Le présent chapitre servira à illustrer l’application du cadre en examinant un enjeu actuel du droit touchant les personnes âgées : le droit relatif aux soins à domicile.

Cette illustration n’a pas pour but de fournir une description complète de ce domaine du droit ou de proposer des initiatives de réforme précises. Elle vise plutôt à proposer une réflexion sur le sujet à la lumière des principes anti-âgistes et des considérations qui ont été retenus dans ce rapport provisoire. En outre, lorsque cela est possible, elle servira à cerner des enjeux et des orientations générales pour une réforme qui découlerait de l’application de ces principes et de ces considérations, dans le but d’établir une base pour d’autres projets de recherche et initiatives de réforme. 

Le droit relatif aux soins à domicile soulève aussi des questions qui concernent les jeunes adultes vivant avec des incapacités, et pourrait être envisagé dans l’optique du projet parallèle de la CDO sur le droit touchant les personnes handicapées, mais le présent chapitre se limitera aux expériences des personnes âgées.

Ce domaine a été choisi parce que, bien qu’il soit essentiel au bien-être de nombreuses personnes âgées et que ce sujet revienne souvent dans les discussions publiques et les débats sur les politiques, le droit en la matière a été peu étudié. Ce domaine du droit est lié de manière fondamentale à plusieurs des principes anti-âgistes qui ont été retenus. Il illustre également un certain nombre de thèmes clés, y compris l’écart entre le contenu du droit et son application.

 

A.  Contexte

Comme nous l’avons vu au chapitre II de ce rapport provisoire, la majorité des personnes âgées expriment une préférence marquée pour « vieillir chez elles », c’est-à-dire rester dans leur maison et leur collectivité le plus longtemps possible. Le vieillissement chez soi fait également partie des priorités stratégiques des gouvernements, d’une part parce que les résultats pour les personnes âgées sont meilleurs et de l’autre parce que cela peut contribuer à la pérennité du système de soins de santé[557].

Comme la santé globale peut diminuer en vieillissant et que les personnes âgées peuvent connaître toutes sortes de limitations de leurs capacités, ces personnes peuvent avoir besoin de divers types d’aide pour vieillir chez elles. Cela comprend l’aide aux tâches domestiques, comme le magasinage, les courses ou le ménage, ou aux soins personnels, comme le bain, ainsi que des mesures de soutien liées à la santé, comme l’ergothérapie. Le plus souvent, ce soutien est assuré par la famille et les amis, c’est-à-dire les conjoints, les enfants, les voisins ou d’autres personnes. Certaines personnes âgées, toutefois, n’ont ni famille ni amis vivant à proximité ou ayant une santé ou les capacités suffisantes pour offrir ce soutien. Dans d’autres cas, le soutien dont la personne âgée a besoin est bien au-delà de ce qui peut être fourni de manière informelle; c’est alors que des soins formels à domicile sont nécessaires.

Les services de soins à domicile sont bien sûr étroitement liés aux soins hospitaliers et aux soins de longue durée. S’ils sont bien établis, ils peuvent réduire la pression sur ces derniers, en permettant aux personnes âgées et à d’autres personnes qui ont recours à ces services de retourner ou de demeurer chez elles en bénéficiant du soutien approprié, au lieu de passer à des services plus intensifs fournis par des hôpitaux et des établissements de soins de longue durée. Inversement, les ressources limitées dans les soins hospitaliers et les soins de longue durée peuvent créer des difficultés dans le système de soins à domicile, puisque des personnes ayant des besoins élevés sont incapables d’obtenir le soutien intensif requis et doivent compter sur les soins à domicile en attendant d’avoir accès aux soins de niveau supérieur.

