Au début du présent projet, la CDO a déterminé que sa démarche à l’égard du droit touchant les personnes âgées reposerait sur un ensemble de principes s’inspirant des Principes des Nations Unies pour les personnes âgées et du Cadre national sur le vieillissement (CNV). Même si la définition et l’établissement de principes présentent certaines difficultés, une démarche fondée sur des principes offre la possibilité d’établir un ensemble de normes à l’aune desquelles les lois, les politiques et les programmes actuels ou potentiels pourront être évalués.

À partir des résultats de la consultation préliminaire, la CDO a décidé que les principes s’inscriraient dans une démarche anti-âgiste à l’égard du droit. C’est-à-dire que les normes établies à partir des principes devraient aborder de manière proactive les approches et les attitudes négatives envers les personnes âgées telles qu’elles se manifestent dans le droit. La consultation préliminaire a permis à la CDO de dégager cinq principes directeurs relativement au droit touchant les personnes âgées.

Conformément à cette approche, ce chapitre du rapport décrit certaines des principales caractéristiques de l’âgisme, ainsi que les valeurs sur lesquelles une démarche anti-âgiste devrait s’appuyer. La deuxième partie du chapitre s’appuie sur ces valeurs pour analyser et définir les principes anti-âgistes en matière de droit touchant les personnes âgées, et examiner brièvement certaines conséquences de leur application.

 

A.    Comprendre l’âgisme

Un cadre systémique du droit touchant les personnes âgées doit montrer une compréhension des obstacles auxquels les aînés font face, autant dans le droit que dans la société en général, et doit déboucher sur une démarche fondée sur une attitude bienveillante et empreinte de respect envers les personnes âgées pour éliminer ces obstacles.

Le concept de l’âgisme fournit un point de départ pour comprendre comment les personnes âgées peuvent être marginalisées, exclues ou défavorisées dans l’élaboration ou l’application du droit.

 

1.      Le concept de l’âgisme

Le concept de l’âgisme est apparu assez récemment. Robert Butler, un Américain, a mis de l’avant à la fin des années 1960 une approche de cette question qui a fait école. Il a défini l’âgisme comme étant :

[traduction] un processus par lequel des personnes sont stéréotypées ou discriminées de façon systématique en raison de leur âge, tout comme la couleur de la peau et le sexe dans le cas du racisme et du sexisme. L’âgisme permet aux jeunes générations de voir les personnes âgées comme étant différentes d’elles; c’est ainsi qu’elles cessent subtilement de s’identifier à leurs aînés en tant qu’êtres humains[165].

Butler explique que l’âgisme prend diverses formes, y compris les stéréotypes, les attitudes négatives, les comportements discriminatoires, l’évitement et l’exclusion sociale. L’âgisme peut être dû à l’ignorance – le manque de contacts entre les jeunes et les aînés – ou à une crainte profonde du vieillissement et de la mort. Il peut aussi servir un objectif rationnel, par exemple justifier un traitement préférentiel accordé aux jeunes ou exclure les personnes âgées du partage des ressources sociétales[166].

L’âgisme peut aussi se manifester sous forme de désavantage et d’exclusion systémiques des personnes âgées dans les institutions sociales. La Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) définit l’âgisme comme « une construction sociale de l’esprit qui fait percevoir les personnes âgées à partir de stéréotypes négatifs sur le vieillissement, ainsi que la tendance à structurer la société comme si tous étaient jeunes[167] ». 

Des efforts considérables ont été consacrés, au Canada et à l’échelle internationale, à cerner et à résoudre les problèmes liés à l’âgisme et à la discrimination fondée sur l’âge. Les Nations Unies ont déclaré 1999 l’Année internationale des personnes âgées, et il existe maintenant quantité de documents internationaux ayant pour but d’inculquer le respect envers les personnes âgées et se pencher sur leurs besoins. Des organismes comme la Canadian Association for the Fifty Plus (CARP) défendent vigoureusement les points de vue et les besoins de leurs membres, tandis que l’Advocacy Centre for the Elderly (ACE) en Ontario a grandement contribué à la promotion d’une réforme du droit relatif aux personnes âgées. En 2000, la CODP a entrepris une initiative importante pour mieux faire respecter les droits des personnes âgées, sensibiliser davantage la population à cette question et promouvoir des réformes des lois et des politiques. Le Comité sénatorial spécial sur le vieillissement vient de terminer un projet pluriannuel sur les personnes âgées au Canada. Des changements sont en cours, et les attitudes envers les personnes âgées continuent d’évoluer. 

Cependant, l’âgisme et la discrimination fondée sur l’âge sont encore souvent traités moins sérieusement que d’autres formes de préjugés et de discrimination. On a observé que :

[traduction] [c]’est le cas… la discrimination fondée sur l’âge ne suscite pas toujours la même indignation que nombre d’autres formes de discrimination. Cela peut être dû en partie au fait que nous serons tous vieux un jour, mais que nous ne serons pas tous membres des autres groupes visés par des motifs de discrimination illicite. De plus, la discrimination fondée sur l’âge est souvent justifiée dans l’esprit de certains parce qu’elle signifie davantage de possibilités pour les autres, comme les possibilités d’emploi ou d’avancement là où, par exemple, la retraite est obligatoire[168].

La CODP s’est dite très préoccupée par le fait que l’âgisme et la discrimination fondée sur l’âge ne semblent pas provoquer le même sentiment d’indignation ni les mêmes condamnations que les autres formes de traitement inégal[169]. 

L’âgisme tire sa source d’un ensemble de stéréotypes et d’attitudes négatives très répandus envers les personnes âgées.

 

2.      Stéréotypes et attitudes négatives concernant le vieillissement et les personnes âgées

Les attitudes négatives envers le vieillissement et les personnes âgées ne sont pas inévitables. Certaines sociétés considèrent leurs aînés comme de précieuses sources de sagesse, de savoir et d’expérience. Le Plan d’action international de Madrid sur le vieillissement (PAIMV) souligne que, « tout au long de l’histoire, on a traditionnellement respecté les personnes âgées en leur reconnaissant l’autorité, la sagesse, la dignité et la réserve que donne l’expérience de toute une vie[170] ».

Toutefois, plusieurs ont déploré le manque de représentations positives du vieillissement dans notre propre société[171]. Le Comité sénatorial spécial sur le vieillissement affirmait qu’il :

[e]st difficile de parler de vieillissement dans une société qui combat le phénomène aussi farouchement. Nous sommes assaillis de publicités qui promettent la jeunesse éternelle. […] Cette situation doit changer[172].

Le PAIMV, la CODP et le Comité sénatorial spécial sur le vieillissement ont tous recommandé que les gouvernements prennent des mesures pour promouvoir des images positives du vieillissement[173]. 

Pour certains, les attitudes négatives et les stéréotypes sont attribuables à la segmentation par âges marquée de notre société, où les jeunes, les personnes d’âge moyen et les personnes âgées occupent des sphères sociales et fonctionnelles distinctes. À cela s’ajoute la ségrégation selon l’âge, où les personnes âgées sont séparées de la population générale sur les plans institutionnel, culturel et spatial. Certains universitaires ont décrit la vieillesse comme étant un « pays distinct ». Le résultat est une distinction du type « nous et eux » entre les plus jeunes et les personnes âgées.

[Traduction] Une arme clé contre les stéréotypes et les préjugés est le contact intergroupe, qui offre aux individus la possibilité de contourner les catégories uniformes et de voir, au-delà des caractéristiques stigmatisées, les autres qualités pertinentes des personnes d’une catégorie pivot. Selon nous, les lieux qui favorisent les interactions continues, la familiarité et les contacts personnels entre les catégories d’âge se font plutôt rares. Les arrangements institutionnels qui séparent les jeunes et les personnes âgées les uns des autres, et des autres groupes d’âge, limitent les possibilités pour les individus de former des relations intergénérationnelles stables[174].

D’autres ont souligné le développement de ce que certains ont appelé un « culte de la jeunesse », qui associe la jeunesse à l’avenir et aux nouvelles technologies[175]. Le Comité sénatorial spécial sur le vieillissement observait dans son rapport final que notre société est axée sur la jeunesse. Le processus de vieillissement est quelque chose qu’on est porté à nier, « qui doit être évité à tout prix et dissimulé[176] ».

En outre, il y a ces perceptions généralement négatives, pour ne pas dire catastrophistes, de la réalité démographique d’une société vieillissante. La vision apocalyptique de tendances démographiques débouchant sur un conflit intergénérationnel pour s’approprier des ressources limitées est un thème récurrent dans les médias, qui alimente les craintes au sujet de la viabilité des programmes publics comme l’assurance-maladie et le Régime de pensions du Canada[177]. Les personnes âgées sont perçues comme un fardeau, pas seulement pour les membres de leur famille, mais pour l’ensemble de la société. Elles deviennent donc objet de ressentiment. Le PAIMV note que « les personnes âgées sont présentées de façon exagérée comme étant un fardeau pour l’économie du fait de leurs besoins croissants en soins de santé et en programmes de soutien[178] ». Pour l’ACE, les stéréotypes selon lesquels les personnes âgées seraient maladives, joints à l’opinion que ce groupe serait responsable des hausses du coût des soins de santé, pourraient contribuer à l’élaboration de politiques de réduction des programmes sociaux destinés aux soins, et pourraient envoyer le message que les personnes âgées n’ont pas vraiment droit aux services[179].

Les personnes âgées peuvent intérioriser des images négatives de la vieillesse, qui peuvent les conduire à imposer elles-mêmes des limites à leurs activités. Elles peuvent renoncer à leur indépendance ou s’abstenir de participer à la société pour se conformer aux attentes au sujet de ce qui constitue un comportement « convenable » pour des personnes de leur âge[180]. Le Groupe d’experts sur les travailleurs âgés a remarqué que le manque d’estime de soi ou de confiance en soi constitue l’un des obstacles auxquels se heurtent les travailleurs âgés qui cherchent un nouvel emploi. Ceux-ci peuvent avoir l’impression que les employeurs ne reconnaîtront pas leur valeur et se dire : « Qui voudrait m’embaucher? Je suis trop vieux[181]. » L’âgisme intériorisé peut mener des personnes âgées à adhérer à cette appréciation négative de la vieillesse et à refuser d’être associées d’une quelconque manière aux « vieux[182] ». 

Les stéréotypes et les attitudes négatives les plus répandus concernant les personnes âgées sont les suivants :

  • les personnes âgées forment un groupe homogène et l’âge est la principale caractéristique qui les définit;
  • la vieillesse est une période de retours sur le passé, et les personnes âgées sont réfractaires au changement et peu disposées à apprendre de nouvelles choses;
  • la vieillesse est une période de déclin inévitable, et les personnes âgées sont mentalement ou physiquement fragiles et inaptes;
  • les personnes âgées n’ont plus rien à apporter, et elles attendent simplement la mort;
  • les personnes âgées sont un fardeau, elles dépendent des autres et ne font que recevoir des services. 

Même si ce sont là des termes un peu forts, ces stéréotypes et ces attitudes négatives existent aussi, bien sûr, à des degrés divers, et peuvent cohabiter avec d’autres images plus positives des personnes âgées et des attitudes plus favorables à leur égard. Il est important de noter également que les personnes âgées ne seront pas toutes soumises à des attitudes et à des stéréotypes âgistes dans la même mesure, et que celles qui jouissent d’un meilleur statut économique, ou qui vivent dans des collectivités où elles peuvent compter sur un plus grand capital social, peuvent être moins exposées à l’âgisme que d’autres, plus vulnérables[183]. 

Comme nous l’avons souligné dans le chapitre précédent, lorsqu’on examine les stéréotypes concernant les personnes âgées, on doit tenir compte du fait qu’ils peuvent être aggravés ou cumulés dans le cas de personnes associées à d’autres sources de désavantage, comme le sexe, l’orientation sexuelle, une incapacité, la racialisation ou l’appartenance à un groupe autochtone, la citoyenneté ou un faible revenu. Par exemple, les stéréotypes concernant les capacités en déclin des personnes âgées peuvent être aggravés dans le cas des immigrants âgés pour qui l’anglais est une langue seconde, qui peuvent être traités avec beaucoup d’impatience. Les femmes âgées, en particulier, sont touchées par les attitudes négatives à l’endroit de l’apparence des personnes âgées, et sont souvent très mal considérées. Les personnes âgées qui ont subi de la discrimination toute leur vie, comme les personnes âgées GLBT ou racialisées, et qui s’en sont sorties en cherchant à se fondre dans la masse et à ne pas se faire remarquer, peuvent être particulièrement touchées par la tendance à négliger les personnes âgées et leurs besoins : le fait qu’elles hésitent à se plaindre, combiné à la tendance à ignorer leurs besoins, peut entraîner leur invisibilité complète aux yeux des fournisseurs de services et des décideurs.

La conséquence de ces attitudes négatives et de ces stéréotypes est la conclusion que les personnes âgées valent moins que les autres, et qu’elles méritent moins de respect, de considération et d’attention. Pour adopter une démarche anti‑âgiste dans le domaine du droit, il faut commencer par remplacer ces stéréotypes et ces attitudes négatives par des idées plus exactes (et plus positives) au sujet des réalités du vieillissement et des personnes âgées.

 

3.      Valoriser les personnes âgées

Les stéréotypes et les attitudes négatives à l’égard des personnes âgées sont généralement fondés sur des idées inexactes les concernant, de même que sur l’incapacité de reconnaître cette humanité que nous avons en commun. Au lieu de stéréotypes, le droit touchant les personnes âgées devrait être basé sur un ensemble d’idées et de valeurs positives. 

Les personnes âgées, un groupe hétérogène

Comme il ressort clairement de l’aperçu de la situation des personnes âgées présenté au chapitre II, les personnes âgées forment un groupe très hétérogène, malgré la tendance de la société à les considérer, pour de multiples raisons, comme une catégorie homogène. Le Comité sénatorial spécial sur le vieillissement, en parlant de la diversité chez les personnes âgées, faisait le commentaire suivant :

Quel est le lien qui unit les vies de personnes aussi diverses? Les aînés sont unis avant tout par leur appartenance à un groupe d’âge qui les définit comme étant des personnes âgées. Cette classification est en grande partie responsable du rôle que la société attend d’eux. Trop souvent, le qualificatif de « personne âgée » limite ouvertement ou subtilement leurs possibilités. C’est l’âgisme[184]. 

La tendance à considérer les personnes âgées en fonction de leur âge d’abord et avant tout, et l’incapacité correspondante à les voir comme des individus ayant des expériences de vie, des personnalités, des goûts, des espoirs et des craintes, des aptitudes et des limites très variés, sont sans doute à l’origine de toutes les formes d’âgisme. Les chercheurs relèvent également que les catégories, comme celles fondées sur l’âge, sont inévitablement homogénéisées et nourrissent les tensions entre les groupes sociaux. Comme le décrit un auteur, [traduction] « la personne ayant des préjugés exagère l’ampleur des similitudes entre les membres d’un même groupe, tout en choisissant en même temps de voir les gens appartenant à des groupes différents comme étant très différents[185] ». Cela conduit à la perception que les personnes âgées sont toutes les mêmes et que leur âge avancé est leur caractéristique la plus importante. Les préjugés et les stéréotypes qui en découlent peuvent varier, et vont de la perception de toutes les personnes âgées comme de « vieux sages » jusqu’à leur représentation, à l’autre bout du spectre, comme des êtres uniformément fragiles, déprimés et coupés de la société contemporaine. Cette conception est particulièrement évidente dans l’utilisation de catégories fondées sur l’âge dans le droit, une question qui sera traitée en profondeur au chapitre IV du présent rapport.

Il est donc essentiel de reconnaître la diversité des personnes âgées si l’on veut combattre les attitudes et les idées âgistes.

 

Les personnes âgées, des êtres capables de croissance, de changement et d’apprentissage

Le stéréotype selon lequel les personnes âgées vivent dans le passé, sont réfractaires au changement et sont peu disposées à apprendre de nouvelles choses se manifeste le plus souvent dans le secteur de l’emploi. Comme l’a observé le Groupe d’experts sur les travailleurs âgés, les employeurs peuvent créer des obstacles importants pour les travailleurs âgés en percevant ceux-ci comme des employés moins adaptables, moins axés sur l’apprentissage ou moins disposés à adopter et à utiliser de nouvelles technologies[186].

