A.    Introduction

Dans le chapitre qui précède, nous avons formulé des recommandations qui pourraient être mises en œuvre dans un avenir rapproché. Dans le présent chapitre, nous proposons des réformes fondamentales qui constituent un point de départ pour le moment où le contexte financier et la volonté politique permettront ensemble des réformes plus profondes du système. 

Nos recherches, notamment les consultations auprès des utilisateurs et des travailleurs du système, nous ont amenés à conclure que le système de droit de la famille en Ontario nécessite un changement profond pour être vraiment efficace et adapté. Nonobstant le bien‑fondé de réformes particulières (qui en soi peuvent fort bien être louables), ces réformes ont été superposées à un système existant. Différents intervenants entreprennent de nouveaux programmes d’information; d’autres élaborent une autre place à laquelle les utilisateurs peuvent se rendre. Le système devient un labyrinthe et, pour certaines personnes, une série d’obstacles.  

Encore une fois, cela ne signifie pas que les outils qui ont récemment été élaborés ou élargis ne sont pas utiles. Toutefois, chacun n’est probablement utile que pour un groupe précis, parfois relativement petit, d’utilisateurs : l’aide juridique pour les personnes manifestement défavorisées; la gestion des causes pour les familles à niveau de conflit très élevé; les guides destinés aux personnes ayant une connaissance (considérable) de la terminologie juridique; la formation pour les parties à un conflit à faible niveau qui se rendent au palais de justice et qui ne connaissent pas le règlement extrajudiciaire des différends. Nous reconnaissons que les recommandations à court terme que nous avons formulées auront souvent aussi une portée limitée. Après les réformes de la justice familiale 2010‑2011 et même avec davantage d’investissements qui nécessitent peu de fonds, voire même aucuns, cependant, les principaux problèmes demeureront. 

Nous comprenons qu’à court terme, il est peu probable que des fonds soient consacrés à des changements importants au système familial. Néanmoins, nous sommes d’accord avec le juge en chef Winkler, lorsqu’il déclare ce qui suit :

[traduction]

Je ne crois pas que [les changements requis au système de droit de la famille] puissent être réalisés au moyen de retouches mineures du système actuel de droit de la famille ou de la superposition de nouvelles procédures et de nouveaux services au système actuel. C’est une réforme fondamentale du système actuel qui permet le mieux les réformes que je propose. C’est seulement de cette façon que nous pouvons garantir convenablement que tous les éléments du système de justice familiale s’harmonisent de manière à donner un système cohérent et équilibré qui est abordable, rapide, facile à comprendre et facile à parcourir.[450]  

Même si aux points d’entrée bon nombre des problèmes structurels touchant le système ne seront pas réglés, nous croyons qu’à long terme, des investissements dans les points d’entrée peuvent rendre le système de justice familiale plus adapté et efficace en réduisant la pression imposée aux personnes ayant un différend familial et au système de justice familiale. Nous croyons aussi que les méthodes globales sont susceptibles d’avoir un effet social plus important.

À cet égard, nous mentionnons les problèmes soulignés en ce qui concerne la prestation des soins de santé et qui pourraient être similaires aux problèmes affectant le système de justice familiale. Dans l’article Health‑care system needs a front door, André Picard déclare que [traduction] « sans point d’entrée clairement indiqué, il est beaucoup plus difficile de coordonner les mesures »[451]. Il souligne que [traduction] « il n’y a pas de place dans le système de soins de santé où les patients peuvent régulièrement s’adresser pour obtenir les soins dont ils ont besoin rapidement et efficacement et qui les suit dans leur parcours dans le système de soins de santé. Le point d’entrée de facto devient la salle d’urgence plutôt qu’un aidant régulier (médecin de famille). Pour cette raison, il n’y a aucune véritable sentinelle pour les services coûteux et il y a peu de continuité dans les soins. La transition d’un niveau de fournisseur de soins de santé à un autre est « là où toutes les choses négatives se produisent ». Il ajoute que des équipes interdisciplinaires, composées d’infirmières, de pharmaciens et d’autres professionnels de la santé, pourraient procurer de la continuité. C’est ce que le Collège des médecins de famille du Canada (CMFC) qualifie de « centre de médecine de famille »[452]. Le CMFC estime que la continuité des soins constitue l’un des objectifs du centre de médecine de famille[453]. 

