Dans un premier temps, nous avons établi les principes du droit touchant les personnes âgées et l’ensemble d’éléments dont devraient tenir compte le législateur et les décideurs en ce qui concerne les besoins et les réalités de celles-ci. La prochaine étape d’élaboration du cadre consiste à déterminer la façon dont ces principes et éléments peuvent être appliqués efficacement au droit. Autrement dit, pour que notre cadre fournisse une orientation utile au législateur et aux décideurs, il doit prendre en considération le contexte réel du droit touchant les personnes âgées. Cela permet d’approfondir la compréhension des enjeux visés par une démarche anti-âgiste dans le domaine du droit. 

Le présent chapitre examine les différentes façons dont les lois touchent les personnes âgées et propose quelques pistes pour cerner les manifestations de l’âgisme et du paternalisme dans le droit.

Il importe de noter que la CDO emploie le terme « droit » au sens large et y inclut non seulement les lois et les règlements, mais également les politiques et les programmes par lesquels ces lois et règlements sont mis en œuvre, ainsi que certaines mesures pouvant permettre aux intervenants du secteur privé d’améliorer l’efficacité du droit. En effet, dans le contexte du présent rapport le droit ne comprend pas seulement les lois elles-mêmes, mais également leurs répercussions dans la vie des personnes âgées. Une telle approche est nécessaire pour garantir l’utilité et l’efficacité des retombées de ce projet, compte tenu des commentaires transmis au départ à la CDO concernant le fait que l’exercice du droit importe autant sinon plus aux personnes âgées que les dispositions des lois.

Pour envisager l’application d’un cadre fondé sur des principes dans le domaine du droit touchant les personnes âgées, il faut bien comprendre les effets du droit sur la vie de celles-ci. Plusieurs lois ont une incidence sur les personnes âgées. Jusqu’ici, cette incidence a surtout été examinée pour les lois visant explicitement ou directement ce groupe, soit au moyen de critères fondés sur l’âge, soit en ciblant des questions qui concernent très majoritairement les personnes âgées (par exemple, les soins de longue durée). Cependant, il est tout aussi important d’étudier les effets moins flagrants des lois sur les personnes âgées. Pour les besoins de l’analyse, le présent rapport provisoire classe les lois en quatre catégories : 

  • les lois qui régissent certaines questions propres aux personnes âgées au moyen de critères fondés sur l’âge;
  • les lois d’application générale qui s’appliquent néanmoins principalement ou disproportionnellement aux personnes âgées;
  • les lois d’application générale qui touchent certains groupes importants de personnes âgées;
  • les lois d’application générale qui ont des effets différents sur les personnes âgées (ou sur certains groupes d’entre elles) que sur le reste de la population.

Le présent chapitre examine chacun de ces types de loi de manière distincte, en plus d’aborder la question des négligences du droit et de leurs conséquences potentielles.

Toutes les lois doivent être appliquées dans le cadre de la Charte canadienne des droits et libertés ( la Charte) et du Code des droits de la personne de l’Ontario (le Code). Il convient donc d’examiner en premier lieu les dispositions de la Charte et du Code qui s’appliquent aux lois et politiques touchant les personnes âgées.

                                                   

A.    La Charte et le régime des droits de la personne                            

Le chapitre III du présent rapport parcourt brièvement certaines dispositions clés de la Charte et du Code, qui constituent des sources importantes pour l’établissement d’un cadre du droit touchant les personnes âgées. 

La Charte énonce notamment les libertés fondamentales, les droits démocratiques, les garanties juridiques, les droits linguistiques et les droits à l’égalité des citoyens canadiens. Aux termes de l’article 1, ces droits et libertés ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui sont raisonnables et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. L’article 15 précise que les droits à l’égalité ne font acception de personne et s’appliquent à tous et que tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment de celle fondée sur l’âge. Selon l’article 7, chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Le droit à la liberté garanti par la Charte a été interprété comme comprenant le droit de prendre des décisions personnelles fondamentales et celui de ne pas subir de contraintes physiques ou d’entraves à sa liberté de mouvement. 

L’objet du Code des droits de la personne de l’Ontario (le Code), selon le libellé du préambule, est de reconnaître la dignité et la valeur de toute personne et d’assurer à tous les mêmes droits et les mêmes chances, sans discrimination. Les dispositions du Code visent à créer un climat de compréhension et de respect mutuel de la dignité et de la valeur de toute personne de façon que chacun se sente partie intégrante de la collectivité et apte à contribuer pleinement à l’avancement et au bien-être de la collectivité[302]. Le Code interdit la discrimination fondée notamment sur l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, un handicap, l’état familial, l’étal matrimonial, la race, l’origine ethnique et le lieu d’origine. Afin de garantir aux personnes âgées un traitement égal sans discrimination fondée sur l’âge, le Code leur accorde le droit à des mesures d’adaptation visant à satisfaire les besoins propres à leur âge, à condition que celles-ci ne causent aucun préjudice injustifié. Ce droit leur est octroyé dans les secteurs sociaux de l’emploi, du logement, des biens et installations, des services, des associations professionnelles et des contrats. 

La Charte est évidemment une loi fondamentale qui s’applique à toute entité exerçant un pouvoir conféré par loi ou résultant des objectifs du gouvernement. Selon l’article 52, la Charte est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit. Lorsque le gouvernement agit en vertu de la common law ou de sa prérogative, la Charte s’applique également à ses actions. Le paragraphe 47(2) du Code énonce la primauté de ce dernier en prévoyant que, lorsqu’une disposition d’une loi ou d’un règlement se présente comme exigeant ou autorisant une conduite qui constitue une infraction au Code, celui-ci prévaut, à moins que la loi ou le règlement visé ne précise expressément qu’il s’applique malgré le Code. Ainsi, la Charte et le Code sont dotés d’un statut unique par rapport aux autres lois qui touchent les personnes âgées.

Les dispositions du Code et de la Charte reconnaissent que les personnes âgées, en tant qu’individus ou membres d’un groupe, peuvent faire l’objet de marginalisation ou de discrimination en raison de leur âge. En invoquant la Charte ou le Code, les personnes âgées peuvent contester les obstacles à leur égalité. Ces deux textes législatifs comportent donc un potentiel de transformation des lois, des politiques et des normes relatives aux personnes âgées. 

Comme nous le verrons en détail plus loin, le paragraphe 15(2) de la Charte protège les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment en raison de leur âge. Comme la Charte, le Code autorise les programmes spéciaux destinés à alléger un préjudice ou un désavantage économique ou à aider des personnes ou des groupes défavorisés à jouir ou à essayer de jouir de chances égales[303]. Le Code comporte également des dispositions se rapportant précisément à l’âge. Il exempte de la définition de la discrimination fondée sur l’âge les programmes, les politiques et les activités qui accordent un traitement préférentiel aux personnes âgées de 65 ans et plus.[304] 

Comme la Charte a rarement été appliquée pour régler des questions relatives aux personnes âgées, elle n’a pas contribué à instaurer des changements pour cette population, comme elle l’a fait, par exemple, pour les personnes handicapées ou les gais et lesbiennes. Jusqu’ici, la plupart des causes fondées sur la Charte concernaient des critères basés explicitement sur l’âge, et n’abordaient pas les inégalités ou les obstacles plus insidieux ou indirects auxquels sont confrontées les personnes âgées.

Dans trois causes connexes instruites au début des années 1990, la Cour suprême du Canada a examiné la constitutionnalité des politiques sur la retraite obligatoire. Dans l’affaire McKinney c. Université de Guelph[305], la Cour s’est penchée sur la disposition du Code excluant les personnes de 65 ans et plus de la protection contre la discrimination fondée sur l’âge en matière d’emploi (disposition aujourd’hui abrogée), laquelle avait pour effet d’empêcher celles-ci de contester les politiques sur la retraite obligatoire. Dans son arrêt, la Cour a statué que, malgré son aspect apparemment discriminatoire et contraire à l’article 15 de la Charte, cette disposition du Code imposait une limite raisonnable aux droits et était, par conséquent, sauvegardée par l’article 1. La Cour a conclu que cette restriction des droits des personnes âgées était raisonnable, jugeant que la règle sur la retraite obligatoire visait globalement à avantager les travailleurs et qu’elle faisait partie d’un ensemble complexe de règles en matière de retraite et d’emploi.

Fait intéressant à noter, dans cet arrêt, le juge La Forest, s’exprimant au nom de la majorité, remarque que l’âge diffère des autres motifs de discrimination mentionnés à l’article 15, du fait qu’« [i]l y a un rapport général entre le vieillissement et l’affaiblissement des capacités[306] ». De la même façon, dans l’arrêt connexe Stoffman c. Vancouver General Hospital, traitant de la perte des privilèges d’admission des médecins ayant atteint l’âge de 65 ans, les juges formant la majorité soulignent l’importance d’établir un équilibre entre les revendications des jeunes médecins et celles de leurs collègues plus âgés[307]. Ces deux décisions semblent indiquer une perception différente de l’âge en tant que motif de discrimination.

En effet, on pourrait avancer que les décisions rendues dans ces deux affaires ont été influencées subtilement par des préjugés âgistes. Par exemple, dans l’affaire McKinney, la Cour s’est fondée en partie sur la conclusion que les capacités intellectuelles des personnes âgées sont inférieures à celles des personnes plus jeunes :

Il s’agit cependant au mieux de tracer une ligne de démarcation et, dans l’arrêt R. c. Edwards Books and Art Ltd., précité, aux pp. 781 et 782, 800 et 801, notre Cour a dit clairement qu’il s’agissait d’un exercice au cours duquel les tribunaux ne devraient pas tenter à la légère de se prononcer après coup sur l’intention du législateur. Bien que le processus de vieillissement varie d’une personne à l’autre, les tribunaux d’instance inférieure ont conclu, après avoir examiné la preuve, qu’en moyenne il y a détérioration des capacités intellectuelles à partir de 60 ans; voir les motifs du juge Gray, précité, aux pp. 76 et 77, et ceux de la Cour d’appel, précitée, aux pp. 145 et 146. Alors, repousser l’âge de la retraite pourrait entraîner des exigences accrues d’examens humiliants pour ceux dont l’âge varie entre 60 et 65 ans, ainsi que d’autres changements et ajustements à l’organisation du milieu de travail dont j’ai parlé tout à l’heure[308].

Dans l’arrêt connexe Stoffman, la Cour tient des propos similaires : 

À mon avis, le conseil était amplement justifié, compte tenu du climat actuel de restrictions budgétaires dans le secteur public, de conclure que sa capacité d’attirer de nouveaux médecins dépendait de la retraite au moment opportun de certains des médecins qui s’y trouvaient déjà. En outre, on ne peut dire que le conseil a agi de façon déraisonnable en concluant que la mise à la retraite réglementaire de ceux qui ont atteint 65 ans garantirait le départ de ceux qui seraient en général moins capables de contribuer à la pratique spécialisée de l’hôpital. Il convient de souligner qu’en appliquant sans exception le règlement 5.04, sauf dans les « cas particuliers où un médecin a quelque chose d’unique à offrir à l’hôpital », le conseil tentait de reconnaître que le principe de la détérioration des capacités de ceux qui ont 65 ans et plus n’était pas toujours exact. Bien que le règlement ait été appliqué en fonction des exigences de l’hôpital plutôt que de la santé et des capacités de chaque médecin individuellement, cela était probablement nécessaire compte tenu de l’objectif prédominant d’offrir des postes aux médecins récemment formés aux théories et aux méthodes les plus récentes[309].

Cependant, dans une décision ultérieure, la Cour suprême du Canada a annulé les dispositions de la Loi sur l’assurance-emploi qui empêchaient les personnes de plus de 65 ans de recevoir des prestations d’assurance-emploi et ne leur accordaient qu’une somme forfaitaire minimale. Reconnaissant que la restriction fondée sur l’âge visait à éviter que les personnes âgées ne reçoivent une double indemnité en touchant à la fois une pension et des prestations d’assurance‑chômage, la Cour se dit néanmoins peu convaincue que l’objectif d’harmoniser la Loi avec le régime législatif du gouvernement en matière de programmes sociaux est en soi suffisamment important pour justifier la violation des droits garantis par la Charte[310].

Certaines des décisions les plus importantes et les plus controversées rendues par la Cour suprême du Canada en vertu de l’article 15 de la Charte touchent les distinctions fondées sur l’âge, bien qu’elles ne concernent pas des personnes âgées. Par exemple, l’affaire Law c. Canada traite de la distinction fondée sur l’âge qui restreint l’accès des veufs et des veuves âgés de moins de 35 ans aux prestations de survivant. Bien qu’il s’agisse manifestement d’une distinction fondée sur l’un des motifs énumérés dans la Charte, la Cour a jugé qu’il n’y avait aucune discrimination de fond, puisque cette distinction n’était pas basée sur des stéréotypes et que les personnes de moins de 45 ans ne constituaient pas un groupe défavorisé[311]. 

Dans Gosselin c. Québec (Procureur général), l’appelante contestait les dispositions du régime d’aide sociale du Québec prévoyant un montant de prestations inférieur pour les personnes de moins de 30 ans qui ne participaient pas à un programme de formation ou de stage en milieu de travail. Se fondant sur la loi, la Cour a jugé que les jeunes adultes en tant que groupe n’étaient pas particulièrement vulnérables ou défavorisés et que, loin d’être stéréotypé, le régime correspondait aux besoins et à la situation véritables des moins de 30 ans[312].

Plus récemment, dans Withler c. Canada, la Cour suprême a rejeté la cause fondée sur l’article 15, laquelle visait à contester les dispositions des lois fédérales sur les pensions qui réduisent le montant des prestations de décès supplémentaires accordé aux veuves en fonction de l’âge auquel leur mari est décédé. Bien que ces dispositions constituaient à l’évidence une distinction fondée sur un motif énuméré, la Cour a jugé qu’elles répondaient bien dans l’ensemble aux besoins réels des demanderesses et leur assuraient des prestations convenables, et, par conséquent, qu’elles ne contrevenaient pas à l’article 15[313].