Les politiques et les programmes concernant les soins formels à domicile sont aussi étroitement liés à ceux qui visent les soins informels. La majeure partie des soins aux personnes âgées est dispensée dans la collectivité par la famille et les amis. Avec l’évolution des tendances démographiques, l’accès des personnes âgées aux mesures de soutien informelles est parfois réduit, soit parce que les familles sont dispersées aux quatre coins du pays (ou du monde) ou qu’elles deviennent plus petites et plus complexes, que les changements dans le secteur de l’emploi ont créé de nouvelles contraintes de temps, ou que les aidants naturels vieillissent eux aussi et sont ainsi moins en mesure de donner des soins. Parallèlement, le manque de soins formels à domicile peut entraîner des pressions énormes sur les aidants naturels. Lorsque le soutien est insuffisant, les réseaux informels peuvent crouler sous la pression, entraînant le placement en établissement de la personne âgée[558]. Comme le faisait remarquer l’Advocacy Centre for the Elderly (ACE) :

[traduction] [l]es soins aux personnes âgées sont donnés en bonne partie dans la collectivité par les membres de la famille. Non seulement est-il plus facile ainsi de « vieillir chez soi », mais cela permet aussi d’économiser des ressources publiques. Malheureusement, les services en place pour aider les aidants naturels sont très limités, ce qui crée un système du « tout ou rien » dans lequel les familles sentent qu’elles n’ont d’autre choix que de placer leur proche dans un établissement de soins de longue durée[559].

Bien entendu, les soins à domicile ne profitent pas qu’aux personnes âgées. Les personnes ayant souffert d’une maladie aiguë peuvent avoir besoin de soins à domicile pour les aider à se rétablir après avoir obtenu leur congé de l’hôpital. D’autres ayant une incapacité, mais qui ne sont pas considérées comme des personnes âgées, peuvent bénéficier d’une gamme de services personnels, domestiques et professionnels dispensés à la maison. 

Par conséquent, les gouvernements, y compris celui de l’Ontario, ont investi dans divers types de soins à domicile destinés aux personnes âgées. Selon le vérificateur général de l’Ontario :

[l]e Ministère reconnaît que l’amélioration des services de soins à domicile présente un double avantage. En effet, en plus d’offrir une meilleure qualité de vie au patient, cette option est beaucoup plus rentable que le placement dans un hôpital, un foyer de soins de longue durée ou un autre établissement institutionnel. Le représentant d’un CCAC à qui nous avons parlé nous a informés que les services de soutien à la personne pouvaient, par exemple, permettre aux clients à risque moyen ou aux besoins modérés de continuer de vivre de façon indépendante chez eux. Les clients qui n’ont pas accès à ces services risquent de voir leur état se détériorer et d’être hospitalisés ou placés dans un établissement[560].

En Ontario, les soins à domicile sont régis par la Loi de 1994 sur les services de soins à domicile et les services communautaires (LSSDSC)[561] et sont offerts par un réseau de Centres d’accès aux soins communautaires (CASC) répartis dans toute la province.

En raison des pressions croissantes exercées par les changements démographiques et les ressources limitées sur les services de soins à domicile, d’importantes préoccupations sont apparues au sujet de l’accès à ces soins. Le manque d’accès à des soins à domicile adéquats peut laisser les personnes âgées dans des conditions préjudiciables à leur sécurité et à leur dignité, et faire peser un fardeau insupportable sur les aidants naturels, en plus d’entraîner des admissions inévitables dans les hôpitaux ou les établissements de soins de longue durée. Les observateurs ont soulevé des questions à propos des services fragmentaires, du manque de transparence concernant les services offerts, des critères d’admissibilité incohérents, et des mécanismes de plainte et d’application inadéquats. Même si l’on a beaucoup parlé des soins à domicile au cours des dernières années, on s’est bien peu intéressé aux aspects juridiques de cette question. La présente section se penche sur le droit ontarien sur l’accès aux soins à domicile, dans le contexte du cadre provisoire de la CDO.