Il y a manifestement des différences entre la prestation de soins de santé et la prestation du service de justice familiale, mais, par exemple, en raison de la durée potentiellement beaucoup plus longue d’une relation patient‑médecin de famille comparativement à une relation client‑avocat familialiste, la prestation de services de justice familiale pourrait devenir plus efficace au moyen d’une « porte d’entrée », de la prévention rapide des problèmes et de la continuité des services. Cette porte d’entrée devrait être créée près des clients et des collectivités plutôt que dans une « salle d’urgence ». Nous mentionnons qu’Aide juridique Ontario qualifie les services des avocats de service de « service des urgences du système judiciaire »[454]. 

Manifestement, les services aux points d’entrée sont fondés sur les ressources du système et la transition d’une étape à l’autre. Parmi les exemples de bonnes pratiques de points d’entrée, on mentionne souvent les bureaux de conseil aux citoyens du R.‑U[455] et les centres de relations australiens[456]. Toutefois, ces systèmes comportent aussi des faiblesses, par exemple en ce qui concerne le caractère abordable du processus judiciaire pour le R.‑U[457] et le caractère abordable de l’assistance juridique ainsi que la situation des groupes vulnérables en Australie[458]. Le manque de continuité (en d’autres termes, la transition des services aux points d’entrée aux services juridiques complets) constitue une source de préoccupations. 

Au Canada, la continuité des services peut représenter un défi particulier pour la classe moyenne, dont les membres ne sont pas admissibles à l’aide juridique ni ne peuvent se payer une représentation juridique approfondie. Néanmoins, il ne faut pas oublier que les critères d’admissibilité à l’aide juridique signifient que non seulement les membres de la classe moyenne ou les gens qui gagnent un revenu moyen ne sont pas admissibles, mais que bon nombre de personnes de la classe ouvrière ne le sont pas non plus.

 

B.    Un modèle à suivre 

Chaque système de justice familiale agit dans son contexte particulier. Les critères applicables pour un système de justice familiale efficace, qui seraient utiles dans le contexte ontarien, se retrouvent dans le document de conférence 2009 du gouvernement de l’Australie « Towards a National Blueprint for the Family Law System », qui insiste sur un processus rationalisé, simple, équitable, souple et coordonné avec des chevauchements minimes, compte tenu de la sécurité de toutes les parties, qui accorde la priorité aux intérêts de l’enfant et qui [traduction] « renforce l’accessibilité culturelle »[459].

Nos recommandations à long terme sont fondées sur l’objectif de la création d’un système de droit de la famille qui procure l’accès à la justice, mesuré par la réalisation aux points d’entrée de ce qui suit :

  • fournir des renseignements initiaux accessibles aux gens dans leur vie quotidienne;
  • aider une personne à déterminer la nature de son ou de ses problèmes familiaux;
  • fournir des conseils initiaux qui aident une personne à décider si elle désire que le système juridique l’aide à régler son ou ses problèmes familiaux;
  • aider les personnes à trouver une méthode de régler leur problème qui soit aussi simple et rapide que possible;
  • minimiser le dédoublement des personnes et des institutions avec lesquelles le particulier doit traiter;
  • répondre aux besoins particuliers de la personne autant que possible, compte tenu de l’existence de violence familiale et de facteurs comme les normes culturelles, le statut d’autochtone, la langue, l’invalidité et d’autres caractéristiques majeures;
  • ne pas compromettre les droits des membres de la famille, notamment le droit à l’égalité;
  • combler les besoins des enfants;
  • tenir compte de la capacité financière des personnes sans compromettre la qualité du service;
  • répondre aux nombreux problèmes connexes aux problèmes familiaux;
  • encourager la communication entre différents aspects du système. 

Idéalement, un système de justice familiale s’inscrit dans un système plus général de services familiaux. Ce système comporte divers points d’entrée pour les personnes aux prises avec des problèmes relationnels ou une rupture