Comme on l’a vu au chapitre IV, il est important d’accorder autant d’attention au contenu des lois qu’à leur mise en œuvre. Les lois qui, à première vue, semblent avoir un effet neutre ou même favorable à l’endroit des personnes âgées peuvent se révéler, en pratique, inefficaces ou défavorables pour celles-ci en raison d’une mise en œuvre inappropriée ou d’un manque de rigueur dans leur exécution. L’Advocacy Centre for the Elderly (ACE) désigne ce problème sous le terme de « mauvais exercice du droit ».

[Traduction] Dans de nombreux domaines, le droit est bien libellé, mais son application présente des lacunes. Dans de tels cas, il n’est pas nécessaire de réformer la loi comme telle, mais une recherche visant à déterminer les raisons pour lesquelles elle n’est pas respectée s’avérerait très utile, puisque ce manque de rigueur a des conséquences négatives sur les personnes âgées et leurs droits. Il ne faut pas modifier les bonnes lois simplement parce qu’elles ne sont pas appliquées à la lettre[421].

Le rapport découlant de la réunion du groupe d’experts des Nations Unies sur les droits des personnes âgées (Report of the United Nations Expert Group Meeting on the Rights of Older Adults) exhorte les gouvernements à combler l’écart entre le contenu du droit et son application[422].

L’un des aspects où l’application fait défaut est l’accès (ou le manque d’accès) des personnes âgées à la justice. Bien que l’importance de l’accès à la justice soit largement reconnue, on ne s’entend pas sur la définition de ce concept ni sur les mesures à prendre pour garantir son application[423]. Le but du présent document n’est pas d’examiner ces débats en profondeur; cependant, afin d’aborder les enjeux soulevés dans ce chapitre, il est d’abord essentiel de préciser la définition de certains termes tels qu’ils sont utilisés dans le présent document. 

Dans son sens large, le terme « accès à la justice » peut englober le concept de justice sociale et faire référence à l’accessibilité des groupes vulnérables à la justice et aux véritables conséquences de la justice sur ces groupes. Dans ce sens, le présent projet, dans son ensemble, vise à accroître l’accès des personnes âgées à la justice.

Dans son sens plus étroit, le terme « accès à la justice » peut désigner l’accès au système de justice en tant que mécanisme visant à s’assurer que la loi, tel qu’elle est libellée, fonctionne comme prévu. Une loi a peu de sens pour ceux à qui elle est censée profiter, à moins d’être mise en œuvre et appliquée comme il se doit et d’avoir des effets concrets. Le terme « accès au droit », aux fins du présent rapport, renvoie à la capacité des individus d’accéder de manière efficace aux avantages prévus par la loi. 

Le concept de l’accès au droit est, bien entendu, étroitement lié au problème du « mauvais exercice du droit », mentionné plus haut. L’absence de mécanismes efficaces garantissant l’accès aux lois en vigueur et leur application explique en partie ce problème. 

Bien entendu, l’un des aspects de l’accès au droit est l’accès au système de justice, ce qui comprend la capacité d’une personne d’obtenir des renseignements sur ses garanties juridiques, de bénéficier de conseils et d’une représentation juridiques de la part d’une personne compétente, au besoin, et de recourir aux modes de règlement de conflits juridiques en place. Cependant, il est possible d’accéder au droit de bien d’autres façons, par exemple, par l’entremise d’organismes de défense des droits, comme les bureaux de protecteurs des citoyens, de mécanismes administratifs de présentation de plaintes, ou encore de systèmes de contrôle et de vérification proactifs. Ce chapitre présente certains de ces mécanismes qui favorisent l’accès au droit.

 

A.    Les personnes âgées et l’accès au droit 

Comme on l’a vu dans le chapitre II, les personnes âgées forment un groupe très hétérogène, composé d’individus dont le revenu, le niveau de scolarité, l’état de santé et le lieu de résidence, entre autres facteurs, varient grandement. Par conséquent, la nature et l’ampleur des préoccupations concernant l’accès au droit diffèrent considérablement d’une personne âgée à l’autre. Par exemple, un couple marié au début de la soixantaine, en bonne santé, disposant d’une solide épargne-retraite et admissible aux prestations de retraite éprouvera beaucoup moins de difficulté à accéder au droit qu’une veuve qui vient de s’établir au Canada par le biais d’une demande de parrainage afin de contribuer au soin de ses petits-enfants, qui n’est pas admissible aux programmes de soutien du gouvernement comme la Sécurité de la vieillesse, qui n’a aucun réseau social, qui ne bénéficie d’aucun soutien dans la collectivité et qui parle difficilement l’anglais. 

Bien entendu, les préoccupations concernant l’accès au droit ne se limitent pas aux personnes âgées. Pour de nombreux groupes défavorisés, l’accès au droit est restreint à plusieurs égards. Tandis que les immigrants peuvent rencontrer des obstacles linguistiques, les personnes à faible revenu, elles, font face à des obstacles financiers. La discrimination et les conséquences du désavantage historique risquent de provoquer la marginalisation, notamment, des personnes racialisées, qui appartiennent à un groupe autochtone ou GLBT. Comme il en est question dans le projet de la CDO sur le droit et les personnes handicapées, les obstacles physiques ou autres peuvent limiter l’accès au droit des personnes handicapées. Puisque de nombreuses personnes âgées sont également immigrantes, à faible revenu, racialisées, GLBT, handicapées, membres d’un groupe autochtone ou d’un autre groupe marginalisé, elles subissent, à ce titre, des désavantages auxquels s’ajoutent, dans certains cas, les difficultés liées à la vieillesse. 

En outre, certaines réalités touchant particulièrement les personnes âgées peuvent limiter leur accès au droit. Ces réalités sont exposées en détail au chapitre II de ce rapport provisoire et comprennent le fait de toucher un revenu fixe, le retrait de la vie active, les niveaux d’alphabétisation et de scolarité inférieurs à la moyenne, le développement de problèmes de santé et de limitations d’activité avec l’âge ainsi que l’espérance de vie plus courte. Une proportion importante de personnes âgées voient également leurs expériences du vieillissement façonnées par des déficiences cognitives, des milieux de vie qui réduisent leur autonomie et leur intégration au sein de la collectivité ainsi que les conséquences de leur dépendance physique, financière ou autre.

Toute analyse de l’accès au droit des personnes âgées doit être replacée dans le contexte plus vaste du débat actuel sur l’accessibilité du système de justice de l’Ontario. Cette question d’actualité est abordée dans les projets de la CDO sur l’accès au régime du droit de la famille et sur les travailleurs vulnérables et le travail précaire[424]. Des préoccupations ont été soulevées de toutes parts en ce qui concerne l’accessibilité du système de justice, et, au cours des dernières années, nombre de rapports et d’initiatives ont été entrepris pour résoudre ce problème. Le rapport Getting it Right de l’Association du Barreau de l’Ontario, résume la situation comme suit :

[traduction] Le système de justice de l’Ontario a grand besoin d’une réforme. Le manque de ressources affectées aux nominations judiciaires, aux installations et aux services de soutien juridiques et communautaires ainsi que le sous-financement de l’Aide juridique se sont ajoutés aux difficultés déjà présentes pour créer des obstacles considérables à la justice pour les Ontariens.

Un changement s’impose : tout comme le système de santé sert à offrir des soins de santé, le système de justice de l’Ontario est en place pour rendre justice. Nous pensons que les soins de santé sont onéreux, mais qu’en est-il des maladies? Il arrive un point où il ne suffit plus de panser les blessures. Le système de justice de l’Ontario en est maintenant rendu là[425].

 Sur le plan juridique, les personnes âgées sont évidemment confrontées aux mêmes enjeux que la population en général. Cependant, comme on l’a vu dans les chapitres précédents, elles sont plus susceptibles d’être touchées par certains enjeux en raison des réalités qui leur sont propres. Par exemple, puisque les personnes âgées se sont généralement retirées de la vie active et éprouvent davantage de besoins liés à des déficiences ou à des incapacités, elles sont plus susceptibles d’être des utilisatrices actuelles ou potentielles des programmes et des services gouvernementaux. Par conséquent, il est plus probable qu’elles soient touchées par les lois concernant la prestation de certains programmes gouvernementaux, comme les soins de santé, la sécurité du revenu, les foyers de soins de longue durée et les soins à domicile. Puisque les problèmes rencontrés par les bénéficiaires des programmes et des services gouvernementaux tiennent plus souvent des politiques et des procédures générales que des interactions et des décisions individuelles, les enjeux juridiques auxquels les personnes âgées font face peuvent être extrêmement complexes et exiger des mesures de redressement systémiques.

De plus, étant donné la nature des enjeux tels que la violence envers les personnes âgées, les procurations, la planification successorale et la prestation de soins informels aux personnes âgées, les interactions des personnes âgées avec le droit ont souvent lieu dans le contexte de leur vie domestique et de leurs relations personnelles.

Cela a une incidence sur leur façon d’accéder au droit et sur ce qu’elles cherchent à y obtenir. Par exemple, elles peuvent se montrer plus réticentes à recourir aux modes de règlement de conflits contradictoires. 

Charmaine Spencer a décrit de la façon suivante certaines répercussions de ces dynamiques sur l’accès des personnes âgées à la justice : 

[traduction] Le processus juridique de règlement de conflits oppose souvent une personne à une autre avec qui elle entretient une relation, par exemple son propriétaire ou un organisme de soins à domicile, c’est pourquoi de nombreuses personnes confrontées à des obstacles réels et sérieux hésitent à porter plainte. Ainsi, elles attendront souvent d’avoir subi un préjudice considérable avant d’essayer de régler la situation. Les défenseurs officiels et non officiels peuvent faire face à de nombreux défis lorsqu’ils représentent les personnes âgées et défendent leurs droits par rapport à des systèmes dont certaines d’entre elles dépendent ou auront besoin. Il importe alors de régler le « conflit » le plus rapidement possible, tout en tenant compte du fait que le client âgé doit continuer à utiliser le service du fournisseur avec qui il a un différend[426].

 

B.    Évaluer les mécanismes dont disposent les personnes âgées pour accéder au droit

Compte tenu des considérations mentionnées plus haut, dans quelle mesure les mécanismes d’accès et d’exécution du droit en place sont-ils réellement utiles pour les personnes âgées? 

Étant donné que les personnes âgées, en tant que membres de la population en général, sont touchées par les lois d’application générale et qu’elles ont ainsi accès à tous les mécanismes de présentation de plaintes et d’exécution mis à la disposition de la population, elles disposent de nombreux moyens d’accéder au droit et les utilisent largement. La présente section n’a pas pour but de décrire en détail tous les mécanismes qui s’offrent aux personnes âgées pour accéder au droit et faire exécuter la loi. Elle se concentre plutôt sur les principaux mécanismes accessibles actuellement, compte tenu des enjeux auxquels les personnes âgées sont le plus souvent confrontées. Cet aperçu, quoique incomplet, permet d’évaluer les caractéristiques et le potentiel de divers types de mécanismes visant à accroître l’accès des personnes âgées au droit.

 

1.      Certains des principaux mécanismes d’accès au droit

Poursuite civile

Les personnes âgées doivent parfois avoir recours à des poursuites civiles pour défendre leurs droits. La « Déclaration des droits des résidents », qui se trouvait à l’origine dans la Loi sur les maisons de soins infirmiers[427] et dont une version modifiée et enrichie figure désormais dans la Loi de 2007 sur les foyers de soins de longue durée[428] illustre parfaitement ce genre de situation. Cette déclaration comprend, parmi bien d’autres, les droits d’être traité avec courtoisie et respect; d’être convenablement logé, nourri, habillé, tenu et soigné; à son intimité dans le cadre de son traitement et de la satisfaction de ses besoins personnels; de garder et d’exposer dans sa chambre des effets; d’être informé de la marche à suivre pour porter plainte; de communiquer avec quiconque de manière confidentielle et de recevoir des visiteurs. En vertu de la Loi sur les maisons de soins infirmiers (maintenant remplacée) et de la Loi de 2007 sur les foyers de soins de longue durée, ces droits doivent faire l’objet d’un contrat non écrit entre le résident et le titulaire de permis. Ainsi, le résident peut faire respecter ses droits en intentant une poursuite pour rupture de contrat contre un titulaire de permis.

Opter pour la poursuite civile afin de faire valoir ses droits est une voie semée d’embûches. Le processus est souvent long et exigeant en temps. Il est également coûteux, puisque la nécessité de faire appel à un avocat le rend inaccessible aux Ontariens à faible revenu, à l’exception de la minorité d’entre eux qui est admissible à l’Aide juridique. De plus, vu sa nature contradictoire, ce processus ne convient pas à tous les types de conflits. Par exemple, compte tenu du rapport de force inégal entre les résidents et les titulaires de permis de foyers de soins de longue durée, il est inutile pour les résidents d’intenter une poursuite pour rupture de contrat contre un titulaire de permis afin de défendre leurs droits fondamentaux conférés par la Déclaration des droits des résidents[429]. Il est peu probable qu’une poursuite intentée de manière individuelle donne lieu à une réparation adéquate lorsqu’il est question de violations systématiques ou massives des droits.

 

Système de justice pénale

Le Code criminel est le principal instrument utilisé pour traiter les cas de violence envers les personnes âgées en Ontario. Bien que le Code ne traite pas précisément de la violence envers les personnes âgées, ses dispositions générales couvrent la majorité des questions d’intérêt. Les dispositions pertinentes comprennent celles portant sur le vol, les voies de fait, les agressions sexuelles, la détention arbitraire, le défaut de fournir les choses nécessaires à l’existence d’une personne à sa charge, la fraude, le détournement de fonds par une personne en situation de confiance et le vol par une personne détenant une procuration. Les dispositions du Code en matière de détermination de la peine prévoient que sont notamment considérées comme des circonstances aggravantes des éléments de preuve établissant que l’infraction est motivée par des préjugés ou de la haine fondés sur des facteurs tels que l’âge ou que l’infraction constitue un abus de la confiance de la victime ou un abus d’autorité à son égard[430]. 

Cependant, nombreux sont ceux qui ont fait valoir que le système de justice pénale, bien qu’il contribue considérablement à la lutte contre les mauvais traitements envers les personnes âgées, comporte des lacunes importantes et ne permet pas de résoudre tous les aspects du problème[431]. La dynamique complexe des relations qui sous-tendent certaines formes de mauvais traitements envers les personnes âgées, combinée aux effets de la honte et à la crainte des représailles, peuvent rendre les victimes réticentes à l’idée de dénoncer leurs agresseurs ou de voir un membre de leur famille exposé à des sanctions pénales[432]. Par ailleurs, compte tenu des retards dans l’administration de la justice, il arrive parfois que les victimes de mauvais traitements soient déjà décédées ou rendues inaptes à l’ouverture du procès. Par exemple, dans l’affaire R. c. Khelawon, le directeur d’une maison de retraite a été accusé de voies de fait sur cinq résidents; cependant, à l’ouverture du procès, quatre des victimes étaient décédées et la seule qui était toujours en vie n’était plus apte à témoigner. La Cour suprême du Canada a statué que les déclarations des victimes enregistrées sur bande vidéo après les agressions n’étaient pas suffisamment fiables pour être admises en preuve, et, par conséquent, l’accusé a été acquitté[433].

 

Tribunaux administratifs

Les tribunaux administratifs sont un important moyen pour les Ontariens âgés de revendiquer leurs droits concernant de nombreux aspects de la vie quotidienne.