 

B.  Le cadre législatif de l’Ontario en matière de soins à domicile

1.    Contexte

Les objets de la LSSDSC sont entre autres de veiller « à ce qu’un large éventail de services communautaires soit offert aux gens dans leur propre foyer et dans d’autres cadres communautaires de sorte que d’autres choix soient possibles parallèlement aux soins en établissement », de fournir « soutien et relève aux parents, amis, voisins et autres particuliers qui fournissent des soins à une personne à son domicile », de promouvoir « l’équité d’accès aux services communautaires grâce à l’application de critères d’admissibilité cohérents et de règles et de marches à suivre uniformes », et d’intégrer les services communautaires et les autres types de services, y compris ceux qui sont dispensés par des hôpitaux et des foyers de soins de longue durée[562].

La LSSDSC régit la prestation[563] : 

  1. de services de soutien communautaire, tels que les services de repas, de transport, de soutien aux fournisseurs de soins, d’entretien ménager et récréatifs;
  2. de services d’aides familiales, tels que le ménage, la lessive, le magasinage, les visites à la banque, la préparation des repas et les soins des enfants;
  3. de services de soutien personnel, y compris l’assistance ou la formation pour les activités relatives à l’hygiène corporelle ou les activités personnelles régulières de la vie courante;
  4. de services professionnels, y compris les services infirmiers, d’ergothérapie, de physiothérapie, de travail social et de diététique et les services similaires.

La LSSDSC comprend une déclaration des droits des personnes qui reçoivent des services de soins à domicile. Celle-ci inclut le droit[564] :

  • d’être traitée avec courtoisie et respect, sans subir de mauvais traitements de quelque nature que ce soit;
  • d’être traitée d’une manière qui respecte sa dignité et son intimité et qui favorise son autonomie;
  • d’être traitée d’une manière qui reconnaît son individualité et qui est attentive aux besoins fondés sur des considérations ethniques, spirituelles, linguistiques, familiales et culturelles;
  • d’être informée sur les services communautaires qui lui sont fournis; des lois, des règles et des politiques qui influent sur le fonctionnement du fournisseur de services; et de la marche à suivre pour porter plainte;
  • de participer à l’évaluation de ses besoins et à l’élaboration d’un programme de services;
  • de donner ou de refuser son consentement à la fourniture de tout service;
  • de soulever des questions ou de recommander des changements à l’égard des services qui lui sont fournis ou des politiques et des décisions qui influent sur ses services;
  • de voir respecter le caractère confidentiel de ses dossiers.

 

2.    Structure de fourniture des services

La LSSDSC accorde au ministre de la Santé et des Soins de longue durée (MSSLD) beaucoup de latitude en ce qui concerne la fourniture des services : les services peuvent être fournis directement par le gouvernement; celui-ci peut payer d’autres parties pour qu’elles fournissent des services communautaires, au moyen de subventions et de contributions, ou d’une aide financière au titre des dépenses d’exploitation ou des dépenses en immobilisations; ou encore il peut conclure des ententes avec d’autres parties aux fins de la fourniture de services[565]. Le Ministre a le pouvoir d’agréer les organismes aux fins de la fourniture des services et d’agréer les locaux en vue de la fourniture des services, et peut assortir l’agrément de conditions[566].

Les Centres d’accès aux soins communautaires (CASC), qui sont des organismes agréés en vertu de l’article 5 de la LSSDSC, ont été créés en 1996, en remplacement des services régionaux de soins à domicile et de placement, qui avaient été critiqués en raison de leur fragmentation et de leur iniquité[567]. De 42 qu’ils étaient au départ, ils ont été regroupés en 2006 dans 14 organismes afin de couvrir les mêmes territoires que les réseaux locaux d’intégration des services de santé (RLISS)[568]. Chaque CASC relève maintenant de l’un des RLISS, et chaque RLISS relève du Ministère[569]. Les CASC évaluent l’admissibilité aux services des clients potentiels, approuvent les clients qui recevront des soins à domicile et répartissent les fonds disponibles[570]. Les CASC ne dispensent pas eux-mêmes les services. En théorie, des organismes à but lucratif et non lucratif peuvent se faire concurrence pour offrir des services en soumissionnant des contrats dans le cadre d’une demande de propositions. Dans la pratique, le processus concurrentiel a été suspendu à de nombreuses occasions[571].