L’arrêt Stoffman c. Vancouver General Hospital de la Cour suprême du Canada reflète certains de ces stéréotypes à l’égard des travailleurs âgés. La Cour commente ainsi la politique de l’hôpital obligeant les médecins à prendre leur retraite à l’âge de 65 ans :

[O]n ne peut dire que [l’hôpital] a agi de façon déraisonnable en concluant que la mise à la retraite réglementaire de ceux qui ont atteint 65 ans garantirait le départ de ceux qui seraient en général moins capables de contribuer à la pratique spécialisée de l’hôpital[187].

Selon la CODP, les suppositions de ce genre ne sont en fait que des stéréotypes : 

Ces notions concernant les travailleurs âgés ne sont rien d’autre que des idées fausses qui ne sont pas fondées sur des faits. En réalité, les faits prouvent abondamment que les travailleurs âgés :

  • sont très productifs et riches d’une immense expérience pratique;
  • ont des résultats équivalents ou supérieurs à ceux des travailleurs plus jeunes sur les plans de la créativité, de la souplesse, du traitement de l’information, du taux d’accidents, de l’absentéisme et du roulement;
  • peuvent apprendre aussi bien que les travailleurs plus jeunes si l’on a recours à des méthodes et des cadres de formation appropriés;
  • ne craignent pas le changement, mais craignent plutôt la discrimination[188].

La CODP poursuit en affirmant que, puisque le vieillissement est une expérience individuelle, il est plus sage d’évaluer chaque personne individuellement, plutôt qu’en fonction de son âge chronologique. Les généralisations sur les capacités fondées sur le vieillissement seront fort probablement erronées.

 

Remettre en question les préjugés à propos de la santé et des capacités des personnes âgées

Malgré le fait que la santé et les capacités varient énormément chez les personnes âgées, et que la majorité d’entre elles sont en fait en bonne santé mentale et physique, celles-ci sont souvent présumées fragiles ou inaptes, que ce soit physiquement ou mentalement. Les chercheurs en sciences sociales mentionnent, à titre d’exemple de ce type de pensée âgiste, la prévalence du langage infantilisant avec lequel on s’adresse aux personnes âgées, peu importe leur état de santé et leurs capacités, un peu comme on le fait avec les enfants, et le phénomène largement répandu qui consiste à vouloir aider inutilement des personnes âgées qui sont tout à fait capables de prendre soin d’elles-mêmes[189].

Le préjugé voulant que les personnes âgées soient nécessairement limitées sur le plan de la santé ou des capacités peut mener à un traitement insuffisant de maladies réelles ou faire en sorte que des besoins en soins de santé ne soient pas comblés. Les fournisseurs de soins de santé peuvent adopter une attitude du genre « il faut s’y attendre à votre âge » ou « il n’y a rien à faire ». Les problèmes de santé mentale des personnes âgées peuvent ne pas être traités parce que la dépression et le déclin cognitif sont considérés comme faisant naturellement partie du processus de vieillissement[190]. 

Des questions semblables sont apparues dans le contexte de la prestation de services juridiques. Les avocats ne sont pas à l’abri de l’effet des stéréotypes concernant les personnes âgées, lesquels peuvent influer sur leur façon de donner des conseils juridiques et de représenter les clients. Que ce soit dans les facultés de droit ou ailleurs, il y a un manque flagrant de formation ou de cours pour aider les avocats à servir leurs clients âgés[191]. Selon l’Association du Barreau de l’Ontario (ABO), il existe des lignes directrices pour les praticiens qui servent des clients âgés, mais plusieurs d’entre elles sont désuètes, peu diffusées auprès des personnes qui en ont besoin et, souvent, elles ne sont pas respectées[192]. Par exemple, l’ACE a reçu des plaintes au sujet d’avocats qui négligent de consulter leurs clients âgés (aptes), et vont plutôt demander des directives à leurs amis ou à leur famille[193]. L’ABO a recommandé que la CDO se penche sur la pertinence d’assurer une formation minimale sur les questions liées à l’âge dans les programmes d’enseignement, ainsi que d’instaurer, pour chaque profession de la santé ou juridique, des lignes directrices sur les droits et les services liés à l’âge. 

Dans une étude des décisions sur les tutelles, les testaments et les fiducies aux États-Unis, on a constaté que, à une fréquence surprenante, l’âge avancé était traité comme un synonyme de déclin cognitif et de besoin de mise en tutelle. Dans un certain nombre de décisions, l’âge avancé était l’unique raison fournie pour imposer la tutelle ou l’un des facteurs pris en compte pour déterminer qu’il y avait eu une influence indue dans des affaires de testament et de fiducie. Pour le chercheur, ces attitudes expliquent en partie la sous-utilisation des dispositions sur la tutelle limitée : les avocats présumaient que la rédaction d’ententes de tutelle limitée représenterait une perte de temps et d’énergie puisque, selon eux, la condition du client allait inévitablement se détériorer et exiger d’autres mesures[194]. De la même façon, dans le mémoire qu’elle a présenté dans le cadre de la consultation préliminaire de la CDO, l’ABO souligne les inquiétudes concernant le fait que le régime d’incapacité et de tutelle de l’Ontario constituerait un exemple d’âgisme en matière de droit. L’ABO fait état, notamment, de préoccupations au sujet de la mesure dans laquelle les stéréotypes, le manque de sensibilisation et de formation des professionnels de la santé contribueraient au malentendu sur la définition de la capacité[195].

Lorsqu’on insiste sur les capacités des personnes âgées, il importe de ne pas stigmatiser ou négliger celles qui vivent avec des incapacités ou un problème de santé. Ici, les préoccupations concernant l’âgisme doivent aussi tenir compte du capacitisme. La présence de déficiences ou d’incapacités chez certaines personnes âgées ne devrait pas diminuer le respect et la considération qu’on leur accorde, mener à des suppositions générales à propos de ce qu’elles peuvent ou ne peuvent pas faire, ni oblitérer leurs droits à voir leur autonomie, leur dignité et leur individualité reconnues. Les attitudes négatives envers les personnes âgées fondées sur des préjugés au sujet de leur santé et de leurs capacités sont aussi des attitudes capacitistes, et doivent être reconnues comme telles et combattues.

Pour cette raison, certains se sont inquiétés de l’émergence de nouvelles formes de stéréotypes et de pressions sociales à propos du fait de « bien » ou de « mal » vieillir, selon lesquelles « bien » vieillir signifie avoir une vie saine, autonome et active, alors que « mal » vieillir se caractérise par la maladie, la dépendance et un décès prématuré.

[Traduction] Le plus gros problème avec les stéréotypes sur le fait de bien ou de mal vieillir est qu’ils marginalisent les personnes âgées les plus vulnérables, celles qui ont le moins de ressources personnelles et économiques, qui sont plus susceptibles d’être des femmes seules à la santé précaire et d’avoir des réseaux de soutien moins étendus. De tels stéréotypes peuvent dévaloriser et isoler avantage ces personnes âgées plus vulnérables, renforçant les distinctions sociales, économiques et culturelles entre celles qui vieillissent bien et celles qui « vieillissent mal[196] ».

 

Valoriser les contributions des personnes âgées

Liée à la croyance que la vieillesse est inévitablement associée à l’incapacité et au déclin est cette attitude que les personnes âgées n’ont plus rien à apporter, et qu’elles ne font, en fait, aucune contribution notable – elles attendent simplement la mort.

L’exemple évident est bien sûr l’exclusion des personnes âgées du marché du travail, que ce soit officiellement, pensons aux politiques de retraite obligatoire et aux lois qui les maintiennent, ou officieusement, comme c’est le cas de la discrimination fondée sur l’âge de la part des employeurs. Les participants aux consultations publiques de la CODP sur les droits des personnes âgées en Ontario ont confié qu’ils avaient perçu la retraite obligatoire comme une dévalorisation profonde de leurs capacités et de leurs contributions. Comme l’un d’eux l’a exprimé : [traduction] « Vous êtes-vous jamais senti comme une vieille paire de chaussures? Eh bien! Ça peut arriver à tout le monde. On se sent rejeté et on a l’impression de ne plus rien valoir sur le marché du travail ou au sein de la société. » Pour un autre : [traduction] « Mon nouveau revenu garanti et mon sentiment d’être inutile sur le plan professionnel m’ont révélé comment la société perçoit et traite les vieux[197]. »

Si les personnes âgées peuvent apporter une contribution utile dans le milieu de travail et le font effectivement, on ne doit pas considérer pour autant la productivité économique comme étant l’unique source de contribution ou de valeur d’un individu. Les gens contribuent à leur société de nombreuses autres façons, par exemple, en faisant du bénévolat dans la collectivité, en prenant soin de leurs proches, en donnant un soutien affectif aux amis et à la famille, et en offrant des conseils et du mentorat à partir de la sagesse acquise et de l’expérience accumulée. Selon Statistique Canada, une proportion considérable des personnes âgées aident les autres, et ce, de multiples façons, que ce soit en aidant des personnes de l’extérieur de leur foyer à faire des travaux ménagers, d’entretien ou à l’extérieur, en gardant les enfants de membres de leur famille, en enseignant et en donnant des conseils pratiques, ou en offrant un soutien affectif[198].

Cependant, même les contributions non économiques des personnes âgées sont souvent dévalorisées. On peut constater un exemple dans une affaire en Colombie-Britannique où une femme de 77 ans est morte à la suite de la négligence d’une aide‑infirmière. Le tribunal a refusé d’accorder des dommages-intérêts à ses enfants pour privation de soins et perte de compagnie au motif que [traduction] « leur mère ne leur tenait plus compagnie depuis bien avant son décès puisque son incapacité physique, mentale et émotionnelle remontait à longtemps[199] ».

 

Les personnes âgées, des participants actifs à leur propre vie et à leur collectivité 

Les personnes âgées sont souvent perçues comme des personnes dépendantes et comme des bénéficiaires de services passifs. Comme nous l’avons vu plus haut, les analyses du vieillissement de la population canadienne caractérisent souvent cette tendance démographique comme une crise et un fardeau, en mettant l’accent sur les préoccupations à l’égard des coûts de la prestation accrue de soins de santé et de services sociaux. Pendant ses consultations publiques sur les droits des personnes âgées, la CODP s’est fait dire que les personnes âgées sont souvent caractérisées comme des membres qui ne contribuent pas à la société et qu’on présente leur besoin de services comme une perte de rares ressources publiques. Par exemple, dans le secteur de la santé, on dit souvent des personnes âgées qu’elles « monopolisent les lits », et leur besoin légitime de services de santé est traité comme si elles étaient en partie responsables du manque de lits dans les salles d’urgence[200]. 

Conséquence de cette mentalité, les contributions sociales et économiques des personnes âgées passent souvent inaperçues. Par exemple, dans les études sur les besoins en matière de soins, les personnes âgées sont souvent considérées uniquement comme des bénéficiaires des soins, et l’on se demande comment on pourrait mieux aider la « génération sandwich » à offrir des services aux personnes âgées. Bien sûr, ce besoin est réel et la question est importante. Cependant, le rôle des personnes âgées dans la prestation de soins à d’autres personnes, que ce soit à leur conjoint âgé, à leurs fils et leurs filles adultes ayant une incapacité, ou en tant que principaux responsables des soins de leurs petits-enfants, fait l’objet de beaucoup moins d’attention et d’analyses. Le soutien est insuffisant pour tous les soignants; toutefois, les soignants âgés sont particulièrement invisibles dans ces études. Par exemple, malgré l’importance des relations entre les grands-parents et leurs petits‑enfants, les grands-parents peuvent se retrouver dans une situation précaire et sans statut juridique concernant l’accès à leurs petits-enfants en cas de rupture du mariage des parents[201]. De la même façon, environ 20 000 enfants sont actuellement sous la garde de leurs grands-parents en Ontario. Près de la moitié de ces parents substituts sont des grands-mères vivant seules, et environ le tiers de ces familles vivent dans la pauvreté. Ces grands-parents ont fait état de leurs préoccupations au sujet du manque de soutiens sociaux et de protections juridiques pour leurs conditions uniques[202]. À ce sujet, la CARP souligne ceci :

[traduction] Les programmes de financement actuels destinés aux grands-parents créent une iniquité pour les personnes qui élèvent leurs petits-enfants par rapport aux parents de familles d’accueil. Par exemple, en vertu de la Loi sur le programme Ontario au travail, les grands-parents sont actuellement admissibles à une allocation pour soins temporaires de 231 $ par mois, alors que les parents de familles d’accueil reçoivent 900 $ par mois des sociétés d’aide à l’enfance. À l’échelle fédérale et provinciale, des dispositions de récupération fiscale des pensions, des prestations et des services sont appliquées sur la base d’un revenu accru en raison des revenus de garde. L’argent reçu n’est pas « un chèque de paie », mais plutôt un soutien pour les enfants, qui pour le reste provient d’un revenu de retraite limité[203].

 

4.      Manifestations de l’âgisme

Les attitudes négatives envers les personnes âgées peuvent se manifester de diverses façons. Les plus courantes sont l’invisibilité et le paternalisme. 

Invisibilité

Certains spécialistes des sciences sociales ont avancé la théorie que la source de l’âgisme se trouvait dans la peur qu’éprouvent tous les humains face à leur propre mort et à leur fragilité physique. Les personnes âgées nous renvoient directement à notre propre mortalité. Comme l’écrit un auteur :

[traduction] l’âgisme existe précisément parce que les personnes âgées représentent notre avenir, dans lequel la mort est une certitude, la détérioration physique, une probabilité, et la perte des caractéristiques actuelles favorisant l’estime de soi, une possibilité réelle[204]. 

Dans une société qui valorise beaucoup la beauté, l’agilité d’esprit, la compétence, la force et la rapidité, l’association des personnes âgées avec le déclin conduit à une distanciation par rapport à celles-ci et à des attitudes négatives envers elles. 

[Traduction] Parce qu’on a tendance à associer les personnes âgées à la mort, les plus jeunes peuvent adopter des attitudes et des comportements âgistes pour se distancer des personnes âgées. Ils peuvent entre autres blâmer les personnes âgées pour leur état (p. ex. les signes externes de vieillissement). La personne plus jeune peut agir ainsi pour éviter d’admettre qu’elle aussi, éventuellement, fera partie de cet exogroupe[205].

L’une des formes de discrimination les plus courantes envers les personnes âgées est l’exclusion sociale. La discrimination fondée sur l’âge et, par le passé, les politiques de retraite obligatoire, ont mené à l’exclusion des personnes âgées des milieux de travail. Souvent, les personnes âgées sont mises à l’écart dans des sphères de vie distinctes. Les professionnels comme les travailleurs de la santé ou les avocats sont peu susceptibles d’opter pour le travail auprès des personnes âgées : bien que la gériatrie soit une spécialité médicale reconnue, il y a une pénurie constante de professionnels qualifiés, et au Canada, le droit des aînés n’en est qu’à ses balbutiements. Les fournisseurs de services ont tendance à consacrer moins de temps aux personnes âgées et à négliger leurs besoins. C’est ainsi que les personnes âgées deviennent invisibles à plusieurs égards[206].

Cette exclusion a toutes sortes de conséquences pour les personnes âgées. Comme le soutient un article dans le contexte des droits des personnes handicapées, l’invisibilité peut avoir de graves répercussions sur la capacité d’exercer et de jouir de ses droits civils et politiques, de même que sur les politiques sociales :

[traduction] En un mot, l’invisibilité relative ou absolue des personnes handicapées a eu pour effet que les dispositions juridiques introduites pour promouvoir les libertés privées (protection contre l’abus de pouvoir) et publiques (participation à la collectivité majoritaire) n’ont pas été appliquées, ou l’ont été avec bien moins de rigueur dans leur cas.

C’est ainsi qu’est apparue une catégorie d’individus qui, bien que dépendants du secteur public pour survivre, n’ont pas les moyens d’accéder à la politique ni de l’influencer. Ils se voient dénier l’accès aux pouvoirs publics et la maîtrise de leur destinée individuelle. Bref, ils restent en marge de la collectivité majoritaire. Cette absence – ou cette invisibilité – alimente les stéréotypes qui ont encore cours quant à l’inaptitude des personnes handicapées. Elle favorise le manque de respect à leur égard et empêche de voir en elles des détenteurs de droits, à l’instar de leurs congénères[207]. 