Par exemple, une personne souhaitant défendre son droit à un traitement égal, sans discrimination fondée sur l’âge, en matière de logement, de service, d’emploi, de contrat et d’association professionnelle en vertu du Code des droits de la personne de l’Ontario peut présenter une requête au Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (TDPO). De même, une personne peut recourir aux mesures de protection offertes par la Loi de 2006 sur la location à usage d’habitation quant aux logements et aux maisons de retraite en présentant une requête à la Commission de la location immobilière (CLI). La Commission du consentement et de la capacité (CCC), quant à elle, mène des audiences afin de réviser les constatations d’incapacité à l’égard des soins de santé, des biens, des renseignements personnels sur la santé et de l’admissibilité aux soins de longue durée.

Les tribunaux administratifs constituent des tribunes de règlement de conflits spécialisées dans leur champ de compétence et offrent des procédures relativement abordables, rapides et souples. De cette façon, elles visent à accroître l’accessibilité du droit.

[Traduction] L’accessibilité est le fondement des aspects « diceyens » et « post-diceyens » – c’est-à‑dire juridiques et administratifs – des tribunaux administratifs. Pour être accessible, un tribunal administratif doit donc offrir un service attrayant pour ceux qui souhaitent faire appel à sa compétence. Puisque le temps et l’argent nécessaires pour résoudre un conflit risquent de freiner les parties […] qui cherchent à obtenir de l’aide d’un régime en milieu de travail, les conflits doivent être réglés rapidement et moyennant peu de frais[434].

Les tribunaux comme le TDPO et la CLI offrent des modes substitutifs de règlement des conflits, comme la médiation. Ces tribunaux ont le pouvoir de mener des enquêtes ainsi qu’une compétence discrétionnaire étendue relativement à l’application des règles de la preuve. 

Les tribunaux font toutefois l’objet des mêmes critiques que le système de justice civile. En pratique, leurs procédures peuvent se révéler complexes, et, compte tenu de l’importance des droits en jeu, de nombreux requérants peuvent se sentir désavantagés s’ils ne sont pas représentés par un avocat. Sur le site Web de la CLI, on trouve dix formulaires distincts pour les requêtes du locataire, auxquels sont annexés des instructions allant d’une dizaine à une vingtaine de pages. De plus, plusieurs requêtes sont assujetties à des droits. Compte tenu de la complexité des requêtes relatives aux droits de la personne, on a créé un Centre d’assistance juridique en matière de droits de la personne chargé d’offrir de l’aide à certains requérants auprès du TDPO.

En outre, les tribunaux, comme le système de justice civile, présentent des retards et des arriérés. Par exemple, le régime des droits de la personne de l’Ontario a récemment fait l’objet d’une réforme, en partie pour répondre aux préoccupations exprimées à maintes reprises sur la lenteur du traitement des requêtes.

 

Mécanismes administratifs de présentation de plaintes

Il est également possible d’accéder au droit par des mécanismes administratifs de présentation de plaintes, comme celui prévu par la Loi sur la protection du consommateur. Puisque les personnes âgées sont souvent la cible de fraudes contre le consommateur, la protection du consommateur est un sujet d’intérêt particulier pour ce groupe. En plus de pouvoir intenter une poursuite civile, les victimes d’infractions à la Loi sur la protection du consommateur ont la possibilité de déposer une plainte auprès du ministère des Petites entreprises et des Services aux consommateurs. Ce ministère dispose des pouvoirs nécessaires pour mener des enquêtes, recueillir de l’information et veiller au règlement de conflits et de plaintes de toutes sortes portées à son attention relativement à la protection du consommateur. Les pouvoirs d’enquête du ministère sont vastes et comprennent ceux d’obtenir des mandats et de réaliser des inspections des lieux. Le ministère peut non seulement traiter les plaintes individuelles, mais aussi vérifier et contrôler les pratiques systématiques[435]. 

De façon similaire, le ministère de la Santé et des Soins de longue durée exploite la ligne ACTION qui permet aux résidents des foyers de soins de longue durée de faire part de leurs inquiétudes au sujet des soins et des services qu’ils reçoivent. Un téléphoniste évalue l’urgence de la situation et peut transmettre le cas à un conseiller en conformité, qui mènera une enquête. Le système de contrôle des foyers de soins de longue durée, y compris la ligne ACTION, a fait l’objet d’une enquête par l’Ombudsman de l’Ontario, qui s’est terminée en décembre 2010. L’Ombudsman a relevé un certain nombre de lacunes dans le processus de traitement des plaintes de la ligne ACTION, que le ministère s’efforce de corriger. L’Ombudsman a notamment souligné le manque de rigueur du processus d’enquête :

Tout d’abord, le premier contact qu’ont la plupart des gens avec le Ministère se fait par l’entremise d’un centre d’appels qui n’est pas équipé pour fournir des renseignements détaillés sur les questions de soins de longue durée. Certains plaignants, de même que des responsables de la conformité au Ministère, se sont dits préoccupés par le manque d’exactitude des renseignements donnés par la Ligne-Info/Action aux personnes qui appellent pour signaler des problèmes sur les soins aux résidents. Nous avons aussi appris que le Ministère dirige régulièrement les plaignants vers le foyer dont ils ont à se plaindre. Beaucoup de plaignants ont dit qu’ils craignaient de se plaindre directement à un foyer en raison des possibilités de représailles contre eux ou contre les personnes qui leur sont chères. Certains des plaignants à notre Bureau ont dit qu’après s’être plaints d’un foyer particulier ils avaient été menacés d’interdiction dans ce foyer; dans un cas, il y avait même eu menace de poursuites[436].

L’Ombudsman a également mentionné des problèmes de retards, une tendance à mener les enquêtes de façon superficielle, le manque de transparence du processus d’enquête et le fait que le Ministère ne fait pas officiellement rapport des résultats de ses enquêtes aux plaignants.

 

Organismes d’enquête constitués en vertu de la loi

Certains organismes spécialisés disposent de pouvoirs d’enquête conférés par la loi. C’est le cas, notamment, du Bureau du Tuteur et curateur public (BTCP) qui doit, en vertu de la loi, enquêter sur toutes les allégations, selon lesquelles un adulte mentalement incapable subirait ou risquerait de subir un grave préjudice financier ou personnel. Le Bureau a décidé, toutefois, qu’il n’entreprendrait ce genre d’enquêtes que lorsqu’il n’existe aucune autre solution. Lorsque les résultats d’une enquête le justifient, le BTCP peut demander, par voie de requête, à un tribunal de rendre une ordonnance le nommant tuteur temporaire[437]. Les pouvoirs d’enquête du BTCP comprennent le droit d’entrer dans un établissement ou une résidence à accès contrôlé, le droit de rencontrer, sans entrave et en privé, la personne prétendue incapable, et le droit d’accéder à tout dossier pertinent[438].

L’ACE s’est dit préoccupé par la perspective étroite avec laquelle le BTCP aborde ses pouvoirs d’enquête, indiquant qu’il reçoit souvent des appels d’amis et de membres de la famille de personnes âgées ainsi que de professionnels de la santé qui disent avoir signalé au BTCP leurs inquiétudes quant au bien-être d’une personne âgée et d’avoir obtenu en réponse qu’aucune enquête n’aurait lieu[439]. 

Par ailleurs, l’Association canadienne pour l’intégration communautaire a fait valoir qu’il n’existe aucun système de freins et de contrepoids suffisant pour contrôler la façon dont le BTCP exerce ses compétences légales :

[traduction] Notre association se préoccupe du fait que les pouvoirs conférés au BTCP et à la CCC ne sont pas soumis à des freins et contrepoids suffisants. Cela étant dit, nous sommes pleinement conscients que ces deux organismes ont des employés qui accomplissent leur travail avec beaucoup de sensibilité et qui tiennent compte des besoins de leurs clients et des gens qui se présentent devant eux. Nous reconnaissons la nécessité de ces autorités. Nous croyons qu’elles occupent un rôle important dans un système qui contribue à la gestion et au soutien de la prise de décision pour les personnes âgées. Cependant, en raison des lacunes de ce système qui aborde de façon indépendante les questions de protection des adultes, qui offre des services indépendants de défense des droits et qui fournit un encadrement relativement à l’exercice de la capacité juridique, ces organismes peuvent causer des torts. Nous croyons que certaines actions du BTCP peuvent porter une atteinte grave à l’intégrité des personnes et des familles, comme cela a déjà été le cas[440].

 

Organismes de défense des droits

Il existe également plusieurs organismes qui se vouent à la défense des droits de certains groupes, y compris les personnes âgées.

La Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) a le mandat de réaliser des recherches et des enquêtes publiques, d’élaborer des politiques et de mener des programmes de sensibilisation de la population en vue de promouvoir les objectifs du Code des droits de la personne de l’Ontario, lesquels englobent la prévention de la discrimination fondée sur l’âge et l’indemnisation des victimes d’actes discriminatoires. Même si la CODP ne reçoit et ne traite plus les plaintes individuelles, elle peut présenter des requêtes au TDPO et intervenir dans de telles requêtes[441]. Comme cela a été mentionné précédemment, la CODP exerce ses vastes pouvoirs en vue de promouvoir les droits des Ontariens âgés par ses initiatives de sensibilisation du public, de défense des droits et d’élaboration de politiques[442]. Sa participation à la campagne visant à modifier les dispositions du Code en matière de retraite obligatoire, qui s’est révélée une réussite, est un exemple notable de la façon dont elle exerce ses pouvoirs[443]. 

Cependant, les plaintes (maintenant appelées « requêtes ») relatives aux droits de la personne qui concernent la discrimination fondée sur l’âge sont peu nombreuses et la plupart de celles-ci sont liées à la discrimination dans l’emploi[444]. Jusqu’à présent, les mécanismes de défense des droits de la personne ne se sont pas révélés efficaces pour lutter contre les désavantages systémiques auxquels les personnes âgées font face sur les plans des soins en établissement, de la prestation des mesures de soutien aux soins, de l’accès aux soins de santé et du logement. 

L’Ombudsman de l’Ontario a pour mandat de recevoir et de traiter les plaintes de particuliers concernant la prestation de services par le gouvernement provincial et ses organismes. Bien qu’il ne puisse émettre d’ordonnance, il peut faire des rapports et des recommandations. Au cours des dernières années, l’Ombudsman a exercé ses pouvoirs pour mener de nombreuses enquêtes systémiques d’envergure sur des questions qui touchent un grand nombre de personnes. L’Ombudsman ne peut pas enquêter sur des problèmes concernant le secteur public élargi, ce qui comprend les municipalités, les hôpitaux et les foyers de soins de longue durée, soit toutes les institutions qui revêtent une importance particulière pour les personnes âgées, mais il a demandé que son mandat soit élargi pour couvrir cet important secteur[445]. Toutefois, comme les services gouvernementaux font partie de son mandat, l’Ombudsman a pu réaliser une enquête systémique sur la surveillance des foyers de soins de longue durée exercée par le ministère de la Santé et des Soins de longue durée, comme on l’a déjà mentionné[446].

Aide juridique Ontario est l’un des principaux organismes de défense des droits mis à la disposition des personnes âgées. Son mandat consiste à garantir l’accès à la justice des particuliers à faible revenu[447]. Aide juridique Ontario offre différents services juridiques aux personnes à faible revenu, notamment le programme de certificats, l’accès à des avocats de service et à des avocats-conseils ainsi que des cliniques juridiques, dont l’ACE, qui est la première clinique juridique canadienne vouée aux besoins des personnes âgées et l’une des deux seules cliniques de ce genre au pays. L’ACE ne fournit pas uniquement des conseils et une représentation juridiques aux personnes âgées admissibles, elle veille aussi à la sensibilisation de la population à l’égard du droit et à la réforme du droit au nom des personnes âgées en général[448]. 

La plus principale critique adressée à l’endroit du système d’aide juridique de l’Ontario est sa portée très limitée. Les seuils de revenu pour être admissible à ses services sont très bas. Par exemple, une famille de quatre personnes dont le revenu annuel dépasse 31 000 $ n’est pas admissible[449]. De nombreuses personnes à faible revenu ou à revenu fixe n’ont pas accès à l’aide juridique, même si elles n’ont pas les moyens de se payer des services juridiques. En outre, même les personnes admissibles peuvent se voir demander, si elles sont propriétaires, d’enregistrer un privilège sur leur maison avant que des services d’aide juridique leur soient consentis, ce que bien des personnes âgées hésitent à faire, naturellement, par crainte de perdre leur maison. Finalement, l’Aide juridique ne couvre qu’un nombre limité de domaines : par exemple, elle n’émet aucun certificat pour des affaires au civil, comme le non-respect d’un consentement et les plaintes contre les foyers de soins de longue durée[450].

 

Conseils et information obligatoires en matière de droits

Il existe bon nombre de situations où, en vertu de la législation ontarienne, un conseiller est tenu d’informer les particuliers sur leurs droits. Cela est le cas lorsque le statut juridique d’une personne subit un changement important, notamment lorsque le statut d’un patient d’un établissement psychiatrique passe de volontaire à involontaire, ou lorsqu’un médecin détermine qu’un patient est incapable de gérer ses biens. Le conseiller ne peut pas participer à la prestation de soins cliniques directs à la personne concernée. Il doit expliquer à celle-ci les conséquences de ce changement et, sur demande, l’aider à présenter une demande d’audience pour contester la décision. Le défaut de fournir des conseils appropriés peut entraîner l’annulation de la constatation d’incapacité[451]. 

Il n’est pas obligatoire de fournir des conseils en matière de droits aux personnes déclarées incapables à l’extérieur d’un établissement psychiatrique. Cependant, celles-ci ont le droit d’obtenir de l’information sur leurs droits auprès des professionnels de la santé[452]. Les exigences relatives à la prestation d’information sur les droits sont définies dans les lignes directrices des professions de la santé pertinentes, de sorte que le défaut de fournir de l’information adéquate peut donner lieu à une plainte à l’endroit de l’organisme dirigeant de la profession. Par exemple, selon l’énoncé de politique sur le consentement au traitement du Collège des médecins et chirurgiens de l’Ontario, le médecin est assujetti aux obligations suivantes :

  • informer le patient incapable qu’un mandataire spécial l’aidera à comprendre le traitement qui lui est proposé et sera responsable, en définitive, de prendre la décision à l’égard du traitement;
  • engager le patient incapable, dans la mesure du possible, dans les discussions tenues auprès du mandataire spécial;
  • si le patient s’oppose à la nécessité d’être représenté par un mandataire spécial ou conteste la participation de son mandataire spécial actuel, informer le patient des mesures qui s’offrent à lui. Ces mesures comprennent la nomination d’un autre mandataire spécial du même niveau de hiérarchie ou d’un niveau supérieur ou la possibilité de demander à la Commission du consentement et de la capacité de réviser la constatation d’incapacité;
  • fournir une aide raisonnable au patient s’il exprime le désir de prendre l’une des mesures mentionnées plus haut[453]. 

 

Autoréglementation

Dans certains cas, des secteurs institutionnels ou des fournisseurs de service ont mis au point des mécanismes d’autoréglementation. Par exemple, les membres de professions dans les domaines du droit, de la médecine et des sciences infirmières pratiquent l’autoréglementation et ont instauré des processus de réception et de traitement des plaintes. Au sujet du traitement des plaintes portées contre les membres d’une profession de la santé réglementée, l’ACE a déclaré ce qui suit :

[traduction] L’ACE a constaté que le processus de traitement des plaintes est long et, si les services d’un conseiller juridique sont retenus, onéreux. Certains de nos clients décident de ne pas se plaindre puisqu’il faudra trop de temps pour régler un problème qui doit être résolu sur-le-champ[454]. 