 

3.    Critères d’admissibilité aux services de soins à domicile

Le Règlement 386/99 énonce certaines exigences liées à l’admissibilité aux services. Les exigences n’établissent pas qui est admissible aux services, mais plutôt qui n’est pas admissible. Par exemple, les services d’aide familiale peuvent ne pas être offerts, sauf si la personne en question :

  • est assurée en vertu de la Loi sur l’assurance-santé;
  • est admissible à la fois aux services de soutien personnel et aux services d’aide familiale;
  • soit reçoit des services de soutien personnel et d’aide familiale d’un aidant naturel ayant besoin d’aide pour continuer de dispenser tous les soins requis ou exige une surveillance constante en raison d’une déficience cognitive ou d’une lésion cérébrale acquise, et que la personne qui lui dispense des soins a besoin d’assistance pour les services d’aide familiale;
  • recevra les services à un endroit doté des caractéristiques physiques nécessaires;
  • et qu’il n’y a pas de risque important de blessure grave pour la personne qui dispense les services d’aide familiale, ou, si ce risque est présent, des mesures peuvent être prises pour le réduire de manière à ce qu’il ne soit plus important[572]. 

Il y a relativement peu de jurisprudence pour interpréter les critères d’admissibilité en vertu de la LSSDSC. Dans un cas, cependant, la Commission d’appel a statué que les critères devaient être interprétés à la lumière des objets de la LSSDSC, y compris celui de promouvoir « la collaboration et la coordination entre les fournisseurs de services communautaires et les fournisseurs d’autres services de santé et services sociaux » et « la gestion efficiente et efficace des ressources humaines, financières et autres liées à la fourniture des services communautaires[573] ».

Le Règlement établit des quantités maximales de services. Par exemple, la quantité maximale de services de soutien personnel et d’aide familiale combinés est de 120 heures pour les 30 premiers jours de service, et de 90 heures pour chaque période de 30 jours subséquente. Certaines exceptions sont prévues, par exemple pour les personnes en fin de vie, celles qui sont sur une liste d’attente pour des soins de longue durée ou d’autres situations extraordinaires[574].

Dans la pratique, l’admissibilité est déterminée par les représentants du CASC. Puisque aucune norme n’est requise par la loi pour évaluer l’admissibilité outre les dispositions du Règlement établissant qui n’est pas admissible aux services, les CASC ont mis au point un outil standard d’évaluation initiale (Contact Assessment Tool) pour déterminer l’admissibilité des clients dans les 14 CASC[575].

 

4.    Prestation des services

Pour chaque personne qui présente une demande de services, l’organisme doit évaluer les besoins de celle-ci et déterminer son admissibilité, puis rédiger un programme de services. Le programme de services doit être révisé régulièrement afin de l’adapter aux changements dans la situation de la personne, et celle-ci doit avoir la possibilité de participer pleinement à l’élaboration, à l’évaluation et à la révision de son programme de services. Le programme de services doit aussi tenir compte des préférences de la personne, y compris les préférences fondées sur des considérations ethniques, spirituelles, linguistiques, familiales et culturelles[576].

Les services décrits dans le programme de services doivent être fournis dans un délai raisonnable, et s’ils ne sont pas accessibles immédiatement, la personne doit être mise sur une liste d’attente[577].

Les fournisseurs de services doivent afficher dans leurs locaux une copie de la déclaration des droits ainsi que de toute entente de responsabilisation en matière de services conclue avec un RLISS[578]. En outre, chaque organisme doit fournir à ses clients ou aux personnes légalement autorisées à prendre des décisions en leur nom un avis écrit énonçant :

  • leurs droits en vertu de la déclaration des droits;
  • la marche à suivre de l’organisme pour porter plainte;
  • l’information concernant la protection des renseignements personnels et la confidentialité;
  • (le cas échéant) l’information au sujet des ententes de responsabilisation en matière de services conclues par l’organisme[579].

