Comme on l’a vu au chapitre IV, il est important d’accorder autant d’attention au contenu des lois qu’à leur mise en œuvre. Les lois qui, à première vue, semblent avoir un effet neutre ou même favorable à l’endroit des personnes âgées peuvent se révéler, en pratique, inefficaces ou défavorables pour celles-ci en raison d’une mise en œuvre inappropriée ou d’un manque de rigueur dans leur exécution. L’Advocacy Centre for the Elderly (ACE) désigne ce problème sous le terme de « mauvais exercice du droit ».
[Traduction] Dans de nombreux domaines, le droit est bien libellé, mais son application présente des lacunes. Dans de tels cas, il n’est pas nécessaire de réformer la loi comme telle, mais une recherche visant à déterminer les raisons pour lesquelles elle n’est pas respectée s’avérerait très utile, puisque ce manque de rigueur a des conséquences négatives sur les personnes âgées et leurs droits. Il ne faut pas modifier les bonnes lois simplement parce qu’elles ne sont pas appliquées à la lettre[421].
Le rapport découlant de la réunion du groupe d’experts des Nations Unies sur les droits des personnes âgées (Report of the United Nations Expert Group Meeting on the Rights of Older Adults) exhorte les gouvernements à combler l’écart entre le contenu du droit et son application[422].
L’un des aspects où l’application fait défaut est l’accès (ou le manque d’accès) des personnes âgées à la justice. Bien que l’importance de l’accès à la justice soit largement reconnue, on ne s’entend pas sur la définition de ce concept ni sur les mesures à prendre pour garantir son application[423]. Le but du présent document n’est pas d’examiner ces débats en profondeur; cependant, afin d’aborder les enjeux soulevés dans ce chapitre, il est d’abord essentiel de préciser la définition de certains termes tels qu’ils sont utilisés dans le présent document.
Dans son sens large, le terme « accès à la justice » peut englober le concept de justice sociale et faire référence à l’accessibilité des groupes vulnérables à la justice et aux véritables conséquences de la justice sur ces groupes. Dans ce sens, le présent projet, dans son ensemble, vise à accroître l’accès des personnes âgées à la justice.
Dans son sens plus étroit, le terme « accès à la justice » peut désigner l’accès au système de justice en tant que mécanisme visant à s’assurer que la loi, tel qu’elle est libellée, fonctionne comme prévu. Une loi a peu de sens pour ceux à qui elle est censée profiter, à moins d’être mise en œuvre et appliquée comme il se doit et d’avoir des effets concrets. Le terme « accès au droit », aux fins du présent rapport, renvoie à la capacité des individus d’accéder de manière efficace aux avantages prévus par la loi.
Le concept de l’accès au droit est, bien entendu, étroitement lié au problème du « mauvais exercice du droit », mentionné plus haut. L’absence de mécanismes efficaces garantissant l’accès aux lois en vigueur et leur application explique en partie ce problème.
Bien entendu, l’un des aspects de l’accès au droit est l’accès au système de justice, ce qui comprend la capacité d’une personne d’obtenir des renseignements sur ses garanties juridiques, de bénéficier de conseils et d’une représentation juridiques de la part d’une personne compétente, au besoin, et de recourir aux modes de règlement de conflits juridiques en place. Cependant, il est possible d’accéder au droit de bien d’autres façons, par exemple, par l’entremise d’organismes de défense des droits, comme les bureaux de protecteurs des citoyens, de mécanismes administratifs de présentation de plaintes, ou encore de systèmes de contrôle et de vérification proactifs. Ce chapitre présente certains de ces mécanismes qui favorisent l’accès au droit.
A. Les personnes âgées et l’accès au droit
Comme on l’a vu dans le chapitre II, les personnes âgées forment un groupe très hétérogène, composé d’individus dont le revenu, le niveau de scolarité, l’état de santé et le lieu de résidence, entre autres facteurs, varient grandement. Par conséquent, la nature et l’ampleur des préoccupations concernant l’accès au droit diffèrent considérablement d’une personne âgée à l’autre. Par exemple, un couple marié au début de la soixantaine, en bonne santé, disposant d’une solide épargne-retraite et admissible aux prestations de retraite éprouvera beaucoup moins de difficulté à accéder au droit qu’une veuve qui vient de s’établir au Canada par le biais d’une demande de parrainage afin de contribuer au soin de ses petits-enfants, qui n’est pas admissible aux programmes de soutien du gouvernement comme la Sécurité de la vieillesse, qui n’a aucun réseau social, qui ne bénéficie d’aucun soutien dans la collectivité et qui parle difficilement l’anglais.
Bien entendu, les préoccupations concernant l’accès au droit ne se limitent pas aux personnes âgées. Pour de nombreux groupes défavorisés, l’accès au droit est restreint à plusieurs égards. Tandis que les immigrants peuvent rencontrer des obstacles linguistiques, les personnes à faible revenu, elles, font face à des obstacles financiers. La discrimination et les conséquences du désavantage historique risquent de provoquer la marginalisation, notamment, des personnes racialisées, qui appartiennent à un groupe autochtone ou GLBT. Comme il en est question dans le projet de la CDO sur le droit et les personnes handicapées, les obstacles physiques ou autres peuvent limiter l’accès au droit des personnes handicapées. Puisque de nombreuses personnes âgées sont également immigrantes, à faible revenu, racialisées, GLBT, handicapées, membres d’un groupe autochtone ou d’un autre groupe marginalisé, elles subissent, à ce titre, des désavantages auxquels s’ajoutent, dans certains cas, les difficultés liées à la vieillesse.
En outre, certaines réalités touchant particulièrement les personnes âgées peuvent limiter leur accès au droit. Ces réalités sont exposées en détail au chapitre II de ce rapport provisoire et comprennent le fait de toucher un revenu fixe, le retrait de la vie active, les niveaux d’alphabétisation et de scolarité inférieurs à la moyenne, le développement de problèmes de santé et de limitations d’activité avec l’âge ainsi que l’espérance de vie plus courte. Une proportion importante de personnes âgées voient également leurs expériences du vieillissement façonnées par des déficiences cognitives, des milieux de vie qui réduisent leur autonomie et leur intégration au sein de la collectivité ainsi que les conséquences de leur dépendance physique, financière ou autre.
Toute analyse de l’accès au droit des personnes âgées doit être replacée dans le contexte plus vaste du débat actuel sur l’accessibilité du système de justice de l’Ontario. Cette question d’actualité est abordée dans les projets de la CDO sur l’accès au régime du droit de la famille et sur les travailleurs vulnérables et le travail précaire[424]. Des préoccupations ont été soulevées de toutes parts en ce qui concerne l’accessibilité du système de justice, et, au cours des dernières années, nombre de rapports et d’initiatives ont été entrepris pour résoudre ce problème. Le rapport Getting it Right de l’Association du Barreau de l’Ontario, résume la situation comme suit :
[traduction] Le système de justice de l’Ontario a grand besoin d’une réforme. Le manque de ressources affectées aux nominations judiciaires, aux installations et aux services de soutien juridiques et communautaires ainsi que le sous-financement de l’Aide juridique se sont ajoutés aux difficultés dé