 

Mécanismes internes des établissements

La loi peut également exiger que les établissements prévoient des mécanismes internes pour cerner et résoudre les problèmes. Par exemple, aux termes de la Loi de 2007 sur les foyers de soins de longue durée, chaque foyer doit disposer d’un conseil des résidents ayant le pouvoir d’informer les résidents sur leurs droits et leurs obligations; d’examiner certains documents relatifs au foyer; de tenter de régler les différends opposant le titulaire de permis et les résidents; ainsi que de faire part au ministre de tout sujet de préoccupation et de toute recommandation (en vertu de la Loi actuelle, la participation à de tels conseils se fait sur une base volontaire). La Loi de 2007 sur les foyers de soins de longue durée permet également la constitution de conseils de famille, lesquels ont des pouvoirs semblables à ceux des conseils de résidents. Comme la Loi est en vigueur depuis peu et que les conseils en place ont été constitués sur une base volontaire, il est difficile d’évaluer à quel point ils permettront réellement de cerner et de régler les problèmes[455].

Certains hôpitaux, foyers de soins de longue durée et maisons de retraite emploient des défenseurs dont le rôle consiste à aider les patients ou les résidents. Ces défenseurs ne sont pas mandatés par la loi. Au sujet des défenseurs des droits des patients, l’ACE a formulé les commentaires suivants :

[traduction] Il faut se méfier de ces défenseurs dont l’objectivité peut être compromise, puisqu’ils sont payés par l’établissement lui-même. De plus, il semble que nombre d’entre eux n’ont aucun pouvoir et ne sont pratiquement en fonction que pour calmer les gens qui se plaignent lorsque survient un problème. Bien qu’ils puissent se révéler une source de soutien et d’assistance, lorsque certains patients ou résidents éprouvent de véritables difficultés en raison d’un conflit sérieux qui les oppose à l’établissement, il est peu probable qu’ils soient en mesure d’assumer leurs fonctions aussi efficacement que la plupart des gens le souhaiteraient, ou dans la même mesure que le ferait une personne qui n’entretient aucun lien avec l’établissement, en raison d’un éventuel conflit d’intérêts[456].

 

2.      Obstacles systémiques

Comme on peut le constater, les mécanismes visant à garantir aux personnes âgées un véritable accès aux lois qui sont destinées à les avantager ou à les protéger présentent des lacunes communes.

Attitudes âgistes et paternalistes dans le contexte de l’accès au droit 

Le chapitre IV faisait état des éventuelles répercussions de l’âgisme sur l’élaboration et l’application des lois. Bien entendu, les attitudes âgistes et paternalistes peuvent également avoir une incidence sur les tentatives des personnes âgées à accéder au droit.

Par exemple, ces attitudes ont été définies comme l’une des principales causes de violence envers les personnes âgées (et sont considérées elles-mêmes comme une forme de mauvais traitements), autant dans les milieux privés qu’au sein des institutions gouvernementales[457]. Un manque de respect et de délicatesse de la part des policiers peut représenter un frein pour les personnes âgées souhaitant dénoncer les mauvais traitements dont elles ont été victimes :

[traduction] Près de la moitié des aînés ayant signalé une interaction négative avec la police se souviennent avoir fait l’objet d’une certaine forme de mauvais traitement, soit un manque de respect, de compassion ou de compréhension de la part du policier en service. Les aînés doivent se sentir appréciés et compris, et être rassurés sur le fait que leurs problèmes sont importants et qu’ils font la bonne chose en portant plainte[458].

Certains ont suggéré que les attitudes âgistes subtiles des fournisseurs de soins de santé entravent l’accès de certaines personnes âgées aux soins de santé. On peut mentionner, par exemple, l’attitude qui consiste à juger que la maladie mentale chez les personnes âgées vaut moins la peine d’être traitée que chez des personnes plus jeunes et la tendance à diagnostiquer une démence chez des patients atteints en réalité de dépression[459]. La pratique problématique des médecins qui refusent de traiter les patients atteints de problèmes chroniques ou complexes, dont la plupart sont des personnes âgées, peut être considérée comme une forme d’âgisme plus systémique dans le domaine des soins de la santé[460]. 

Des attitudes négatives fondées sur le sexe, la race, l’orientation sexuelle, l’incapacité ou d’autres aspects de l’identité peuvent s’ajouter aux attitudes paternalistes négatives et aux stéréotypes sur les personnes âgées pour créer des obstacles et des stéréotypes particuliers. L’Organisation mondiale de la santé, par exemple, a recommandé que les mauvais traitements envers les personnes âgées et les mesures prises pour contrer cette forme de violence soient examinés en fonction du sexe et du statut économique de la victime, puisque ces deux facteurs sous-tendent pratiquement tous les cas de violence envers les personnes âgées[461].

 

Formation et renseignements inadéquats

Étant donné la complexité de nombreux domaines du droit des aînés, il n’est pas surprenant que les personnes chargées d’appliquer ces lois disposent d’une formation et de renseignements inadéquats à leur sujet. Les fournisseurs de services, les fonctionnaires et même les avocats peuvent agir en fonction d’une compréhension erronée du droit ou donner aux personnes âgées de l’information inexacte.

[Traduction] L’âgisme peut également se manifester lorsque des personnes et des organismes ne prennent pas le temps de comprendre le droit et de le présenter de manière appropriée aux bénéficiaires de leurs services. Cette inaction a un effet profond sur la dignité, l’intégrité personnelle et les droits en matière de soins de santé des personnes âgées. Certains ont souligné, par exemple, que les patients reçoivent souvent de l’information inexacte de la part des fournisseurs de soins de santé, ou encore par l’entremise des formulaires du gouvernement sur le consentement aux soins de santé ou la planification préalable des soins. Dans certains cas, comme on l’a déjà vu, les outils destinés à favoriser l’autonomie individuelle, tels que les directives préalables aux soins, sont mal utilisés et nuisent en réalité aux interactions avec la personne âgée[462].

À titre d’exemple, en Ontario, seul un nombre restreint d’avocats se sont spécialisés dans les questions juridiques touchant principalement les personnes âgées, comme la réglementation des habitations collectives, les soins à domicile publics et privés, les demandes de tutelle, le consentement aux soins de santé et les mauvais traitements envers les personnes âgées. Les avocats qui ne sont pas familiers avec un domaine particulier risquent de représenter leurs clients de manière inadéquate[463].

De façon similaire, il est possible que les dépositaires de renseignements sur la santé comprennent et appliquent mal les exigences de la Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé, laquelle établit un cadre pour la collecte, l’utilisation et la divulgation de renseignements personnels sur la santé, ce qui risque de constituer des obstacles injustifiés pour les personnes qui tentent d’avoir accès à leurs renseignements personnels sur la santé ou de les protéger[464]. 

Il peut également s’avérer nécessaire de former les professionnels et les fournisseurs de services sur les enjeux qui touchent les personnes âgées et de les sensibiliser à cet égard. Afin d’assumer leurs responsabilités, ceux-ci pourraient notamment devoir suivre une formation qui leur permettrait de déceler chez une personne des signes d’incapacité qui influent sur sa capacité juridique ou des indices qu’elle est victime de mauvais traitement, et de savoir comment intervenir dans un tel cas. 

Par conséquent, la sensibilisation des fournisseurs de services et des personnes âgées elles-mêmes est l’une des principales recommandations faites par l’ACE à l’issue de ses recherches sur l’accès au droit des personnes âgées vivant dans une habitation collective. Selon l’ACE, la sensibilisation présente le potentiel de régler le problème du mauvais exercice du droit, car elle place les résidents dans une position où ils sont à même de faire valoir leurs droits et d’imposer le bon exercice du droit[465].

 

Surveillance inadéquate

Il arrive parfois que les personnes âgées ne disposent pas de suffisamment de droits et de mesures de protection clairement établis et soient, par conséquent, exposées à la violence ou aux mauvais traitements. 

Au fil des ans, des préoccupations ont été exprimées à propos du régime de surveillance des maisons de retraite, en Ontario. La Loi de 2010 sur les maisons de retraite définit les maisons de retraite de la façon suivante : 

Tout ou partie d’un ensemble d’habitation qui réunit les conditions suivantes :

a) il est occupé principalement par des personnes âgées de 65 ans ou plus;

b) il est occupé ou destiné à être occupé par au moins le nombre prescrit de personnes qui ne sont pas liées à l’exploitant de la maison;

c) l’exploitant de la maison y met au moins deux services en matière de soins, directement ou indirectement, à la disposition des résidents […][466] 

Les maisons de retraite offrent une vaste gamme de services et sont exploitées sous des modèles variés. Certaines sont très petites, tandis que d’autres sont grandes et à caractère institutionnel. Les services offerts peuvent comprendre notamment les repas, l’aide aux activités quotidiennes, un programme d’activités sociales et récréatives, le ménage et la lessive, des services d’intervention en cas d’urgence personnelle et des soins infirmiers. Compte tenu des pressions considérables exercées sur les réseaux de foyers de soins de longue durée et de services de soins à domicile en Ontario, les maisons de retraite sont essentielles pour les gens en perte d’autonomie. Elles fournissent parfois plusieurs des services offerts dans les foyers de soins de longue durée, y compris des services pour les cas lourds et des unités de sécurité, d’où l’importance de leur imposer des mesures de surveillance et de protection[467]. 

Jusqu’à tout récemment, le secteur des maisons de retraite fonctionnait essentiellement selon le principe du « choix des consommateurs ». Il n’y avait aucune délivrance de permis ou d’autorisation d’exploitation par la province, aucun financement de la part du gouvernement et aucune surveillance des services offerts, sauf par l’intermédiaire de la ligne téléphonique qui était gérée par l’association de l’industrie et qui permettait aux résidents de porter plainte. La Loi de 2006 sur la location à usage d’habitation énonce certaines exigences quant à la prestation de renseignements sur la convention de location aux résidents potentiels (la trousse d’information sur les foyers de soins – Care Home Information Package, ou CHIP)[468].

De vives préoccupations ont été soulevées quant à l’absence de mesures de protection efficaces dans les maisons de retraite, étant donné, en particulier, qu’une proportion importante des résidents peuvent être considérés comme vulnérables[469]. Certains ont noté que le principe du choix des consommateurs ne convenait pas à ce genre de marché :

[traduction]

Pour qu’un marché fonctionne bien, certaines conditions doivent être remplies :

  • les consommateurs doivent pouvoir choisir entre un éventail suffisant de produits ou de services;
  • ils doivent être à même de faire des choix (c’est‑à‑dire qu’ils doivent avoir un pouvoir de décision et être à l’abri de toute contrainte ou d’influence indue);
  • ils doivent avoir des recours lorsque les choses tournent mal.
    Ces conditions brillent par leur absence en ce qui concerne le marché des maisons de retraite et certains types similaires de logements supervisés au Canada[470].

Dernièrement, l’Ontario a introduit un nouveau modèle de réglementation des maisons de retraite, dont l’entrée en vigueur est toujours en cours. La Loi de 2010 sur les maisons de retraite énonce un ensemble de normes, dont la Déclaration des droits des résidents; les exigences relatives à la communication de renseignements aux résidents, aux membres de leur famille et au public; la constitution de conseils des résidents; l’élaboration d’un programme de soins; les exigences concernant l’embauche et la formation du personnel; la prévention des mauvais traitements et de la négligence; ainsi que les restrictions quant au recours à la contention et au confinement. La Loi crée un Office de réglementation ayant le pouvoir de délivrer ou de refuser de délivrer un permis autorisant l’exploitation d’une maison de retraite, de nommer des inspecteurs chargés de déterminer si le titulaire de permis se conforme aux normes minimales et aux conditions prescrites pour le permis, ainsi que de recevoir et d’examiner les plaintes présentées à l’endroit d’un titulaire de permis. Le gouvernement peut nommer des membres du conseil d’administration de l’Office, mais pas la majorité de ceux-ci. Certaines personnes craignent que l’industrie n’exerce un contrôle sur l’Office et que, par conséquent, celui-ci soit incapable d’assurer une surveillance efficace de l’industrie. L’efficacité avec laquelle ce modèle de réglementation garantit la dignité et la sécurité des personnes âgées, dont bon nombre sont vulnérables d’une façon ou d’une autre, reste à prouver.

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EXEMPLE : MÉCANISMES DE CONTRÔLE 

Procurations perpétuelles

Comme on l’a mentionné auparavant dans le présent rapport provisoire, lorsque des personnes sont déclarées légalement incapables de prendre des décisions sur des questions particulières, la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé (LCSS) et la Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui (LPDNA) prévoient un mécanisme permettant la prise de décision au nom de la personne concernée.

 Ces lois ont une incidence sur les personnes atteintes de déficience cognitive, psychosociale, intellectuelle ou développementale. Puisque les personnes âgées sont beaucoup plus susceptibles de développer certaines formes de déficiences cognitives comme la démence, ces lois revêtent une importance particulière pour elles. Aux fins de cet exemple, concentrons-nous sur les dispositions de la LPDNA. 

La LPDNA définit la capacité à gérer ses biens et à prendre soin de sa personne, ainsi que la présomption de capacité[471]. Elle établit également des mécanismes visant à évaluer la capacité. Il est possible de contester une constatation d’incapacité en présentant une requête à la Commission du consentement et de la capacité (CCC). La CCC[472] a le pouvoir de tenir des audiences en vertu de la LCSS, de la LPDNA, de la Loi sur la santé mentale et de la Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé. Une personne peut interjeter appel d’une décision de la CCC devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario[473]. La CCC est régie par la Loi sur l’exercice des compétences légales. Les parties peuvent être représentées par un avocat, et la CCC, lorsqu’elle le juge approprié, peut ordonner au Bureau du Tuteur et curateur public de nommer un avocat pour agir au nom de la personne dont la capacité est remise en question[474].

Les conséquences d’une décision voulant qu’une personne soit légalement incapable de gérer ses biens ou de prendre soin de sa personne sont considérables. À cet égard, en vertu de la législation ontarienne, le pouvoir de prendre des décisions au nom de la personne incapable est remis entre les mains d’un mandataire spécial. En d’autres termes, la personne concernée a perdu le pouvoir de prendre des décisions, souvent majeures, à propos de sa propre vie.

Aux termes de la LPDNA, il y a plusieurs façons de nommer un mandataire spécial. Il est possible que la personne incapable, lorsqu’elle était encore capable, ait rempli une procuration perpétuelle conforme aux exigences de la LPDNA, nommant ainsi un procureur, ou fondé de pouvoir, chargé de prendre des décisions sur la gestion de ses biens ou sur le soin de sa personne, ou les deux, s’il advenait qu’elle soit incapable de le faire. La procuration entre en vigueur lorsque la personne est déclarée incapable.

Aux termes de la LPDNA, s’il n’existe aucune procuration perpétuelle valide pertinente pour la prise de décisions concernant les biens et le soin de la personne de l’incapable, le tribunal peut, à la requête de quiconque, nommer un tuteur à l’égard d’une personne[475]. Le tribunal ne doit pas nommer de tuteur s’il est convaincu de l’existence d’une ligne de conduite qui permettra de satisfaire à la nécessité de prendre des décisions et qui n’exige pas que le tribunal constate que la personne est incapable et est moins contraignante que la nomination d’un tuteur en ce qui a trait aux droits qu’a la personne de prendre des décisions[476]. 

Le BTCP peut être nommé tuteur légal aux biens ou à la personne de l’incapable. En outre, le BTCP, qui est assujetti à l’obligation légale d’enquêter sur toute allégation selon laquelle une personne est incapable de gérer ses biens ou de prendre soin d’elle-même et selon laquelle il en découle ou il risque d’en découler des conséquences préjudiciables graves, peut demander, par voie de requête, au tribunal de rendre une ordonnance le nommant tuteur temporaire de l’incapable[477].