Les auteurs poursuivent en proposant que le mouvement des droits de la personne soit mis au service de la « visibilité » des personnes handicapées. Bien que les enjeux pour les personnes âgées et pour les personnes handicapées soient différents à plusieurs égards, cette idée des effets de l’invisibilité sur la capacité de participer pleinement à la collectivité et de revendiquer ses droits s’applique également aux personnes âgées, en particulier celles qui se sont retirées de la population active, qui ont des limitations importantes sur le plan de la santé ou des capacités, ou qui vivent dans des habitations collectives où elles sont souvent physiquement et psychologiquement isolées de la collectivité majoritaire.

 

Paternalisme 

Le philosophe Gerald Dworkin définit le paternalisme de la façon suivante : 

[traduction] Lorsque les règles, les politiques et les actions sont justifiées uniquement au motif que la personne touchée serait en meilleure situation, ou serait moins lésée, grâce à celles-ci, et que la personne en question préférerait ne pas être traitée de cette façon, nous sommes devant un cas de paternalisme[208].

Le concept de paternalisme soulève des questions à propos de l’autonomie individuelle et de ses limites, du respect de l’identité individuelle et des compromis à faire entre le bien-être des autres et leur droit de faire leurs propres choix. Certains diront que le paternalisme est nécessaire ou justifié lorsque les personnes concernées ont une rationalité limitée et que leur capacité d’exercer leur autonomie est incertaine.

Appliqué aux personnes âgées, le paternalisme se manifeste souvent par le retrait des possibilités de prendre des décisions sous prétexte de protéger leur « intérêt supérieur ». On présume que les personnes âgées sont moins capables d’exercer leur autonomie et ont davantage besoin de protection. 

Le paternalisme envers les personnes âgées en tant que groupe est donc fondé sur un stéréotype voulant qu’elles soient vulnérables, incompétentes et sur leur déclin.

Ce type de paternalisme est lié à ce que certains appellent « l’âgisme compatissant ». Dans cette forme d’âgisme, on tente de protéger les personnes âgées contre tout danger et d’améliorer leur vie. Quelles que soient ses motivations, cette forme d’âgisme, comme toutes les autres formes, fait du tort aux personnes âgées en leur enlevant des possibilités d’autodétermination et en attaquant leur dignité[209].

La prévalence des attitudes paternalistes envers les personnes âgées est la raison pour laquelle celles-ci et leurs défenseurs mettent généralement l’indépendance et l’autonomie au centre de toute démarche à l’égard du droit et des politiques concernant les personnes âgées. Ainsi, l’ACE :

[traduction] […] est d’avis que le principe fondamental qui devrait orienter le droit touchant les personnes âgées est que celles-ci sont avant tout des personnes. Elles sont présumées capables de prendre des décisions et elles ont le droit de prendre des décisions stupides si c’est là leur volonté. Le gouvernement doit prendre garde, dans un excès de zèle pour protéger les personnes âgées prétendument vulnérables, de ne pas créer des lois qui ont pour effet de restreindre leurs droits[210].

  

5.      Approches théoriques pour comprendre l’âgisme au sein du droit

Étant donné la relative nouveauté du domaine du droit des aînés et du concept de l’âgisme, peu de travaux ont été faits jusqu’à récemment pour élaborer une approche théorique cohérente du droit des aînés, et encore moins pour ce qui est de l’âgisme au sein du droit[211]. Cependant, un certain nombre d’approches ont été développées dans d’autres domaines qui pourraient être utiles pour fonder une approche de l’âgisme au sein du droit. Il ne s’agit pas de faire un examen exhaustif de toutes les approches théoriques possibles pouvant s’appliquer aux personnes âgées et au droit, mais de cerner certaines approches possiblement utiles qui sont compatibles avec les points de départ déterminés par la CDO.

Les modèles sociaux : L’expérience du vieillissement est généralement perçue comme un processus biologique inévitable, et les difficultés auxquelles les personnes âgées font face, comme l’isolement et l’exclusion sociale, la difficulté de trouver un emploi ou d’avoir accès à des services, ou la nécessité de quitter son foyer pour avoir accès à du soutien, sont vues comme les effets malheureux mais incontournables de ce processus biologique. Ce point de vue tend à cacher les effets de l’environnement social sur l’expérience du vieillissement et de la vieillesse. Le recours au modèle social, qui a joué un rôle important dans les mouvements féministe, antiraciste, des droits des personnes handicapées et d’autres, peut offrir une perspective plus large pour comprendre les expériences des personnes âgées[212]. 

Alors que l’expérience de la vieillesse est liée dans une certaine mesure aux aspects biologiques du vieillissement, elle est aussi profondément déterminée par les environnements sociaux dans lesquels le vieillissement se produit – les attitudes que nous avons à propos du vieillissement et des personnes âgées, les soutiens sociaux qui sont offerts ou non aux personnes âgées et à leur famille, les milieux physiques dans lesquels les personnes âgées travaillent, vivent et utilisent des services, etc. Les obstacles auxquels les personnes âgées font face en matière d’emploi, dans les milieux de vie et pour participer à la vie de leur collectivité viennent autant de leur environnement que des changements physiques et mentaux qui peuvent survenir pendant le processus de vieillissement. Sous cet éclairage, les problèmes associés au vieillissement sont des problèmes de société, et non seulement des problèmes individuels. 

La citoyenneté : Le concept de « citoyenneté » offre un autre moyen de concevoir la participation significative et l’inclusion dans la collectivité. Dans ce contexte, la citoyenneté peut se définir de diverses façons, mais on la conçoit généralement comme une participation et une inclusion pleines et entières dans l’ensemble de la collectivité.

La citoyenneté est un statut accordé à ceux qui sont des membres à part entière de la collectivité. Tous ceux qui possèdent ce statut sont égaux en ce qui concerne les droits et les devoirs qui l’accompagnent. Il n’y a pas de principe universel qui détermine ce que devraient être ces droits et ces devoirs, mais les sociétés dans lesquelles la citoyenneté est une institution en développement se forment une image d’une citoyenneté idéale à l’aune de laquelle les réalisations peuvent être mesurées et vers laquelle les aspirations peuvent être dirigées[213].

La Charte, en particulier dans ses dispositions sur les droits à l’égalité, a profondément modelé la vision qu’ont les Canadiens de la citoyenneté, bien que la diversification de la société canadienne vienne compliquer cette vision[214]. Michael J. Prince, en recourant à un discours sur la citoyenneté pour mettre de l’avant une réforme des politiques liées aux droits des personnes handicapées, propose cinq dimensions de la citoyenneté : la citoyenneté, les droits juridiques et à l’égalité, les droits démocratiques et politiques, les droits fiscaux et sociaux, et l’intégration économique[215].

Les approches fondées sur les droits : Les analyses du droit des aînés au Canada ont porté en bonne partie sur les personnes âgées en tant qu’usagers des services de santé et bénéficiaires de soins. Cela a favorisé une vision des personnes âgées comme des personnes dépendantes et des usagers passifs plutôt que comme des titulaires de droits, et la défense de leurs intérêts a porté plus souvent sur l’amélioration de la prestation des services que sur leur habilitation et la protection de leurs droits. Certains ont avancé que les efforts de réforme actuels pourraient être renforcés en considérant davantage les droits des aînés sous l’angle des droits civils ou des droits de la personne. Une telle approche présente un potentiel pour changer les attitudes envers les personnes âgées, promouvoir une participation active au sein de ce groupe et exercer le droit à un choix éclairé[216].

L’universalisme : La conception universelle (ou inclusive) consiste à développer des environnements, des produits et des politiques « utilisables par tout individu, dans la plus grande mesure possible, sans nécessité d’adaptation ou de design spécialisé. La conception universelle a pour objet de simplifier la vie de tous en faisant en sorte que les produits, les communications et le milieu bâti soient utilisables par le plus grand nombre de personnes possible, moyennant des coûts supplémentaires modestes ou nuls[217]. » La conception universelle doit profiter aux personnes de tous âges et de toutes capacités. 

Le modèle universaliste, exploré surtout dans le contexte du mouvement des droits des personnes handicapées, pose comme postulat que toutes les personnes se situent le long d’un continuum de capacités et que la position de chacun sur ce continuum varie à différentes étapes de la vie[218]. Cette reconnaissance de la quasi-universalité de la détérioration met en évidence la manière dont la frontière entre la capacité et l’incapacité se construit socialement et politiquement[219]. Cette approche exige un élargissement de la notion de « normalité » relativement aux capacités humaines, le résultat étant qu’il faut plus de souplesse et d’adaptation dans les structures sociales, politiques et physiques[220]. Dans l’application de ce principe, la conception inclusive, avec un engagement concomitant envers l’accessibilité, joue un rôle clé pour assurer une inclusion maximale de toutes les personnes en fonction de l’infinie variété de leurs capacités[221]. Certains soutiennent que cette approche, et l’importance qu’elle accorde à la conception inclusive et à la « normalisation » des différences, peut donner un nouvel élan à la réforme systémique du droit touchant les personnes âgées, et favoriser une indépendance et une participation optimales de celles-ci dans tous les secteurs de la société, y compris l’emploi, le logement et les soins de santé[222].

Il y a bien sûr des limites à la capacité de l’universalisme et de la conception inclusive de supprimer ou de prévenir les obstacles. Dans certains cas, une adaptation individuelle pourra être nécessaire pour assurer un accès égal à un immeuble, à l’information ou à un programme[223]. Il y a aussi des situations où des besoins concurrents rendent difficile de trouver des solutions de conception inclusive. Pour prendre un exemple bien simple, les bateaux de trottoir, qui améliorent l’accès pour les personnes à mobilité réduite et les familles qui utilisent des poussettes, accroissent les difficultés par contre pour les personnes ayant une vision partielle, qui ont besoin d’une forme de démarcation entre la chaussée et le trottoir. 

L’analyse multidimensionnelle : Étant donné la plus grande proportion de femmes parmi les personnes âgées, la CDO reconnaît l’importance de recourir à une analyse comparative entre les sexes pour traiter la question du droit et du vieillissement[224]. La rencontre entre l’incapacité et la vieillesse rend essentielle une démarche anticapacitiste dans ce domaine du droit. De même, consciente de la diversité des personnes âgées, la CDO utilisera des approches antiracistes et antihétérosexistes.

 

B.    Élaborer les principes d’une démarche anti-âgiste

1.      La valeur des principes dans le cadre d’une démarche anti‑âgiste

Étant donné l’omniprésence des stéréotypes et des attitudes négatives envers les personnes âgées et leurs conséquences néfastes sur ce groupe, le PAIMV recommande que les États : 

[élaborent et diffusent] largement un plan directeur donnant aux individus et aux collectivités la responsabilité de reconnaître les contributions passées et présentes des personnes âgées, dans le but de combattre les préjugés et les idées reçues et, de ce fait, de traiter les personnes âgées avec respect et gratitude, dignité et tact[225].

Dans son mémoire de 2008 à la CDO, la CARP soulignait que tous les principes doivent être examinés et interprétés à la lumière de l’objectif plus vaste, qui consiste à élaborer une démarche anti-âgiste dans le domaine du droit :

Nous appuyons vigoureusement l’ensemble des principes décrits par la Commission. Même s’ils sont quelque peu différents, leur substance est la même. L’enjeu important est le but qu’on cherche à atteindre à l’aide de ces principes. Le fil conducteur de tous les principes énoncés est l’anti-âgisme. Les principes inscrits dans le droit devraient favoriser une vie active, indépendante et utile pour que les gens puissent vieillir sans rencontrer d’obstacles juridiques ou sociaux.

La CDO adoptera par conséquent, dans l’élaboration de son cadre stratégique, une démarche fondée sur un ensemble de principes pouvant être appliqués pour contrer les stéréotypes et les préjugés, pour réaffirmer le statut des personnes âgées comme étant des citoyens égaux ayant des droits et des responsabilités, et pour inciter le gouvernement à prendre des mesures positives pour assurer le bien-être des personnes âgées. 

Une telle démarche tire parti du travail déjà accompli à l’échelle nationale et internationale, dans des documents stratégiques tels que le Cadre national sur le vieillissement (CNV) et les Principes des Nations Unies pour les personnes âgées. En tant que base d’une approche du droit, une démarche fondée sur des principes s’inscrit dans la Charte canadienne des droits et libertés et dans les lois sur les droits de la personne. 

À partir de ce que nous avons vu à la section précédente du présent chapitre, on doit se demander comment les principes peuvent mettre en valeur les contributions, les capacités, la diversité et la participation des personnes âgées lorsqu’on tente de cerner et d’interpréter les principes du droit touchant ces personnes.

Au vu de l’analyse présentée au chapitre II, la CDO estime qu’un cadre de principes doit être suffisamment flexible pour tenir compte de l’évolution de la situation des personnes âgées elles-mêmes, et être interprété de façon à intégrer les points de vue et les expériences de ces personnes.

 

2.      Les sources des principes anti-âgistes

La CDO a examiné les cadres stratégiques et juridiques internationaux et nationaux existants pour cerner les principes clés et la façon dont ils ont été interprétés dans divers contextes. Cette section présente brièvement les plus importants de ces documents sources.

Il faut souligner que, bien que la plupart de ces sources n’aient pas une force obligatoire pour les Canadiens, elles ont été créées à la suite de recherches et de consultations approfondies auprès des personnes âgées et des organismes qui les représentent, et ont donc un pouvoir de persuasion considérable.

Documents internationaux

En plus des nombreux instruments internationaux qui établissent des droits et des principes plus larges, tels que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels[226] et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques[227], il y a un nombre considérable de documents internationaux consacrés expressément aux droits et aux besoins des personnes âgées. Un projet de résolution sur une Déclaration des droits des vieillards avait été élaboré dès 1948. À partir des années 1980, beaucoup d’efforts ont été consentis pour l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan d’action international sur le vieillissement, un premier plan ayant été présenté lors de la première Assemblée mondiale sur le vieillissement[228] à Vienne en 1982, et un deuxième ayant été mis de l’avant à l’occasion de la deuxième Assemblée mondiale sur le vieillissement à Madrid en 2002. Il y a eu de nombreuses résolutions de l’Assemblée générale liées à la mise en œuvre de ces plans d’action, et divers autres documents à l’appui. Les plus pertinents de ces documents internationaux sont décrits ci‑dessous. 

Les Principes des Nations Unies pour les personnes âgées (1991)

Les Principes des Nations Unies pour les personnes âgées sont peut-être le plus important des documents internationaux liés aux personnes âgées[229]. Ces principes ont été adoptés en 1991, conformément au Plan d’action international sur le vieillissement des Nations Unies[230]. Ils n’ont pas le même statut qu’une convention : ils ne sont pas ratifiés par les États et ils n’imposent aucune obligation. Toutefois, les Principes des Nations Unies pour les personnes âgées fournissent un cadre de principes général qui peut s’appliquer à une multitude de cultures et de contextes et dont les États peuvent se servir pour élaborer des politiques et des programmes.

Les Principes des Nations Unies pour les personnes âgées sont fondés sur la reconnaissance :

  • de la contribution des personnes âgées à leur société;
  • de la valeur fondamentale et de la dignité de toutes les personnes, telles qu’elles s’expriment dans les divers documents sur les droits de la personne des Nations Unies;
  • de la diversité des personnes âgées, qui nécessite des politiques également diverses;
  • des stéréotypes injustifiés concernant les capacités et les aptitudes des personnes âgées;
  • des tensions qui peuvent survenir dans la vie familiale des personnes qui s’occupent de personnes âgées fragiles.

Les Principes des Nations Unies pour les personnes âgées sont les suivants : l’indépendance, la participation, les soins, l’épanouissement personnel et la dignité. 

 

Le Plan d’action international de Madrid sur le vieillissement (2002)

Le Plan d’action international de Madrid sur le vieillissement (PAIMV)[231] est issu de la deuxième Assemblée mondiale sur le vieillissement, chargée de faire le suivi et de réévaluer les résultats de l’assemblée de 1982 à Vienne. Le PAIMV appelle à changer les attitudes, les politiques et les pratiques dans tous les secteurs afin que le potentiel d’une société vieillissante puisse être réalisé. Il comporte un certain nombre de grands thèmes, notamment :

réaliser pleinement les droits de l’homme et les libertés fondamentales des personnes âgées;

  • assurer la sécurité des personnes âgées, en réaffirmant l’objectif qui consiste à éliminer la pauvreté chez elles;
  • donner aux personnes âgées la possibilité de participer pleinement et réellement à la vie sociale, économique et politique de la société où elles vivent;
  • permettre à chacun d’assurer son développement individuel, son épanouissement personnel et son bien-être tout au long de sa vie et à la fin de sa vie;
  • garantir pleinement les droits économiques, sociaux et culturels ainsi que les droits civils et politiques des personnes âgées;
  • reconnaître l’importance capitale de la famille et de l’interdépendance des générations;
  • fournir aux personnes âgées les soins médicaux, l’aide et la protection sociale dont elles ont besoin.