Comme la Charte, le régime des droits de la personne a été assez peu exploité pour soulever des questions de discrimination fondée sur l’âge et contester des inégalités. Les plaintes relatives aux droits de la personne (maintenant appelées « requêtes ») touchant la discrimination fondée sur l’âge représentent un faible pourcentage des causes[314]. Un examen des décisions du Tribunal des droits de la personne révèle que la plupart des plaintes relatives à la discrimination fondée sur l’âge sont liées à la discrimination dans l’emploi. 

Dans le passé, la Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) a exercé les vastes pouvoirs que lui confère l’article 29 du Code pour traiter de l’âgisme et de la discrimination fondée sur l’âge en tenant des consultations publiques, en formulant des commentaires sur les lois et les politiques gouvernementales, en produisant des énoncés de politique et en organisant des campagnes d’éducation du public[315].

 

B.    Lois ciblant les personnes âgées

Comme on l’a vu au chapitre II, l’âge est couramment utilisé comme catégorie et comme point de repère des différentes périodes du parcours de vie. Il sert notamment de catégorie juridique. Bien que moins courantes qu’autrefois, les distinctions fondées sur l’âge sont encore nombreuses dans les lois et les politiques de l’Ontario et visent à la fois les jeunes et les personnes âgées. Lors de son examen des lois et règlements de l’Ontario, la CDO a recensé environ 50 lois et règlements qui comportent des distinctions fondées sur l’âge ciblant explicitement les personnes âgées.

Comme les lois qui établissent des distinctions fondées sur l’âge soulèvent des questions de droit et de politique complexes, la section suivante propose un examen plus approfondi du sujet.

1.      Cadre législatif des distinctions fondées sur l’âge

Dans les lois et les politiques, les distinctions fondées sur l’âge sont évidemment assujetties aux dispositions de la Charte et du Code. Ces lois et politiques constituent un cadre permettant d’évaluer la pertinence des actuelles distinctions fondées sur l’âge. Tant l’article 15 de la Charte que les dispositions du Code protègent les droits à l’égalité et à la non-discrimination des personnes âgées et reconnaissent, par le fait même, que les distinctions fondées sur l’âge peuvent porter atteinte à l’égalité et à la dignité. Comme nous l’avons mentionné précédemment, le paragraphe 15(1) a servi à annuler certaines dispositions établissant des distinctions fondées sur l’âge, comme celles de la Loi sur l’assurance-emploi empêchant les personnes de plus de 65 ans de recevoir des prestations d’assurance-emploi et ne leur accordant qu’une somme forfaitaire minimale[316]. De façon similaire, les dispositions des lois en matière de droits de la personne ont permis de contester avec succès des critères fondés sur l’âge, tels que ceux limitant l’accès des personnes âgées aux aides visuelles dans le cadre du Programme d’appareils et accessoires fonctionnels de l’Ontario[317].

Cela étant dit, un examen de la jurisprudence en vertu de la Charte et du Code révèle que ce ne sont pas toutes les distinctions qui violent les droits à l’égalité. 

Dans l’arrêt Andrews, la Cour suprême du Canada souligne qu’il ne suffit pas qu’une loi établisse des catégories de personnes fondées sur un motif de discrimination illicite pour qu’elle viole le paragraphe 15(1). Les classifications législatives sont nécessaires à la gouvernance dans une société moderne, et l’article 15 ne vise pas à éliminer toutes les distinctions de la loi, mais seulement celles qui sont discriminatoires[318].Comme on l’a vu précédemment, la Cour suprême du Canada a rejeté à plusieurs reprises des contestations de distinctions fondées sur l’âge en vertu du paragraphe 15(1). 

Dans A.C. c. Manitoba, la Cour suprême du Canada s’est prononcée récemment sur des distinctions fondées sur l’âge touchant les enfants de moins de 16 ans, faisant valoir que « les distinctions fondées sur l’âge sont courantes et nécessaires pour maintenir l’ordre dans notre société » et qu’elles demeurent valides, malgré leur part d’arbitraire, pourvu « que l’âge choisi ait un lien raisonnable avec l’objectif législatif[319] ». Par ailleurs, dans son plus récent arrêt sur les distinctions fondées sur l’âge, Withler c. Canada (Procureur général) (examiné brièvement ci-dessus), la Cour souligne ceci : 

Pour trancher la question de savoir si la distinction perpétue un préjugé ou applique un stéréotype à un certain groupe, le tribunal tient compte du fait que de tels programmes sont conçus dans l’intérêt de divers groupes et doivent forcément établir des limites en fonction de certains facteurs comme l’âge. Le tribunal s’interrogera sur l’opportunité générale de telles limites, compte tenu de la situation des personnes touchées et des objets du régime[320]. 

Autrement dit, comme le recours à une distinction fondée sur l’âge ne constitue pas forcément, ni même apparemment une pratique préoccupante, l’analyse des distinctions fondées sur l’âge doit se faire de manière quelque peu différente de celle des distinctions fondées sur d’autres motifs comme le sexe, la race ou l’orientation sexuelle.

De façon similaire, le Code autorise les distinctions fondées sur l’âge dans les secteurs de l’emploi, des services et du logement lorsqu’il s’agit d’une qualité requise de bonne foi. Par exemple, aux termes de l’alinéa 24(1)b) du Code, un employeur peut exercer une discrimination fondée sur l’âge et certains autres motifs, à condition que le motif en question constitue une qualité requise exigée de façon raisonnable et de bonne foi compte tenu de la nature de l’emploi.

Dans l’arrêt Meiorin[321], la Cour suprême du Canada a établi un critère à trois volets pour déterminer le bien-fondé d’une norme, d’un facteur, d’une exigence ou d’une règle ayant une incidence différente sur un groupe protégé. La partie intimée doit établir à la prépondérance des probabilités que la norme, le facteur, l’exigence ou la règle en question : 

  1. a été adopté dans un but qui est raisonnablement relié à la fonction qu’il exerce;
  2. a été adopté de bonne foi, avec la conviction que c’était nécessaire à la réalisation de l’objet ou du but;
  3. est raisonnablement nécessaire à la réalisation de l’objet ou du but, en ce sens qu’il est impossible de l’adapter aux besoins de la partie plaignante sans subir un préjudice injustifié.

Le point crucial consiste à déterminer si la personne qui cherche à justifier la norme, le facteur, l’exigence ou la règle discriminatoire a démontré qu’elle y avait intégré toutes les mesures d’adaptation qu’il lui était possible de prendre sans subir de préjudice injustifié. Il s’agit d’un critère exigeant, d’autant plus que celui servant à établir le préjudice injustifié l’est également. Afin de prouver qu’une exigence a été établie de bonne foi, la partie intimée doit démontrer, notamment, qu’elle a exploré des solutions non discriminatoires ou moins discriminatoires, qu’elle a envisagé la possibilité d’appliquer des normes différentes qui tiennent compte des différences entre les groupes et les personnes, ainsi que de leurs capacités, et qu’elle a pris en considération la façon dont la norme est conçue pour faire en sorte qu’il soit possible de satisfaire aux exigences souhaitées sans imposer un fardeau indu aux personnes auxquelles elles s’appliquent.

Selon la politique de la CODP, les qualifications ou les exigences fondées sur l’âge ne sont justifiées que si l’évaluation individuelle entraînait un préjudice injustifié : 

Les parties qui tentent de justifier des politiques fondées sur l’âge doivent plutôt démontrer que l’évaluation individuelle, en tant que méthode d’adaptation, est impossible, c’est‑à‑dire qu’il n’existe aucune méthode pour procéder à une telle évaluation ou qu’elle entraînerait un préjudice injustifié. Il incombe à la partie qui tente de justifier une norme discriminatoire de démontrer qu’elle a fourni une évaluation et une adaptation individualisées qui tiennent compte des « capacités uniques » de chaque personne, à moins que cela n’entraîne un préjudice injustifié. Plus précisément, au lieu de juger les personnes à la lumière de caractéristiques générales présumées, il convient de recourir à une évaluation ou à des tests individuels servant à déterminer si une personne a l’aptitude et les qualifications, sous réserve des normes relatives au préjudice injustifié[322].

La Charte et le Code protègent le recours à distinctions législatives et administratives visant à réparer des préjudices à l’endroit de personnes ou de groupes. Le paragraphe 15(2) de la Charte autorise l’utilisation de motifs énumérés (dont l’âge) pour établir des distinctions dans les lois et les politiques du gouvernement, lorsque de telles distinctions font partie de programmes, d’activités ou de lois destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés. Récemment, dans son arrêt R. c. Kapp[323], la Cour suprême du Canada a déclaré que les paragraphes 15(1) et 15(2) avaient pour effet combiné de promouvoir l’idée d’égalité réelle qui sous‑tend l’ensemble de l’article 15 : le paragraphe 15(1) a pour objet d’empêcher les gouvernements d’établir des distinctions fondées sur des motifs énumérés ou analogues ayant pour effet de perpétuer un désavantage ou un préjugé, ou d’imposer un désavantage fondé sur l’application de stéréotypes, alors que le paragraphe 15(2) vise à permettre aux gouvernements de combattre de manière proactive la discrimination au moyen de programmes destinés à aider des groupes défavorisés à améliorer leur situation.

L’article 14 du Code prévoit une protection pour les programmes spéciaux. Les politiques ou les programmes fondés sur des motifs énumérés ne violent pas les dispositions du Code sur la non-discrimination dans la mesure où ils :

  • allègent un préjudice ou un désavantage;
  • aident des personnes ou des groupes défavorisés à jouir ou à essayer de jouir de chances égales;
  • favorisent l’élimination d’une atteinte aux droits reconnus par le Code[324]. 

Cet article autorise les employeurs et les fournisseurs de logements ou de services à élaborer des programmes et des politiques destinés aux personnes âgées, dans la mesure où ils démontrent l’existence d’un lien entre les objectifs de leurs programmes ou de leurs politiques et de quelconques désavantages ou inégalités vécus par les personnes âgées[325]. Le Code exempte également de la définition de la discrimination fondée sur l’âge les programmes, les politiques et les activités qui accordent un traitement préférentiel aux personnes de 65 ans et plus[326]. Cet article vise à protéger les politiques et les pratiques qui privilégient les personnes âgées de 65 ans et plus, mais qui ne remplissent pas la définition stricte des programmes spéciaux fournie à l’article 14. Il protège notamment une pratique courante dans le commerce de détail qui consiste à offrir des rabais aux aînés.

 

2.      Lois ontariennes en vigueur comportant des distinctions fondées sur l’âge

Les lois de l’Ontario qui comportent actuellement des distinctions fondées sur l’âge peuvent se classer en trois catégories : les lois relatives à l’emploi et à la sécurité du revenu; celles relatives à la santé, à l’aptitude et à la capacité; et celles relatives aux programmes spéciaux et au traitement préférentiel.

Emploi et sécurité du revenu

Dans les lois, la vaste majorité des distinctions fondées sur l’âge sont liées à l’ensemble complexe de programmes et de politiques associées au retrait de la vie active et au maintien de la sécurité du revenu des personnes ayant atteint l’âge présumé de la retraite. 

Jusqu’en 2006, la loi ontarienne autorisait les employeurs à appliquer une politique de retraite obligatoire à l’égard des employés de 65 ans sans avoir à démontrer le bien-fondé de cette exigence[327]. Présentement, en Ontario, à moins que l’employeur puisse prouver que la retraite obligatoire à un âge donné constitue une exigence établie de bonne foi, une telle politique est considérée comme une forme de discrimination fondée sur l’âge[328]. À titre d’exemple du type de circonstances dans lesquelles une politique de retraite obligatoire peut être considérée comme une exigence de bonne foi, mentionnons la récente décision du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario qui a confirmé le bien-fondé de la retraite obligatoire à 60 ans pour les pompiers[329]. 

Bien que l’imposition de la retraite obligatoire ne représente plus une pratique courante, la présomption selon laquelle le retrait de la vie active se fait à 65 ans est encore très présente au sein du droit. En voici certains exemples : 

  • Certaines lois établissent encore à 65 ans le moment normal (mais dorénavant facultatif dans la plupart des cas) de la retraite aux fins du régime de pensions[330]. Dans la Loi de l’impôt sur le revenu de l’Ontario, l’âge présumé d’admissibilité à des prestations de retraite aux fins du crédit de pension est de 65 ans[331].
  • Le règlement d’application de la Loi sur les normes de l’emploi permet aux employeurs de donner aux employés de 65 ans et plus moins d’avantages qu’aux autres employés, voire aucun[332], soi-disant parce que les employés plus âgés n’ont plus les mêmes besoins que les plus jeunes à cet égard.
  • Comme on le verra en détail plus loin, lors du retrait des dispositions du Code protégeant les politiques sur la retraite obligatoire, la Loi sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail a été modifiée pour empêcher les contestations des distinctions fondées sur l’âge établies par cette Loi et ses règlements connexes, ainsi que par toute décision ou politique aux termes de la Loi ou des règlements.[333]
  • Le programme d’assistance sociale Ontario au travail exige que ses prestataires cherchent des occasions d’emploi, de bénévolat ou de recyclage professionnel. Toutefois, aux termes de la Loi de 1997 sur le programme Ontario au travail, les prestataires de 65 ans et plus sont exemptés de cette exigence[334], le programme étant fondé sur la présomption que les membres de ce groupe d’âge, contrairement aux personnes plus jeunes, ne retourneront pas sur le marché du travail et ne sont pas tenus de s’y employer. 

L’Ontario offre également aux personnes âgées ayant atteint l’âge de 65 ans des programmes de prestations et de sécurité du revenu qui reposent sur l’hypothèse que le retrait de la vie active accroît la vulnérabilité économique des membres de ce groupe d’âge. En voici certains exemples : 

  • La Loi de l’impôt sur le revenu de l’Ontario prévoit des crédits d’impôt foncier, d’impôt sur le revenu et de taxe de vente pour les personnes âgées d’au moins 65 ans au 31 décembre de l’année d’imposition[335]. Certaines municipalités disposent de mesures spéciales qui exemptent les personnes âgées des hausses de taxe foncière[336].
  • La Loi sur le revenu annuel garanti en Ontario fournit un petit supplément de revenu aux personnes de 65 ans ou plus admissibles au supplément de la Sécurité de la vieillesse du gouvernement fédéral et remplissant les critères de résidence[337].
  • Le Programme de médicaments de l’Ontario (PMO), qui prend en charge le coût de la plupart des produits médicamenteux sur ordonnance inscrits au Formulaire des médicaments de l’Ontario, est offert automatiquement à tous les Ontariens de 65 ans et plus. Ceux-ci doivent néanmoins assumer une partie du coût[338].
     