La LPDNA oblige le tuteur et le procureur aux biens de l’incapable à agir en tant que fiduciaire et à tenir compte des conséquences de leurs décisions sur le confort ou le bien-être de l’incapable. En outre, le tuteur aux biens doit expliquer à l’incapable en quoi consiste son rôle, l’encourager à participer, autant qu’il peut, aux décisions, chercher à favoriser un contact personnel régulier entre l’incapable, d’une part, et les membres de sa famille et ses amis qui le soutiennent, d’autre part, ainsi que consulter les personnes qui sont personnellement en contact régulier avec l’incapable[478]. Le tuteur et le procureur au soin de la personne doivent tenir compte, lorsqu’ils prennent des décisions, des désirs exprimés ou des instructions données par l’incapable, lorsqu’il était capable, des valeurs et des croyances qu’il avait à ce moment-là ainsi que des désirs actuels de l’incapable, s’ils peuvent être établis. Le tuteur doit également chercher, dans la mesure du possible, à favoriser l’indépendance de l’incapable et doit choisir les mesures les moins contraignantes et les moins perturbatrices qui sont disponibles et appropriées dans le cas visé[479].

Compte tenu des pouvoirs très étendus attachés aux procurations perpétuelles, la possibilité d’abus de pouvoir et les conséquences de celui-ci ne sont pas à négliger. À cet égard, l’Alberta Law Reform Institute a formulé les commentaires suivants :

[traduction] Le défaut d’une procuration perpétuelle est qu’elle remet l’ensemble ou une partie des biens et des affaires d’un mandant entre les mains d’une autre personne, à savoir le procureur, que le mandant, en raison de son incapacité mentale ou de son invalidité, ne peut pas surveiller de manière efficace. Un procureur peut abuser de ces pouvoirs en utilisant les biens du mandant à d’autres fins que dans l’avantage de ce dernier. Par exemple, il peut utiliser les biens d’un mandant dans son intérêt plutôt que dans celui du mandant, ou encore tout simplement voler ses biens. Un procureur destiné à toucher l’héritage d’un mandant peut en outre refuser d’utiliser l’argent de celui-ci pour lui payer des soins appropriés[480].

La LPDNA prévoit des mesures minimales visant à protéger les personnes âgées légalement incapables contre les abus perpétrés par les personnes nommées à titre de tuteurs ou de titulaires d’une procuration perpétuelle relative aux biens ou au soin personnel de l’incapable. Le mandant doit être conscient de la possibilité que le procureur puisse abuser des pouvoirs qu’il lui donne[481]. Le tuteur aux biens est tenu d’expliquer à l’incapable en quoi consistent ses pouvoirs et ses obligations, ainsi que de consulter de temps à autre les membres de la famille et les amis de l’incapable ainsi que les personnes de qui l’incapable reçoit des soins[482]. Il est également tenu de tenir des comptes de toutes les opérations effectuées relativement aux biens de l’incapable[483]. Le procureur au soin de la personne est assujetti à des obligations semblables, notamment celle de garder des dossiers des décisions qu’il prend au nom de l’incapable[484]. 

Certains ont mis en doute le fait que ces mesures de protection soient suffisantes[485]. Il n’existe aucun mécanisme permettant de contrôler l’exercice des procurations perpétuelles, à l’exception des plaintes présentées par le mandant ou des membres de la famille et des amis. De plus, dans de tels cas, l’exercice de la procuration doit être contesté devant les tribunaux, par l’intermédiaire d’un processus long, coûteux et complexe. Malgré les écarts entre les estimations de sa prévalence, l’exploitation financière est la forme de mauvais traitement la plus couramment signalée par les personnes âgées, et les cas d’utilisation d’une procuration à mauvais escient représentent une part importante de ce type de mauvais traitement[486]. L’exploitation financière par le biais d’une procuration peut avoir un effet dévastateur, non seulement sur la sécurité financière des personnes âgées, mais aussi sur leur bien-être émotionnel et psychologique. L’Association du Barreau de l’Ontario a commenté ainsi le sujet : 

Nous sommes préoccupés tant par les lacunes du cadre législatif actuel que par l’application inadéquate des processus et des lois. L’un des meilleurs exemples est la Loi sur la prise de décisions au nom d’autrui, qui vise à protéger les personnes vulnérables. Dans son cadre, toutefois, la nomination des substituts et la création des procurations se font sans supervision tandis que l’examen des nominations et des excès commis par ces substituts est complexe, lent et coûteux. Les procurations sont donc susceptibles d’abus : en ce qui concerne la lutte contre ces abus, la justice différée est presque certainement un déni de justice. Ces violations de l’esprit et des objets de la Loi mettent en jeu des droits fondamentaux protégés par la Charte[487].

La Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations Unies insiste sur l’importance de prévoir des mesures de contrôle et des garanties suffisantes afin de protéger la capacité juridique des personnes handicapées. Aux termes du paragraphe 12(4) : 

[l]es États Parties font en sorte que les mesures relatives à l’exercice de la capacité juridique soient assorties de garanties appropriées et effectives pour prévenir les abus, conformément au droit international des droits de l’homme. Ces garanties doivent garantir que les mesures relatives à l’exercice de la capacité juridique respectent les droits, la volonté et les préférences de la personne concernée, soient exemptes de tout conflit d’intérêts et ne donnent lieu à aucun abus d’influence, soient proportionnées et adaptées à la situation de la personne concernée, s’appliquent pendant la période la plus brève possible et soient soumises à un contrôle périodique effectué par un organe compétent, indépendant et impartial ou une instance judiciaire. Ces garanties doivent également être proportionnées au degré auquel les mesures devant faciliter l’exercice de la capacité juridique affectent les droits et intérêts de la personne concernée[488].

La recherche d’efficacité et de clarté de la part des fournisseurs de services peut les inciter à élargir leurs pouvoirs à titre de mandataire spécial au-delà des limites autorisées par la loi ou à ignorer les exigences du droit. À ce propos, l’ACE a déclaré ceci :

[traduction] De nombreux foyers de soins de longue durée omettent de recueillir le consentement au traitement. D’autres tentent d’obtenir un consentement « général » à l’admission, lequel est censé s’appliquer à tous les traitements prescrits au patient concerné pendant son séjour. Cette pratique est illégale, puisqu’elle ne répond d’aucune manière aux exigences du consentement « éclairé » tel qu’il est défini dans la Loi sur le consentement aux soins de santé. Dans certains foyers, le traitement est déjà commencé lorsqu’un membre du personnel communique avec le mandataire spécial pour l’informer que le résident prend certains médicaments, ne lui laissant ainsi aucun autre choix que de donner son consentement[489].

Pour obtenir réparation en cas d’abus de pouvoir d’un mandataire spécial, les victimes doivent intenter un recours devant les tribunaux. Or, cette procédure contradictoire peut se révéler inappropriée pour régler les questions familiales complexes et risque, en fait, d’aggraver le problème plutôt que de le résoudre. Comme l’a mentionné l’Association du Barreau de l’Ontario :

[traduction] [à] l’adoption de la Loi sur la prise de décisions au nom d’autrui et de la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé, on n’avait pas prévu que celles-ci soient fréquemment invoquées dans les cas de conflits familiaux importants. De nos jours, de nombreuses demandes présentées devant les tribunaux portent sur la prise de décisions au nom d’adultes incapables et opposent les membres d’une même famille les uns aux autres. La législation n’a jamais eu pour but de résoudre les conflits de ce genre et de cette envergure, et les processus actuels ne se prêtent pas à un règlement approprié[490].

En outre, ces processus judiciaires sont souvent, en pratique, inaccessibles.

[Traduction] Les procurations, et particulièrement les abus de pouvoir, représentent l’un des sujets à propos desquels l’ACE reçoit le plus de questions. Bien que le cadre de la Loi sur la prise de décisions au nom d’autrui prévoie des mécanismes permettant de s’élever contre un procureur malhonnête qui ne remplit pas ses fonctions ou qui exploite le mandant, ces mécanismes ne sont pas réellement accessibles, puisqu’ils demandent de se présenter devant les tribunaux. Par exemple, une personne peut présenter une demande d’approbation de compte ou de tutelle aux biens ou à la personne d’un incapable, mais ce genre de demande comporte des coûts prohibitifs[491]. 

Comme on l’a déjà vu dans le présent chapitre, certains se sont également dits préoccupés par le fait que les pouvoirs conférés au BTCP et à la CCC ne sont pas assujettis à des freins et à des contrepoids suffisants. Par exemple, le BTCP dispose, dans certaines situations, du pouvoir extraordinaire de prendre des décisions au sujet des soins, de la santé et des finances d’une personne, décisions qui ne peuvent être contestées que par l’intermédiaire de poursuites coûteuses en temps et en argent et qui peuvent se révéler hors de prix pour les membres de la famille concernés[492]. 

À cet égard, l’Association du Barreau de l’Ontario a fait valoir que la législation, qui vise à protéger les personnes vulnérables, faillit à son devoir.

[Traduction] L’un des meilleurs exemples est la Loi sur la prise de décisions au nom d’autrui, qui vise à protéger les personnes vulnérables. Dans son cadre, toutefois, la nomination des substituts et la création des procurations se font sans supervision tandis que l’examen des nominations et des excès commis par ces substituts est complexe, lent et coûteux. Les procurations sont donc susceptibles d’abus : en ce qui concerne la lutte contre ces abus, la justice différée est presque certainement un déni de justice. Ces violations de l’esprit et des objets de la Loi mettent en jeu des droits fondamentaux protégés par la Charte[493].

Par conséquent, on a recommandé l’instauration de mécanismes garantissant un meilleur contrôle des mandataires spéciaux. La Western Conference of Law Reform Agencies, dans son récent rapport intitulé Enduring Powers of Attorney: Areas for Reform, présente un certain nombre de recommandations visant à prévenir l’utilisation à mauvais escient des procurations, de façon volontaire ou involontaire, en renforçant la transparence et la surveillance de l’exercice des procurations. Ces recommandations comprennent notamment l’ajout de dispositions selon lesquelles le procureur, dès qu’il devient responsable d’une personne frappée d’une incapacité juridique, serait tenu d’émettre un avis formel dans lequel il reconnaît et accepte officiellement une liste précise de tâches à exécuter dans le cadre de la procuration. L’organisme a également recommandé l’ajout de dispositions permettant aux personnes qui soupçonnent un abus de faire connaître leurs préoccupations à un fonctionnaire désigné ayant le pouvoir discrétionnaire de mener une enquête[494].

L’élaboration de mesures de protection contre les abus de pouvoir de la part des procureurs demande, encore là, de trouver le juste équilibre entre la protection des personnes âgées vulnérables, d’une part, et le maintien de l’autonomie et de l’autodétermination de ceux qui rédigent les procurations, d’autre part :

[traduction] Certains ont fait valoir que la législation plus complexe sur les procurations, qui précise les fonctions et les pouvoirs limités des procureurs, ainsi que les mesures de protection visant à minimiser les abus de pouvoir, comme l’enregistrement des procurations, portent atteinte à l’autonomie et à la vie privée du mandant, en faisant de la nomination du tuteur par le tribunal un processus plus directif et plus envahissant. Par ailleurs, d’autres ont souligné qu’une plus grande surveillance des procurations, notamment par l’enregistrement, permet d’adopter une démarche plus souple pour la création des procurations et augmente ainsi l’accessibilité[495].

Finalement, l’absence générale de contrôle et de surveillance fait partie des inquiétudes exprimées sur le fonctionnement des lois sur le consentement et la capacité. Dans l’ensemble, on manque de données pour évaluer avec précision si les lois ontariennes en matière de capacité et de prise de décision fonctionnent comme prévu ou si elles ont des conséquences néfastes sur les droits des personnes handicapées et des personnes âgées. On ne dispose même pas des éléments de base nécessaires à l’analyse, par exemple, le nombre de personnes âgées frappées d’une incapacité juridique en Ontario, et le nombre de procurations perpétuelles relatives aux biens ou au soin de la personne d’un incapable qui sont en vigueur, sans parler de la mesure dans laquelle les mandataires spéciaux comprennent leurs rôles ou de la fréquence des abus des pouvoirs perpétrés par ceux-ci[496]. Or, sans cette surveillance et ce contrôle de la mise en œuvre des lois, on peut difficilement déterminer si les principes d’une démarche anti-âgiste dans le domaine du droit sont respectés, ou encore déterminer les priorités en vue d’une réforme du droit. Cette situation contribue en elle-même à miner la dignité, l’autonomie, la participation, la sécurité et le respect de la diversité des personnes âgées.

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Manque de recours adéquats

Parfois, il n’existe aucun recours efficace en cas de violation des droits. Comme on l’a déjà vu, la Déclaration des droits des résidents illustre cette réalité : lorsque le seul recours d’une personne en cas de violation d’un droit consiste à intenter une poursuite civile pour rupture de contrat contre l’établissement où elle habite et dont elle dépend pour obtenir des services, la probabilité que cette personne obtienne réparation est minime.

De façon similaire, comme on le verra en détail au chapitre VII du présent rapport, il existe un processus de révision des décisions prises par les Centres d’accès aux soins communautaires (CASC), qui sont chargés de gérer l’accès aux soins à domicile, mais les personnes âgées sont souvent mal informées sur ce droit de révision et sur la façon de s’en prévaloir. Bien qu’on puisse interjeter appel devant la Commission d’appel et de révision des services de santé lorsqu’un CASC décide de résilier des services, il n’existe aucune possibilité d’appel lorsque la qualité des services offerts est en cause. Selon Éducation juridique communautaire Ontario, il est possible de chercher réparation en poursuivant le CASC pour rupture de contrat. Cependant, puisque l’Aide juridique ne couvre pas ce genre de cas, il est peu probable qu’une personne dépendant des soins à domicile financés par l’État emploie ce recours. Cela signifie que ces droits n’existent, en grande partie, que sur papier[497].

 

Systèmes de présentation de plaintes

La majorité des systèmes en place pour garantir l’accès des personnes âgées au droit sont conçus de sorte que c’est la personne lésée elle-même qui doit signaler et résoudre le problème, par exemple en intentant une poursuite devant un tribunal judiciaire ou administratif, ou en déposant une plainte par l’intermédiaire d’un processus gouvernemental, d’un système indépendant ou d’un processus interne.

Les systèmes de présentation de plaintes délèguent aux personnes âgées l’entière responsabilité de signaler un problème, ce qu’on peut voir comme une façon de respecter leur autonomie. Dans certains cas, cependant, ces systèmes peuvent se révéler problématiques, particulièrement lorsqu’une personne âgée est vulnérable ou marginalisée en raison d’une incapacité, d’un faible revenu, d’un statut d’immigration ou d’autres facteurs. Lorsqu’une personne âgée dépend des soins ou du soutien continu des autres, que ce soit des membres de sa famille ou des fournisseurs de services, les conséquences négatives d’une plainte présentée contre ces personnes ou un établissement risquent de l’emporter sur les avantages qui pourraient en résulter. En outre, les systèmes de présentation de plaintes comportent parfois des coûts, des obstacles administratifs ou des délais que les personnes âgées vulnérables ne sont pas en mesure de gérer. Comme on le verra plus loin dans ce chapitre, cela explique l’intérêt récent pour les possibilités offertes par les modes de résolution de conflits moins contradictoires, comme la médiation.

Lorsque les services sont destinés aux personnes âgées vulnérables, comme c’est le cas pour les soins de longue durée ou les soins à domicile, les systèmes qui délèguent aux personnes âgées l’entière responsabilité de signaler un problème et d’obtenir réparation peuvent échouer à répondre aux besoins de celles-ci. De plus, lorsque des problèmes systémiques sont en cause, il est peu probable que les plaintes présentées de façon individuelle suscitent les changements nécessaires pour renforcer l’efficacité du système.