Le PAIMV insiste sur l’importance d’intégrer la question du vieillissement dans les politiques et les programmes, et de lier celle-ci aux cadres de développement social et économique et des droits de la personne. Trois orientations prioritaires sont soulignées : la participation pleine et entière des personnes âgées au processus de développement et à ses avantages; la promotion de la santé et du bien-être jusque dans le troisième âge; et la création d’environnements porteurs et agréables.

 

Le cadre d’orientation Vieillir en restant actif de l’OMS (2002)

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a élaboré son cadre d’orientation sur le vieillissement actif à titre de contribution à l’Assemblée mondiale sur le vieillissement de Madrid en 2002, qui a également vu naître le PAIMV. Dans ce cadre, l’OMS adopte une vision du « vieillissement actif » qu’elle définit comme étant « le processus consistant à optimiser les possibilités de bonne santé, de participation et de sécurité afin d’accroître la qualité de la vie pendant la vieillesse ». Selon l’OMS :

[u]n vieillissement actif permet aux personnes âgées de réaliser leur potentiel de bien-être physique, social et mental tout au long de la vie et de s’impliquer dans la société selon leurs besoins, leurs souhaits et leurs capacités, tout en jouissant d’une protection, d’une sécurité et de soins adaptés lorsqu’elles en ont besoin[232]. 

Le cadre de l’OMS s’écarte de l’approche basée sur les soins, qui suppose que les personnes âgées sont des cibles passives, pour adopter une approche fondée sur les droits qui reconnaît le droit des personnes à l’égalité de traitement et de possibilités dans tous les domaines de la vie lorsqu’elles vieillissent.

Il adopte en outre une perspective globale du vieillissement, qui reconnaît que les personnes âgées ne constituent pas un groupe homogène, et que l’hétérogénéité des personnes tend à croître avec l’âge.

 

La Déclaration des droits et des responsabilités de la personne âgée de la Fédération internationale du vieillissement (1990)

La Fédération internationale du vieillissement (FIV) est une organisation non gouvernementale dont les membres sont des ONG, des entreprises, des universités, des gouvernements et des particuliers. Sa mission est de servir de lieu de rencontre et d’échange d’information sur les enjeux liés au vieillissement, de collaborer à la recherche et de produire des connaissances stratégiques sur les questions ayant des répercussions mondiales.

La FIV a élaboré une Déclaration des droits et des responsabilités de la personne âgée qui met de l’avant cinq droits fondamentaux pour les personnes âgées : l’indépendance, la participation, les soins, l’épanouissement personnel et la dignité.

 

La Charte des droits et libertés et les lois sur les droits de la personne

Les dispositions particulières de la Charte des droits et libertés (la Charte)et du Code des droits de la personne (le Code) de l’Ontario qui sont le plus pertinentes au droit touchant les personnes âgées sont abordées en détail au chapitre IV de ce rapport provisoire, qui porte sur les différentes répercussions des lois sur les personnes âgées.

En plus de leur importance juridique propre, la Charte et le Code représentent des véhicules importants des valeurs et des principes pouvant contribuer à façonner une démarche à l’égard du droit touchant les personnes âgées. La présente section porte avant tout sur la Charte et le Code en tant que sources de principes potentiels applicables au droit touchant les personnes âgées, les autres questions étant abordées plus loin. 

La Charte canadienne des droits et libertés

Les droits garantis par la Charte qui sont les plus importants pour la détermination des principes du droit touchant les personnes âgées sont énoncés aux articles 7 et 15.

Le paragraphe 15(1) de la Charte prévoit l’égalité devant la loi, l’égalité de bénéfice et la protection égale de la loi, indépendamment d’un certain nombre de motifs de discrimination énumérés, dont l’âge. Le paragraphe 15(2) de la Charte protège les lois, les programmes et les activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, y compris ceux qui sont défavorisés en raison de leur âge. Dans son interprétation de l’article 15 et du droit à l’égalité, la Cour suprême a accordé une importance centrale au principe de dignité[233]. Le principe de dignité signifie qu’une personne ou un groupe ressent du respect et de l’estime de soi. Il relève de l’intégrité physique et psychologique et de la prise en main personnelle[234]. 

L’article 7 de la Charte garantit le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Le droit à la liberté a été interprété comme incluant le droit de prendre des décisions personnelles fondamentales, de même que celui de ne pas subir de contraintes physiques ou d’entraves à sa liberté de mouvement. La liberté comprend le droit à une sphère irréductible d’autonomie personnelle concernant des « sujets qui peuvent à juste titre être qualifiés de fondamentalement ou d’essentiellement personnels et qui impliquent, par leur nature même, des choix fondamentaux participant de l’essence même de ce que signifie la jouissance de la dignité et de l’indépendance individuelles[235] ». À l’intérieur de cette sphère, les choix individuels doivent se faire sans ingérence de l’État. La sécurité de la personne a été interprétée par la Cour suprême du Canada comme incluant l’« intégrité psychologique[236] » lorsque l’ingérence est suffisamment grave.

 

Le Code des droits de la personne de l’Ontario

L’objet du Code des droits de la personne (le Code) de l’Ontario, tel qu’il est exprimé dans son préambule, est de reconnaître la dignité et la valeur inhérentes de toute personne et d’assurer à tous les mêmes droits et les mêmes chances, sans discrimination. Les dispositions du Code visent à créer un climat de compréhension et de respect mutuel de la dignité et de la valeur de toute personne de façon que chacun se sente partie intégrante de la collectivité et apte à contribuer pleinement à son avancement et à son bien-être[237].

Le Code interdit la discrimination fondée sur l’âge, de même que sur le sexe, l’orientation sexuelle, un handicap, la situation familiale ou l’état matrimonial, la race, l’origine ethnique, le lieu d’origine et plusieurs autres motifs. Lorsque cela est nécessaire pour garantir un traitement égal sans discrimination fondée sur l’âge, les personnes âgées ont droit à des mesures d’adaptation visant à satisfaire les besoins propres à leur âge, à condition que celles-ci ne causent aucun préjudice injustifié. Ce droit leur est octroyé dans les secteurs sociaux de l’emploi, du logement, des biens et installations, des services, des associations professionnelles et des contrats. Comme la Charte, le Code autorise les programmes spéciaux destinés à alléger un préjudice ou un désavantage économique ou à aider des personnes ou des groupes défavorisés à jouir ou à essayer de jouir de chances égales[238].

La CODP dispose de pouvoirs étendus pour réaliser l’objet du Code exprimé dans le préambule. Ces pouvoirs incluent la capacité d’élaborer des énoncés de politiques fournissant une interprétation des dispositions du Code. La CODP a publié en 2002 une Politique sur la discrimination fondée sur l’âge à l’endroit des personnes âgées[239] qui a été mise à jour en 2007. Cette politique établit un cadre fondé sur des principes pour comprendre et appliquer les protections des droits de la personne liés à la vieillesse. Après des recherches et des consultations publiques, la CODP a intégré les principes du CNV à son cadre stratégique. Elle les a harmonisés avec les principes fondamentaux des droits de la personne que sont la dignité, la participation, l’inclusion et l’individualisation. La politique met l’accent sur une démarche anti-âgiste à l’égard des droits de la personne, et propose une approche intersectionnelle de la diversité chez les personnes âgées.

 

Cadres stratégiques nationaux

Le Cadre national sur le vieillissement (1998) et le Guide sur les politiques relatives aux aînés

Le Cadre national sur le vieillissement (CNV)[240] a été publié en 1998 et mis à jour en 2009 sous forme de Guide sur les politiques relatives aux aînés[241]. Il a été produit conjointement par les ministres responsables des aînés des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux (à l’exception du Québec, qui appuyait la vision et les principes, mais qui souhaitait assumer seul la responsabilité de toutes les activités liées aux services de santé et sociaux). Ce cadre volontaire avait pour but d’aider les gouvernements à répondre aux besoins des personnes âgées et faisait suite à une vaste consultation publique. La vision qui est au cœur du CNV est la suivante : « Le Canada, une société pour tous les âges, favorise le bien-être et la participation des aînés dans tous les aspects de la vie. » Le CNV propose cinq principes interreliés pour orienter les actions à l’appui de cette vision : la dignité, l’autonomie, la participation, l’équité et la sécurité.

 

Le Rapport du Comité sénatorial spécial sur le vieillissement (2009)

En 2006, le Sénat canadien a formé un Comité sénatorial spécial sur le vieillissement, qui avait pour mandat d’examiner un vaste éventail de questions, dans le but de déterminer si le Canada offrait les bons programmes et services au bon moment aux personnes qui en avaient besoin. Le Comité a examiné les programmes et les services publics destinés aux personnes âgées, a relevé les lacunes, et s’est penché sur les conséquences sur la prestation des services à une population vieillissante. Il a publié son rapport final au printemps 2009[242]. En plus de faire de nombreuses recommandations précises relativement au choix et à la mise en œuvre des politiques et des programmes, le Comité soulignait l’importance des éléments suivants : reconnaître que les personnes âgées sont des citoyens actifs et intéressés; laisser aux personnes âgées le droit de vivre où bon leur semble; penser autant à insuffler de la vie dans les années de vieillesse qu’à rallonger la vie; et reconnaître que le vieillissement de la population représente un atout pour le Canada.

 

Rapports sur des enjeux particuliers

Il y a, bien entendu, une foule de rapports et d’initiatives stratégiques qui portent sur des questions précises qui concernent les personnes âgées. Un outil particulièrement intéressant aux fins du présent projet est l’Outil d’évaluation des politiques en matière de santé mentale des aînés, qui a été mis au point pour la British Columbia Psychogeriatric Association[243]. L’outil a pour but d’orienter les analyses des politiques et des programmes actuels et prévus du point de vue de la santé mentale des aînés. Il est conçu pour découvrir, dans les politiques, les préjugés âgistes qui pourraient avoir des conséquences négatives sur la santé mentale des personnes âgées, et pour favoriser un modèle de soins qui serait davantage social que biomédical. Il est basé sur les points de vue et les valeurs des personnes âgées au sujet de leur santé mentale. L’outil retient 10 facteurs à considérer pour élaborer ou évaluer les politiques relatives à la santé mentale des personnes âgées, soit des facteurs liés aux processus (par exemple, si le programme ou la politique a été élaboré dans une approche collaborative et participative), la diversité, la reconnaissance des multiples déterminants de la santé, l’accessibilité, la promotion de la participation et des relations, l’indépendance, la sécurité, la dignité, l’équité et l’analyse du parcours de vie. 

Cet outil a été adapté pour créer l’Outil d’évaluation des politiques et programmes en matière de prévention des mauvais traitements à l’égard des personnes âgées[244], mis au point par le Groupe de travail sur la prévention des mauvais traitements à l’égard des personnes âgées en partenariat avec le Secrétariat aux affaires des personnes âgées de l’Ontario et l’Elder Health Coalition. L’outil a pour but de renforcer la capacité du gouvernement, des organismes non gouvernementaux et des fournisseurs de services en matière de prévention, de dépistage et d’intervention en ce qui concerne les mauvais traitements à l’égard des personnes âgées. L’outil adopte huit principes directeurs[245] : la collaboration entre tous les intervenants et les personnes touchées par les politiques, les programmes ou les pratiques qui sont élaborés ou mis en œuvre; la prise en compte des besoins uniques des sous-groupes de personnes âgées marginalisés ou vulnérables; l’accessibilité; l’inclusion sociale; l’autonomie et l’autodétermination; le respect et la dignité; l’équité; et la sécurité, qui vise à faire en sorte que les personnes âgées soient moins susceptibles d’être exposées au risque ou au danger, ou d’éprouver des doutes, de l’angoisse et de la peur.

 

3.      L’égalité, une valeur sous-jacente au cadre                      

Certains documents évoqués ci-dessus incluent l’égalité parmi les valeurs ou les principes. Plus particulièrement, l’égalité et la non-discrimination sont des éléments centraux de la Charte et du Code des droits de la personne.

Plutôt que de faire de l’égalité un principe distinct, la CDO a conclu qu’il était plus approprié de décrire l’égalité réelle comme étant « une valeur sous-jacente » ou un objectif que le respect des principes permettrait d’atteindre et qui devrait guider l’interprétation des principes.

L’interprétation du concept d’égalité fait toujours l’objet de débats et de discussions et la jurisprudence concernant l’égalité continue d’évoluer.

L’« égalité » est souvent reliée à la « non-discrimination » et, à certains égards, toutes deux visent à atteindre des résultats similaires. Le concept de l’antidiscrimination s’étant confondu peu à peu avec la notion d’égalité, même la définition générale de l’égalité inclut l’idée que certains groupes (et pas nécessairement d’autres) ont subi un traitement inégal et méritent d’être traités également. Il y a une différence majeure entre les deux, toutefois. La « non-discrimination » nécessite une comparaison avec d’autres qui n’ont pas les mêmes caractéristiques distinctives qu’une personne qui s’est fait refuser un avantage ou une possibilité, par exemple. Il y a une présomption implicite que la façon dont le groupe de comparaison est traité ou les possibilités qui lui sont offertes représentent la norme à respecter. Autant le demandeur que le groupe de comparaison peuvent être « mal » traités, mais ce sera également et sans discrimination, même si la façon dont ils sont traités correspond à une norme peu élevée. Par conséquent, les gouvernements qui doivent accorder des avantages à un groupe qui n’en bénéficiait pas auparavant parce que l’exclusion constitue de la discrimination peuvent décider de ne plus offrir ces avantages plutôt que d’en étendre la portée. 

Conformément à la jurisprudence établie par la Cour suprême du Canada, l’approche de la CDO relativement au concept d’égalité est substantielle plutôt que formelle. La Cour suprême, dans une affaire récente impliquant des critères fondés sur l’âge, affirmait ceci : 

L’égalité réelle, contrairement à l’égalité formelle, n’admet pas la simple différence ou absence de différence comme justification d’un traitement différent. Elle transcende les similitudes et distinctions apparentes. Elle demande qu’on détermine non seulement les caractéristiques sur lesquelles est fondé le traitement différent, mais également la pertinence de ces caractéristiques dans les circonstances. L’analyse est centrée sur l’effet réel de la mesure législative contestée, compte tenu de l’ensemble des facteurs sociaux, politiques, économiques et historiques inhérents au groupe. Cette analyse peut démontrer qu’un traitement différent est discriminatoire en raison de son effet préjudiciable ou de l’application d’un stéréotype négatif ou, au contraire, qu’il est nécessaire pour améliorer la situation véritable du groupe de demandeurs[246]. 

L’égalité réelle exige des intervenants du gouvernement et du secteur privé qu’ils prennent les mesures nécessaires pour que tous les citoyens aient accès aux avantages, aux soutiens, aux programmes et aux biens et services d’une manière qui tienne compte de leurs besoins particuliers. Son objectif pourrait être vu aussi comme une « citoyenneté » pleine et entière au sein de la société. L’égalité réelle comprend, entre autres choses, la non-discrimination, selon laquelle les personnes défavorisées ne doivent faire l’objet d’aucune distinction ayant pour but ou effet d’empêcher ou de limiter leur accès à des possibilités, à des avantages ou à la protection de la loi, ou de leur imposer des fardeaux, des obligations ou des désavantages qui ne sont pas imposés à d’autres. Cela signifie aussi, cependant, que les personnes âgées ne se définissent pas par leur âge, et sont reconnues comme des membres de la société capables d’apporter une contribution et d’avoir des obligations, tout comme les autres membres. Si l’égalité réelle concerne des concepts intangibles tels que la dignité et la valeur, elle offre aussi des possibilités concrètes de participer, que ses besoins soient pris en compte et que la société, ses structures et ses organisations se développent de manière à ne pas traiter les personnes âgées comme si elles étaient à l’extérieur de la collectivité.