Santé, incapacité et capacité

Comme nous l’avons vu au chapitre II du présent rapport, on associe couramment le vieillissement avec une dégradation de la santé et de certains types de capacités et d’habiletés, ainsi qu’avec une augmentation de l’incapacité. Dans le droit ontarien, plusieurs distinctions fondées sur l’âge sont basées sur la présomption que la santé, les habiletés et les capacités déclinent avec l’âge. Comme la détérioration de la santé et des capacités est un phénomène complexe à démontrer, cette présomption peut constituer un fondement problématique pour les politiques publiques. 

Cependant, en raison de ce type de présomption, les personnes âgées profitent parfois d’avantages accrus ou plus facilement accessibles, par exemple, dans les cas suivants :

  • La Loi sur l’assurance-santé prévoit des services d’optométrie à tarif réduit pour les personnes âgées de 65 ans ou plus[339].
  • Pour obtenir des services d’aides familiales ou d’infirmières visiteuses, une personne de 65 ans ou plus doit démontrer qu’elle « souffre de déficience prolongée ou périodique et qu[e], en raison de cette déficience, [elle] est incapable d’exercer les activités de la vie normale nécessaires pour conserver son autonomie, sa santé et son bien-être ». Le critère établi pour une personne plus jeune est différent et, sans doute, plus exigeant puisque celle-ci ne peut obtenir de tels services que si elle « est atteinte d’une incapacité physique ou de troubles mentaux progressifs, [et qu’]un médecin atteste que l’amélioration de son état de santé est improbable[340] ».
  • La Loi de 1997 sur le programme Ontario au travail prévoit une allocation au titre d’un régime spécial pour les personnes de plus de 65 ans[341]. 

Les présomptions sur la dégradation de la santé, des habiletés et des capacités constituent le fondement de certaines lois qui restreignent les activités des personnes âgées ou les obligent à prendre des mesures supplémentaires pour démontrer leur aptitude ou leur capacité. Le Programme de renouvellement du permis de conduire des conducteurs âgés, qui ne cesse de susciter la controverse, constitue un exemple de cela. En effet, en Ontario, les personnes de 80 ans ou plus munies d’un permis de catégorie G doivent se soumettre, tous les deux ans, à un processus d’examen qui comprend un test écrit, un examen de la vue et une séance de formation de groupe. Elles doivent aussi subir un examen pratique si elles ont accumulé des points d’inaptitude au cours des deux années précédentes ou si l’animateur de la séance de formation juge qu’elles ont de la difficulté à comprendre les tests ou à suivre les discussions de groupe. En outre, les conducteurs âgés de 70 ans ou plus qui ont été impliqués dans un accident peuvent se voir imposer un test écrit, un examen pratique et un examen médical ou de la vue[342].

 

Programmes spéciaux et traitement préférentiel

Un certain nombre de lois et de politiques ontariennes offrent aux personnes âgées des protections ou des avantages particuliers qui peuvent être visés par le paragraphe 15(2) de la Charte ou par les dispositions du Code sur les programmes spéciaux ou le traitement préférentiel.

Certaines de ces lois traitent de questions relativement mineures et peuvent être considérées comme une forme de traitement préférentiel marginal. Mentionnons, à titre d’exemple, le droit d’entrée réduit dont bénéficient les personnes âgées de 65 ans et plus en vertu de la Loi sur le Musée agricole de l’Ontario[343] ou les dispositions de la Loi de 1997 sur la protection du poisson et de la faune qui permettent aux personnes de 65 ans et plus détenant un acte de naissance valide de pratiquer la pêche récréative sans permis[344].

Certaines lois comportant des distinctions importantes en faveur des personnes âgées correspondent davantage à des programmes spéciaux qu’à une forme de traitement préférentiel. Plusieurs de ces lois prévoient des mesures à l’intention des personnes à faible revenu, en situation de vulnérabilité économique ou ayant une santé déclinante. C’est le cas, entre autres, du supplément prévu pour les personnes âgées à faible revenu dans la Loi sur le revenu annuel garanti en Ontario[345] et de l’allocation au titre d’un régime spécial accordée aux personnes de 65 ans et plus en vertu de la Loi de 1997 sur le programme Ontario au travail[346].

Les habitations pour aînés à faible revenu ou fragiles représentent un exemple courant et important de service conçu pour répondre aux besoins des personnes âgées. Le logement social, qui vise plusieurs groupes vulnérables dont les personnes âgées, est fourni par l’entremise d’un réseau complexe de services et de fournisseurs. Parmi les fournisseurs de logement social, on retrouve des entreprises privées, des coopératives, des corporations municipales à but non lucratif et des sociétés locales de logement. Le financement est assuré à l’échelle fédérale, provinciale ou municipale. Le logement social peut prendre la forme de logements à prix abordable, de logements sans but lucratif, de coopératives d’habitation à loyer proportionné au revenu et de logements supervisés dans une résidence communautaire offrant des services de soutien personnel et d’aides familiales aux personnes âgées fragiles et aux personnes vivant avec divers types d’incapacités[347]. 

Le logement destiné aux personnes âgées fait généralement l’objet de dispositions dans les politiques et les règlements municipaux. Plusieurs municipalités offrent des services de logement social à l’intention des personnes âgées à faible revenu. Par exemple, la ville de Kingston compte huit projets de logement social, dont certains sont destinés uniquement aux personnes âgées et d’autres accueillent à la fois des aînés et des personnes handicapées. Kingston régit l’accès à ses habitations pour personnes âgées au moyen d’une politique d’admissibilité descendante, selon laquelle les personnes de 65 ans et plus obtiennent la priorité dans la liste d’attente, suivies des personnes de 60 à 64 ans, puis des personnes de 55 à 59 ans[348]. La ville de Toronto gère plus de 19 000 unités d’habitation réservées aux personnes âgées (comprenant des unités à loyer proportionné au revenu et des unités à loyer économique au sein de projets d’habitation à but non lucratif, municipale ou coopérative)[349]. La ville a fixé à 59 ans l’âge minimal d’admissibilité à ce type de logement. La municipalité régionale de Peel compte 32 immeubles pour personnes de 65 ans et plus qui offrent des logements à loyer proportionné au revenu, à loyer économique ou subventionnés[350]. 

La question du logement destiné aux personnes âgées révèle les enjeux complexes évoqués brièvement dans la section sur la vulnérabilité, l’inégalité et le risque chez les personnes âgées au chapitre II de ce rapport. Dans quelle mesure les personnes âgées à faible revenu sont-elles défavorisées ou plus susceptibles de subir des conséquences négatives? Et, par conséquent, jusqu’à quel point ont-elles droit à des mesures de protection spéciales comme le logement pour personnes âgées? Les personnes âgées à faible revenu sont-elles plus défavorisées ou plus vulnérables que le reste de la population à faible revenu? Et, si c’est le cas, de quelle façon ou pour quelle raison le sont-elles? Comment déterminer la pertinence des protections spéciales destinées à l’ensemble des personnes âgées ou à certains groupes d’entre elles? 

Dans Il est temps d’agir, son rapport de consultation sur les droits des personnes âgées en Ontario, la CODP fait état de préoccupations importantes concernant la disponibilité des logements adaptés et des logements accessibles et à prix abordable pour les personnes âgées[351]. Dans sa Politique sur la discrimination fondée sur l’âge à l’endroit des personnes âgées, la Commission énonce la position suivante :

La Commission estime que les personnes âgées bénéficient de l’appui, de l’esprit communautaire et de la sécurité financière qu’offrent les projets de logement destinés aux personnes âgées. De plus, la Commission a reconnu que le concept du « vieillissement chez soi » est une considération centrale, de sorte que dans certains cas il peut être approprié d’offrir un « logement pour les personnes âgées » à des personnes de moins de 65 ans qui ont des besoins particuliers qui persisteront à mesure qu’elles vieilliront. Par conséquent, la Commission est favorable aux logements destinés aux personnes âgées, y compris celles qui ont moins de 65 ans, qui respecteront les objectifs du Code[352].

Récemment, la Law Reform Commission of Nova Scotia a réalisé un projet sur le logement réservé aux personnes âgées. Dans son document de discussion de décembre 2010, elle conclut qu’il n’est pas souhaitable de prévoir une exemption statutaire générale pour le logement destiné aux personnes âgées :

[traduction] Bien qu’une telle exemption faciliterait l’établissement de critères fondés sur l’âge et l’octroi des avantages qui en découlent, nous ne sommes pas convaincus que ces avantages priment les intérêts de ceux qui seraient exclus d’un logement convenant à leurs besoins […] La Loi sur les droits de la personne de la Nouvelle-Écosse permet déjà de fixer un âge minimum lorsque cela s’avère nécessaire pour assurer la protection des intérêts distincts des personnes âgées ou pour éliminer un préjudice dont celles-si sont victimes en raison de leur âge. Le contexte législatif actuel ne semble pas dissuader les promoteurs de réaliser de nouveaux projets d’habitations[353].

Le débat à ce sujet fait ressortir la complexité des enjeux entourant les programmes spéciaux destinés aux personnes âgées. La question qui se trouve au cœur de ce débat est la suivante : le recours à des critères fondés sur l’âge permet-il véritablement de répondre aux préoccupations et aux besoins distincts des personnes âgées, ou est-ce qu’il ne vise pas plutôt à utiliser l’âge comme variable substitutive pour d’autres caractéristiques qui sont plus difficiles à mesurer?

 

3.      L’âge comme variable substitutive

L’examen des distinctions fondées sur l’âge dans les lois ontariennes révèle que, la plupart du temps, l’âge sert de variable substitutive pour d’autres facteurs comme un faible revenu, le retrait de la vie active, une limitation de la capacité, un problème de santé ou une forme de vulnérabilité connexe.

Ce constat soulève un certain nombre de préoccupations. Dans certains cas, l’utilisation de l’âge comme variable substitutive découle simplement de stéréotypes et de préjugés âgistes. Par exemple, le recours à l’âge comme indicateur de la capacité de s’adapter à un milieu de travail ou de proposer des idées d’avant-garde, nouvelles ou créatives dans le cadre de son emploi ne constitue en fait qu’une forme flagrante de discrimination fondée sur l’âge. Rien ne prouve que la capacité d’apprendre, de s’adapter ou de créer des personnes âgées est inférieure à celle des adultes plus jeunes[354]. Lorsque des préjugés infondés sont à la source des critères fondés sur l’âge, cette approche peut être considérée comme une forme de reproduction des stéréotypes. Par conséquent, avant d’utiliser l’âge comme variable substitutive, il faut scruter les plus récents travaux de recherche sur les réalités et les besoins des personnes âgées et mener des consultations auprès de celles-ci. 

Il est également important de faire le point sur la question régulièrement pour évaluer si l’âge constitue toujours un critère pertinent. Par exemple, si l’hypothèse de la retraite à 65 ans était assez solidement étayée autrefois, les récents changements démographiques et les tendances actuelles du marché du travail indiquent qu’elle est beaucoup moins valable aujourd’hui et que la participation des personnes âgées à la vie active devrait continuer d’augmenter. En 1996, 15 pour cent des Canadiens souhaitait continuer de travailler après l’âge de 65 ans ou jusqu’à ce que leur santé leur permette de le faire, alors qu’en 2003, la proportion était passée à 26 pour cent[355]. Durant la même période, l’espérance de vie en santé de la population canadienne n’a cessé d’augmenter. Par conséquent, les anciennes hypothèses à propos des capacités des personnes âgées sont peut-être devenues caduques.

En outre, lorsqu’on utilise l’âge comme variable substitutive pour d’autres facteurs, on exclut forcément la diversité et l’individualité des personnes âgées. L’âge n’est pas synonyme de capacité ou de préparation à la retraite : peu importe le degré de corrélation entre l’âge et le facteur visé par un programme, le recours à l’âge comme variable substitutive entraînera inévitablement des cas d’exclusion ou d’inclusion excessive, ce qui pourrait créer une injustice importante pour certaines personnes.

Évidemment, l’utilisation de l’âge comme variable substitutive pour d’autres facteurs ne découle pas nécessairement ou uniquement d’a priori stéréotypés. Il peut y avoir un degré de corrélation important entre l’âge et certaines capacités ou situations. Par exemple, dans Espey c. Ville de London, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a jugé que, chez les pompiers, la relation entre le vieillissement et le risque d’accident cardiovasculaire au travail était suffisamment démontrée pour justifier la politique de retraite obligatoire établie par la ville à leur égard[356]. Comme l’âge est un facteur simple et facile à mesurer, il constitue un critère très commode pour accorder des avantages et des ressources ou pour établir des exigences. Cela est particulièrement avantageux pour la gestion de programmes sociaux vastes et complexes. Par exemple, dans le cas des programmes visant les personnes handicapées, la détermination et l’évaluation des incapacités constituent une tâche difficile, controversée et compliquée, qui peut soulever des questions de droits de la personne[357]. C’est pourquoi il est souvent nécessaire d’élaborer des mécanismes de décision complexes pour déterminer si une personne remplit les critères d’admissibilité du programme, qui sont fondés sur l’incapacité. Comme de tels mécanismes créent des difficultés importantes à la fois pour les gouvernements qui gèrent les programmes et pour les personnes qui tentent de prouver leur admissibilité[358], l’utilisation de critères fondés sur l’âge permet de simplifier le processus. 

Dans l’affaire Zurich Insurance Co. c. Ontario (Human Rights Commission)[359], la Cour suprême du Canada a examiné le recours à des motifs énumérés comme variables substitutives et ses conséquences en matière de droits de la personne. Cette affaire concernait l’utilisation que faisaient les compagnies d’assurance des facteurs de l’âge, du sexe et de l’état matrimonial pour évaluer le niveau de risque des conducteurs et fixer le taux des primes d’assurance en conséquence.