Les systèmes de présentation de plaintes sont courants dans de nombreux domaines du droit, c’est pourquoi les enjeux soulevés dans la présente partie ne se rapportent pas uniquement aux personnes âgées. Les lacunes de ces systèmes sont également abordées dans le projet de la CDO intitulé Travailleurs vulnérables et travail précaire[498], de même que, bien entendu, dans son projet sur le droit et les personnes handicapées.

 

Manque de reconnaissance et de prise en compte des besoins des personnes âgées

Comme on l’a déjà vu, bien que les personnes âgées forment un groupe très hétérogène, elles sont beaucoup plus susceptibles que les autres d’être atteintes d’une incapacité ou d’une maladie chronique, d’avoir un niveau de littératie et de numératie plus faible, de toucher un revenu fixe, de dépendre des autres pour accomplir leurs tâches quotidiennes et conserver leur indépendance, de vivre dans une habitation collective et d’avoir une espérance de vie relativement courte.

Les mécanismes de mise en œuvre et d’exécution du droit touchant les personnes âgées ne tiennent pas toujours compte de ces circonstances, et peuvent ainsi poser des obstacles pour les personnes âgées. Un exemple illustrant bien ce fait est que, malgré les efforts déployés pour accroître l’accessibilité du système de justice[499], il reste encore beaucoup à faire. Les coûts de l’accès à la justice représentent un obstacle important pour bien des personnes âgées et de nombreux autres groupes. La CLI, par exemple, impose des droits de présentation d’une requête et a le pouvoir de mettre les dépens à la charge d’un requérant, ce qui peut dissuader une personne de faire valoir ses droits[500]. En outre, on a souligné que bien que les efforts de vulgarisation de l’information juridique aient contribué grandement à rendre le droit plus compréhensible et plus accessible, il s’adresse toujours aux personnes ayant un niveau d’alphabétisme fonctionnel, ce qui cause un préjudice pour plusieurs personnes âgées : les personnes âgées considèrent toujours comme un obstacle sérieux l’absence de documents sur les garanties juridiques rédigés en termes clairs. En outre,

[Traduction] De plus en plus, dans bien des régions du Canada, l’information publique sur le droit et les renseignements du gouvernement sur les services et les prestations sont diffusés non plus par des personnes, mais par des sources virtuelles comme Internet. Selon le Comité sénatorial spécial sur le vieillissement, la publication de renseignements sur le Web repose sur le principe que les gens ont une capacité de lecture élémentaire et qu’ils ont accès à Internet[501]. De nombreuses personnes âgées, particulièrement des femmes, n’ont pas accès à Internet ou ne savent pas comment l’utiliser. En 2007, environ le tiers (33,8 %) des hommes âgés de 65 ans et plus et moins du quart (23,1 %) des femmes du même groupe d’âge au Canada avaient accès à Internet à la maison et environ 1 % des aînés seulement utilisaient des ordinateurs dans des lieux publics comme des bibliothèques[502]. Encore de nos jours, l’utilisation d’Internet se limite principalement aux aînés ayant un revenu et un niveau de scolarité plus élevés[503].

Dernièrement, l’application d’un règlement municipal de la Ville de Toronto a fourni un exemple de la façon dont les besoins des personnes âgées ne sont pas reconnus ni pris en compte dans certains cas. Le voisin d’une résidente âgée atteinte de démence a demandé à la ville de couper un arbre mature situé sur la propriété de cette dernière. Une ordonnance d’abattage de l’arbre a été émise par un agent des normes du bâtiment et l’arbre a été coupé, à un coût considérable pour la propriétaire. Une enquête menée par le protecteur des citoyens de Toronto a révélé que la ville ne disposait d’aucune politique et d’aucun processus appropriés pour répondre aux besoins des personnes dont la capacité juridique est réduite, ce qui peut causer une injustice à l’égard de celles-ci. La ville savait que la résidente était atteinte de démence et avait une capacité réduite, mais elle n’a pris aucune mesure pour s’assurer que la dame, par l’intermédiaire de son mandataire spécial, soit pleinement informée de la situation et bénéficie de suffisamment d’occasions de faire valoir son point de vue et d’exprimer ses préoccupations. Relativement à cette affaire, le protecteur des citoyens a déclaré ce qui suit :

[traduction] Les services publics sont davantage accessibles aux personnes qui sont à même d’utiliser les processus en place. Ils favorisent les personnes ayant une certaine instruction et celles qui peuvent composer avec les aléas de la bureaucratie. Dans la présente affaire, la résidente est une femme marginalisée et représentative de nombreuses autres personnes dans des situations semblables. En fait, nombre de résidents atteints de démence ne peuvent faire appel facilement à un membre de leur famille pour défendre leurs droits. L’absence d’une politique ou d’un processus adapté aux personnes atteintes de démence ou à capacité réduite constitue une lacune que la division de la délivrance de permis et des normes municipales doit combler. De façon globale, cette absence suscite des conséquences néfastes pour un groupe déjà vulnérable. Un processus visant à répondre équitablement aux besoins des personnes atteintes de démence est particulièrement urgent compte tenu du vieillissement de la population. Il est grand temps de combler cette lacune […] La ville ne peut prétendre être accessible, juste et accueillante envers les résidents atteints de démence tant qu’elle n’aura pas cerné et levé les obstacles auxquels se heurte cette population[504].

Les défis à relever afin de s’assurer que les mécanismes d’accès au droit tiennent compte des besoins des personnes âgées varient selon le type de loi en cause. Lorsque les lois sont fondées sur l’âge ou touchent principalement les personnes âgées, on peut concevoir des systèmes précisément pour répondre aux besoins de celles-ci. Lorsque les personnes âgées ne représentent pas la majorité des personnes touchées par une loi, le législateur et les décideurs doivent évaluer si la conception universelle sera suffisante ou si certaines procédures ou mesures de soutien destinées aux personnes âgées sont nécessaires pour garantir à celles-ci un véritable accès au droit[505].

 

Systèmes contradictoires

De nombreux enjeux concernant au premier chef les personnes âgées, par exemple, la capacité et les demandes de tutelle, les mauvais traitements, les soins à domicile ainsi que les services offerts dans les foyers de soins de longue durée et les maisons de retraite, se manifestent souvent dans le contexte des relations continues et parfois complexes qu’elles entretiennent avec des personnes dont leur bien‑être dépend. Cette réalité ne fait que compliquer la mise en œuvre, le contrôle et l’exécution du droit[506].

Dans ces circonstances, les personnes âgées peuvent hésiter à avoir recours à des systèmes contradictoires. En effet, celles qui sont victimes de mauvais traitements peuvent se montrer très réticentes à l’idée de voir leur agresseur poursuivi par le système de justice pénale, malgré leur désir que la situation cesse[507].

De plus, dans ces situations, les systèmes contradictoires risquent d’aggraver les problèmes au lieu de les régler. À cet effet, l’Association du Barreau de l’Ontario a souligné que les lois sur la prise de décisions au nom d’autrui sont devenues une source importante de querelles familiales et peuvent provoquer des conflits plutôt que résoudre les problèmes[508].

 

Recours inappropriés

Même lorsque les personnes âgées cherchent à faire valoir leurs droits, il arrive que les recours dont elles disposent ne parviennent pas réellement à réparer le tort causé ou, dans les cas où la violation des droits est le résultat d’un problème systémique, à susciter un véritable changement. Par exemple, comme les personnes âgées ont peu de possibilités de recours en dommages-intérêts, la poursuite civile ne constitue pas nécessairement un bon moyen d’obtenir réparation pour elles. Or, cela risque non seulement de perpétuer des injustices, mais aussi de dissuader les personnes âgées de tenter de défendre leurs droits, et, par conséquent, d’empêcher la mise en jour des problèmes. 

On a déjà mentionné la décision McDonell Estates c. Royal Arch Masonic Homes Society qui concerne le décès d’une résidente d’un foyer de soins de longue durée, âgée de 77 ans, à la suite d’une chute résultant de la négligence d’un soignant. Les trois enfants adultes de la victime ont réclamé des dommages-intérêts au foyer de soins de longue durée. La Cour a déclaré que les dommages-intérêts que le foyer était tenu de verser se limitaient aux coûts des funérailles et de l’enterrement. Les enfants de la victime n’ont subi aucune perte financière à la suite du décès de leur mère, et la Cour a rejeté leur réclamation de dommages-intérêts pour privation de soins et perte de compagnie, compte tenu de l’âge de la victime et de ses diverses déficiences physiques et mentales[509]. On a fait valoir qu’une telle décision permettait ni plus ni moins aux fournisseurs de soins de faire du tort aux personnes âgées en toute impunité[510].

 

C.     Stratégies pour améliorer l’accès des personnes âgées au droit 

On ne devrait probablement pas avoir à insister sur le fait qu’un droit qu’on n’a aucun moyen de défendre ne constitue, en fait, aucunement un droit, mais plutôt l’affirmation d’un idéal. Le premier moyen de garantir l’accès des personnes âgées au droit consiste certainement à s’assurer que les garanties juridiques et les mesures de protection dont elles disposent sont assorties de mécanismes clairs et efficaces leur permettant d’en faire usage. 

Les paragraphes suivants décrivent les principales stratégies à adopter afin de concevoir des mécanismes efficaces à l’intention des personnes âgées, dans le but de lever les obstacles auxquels elles se heurtent en tentant d’accéder au droit.

 

1.      Contrer l’âgisme et le paternalisme

Les personnes œuvrant dans le domaine du droit des aînés ont souligné à maintes reprises l’importance d’élaborer et d’instaurer des stratégies pour contrer l’âgisme et le paternalisme, autant parmi la population en général que chez les responsables de l’élaboration et de l’application des lois et des politiques touchant les personnes âgées. Car, à moins d’être modifiées, ces attitudes entacheront inévitablement l’application du droit, si bien conçu soit-il. Ainsi, certains organismes, comme les Nations Unies, la CODP et, plus récemment, le Comité sénatorial spécial sur le vieillissement, ont présenté des recommandations pour informer la population sur la lutte contre la discrimination fondée sur l’âge et la sensibiliser à cet enjeu[511]. La formation et la sensibilisation sont essentielles pour assurer le respect et la dignité des personnes âgées.

La sensibilisation de la population est au cœur de la Stratégie ontarienne de prévention des mauvais traitements à l’égard des personnes âgées, adoptée en 2002, laquelle comprend la coordination des services communautaires, la formation des intervenants de première ligne et la sensibilisation du public. Les initiatives de sensibilisation du public comprennent la constitution de 53 réseaux d’intervention communautaire ainsi qu’une ligne d’assistance pour les personnes âgées à l’échelle de la province qui offre des renseignements et du soutien dans 150 langues. Le Réseau ontarien pour la prévention des mauvais traitements envers les personnes âgées a élaboré un Programme de base et guide des ressources visant à sensibiliser les travailleurs à la question des mauvais traitements envers les personnes âgées et aux façons d’interagir avec celles-ci, des modules de formation en ligne sur l’exploitation financière et la violence psychologique envers les personnes âgées, divers documents de formation et plusieurs messages d’intérêt public[512]. 

L’ACE a formulé les commentaires suivants sur le type d’information et de formation que les fournisseurs de services devraient recevoir :

[traduction] Le plus important message à transmettre aux intervenants est que les aînés sont des êtres humains. Les personnes âgées sont présumées aptes à prendre des décisions et elles ont le droit de prendre des décisions insensées, comme c’est le cas pour les gens qui ne vivent pas dans une habitation collective. L’ACE croit que de nombreux employés et certains membres de la famille de personnes âgées ne comprennent pas que ces dernières ont le droit de courir des risques ou prendre des décisions insensées. Les outils de sensibilisation doivent mettre l’accent sur le fait que les droits des résidents vont dans les deux sens : non seulement ils favorisent l’indépendance et l’autonomie des résidents, mais ils protègent aussi le personnel contre toute responsabilité[513].

La formation sur la lutte contre la discrimination fondée sur l’âge et la sensibilisation à cet enjeu doivent aborder les attitudes négatives de même que la tendance à oublier l’existence des personnes âgées et à ne pas tenir compte de leurs besoins et de leurs réalités : 

Il faut tenir compte de tous les besoins, y compris ceux des personnes âgées, afin d’éliminer les obstacles physiques, systémiques et comportementaux. Le fait de présumer que tout le monde est jeune et bien portant et de concevoir les programmes et les installations dans cette optique est une forme d’âgisme que la société doit combattre. La Commission a entendu dire que certains paliers de gouvernement se sont mis à faire des études selon le sexe. Le gouvernement devrait en faire de même pour l’âge et analyser l’impact des lois, des politiques et des programmes sur toutes les catégories d’âges[514].

 

2.      Habiliter les personnes âgées

Comme on l’a déjà mentionné, il n’est pas rare que les personnes âgées soient mal informées sur leurs droits, ou encore sur les avantages et les services auxquels elles ont droit. Cela n’est pas surprenant, compte tenu de la complexité de nombreux domaines du droit qui touchent disproportionnellement les personnes âgées. Cependant, cette situation pose problème. Les personnes âgées qui ne connaissent pas leurs droits ne sont pas en mesure de s’en prévaloir ou de les revendiquer, et le droit peut ainsi perdre tout son sens. 

Le manque de connaissance des garanties juridiques et mécanismes de recours mine l’autonomie et l’indépendance des personnes âgées. Les personnes âgées qui ne connaissent pas leurs droits et les recours dont elles disposent sont moins aptes à prendre des décisions éclairées à propos de tous les aspects de leur vie et à assumer la responsabilité des événements qui les touchent.

Par conséquent, la prestation de renseignements exacts et accessibles sur les garanties juridiques et sur la façon de les exercer est essentielle pour garantir l’accès des personnes âgées au droit.

 

3.      Concevoir des mécanismes qui tiennent compte des personnes âgées

Les mécanismes qui favorisent l’accès au droit doivent être conçus de manière à tenir compte des personnes âgées, et ce, que la loi en question cible précisément les personnes âgées ou non. À cet égard, la Commission ontarienne des droits de la personne a déclaré ce qui suit dans sa Politique sur la discrimination fondée sur l’âge à l’endroit des personnes âgées : 

Pour la CODP, « l’âgisme » se définit, entre autres, comme « une tendance à vouloir structurer la société selon la présupposition que tout le monde est jeune, de sorte que l’on n’arrive pas à répondre adéquatement aux besoins réels des personnes âgées. » L’âgisme se manifeste lorsque les décisions prises en matière d’aménagement et de conception ne tiennent pas compte des réalités de tous les groupes d’âge, dans toute la mesure du possible.

La Cour suprême du Canada a récemment établi très clairement que la société doit être aménagée de façon à tenir compte de toutes les personnes. Il n’est plus acceptable de structurer des systèmes conçus comme si tout le monde était jeune et d’essayer par la suite de les adapter tant bien que mal pour les personnes qui ne le sont pas. Il faut plutôt tenir compte de la diversité d’âges qui existe dans la société dès l’étape de la conception afin de ne pas créer d’obstacles physiques, psychologiques et systémiques.

Comme corollaire à la notion qu’il faille prévenir les obstacles dès l’étape de la conception en appliquant les principes de la conception universelle, lorsque des systèmes et structures sont déjà en place, les organismes devraient être conscients de la possibilité qu’ils puissent présenter des obstacles systémiques et faire des efforts réels pour les découvrir et les éliminer[515]. 

