juridiques prend une tout autre importance, puisque les cabinets d’avocats, les services gouvernementaux, les tribunaux administratifs et les palais de justice inaccessibles empêcheraient bien des personnes âgées d’exercer leurs garanties juridiques[161].

De plus, les personnes âgées font face à des obstacles disproportionnés au chapitre des transports : avec l’âge, elles ont moins tendance à conduire, et les services de transport public peuvent être inexistants (dans les collectivités rurales ou éloignées) ou physiquement inaccessibles pour elles[162]. Elles peuvent, par conséquent, avoir de la difficulté à se déplacer jusqu’aux services de justice.

En outre, une personne âgée souffrant d’un problème de santé n’aura pas nécessairement l’énergie requise pour entreprendre des procédures longues ou pénibles.

Bien que la plupart des personnes âgées n’aient aucun trouble cognitif important, certaines d’entre elles vieillissent avec une déficience intellectuelle ou un trouble du développement. Avec l’âge se pose également le risque de développer des déficiences cognitives, comme la démence. De telles déficiences peuvent troubler la mémoire ou influer sur la capacité de prendre des décisions éclairées, ce qui risque d’avoir une incidence importante sur la capacité d’une personne à comprendre ses droits et avantages et à s’en prévaloir.

Les personnes qui ont vieilli avec une déficience mentale ou intellectuelle ou qui ont développé une déficience cognitive avec l’âge feront face à de nombreux obstacles en matière d’accès à la justice, de l’absence de documents rédigés en termes clairs sur le droit aux problèmes liés aux régimes sur la capacité et la tutelle en Ontario. L’absence de disposition concernant la nomination des tuteurs à l’instance dans les tribunaux administratifs est un exemple de ces obstacles.

[Traduction] Il n’existe aucune disposition permettant la nomination d’un avocat ou d’un tuteur à l’instance pour agir au nom d’un locataire mentalement incapable de remplir une demande et d’intenter un recours devant la Commission de la location immobilière. Cette situation compromet la capacité des locataires atteints d’une maladie mentale de se prévaloir de leurs droits, notamment de se défendre contre l’expulsion. Il est possible que les locataires ne se souviennent pas exactement de la suite des événements, ne comprennent pas le processus juridique, oublient d’assister à une audience ou ne pensent pas à faire appel à un représentant juridique avant qu’une mesure d’expulsion n’ait été prise contre eux[163].

Le Centre de la défense des personnes handicapées, une clinique d’aide juridique spécialisée dans les questions liées aux incapacités, a entrepris un projet sur la capacité des parties qui se présentent devant les tribunaux administratifs et a publié un rapport complet proposant des recommandations en vue d’une réforme du droit en la matière[164].

Identités croisées : Bien entendu, le vieillissement n’est qu’un aspect de l’identité d’une personne âgée, et il n’est généralement pas perçu comme le plus important par le principal intéressé. L’expérience du vieillissement de chaque personne varie en fonction de son sexe, de son origine ethnique ou de sa racialisation, de son appartenance à un groupe autochtone, de son orientation sexuelle, de sa situation socioéconomique, de sa situation familiale, de son emplacement géographique et d’autres facteurs. Les personnes ayant été victimes de marginalisation ou de discrimination tout au long de leur vie en raison de leur sexe, de leur racialisation, de leur orientation sexuelle, de leur appartenance à un groupe autochtone ou d’autres facteurs peuvent juger que le vieillissement empire leur situation ou change leur perception des choses. Les personnes appartenant à un groupe marginalisé sont plus susceptibles de se retrouver dans une situation défavorisée dans leur vieillesse, par exemple, de toucher un faible revenu ou de manquer de sources de soutien et de ressources. Par conséquent, le législateur et les décideurs se doivent de tenir compte de ces autres aspects du vieillissement.

  

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