La Cour a admis que le recours à ces motifs énumérés pour déterminer le taux de prime constituait une violation prima facie des principes fondamentaux en matière de droits de la personne :

Les droits de la personne ne peuvent être écartés pour des raisons uniquement commerciales. Autoriser une pratique discriminatoire « statistiquement défendable » aurait pour effet de porter atteinte au but des lois sur les droits de la personne, qui tentent de protéger les personnes contre la faute collective. Autoriser une pratique discriminatoire simplement sur la foi de moyennes statistiques ne ferait que perpétuer les stéréotypes traditionnels avec tous leurs préjugés insidieux. La société a décidé de ne pas tenir une personne responsable des fautes de son « groupe » et les tribunaux doivent chercher à appliquer cette décision plutôt qu’à en limiter la portée[360].

Puisque le recours aux facteurs de l’âge, de l’état matrimonial et du sexe pour établir des distinctions dans les polices d’assurance constituait une violation des principes fondamentaux en matière de droits de la personne, la Cour a jugé que cette pratique ne pouvait se justifier que si la preuve démontrait qu’il n’existait aucune autre solution pratique applicable dans toutes les circonstances. Ayant conclu que c’était le cas à ce moment-là, la Cour a donc confirmé la pratique, en précisant toutefois ceci : 

Il faut accorder à l’industrie des assurances suffisamment de temps pour déterminer si elle peut restructurer son système de classification d’une façon qui éliminera la discrimination fondée sur des caractéristiques particulières d’un groupe, tout en tenant compte des différents risques que présentent les différentes catégories de conducteurs. Il ne serait donc pas approprié pour notre Cour de conclure qu’une pratique donnée est déraisonnable lorsqu’il n’existe pas de solution de rechange raisonnable. Bien que la situation qui existait en 1983 n’ait pas conduit à l’adoption d’une solution autre que l’établissement des primes fondées sur l’âge, le sexe et l’état matrimonial, la situation pourrait bien être différente aujourd’hui et à l’avenir. L’industrie des assurances doit chercher à éviter de fixer des primes fondées sur des motifs interdits[361].

Ainsi, la Cour a établi un critère très strict à respecter pour justifier le recours à des distinctions fondées sur l’âge. Pour que ces distinctions soient considérées comme tolérables, il ne doit y avoir aucune autre solution de rechange raisonnable. Si la Cour devait se prononcer sur la question aujourd’hui, elle pourrait rendre une tout autre décision.

En général, quelles sont les solutions de rechange à l’utilisation de l’âge comme variable substitutive pour d’autres caractéristiques?

Évidemment, on peut tenter de mesurer directement les caractéristiques en question, qu’il s’agisse de la capacité, de la vulnérabilité économique ou du retrait de la vie active.

Lorsqu’il y a une forte corrélation entre l’âge et la caractéristique évaluée, cette méthode peut diminuer l’efficacité et accroître les coûts, mais elle est plus précise. Par ailleurs, lorsqu’il est question d’incapacités, il ne faut pas oublier que celles-ci varient selon les individus et les circonstances et qu’une évaluation individuelle est généralement jugée préférable à l’utilisation de catégories biomédicales comme facteurs déterminants. Autrement dit, le concept d’incapacité lui-même peut servir de variable substitutive pour d’autres caractéristiques.

Une des variantes de l’évaluation individuelle est l’administration de tests individuels à partir d’un certain âge. Par exemple, au Canada, la plupart des programmes de renouvellement du permis de conduire des conducteurs âgés prévoient une évaluation individuelle des conducteurs à partir d’un âge donné. Une version modifiée d’une telle pratique a obtenu l’aval de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans Assn. of Justices of the Peace of Ontario c. Ontario (Procureur général). Dans cette affaire, les requérants ont fait valoir que la retraite obligatoire des juges de paix à 70 ans violait l’article 15 de la Charte. Afin de tenir compte de préoccupations à l’égard de l’inamovibilité de la magistrature, la Cour n’a pas annulé les dispositions sur la retraite obligatoire des juges de paix, mais a plutôt reporté celle-ci à 75 ans et a permis aux juges de paix de demeurer en poste après l’âge de 65 ans, comme les juges de la cour provinciale, sous réserve d’une évaluation annuelle par le juge en chef[362]. 

Une troisième solution consiste à établir une présomption réfutable. Selon cette méthode, l’âge est utilisé comme une catégorie, mais les personnes âgées ont la possibilité de démontrer que leur cas fait exception à la règle. Dans l’affaire Espey, le Tribunal des droits de la personne a proposé une approche semblable, soit de maintenir l’exigence de la retraite obligatoire à 60 ans pour les pompiers en raison du risque d’accident cardiovasculaire auquel leur travail les expose, tout en prévoyant un processus ou un mécanisme qui permettrait aux individus de démontrer que leur risque individuel n’est pas supérieur à celui des personnes plus jeunes et que l’exigence ne devrait pas être appliquée à leur cas[363].

 

4.      Évaluer l’application des lois fondées sur l’âge

Plusieurs ont souligné que les distinctions fondées sur l’âge pouvaient porter atteinte à la dignité des personnes âgées en laissant entendre que ces dernières avaient un statut différent et moins important en raison de leur âge. Comme l’expose le juge Wilson, dissidente, dans l’arrêt McKinney, l’alinéa du Code qui protège les dispositions sur la retraite obligatoire :

est discriminatoire parce qu’il ne fait pas de distinction entre ceux qui sont capables de travailler et ceux qui ne le sont pas. Ainsi, la disposition a pour effet de perpétuer le stéréotype selon lequel la personne plus âgée est improductive, inefficace et incompétente. En ne protégeant pas ces travailleurs, le Code a pour effet de renforcer le stéréotype selon lequel les employés plus âgés ne sont plus des membres utiles de la population active et on peut donc librement et arbitrairement se passer de leurs services[364].

Les distinctions fondées sur l’âge ont été utilisées pour restreindre la participation et la contribution des personnes âgées. Par nature, elles renforcent la perception des personnes âgées comme un groupe homogène et estompent leur diversité et leur individualité. Cette approche porte forcément atteinte au principe de la diversité et de l’individualité.

En revanche, certaines distinctions fondées sur l’âge se sont révélées très bénéfiques pour les personnes âgées. Par exemple, les programmes de sécurité du revenu fondés sur l’âge ont beaucoup contribué à réduire la pauvreté chez les personnes âgées. 

Pour évaluer les distinctions fondées sur l’âge dans une loi ou une politique, il faut commencer par déterminer la source de ces distinctions. Celles-ci sont-elles basées sur des travaux de recherche récents et fiables portant sur les besoins, les réalités et les caractéristiques des personnes âgées? Ou sont-elles plutôt fondées sur des attitudes âgistes et des stéréotypes à propos des capacités, de l’apport et de l’importance des personnes âgées? Tiennent-elles compte, dans la mesure du possible, de l’individualité et de la diversité des personnes âgées?

Lors de l’évaluation, il est également important d’examiner le but des distinctions fondées sur l’âge. Visent-elles à favoriser l’indépendance et l’autonomie, la participation et l’inclusion, ainsi que la sécurité des personnes âgées? Par exemple, les programmes de sécurité du revenu fondés sur l’âge, qui ont pour but d’accroître la sécurité économique des personnes âgées, peuvent aussi favoriser leur indépendance et leur participation. 

Dans certains cas, comme celui de la retraite obligatoire et celui des tests exigés pour le renouvellement du permis de conduire, le but consiste partiellement à protéger les possibilités d’emploi des jeunes travailleurs ou la santé et la sécurité des autres usagers de la route. En plus de déterminer si les risques identifiés sont confirmés par les faits, il faut s’assurer que les droits des personnes âgées ne sont pas pris à la légère ou subordonnés à ceux des autres, et que l’incidence des restrictions imposées est considérée pleinement et examinée en profondeur. 

Le but d’une politique ou d’un programme fondé sur l’âge n’est pas toujours atteint lors de sa mise en application. À titre d’exemple, la retraite obligatoire est souvent considérée, dans le contexte de la planification de la retraite, comme un moyen d’assurer la sécurité économique des personnes âgées et de leur offrir une porte de sortie honorable du marché du travail. Il ne fait aucun doute que, pour plusieurs personnes âgées, les programmes de retraite obligatoire ont eu cet effet. Toutefois, pour les personnes âgées défavorisées, par exemple, les femmes ou les immigrants ayant connu des interruptions de travail et les travailleurs vulnérables dépourvus de régime de retraite ou de possibilités d’économiser en vue de leur retraite, la retraite obligatoire a eu pour effet de réduire leurs possibilités financières et d’accroître encore plus leur vulnérabilité économique. En outre, les employeurs qui ont tenu pour acquis que leurs travailleurs âgés prendraient leur retraite à 65 ans n’ont pas continué d’investir dans ces employés en leur offrant de l’encadrement ou des occasions de formation et de perfectionnement, ou ont renoncé à leur proposer des possibilités d’avancement, ce qui a réduit la capacité de ceux-ci de contribuer pleinement à leur milieu de travail. 

Comme les politiques fondées sur l’âge sont susceptibles de nuire à la dignité et à l’individualité des aînés, il importe d’envisager des solutions de rechange, comme l’évaluation individuelle ou la conception inclusive, qui permettraient d’atteindre les mêmes objectifs en préservant la dignité, la sécurité, l’indépendance, la participation et l’individualité des personnes âgées. Lorsque l’application de solutions de rechange est impossible, on peut recourir à des mesures visant à diminuer les inconvénients des distinctions fondées sur l’âge, comme l’établissement d’une présomption réfutable. 

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EXEMPLE : LOI COMPORTANT DES DISTINCTIONS FONDÉES SUR L’ÂGE

Restrictions fondées sur l’âge aux termes de la Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail

La Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail est l’une des lois de l’Ontario qui comporte encore des distinctions fondées sur l’âge visant à restreindre l’accès des personnes âgées aux indemnités. À l’origine, le régime ontarien d’indemnisation des accidentés du travail cherchait à établir un compromis entre les besoins des employeurs et ceux des employés. Les travailleurs blessés avaient droit à des indemnités sans égard à la faute prescrites par la loi, le règlement se faisait rapidement, le montant d’indemnisation était fixé en fonction de la capacité de gain et les indemnités étaient versées pendant toute la durée de l’incapacité. En retour, les employeurs étaient protégés contre les poursuites de travailleurs et finançaient le régime en fonction d’un principe de responsabilité collective qui leur permettait d’inclure facilement leurs contributions annuelles dans les coûts de production et de les transmettre aux consommateurs en augmentant le prix des biens vendus. C’est ce qu’on qualifie souvent de « compromis historique[365] ». 

Lors du retrait des dispositions du Code protégeant les politiques sur la retraite obligatoire et les distinctions visant les personnes de 65 ans et plus dans le secteur de l’emploi, la Loi sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail (la Loi) a été modifiée pour préserver ses distinctions fondées sur l’âge et celles établies dans ses règlements connexes, ainsi que dans toute décision ou politique aux termes de ceux-ci[366]. La version modifiée de la Loi, devenue la Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail (la Loi de 1997), comporte cinq dispositions qui restreignent certains droits des travailleurs âgés ou les abolissent[367]. Pour les besoins de l’analyse, on se concentrera ici sur deux dispositions qui retirent aux travailleurs âgés le droit à l’indemnisation : 

  1. Bien que la Loi de 1997 impose aux employeurs l’obligation de réemployer les travailleurs accidentés, cette disposition s’applique uniquement aux travailleurs de moins de 65 ans. Aux termes de la Loi de 1997, les travailleurs qui occupent un emploi dans une entreprise de 20 employés ou plus depuis au moins un an et qui se sont trouvés dans l’incapacité de travailler en raison d’une lésion ont le droit d’être réemployés dans le poste qu’ils occupaient auparavant ou dans un poste comparable. Lorsqu’un travailleur accidenté ne peut s’acquitter des tâches essentielles de l’emploi qu’il occupait auparavant, mais qu’il est capable d’accomplir un travail approprié, l’employeur est tenu de lui offrir un emploi approprié, si un tel emploi est disponible. Dans tous les cas, l’employeur a l’obligation d’adapter le travail ou le lieu travail aux besoins du travailleur accidenté afin que celui-ci puisse accomplir les tâches essentielles de l’emploi, dans la mesure où cela ne lui cause aucun préjudice injustifié. Cette obligation prend fin au deuxième anniversaire de la date où la lésion est survenue ou un an après que le travailleur est capable de s’acquitter des tâches essentielles de l’emploi qu’il occupait avant que ne survienne la lésion[368]. Elle prend fin également à la date où le travailleur atteint l’âge de 65 ans, ce qui signifie que les travailleurs qui subissent une lésion entre l’âge de 63 et 65 ans voient leurs possibilités de réemploi réduites, alors que ceux qui subissent une lésion après l’âge de 65 ans n’ont aucune possibilité de réemploi.
  2. La Loi de 1997 fixe à 65 ans le seuil d’admissibilité à des versements pour pertes de gains. Le travailleur qui subit une perte de gains par suite d’une lésion subie dans le cadre de son travail a droit à des versements pour pertes de gains jusqu’au jour où il atteint l’âge de 65 ans, s’il avait moins de 63 ans à la date où la lésion est survenue; ou au jour qui tombe deux ans après la date où la lésion est survenue, si le travailleur avait au moins 63 ans à cette date-là[369].