Les organismes doivent de plus élaborer et mettre en œuvre des programmes visant à prévenir et à dépister les mauvais traitements à l’endroit des personnes qui reçoivent des services ainsi qu’à remédier à ces problèmes, de même qu’un système de gestion de la qualité[580]. La LSSDSC établit les exigences pour la protection et la confidentialité des renseignements personnels des clients[581].

 

5.    Supervision des organismes

Le Ministre peut nommer des superviseurs de programmes, qui sont habilités à mener des inspections des fournisseurs de services communautaires (avec un mandat si nécessaire) et qui ont le pouvoir de copier et d’enlever des documents[582].

Le Ministre peut révoquer ou suspendre l’agrément d’un organisme ou de locaux, ou la désignation d’un organisme multiservices lorsqu’il estime, en se fondant sur des motifs raisonnables, qu’il y a eu contravention aux conditions imposées par le Ministre, la LSSDSC ou les règlements, ou violation d’une entente[583]. Le Ministre peut aussi « prendre en charge » un organisme, destituer et remplacer l’ensemble ou une partie des membres du conseil d’administration, ou prendre directement la direction de l’organisme ou d’une partie de celui-ci, et exploiter et gérer l’organisme ou une partie de celui-ci[584].

 

6.    Mécanismes de plainte et d’application

Les dispositions de la LSSDSC qui énoncent la « déclaration des droits » constituent un contrat réputé conclu entre le fournisseur de services et la personne qui reçoit le service, de telle manière que le bénéficiaire de service pourrait, en théorie, intenter une action en justice pour violation de contrat dans le but de faire respecter ces droits, bien que la faisabilité d’une telle approche soit très discutable[585].

Les organismes agréés pour la fourniture des services (les CASC) ont l’obligation de mettre sur pied un processus pour recevoir et examiner les plaintes concernant[586] :

  1. une décision sur l’admissibilité aux services;
  2. la décision d’exclure un service particulier du programme de services d’une personne;
  3. une décision concernant la quantité de tout service devant faire partie du programme de services d’une personne;
  4. la décision de mettre fin à la fourniture des services à une personne;
  5. la qualité d’un service fourni à une personne;
  6. la violation des dispositions de la déclaration des droits.

L’organisme doit examiner toutes les plaintes concernant la qualité des services ou la déclaration des droits et y répondre dans un délai de 60 jours. Pour tous les autres types de plaintes, l’organisme doit donner un avis écrit de sa décision au sujet de la plainte dans les 60 jours. Ces décisions peuvent être portées en appel devant la Commission d’appel et de révision des services de santé (CARSS). La CARSS doit ensuite tenir une audience sur cette plainte dans les 30 jours. Elle peut confirmer la décision, l’annuler et renvoyer l’affaire à l’organisme pour qu’il prenne une nouvelle décision, ou l’annuler et substituer sa propre décision à celle de l’organisme. Les décisions de la CARSS sont sans appel[587].

Depuis peu, les clients de services de soins à domicile ont aussi la possibilité de communiquer avec la Ligne ACTION des soins de longue durée pour recevoir de l’information et de l’aide sur les questions relatives aux services qu’ils reçoivent.

 

C.  Évaluation du cadre législatif de l’Ontario en matière de soins à domicile

L’évaluation suivante de la LSSDSC est basée sur les questions figurant dans le cadre provisoire (annexe A) du présent rapport provisoire. Comme les questions du cadre ne sont pas toutes applicables à ce domaine du droit particulier, elles ne sont pas toutes traitées. Les résultats sont donc présentés sous forme d’exposé, plutôt que répartis par question. 