Cela signifie que les mécanismes doivent tenir compte, notamment :

  • des contraintes financières imposées aux personnes en quête de justice, autant aux personnes à faible revenu qu’à celles qui touchent un revenu fixe;
  • de l’accès des personnes atteintes de déficiences physiques, mentales, cognitives et sensorielles et de celles souffrant de problèmes de santé;
  • de la façon dont l’information et l’aide peuvent être offertes aux gens dont le niveau de littéracie, de numératie ou de connaissances technologiques est limité;
  • du délai limité dont disposent les personnes âgées pour exercer des recours et obtenir réparation;
  • de la prestation d’un accès véritable aux personnes vivant dans une habitation collective;
  • de la façon de garantir un accès véritable aux personnes âgées vulnérables en tenant compte des rôles distincts attribués traditionnellement à chaque sexe, des obstacles linguistiques ou culturels auxquels elles font face, de leur statut d’immigration, de leur orientation sexuelle, de leurs relations de dépendance ou d’autres facteurs.                                                 

Comme on l’a vu au chapitre III, la conception inclusive permet, dans certains cas, de tenir compte des besoins des personnes âgées. Cette démarche est intéressante pour la réforme du droit, car elle présente des avantages qui ne se limitent pas aux personnes âgées. Par conséquent, elle devrait jouir d’un appui généralisé plutôt que susciter l’animosité. À titre d’exemple, les politiques et les programmes traitant de questions d’accessibilité profiteront autant aux personnes handicapées qu’aux familles ayant de jeunes enfants. Les stratégies de communication qui utilisent d’autres moyens qu’Internet et qui proposent principalement des documents rédigés en termes clairs amélioreront la sensibilisation de nombreuses communautés, et pas seulement des personnes âgées. En outre, elles diminuent l’accent porté sur la vieillesse par opposition à la jeunesse. 

Cependant, la conception inclusive a ses limites. Les personnes âgées ont parfois des besoins si uniques qu’ils sont difficiles à combler à l’aide de cette démarche. Dans certains cas, en outre, les besoins des personnes âgées peuvent entrer en conflit avec ceux des autres. Dans de tels cas, il pourrait s’avérer plus approprié de concevoir des politiques ou des programmes spécialement adaptés aux besoins des personnes âgées, comme il est énoncé plus bas.

 

4.      Utiliser des mécanismes axés sur les personnes âgées                                 

Les mécanismes d’accès au droit axés précisément sur les besoins des personnes âgées sont plutôt rares. Par exemple, bien que les mécanismes se rapportant aux foyers de soins de longue durée touchent principalement les personnes âgées, qui forment la grande majorité de leurs résidents, ils visent également une minorité de résidents composée d’adultes plus jeunes ayant des incapacités sévères et des besoins médicaux complexes.

La plupart du temps, les mécanismes d’accès au droit précisément adaptés aux besoins des personnes âgées concernent la violence envers celles-ci. 

Par exemple, de nombreux corps policiers de l’Ontario ont mis sur pied des unités spécialisées dans la violence envers les personnes âgées, et la majorité des services de police dispose d’un coordonnateur spécialisé dans ce domaine qui agit à titre d’agent de ressources et de liaison communautaire. Depuis janvier 2005, le Service de police d’Ottawa dispose d’une Section contre la violence à l’égard des aînés dont le mandat consiste à enquêter sur toutes les allégations de mauvais traitements à l’égard des aînés et à sensibiliser les travailleurs de première ligne et le public à cet enjeu. Des programmes semblables ont été mis sur pied dans d’autres régions du Canada et d’autres pays de common law comme l’Australie et les États-Unis[516]. Aux États-Unis, l’Administration on Aging (administration sur le vieillissement) dirige le programme de prévention des mauvais traitements, de la négligence et de l’exploitation envers les personnes âgées, lequel assure un leadership à l’échelle nationale en renforçant la planification stratégique en matière de justice pour les personnes âgées et l’orientation des programmes, des activités et de la recherche en lien avec la prévention de la violence envers les personnes âgées et la sensibilisation à ce problème. Elle exploite également le National Centre on Elder Abuse (centre national sur la violence envers les personnes âgées), un centre de ressources national spécialisé en la matière[517]. 

Il existe aussi des mécanismes d’ordre général. On peut penser, par exemple, à l’ACE en Ontario, qui offre des services de conseil et de représentation juridiques aux personnes âgées, mène des initiatives générales de défense des droits et de réforme du droit, et agit à titre de centre de développement des connaissances et de l’expertise dans le domaine du droit touchant les personnes âgées.

Le Canadian Centre for Elder Law Studies (centre canadien d’études sur le droit des aînés) est affilié au British Columbia Law Institute (institut du droit de la Colombie-Britannique). Il s’agit d’un organisme national sans but lucratif qui se voue à l’étude des questions de droit ayant une incidence particulière sur les personnes âgées. En plus de mener ses propres projets de recherche en droit et de réforme du droit, il contribue à l’étude et à l’analyse des enjeux du droit des aînés, notamment en organisant annuellement la Conférence canadienne sur le droit des aînés et en accueillant le World Study Group on Elder Law (groupe d’études international sur le droit des aînés).

Le gouvernement australien finance un programme national de défense des droits des bénéficiaires de soins aux aînés dont le but est de promouvoir les droits des personnes âgées qui reçoivent des services publics de soins aux aînés. La prestation de ce programme est assurée par des organismes communautaires qui offrent aux personnes âgées des renseignements sur leurs droits et de l’aide pour les exercer. Ces organismes collaborent également avec l’industrie des soins aux aînés pour favoriser l’élaboration de politiques et de pratiques qui protègent les consommateurs. Les personnes qui vivent dans une unité d’habitation financée par le gouvernement australien au sein d’un foyer de soins aux personnes âgées ont accès à des services de défense des droits gratuits, confidentiels et indépendants. L’Australie dispose également d’un régime d’enquête sur les plaintes relatives aux soins aux aînés. Ce régime traite les plaintes présentées par les personnes âgées en ce qui concerne tout aspect des soins qui leur sont prodigués et peut obliger les fournisseurs de services à prendre des mesures correctives, au besoin. Un commissaire indépendant des soins aux aînés examine les préoccupations soulevées à l’égard du régime[518].

Comme on le verra en détail un peu plus bas, le pays de Galles a récemment créé, en vertu de la loi, une commission indépendante des personnes âgées. Cet organisme de surveillance exerce des fonctions de consultation, d’examen, de défense des droits, de promotion, de sensibilisation et d’enquête. Le commissaire évalue la pertinence et l’efficacité du droit en vue de protéger les personnes âgées vulnérables, présente des recommandations en la matière et demande au gouvernement d’apporter des changements, au besoin. En outre, il propose des pratiques exemplaires aux fournisseurs de services réglementés et examine leurs politiques et programmes pour s’assurer que les droits des personnes âgées sont assortis de mesures de protection appropriées. Le commissaire peut mener des enquêtes lorsque surviennent des problèmes systémiques qui ne peuvent être abordés d’aucune autre façon[519].

Comme on l’a vu en détail au chapitre IV de ce rapport, les politiques et les programmes axés sur les personnes âgées soulèvent des enjeux complexes. Il est important de ne pas renforcer l’idée que les personnes constituent un groupe homogène. Les personnes âgées ne sont pas toutes défavorisées ou vulnérables, et celles qui le sont affrontent des obstacles et des défis qui peuvent également se poser à d’autres groupes vulnérables. L’âge en soi ne fait pas des personnes âgées des individus différents ou inférieurs. Les programmes qui reposent sur l’hypothèse selon laquelle toutes les personnes âgées sont vulnérables peuvent donner lieu à des attitudes paternalistes et porter atteinte à l’autonomie et à l’indépendance des personnes âgées.

Par ailleurs, il ne fait aucun doute que certains groupes de personnes âgées sont défavorisés ou vulnérables et méritent une attention et des mesures d’adaptation particulières. Dans certains cas, les programmes qui ciblent précisément les personnes âgées sont le meilleur moyen d’assurer leur sécurité et leur dignité. Mentionnons notamment les programmes élaborés par les services de police spécialisés dans la violence envers les personnes âgées, lesquels sont axés sur les besoins et les réalités uniques des personnes âgées victimes de mauvais traitements ainsi que sur les difficultés auxquelles elles sont confrontées lorsqu’elles tentent de faire valoir leurs droits.

Par conséquent, compte tenu des enjeux d’ordre général mis en évidence dans l’analyse des critères fondés sur l’âge, au chapitre IV, il convient d’évaluer individuellement les programmes de défense des droits ou d’exécution de la loi destinés aux personnes âgées afin de s’assurer que l’emploi de critères d’admissibilité fondés sur l’âge est la meilleure façon d’aborder les besoins ou les vulnérabilités ciblées, que le programme est basé sur les résultats de recherches récentes plutôt que sur des stéréotypes, et qu’il répond véritablement aux besoins cernés.

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EXEMPLE : MÉCANISMES AXÉS SUR LES PERSONNES ÂGÉES

Les mauvais traitements à l’égard des personnes âgées et les services de police

Comme on l’a déjà vu dans ce chapitre, les personnes âgées peuvent se heurter à différents obstacles en tentant de signaler les mauvais traitements dont elles sont victimes. La dynamique complexe des relations qui sous-tendent certaines formes de violence envers les personnes âgées, combinée aux effets de la honte et à la crainte des représailles, peut rendre les victimes de mauvais traitements réticentes à l’idée de dénoncer leur agresseur ou de voir un membre de leur famille exposé à des sanctions pénales. Cette situation est résumée de la façon suivante dans un récent rapport sur les obstacles à la déclaration :

[traduction] La plus grande crainte est celle des représailles, suivie de celle de se retrouver sans logement, d’être encore plus vulnérable et d’être mis à l’écart, particulièrement lorsque la victime entretient un contact quotidien avec son agresseur. En fin de compte, la victime craint que la situation s’aggrave si elle dénonce les mauvais traitements. Les cas d’abus de confiance ont également un effet négatif sur les taux de déclaration. Les aînés hésitent parfois à dénoncer un agresseur avec qui ils entretiennent un lien parce que nombre d’entre eux considèrent les sanctions du système de justice comme trop sévères[520].

La culture, la langue et le lieu de résidence peuvent également constituer des entraves à la déclaration.

Les personnes âgées craignent parfois aussi que les professionnels au sein du système de justice, y compris les policiers, n’accordent aucun crédit à leurs plaintes ou leur manquent de respect. 

Afin de lever ce genre d’obstacles, plusieurs corps policiers du Canada ont constitué des unités ou des services spécialisés dans la violence envers les personnes âgées. En septembre 2007, le service de police de Vancouver a créé une unité de ce genre, conçue sous le modèle de son unité de lutte contre la violence familiale et reliée à celle-ci. En Ontario, de nombreuses villes comptent des services aux personnes âgées, y compris Hamilton, Thunder Bay, Waterloo et Ottawa, et bien d’autres services de police sont dotés de coordonnateurs spécialisés dans la violence envers les personnes âgées qui agissent à titre d’agent de ressources et de liaison communautaire.

L’unité des crimes contre les personnes âgées de Hamilton est la première à avoir vu le jour en Ontario, en mars 2004. Elle est constituée de deux détectives qui travaillent au sein de la direction des victimes d’actes criminels du service de police de Hamilton avec l’appui des trois agents de soutien aux aînés qui travaillent dans chacune des trois divisions.

Les agents de soutien aux aînés assument trois principaux rôles : élaborer et mener à bien des programmes de sensibilisation en matière de sûreté et de sécurité des personnes âgées; contribuer aux enquêtes sur les cas de mauvais traitements et de négligence envers les personnes âgées; ainsi que collaborer avec les services communautaires et d’autres organismes afin de régler des questions liées à la qualité de vie des personnes âgées. Ces agents constituent le premier point de contact des personnes âgées. 

L’unité est responsable d’enquêter sur les actes criminels perpétrés contre les personnes de 60 ans et plus maltraitées principalement en raison de leur âge. Elle a mené des enquêtes sur des cas de violence physique et psychologique, d’exploitation financière, de négligence et de négligence de soi, de même que des enquêtes du coroner. Elle travaille principalement sur les cas d’exploitation financière, ce qui comprend les fraudes, l’escroquerie et les vols, dont les vols commis par un procureur. Elle a mené avec succès des enquêtes sur de nombreux cas très médiatisés, y compris celui d’un fils ayant profiter de ses pouvoirs de procureur pour s’approprier les prestations de la Sécurité de la vieillesse et du Régime de pensions du Canada de sa mère handicapée et ensuite les perdre au jeu, celui d’une administratrice d’une maison de retraite ayant commis une fraude de plus d’un million de dollars à l’égard de plusieurs résidents et de son employeur, celui d’une employée d’un service de soins à domicile qui a volé un de ses clients ainsi que celui d’un entrepreneur non enregistré qui a demandé à de nombreux résidents de l’argent pour effectuer des travaux de réfection de toit qui n’ont jamais eu lieu. 

Le personnel de l’unité doit posséder une connaissance approfondie des lois que les policiers ne sont généralement pas tenus de connaître, y compris la Loi sur la protection du consommateur, la Loi sur la prise de décisions au nom d’autrui, la Loi sur le consentement aux soins de santé, la Loi sur les fiduciaires et la Loi portant réforme du droit des successions, ainsi que la loi régissant les foyers de soins de longue durée. Par conséquent, il doit acquérir des compétences et des connaissances spécialisées. 

L’unité collabore étroitement avec divers organismes et services communautaires en vue de s’assurer que tous les cas signalés d’agression, d’exploitation financière et de négligence font l’objet d’une enquête en bonne et due forme. Elle a établi des partenariats, notamment, avec les Centres d’accès aux soins communautaires, le Bureau du Tuteur et curateur public, la Société Alzheimer, des hôpitaux et des institutions financières de la région, l’Agence du revenu du Canada et le ministère des Petites entreprises et des Services aux consommateurs.

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5.      Modes substitutifs de règlement de conflits

Comme on l’a mentionné plus tôt dans le présent chapitre, plusieurs se sont intéressés aux avantages que présentent les modes substitutifs de règlement des conflits, comme la médiation, pour les personnes âgées tentant de résoudre des problèmes qui surviennent dans le contexte de leurs relations. 

Cependant, l’imposition de la médiation obligatoire aux personnes âgées, dans certaines circonstances, a également soulevé des inquiétudes. Par exemple, aux termes de la Loi de 2006 sur la location à usage d’habitation de l’Ontario, le résident d’une maison de soins menacé d’expulsion en raison du changement de ses besoins en matière de soins doit participer à la médiation obligatoire, dans le cadre de laquelle les parties peuvent renoncer aux droits qui leur sont conférés en vertu de la Loi[521]. Même si cette disposition visait peut-être, à l’origine, à avantager les résidents des maisons de retraite en imposant un processus moins formel, contradictoire et coûteux en temps, certains ont émis des préoccupations à son égard en raison du rapport de force inégal entre l’exploitant de la maison et le résident menacé d’expulsion, qui peut être atteint d’importants problèmes de santé, n’avoir aucun représentant et ne pas être entièrement au fait de ses droits[522].

La médiation pour personnes âgées est l’un des modes substitutifs de règlement de conflits. Il s’agit d’un processus de règlement de conflit à l’amiable et volontaire dont l’une des parties en cause est une personne âgée. Il est spécialement conçu pour favoriser le règlement des conflits impliquant les personnes âgées et pour trouver des solutions qui respectent la relation entre les parties et protègent les intérêts des personnes âgées. En règle générale, les médiateurs connaissent bien le vieillissement et ses effets et sont donc très bien placés pour trouver des façons de renforcer la capacité des personnes âgées à résoudre leurs conflits[523].

Certains programmes de médiation couvrent tous les conflits auxquels sont confrontées les personnes âgées[524]. D’autres se consacrent à certains types de conflits qui concernent plus souvent les personnes âgées que la population en général. Par exemple, certains programmes visent à résoudre des conflits relatifs à la prestation de soins[525].