Ces dispositions ne tiennent pas compte de l’importante que revêt, pour les personnes âgées, la possibilité de continuer de participer à la vie active. L’importance de ce choix est reconnue, notamment, dans les Principes des Nations Unies pour les personnes âgées, qui incluent la possibilité de travailler ou d’avoir accès à d’autres sources de revenus, ainsi que de déterminer le moment et le rythme auxquels se fait le retrait de la vie active parmi les éléments du principe d’indépendance[370]. Le Plan d’action international de Madrid sur le vieillissement, quant à lui, insiste sur le fait que « [l]es personnes âgées devraient avoir la possibilité de poursuivre leurs activités rémunératrices aussi longtemps qu’elles le souhaitent et tant qu’elles sont en mesure de les exercer de façon productive[371] ».                                                           

Les règles fondées sur l’âge qui encadrent la participation à la vie active, comme les limites de l’obligation de réemployer, font de l’âge un facteur central et primordial de l’évaluation des besoins et des capacités des travailleurs et ne tiennent pas compte de la diversité des expériences et des réalités des travailleurs âgés. La participation au marché du travail des femmes, par exemple, est souvent très différente de celle des hommes. Étant donné qu’elles assument une part disproportionnée des responsabilités en matière de soins, elles connaissent davantage d’interruptions de travail ou participent moins assidûment à la vie active. En outre, elles sont plus susceptibles d’occuper un emploi mal rémunéré ou précaire. Par conséquent, elles éprouvent plus de difficultés à cotiser au régime de pensions ou à économiser d’une quelconque manière en vue de leur retraite. De façon similaire, les Néo-Canadiens qui ont une période d’emploi réduite au Canada ont moins de possibilités d’accumuler des actifs en vue de leur retraite. De plus, comme les personnes racialisées et les personnes handicapées, ils ont un accès plus restreint au marché du travail, obtiennent un revenu plus faible et connaissent davantage de périodes de chômage durant leur vie active[372]. Dans l’ensemble, au Canada, les parcours de vie de la population et les tendances du marché du travail ont beaucoup évolué depuis les années 1970 et sont aujourd’hui beaucoup plus complexes et variés qu’autrefois[373].

Selon certains, les distinctions fondées sur l’âge qui limitent la capacité des travailleurs âgés de continuer à participer à la vie active et à bénéficier des mêmes droits et avantages que leurs collègues plus jeunes portent atteinte à la dignité et à la valeur fondamentales des personnes âgées. Dans son mémoire présenté au comité permanent de la justice sur la Loi de 2005 modifiant des lois pour éliminer la retraite obligatoire, la CODP affirme que :

[l]es dispositions du projet de loi 211 concernant les avantages sociaux et l’indemnisation des accidentés du travail constituent une forme de discrimination fondée sur l’âge. Elles portent à croire que les travailleurs plus âgés sont essentiellement moins utiles que leurs collègues plus jeunes et renforcent l’âgisme et les stéréotypes et hypothèses négatifs à propos des capacités et des contributions des travailleurs plus âgés. Elles ne reconnaissent pas la contribution des employés plus âgés à leurs lieux de travail ni l’importance du travail pour les travailleurs plus âgés. Ces dispositions constituent une atteinte à la dignité et la Commission croit qu’elles seront vulnérables à des contestations en vertu du Code[374].

L’un des principaux motifs invoqués pour justifier les distinctions fondées sur l’âge dans le secteur de l’emploi consiste à dire que celles-ci font souvent partie d’un ensemble complexe d’avantages et de compromis interreliés qui favorisent globalement la sécurité et la dignité des personnes âgées en prévoyant le moment et les conditions de leur retraite et en leur garantissant un revenu de base. En effet, on considère généralement que l’action combinée des divers programmes de sécurité du revenu destinés aux personnes âgées à l’échelle fédérale et provinciale, dont le Régime de pensions du Canada et la Sécurité de la vieillesse, a contribué à réduire l’incidence de la pauvreté au sein de cette population.

Cette idée est d’ailleurs à la source de décisions importantes de la Cour suprême du Canada sur les distinctions fondées sur l’âge dans les secteurs de l’emploi et de la sécurité du revenu. Dans l’arrêt McKinney, la Cour note que l’acceptation de l’âge de 65 ans comme moment « normal » de la retraite a des répercussions profondes sur l’organisation du milieu de travail, c’est-à-dire sur la structure des régimes de retraite, sur l’équité et la permanence dans le milieu du travail et sur les chances d’emploi pour les autres : « [t]out simplement, la retraite obligatoire fait maintenant partie de l’organisation même du marché du travail dans notre pays[375] ». Récemment, la Cour a validé les dispositions sur la retraite obligatoire d’un régime de pension, en soulignant que celles-ci tentaient d’établir un équilibre entre les préoccupations à l’égard de la discrimination fondée sur l’âge et l’importance de garantir une protection financière aux employés couverts par un régime de pension véritable[376]. De façon similaire, dans Espey, le Tribunal des droits de la personne a fait valoir que les dispositions sur la retraite obligatoire faisaient partie des compromis établis dans la convention collective afin de favoriser l’atteinte d’un certain nombre d’objectifs importants pour les parties[377]. 

En revanche, en annulant les dispositions visant à restreindre l’accès des personnes âgées de 65 ans et plus aux prestations d’assurance‑chômage, la Cour suprême du Canada a mis en doute le fait que l’objectif d’harmoniser la Loi sur l’assurance emploi avec le régime législatif du gouvernement en matière de programmes sociaux était en soi suffisamment important pour justifier la violation des droits garantis par la Charte[378].

L’idée selon laquelle les distinctions fondées sur l’âge font partie d’un ensemble plus vaste de dispositions visant à avantager globalement les personnes âgées a été remise en question. Certains ont souligné que plusieurs changements importants étaient survenus sur les plans de la démographie, du travail et des conditions d’emploi depuis le milieu des années 1960, moment de l’élaboration des lois, des politiques, des structures et des hypothèses actuelles sur le retrait de la vie active. Compte tenu du vieillissement de la population, de la diversité croissante des parcours de vie et du virage vers les emplois de service et non conventionnels (et par conséquent, de la diminution du nombre de travailleurs ayant accès à un régime de pension d’employeur), de plus en plus de travailleurs âgés se trouvent dans une situation financière précaire, font face à un avenir incertain et n’ont pas les moyens de prendre leur retraite[379]. La présomption selon laquelle le retrait de la vie active se fait au même moment pour tous est de moins en moins fondée[380]. Par conséquent, l’utilisation de l’âge de 65 ans comme seuil d’admissibilité aux garanties et indemnités accordées aux termes de la Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail est problématique.

D’autres provinces ont adopté une démarche différente sans mettre en péril la stabilité financière du régime. Par exemple, en Colombie-Britannique, la fin des garanties relatives à l’indemnisation est aussi fixée à 65 ans, mais les travailleurs ont la possibilité de faire valoir que cette limite ne s’applique pas à leur cas individuel. Si la commission de la santé et de la sécurité au travail de la province détermine qu’un travailleur aurait pris sa retraite après l’âge de 65 ans ou plus de deux ans après avoir subi une lésion, elle peut, en vertu de la loi, lui verser des indemnités jusqu’à la date estimée de sa retraite[381]. 

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C.     Lois d’application générale touchant principalement les personnes âgées                         

Certaines lois qui ne comportent pas de référence explicite à l’âge touchent néanmoins principalement les personnes âgées. Ces lois ont des effets similaires à ceux des programmes fondés sur l’âge et sont souvent perçues comme telles parce que la grande majorité des personnes touchées sont âgées. Elles n’établissent aucun critère fondé sur l’âge, mais abordent un enjeu qui concerne les personnes âgées en nombre disproportionné.

Dans ce type de lois, on peut percevoir de façon claire et directe les enjeux du droit touchant les personnes âgées. La conception ou l’application de la loi est-elle influencée par des stéréotypes ou des attitudes négatives à l’égard des personnes âgées? La loi favorise-t-elle les principes de la dignité, de l’autonomie, de la participation, de la sécurité et du respect de la diversité? La loi tient-elle suffisamment compte des réalités des personnes âgées? Le bien-être des personnes âgées est-il considéré au même titre que celui des autres citoyens?

La loi qui régit les foyers de soins de longue durée constitue l’un des exemples les plus éloquents des réponses fournies actuellement à ces questions. Le règlement d’application de la Loi de 2007 sur les foyers de soins de longue durée stipule les critères à remplir pour être admis dans un foyer de soins de longue durée en qualité de résident en séjour longue durée :

Un coordonnateur des placements ne doit décider qu’une personne est admissible à un foyer de soins de longue durée en qualité de résident en séjour de longue durée que si les conditions suivantes sont réunies :

a) la personne est âgée d’au moins 18 ans;

b) la personne est un assuré au sens de la Loi sur l’assurance-santé;

c) la personne, selon le cas :

(i) a besoin de soins infirmiers sur place 24 heures par jour,

(ii) a souvent besoin d’aide pendant la journée relativement aux activités de la vie quotidienne,

(iii) a souvent besoin pendant la journée de supervision ou de surveillance sur place afin d’assurer sa sécurité ou son bien-être;

d) les services communautaires financés par les deniers publics et les autres dispositions prises en matière de soins, de soutien ou de compagnie qui sont offerts à la personne ne suffisent pas, quelle qu’en soit la combinaison, à répondre à ses besoins;

e) il peut être répondu aux besoins de la personne en matière de soins dans un foyer de soins de longue durée[382]. 

Mise à part l’exigence sur l’âge minimum d’admission, le règlement ne comporte pas de critères fondés sur l’âge. En fait, bien que les personnes âgées représentent la vaste majorité des résidents des foyers de soins de longue durée, ces établissements accueillent également des personnes plus jeunes qui ont des besoins médicaux complexes et importants[383].

Les résidents de ce genre d’établissements sont parmi les Ontariens les plus vulnérables. Ils ont des besoins considérables découlant de problèmes de santé ou d’incapacités qui requièrent des soins infirmiers importants, ce qui peut les placer dans une situation de dépendance ou de vulnérabilité par rapport aux personnes qui leur prodiguent ces soins. Dans ce type de foyers, les résidents peuvent obtenir des services essentiels qui n’existent pas dans la collectivité, mais, en contrepartie, ils doivent vivre dans un milieu institutionnel qui les prive du soutien communautaire et des rôles sociaux existant dans la collectivité. Pour gérer les besoins des résidents dont les incapacités présentent un risque pour eux-mêmes ou pour les autres, les foyers de soins de longue durée disposent de pouvoirs étendus qui les autorisent notamment à utiliser des moyens de contention à l’égard de ces personnes et à les placer dans des unités de sécurité. Seuls les établissements de bonne qualité peuvent assurer la sécurité des personnes âgées et préserver leur dignité. Les foyers de soins de longue durée qui sont mal gérés présentent un risque important pour leurs résidents. Ils portent atteinte à leur sécurité, à leur dignité, à leur autonomie, à leur inclusion et au respect de leur individualité et de leur diversité.

La loi ontarienne régissant les foyers de soins de longue durée a récemment fait l’objet d’une réforme majeure. La plupart des dispositions de la Loi de 2007 sur les foyers de soins de longue durée sont entrées en vigueur le 1er juillet 2010, et il faudra un certain temps avant de savoir dans quelle mesure la nouvelle loi répond aux préoccupations soulevées à propos de l’ancienne législation.

Dans certains cas, il convient de s’assurer que la loi elle-même ne viole pas les droits des personnes âgées pour faire en sorte qu’elle réponde aux besoins de celles-ci. Dans d’autres, il faut prendre des mesures concrètes pour garantir que les particuliers, les fournisseurs de services, les employeurs ou d’autres parties ne violent pas les droits des personnes âgées. Pour certaines lois encore, et c’est le cas de la plupart de celles qui touchent principalement les personnes âgées, le gouvernement devra prendre des mesures pour assurer la satisfaction des besoins essentiels des personnes âgées en matière de sécurité physique, mentale et financière. 

Comme un nombre disproportionné de personnes âgées sont susceptibles d’avoir quitté la vie active, de dépendre d’un revenu fixe et d’être atteintes de déficiences ou d’incapacités diverses ou d’en développer éventuellement, les membres de ce groupe d’âge comptent davantage sur des mesures de soutien ou de protection gouvernementales pour combler leurs besoins essentiels. Ces mesures peuvent inclure des programmes comme le Régime de revenu annuel garanti (RRAG) de l’Ontario ou des services comme les soins de santé, les soins à domicile ou les foyers de soins de longue durée. 

Ainsi, il n’est pas rare que les personnes âgées aient à subir les effets de la restriction des ressources au sein de programmes visant à leur procurer des avantages. Les programmes destinés à fournir un soutien de base aux personnes vulnérables sont parfois administrés au moyen de critères d’admissibilité très stricts et de longues listes d’attente qui en réduisent l’accès et peuvent nuire à l’atteinte de l’objectif prévu. De tels programmes peuvent avoir des répercussions importantes sur la dignité, l’autonomie, l’inclusion et la sécurité des personnes âgées. 

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EXEMPLE : LOIS TOUCHANT PRINCIPALEMENT LES PERSONNES ÂGÉES

Politiques du premier lit disponible

Dans le domaine du droit des aînés en Ontario, un sujet ne cesse de susciter des préoccupations : les politiques du « premier lit disponible » instaurées par les hôpitaux et les Centres d’accès aux soins communautaires (CASC) pour gérer le transfert des personnes âgées du réseau hospitalier à celui des foyers de soins de longue durée.

En Ontario, le placement dans un foyer de soins de longue durée est réglementé par la Loi de 2007 sur les foyers de soins de longue durée (LFSLD) et son règlement d’application. Comme la loi confère la responsabilité du placement dans un foyer de soins de longue durée aux coordonnateurs des placements des CASC, la personne qui souhaite être admise dans un tel établissement ou son mandataire spécial doit soumettre une demande d’admission auprès du coordonnateur des placements de son CASC local. Lorsque la demande concerne une personne hospitalisée, le responsable de la planification des congés ou un autre membre du personnel hospitalier peut servir d’intermédiaire.