L’évaluation est fondée sur un examen de la loi, de la jurisprudence, de documents gouvernementaux et des recherches pertinentes en sciences sociales. Elle n’a pas fait l’objet d’une consultation publique ou d’une nouvelle recherche. Comme nous l’avons mentionné au début du présent chapitre, elle ne vise pas à produire un examen exhaustif de ce domaine du droit. Il s’agit plutôt d’une évaluation préliminaire qui relève des sujets de préoccupation et des enjeux en vue d’un examen plus approfondi.

En outre, comme ce domaine a été peu analysé jusqu’ici, il y a des secteurs où l’information est insuffisante et pour lesquels d’autres recherches sont nécessaires pour évaluer en profondeur son incidence sur les personnes âgées. Si l’on devait entreprendre une telle évaluation de la LSSDSC, il serait utile de mener d’autres recherches sur la mise en œuvre et les effets de celle-ci, et des consultations auprès des fournisseurs de services, des personnes âgées et des groupes qui représentent ou défendent les personnes âgées seraient nécessaires pour déterminer plus précisément la façon dont ce domaine du droit peut toucher les personnes âgées.

 

1.    Qui est touché par la loi?

Les services de soins à domicile sont régis par une loi d’application générale. Celle-ci ne vise pas explicitement les personnes âgées et ne contient pas non plus de critères fondés sur l’âge. Cependant, elle touche les personnes âgées de manière disproportionnée.

Selon l’Association des Centres d’accès aux soins communautaires de l’Ontario (ACASCO), au cours du dernier exercice, les CASC ont fourni un accès coordonné à des services de soins de santé et de soutien à plus de 600 000 Ontariens, dont[588] : 

  • 200 000 patients ayant obtenu leur congé d’un hôpital;
  • 150 000 personnes âgées vivant dans la collectivité;
  • 50 000 enfants ayant besoin d’aide pour vivre à la maison et aller à l’école;
  • 23 000 personnes ayant besoin de soins de fin de vie à la maison. 

Le site Web de l’Ontario Home Care Association montre que, depuis 2006, les personnes de 65 ans ou plus représentent bien plus de la moitié des personnes qui reçoivent des services des CASC. Environ les deux tiers des services fournis étaient des services de soutien personnel et d’aide familiale, les services infirmiers et l’ergothérapie suivant de loin aux deuxième et troisième rangs[589]. 

Il semble donc que la majorité des personnes touchées par la LSSDSC soient des personnes âgées, quoiqu’un nombre considérable de personnes atteintes d’incapacités ou de maladies aiguës soient aussi touchées. Étant donné le type de services régis par cette loi, les personnes âgées touchées sont, dans la plupart des cas, celles qui souffrent d’une maladie aiguë ou chronique et qui ont besoin d’aide afin de préserver leur indépendance, leur dignité, leur sécurité et leur niveau de participation et d’intégration. C’est-à-dire que, dans le cas des personnes âgées, la loi s’applique souvent au carrefour de la vieillesse et de l’incapacité. 

Bien qu’il n’y ait pas de statistiques accessibles au public sur le sujet, on peut penser, vu les tendances démographiques du vieillissement, que les personnes âgées touchées par ces lois sont surtout des femmes âgées. Il est probable aussi que les personnes âgées qui ne peuvent compter sur de solides réseaux de soutien informels – celles qui sont isolées socialement – aient davantage besoin et dépendent davantage des services fournis en vertu de la LSSDSC. Puisque les personnes capables de se payer des services de soins à domicile ou une assurance soins à domicile sont moins touchées par les lacunes dans l’élaboration ou la mise en œuvre de la loi, celle-ci peut également toucher de manière disproportionnée les personnes âgées ayant un faible revenu.

Il n’y a pas non plus de statistiques accessibles au public concernant la composition linguistique, ethnique, religieuse ou autre de la clientèle des services de soins à domicile.

De manière indirecte, les aidants naturels sont aussi touchés par cette loi, puisque le fait que les services de soins formels à domicile offerts à leurs proches soient suffisants ou non aura une incidence considérable sur leur bien-être psychologique, émotionnel et financier.