 

4.      Principes adoptés par la CDO

À partir des résultats de ses recherches et de ses consultations préliminaires, la CDO a adopté, dans son document de janvier 2009 sur ce projet, les cinq principes suivants pour son cadre du droit touchant les personnes âgées, lesquels sont expliqués plus en détail ci-dessous :

  1. le respect de la dignité et de la valeur;
  2. la promotion de l’indépendance et de l’autonomie;
  3. l’amélioration de la participation et de l’inclusion;
  4. la reconnaissance de l’importance de la sécurité;
  5. la reconnaissance de la diversité et de l’individualité.

De plus, après d’autres recherches et consultations, la CDO a reconnu un sixième principe : l’appartenance à la collectivité. Les six principes sont abordés examinés séparément plus loin. Cependant, dans une certaine mesure, la séparation de ces principes est artificielle, car ceux-ci sont interreliés à plusieurs égards. Par exemple, on considère souvent que l’indépendance est une composante de la dignité. En outre, les principes sont interdépendants : par exemple, l’indépendance suppose un minimum de sécurité, et les personnes âgées qui ne jouissent pas d’une autonomie suffisante pour faire leurs propres choix et défendre leurs propres intérêts courent le risque de perdre leur sécurité.

 

Respect de la dignité et de la valeur

La dignité est mentionnée comme étant un principe clé pour les personnes âgées dans plusieurs documents sources, y compris les Principes des Nations Unies pour les personnes âgées, le CNV et la déclaration de la FIV. Elle est aussi au cœur des valeurs intégrées dans le Code et dans la Charte. Le préambule du Code stipule que son objet est de « reconnaître la dignité et la valeur de chaque personne[247] ». Dans Miron c. Trudel, la Cour suprême affirme que l’objet de l’article 15 de la Charte est d’« empêcher la violation de la dignité et de la liberté de la personne par l’imposition de restrictions, de désavantages ou de fardeaux fondés sur une application stéréotypée de présumées caractéristiques de groupe plutôt que sur les mérites ou capacités d’une personne ou encore sur les circonstances qui lui sont propres[248] ». Malgré le caractère central de la notion de dignité, un examen des sources révèle de multiples approches de ce principe.

Les Principes des Nations Unies pour les personnes âgées soulignent deux aspects clés du principe de dignité pour les personnes âgées :

  1. la possibilité de vivre dans la dignité et la sécurité sans être exploitées ni soumises à des sévices physiques ou mentaux;
  2. être traitées avec justice quels que soient leur âge, leur sexe, leur race ou leur origine ethnique, leurs handicaps ou autres caractéristiques.

L’approche du CNV est différente, puisqu’elle retient comme aspects importants de la dignité le droit d’être traité comme un être humain digne de respect et de se sentir accepté tel que l’on est, quel que soit son statut, et le droit d’être respecté pour ses contributions. 

La CODP a adopté une définition très large de la dignité, qui rappelle celle du CNV :

La dignité humaine inclut le respect et l’appréciation de soi. Elle repose sur l’intégrité physique et psychologique ainsi que sur l’habilitation de la personne. On porte atteinte à la dignité lorsqu’on marginalise, stigmatise, ignore ou dévalue les personnes. Le respect des renseignements personnels, la confidentialité, le confort, l’autonomie, l’individualité et l’estime de soi sont des facteurs importants[249] […].

Dans son mémoire de 2008 à la CDO, l’Association canadienne pour l’intégration communautaire s’est exprimée avec vigueur en faveur de l’approche de la dignité adoptée par le CNV et la CODP, selon laquelle la dignité est associée à la nature même de l’humanité, et est inhérente, inaliénable et égale pour toutes les personnes, quel que soit leur statut :

Tous les membres de l’espèce humaine sont des personnes à part entière. Notre essence humaine ne peut être réduite à des mots, des étiquettes, des catégories, des définitions ou des modèles génétiques. Chaque personne est unique. Personne ne peut être remplacé ou copié. Toutes les personnes sont ineffables.

  • Toutes les personnes ont droit au respect. Le respect exige la reconnaissance et le souci de la dignité de chaque personne. La dignité humaine est fragile et doit être protégée contre toute atteinte.
  • Toutes les personnes ont une dignité inhérente. La dignité nous appartient simplement parce que nous existons. Ce n’est pas quelque chose que nous devons mériter ou recevoir.
  • Toutes les personnes ont une dignité inaliénable. La dignité ne peut pas être ignorée, diminuée ou enlevée de manière légitime.
  • Toutes les personnes ont une dignité égale. La dignité ne dépend pas de caractéristiques physiques, intellectuelles ou autres. Elle ne dépend pas non plus des opinions d’autres personnes relativement à ces caractéristiques.
  • Toutes les personnes ont une valeur innée et égale. Notre valeur en tant que personne n’est ni acquise ni accumulée. Elle n’est pas liée à l’état de santé ou à une autre caractéristique génétique ou personnelle.
  • Toutes les personnes ont la capacité innée de se développer et de s’exprimer. Chaque personne a le droit d’être enrichie physiquement, intellectuellement, socialement, émotionnellement et spirituellement.
  • Toutes les personnes ont droit à l’égalité d’accès et d’opportunité. L’égalité exige la protection contre tous les types de discrimination ou de mauvais traitements ainsi que l’accès aux soutiens nécessaires à la pleine participation.

Cette notion de dignité, qui attribue une valeur morale unique aux êtres humains en raison simplement de leur humanité, est ancienne, et elle est souvent invoquée en opposition à une conception de la dignité fondée sur la capacité de rationalité et d’autonomie (comme on le verra dans la section suivante sur le principe d’indépendance et d’autonomie).

La notion de dignité liée à l’indépendance et à l’autonomie apparaît dans la politique en matière de droits de la personne sous la forme du principe de « dignité du risque ». Cette notion a été élaborée dans le contexte des droits des personnes handicapées, et elle fait valoir que les personnes ayant un handicap ont le droit de choisir d’assumer certains risques dans le but de maximiser leurs possibilités et leurs options. 

[Traduction] Les personnes qui n’ont pas été diagnostiquées ont le « droit » de faire des choix risqués et potentiellement autodestructeurs sans intervention des autorités, des cliniciens ou des fournisseurs de services qui voudraient les protéger des conséquences de ces choix. Le concept de dignité du risque reconnaît le fait qu’un élément de risque accompagne toute entreprise et que toute possibilité de croissance comporte un potentiel d’échec. Toutes les personnes apprennent par un processus d’essai et d’erreur. Nous apprenons en prenant des risques et en essayant de nouvelles choses, et nous apprenons souvent autant de nos erreurs que de nos réussites. Lorsque des personnes qui vivent avec une maladie mentale se voient refuser la dignité du risque, c’est aussi la possibilité d’apprendre et de guérir qu’un leur refuse[250].

Le concept de dignité du risque a été parfois appliqué en tant que principe du droit des personnes handicapées. Dans son document Politique et directives concernant le handicap et l’obligation d’accommodement, la CODP soutient que, dans certains cas, lorsque des adaptations visant à permettre la participation d’une personne handicapée entraînent un certain risque pour la sécurité de cette personne, celle-ci peut avoir le droit d’accepter de courir ce risque dans sa recherche de l’égalité[251]. Par exemple, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, dans l’arrêt Turnbull c. Famous Players Inc., a confirmé le droit des personnes en fauteuil roulant de courir des risques relativement à leur sécurité (par exemple, en cas d’incendie) en allant voir un film dans un immeuble non accessible, dans la mesure où elles étaient entièrement informées de ces risques[252]. 

Comme nous l’avons vu plus haut, le principe de dignité joue un rôle considérable dans l’interprétation de la disposition sur les droits à l’égalité de la Charte, qui atteint son point culminant dans l’arrêt Law c. Canada[253], où la Cour suprême accordait une place centrale à la dignité dans l’analyse des droits à l’égalité – une approche qui a été modifiée depuis par l’arrêt R. c. Kapp[254]. Point à souligner, l’affaire Law c. Canada portait sur une distinction en raison de l’âge aux termes du Régime de pensions du Canada, en vertu de laquelle des prestations de survivant avaient été refusées à des conjoints survivants valides de moins de 35 ans sans enfant à charge. La Cour a jugé que, bien que ces dispositions aient eu pour effet de créer une différence de traitement, elles ne portaient pas atteinte à la dignité humaine, et n’étaient donc pas discriminatoires.

Bien que les notions d’autonomie et d’indépendance soient essentielles à une démarche anti‑âgiste dans le domaine du droit touchant les personnes âgées, la CDO les considérera comme un principe distinct, plutôt que de les subsumer sous le principe de dignité et de respect. Réunir les deux risquerait de faire dépendre le respect de la dignité des personnes âgées de leur capacité à exercer leur indépendance, ce qui aurait potentiellement pour effet d’éroder le respect envers certaines personnes âgées. L’approche de la dignité adoptée par la CDO porte avant tout sur la valeur inhérente des personnes âgées, et sur le respect pour la diversité de leurs contributions. Ainsi conçu, le principe répond à la perception âgiste des personnes âgées comme des fardeaux et à celle de la vieillesse, comme une période de déclin.

La CDO adhère à la définition suivante du principe de dignité et de respect :

Ce principe reconnaît la valeur inhérente, égale et inaliénable de tous, y compris des personnes âgées. Tous les membres de la famille humaine sont des personnes à part entière, uniques et irremplaçables, ayant la capacité de s’épanouir et de s’exprimer. Par conséquent, ce principe englobe le droit d’être estimé, respecté et apprécié, de faire reconnaître tant son apport que ses besoins et d’être traité comme une personne à part entière. Cela comprend le droit d’être traité également et sans discrimination.

 

Promotion de l’indépendance et de l’autonomie

Le principe d’indépendance et d’autonomie est largement reconnu comme étant à la base des politiques relatives aux personnes âgées. Il a été adopté par le CNV, les Principes des Nations Unies pour les personnes âgées et la Déclaration des droits et des responsabilités de la personne âgée de la FIV. Le cadre d’orientation Vieillir en restant actif de l’Organisation mondiale de la santé souligne qu’il « est primordial, à la fois pour les personnes âgées et pour les dirigeants politiques, que chacun puisse rester autonome et indépendant[255] ».

Le rôle central de l’indépendance et de l’autonomie dans les cadres stratégiques liés au vieillissement est une réponse au paternalisme ancré envers les personnes âgées, de même qu’aux stéréotypes et aux préjugés associés au vieillissement. L’idée que les personnes âgées sont incapables de gérer leurs propres affaires et de contribuer à la société, qu’elles dépendent naturellement des soins et du soutien des autres, qu’elles doivent être protégées dans leur « propre intérêt » – ces attitudes, et les structures sociales qui en découlent, ont créé des obstacles importants à la capacité des personnes âgées de rester sur le marché du travail, de faire des choix au sujet de leurs conditions de logement et de leur santé, et de voir leurs contributions reconnues. Le principe d’indépendance et d’autonomie est donc au cœur de toute démarche anti-âgiste à l’égard du droit et des politiques.

Le contenu de ce principe, toutefois, diffère quelque peu selon le contexte dans lequel il est utilisé. Par exemple, le CNV définit l’autonomie ainsi :

Être maître de sa destinée, être le plus autonome possible et faire ses propres choix, c.-à-d. prendre des décisions sur les petits problèmes de tous les jours; être responsable, dans la mesure du possible, de ce qui nous touche; avoir la liberté de décider comment on vivra sa vie; pouvoir accéder à un système de soutien qui favorise la liberté de choix et l’autodétermination.

Par ailleurs, les Principes des Nations Unies pour les personnes âgées portent surtout sur des indicateurs fonctionnels de l’autonomie : l’accès à une nourriture et à de l’eau en quantité suffisante ainsi qu’à un logement et à des vêtements adéquats; la possibilité de travailler ou de générer un revenu; la capacité de participer à la décision de se retirer de la population active; l’accès aux programmes de formation et d’éducation appropriés; et la capacité de vivre dans son foyer, au sein de la collectivité, le plus longtemps possible.

Ces deux approches d’une définition de l’autonomie soulignent deux aspects clés de ce principe, qu’on retrouve dans la distinction que fait l’Organisation mondiale de la santé entre les termes « indépendance » et « autonomie ». L’OMS définit ces deux termes de la façon suivante[256] :

L’autonomie est l’aptitude perçue à maîtriser, affronter et prendre des décisions personnelles relatives à sa vie quotidienne dans le respect de ses propres règles et préférences.

L’indépendance est généralement définie comme la capacité de s’acquitter des tâches quotidiennes, c’est-à-dire de vivre de manière indépendante dans son environnement habituel sans aide extérieure ou avec une aide extérieure minime.

Le premier aspect – celui que l’OMS appelle l’autonomie – évoque le fait que les individus ont le droit de faire des choix qui concernent leur propre vie. Cette idée est parfois liée, dans un courant de pensée qu’on peut faire remonter jusqu’à Kant, à la nature de la dignité humaine. Selon cette approche, la rationalité et l’autonomie servent de fondement à une conception de la « dignité en tant que propriété de soi[257] » qui est individualiste et axée sur les capacités. 

La Charte prévoit une forme de reconnaissance et de protection de l’autonomie individuelle. L’article 7 de la Charte protège le « droit [de chacun] à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale ». Les opinions divergent au sujet de l’étendue de la « liberté » en vertu de la Charte, certains étant d’avis qu’elle n’inclut que le droit de ne pas subir de contraintes physiques de la part de l’État, alors que d’autres estiment qu’elle comprend le droit de prendre des décisions personnelles fondamentales sans intervention de l’État[258]. Ce dernier point de vue a été adopté majoritairement par la Cour suprême dans Blencoe c. Colombie-Britannique, dans lequel la Cour inclut le « droit de faire des choix personnels fondamentaux sans intervention de l’État » parmi les droits prévus à l’article 7[259]. Dans R. c. Clay, la Cour suprême rejette les arguments d’un consommateur de marijuana à des fins récréatives et statue que : 

[l]e droit à la liberté prévu à l’art. 7 de la Charte touche à l’essence même de ce que signifie le fait d’être une personne humaine autonome dotée de dignité et d’indépendance eu égard aux sujets qui peuvent à juste titre être qualifiés de fondamentalement ou d’essentiellement personnels[260].

Il n’est pas clair, cependant, dans quelle mesure ce droit à l’autonomie personnelle prévu par la Charte s’applique en dehors de l’administration de la justice[261].

Le deuxième volet du principe, l’indépendance, est lié au genre de vie qu’on veut vivre – à la capacité non seulement de choisir pour soi, mais aussi de faire pour soi. Cela signifie, par exemple, la possibilité de gagner sa vie, ou de vivre par ses propres moyens dans la collectivité. Dans ce sens, le principe d’indépendance est étroitement lié au principe de sécurité, puisque, par exemple, sans une sécurité économique minimale, on ne peut aspirer à vivre de façon indépendante. 

Les deux volets sont bien sûr étroitement liés, puisqu’ils reposent tous deux sur des notions de maîtrise de sa propre destinée. La FIV équilibre les deux approches dans l’interprétation du principe d’indépendance de sa déclaration. Par exemple, dans le secteur de l’emploi, le principe d’indépendance implique le droit « de travailler et d’exploiter d’autres possibilités de revenu sans rencontrer d’obstacles fondés sur l’âge » ainsi que le droit « de prendre sa retraite et de participer aux décisions sur le moment et le rythme du retrait de la population active ». En ce qui concerne l’instruction, le principe d’indépendance inclut le droit d’« accès à des programmes d’éducation et de formation dans le but d’améliorer la littératie, de favoriser l’emploi et de permettre une planification et des décisions éclairées ». C’est-à-dire que l’accès à l’instruction est important en soi pour avoir la capacité de vivre comme on l’entend, mais aussi pour améliorer la capacité de faire des choix.

L’approche de l’indépendance préconisée par le CNV touche un point intéressant : dans certains cas, le soutien des autres est souvent le seul ou le meilleur moyen d’acquérir son indépendance. Par exemple, les personnes dont les fonctions cognitives sont diminuées en raison de maladies liées à l’âge, comme la maladie d’Alzheimer, peuvent perdre la capacité de prendre certains types de décisions de manière autonome. Toutefois, les défenseurs des cadres de soutien à la prise de décisions font remarquer que, avec de l’aide pour prendre des décisions, ces personnes peuvent continuer d’exercer leur autonomie. De la même façon, les personnes à mobilité réduite ou ayant une déficience sensorielle peuvent éprouver des difficultés croissantes à vieillir à la maison et dans leur collectivité lorsqu’elles commencent à avoir besoin d’aide pour les tâches ménagères ou les soins personnels. Cependant, la prestation de services d’aide peut permettre à ces personnes de continuer à vivre de façon autonome dans leur collectivité. 