Aux termes du règlement d’application de la LFSLD, la personne qui souhaite être admise dans un foyer de soins de longue durée peut présenter une demande dans cinq établissements au plus (un plus grand nombre de demandes est permis pour les personnes en situation de crise)[384]. La Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé (LCSS) réglemente le choix du foyer de soins de longue durée et stipule que la personne concernée ou son mandataire spécial doit donner son consentement avant que son nom soit placé sur la liste d’attente d’un foyer de soins de longue durée. Selon l’article 46 de LFSLD, pour que le consentement soit valide, il doit porter sur l’admission, être éclairé, être donné volontairement et ne pas être obtenu au moyen d’une déclaration inexacte ni par fraude. Le même article précise que le consentement à l’admission est éclairé si, avant de le donner, la personne a été informée des implications de l’admission, soit les avantages et les désavantages prévus de l’admission, les choix parallèles à l’admission et les conséquences vraisemblables de la non-admission. La LCSS stipule que, lorsque le consentement relève d’un mandataire spécial, ce dernier doit respecter le désir exprimé par la personne incapable lorsqu’elle était capable ou, s’il ignore si l’incapable a exprimé un tel désir, il doit agir dans son intérêt véritable. Aux termes de la LCSS, la personne qui décide de ce qui est dans l’intérêt véritable de l’incapable doit tenir compte de ce qui suit :

a) les valeurs et les croyances qu’elle sait que l’incapable avait lorsqu’il était capable et conformément auxquelles elle croit qu’il agirait s’il était capable;

b) les désirs qu’elle sait que l’incapable a exprimés à l’égard du traitement et auxquels il n’est pas obligatoire de se conformer aux termes de la disposition 1 du paragraphe (1);

c) les facteurs suivants :

1. S’il est vraisemblable ou non que le traitement, selon le cas :

i. améliorera l’état ou le bien-être de l’incapable,

ii. empêchera la détérioration de l’état ou du bien-être de l’incapable,

iii. diminuera l’ampleur selon laquelle ou le rythme auquel l’état ou le bien-être de l’incapable se détériorera vraisemblablement[385].

2. S’il est vraisemblable ou non que l’état ou le bien-être de l’incapable s’améliorera, restera le même ou se détériorera sans le traitement.

3. Si l’effet bénéfique prévu du traitement l’emporte ou non sur le risque d’effets néfastes pour l’incapable.

4. Si un traitement moins contraignant ou moins perturbateur aurait ou non un effet aussi bénéfique que celui qui est proposé. 

La législation dans son ensemble établit un cadre fondé sur l’autonomie et la sécurité de la personne âgée. Elle ne privilégie pas les besoins des hôpitaux et des foyers de soins de longue durée.

 

Dans les faits, cependant, le consentement au placement dans un foyer de soins de longue durée est restreint par de multiples politiques et pratiques découlant de la pénurie de lits dans les hôpitaux et les foyers de soins de longue durée de l’Ontario : les hôpitaux sont surpeuplés et les listes d’attente des foyers de soins de longue durée sont longues. Pour gérer les problèmes causés par le manque de ressources, les administrateurs ont élaboré et instauré une série de politiques connues sous le nom de « politiques du premier lit disponible » qui violent à la fois la lettre et l’esprit du cadre législatif. Cette question a été soulevée à l’Assemblée législative. L’Advocacy Centre for the Elderly (ACE) note qu’en 2010 seulement, il a reçu plus de 160 demandes d’assistance liées au transfert entre un établissement hospitalier et un foyer de soins de longue durée :

[traduction] La plupart des hôpitaux ontariens disposent de politiques de mise en congé auxquelles les patients doivent se conformer lors de leur transfert dans un autre type d’établissement de soins. Certaines politiques exigent que le patient ou son mandataire spécial choisisse un certain nombre de foyers de soins de longue durée parmi une liste restreinte d’établissements fournie par l’hôpital ou le CASC, ou qu’il accepte un « lit approprié » dans un foyer sélectionné par l’hôpital, alors que ce foyer ne fait peut-être pas partie des choix du patient ou de son mandataire. Habituellement, on avise le patient que, s’il ne se conforme pas à la politique, il devra payer le tarif journalier, qui correspond aux frais facturés pour des soins de courte durée aux personnes qui ne sont pas couvertes par l’Assurance-santé de l’Ontario ou par une autre assurance. Ce tarif n’est pas fixe et peut varier de 500 $ à 1 500 $ par jour[386].

Parfois, au lieu d’accepter le premier lit disponible, les patients ont le choix de retourner à la maison ou de déménager dans une maison de retraite en attendant d’obtenir une place dans le foyer de leur choix.

Même si l’on admet que les réseaux de la santé et de soins de longue durée sont soumis à des pressions importantes, on ne peut ignorer les effets négatifs des politiques du premier lit disponible sur les personnes âgées. Le lit qu’un administrateur considère comme « acceptable » est parfois loin de l’être du point de vue de la personne concernée, soit parce que celle-ci n’y obtiendra pas l’étendue ou la qualité de soins souhaitée, soit parce qu’elle se retrouvera éloignée de sa famille et de son réseau de soutien communautaire. Dans certains cas, la disponibilité de lits dans un foyer s’explique par la faible qualité des services qu’on y offre, et des personnes âgées sont contraintes à accepter une place dans un tel établissement, alors que celui-ci est réputé pour ses atteintes à la dignité, à l’autonomie et à la sécurité de ses résidents.

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D.    Lois touchant un nombre disproportionné de personnes âgées
 

Certaines lois qui concernent l’ensemble des groupes d’âge et ne touchent pas majoritairement les personnes âgées ont néanmoins une incidence sur un grand nombre d’entre elles.

L’ampleur et la nature de cette incidence disproportionnée peuvent varier selon les groupes de personnes âgées. Par exemple, les lois entourant l’exploitation financière ont une portée particulière pour l’ensemble des personnes âgées, car c’est le type d’exploitation le plus courant des aînés. Toutefois, elles ont une importance accrue pour les personnes âgées autochtones qui ont reçu des indemnités de survivant des pensionnats et peuvent être la cible de personnes qui cherchent à les exploiter[387].

Comme les lois d’application générale peuvent sembler dépourvues de distinctions fondées sur l’âge, il est essentiel de déterminer si celles qui touchent un grand nombre de personnes âgées sont influencées par des attitudes ou des préjugés âgistes dans leur élaboration ou leur application, et, si c’est le cas, la façon dont cela se manifeste. Il n’est pas rare de constater des manifestations d’attitudes âgistes dans le contexte quotidien au sein duquel les fournisseurs de services, les professionnels du droit et les décideurs s’occupent des droits et des besoins des personnes âgées. Peu importe la qualité de sa conception, une loi ou un programme se révélera inefficace pour les personnes âgées si les responsables de son application font preuve d’attitudes âgistes ou paternalistes. Par exemple, les lois sur le consentement et l’aptitude sont inefficaces lorsqu’une personne âgée lucide tente d’exercer son droit de prendre des décisions par elle-même et se retrouve confrontée à des fournisseurs de soins de santé qui jugent que les personnes âgées doivent s’en remettre à d’autres. L’Advocacy Centre for the Elderly (ACE) rappelle à ce titre que, dans certains foyers de soins longue durée, des personnes âgées en pleine possession de leurs moyens ne peuvent quitter l’établissement sans être accompagnées d’un proche ou obtenir le consentement d’un membre de la famille, et ce, même pour de courtes périodes. Il arrive également que des fournisseurs de soins s’adressent à la famille d’un résident parfaitement apte à prendre des décisions plutôt qu’à ce dernier pour régler des questions concernant les soins[388]. Les manifestations de ce type d’âgisme sont difficiles à mettre au jour, car elles se produisent dans le contexte des décisions et interactions quotidiennes et peuvent passer inaperçues, même aux yeux de ceux qui en sont responsables.

Margaret Hall fournit un exemple de cela dans le document qu’elle a produit pour la CDO sur l’élaboration d’une démarche anti-âgiste dans le domaine du droit :

[traduction] Le régime établi par la législation ontarienne sur la prise de décision au nom d’autrui est non âgiste et réussit à protéger les droits individuels en maintenant l’équilibre entre le droit à l’autonomie dans le processus de décision et celui de préserver sa dignité et son intégrité physiques, de ne pas être soumis à des souffrances indues ou de se voir refuser des soins. La mise en œuvre de cette législation, toutefois, pose problème. Les droits que l’on ne peut exercer efficacement ne sont que théoriques (par opposition aux droits exercés en pratique). Les personnes âgées soumises au processus de décision au nom d’autrui, aux termes de la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui ou de la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé, se trouvent dans une position vulnérable. La persistance d’attitudes âgistes et de perceptions stéréotypées parmi les professionnels qui appliquent ces lois augmente la vulnérabilité des personnes âgées et les probabilités que leur autonomie ne soit pas respectée. Comme la loi est souvent appliquée dans un contexte de tensions familiales, cela accroît les risques que la prise de décision au nom d’autrui diverge des lignes directrices établies par la loi et reflète les conflits et les intérêts divergents des membres de la famille […] Les professionnels et, en particulier, le personnel des foyers peuvent être tentés de prendre des décisions qui répondent avant tout aux besoins de l’établissement, en l’absence de mesures faisant contrepoids. Cela n’est pas attribuable à la « méchanceté » ou à l’« égoïsme », mais plutôt à la tendance naturelle des humains à privilégier les décisions qui sont à leur avantage, lorsque celles-ci peuvent se justifier, et aux attitudes sociales âgistes qui fournissent cette justification[389].

Si elles doivent reconnaître que les personnes âgées ont des réalités et des besoins différents de ceux du reste de la population, les lois qui touchent un nombre disproportionné de personnes âgées doivent aussi réussir, notamment, à trouver un juste équilibre entre les besoins distincts de ce groupe et ceux des autres groupes concernés. 

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EXEMPLE : ÉQUILIBRER LES BESOINS DES DIVERS GROUPES TOUCHÉS

Lois sur la capacité et la tutelle

Les lois concernant la capacité juridique, le consentement et la prise de décision illustrent bien l’incidence disproportionnée que peut avoir la législation sur les personnes âgées et le défi que représente la conception des lois et des programmes dans ce contexte. Étonnamment, il existe assez peu de recherches empiriques sur les rapports entre les personnes âgées et le cadre ontarien sur la capacité juridique et la prise de décision[390]. Cependant, le peu d’information disponible à ce sujet indique que ces régimes ont une incidence disproportionnée sur les personnes âgées. Par exemple, selon les renseignements obtenus auprès du Bureau du Tuteur et curateur public (BTCP) de l’Ontario pour l’année d’imposition 1996-1997, un peu plus de la moitié des personnes pour lesquelles le BTCP agissait comme curateur ou tuteur aux biens étaient âgées de 65 ans ou plus, et 57 pour cent de celles-ci avaient plus de 75 ans. De plus, environ 60 pour cent de ces personnes de 65 ans et plus étaient des femmes, et plus de 90 pour cent vivaient dans un milieu institutionnel[391]. Parmi les cas de mise sous tutelle urgente relevés, on trouve celui d’une femme âgée qui vivait seule, avait des relations familiales dysfonctionnelles et était victime de proches qui la négligeaient, l’exploitaient financièrement ou utilisaient leur procuration à mauvais escient[392]. Selon les défenseurs des personnes âgées, les lois sur la capacité juridique et la tutelle ont une incidence majeure sur les droits des aînés et doivent être ciblées en priorité dans les réformes du droit[393].

Cette incidence disproportionnée s’explique en grande partie par la prévalence de la démence chez les personnes âgées. La démence est une maladie du vieillissement qui touche principalement les personnes très âgées et qui représente une cause importante de la perte de la capacité juridique[394]. À mesure que la population vieillira durant les 30 prochaines années, les questions liées au consentement, à la capacité et à la prise de décision devraient prendre une importance croissante. La Société Alzheimer du Canada a récemment publié un rapport dans lequel elle estime que la prévalence de la démence devrait au moins doubler au cours des 30 prochaines années et que 2,8 pour cent de la population canadienne sera atteinte de cette maladie[395].

Cela étant dit, les lois sur la capacité et la tutelle ne visent pas un groupe d’âge ou une incapacité en particulier. Elles s’appliquent aux personnes atteintes d’une déficience développementale à un moment ou à un autre de leur vie, à celles qui souffrent d’une déficience psychique et à celles qui développent une déficience cognitive, comme la maladie d’Alzheimer, en vieillissant. Par conséquent, évaluer l’incidence de ces lois représente une tâche complexe. Les expériences d’une personne atteinte d’une déficience psychique sont très différentes de celles d’une personne souffrant de démence ou d’une déficience développementale. De même, les expériences et les besoins d’une personne ayant une déficience développementale évoluent avec le temps et ne seront pas les mêmes à un âge avancé. C’est pourquoi il est nécessaire d’analyser ce domaine du droit à l’aide d’une approche dépourvue de préjugés à l’égard de l’incapacité et de l’âge.

Il faut également garder à l’esprit que les divers types d’incapacité n’ont pas la même incidence sur la capacité juridique. Par exemple, chez les personnes atteintes d’une déficience cognitive comme la maladie d’Alzheimer, les capacités se modifient avec le temps et varient souvent quotidiennement, ce qui présente des difficultés particulières.

Lorsqu’on analyse le droit du point de vue de l’âge, il importe de tenir compte du fait que les lois sur la capacité et la prise de décision influent différemment sur les divers groupes de personnes âgées. Il faut aussi prendre en considération ce qui distingue la réalité des aînés qui sont nés avec une incapacité ou l’ont acquise à un jeune âge de celle des aînés qui ont développé une incapacité en vieillissant.

Les personnes âgées qui ont développé une déficience cognitive en vieillissant sont plus susceptibles de détenir certains actifs financiers importants, comme une résidence, qui les exposent davantage à l’exploitation financière. À l’inverse, il est plus probable que les personnes atteintes d’une incapacité depuis leur jeune âge aient vécu de la pauvreté et des épisodes de marginalisation et soient privées des ressources nécessaires pour se procurer des services de soutien adéquats en vieillissant. 

En outre, le développement de déficiences cognitives avec l’âge peut entraîner un renversement des rôles difficile et déroutant pour les personnes âgées et leur famille. La dynamique familiale se transforme, alors que les enfants adultes doivent fournir soutien et assistance à leurs parents, qui étaient autrefois responsables de les guider et de prendre soin d’eux. Par ailleurs, les personnes qui vivent avec une incapacité depuis leur naissance perdent souvent leur principal réseau de soutien en vieillissant, au fur et à mesure que leurs parents et leurs frères et sœurs prennent de l’âge et meurent.