Malgré le potentiel de la médiation, la résolution de conflits par la médiation peut exposer les personnes âgées à des risques. En effet, celles-ci dépendent souvent de l’autre partie concernée, et la médiation altère fréquemment le rapport de force entre les parties. S’il n’est rééquilibré, ce rapport de force inégal peut empêcher la personne âgée d’exprimer franchement ses opinions et de donner librement son consentement à toute entente[526]. Les personnes âgées sont également plus susceptibles d’être atteintes de maladies associées au vieillissement qui affectent leur capacité de participer de façon importante aux discussions qui les concernent directement[527]. La probabilité que la médiation permette de résoudre le conflit en respectant l’autonomie et la sécurité de la personne âgée dépend de la formation qu’a reçue le médiateur, de ses compétences et du jugement dont il fait preuve tout au long du processus afin de s’assurer que la personne âgée participe librement et activement aux discussions.       

Les premiers essais ont démontré que la médiation a un potentiel énorme d’accroître l’accès des personnes âgées à la justice ainsi que de renforcer la capacité des collectivités à gérer les conflits impliquant des personnes âgées. Les programmes de médiation pour personnes âgées, lorsqu’ils sont bien établis dans une collectivité, offrent une solution de rechange accessible et moins angoissante aux personnes âgées qui se heurtent à des obstacles dans le cadre des processus de règlement de conflits institutionnalisés. Les résultats des premiers essais ont révélé que ce processus permettait aux personnes âgées de reconnaître un conflit et d’y réagir, en plus d’envisager des solutions qui favorisent leur dignité, leur indépendance et leur autonomie[528].

En Ontario, les services de médiation pour personnes âgées sont actuellement très rares, et peu de recherches ont été réalisées sur le fonctionnement de ces programmes. D’autres recherches doivent être effectuées afin d’évaluer la faisabilité de la mise sur pied de tels programmes à l’échelle provinciale. La recherche pourrait se concentrer notamment sur deux priorités : l’élaboration d’une méthodologie visant à évaluer les programmes de médiation pour personnes âgées en place et à encourager la diffusion de renseignements entre les organismes; et le soutien de projets pilotes menés dans des contextes bien précis où les personnes âgées sont souvent confrontées à des conflits et où elles font face à des difficultés particulières lorsqu’elles tentent d’exercer leurs garanties juridiques, comme la prestation de soins, les mesures pour contrer la violence envers les personnes âgées et les requêtes présentées en vertu de la Loi sur la prise de décisions au nom d’autrui[529].

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EXEMPLE : MÉDIATION POUR PERSONNES ÂGÉES 

Démarche de justice réparatrice de Waterloo pour contrer la violence envers les personnes âgées

La justice réparatrice est une démarche qui consiste à réagir à ce que la société qualifie d’« acte criminel ». Elle met l’accent sur la réparation des préjudices causés à une victime et à la collectivité, par opposition à la poursuite en justice et au châtiment des délinquants, qui est l’approche adoptée par le système de justice pénale. La justice réparatrice, comme mode de résolution de conflit, se distingue de nombreux programmes de médiation pour personnes âgées mentionnés auparavant en ce sens qu’elle qualifie les parties en cause de « victime » et de « délinquant », au lieu de « parties en conflit ». Lorsque les parties se présentent, elles ont déjà reconnu leur rôle dans le conflit, à savoir celui de victime ou de délinquant, ce qui facilite la définition des objectifs du processus. De plus, la justice réparatrice s’apparente davantage à la médiation transformative qu’à la médiation facilitative, puisqu’elle vise à habiliter les parties à changer leurs comportements relativement à un conflit, au lieu de s’efforcer de parvenir à un règlement.

Un programme élaboré à Waterloo, en Ontario, constitue un exemple de mise en application de la justice réparatrice comme moyen de contrer la violence envers les personnes âgées. Bien que la justice réparatrice soit différente des programmes de médiation pour personnes âgées, ces deux modes de règlement de conflits visent à renforcer la capacité des personnes âgées à reconnaître et à résoudre un conflit. 

Le programme de Waterloo a pris deux formes différentes : d’abord, celle de « cercles » de justice réparatrice spécialisés, puis, actuellement, celle d’une équipe d’intervention suivant une démarche globale de gestion des conflits visant à contrer la violence envers les personnes âgées et à renforcer la capacité des personnes âgées à gérer leurs conflits.

Cercles de justice réparatrice

Au départ, le programme a appliqué la démarche de la justice réparatrice sous forme de « cercles ». Ces cercles étaient dirigés par un facilitateur formé en la matière, dont les fonctions consistaient à rassembler les personnes directement ou indirectement touchées par le conflit afin de discuter des problèmes et de tenter d’y trouver une solution. Le programme était administré conjointement par le Centre d’accès aux soins communautaires de Waterloo, le service de police régional de Waterloo, le centre multiculturel Kitchener-Waterloo, White Owl (une association d’Autochtones habitant les régions urbaines), le Réseau pour la résolution de conflits Canada et Initiatives en matière de justice communautaire de Waterloo[530]. 

Les cercles de justice réparatrice étaient offerts gratuitement aux parties au conflit. Dans ces cas, néanmoins, les coûts n’étaient probablement pas le plus grand obstacle auquel se butaient les personnes âgées pour résoudre le conflit, puisqu’elles pouvaient intenter une poursuite à un coût minimal. Cependant, le processus judiciaire pouvait avoir des conséquences importantes sur les plans émotionnel et relationnel. 

Afin de lever les barrières découlant du manque de connaissances des processus judiciaires et des garanties juridiques chez les personnes âgées, le programme de justice réparatrice a entrepris un programme de sensibilisation particulier. Ce programme de sensibilisation a été introduit dans la collectivité afin de tisser des liens directement avec les personnes âgées, de les doter des outils nécessaires pour reconnaître les signes de violence dont elles pouvaient être victimes et de les encourager à dénoncer ces mauvais traitements. Les responsables du programme sont également entrés en contact avec les intervenants travaillant auprès des personnes âgées afin de les renseigner sur les signes de violence et de leur donner les ressources nécessaires pour inciter les personnes âgées à signaler les mauvais traitements dont elles sont victimes[531]. 

En outre, le programme bénéficiait d’un appui important au sein de la collectivité, autant de la part de ses partenaires que d’autres organismes. Ainsi, il était tout indiqué pour renseigner les personnes âgées sur ce mode de règlement de conflit. 

Le programme de justice réparatrice reconnaissait que l’âgisme constitue l’un des plus grands obstacles auxquels les personnes âgées font face lorsqu’elles tentent de dénoncer les mauvais traitements dont elles sont victimes. Les responsables du programme ont privilégié la justice réparatrice à toutes les autres démarches, car ils estimaient qu’elle cadrait parfaitement avec l’adoption d’une démarche anti-âgiste en matière règlement de conflits. Le programme a été élaboré afin d’aborder avec délicatesse les défis associés au vieillissement, et son processus a été conçu pour être accessible à tous. Ce processus devait accroître la capacité des personnes âgées à dénoncer les mauvais traitements dont elles étaient victimes et à faire part de leurs expériences.

En raison de ses liens étroits avec la collectivité, le programme a également pu encourager les intervenants du système de justice à adopter des attitudes anti-âgistes. Des responsables de l’application de la loi, des employés des tribunaux et des procureurs de la Couronne ont collaboré au programme, ce qui les a aidés à traiter le vieillissement de manière plus appropriée. 

Les responsables du programme ont également travaillé avec des procureurs de la Couronne dans certains cas où des accusations avaient déjà été portées. La poursuite aiguillait alors les parties vers les cercles de justice réparatrice, et les accusations étaient levées si le processus permettait de régler le conflit[532]. 

Le processus du programme a été conçu en fonction des faits que les parties en cause dans un cas de violence envers les personnes âgées entretiennent souvent un lien d’affection et de dépendance que la personne âgée a tout intérêt à maintenir[533]. Par conséquent, l’accent était mis sur la responsabilité et la réadaptation plutôt que sur l’accusation et le châtiment. En outre, on insistait sur le fait que le délinquant ne se verrait imposer aucune sanction ni expulsé de la collectivité, ce qui dissipait la crainte que le processus mette fin à la relation en cause. 

En assurant la confidentialité du processus, les cercles de justice réparatrice respectaient la conception des personnes âgées selon laquelle un conflit est un événement privé. Sauf lorsque des accusations avaient déjà été portées, le processus se déroulait à l’abri de l’examen public du système judiciaire. Cependant, l’évaluation du programme a relevé une lacune importante, à savoir que trop peu de personnes étaient aiguillées vers les cercles, ce que l’on a attribué au fait que les problèmes étaient de nature trop délicate et confidentielle aux yeux des personnes âgées pour qu’elles consentent à les mettre au jour. On suppose ainsi que malgré la structure confidentielle et plus souple des cercles, les personnes âgées hésitaient toujours à exposer leurs conflits personnels à un regard extérieur[534]. 

Les cercles visaient le rétablissement et la transformation des relations plutôt que le châtiment du délinquant, c’est pourquoi les solutions convenaient généralement davantage aux souhaits des personnes âgées que ce que propose le système de justice pénale. Ils donnaient aux personnes âgées le sentiment de pouvoir reprendre les choses en main, ce que ne permet pas le système de justice pénale, dans le cadre duquel les victimes ne jouent normalement qu’un rôle mineur. La personne âgée participait à toutes les étapes du cercle, y compris la détermination des problèmes sous-jacents et l’identification des parties en cause. De plus, elle avait l’occasion de raconter son expérience par le moyen qui lui convenait le plus.

Étant donné que le processus cadrait davantage avec la conception du conflit chez certaines personnes âgées, celles-ci étaient généralement plus disposées à opter pour ce mode de règlement. Cependant, le programme accordait une trop grande importance au processus préparatoire complexe, considéré comme trop long par les responsables de l’évaluation. Ceux-ci ont recommandé de recourir à un processus plus simple, comme la médiation[535].

Les facilitateurs des cercles étaient des bénévoles formés, dont le rôle consistait à organiser le processus préparatoire et à diriger le cercle. Les médiateurs avaient suivi une formation sur la démarche de la juste réparatrice, sur laquelle ils basaient leur pratique. Ils avaient également suivi une formation sur la dynamique de la violence envers les personnes âgées, sur la façon de reconnaître les signes de mauvais traitements et sur la manière de répondre aux besoins particuliers des personnes âgées. Les bénévoles suivaient une formation continue sur l’examen de cas, le développement, la dynamique familiale et l’abus d’alcool ou d’autres drogues[536]. Les médiateurs pouvaient tirer profit de la formation et des connaissances des divers groupes communautaires ayant organisé et soutenu l’initiative. Puisqu’ils entretenaient des liens avec ces groupes, les médiateurs possédaient les compétences nécessaires pour reconnaître leurs propres limites et aiguiller les personnes âgées vers les organismes appropriés.

À la réception des demandes, le niveau de danger constituait l’un des principaux critères servant à déterminer l’admissibilité d’un cas. Si l’on jugeait que le danger était imminent, le cas était soumis à d’autres organismes, puisque la justice réparatrice n’était pas le mode de résolution approprié. Comme les médiateurs avaient accès à un vaste éventail de soutiens communautaires, ils étaient à même de dépister les cas requérant une intervention immédiate et de les soumettre à des fournisseurs de services plus appropriés.

Les facilitateurs du programme avaient reçu une formation sur le vieillissement, et les cercles étaient conçus pour répondre à tous les besoins en matière d’accessibilité. Malgré cette formation, l’une des lacunes du programme résidait dans la difficulté à former les cercles. De nombreux cas impliquaient des personnes âgées atteintes d’une déficience mentale qui avaient du mal à comprendre le processus et ce qui se passait[537]. Dans ces circonstances, les intervenants devaient admettre qu’il était impossible d’accroître davantage la capacité de participation de la personne au processus et que le cercle n’était plus une solution appropriée. Le nombre de cas résolus s’en est ainsi trouvé réduit, ce qui a révélé davantage les limites du programme que ses faiblesses.

Les relations de violence découlent souvent d’un rapport de force très inégal, où l’une des deux parties abuse de son pouvoir. Ce déséquilibre a toujours posé un défi particulier dans le processus du cercle. Afin de surmonter ce défi, le médiateur organisait des séances préalables à la médiation en vue de cerner tous les enjeux en cause, puis il entamait le processus de reconnaissance et de rétablissement avant d’entreprendre le cercle. Cette façon de faire était nécessaire pour rétablir l’équilibre entre les parties. En outre, les participants eux-mêmes étaient installés en cercle afin de promouvoir l’idée de l’égalité et de l’équilibre entre les parties. Pour rééquilibrer le rapport de force, les membres du cercle étaient également conviés à emmener leurs « alliés », par exemple, des amis ou des préposés aux soins personnels.

Puisque le programme entier était conçu pour contrer la violence envers les personnes âgées, on ne rejetait pas des cas de mauvais traitements qui avaient eu lieu par le passé. Cependant, comme on l’a déjà dit, si le danger demeurait imminent, on avisait d’autres organismes de la nécessité d’intervenir. Certains cas où des accusations avaient déjà été portées ont néanmoins été jugés propices à la justice réparatrice, sous réserve de l’approbation de la Couronne. Dans de tels cas, si l’on parvenait à un accord satisfaisant, les accusations pouvaient être levées. La justice réparatrice convenait également lorsqu’un procès criminel avait eu lieu, puisque le processus contribuait au rétablissement. Le programme a également accepté des litiges civils.

Selon l’évaluation, les plus grandes forces du programme étaient son volet éducatif et son solide réseau de partenaires communautaires. Ces aspects ont contribué à transformer les attitudes des résidents de Waterloo à l’endroit de la violence envers les personnes âgées, ce qui a permis, par conséquent, de renforcer la capacité de la collectivité à lutter contre cette forme de violence et de proposer aux personnes âgées des solutions de règlement de conflits qui favorisent la communication et le rétablissement.

Les participants au programme ont souligné à maintes reprises que le processus répondait à la fois aux besoins de la victime et à ceux du délinquant. On a toutefois fait valoir que le processus ne tenait pas suffisamment compte de l’injustice subie par les victimes[538].

Le fait que peu de personnes ont été aiguillées vers le programme de justice réparatrice constitue sa plus grande faiblesse. Comme on l’a déjà dit, les évaluateurs du programme ont émis l’hypothèse que cette situation était attribuable à la nature trop délicate et confidentielle des conflits. Grâce aux efforts de sensibilisation et de communication, ainsi qu’au lien de confiance établi avec les intervenants, le programme a pu renforcer la capacité des individus à gérer et à lutter contre les cas de violence envers les personnes âgées, en plus de réduire la stigmatisation liée à cette forme de violence. On croit toutefois que certaines personnes pourraient toujours refuser de recourir à ce mode de règlement de conflits, même si on leur en expliquait le fonctionnement en long et en large.

 

Équipe de lutte contre la violence envers les personnes âgées

Puisque les fonds du programme de justice réparatrice s’épuisaient, ses créateurs ont revu leur démarche initiale pour former une équipe de lutte contre la violence envers les personnes âgées. L’objectif de cette initiative consistait à miser sur les réussites du programme pour lui donner une forme plus durable, qui pourrait joindre plus de gens. On a conservé les principes de la justice réparatrice; cependant, on a délaissé le processus des cercles au profit d’une stratégie de gestion des conflits plus globale.

À l’heure actuelle, le programme intervient de manière très souple après l’admission d’un cas et n’adopte pas nécessairement un seul mode de règlement de conflit, comme c’était le cas auparavant. Des membres de l’équipe rencontrent la personne âgée à l’endroit qui lui convient et en compagnie de toute personne dont elle estime la présence nécessaire. À la lumière de cette rencontre, ils déterminent la meilleure façon de résoudre le conflit. Bénéficiant d’un important soutien de la collectivité, l’équipe peut tirer profit de différentes ressources en vue de gérer et de résoudre le conflit. Au final, quelques cas seulement sont confiés au système de justice pénale, lorsqu’on croit qu’il est plus approprié pour gérer le conflit[539].