L’approche qu’a retenue la CDO pour ce principe comprend les concepts d’indépendance et d’autonomie et reconnaît que ceux-ci se réalisent dans un contexte social, et que leur exercice peut nécessiter le soutien des autres, ou leur être profitable.

La CDO adopte la définition suivante du principe d’indépendance et d’autonomie, en soulignant qu’il s’applique à tous les aspects de la vie, notamment le droit à des débouchés professionnels véritables, celui de vieillir chez soi, et l’accès à l’instruction et à la formation :

Ce principe reconnaît l’importance que revêt, pour les personnes âgées, la capacité de faire des choix et de s’occuper de soi-même dans la plus grande mesure possible. Il reconnaît aussi la nécessité des mesures visant à renforcer la capacité de faire des choix et de s’occuper de soi-même, y compris la prestation de mesures de soutiens appropriées pour permettre aux personnes âgées d’exercer leur capacité d’action. Compte tenu des attitudes paternalistes et des stéréotypes bien ancrés à l’endroit des personnes âgées, la présomption de capacité est essentielle à l’application de ce principe.

 

Amélioration de la participation et de l’inclusion

Le principe de participation et d’inclusion, qui constitue une réponse à l’exclusion très largement répandue des personnes âgées, comporte plusieurs éléments.

Le premier élément, qu’on retrouve dans les Principes des Nations Unies pour les personnes âgées, le CNV et la déclaration de la FIV, est le droit des personnes âgées d’être consultées sur les questions qui touchent leur bien-être. Dans son mémoire de 2008 à la CDO, la Corporation Canadienne des Retraités Intéressés y allaient de la déclaration suivante :

[traduction] Nous appuyons les principes contenus dans les Principes des Nations Unies pour les personnes âgées (1991) et le Cadre national sur le vieillissement du Canada, ainsi que les objectifs établis par l’Organisation mondiale de la santé dans son cadre d’orientation Vieillir en restant actif. Toutefois, nous sommes particulièrement préoccupés par le fait que, malgré l’excellence de ces principes et de ces objectifs, les personnes âgées participent rarement à la planification des politiques ou des programmes publics ou des changements législatifs.

Le PAIMV propose trois mesures qui sont nécessaires à la réalisation de cet élément du principe de participation[262] :

  • tenir compte des besoins et des préoccupations des personnes âgées à tous les niveaux de la prise des décisions;
  • encourager la création d’organisations de personnes âgées ayant pour mandat de représenter celles-ci dans les processus de prise de décisions;
  • prendre les mesures nécessaires pour faciliter la participation, à part entière et sur un pied d’égalité, des personnes âgées, et notamment des femmes âgées, dans les processus de prise de décisions à tous les niveaux. 

Cette liste montre que cet élément du principe de participation a un aspect politique, dans la mesure où il favorise une participation active des personnes âgées aux organismes de défense des droits et aux processus décisionnels des gouvernements.

Un deuxième élément est le droit de faire partie de la vie de la société et de bénéficier de politiques, de programmes et de structures sociales qui tiennent compte des besoins et des expériences des personnes âgées et les incluent. Cet élément trouve un fondement solide dans les lois sur les droits de la personne. La politique de la CODP définit l’âgisme ainsi :

Pour la CODP, « l’âgisme » se définit, entre autres, comme « une tendance à vouloir structurer la société selon la présupposition que tout le monde est jeune, de sorte que l’on n’arrive pas à répondre adéquatement aux besoins réels des personnes âgées ». L’âgisme se manifeste lorsque les décisions prises en matière d’aménagement et de conception ne tiennent pas compte des réalités de tous les groupes d’âge, dans toute la mesure du possible. La Cour suprême du Canada a récemment établi très clairement que la société doit être aménagée de façon à tenir compte de toutes les personnes. Il n’est plus acceptable de structurer des systèmes conçus comme si tout le monde était jeune et d’essayer par la suite de les adapter tant bien que mal pour les personnes qui ne le sont pas. Il faut plutôt tenir compte de la diversité d’âges qui existe dans la société dès l’étape de la conception afin de ne pas créer d’obstacles physiques, psychologiques et systémiques[263].

La Cour suprême a fait du principe de la conception universelle un aspect central de son approche à l’égard des lois sur les droits de la personne[264]. 

Un troisième élément de la participation est le droit de continuer de contribuer à la société, que ce soit par un emploi rémunéré, le bénévolat ou d’une autre façon, et de partager ses connaissances, ses compétences, ses valeurs et ses expériences de vie avec les jeunes générations. Les contributions ne se limitent pas à celles qui pourraient être apportées au sein de la population active : le cadre d’orientation Vieillir en restant actif de l’OMS souligne de manière explicite que les personnes âgées qui prennent leur retraite ou celles qui sont malades ou qui vivent avec un handicap peuvent continuer de contribuer de plusieurs façons. Le droit de contribuer est au cœur des approches des Principes des Nations Unies et de la déclaration de la FIV. Selon le PAIMV :

L’instauration d’une société pour tous les âges suppose que les personnes âgées aient la possibilité de continuer à participer à la vie de la société. Il faut donc, pour atteindre cet objectif, supprimer toute source d’exclusion ou de discrimination à leur endroit. La contribution des personnes âgées à la vie sociale et économique déborde largement du cadre de leurs seules activités économiques. Elles jouent souvent un rôle capital au sein de la famille et de la communauté, et remplissent de nombreuses tâches dont l’importance est difficile à évaluer en termes économiques : soins dispensés à des proches, activités de subsistance, travaux ménagers et bénévolat au service de la communauté. De plus, elles contribuent par toutes ces activités à préparer la nouvelle génération de travailleurs. Toutes ces contributions, y compris le travail non rémunéré accompli dans quelque secteur que ce soit par des individus de quelque âge que ce soit, et notamment par des femmes, devraient être reconnues[265].

La déclaration du PAIMV souligne que cet élément de participation dépend, pour sa réalisation, du deuxième élément décrit ci-dessus : la suppression des obstacles que rencontrent les personnes âgées et le développement d’une société inclusive. 

Le quatrième et dernier élément du principe de participation est le droit d’être actif dans tous les aspects de la vie communautaire. L’OMS, dans son cadre d’orientation Vieillir en restant actif, observe que :

[l]e terme « actif » désigne […] une implication constante dans les activités économiques, sociales, spirituelles, culturelles et citoyennes, et non pas uniquement l’aptitude à la seule activité physique et/ou à l’emploi.

Le PAIMV recommande que les gouvernements prennent des mesures pour « encourager les personnes âgées à participer ou à continuer de participer à la vie culturelle, économique, politique et sociale et à suivre des enseignements en mettant à leur disposition les possibilités, les programmes et les appuis nécessaires[266] ». Cet aspect de la participation comprend le droit de continuer de faire partie de la population active, d’avoir accès à l’instruction et de participer aux activités de la collectivité.

L’un des aspects de cet engagement envers l’inclusion des personnes âgées dans la collectivité est le concept largement accepté du « vieillissement chez soi », selon lequel les personnes âgées ne devraient pas être obligées de quitter leur foyer pour avoir accès aux services de soutien rendus nécessaires par l’évolution de leurs besoins. Le vieillissement chez soi était l’un des principaux sujets de préoccupation soulevés dans le Rapport du Comité sénatorial spécial sur le vieillissement[267].

Tous ces éléments du principe de participation sont basés sur la reconnaissance fondamentale que les personnes âgées ont une valeur et qu’elles peuvent apporter une contribution utile à leur famille, à leur collectivité et à leur société. C’est-à-dire que le principe de participation est profondément lié au principe de dignité et de respect. Le Comité sénatorial spécial sur le vieillissement avait adopté comme point de départ de ses travaux la reconnaissance que le vieillissement de la société ne devait pas être vu comme un fardeau, mais comme une occasion, et que les personnes âgées font de nombreuses contributions utiles à la société canadienne.

La CDO a adopté la définition suivante du principe de participation et d’inclusion :

Ce principe promeut la possibilité de participer activement et de s’intégrer à sa collectivité ainsi que de jouer un rôle important au sein de celle-ci. La participation est rendue possible grâce à la conception inclusive des lois, des programmes, des politiques et des services, ainsi qu’aux efforts visant à accroître la contribution des personnes âgées victimes d’une forme particulière de marginalisation. Le droit des personnes âgées d’être convenablement consultées sur les enjeux qui les concernent, que ce soit de façon individuelle ou collective, est un aspect important de ce principe.

 

Reconnaissance de l’importance de la sécurité

Ce que la CDO appelle ici le principe de sécurité a été qualifié de principe de « soins » dans certains documents. La CDO préfère le terme sécurité, puisque la notion de « soins » peut suggérer la réception passive de services et l’idée de personnes âgées fragiles et dépendantes. Le principe de sécurité doit être interprété et appliqué d’une façon qui n’annule pas les principes de dignité et de valeur, d’indépendance et d’autonomie, et de participation et d’inclusion. Dans sa présentation, l’ACE affirmait que le principe de sécurité devrait :

[traduction] aborder les vulnérabilités possibles des personnes âgées, que ce soit à court ou à long terme, sans écarter les principes de dignité, d’indépendance et de participation. La CDO ne devrait pas recommander un cadre basé sur la notion de vulnérabilité et sur l’idée que les personnes âgées ont des capacités insuffisantes et ont besoin de protection.

La notion de sécurité est au cœur du cadre d’orientation Vieillir en restant actif de l’OMS. L’OMS souligne que les environnements social et économique dans lesquels vivent les personnes âgées sont des facteurs clés pour vieillir en restant actif. La présence ou l’absence de soutiens sociaux, la violence et la les mauvais traitements, l’instruction et l’alphabétisme, le revenu, la protection sociale et les possibilités de travail ont une grande influence sur la capacité des personnes âgées à rester des membres actifs et engagés de leur collectivité[268]. C’est-à-dire que la sécurité est essentielle à la réalisation et au maintien des autres principes de dignité, d’inclusion et d’indépendance.

Le principe de sécurité (ou de soins) est reconnu dans tous les documents stratégiques importants : le PAIMV, le CNV et les Principes des Nations Unies pour les personnes âgées. Il n’y a pas vraiment de consensus, toutefois, sur l’étendue du principe de sécurité.

Les documents internationaux adoptent généralement une vision plus large de la sécurité, en y incluant toute une gamme d’éléments socioéconomiques. Les Principes des Nations Unies pour les personnes âgées incluent, dans le principe de soins, le droit des personnes âgées d’avoir accès :

  • à des soins de santé qui les aident à conserver ou à retrouver un niveau de bien-être optimal;
  • à des services sociaux et juridiques capables de renforcer leur capacité d’autonomie, ainsi que la protection et les soins dont elles disposent;
  • à des services hospitaliers adéquats, et de pouvoir jouir des droits de la personne et des libertés fondamentales lorsqu’elles sont dans de tels établissements. 

Le PAIMV propose un large éventail d’objectifs liés à la sécurité économique, physique et sociale des personnes âgées. Par exemple, il fixe comme objectifs la réduction de la pauvreté chez les personnes âgées, la promotion des programmes visant à assurer la sécurité des revenus et la sécurité ou la protection sociale, ainsi que l’accès universel aux services de santé.

L’OMS recommande, parmi les principales mesures proposées, que les gouvernements :

[assurent] la protection, la sécurité et la dignité des personnes âgées en répondant à leurs besoins et leurs droits en matière de sécurité sociale, financière et physique[269].

Cela nécessite la mise en œuvre de politiques dans des domaines tels que la sécurité sociale, la protection des consommateurs, la violence à l’égard des aînés, le logement et la justice sociale.

Au pays, on a donné une interprétation plus restrictive du principe de sécurité. Pour le CNV, la sécurité c’est :

[d]isposer d’un revenu suffisant et être bien entouré dans un milieu sans danger (avoir assez d’argent pour s’acheter ce dont on a besoin tous les jours); être à l’abri des dangers physiques (bonnes conditions de vie, sentiment de protection contre le crime, etc.); pouvoir visiter sa famille et ses amis; établir des liens étroits sur les plans personnel et social; être soutenu. 

Cette approche de la sécurité ne fait aucune mention de l’accès aux services de santé, juridiques ou sociaux. Pour l’ACE : 

[traduction] [l]a notion de sécurité telle qu’elle figure dans le Cadre national sur le vieillissement est un bon concept qui rappelle celui des soins dans les Principes des Nations Unies pour les personnes âgées. Contrairement au document de l’ONU, on n’y parle pas du droit aux services qui assurent la sécurité de la personne, comme les soins de santé, les soins hospitaliers ou les soins spécialisés. Le principe de sécurité pourrait être renforcé s’il était étendu pour inclure l’accès aux services juridiques et sociaux, de même que des définitions juridiques de l’admissibilité aux programmes de soins de santé et aux services communautaires de longue durée, afin qu’une personne qui satisfait aux critères d’admissibilité ait le droit de participer pleinement aux programmes quelle que soit la rareté des ressources.

Bien que l’article 7 de la Charte prévoie une protection pour la « sécurité de la personne », il est loin d’être établi qu’elle s’étend à la satisfaction des besoins fondamentaux. La Cour suprême du Canada a examiné cette question dans l’affaire Gosselin c. Québec (Procureur général)[270], sans la trancher toutefois. Même si la Cour n’a pas tiré une telle conclusion dans cette affaire, elle a laissé la porte ouverte aux arguments futurs pour que l’article 7 puisse servir de fondement à un droit concret à des moyens de subsistance élémentaires. Dans les motifs majoritaires qu’il a rédigés, le juge en chef fait observer ce qui suit :

La question n’est donc pas de savoir si l’on a déjà reconnu – ou si on reconnaîtra un jour – que l’art. 7 crée des droits positifs. Il s’agit plutôt de savoir si les circonstances de la présente affaire justifient une application nouvelle de l’art. 7, selon laquelle il imposerait à l’État l’obligation positive de garantir un niveau de vie adéquat[271].

Dans l’arrêt Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, une affaire fondée sur l’article 15 de la Charte, la Cour suprême a conclu que, dans les demandes en vertu de l’article 15 et portant sur des intérêts économiques, le désavantage ou le dénuement économique peut être lié à une perte de dignité humaine[272]. Toutefois, la Cour a aussi clairement établi, plus récemment dans Auton (Tutrice à l’instance de) c. Colombie-Britannique (Procureur général), que les législatures n’ont aucune obligation de créer des avantages particuliers (bien que rien ne les en empêche non plus). Elles peuvent financer des programmes selon leurs décisions de politique générale, pour autant que les avantages qui en découlent ne soient pas mis en œuvre de façon discriminatoire[273]. 

La CDO a adopté la définition suivante du principe de sécurité :

Ce principe reconnaît l’importance de la sécurité physique, psychologique, financière et sociale, ce qui comprend le droit d’être protégé contre la violence ou l’exploitation et le droit au soutien de base en matière de services de santé, juridiques et sociaux afin de favoriser l’application et le maintien des principes que sont la dignité et le respect, l’indépendance et l’autonomie ainsi que la participation et l’inclusion.

 

Diversité et individualité

Comme nous l’avons déjà vu, la diversité qui caractérise l’ensemble de la population canadienne se trouve également parmi les personnes âgées. Celles-ci diffèrent quant à l’âge, au sexe, à l’orientation sexuelle, à la langue, au revenu, à l’instruction, au lieu de résidence, à la situation familiale ou à l’état matrimonial, au statut d’immigration ou de citoyenneté, à la racialisation et à l’origine ethnique, à l’appartenance à un groupe autochtone, à l’état de santé ou à la présence d’une incapacité, et à d’autres facteurs. Présumer que les personnes âgées forment un groupe homogène, et réduire la diversité de leurs besoins, de leurs expériences, de leurs identités et de leurs perspectives à un statut unique basé sur l’âge, est en soi une forme d’âgisme. Souligner que les personnes âgées sont d’abord et avant tout des personnes, et que dans de nombreux cas, sinon la plupart, leur âge n’est pas l’aspect le plus important de leur identité est essentiel pour lutter contre les stéréotypes, le paternalisme et l’âgisme. Selon le PAIMV, l’une des principales mesures que les gouvernements peuvent prendre pour combattre l’âgisme est d’« encourager les médias à aller plus loin que la présentation d’images stéréotypées et à mettre en évidence toute la diversité du genre humain[274] ». 