Il est aussi important de prendre en compte le fait que les personnes âgées, comme groupe, sont l’objet de stéréotypes concernant leur fragilité, leur incapacité et leur besoin de protection. Il arrive que des personnes âgées considérées comme aptes aux termes des lois ontariennes soient néanmoins traitées comme des incapables en raison de préjugés sur l’incapacité des aînés en général[396]. Pour les personnes âgées ayant une déficience intellectuelle, psychique ou cognitive, l’effet de ces préjugés se trouve décuplé.

Par conséquent, malgré leurs points communs avec les membres d’autres groupes d’âge soumis au régime ontarien d’incapacité et de tutelle, les personnes âgées atteintes d’une déficience cognitive vivent des difficultés et des expériences particulières.

Cette diversité des besoins, des expériences et des points de vue parmi les personnes touchées par les lois sur la capacité et la tutelle complique la réforme du droit. Il est peut-être impossible d’adopter la même approche à l’égard de cette multiplicité de perceptions et de besoins, et certains prétendent que cela peut faire obstacle à la réforme[397]. Si le dialogue peut accroître la compréhension et le consensus sur certains points, il est peu probable qu’il abolisse toutes les différences. Il faut respecter les points de vue et les réalités des personnes âgées, comme ceux des personnes ayant des déficiences intellectuelles ou psychosociales. 

Étant donné la diversité des personnes âgées et des personnes atteintes d’une incapacité qui sont touchées par ces lois, il peut être utile d’évaluer s’il existe une démarche qui permettrait de favoriser l’équilibre dans ce domaine du droit, ou s’il est plutôt nécessaire de prévoir une plus grande souplesse et davantage d’options au sein de la structure législative. Autrement dit, une conception inclusive permettrait peut-être de répondre aux besoins des divers groupes en offrant des solutions de rechange et la possibilité de faire des choix.

Par exemple, comparée à la législation des autres provinces et territoires canadiens, celle de l’Ontario offre peu de possibilités en matière de prise de décision aux personnes âgées (et aux autres membres de la population) qui font face à la perte de leur capacité juridique en raison d’une incapacité. La prise de décision assistée, notamment, n’est peut-être pas la solution privilégiée par certaines ou plusieurs personnes âgées en raison de leur situation financière ou de leur contexte relationnel particulier, mais cela ne signifie pas qu’il ne faut pas inclure dans la loi cette possibilité afin que les personnes à qui elle pourrait convenir, qu’elles soient âgées ou non, puissent s’en prévaloir. Un ensemble plus vaste d’options, comme celui offert dans la nouvelle loi de l’Alberta[398], augmente la possibilité de répondre aux divers besoins des personnes ayant une capacité décisionnelle limitée ou décroissante, tout en favorisant leur autonomie et leur autodétermination.

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E.     Lois d’application générale touchant différemment les personnes âgées

L’incidence de certaines lois d’application générale sur les personnes âgées n’est pas plus importante, mais plutôt différente. Lorsqu’on examine l’effet des lois qui ne semblent pas concerner particulièrement les aînés, il importe de s’attarder aux différences entre les réalités et les expériences des personnes âgées, ou de certaines d’entre elles, et celles des personnes plus jeunes afin d’évaluer si ces différences déterminent la façon dont ces lois touchent les personnes âgées. À titre d’exemple, la jurisprudence des jugements en dommages-intérêts représente un obstacle pour les personnes âgées qui souhaitent intenter une poursuite en justice, car la plupart d’entre elles ne travaillent plus et ne peuvent demander des dommages-intérêts pour perte de revenus. En outre, les tribunaux ont fait une interprétation stricte de la notion de dommages-intérêts pour perte de compagnie[399].

Les lois peuvent avoir une incidence différente sur certaines personnes âgées ou sur un groupe d’entre elles, comme les aînés à faible revenu ou vivant avec une incapacité. Parfois, l’ampleur et la nature de cette incidence peuvent varier selon les groupes de personnes âgées. On peut penser notamment aux personnes âgées issues de certaines communautés racialisées ou GLBT qui subissent des formes particulières de mauvais traitements[400].

En d’autres termes, les lois qui ne tiennent pas compte des différences multiples entre les personnes âgées et les autres groupes et qui énoncent des règles, des droits et des avantages qui font fi de telles différences assurent peut-être l’égalité formelle des personnes âgées, mais pas leur égalité réelle.

Dans son document sur l’élaboration d’une démarche anti-âgiste dans le domaine du droit, Margaret Hall souligne ce qui suit à propos des mauvais traitements à l’égard des personnes âgées et des lois entourant la mise sous tutelle :

[traduction] La grande majorité des lois examinées ici semblent dépourvues de distinctions fondées sur l’âge, alors que ces deux domaines ont une incidence disproportionnée sur les personnes âgées. Pour assurer l’égalité réelle des personnes âgées dans ces domaines, il faut déterminer la façon dont cette absence apparente d’âgisme s’articule dans le contexte de situations réelles où les personnes âgées se trouvent en position de vulnérabilité, c’est-à-dire lorsqu’elles perdent leur capacité juridique et que d’autres doivent prendre des décisions à leur place et lorsqu’elles sont victimes de mauvais traitements ou d’exploitation ou qu’on soupçonne qu’elles le sont. Dans ces situations, l’interaction entre la vulnérabilité personnelle et des attitudes âgistes sociales et individuelles profondément ancrées rend difficile l’exercice des droits accordés soi-disant sans distinctions fondées sur l’âge. Et une législation qui ouvre la porte aux démarches condescendantes et âgistes (par exemple, en proposant une définition trop large de l’incapacité et en omettant d’établir des directives précises sur la prise de décision) favorise la manifestation de telles attitudes[401].

L’incidence des lois d’application générale sur les personnes âgées est façonnée par les préjugés âgistes de ceux qui les interprètent et les appliquent. Il ne s’agit pas nécessairement de stéréotypes explicites, mais bien de préjugés subtils à propos de la valeur des contributions des personnes âgées. De tels préjugés sont manifestes dans la décision McDonell Estates c. Royal Arch Masonic Homes Society, laquelle concerne une poursuite en dommages-intérêts intentée contre un foyer de soins de longue durée par la famille d’une femme âgée décédée en raison de la négligence d’un soignant. N’ayant pas subi de pertes financières à la suite du décès de leur mère, les demandeurs ont réclamé des dommages-intérêts pour privation de soins et perte de compagnie. La cour a rejeté la réclamation des demandeurs pour perte de compagnie :

[traduction] Ces demandeurs réclament des dommages-intérêts pour la perte de la compagnie de leur mère, et non pour la perte de son amour et de ses conseils. J’estime, avec tout le respect que je leur dois, que leur réclamation n’est pas valable. Malheureusement, leur mère ne leur tenait plus compagnie depuis bien avant son décès puisque son incapacité physique, mentale et émotionnelle remontait à longtemps. Les demandeurs se sont établis et ont fondé une famille en vivant séparément de leur mère. Ils devaient se douter qu’elle pouvait mourir à tout moment, compte tenu des trois attaques qui l’avaient laissée invalide. Il est naturel qu’ils aient éprouvé du chagrin et vécu un deuil en raison du décès de leur mère et du contexte dans lequel celui-ci s’est produit[402].

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EXEMPLE : LOIS TOUCHANT DIFFÉREMMENT LES PERSONNES ÂGÉES

Révocation des testaments lors du mariage

Le droit entourant la révocation automatique des testaments lors du mariage fournit un exemple de l’incidence différente de la loi sur les personnes âgées. 

Aux termes de la loi, un mariage auquel l’une des deux parties n’a pas la capacité de consentir est nul ab initio. Le droit dans ce domaine n’est pas fixé, et l’interprétation de la capacité requise pour contracter un mariage varie selon les différents cas de jurisprudence. L’un de ces cas suggère que le mariage est un type de contrat distinct dont les parties doivent comprendre la nature fondamentale et les conséquences. Toutefois, il n’est pas précisé si cette compréhension dépasse le lien affectif et les responsabilités propres au mariage pour inclure les conséquences sur les finances, la succession et les biens[403].

La capacité requise pour tester diffère de celle nécessaire pour se marier : pour faire un testament, une personne doit être [traduction] « saine d’esprit, c’est-à-dire qu’elle doit comprendre la nature et la portée de son geste, connaître l’ampleur de ses biens et être en mesure d’évaluer le droit moral de ses proches sur les biens en question[404] ».

Selon la Loi portant réforme du droit des successions, un testament valide est révoqué dès que le testateur change d’état matrimonial[405]. La loi rend compte du fait que le mariage est un moment décisif de l’existence, qui devrait inciter une personne à faire le point sur l’état de ses affaires, y compris sur ses dispositions testamentaires.

Il est important de noter que, lorsqu’une personne meurt sans testament valide, sa succession est liquidée selon les dispositions de la Loi sur le droit de la famille et de la Loi portant réforme du droit des successions. En gros, lorsqu’une personne décède sans descendance, son conjoint a droit à la succession en pleine propriété. Par contre, lorsqu’il y a une descendance, la succession est divisée entre le conjoint et les enfants. Lorsqu’une personne décède sans conjoint ni descendance qui lui survivent, sa succession est partagée entre ses parents, ses neveux et nièces et ses frères et sœurs[406]. Aux termes de la Loi sur le droit de la famille, le conjoint peut choisir soit de jouir du droit prévu par la Loi portant réforme du droit des successions, soit de recevoir une part des biens familiaux nets en vertu de la Loi sur le droit de la famille[407]. 

Cet enchevêtrement de lois concernant la capacité, le mariage et les testaments a une incidence particulière sur les personnes âgées. Si la capacité de tester requiert une compréhension assez fine des conséquences d’un testament, l’exigence est moins élevée en ce qui concerne la capacité de se marier. Il est donc fort possible de disposer de la capacité de se marier, sans avoir celle de tester. En outre, comme le mariage entraîne la révocation des testaments antérieurs, les personnes qui se marient, mais qui n’ont plus la capacité de tester, n’ont plus de droit de regard sur leur succession, qui sera dès lors répartie à leur décès en fonction des dispositions de la Loi portant réforme du droit des successions et de la Loi sur le droit de la famille.

Les personnes âgées sont plus susceptibles que le reste de la population d’être atteintes de conditions, comme la démence, qui minent leur capacité de tester, mais qui n’ont aucune incidence sur leur capacité de se marier. En outre, comme leur situation familiale est souvent plus compliquée, par exemple, en raison d’enfants issus de mariages antérieurs, elles ont des obligations, un testament et une dynamique familiale complexes. Et avec la prévalence croissante des divorces et de remariages, cette complexité ne fera que s’accentuer.

La révocation automatique des testaments fait partie des risques évoqués dans le contexte des mariages contractés par des « prédateurs », soit de jeunes adultes qui épousent une personne âgée afin de recevoir une part de sa succession à son décès[408].

En résumé, le droit actuel échoue à tenir compte efficacement de la situation particulière des personnes âgées en ce qui a trait au mariage et à la succession.

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F.     Les négligences du droit

Dans certains cas, une loi peut avoir des répercussions négatives sur les personnes âgées, non pas en raison de ses dispositions, mais plutôt parce qu’elle n’aborde pas certaines questions d’une importance particulière pour ce groupe. Cela prive les personnes âgées d’une orientation appropriée pour prendre des décisions importantes ou de mesures de soutien ou de protection adéquates. Il existe de nombreux exemples de ce problème. Pensons seulement au manque de conseils juridiques sur l’accès aux personnes âgées atteintes de déficiences physiques ou mentales qui restreignent leur capacité à entretenir leurs relations de manière autonome. Dans certains cas, ceux qui s’occupent de ces personnes profitent de leur position pour limiter l’accès à celles-ci. Par exemple, une personne qui vit avec son parent vieillissant peut réussir à couper celui-ci de ses autres enfants et de ses amis. Certaines personnes peuvent se servir de leur procuration relative aux biens ou au soin de la personne pour tenter de gérer l’accès à une personne âgée. Comme il n’existe aucune loi traitant directement de ces questions, la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui peut servir de mécanisme pour les familles qui tentent de résoudre des problèmes de longue date concernant les relations avec un proche âgé[409].

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EXEMPLE : LES NÉGLIGENCES DU DROIT 

Les foyers de soins de longue durée et la sexualité des personnes âgées 

Le manque d’intérêt envers la sexualité ou l’incapacité de mener une vie sexuelle active constitue l’un des stéréotypes les plus répandus à propos des personnes âgées. Ce préjugé en porte même certains à croire que les personnes âgées ne devraient pas être intéressées par la sexualité. À cela s’ajoute la perception courante des personnes âgées comme des êtres dépendants, apparentés à des enfants, que l’on doit protéger dans leur intérêt[410]. Pourtant, les recherches démontrent que les personnes âgées continuent d’accorder de l’importance à la sexualité, qu’elles ont la capacité d’être actives sexuellement et qu’elles continuent de l’être[411]. 

Lorsqu’on l’examine du point de vue des principes anti-âgistes, la sexualité des personnes âgées peut être associée à l’autonomie (le droit de faire des choix concernant sa vie privée) et à la dignité (le droit d’être considéré comme un individu à part entière, peu importe son âge). Comme certaines personnes âgées sont vulnérables (en raison, par exemple, d’une incapacité physique ou intellectuelle) et davantage exposées au risque de violence sexuelle, la sexualité fait également partie du principe de la sécurité. Comme plusieurs autres aspects du droit touchant les personnes âgées, la sexualité peut créer un conflit, d’une part, entre l’autonomie de la personne et son droit de prendre des risques et de faire de mauvais choix et, d’autre part, sa sécurité physique, émotionnelle et mentale. 

Les problèmes de santé et l’incapacité, tout comme la perte d’un partenaire, peuvent empêcher une personne âgée d’avoir une vie sexuelle active. De plus, la vie dans un foyer ou dans une habitation collective constitue souvent un obstacle important à l’expression de la sexualité pour les personnes âgées, lequel peut prendre diverses formes :

  • La plupart des personnes âgées résidant dans un foyer de soins de longue durée sont hébergées dans une salle commune plutôt que dans une chambre privée ou semi-privée. Elles ne disposent donc pas de l’intimité nécessaire à la pratique d’activités sexuelles. Certains foyers comportent des chambres privées que leurs résidents peuvent utiliser pour avoir des relations intimes, mais l’accès à ces chambres est parfois limité.
     