La démarche adoptée par l’équipe afin d’accroître l’accès à la justice est, en plusieurs points, semblable à celle des cercles de justice réparatrice. Les paragraphes suivants décrivent en quoi la conception différente du programme a une incidence sur sa capacité d’accroître l’accès des personnes âgées à la justice.

Le programme poursuit ses activités d’information et de sensibilisation, et le mandat continu de l’équipe consiste, en partie, à mobiliser le soutien de la collectivité et à renforcer sa capacité de lutter contre la violence envers les personnes âgées[540]. Le nombre de personnes aiguillées vers la nouvelle équipe est suffisant, et ces personnes proviennent de quatorze sources différences, ce qui démontre le solide réseau qu’entretient le programme au sein de la collectivité[541]. Si le programme maintient sa collaboration avec tant d’organismes communautaires différents, il pourrait accroître les connaissances des personnes âgées sur leurs garanties juridiques et les habiliter à reconnaître les mauvais traitements dont elles sont victimes.

Comme on l’a déjà mentionné, communiquer avec l’équipe ne déclenche pas automatiquement une procédure criminelle, ni même, dorénavant, la tenue d’un cercle de justice réparatrice. Ainsi, la personne âgée n’a pas lieu de craindre que ses démarches pour obtenir de l’aide menacent la relation au cœur du conflit. En faisant appel à l’équipe, la personne âgée n’est pas tenue de participer à un cercle; elle obtient plutôt de l’information à propos des options qui s’offrent à elle et du soutien pour s’en prévaloir. Par conséquent, elle s’en trouve non seulement plus apte à gérer elle-même le conflit, mais aussi à gérer l’intervention de tiers dans le règlement du conflit.

Puisque l’équipe ne constitue pas en soi un service de médiation pour personnes âgées, mais plutôt un groupe qui intervient dans un conflit lorsqu’une situation particulière l’exige, on peut difficilement déterminer si elle fait face aux mêmes défis qu’un véritable service de médiation pour personnes âgées. Elle est davantage axée sur la gestion du conflit et l’intervention que sur un processus de médiation rigide.

Ce programme doit sa réussite à ses partenaires au sein de la collectivité. Ces partenariats renforcent l’efficacité des efforts de sensibilisation et la capacité de la collectivité à reconnaître et à gérer les conflits impliquant les personnes âgées. De plus, cette collaboration entre plusieurs organismes donne à la collectivité plusieurs façons d’aider les personnes âgées à résoudre leurs conflits.

Le succès de l’équipe, comparativement aux cercles de justice réparatrice, est également attribuable à sa souplesse. Tandis que les cercles menaient automatiquement à un certain mode de règlement de conflit, l’équipe de lutte contre la violence envers les personnes âgées propose un éventail de possibilités. Elle reconnaît aussi que les cercles ne sont pas toujours la meilleure façon de résoudre les conflits, laquelle varie selon le type de conflit et la personne âgée concernée. Pour certains, le cercle représente la meilleure solution, alors que pour d’autres, il s’agit plutôt d’une consultation à domicile ou d’un aiguillage vers un autre organisme ou groupe. Ce mandat souple reconnaît que chaque conflit est unique, présente des défis différents et exige ainsi un mode de règlement de conflit adapté.

La souplesse de ce service de règlement de conflit peut se révéler particulièrement commode dans les régions rurales. En effet, il peut être difficile, dans certaines régions, de mettre sur pied un service de médiation uniquement consacré aux personnes âgées, d’où la nécessité d’une démarche plus souple. Il arrive que des services de police et organismes communautaires disposent des outils nécessaires pour offrir la médiation, mais qu’ils aient besoin d’un modèle sur lequel se fonder et de ressources supplémentaires. L’équipe de lutte contre la violence envers les personnes âgées peut faire figure de modèle.

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6.      Mécanismes de défense des droits

Les mécanismes de défense des droits peuvent compléter efficacement les mécanismes d’exécution. La défense des droits se définit comme [traduction] « une activité qui consiste à épouser la cause d’une personne ou d’un groupe des personnes en parlant en son nom afin de s’assurer que ses droits sont respectés et que ses besoins sont comblés »[542]. Cette activité peut se faire au profit d’une cause individuelle ou systémique, être de nature juridique ou sociale, et être exercée ou non à la demande d’une personne. Le Bureau de l’intervention en faveur des patients des établissements psychiatriques constitue un exemple d’organisme de défense des causes individuelles. La défense des causes systémiques comporte des points communs avec la fonction de protecteur des citoyens, et peut-être même avec le mandat renouvelé de la CODP. Les organismes de défense des causes individuelles et systémiques accomplissent des fonctions différentes de protection des droits et peuvent contribuer grandement, chacun à leur façon, à garantir aux personnes âgées un accès véritable aux lois.

Le rapport Vous n’êtes pas seul : examen des mesures d’intervention en Ontario, publié en 1987, a présenté la conclusion suivante :

[traduction] Le concept de « vulnérabilité » peut susciter la nécessité de défendre les intérêts de la personne vulnérable, car celle-ci dépend souvent d’autrui et est, par conséquent, davantage exposée aux mauvais traitements, à la négligence ou à l’abandon[543].

Dans ce rapport, les adultes vulnérables désignent les personnes atteintes de déficiences physiques, affectives ou cognitives qui les rendent dépendants des soins prodigués par d’autres, réduisent leur capacité à communiquer, causent leur stigmatisation ou leur dévalorisation aux yeux des autres, ou encore entraînent leur admission dans un établissement de soins. Selon ce rapport, les services de défense des droits bien conçus peuvent favoriser le respect des droits et de la dignité des personnes âgées vulnérables; garantir que leurs droits sont compris, reconnus et protégés; favoriser leur autodétermination; accroître leur autonomie et leur indépendance; et les protéger contre l’exploitation financière ainsi que la violence physique et psychologique[544].

L’Association du Barreau de l’Ontario, dans son mémoire à la CDO, a indiqué que les systèmes de défense des droits ont beaucoup à apporter aux personnes âgées, dans la mesure où ils concilient de manière appropriée les besoins en matière d’efficacité et d’accessibilité, d’une part, et la protection des droits d’examen et l’application régulière de la loi, d’autre part[545].

La nécessité des organismes de défense des droits indépendants est un thème qui est revenu souvent dans les groupes de discussion tenus par l’ACE auprès de résidents de foyers de soins de longue durée et de leur famille : 

[traduction] L’ACE a entendu à maintes reprises qu’une certaine forme de défense des droits indépendante, dans le cadre de laquelle les défenseurs se rendraient directement aux foyers pour rencontrer les résidents, serait bénéfique. De nombreux résidents ont déclaré qu’ils craignaient d’exprimer leurs préoccupations parce qu’ils avaient peur des représailles ou d’être étiquetés comme « faiseurs de troubles ». Un certain nombre de résidents se sont plaints que leurs préoccupations étaient ignorées jusqu’à ce qu’un membre de leur famille intervienne. Plusieurs membres de familles de résidents ont expliqué qu’ils ne pouvaient déceler ou prévenir des problèmes que s’ils se rendaient au foyer tous les jours ou régulièrement [546].

Comme mentionné dans l’exemple ci-dessous, l’ACE a recommandé qu’on crée une commission des soins de santé et que l’on élargisse la compétence du Bureau de l’Ombudsman de l’Ontariola afin d’assurer la défense des droits des résidents des foyers de soins de longue durée, sur une base individuelle et collective[547].

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EXEMPLE : MÉCANISMES DE DÉFENSE DES DROITS 

Commissaire aux personnes âgées du pays de Galles

Le pays de Galles a récemment établi, en vertu de la loi, la première commission indépendante des personnes âgées au monde. La loi instaurant cette commission a été adoptée en 2006[548], et le premier commissaire a été nommé au printemps 2008.

Le groupe consultatif constitué pour examiner la création de cette commission a déclaré que, compte tenu de la gamme très variée de services mis à la disposition des personnes âgées du pays de Galle, un commissaire aux personnes âgées jouerait un rôle important en :

 [traduction] s’assurant que ces nombreux services tiennent compte des intérêts et des droits des personnes âgées. Dans le cadre de ses fonctions de contrôle et de représentation, le commissaire cherchera à susciter l’amélioration et l’adaptation des services de sorte que les personnes âgées ne subissent aucun préjudice relativement à l’accès aux services, à la prestation des services et à leurs résultats, comparativement au reste de la population. Il sera en mesure d’assumer un rôle « d’arbitre » si, en dernier recours, une personne âgée est incapable de trouver un organisme public disposé à l’aider à trouver une solution au problème qu’elle a rencontré avec un service[549].

La vision globale de la commission est exprimée dans les termes suivants : 

[traduction] Nous voulons un pays de Galles où le respect des droits et de la dignité des personnes âgées est une réalité dans tous les aspects de la vie, où la discrimination fondée sur l’âge est chose du passé et où règne une perception positive du vieillissement et des personnes âgées[550].

 Le mandat de la commission est vaste. En effet, la loi l’autorise à : 

a)      sensibiliser la population aux intérêts des personnes âgées du pays de Galles et à la nécessité de protéger ces intérêts;

b)      contribuer à la création de possibilités pour les personnes âgées du pays de Galles et à l’élimination de la discrimination contre celles-ci;

c)      encourager l’adoption de pratiques exemplaires dans la prestation de soins aux personnes âgées du pays de Galles;

d)      évaluer sur une base régulière la pertinence et l’efficacité des lois qui ont une incidence sur les intérêts des personnes âgées du pays de Galles.

Le commissaire peut également examiner toute question se rapportant aux intérêts des personnes âgées du pays de Galles et présenter ses observations à ce sujet à l’assemblée[551]. 

Il convient de noter que l’intervention du commissaire dans les cas individuels se limite à ceux qui ont une portée générale. Il n’intervient pas dans les autres cas individuels, même si aucun autre organisme ne peut les traiter. Bref, son mandat est entièrement axé sur la défense des causes systémiques plutôt qu’individuelles.

Les pouvoirs d’examen de la commission comprennent notamment l’autorisation de s’introduire dans un lieu et de procéder à un interrogatoire, ainsi que le pouvoir d’exiger de l’information. Le commissaire peut émettre des rapports et des recommandations et exiger des réponses écrites à ses recommandations. Cependant, il ne peut pas imposer le respect de ses recommandations; à cet égard, il fonctionne comme un bureau du protecteur des citoyens.

À ce jour, le commissaire a à son actif les réalisations suivantes[552] : 

a)      Il a entrepris une enquête sur les soins aux personnes âgées dans les hôpitaux qui a donné lieu à un important rapport soulignant la nécessité d’apporter des « changements fondamentaux » afin de s’assurer que les personnes âgées sont traitées avec dignité et respect dans ces établissements. Les hôpitaux disposent d’un certain délai pour répondre par écrit aux recommandations de changement présentées dans le rapport.

b)      Il a tenu des consultations publiques en vue de formuler des recommandations pour le projet de la commission du droit de l’Angleterre et du pays de Galles sur la réforme du droit en matière de services sociaux pour adultes.

c)      Il a mis sur pied un service d’information destiné aux personnes âgées, combiné à un service d’aiguillage et de règlement des conflits.

d)      Il a préparé des documents énonçant sa position de principe sur de nombreux enjeux, dont la violence envers les personnes âgées et les allocations pour soins.

e)      Il a établi un partenariat avec les ministères responsables de l’administration des pensions afin d’encourager les personnes âgées à revendiquer leurs droits à une pension.

Plusieurs États songent à se doter d’un organisme semblable, dont l’Écosse et l’Australie[553]. 

Dans son rapport de recherche à l’intention de la CDO, Congregate Living and the Law as it Affects Older Adults, l’ACE a exprimé quelques réserves quant à ce genre d’organismes de défense des droits des personnes âgées :

[traduction] L’ACE n’appuie pas la constitution d’un organisme voué à la défense des droits des personnes âgées. Bien que certains États, comme le pays de Galles et l’Australie, aient limité leurs services aux personnes âgées, nous ne croyons pas que cette démarche soit à privilégier. Nous déconseillons la création d’un cadre basé sur la perception selon laquelle les personnes âgées ont une capacité réduite et doivent être protégées. En termes simples, les personnes âgées sont des êtres humains. L’ACE estime que tous les utilisateurs du système de santé devraient bénéficier des services d’un défenseur, indépendamment de leur âge. Nous voulons nous éloigner des stéréotypes âgistes au profit d’une démarche fondée sur les droits. En outre, puisqu’il n’existe aucune définition généralement reconnue du terme « personne âgée », les personnes plus jeunes qui habitent un foyer de soins de longue durée ou un hôpital se verraient refuser l’aide d’un défenseur des droits des aînés[554].

Selon l’ACE, bien que l’existence de mécanismes de défense des droits soit souhaitable, les personnes âgées vivant dans des habitations collectives profiteraient davantage de la mise en place d’une commission aux soins de santé qui agirait à titre de corps législatif indépendant responsable de surveiller les défenseurs en matière de soins de santé travaillant dans les hôpitaux, les foyers de soins de longue durée et les maisons de retraite. Selon l’information fournie par des défenseurs de causes individuelles, cette commission aux soins de santé pourrait procéder à la défense des causes individuelles et systémiques[555]. Même si une telle commission était très bénéfique pour les personnes âgées, son mandat engloberait les gens de tous âges et serait défini en fonction des enjeux plutôt que de l’âge.

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7.      Mécanismes de surveillance et de contrôle

Une utilisation cohérente des mécanismes visant à assurer la reddition de comptes, la transparence et l’efficacité profiterait aux systèmes de mise en œuvre et d’exécution des lois qui ont une incidence sur les personnes âgées vulnérables. Comme de nombreux systèmes touchant majoritairement les personnes âgées ne sont pas suffisamment contrôlés et surveillés, il est impossible de déterminer si les personnes âgées ont véritablement accès à ces lois ou d’établir la mesure dans laquelle elles sont victimes de mauvais traitements ou de violations de leurs droits. 

Les exigences en matière de déclaration obligatoire peuvent se révéler efficaces pour contraindre les établissements à respecter les lois et contribuer à déceler les problèmes et les cas d’abus sans que les victimes aient à porter plainte. Au sujet de ces exigences, auxquelles sont assujettis les foyers de soins de longue durée, l’ACE a mentionné ceci :

[traduction] L’information disponible n’est pas à jour ni structurée de manière à ce qu’elle soit facile à comprendre. En outre, elle ne fournit pas suffisamment de détails précis sur les infractions, puisqu’elle n’indique que les normes ou les critères généraux qui n’ont pas été respectés. La publication du véritable rapport d’enquête (en supprimant les renseignements permettant d’identifier les résidents ou le personnel) s’avérerait bénéfique pour plusieurs raisons. Premièrement, elle forcerait les foyers à s’améliorer, étant donné que le public pourrait avoir plus facilement accès à des renseignements détaillés et serait moins enclin à choisir des foyers qui ont fait l’objet de nombreuses plaintes et qui ont omis de respecter plusieurs normes. Deuxièmement, elle profiterait à certains foyers en démontrant que leurs infractions étaient de nature administrative et ne révélaient pas des lacunes dans les soins offerts aux résidents. Le ministère devrait suivre l’exemple d’autres pays (p. ex. le pays de Galles et l’Australie) qui publient des rapports beaucoup plus complets[556].

Bien entendu, ces mécanismes peuvent également comprendre la surveillance directe de la part du gouvernement au moyen de la délivrance de permis ou de processus de vérification. Le nouveau mécanisme de réglementation des maisons de retraite, décrit plus tôt dans le présent chapitre, comporte une exigence en matière de délivrance de permis.

 

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