La CODP a fait de l’individualisation un principe clé de sa Politique sur la discrimination fondée sur l’âge à l’endroit des personnes âgées, notant au passage que, « [p]ar le passé, bien des normes, facteurs, exigences et qualifications qui établissaient une discrimination fondée sur l’âge étaient justifiés par les caractéristiques générales présumées associées au vieillissement[275] ».

Le cadre d’orientation Vieillir en restant actif de l’OMS reconnaît le principe de diversité comme faisant partie d’une perspective globale du vieillissement : 

Adopter une perspective globale de la vie, c’est reconnaître que les personnes âgées ne constituent pas un groupe homogène et que l’hétérogénéité des personnes tend à croître avec l’âge.

Cela sous-entend que l’application du principe de diversité doit intégrer une approche fondée sur le parcours de vie pour comprendre les enjeux liés au vieillissement. 

Un autre aspect du principe de diversité est la reconnaissance que la conjonction de diverses facettes de l’identité peut produire des formes uniques de marginalisation, de discrimination et d’exclusion. Les documents internationaux reconnaissent l’importance d’intégrer les différences liées au sexe, à la culture et à l’incapacité dans les politiques et les programmes liés au vieillissement. La politique de la CODP observe que :

[l]a façon dont se manifeste la discrimination fondée sur l’âge peut différer selon les autres composantes de l’identité d’une personne. Par exemple, certains groupes de personnes âgées peuvent faire face à des obstacles particuliers du fait de la conjonction de l’âge et d’autres facteurs comme le sexe, un handicap, l’orientation sexuelle, la race, l’ethnie, la religion, la culture et la langue. […] Cette façon de comprendre la complexité des diverses manifestations de la discrimination fondée sur l’âge signifie que, lorsque les circonstances entourant la discrimination alléguée l’exigent, tous les motifs pertinents de discrimination doivent être examinés en même temps que celui de l’âge. […] Il peut être nécessaire d’examiner les stéréotypes possibles ainsi que le contexte historique, social et politique associé à une combinaison particulière de motifs de discrimination. […] Dans certains cas, des personnes peuvent subir un « double désavantage » du fait de leur âge combiné à d’autres motifs de discrimination[276].

La CDO a adopté la définition suivante du principe de diversité et d’individualité : 

Ce principe reconnaît que les personnes âgées sont d’abord et avant tout des individus. Elles ne forment pas un groupe homogène, et leurs besoins et réalités peuvent varier en fonction d’un large éventail de facteurs. Les personnes âgées peuvent également faire l’objet d’une discrimination ou d’une exclusion fondée sur leur sexe, leur racialisation, leur statut d’Autochtone, d’immigrant ou de citoyen, leur orientation sexuelle, leurs croyances, leur emplacement géographique, leur lieu de résidence ou d’autres aspects de leur identité, et le droit doit tenir compte des effets de cette diversité.

 

Appartenance à la collectivité dans son ensemble

Comme la section précédente l’a bien montré, les personnes âgées, comme nous tous, ont des identités, des rôles, des liens, des réseaux et des communautés multiples, et l’appartenance à une génération ou à un groupe d’âge en particulier n’est qu’une caractéristique parmi d’autres qui, en plus de ne pas être nécessairement déterminante, n’est habituellement pas, de leur point de vue, la plus centrale non plus. 

Les personnes âgées sont membres de la collectivité dans son ensemble, avec laquelle elles ont toutes sortes de liens, de même que des droits et obligations réciproques. Le bien-être des personnes âgées – à titre de citoyens, de parents et de grands-parents, d’employés ou de bénévoles, de contribuables ou de bénéficiaires de services – est lié, dans une certaine mesure, au bien-être de l’ensemble de la société. Bien entendu, l’inverse est également vrai. On ne peut considérer les personnes âgées et les aspects du droit qui les touche en faisant abstraction de la population en général.

L’étude du parcours de vie ajoute une autre dimension à l’analyse, puisque les lois de même que les politiques et les environnements qui façonnent la vie des enfants, des jeunes adultes et des personnes d’âge moyen déterminent la nature et l’expérience du vieillissement[277]. Une société accueillante pour tous les âges tient compte du bien-être des individus de tout âge de même que des ressources qui leur sont accessibles.

La vision du CNV – « Le Canada, une société pour tous les âges… » – souligne l’importance de tenir compte des besoins et des expériences des personnes âgées dans le contexte plus vaste d’une société accueillante pour les personnes de tous âges.

La « solidarité intergénérationnelle », un concept en émergence sur la scène internationale, présente une autre façon de voir et d’aborder les liens entre les générations[278]. Ce concept a été décrit de la façon suivante :

La solidarité entre les jeunes, les actifs et les personnes âgées ne doit pas être abordée exclusivement d’un point de vue financier, mais de façon plus large et englober la promotion de la coopération mutuelle et des échanges entre les générations. Elle doit encourager une meilleure compréhension mutuelle des besoins et attentes des autres groupes d’âge et explorer de nouvelles formes de coexistence. C’est toute la façon dont notre société est organisée qu’il faut revoir pour recréer du tissu social et des liens entre et au sein des diverses générations afin que chacun trouve la place qui lui revient et puisse s’épanouir et apporter sa contribution au bien-être général dans la mesure de ses moyens[279].

La CDO propose cette définition du principe d’appartenance à la collectivité dans son ensemble :

Ce principe reconnaît que les personnes âgées font partie d’une collectivité plus vaste, au sein de laquelle elles ont des droits et des obligations réciproques. Les membres des générations passées, présentes et futures sont liés les uns aux autres, et il incombe à tous de favoriser une collaboration et une compréhension mutuelles entre les générations et de s’efforcer de créer une société accueillante pour les personnes de tous âges.

  

5.      Appliquer les principes

Les liens entre les principes

Comme le montrent ces quelques survols, les principes ne peuvent être séparés nettement les uns des autres, et ils ont entre eux des relations complexes. La dignité et l’indépendance, par exemple, ne peuvent être réalisées sans la sécurité. La sécurité est elle-même basée sur le respect de la valeur et de la dignité inhérentes des personnes âgées.

Toutefois, il peut aussi y avoir des conflits entre les principes. Ces conflits peuvent apparaître dans nombre de situations concernant les personnes âgées. Dans certains cas, deux principes peuvent s’opposer relativement à une même personne âgée. Par exemple, une femme âgée vit dans des conditions dangereuses et insalubres dans sa propre maison, mais elle préfère rester là plutôt que déménager. Ici, le principe d’autonomie – le droit de cette femme de choisir où elle vit – peut s’opposer au principe de dignité – sa valeur inhérente qui exige que des conditions de vie minimales soient remplies. Il y a aussi des cas où des principes peuvent s’opposer relativement à deux personnes ou à deux groupes de personnes âgées. Bien que ces problèmes ne soient pas insurmontables, il est important que nous élaborions un cadre pour résoudre ces conflits lorsqu’ils se manifestent.

Pour évaluer les conflits entre des principes, il est essentiel de tenir compte des contextes dans lesquels ceux-ci se manifestent[280]. Quels droits ou résultats précis sont en jeu dans cette situation particulière? Qui pourrait en être touché? Quelle incidence l’application partielle d’un principe peut-elle avoir sur la réalisation d’autres principes? C’est-à-dire que les conflits doivent être examinés de manière à la fois globale et nuancée. 

En outre, un examen des conflits existant, particulièrement, entre le principe de sécurité et le principe d’indépendance et d’autonomie, devrait considérer le contexte social général dans lequel ces conflits surviennent. Dans l’exemple ci-dessus de la femme âgée qui souhaite rester dans sa maison malgré des conditions dangereuses et insalubres, l’un des facteurs en jeu pourrait être le manque de soins à domicile pour les personnes âgées découlant de décisions de politique générale. Dans un tel cas, le véritable enjeu n’est pas nécessairement le conflit entre l’autonomie et la sécurité, mais plutôt les répercussions, sur ces deux principes, du manque de ressources adéquates pour maximiser leur réalisation. Bref, nous ne devrions pas réduire trop rapidement ce type de difficulté à un conflit entre des principes. 

Une piste possible pour résoudre les conflits qui surviennent entre des principes est de créer une hiérarchie des principes afin de déterminer lequel devrait prévaloir dans l’éventualité d’une opposition avec un autre principe. L’un des avantages d’une telle approche est la prévisibilité et la simplicité de son application. Cependant, la nature quelque peu mécanique de ce procédé ne tient pas compte de la complexité des enjeux dans lesquels ces conflits se manifestent[281]. Elle ne tient pas compte non plus de l’interdépendance des principes. En mettant le principe de dignité, par exemple, au-dessus des autres principes, on exclut la possibilité que des restrictions à la réalisation d’autres principes, comme l’autonomie ou la participation, puissent contribuer à une diminution globale du respect de la dignité des personnes âgées. Les approches hiérarchiques ont généralement été écartées dans le domaine des droits pour la raison suivante, entre autres : le préambule de la Convention relative aux droits des personnes handicapées réaffirme « le caractère universel, indivisible, interdépendant et indissociable de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales ». 

Les concepts de « conciliation » ou de « pondération », qui ont été étudiés relativement aux droits concurrents, pourraient être utiles dans ce contexte[282]. Dans la conciliation, on tente d’accorder une reconnaissance adéquate aux deux principes dans la plus grande mesure possible[283]. Dans la pondération, on peut pondérer un principe par rapport à un autre. Le recours à la pondération peut avoir pour inconvénient de donner l’impression que les principes sont en fait concurrents et qu’ils doivent être vus d’un point de vue hiérarchique[284].

Pour résoudre les conflits qui surviennent entre des principes, il serait bon, dans un premier temps, de se rappeler que ceux-ci ont d’abord été élaborés comme un moyen de réagir à la marginalisation, à l’exclusion et à l’oppression des personnes âgées. C’est-à-dire que, lorsqu’on examine les moyens de résoudre les conflits entre des principes, on doit considérer les types particuliers d’obstacles que les principes avaient pour but de résoudre, et quelle incidence une approche précise destinée à résoudre les conflits pourrait avoir sur la réalisation des objectifs généraux d’une démarche anti-âgiste dans le domaine du droit[285].

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EXEMPLE : LES CONFLITS ENTRE L’AUTONOMIE ET LA SÉCURITÉ 

Les lois sur la déclaration obligatoire et la protection des adultes

L’examen des lois sur la déclaration obligatoire et la protection des adultes fournit un exemple de la façon dont l’âgisme peut se manifester dans le droit. 

Certaines provinces ont mis en place une législation complète sur la protection des adultes. Cette législation vise à réduire le risque de mauvais traitements et de négligence envers les personnes âgées, et crée les structures institutionnelles permettant d’intervenir dans les cas de mauvais traitements et de négligence. Elle couvre généralement la violence physique, sexuelle et émotionnelle et l’exploitation financière, ainsi que la négligence de soi. 

Pour atteindre cet objectif, ce type de législation prévoit l’intervention de tiers. Le but premier de la législation sur la protection des adultes est de mettre les personnes en relation avec les services sociaux et médicaux nécessaires. Les exemples incluent la Loi sur les personnes vulnérables ayant une déficience mentale[286] au Manitoba, le Neglected Adults Welfare Act[287] à Terre-Neuve-et-Labrador et l’Adult Protection Act[288] en Nouvelle-Écosse. 

La portée de la législation sur la protection des adultes varie. Le Neglected Adults Welfare Act[289] de Terre-Neuve-et-Labrador s’applique aux adultes qui : 1) sont incapables de prendre soin d’eux-mêmes correctement en raison d’une [traduction] « infirmité physique ou mentale »; 2) ne peuvent être placés dans un établissement de soins adéquat en vertu des lois sur la santé mentale; 3) ne reçoivent pas [traduction] « les soins et l’attention nécessaires », et 4) refusent, omettent ou sont incapables de prendre des mesures pour obtenir les soins et l’attention nécessaires. L’Adult Protection Act[290] de la Nouvelle-Écosse s’applique de la même façon aux victimes de mauvais traitements ou de négligence (ou de négligence de soi) qui sont incapables de protéger ou de prendre soin de leur propre personne en raison d’une incapacité physique ou d’une [traduction] « infirmité mentale ». Ainsi, la portée de la législation ne se limite pas nécessairement aux personnes qui sont dans l’incapacité juridique de prendre des décisions pour elles-mêmes : une incapacité physique ou une déficience mentale plus légère peut aussi justifier une intervention non désirée. La Loi sur les personnes vulnérables du Manitoba adopte une approche assez différente, puisque son champ d’application se limite aux personnes ayant une déficience intellectuelle qui requièrent de l’aide pour satisfaire leurs besoins essentiels relativement à leurs soins personnels ou à la gestion de leurs biens[291].

La législation sur la protection des adultes vise à protéger ces derniers contre les mauvais traitements et l’exploitation en attribuant à un organisme de vastes pouvoirs d’intervention. La Commission manitobaine de réforme du droit observe que dans ces lois, « l’accent est mis non plus sur la compétence et l’incapacité juridique, mais sur la vulnérabilité et l’intervention d’un organisme, le retrait de la victime de la maison, et la planification de cas[292] ».

Les trois lois rendent obligatoire la déclaration des cas de mauvais traitements et de négligence d’un adulte visé par la protection qu’accorde la législation[293]. Les organismes ont des pouvoirs d’enquête, et peuvent avoir des pouvoirs de redressement étendus pour, par exemple, retirer la personne âgée ou une autre personne de la maison, placer la personne âgée sous la supervision d’un organisme, exiger d’une personne qu’elle fournisse un soutien financier à la personne âgée, ou faire quoi que ce soit d’autre que l’autorité désignée juge appropriée.

Outre une portée plus restreinte, une différence notable entre la législation manitobaine et celle de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Écosse est l’importance que la Loi sur les personnes vulnérables accorde au maintien et au soutien, lorsque cela est possible, de la capacité de la personne vulnérable de participer aux décisions qui la concernent. Le préambule de la Loi établit une présomption de capacité de prendre des décisions et reconnaît que les personnes vulnérables devraient être encouragées à prendre leurs propres décisions et qu’elles devraient bénéficier de soutien et d’aide pour le faire dans la mesure du possible, une intention qui est reflétée dans l’ensemble de la Loi. 

La législation sur la protection des adultes a été, et demeure, controversée. 

[Traduction] L’ACE s’est toujours opposée à la législation sur la protection des adultes du type de celle qui a été mise en place en Nouvelle-Écosse, au motif qu’une telle législation : a) limite les valeurs de liberté et de sécurité de la personne de la Charte sans offrir les mêmes droits fondamentaux et garanties procédurales qu’on retrouve dans les autres procédures juridiques en matière de justice pénale et de santé mentale; et b) marginalise des adultes qui sont déjà défavorisés, souvent sans rien offrir de constructif relativement aux droits ou aux ressources qui pourraient les aider à surmonter la négligence et les mauvais traitements[294].

Un facteur clé des réactions négatives à la législation sur la déclaration obligatoire dans les provinces atlantiques est la portée très large de celle-ci, qui permet une intervention unilatérale et possiblement arbitraire dans la vie de personnes âgées qui, dans d’autres contextes, seraient jugées tout à fait capables de prendre leurs propres décisions. Il y a évidemment des adultes qui, en raison de la nature de leur incapacité, ne sont pas en mesure de parler ou d’agir pour eux-mêmes ou de prendre des décisions visant à protéger leur santé et leur sécurité, et qui peuvent avoir besoin des autres pour les aider à poser certains gestes ou même pour poser ces gestes à leur place. La législation en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve, toutefois, n’a pas une aussi grande portée et, pour cette raison, autorise des décisions paternalistes potentiellement influencées par des stéréotypes ou des attitudes âgistes.