  • Le personnel des foyers s’en remet parfois à la famille de la personne âgée, qui peut s’opposer à ce que celle-ci ait une vie sexuelle active. Il arrive que des enfants adultes soient profondément troublés par les activités sexuelles de leur parent hors du mariage.
     
  • La formation offerte dans les programmes de soins infirmiers et dans les foyers aborde très peu les questions des droits sexuels, de la santé en matière de sexualité, de la capacité et du consentement. Par conséquent, le personnel est souvent mal à l’aise devant l’expression de la sexualité des résidents et la perçoit comme une chose à décourager ou à réprimer[412].
  • Chez les personnes âgées GLBT, l’attitude négative du personnel ou des autres résidents, ou encore la crainte d’être victime d’homophobie peut empêcher à la fois l’expression de la sexualité et l’affirmation de l’identité, et obliger certaines d’entre elles à demeurer « dans le placard »[413].
  • Les incapacités physiques peuvent nuire à l’expression de la sexualité en l’absence de moyens d’assistance, et le personnel est parfois mal à l’aise de fournir cette assistance aux résidents qui ne peuvent vivre leur sexualité autrement[414].

Les difficultés évoquées ci-dessus sont aggravées par le fait que plusieurs personnes âgées vivant dans des foyers de soins de longue durée sont atteintes de démence à un degré quelconque, ce qui peut nuire, dans certains cas, à leur capacité de consentir à l’activité sexuelle. 

Le droit fournit peu de lignes directrices sur ces questions complexes. Le principe fondamental de la LFSLD stipule qu’« un foyer de soins de longue durée est avant tout le foyer de ses résidents et doit être exploité de sorte qu’ils puissent y vivre avec dignité et dans la sécurité et le confort et que leurs besoins physiques, psychologiques, sociaux, spirituels et culturels soient comblés de façon satisfaisante[415] ». Ce principe reconnaît l’importance de satisfaire l’ensemble des besoins des résidents et peut être interprété comme incluant la sexualité parmi les besoins psychologiques et autres des personnes âgées qu’il importe de combler.

L’article 3 de la LFSLD, qui constitue la « Déclaration des droits des résidents », reconnaît un ensemble de droits liés à l’expression de la sexualité, dont le droit de se lier d’amitié et d’entretenir des relations, le droit au respect de son mode de vie et de ses choix, le droit de rencontrer son conjoint ou une autre personne en privé dans une pièce qui assure leur intimité et le droit de partager une chambre avec un autre résident, selon leurs désirs mutuels, si un hébergement convenable est disponible.

De plus, aux termes de la LFSLD, les exploitants de foyer ont l’obligation de protéger les résidents contre les mauvais traitements, y compris la violence sexuelle et la négligence, ainsi que d’élaborer des politiques sur la prévention des mauvais traitements et sur la façon de traiter les cas de mauvais traitements[416].

Toutefois, la LFSLD ne fournit aucune ligne directrice sur la façon dont ces divers droits et principes, qui sont tous importants, doivent être mis en pratique. Il s’agit d’une question épineuse qui suscite des difficultés pratiques (dont la nécessité de combattre l’effet insidieux des attitudes âgistes du personnel et des membres de la famille) et fait ressortir l’importance de trouver le juste équilibre entre la promotion de l’autonomie des personnes âgées en matière de sexualité et l’exigence d’assurer la sécurité de celles d’entre elles qui ne consentent pas à l’activité sexuelle ou n’ont pas la capacité de donner leur consentement. 

Certains aspects de l’expression de la sexualité dans les foyers de soins de longue durée sont abordés de manière relativement explicite dans le droit et doivent « seulement » faire l’objet d’une meilleure application au moyen de politiques et de formations. Par exemple, il est évident que les enfants adultes d’une personne âgée disposant de sa capacité juridique ne devraient pas être en mesure d’intervenir dans la sexualité de celle-ci, peu importe le malaise que cela suscite chez eux, et que le personnel du foyer de soins de longue durée ne devrait pas les aider à le faire. Cela ne veut pas dire qu’il s’agit de questions simples à résoudre, mais seulement que le contenu du droit n’est pas la source de la difficulté[417].

Lorsque la capacité de consentement n’est pas manifeste, la question devient beaucoup plus complexe. La capacité à prendre des décisions n’est pas un concept universel : il varie selon le type de décision à prendre. La capacité de décision d’une personne âgée à l’endroit de ses biens est différente de celle qu’elle exerce à l’égard de son admission dans un foyer de soins de longue durée ou des amis et des connaissances qu’elle souhaite voir. La capacité de consentement à l’activité sexuelle doit donc être évaluée séparément, mais le droit ne précise pas le critère à appliquer en la matière. Il n’indique pas non plus la marche à suivre pour déterminer cette capacité de consentement ni les responsabilités à cet égard. Comme la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui ne traite pas de la prise de décision concernant l’activité sexuelle, il n’apparaît pas qu’un mandataire peut consentir à l’activité sexuelle au nom d’une personne âgée incapable. 

En l’absence d’une norme ou d’un critère précis, les foyers de soins de longue durée peuvent adopter par défaut des mesures paternalistes à l’endroit de l’expression de la sexualité de leurs résidents afin de s’assurer de remplir leurs obligations en matière de prévention de la violence sexuelle. Cela peut priver les personnes âgées qui vivent dans ces établissements de leur droit légitime d’exprimer leur sexualité.

À ce sujet, Judit Wahl faire remarquer ceci : 

[traduction] L’expression de la sexualité fait partie d’un mode de vie sain. Les résidents des foyers de soins de longue durée devraient avoir la possibilité de mener une vie « normale », ce qui inclut le droit d’exprimer leur sexualité. Quel cadre législatif garantit que les personnes capables de consentir à des relations sexuelles peuvent bénéficier de l’intimité et des mesures de soutien nécessaires pour ce faire? Inversement, quel cadre législatif protège les personnes n’ayant pas la capacité de consentement contre l’exploitation et la violence sexuelles[418]?

En résumé, le droit concernant la sexualité des personnes âgées vivant dans un milieu institutionnel agit indirectement. Si la jurisprudence et le droit législatif actuel abordent peu cette question précise, la Loi de 2007 sur les foyers de soins de longue durée établit un cadre législatif offrant la possibilité d’élaborer une démarche positive. Actuellement, le droit s’exerce principalement par l’entremise des lois et des politiques sur les mauvais traitements à l’endroit des personnes âgées. Dans les milieux institutionnels, la prévention de la violence sexuelle constitue la préoccupation centrale concernant la sexualité des personnes âgées. Cela est dû notamment à l’absence de normes juridiques claires sur la capacité, le consentement et l’activité sexuelle entre personnes âgées. Cette absence de directives pousse le personnel des foyers à intervenir inutilement auprès de résidents dont le comportement sexuel n’a rien de violent dans le but de réduire les risques de violence sexuelle. Par conséquent, le manque d’orientation et de clarté au sein du droit actuel semble contraindre indirectement l’expression de la sexualité chez les personnes âgées disposant de toutes leurs facultés. 

Aux négligences du droit s’ajoutent les attitudes négatives et le manque de compréhension à l’endroit de la sexualité des personnes âgées dont font preuve les membres de la famille et le personnel des foyers de soins de longue durée. On a de la difficulté à admettre que les personnes âgées, comme les autres, sont des êtres sexués et que l’expression de leur sexualité fait partie de leur droit à mener une vie pleine et entière en tant qu’être humain. Pour respecter pleinement ce droit, il faudrait accorder davantage d’attention à l’intimité des personnes âgées et accroître la formation et la sensibilisation du personnel sur les questions connexes.

En outre, les attitudes paternalistes du personnel et des proches qui ont des répercussions négatives sur plusieurs aspects liés aux droits des personnes âgées sont également à l’œuvre ici, puisqu’elles visent à empêcher les personnes âgées de prendre de « mauvaises décisions » ou à faire passer leurs souhaits et leurs besoins après ceux de leur famille.

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G.    Cerner les manifestations de l’âgisme et du paternalisme dans le droit

Compte tenu des conclusions tirées ci-dessus, comment pouvons-nous cerner les manifestations de l’âgisme et du paternalisme dans le contenu du droit touchant les personnes âgées et dans son application?

1.      Stéréotypes et attitudes négatives à l’œuvre dans le droit et dans son application

Les stéréotypes et les attitudes paternalistes ou négatives à l’endroit des personnes âgées peuvent se trouver explicitement ou implicitement dans le contenu du droit ou dans son application.

Ces stéréotypes et attitudes problématiques sont plus faciles à déceler dans les lois qui ciblent les personnes âgées (c’est-à-dire qui comportent des distinctions fondées sur l’âge) ou qui les touchent principalement. Par exemple, les préjugés à propos de la capacité des personnes âgées à jouer un rôle actif dans le milieu de travail ou les attitudes à l’endroit de la valeur de leur contribution à ce milieu transparaissent dans certaines lois qui limitent l’accès des personnes âgées aux protections et aux avantages dans le secteur de l’emploi. De façon similaire, il est possible que certaines attitudes paternalistes sous-tendent les lois sur la protection des adultes et la déclaration obligatoire. L’examen des objectifs de ces lois à la lumière des principes de la dignité, de l’autonomie, de la participation, de la sécurité et de la diversité pourrait révéler l’action d’attitudes âgistes dans l’élaboration du droit.

Pour ce qui est des lois d’application générale ayant une incidence différente sur les personnes âgées ou touchant un groupe particulier d’entre elles, il est moins probable que l’analyse révèle la présence de préjugés âgistes, sauf dans le cas de celles qui ont été élaborées sans tenir compte des répercussions sur les personnes âgées. Les préjugés âgistes peuvent se manifester plutôt dans l’application de la loi, par exemple, dans les stéréotypes et les attitudes des personnes chargées de la mettre en pratique. Les préjugés sur l’incapacité et la dépendance des personnes âgées peuvent déterminer la façon dont les fournisseurs de services, les professionnels du droit et de la santé et les décideurs appliquent les lois relatives à la capacité et au consentement.

Selon Margaret Hall, lors de l’évaluation d’une loi, il faut non seulement déterminer si celle-ci comprend ou dénote des stéréotypes âgistes ou des attitudes paternalistes, mais également chercher à établir si elle « prévoit des mécanismes suffisants pour prévenir son application de manière âgiste, y compris l’expression individuelle de l’âgisme[419] », un élément particulièrement important à évaluer lors de l’examen des lois qui ne visent pas directement les personnes âgées. Si l’on se reporte au cadre international sur « la protection, le respect et la mise en œuvre des droits » examiné au chapitre III du présent rapport, cela suggère que les lois ne peuvent simplement adopter une position neutre à l’égard de l’âgisme, elles doivent plutôt reconnaître explicitement l’existence de l’âgisme et du paternalisme et établir des mesures proactives pour prévenir ces phénomènes ou s’y attaquer.

Comme on le verra dans le chapitre suivant, cet objectif peut être atteint de diverses manières, par exemple, en offrant des activités de sensibilisation et de formation sur le vieillissement et l’âgisme aux fournisseurs de services et aux professionnels, en prévoyant des mécanismes efficaces de présentation des plaintes et de défense des droits permettant aux personnes âgées de se faire entendre, ou en contrôlant et en surveillant de manière proactive l’application de la loi pour s’assurer que celle-ci atteint le but recherché et est mise en œuvre conformément à ce but.

 

2.      Omission des personnes âgées

Certaines lois échouent à tenir compte des besoins réels des personnes âgées, que ce soit dans leur contenu ou dans leur application. Les lois qui établissent des critères fondés sur l’âge en se basant sur la présomption que toutes les personnes âgées ont les mêmes besoins, réalités et capacités omettent la diversité de cette population. Comme le démontre l’exemple de la révocation des testaments, les lois d’application générale sont parfois conçues ou élaborées sans tenir compte des réalités particulières des personnes âgées ou d’un nombre important d’entre elles. C’est aussi le cas de certains programmes comportant des critères d’admissibilité fondés sur le revenu, qui omettent le fait que la plupart des personnes âgées ont un revenu fixe et n’ont aucun moyen de récupérer leurs pertes financières.

Cela révèle l’importance d’accroître le niveau de sensibilisation et de compréhension des décideurs et du législateur à l’endroit du vieillissement et des personnes âgées, ainsi que d’offrir aux aînés plus d’occasions de participer à l’élaboration des lois et des politiques susceptibles de les toucher.

 

3.      Exclusion ou subordination des besoins des personnes âgées

Le législateur, les décideurs, les fournisseurs de services et les professionnels doivent composer avec une multitude de priorités concurrentes qui requièrent du temps, de l’attention et des ressources, et qui ne concernent pas uniquement les personnes âgées.

Comme on l’a vu au chapitre III, il peut arriver que les besoins et les droits des personnes âgées soient perçus comme faisant concurrence à ceux d’autres groupes. Ce conflit se manifeste notamment dans les lois sur la retraite obligatoire et les programmes de renouvellement du permis de conduire des conducteurs âgés. Par exemple, l’idée selon laquelle les travailleurs âgés « volent des emplois » aux plus jeunes continue d’être prônée par certaines personnes, bien qu’elle ne soit pas très répandue dans le milieu universitaire[420]. Une question encore plus épineuse est celle du débat incessant entourant la réforme des lois sur la capacité et le consentement : cet enjeu est important à la fois pour les personnes âgées et les personnes handicapées, mais il existe des divergences notables entre les deux groupes en ce qui a trait aux principes et aux priorités de la réforme. 

Dès le départ, il faut établir que les besoins et les réalités des personnes âgées ont une importance égale à ceux des autres groupes d’âge et doivent être considérés sur le même plan. La perception négative des personnes âgées comme des êtres dépendants qui n’ont plus rien à apporter à la société peut nuire à la volonté de fournir les ressources nécessaires pour garantir que les lois sont appliquées correctement et que les personnes âgées bénéficient d’une sécurité économique, physique et émotionnelle de base, ou pour s’attaquer aux enjeux qui les préoccupent le plus.

 

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