Lorsqu’on cherche à contrer les mauvais traitements envers les personnes âgées, il convient d’examiner les opinions des personnes âgées elles-mêmes, et les raisons pour lesquelles des personnes âgées aptes ne déclarent pas les mauvais traitements dont elles sont victimes[295]. Elles peuvent, par exemple, ne pas connaître leurs droits ni les recours juridiques dont elles disposent pour les protéger. Elles peuvent craindre que les autorités ne les prennent pas au sérieux ou refusent de leur venir en aide. Elles peuvent avoir subi de l’intimidation de la part de leur agresseur, ou être empêchées de communiquer avec d’autres personnes. Cela peur être le cas particulièrement pour les immigrants âgés, qui peuvent subir de graves conséquences en matière d’immigration si la relation avec leur parrain est compromise. Les personnes âgées peuvent aussi hésiter à dénoncer leurs enfants qui les maltraitent, de peur qu’ils soient soumis à des sanctions pénales qui auraient des conséquences à long terme et risqueraient de détruire leur relation. 

[Traduction] Le fait que l’agresseur soit quelqu’un qui occupe une position de confiance a aussi des conséquences négatives sur le taux de déclaration. Un lien avec l’agresseur peut décourager une personne âgée de déclarer les mauvais traitements qu’elle subit parce que, pour nombre d’aînés, l’intervention judiciaire est une mesure trop sévère. Certaines personnes ont indiqué leur préférence pour une intervention moins officielle ou communautaire, une sorte de justice réparatrice applicable aux cas de mauvais traitements envers les personnes âgées. La justice réparatrice intéressait les participants au groupe parce que, selon eux, elle permettrait aux victimes de parler à leur agresseur et aux agresseurs de recevoir une formation sur les comportements appropriés et acceptables, en plus de représenter un moyen de réparer les torts causés sans que la famille ou les proches aient à subir de graves conséquences juridiques[296].

Lorsque les personnes âgées dépendent de leur agresseur pour l’aide aux soins, elles peuvent craindre que des poursuites contre celui-ci les privent des soutiens dont elles ont besoin pour continuer à vivre dans leur foyer ou dans leur collectivité. Elles peuvent aussi avoir peur que des interventions faites en vertu de la loi aient pour effet de réduire leur indépendance. 

Après examen de ces motifs, certaines conclusions deviennent évidentes.

D’abord, parce que les causes des mauvais traitements envers les personnes âgées sont complexes, la législation peut, de toute façon, n’offrir qu’une solution partielle (quoique essentielle) au problème de la violence à leur égard.

[Traduction] La Commission [manitobaine de réforme du droit] est d’avis que la législation ne peut constituer à elle seule une réponse complète aux problèmes sociaux. Aucun régime juridique ne peut prévoir toutes les éventualités dans un domaine aussi vaste et complexe que la protection des adultes, où les problèmes se présentent sous des formes multiples et sont profondément imbriqués dans les relations sociales et familiales. Les tentatives pour y parvenir ont débouché, de l’avis de la Commission, sur des instruments juridiques peu efficaces et abusifs. Le protectionnisme extrême qui est au cœur de ces lois est incompatible avec la valeur que la société canadienne accorde à l’autodétermination[297].

Dans certains cas, les personnes âgées sont vulnérables aux mauvais traitements parce que le manque de soutiens sociaux les met dans une situation de dépendance par rapport à leur agresseur. S’attaquer à la violence peut aggraver d’autres aspects de leur situation. Les personnes âgées dans ces situations doivent peser le pour et le contre quant à leur protection contre les mauvais traitements et à d’autres valeurs et objectifs. Dans de tels cas, les personnes âgées, si elles sont aptes, sont les mieux placées pour juger de ce qui est préférable pour elles, ou ont du moins le droit de décider elles-mêmes ce qui peut maximiser leur sécurité, leur dignité, leur autonomie et leur participation. L’intervention obligatoire dans la vie des personnes âgées qui sont capables de prendre des décisions sans aide peut en fait n’avoir aucun effet positif sur ces personnes. De plus, la meilleure solution n’est pas nécessairement de faire des choix au nom de la personne âgée, mais plutôt de faire en sorte que toutes les personnes âgées puissent compter sur les soutiens et les services dont elles ont besoin pour ne pas devenir dépendantes des membres de leur famille qui prennent soin d’elles et pour faire leurs propres choix.

La Loi sur les personnes vulnérables du Manitoba répond en partie à ces préoccupations au sujet des répercussions sur l’autonomie en incluant dans son préambule un certain nombre de principes, notamment la présomption de capacité, la reconnaissance du fait que les personnes vulnérables doivent être encouragées à prendre leurs propres décisions, et la reconnaissance que l’aide fournie aux personnes vulnérables en ce qui concerne la prise de décisions devrait « respecter l’intimité et la dignité de la personne et être la moins restrictive et la moins gênante possible dans les circonstances tout en répondant aux besoins de la personne ». En outre, le ministère des Services à la famille du Manitoba a adopté un certain nombre de principes relatifs à la protection des personnes vulnérables, qui stipulent notamment que : 

  • la personne vulnérable a le droit de refuser des services de protection, lorsqu’elle comprend pourquoi ces services lui sont offerts et qu’elle est consciente du risque ou des conséquences raisonnablement prévisibles d’un refus;
  • les souhaits, les croyances ou les valeurs de la personne vulnérable doivent être pris en compte afin que son indépendance et son autodétermination puissent être maintenues, et, lorsque ces souhaits, ces croyances ou ces valeurs ne sont pas connus ou pourraient exposer la personne vulnérable à un danger, son intérêt supérieur doit toujours être pris en compte;
  • les mesures de protection doivent être les moins restrictives et envahissantes possible afin d’assurer un degré de sécurité raisonnable étant donné les circonstances et de préserver l’indépendance, l’intimité et la dignité de la personne vulnérable[298]. 

Pour réduire les obstacles à la lutte contre les mauvais traitements envers les personnes âgées, il serait utile d’offrir une formation et une instruction plus poussées pour que les autorités soient en mesure d’aider de manière appropriée et sensible les personnes âgées victimes de mauvais traitements, et pour faire en sorte que celles-ci connaissent leurs droits et la façon de s’en prévaloir. Des mesures de sensibilisation du public qui valorisent les aînés et dénoncent les attitudes âgistes pourraient éliminer une partie des causes fondamentales de la violence dont ils sont victimes.

Bien qu’ils aient pour but d’améliorer la sécurité des personnes âgées, les régimes complets de protection des adultes relèvent d’une démarche paternaliste et peuvent compromettre l’autonomie des personnes âgées dans une mesure inacceptable.

Bien que les régimes complets de protection des adultes puissent aider les organismes à mettre un « pied dans la porte » dans les cas de mauvais traitements ou de négligence présumés ou réels d’adultes, il semblerait que ces régimes compromettent l’autonomie individuelle et les droits liés à l’application régulière de la loi, ces droits pouvant n’être reconnus que longtemps après qu’un adulte et ses proches ont subi une perte de liberté et des conséquences juridiques considérables. C’est ce compromis sur les droits qui représente la faille la plus sérieuse des régimes complets de protection des adultes[299].

Il pourrait être tentant d’analyser les conflits concernant les lois sur la déclaration obligatoire et la protection des adultes comme une simple opposition entre les principes d’autonomie et de sécurité des personnes âgées, mais on se doit de résister à une analyse aussi simpliste. Les lois sur la déclaration obligatoire, même si elles ont pour but d’améliorer la sécurité des personnes âgées, peuvent en fait compromettre cette sécurité en incitant les personnes âgées à risque à s’isoler ou en les exposant à une intervention excessive dans leur « intérêt supérieur ». De plus, la législation n’est pas toujours le meilleur moyen d’améliorer la sécurité des personnes âgées, du moins pas quand il s’agit d’une stratégie isolée. Une approche globale qui tient compte des contextes sociaux de la question peut produire des solutions qui respectent l’autonomie de la personne âgée tout en améliorant sa sécurité.

Il y a des situations où les personnes âgées peuvent être vraiment incapables de se protéger parce que la nature de leur incapacité les met dans l’impossibilité de comprendre les choix qui s’offrent à elles ou les conséquences possibles de leurs choix. La déclaration et l’intervention obligatoires peuvent être nécessaires dans de telles situations. Cependant, il est tout de même possible de reconnaître l’autonomie de ces personnes âgées, quoique dans une moindre mesure. On peut le faire, par exemple, en leur offrant du soutien et des ressources avant de recourir à une intervention non désirée ou en leur donnant l’occasion d’exprimer leurs préoccupations, même si celles-ci ne sont pas déterminantes dans la prise de décision. Ainsi, dans la mesure où une telle législation peut être vue comme un exercice d’équilibre entre les principes de sécurité et d’autonomie, l’approche manitobaine de la protection des adultes et de la déclaration obligatoire, en restreignant sa portée aux personnes dont la capacité de prendre des décisions est réduite par une incapacité et en reconnaissant l’importance de maintenir l’autonomie lorsque cela est possible, semble assurer un meilleur équilibre entre les deux.

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6.      Le défi de l’application

Même s’il est important d’établir les principes du droit touchant les personnes âgées, ceux-ci ne constituent pas, à eux seuls, une base suffisante pour établir un cadre d’évaluation de ce domaine du droit. Leur détermination doit s’accompagner d’une attention étroite aux expériences vécues par les personnes âgées, qui permettra d’asseoir les principes. Les principes qui n’intègrent pas et ne reflètent pas la vie des personnes âgées déboucheront sur des programmes, des politiques et des lois inefficaces. La prise en compte des expériences vécues par les personnes âgées, comme nous l’avons vu au chapitre précédent, peut offrir un contexte pour l’application des principes.

De même, pour que les principes et les considérations offrent une orientation suffisante, une compréhension plus approfondie de leurs implications pratiques doit être acquise dans le contexte particulier du droit touchant les personnes âgées. Comment les principes peuvent-ils être appliqués dans un contexte où les capacités et la compréhension des individus peuvent changer ou varier en raison de maladies ou de déficiences liées au processus de vieillissement? Comment les principes peuvent-ils être appliqués de façon à vraiment tenir compte de la grande diversité des caractéristiques et des réalités des personnes âgées? Que signifient des principes comme l’autonomie, la participation ou la sécurité dans des contextes particuliers comme celui des foyers de soins de longue durée?

Les principes et les considérations peuvent s’appliquer différemment selon le type de loi. Par exemple, il est plus facile de cerner et d’analyser les problèmes potentiels que posent les lois qui ciblent directement les personnes âgées que ceux des lois d’application générale. Le législateur et les décideurs pourront éprouver plus de difficulté, en élaborant des lois générales, à déterminer si et en quoi les personnes âgées seront touchées de manière différente. Souvent, les problèmes qui surviennent concernent l’application plutôt que le contenu de ces lois générales, ce qui les rend encore plus difficiles à cerner et à résoudre. Aussi, des difficultés peuvent survenir lorsqu’on tente de concilier des contraintes ou des besoins généraux avec les besoins particuliers des personnes âgées.

Un cadre doit tenir compte des incidences différentes des divers types de lois sur la vie des personnes âgées, et de la façon dont les implications pratiques des principes et des considérations varient en conséquence. Ce sujet sera discuté plus en détail au chapitre suivant du présent rapport.

 

7.      Contraintes relatives à l’application des principes

Finalement, dans le cadre d’une démarche fondée sur des principes, il faut reconnaître que, même lorsqu’on souhaite mettre en œuvre l’ensemble des principes dans toute leur mesure possible, il peut y avoir d’autres contraintes susceptibles de limiter la capacité du législateur et des décideurs à le faire. Ces contraintes pourraient être, entre autres, des priorités stratégiques ou des fonds limités. Dans ces circonstances, il faudra peut-être adopter une approche progressive visant à mettre en œuvre l’intégralité des principes en plusieurs étapes concrètes, planifiées et ciblées, qui se succéderont à l’intérieur d’une période relativement courte.

Une approche de réalisation progressive des principes pourrait s’inspirer du cadre international sur « la protection, le respect et la mise en œuvre des droits » Dans le domaine du droit international en matière de droits de la personne, ce cadre sert à analyser et à favoriser l’exécution des obligations en matière de droits de la personne. Selon cette analyse, les États doivent s’acquitter de leurs obligations en matière de droits de la personne de trois façons[300] : 

  1. L’obligation de respecter les droits – Les États parties doivent s’abstenir d’entraver la réalisation des droits. Par exemple, ils ne doivent pas refuser l’accès des personnes âgées à l’emploi ou à l’éducation en raison de leur âge.
  2. L’obligation de protéger les droits – Les États parties doivent empêcher la violation de ces droits par des acteurs étatiques ou des tiers. Par exemple, ils doivent interdire aux employeurs privés d’exercer de la discrimination fondée sur l’âge envers les travailleurs âgés.
  3. L’obligation de mettre en œuvre les droits – Les États parties doivent prendre des mesures législatives, administratives, budgétaires, judiciaires ou autres en vue d’assurer le plein exercice de ces droits. Par exemple, ils peuvent créer des programmes particuliers visant à aider les travailleurs âgés qui ont de la difficulté à se trouver un emploi après avoir été mis à pied.  

Cette approche peut s’avérer utile pour analyser et faciliter l’application des principes du droit touchant les personnes âgées. Dans le cadre de la réalisation progressive des principes, le gouvernement pourrait d’abord prendre des mesures pour s’assurer qu’aucune loi n’entrave les principes (respect). Ensuite, des lois pourraient être adoptées pour empêcher toute entrave aux principes (protéger). Enfin, des lois pourraient être adoptées pour promouvoir activement la réalisation des droits (mettre en œuvre).

Il peut aussi y avoir des situations où la réalisation des principes qui concernent les personnes âgées a des répercussions sur les droits d’autres individus ou groupes. Pendant les discussions publiques sur les droits des personnes âgées, il est presque inévitable que s’expriment des inquiétudes au sujet des répercussions du respect des droits des personnes âgées sur les autres groupes d’âge. Le débat concernant la retraite obligatoire constitue un bel exemple, des questions étant sans cesse soulevées au sujet de l’élimination des protections prévues dans les politiques de retraite obligatoire, qui aurait un effet négatif sur les possibilités d’emploi des plus jeunes[301]. Il y aurait donc une lutte intergénérationnelle pour l’accès à des ressources limitées, dans laquelle les droits des personnes âgées doivent être mis en balance avec les intérêts concurrents des autres générations.

On doit se montrer prudent avant de présumer que de tels conflits sont largement répandus. Comme pour tout ensemble de droits, il peut y avoir des circonstances où le respect et la promotion des besoins et des droits des personnes âgées ont un effet évident et direct sur les droits des autres. Lorsque c’est le cas, les besoins, les intérêts et les droits concurrents doivent être clairement définis et abordés en toute transparence. Toutefois, cette perception d’une concurrence ou de conflits pourrait avoir comme origine des préjugés négatifs au sujet de la valeur et des contributions des personnes âgées, et être basée sur des stéréotypes selon lesquels les personnes âgées sont passives et encombrantes plutôt que sur une recherche et une analyse objectives.

En outre, comme le souligne le principe d’appartenance à la collectivité, lorsqu’on analyse l’incidence des lois, des politiques et des programmes en adoptant une approche fondée sur le parcours de vie et en considérant les personnes âgées comme des membres de l’ensemble de la collectivité, cela peut faire ressortir les intérêts communs aux différentes générations. Lorsqu’on examine les lois et les politiques, recourir trop vite au discours sur la lutte intergénérationnelle peut obscurcir autant qu’éclairer l’analyse.

 

C.     Conclusions : Élaborer une démarche fondée sur des principes dans le domaine du droit touchant les personnes âgées

Les principes peuvent fournir un ensemble de normes pour contrer les tendances à l’âgisme dans l’élaboration, le contenu et l’application des lois touchant les personnes âgées. Les principes du droit touchant les personnes âgées devraient viser à promouvoir la valeur, la participation, l’individualité et la diversité, ainsi que les contributions des personnes âgées. Dans une telle perspective anti‑âgiste, la CDO a examiné et analysé d’importantes sources internationales et nationales de principes, et elle a déterminé six principes essentiels du droit touchant les personnes âgées, qui sont sous-tendus par une valeur centrale : l’égalité réelle. 

Une démarche fondée sur des principes dans le domaine du droit comporte une difficulté principale, laquelle consiste à élaborer des définitions et des interprétations des principes suffisamment détaillées, nuancées et justifiées pour fournir des lignes directrices au législateur et aux décideurs. On doit aussi tenir compte des conflits inévitables entre les principes et des contraintes à leur application.

Dans le chapitre suivant du présent rapport, nous aborderons cette difficulté en commençant par un examen et une analyse du droit touchant les personnes âgées, et des façons dont l’âgisme peut se manifester dans le droit.

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