 

2.    Comment les personnes âgées sont-elles touchées? Le contenu de la loi

Objectif général et contexte

La LSSDSC, de même que les politiques et les pratiques servant à l’appliquer sont étroitement liées à la réalisation des principes touchant les personnes âgées. Pour que les personnes âgées malades, fragiles ou ayant une incapacité puissent maintenir leur sécurité physique, émotionnelle et sociale, de même que leur indépendance et leur autonomie, elles doivent avoir accès à un soutien adéquat, que ce soit pour conserver une bonne santé ou pour accomplir des activités quotidiennes, comme faire sa toilette et s’administrer des soins ou exécuter des tâches domestiques. La valeur et le respect que la société accorde aux personnes âgées se mesurent par la façon dont celle-ci s’assure que les personnes âgées malades, fragiles ou ayant une incapacité peuvent conserver un niveau minimal de sécurité, d’indépendance et d’autonomie. L’estime que les personnes âgées ont d’elles-mêmes sera certainement diminuée si elles ne sont pas en mesure de maintenir une hygiène personnelle et domestique de base, ou si elles ne sont pas traitées correctement lors de la prestation de services tels que le bain[590].

La prestation de services adéquats dans la collectivité a aussi une incidence sur la capacité des personnes âgées de continuer de tenir les rôles qui les valorisent, que ce soit à titre de conjoints, de parents, de grands-parents, d’amis ou de voisins, de bénévoles ou d’employés, ou de citoyens actifs qui participent à la vie de leur collectivité. 

La façon dont les services sont dispensés est aussi importante pour la réalisation des principes que leur fourniture même. Des services fournis dans l’irrespect ou la violence peuvent nuire à la sécurité, à la dignité et à l’indépendance des personnes âgées. Des services rigides, impersonnels ou qui ne tiennent pas compte de la diversité des personnes âgées peuvent entraver la réalisation du principe de diversité et d’individualité. 

Comme nous l’avons vu rapidement plus haut, l’absence d’un soutien adéquat peut entraîner des difficultés considérables pour les aidants naturels qui doivent, notamment, prodiguer une attention et des soins suffisants à leur proche âgé, demeurer sur le marché du travail et respecter toutes leurs autres obligations. Ainsi, un manque de soutien adéquat pour les personnes âgées dans le besoin peut nuire à la sécurité et à la participation de leurs aidants naturels.

 

Critères d’admissibilité

Comme nous l’avons mentionné, les critères juridiques d’admissibilité aux services de soins à domicile ne sont pas fondés sur l’âge. Ils tiennent compte de considérations fonctionnelles et aussi pratiques. Comme ce sont des critères négatifs (dans le sens qu’ils établissent qui n’est pas admissible au lieu de qui est admissible), ils laissent une grande place au jugement des CASC. Les critères utilisés par les CASC ne sont pas publics et, étant donné ce manque de transparence, les personnes âgées pourraient avoir des difficultés à planifier leurs besoins et à faire respecter leurs droits. Comme le signalait le vérificateur général en 2010, ce problème est aggravé par le fait que, en raison des écarts dans la disponibilité des ressources entre les CASC, des critères différents sont appliqués dans les diverses régions de la province :

La politique du Ministère exige des CASC qu’ils administrent les programmes de manière uniforme pour que tous les Ontariens jouissent d’un accès équitable, où qu’ils vivent dans la province. Étant donné les contraintes de financement, un des trois CASC que nous avons visités avait priorisé ses services pour que seules les personnes à risque élevé soient admissibles aux services de soutien à la personne, par exemple pour se laver, se changer ou faire leur toilette. Afin de réduire les coûts et d’équilibrer son budget, ce CASC a déterminé que les clients à risque modéré ne seraient pas admissibles à des services financés. Nous avons toutefois constaté que les clients à risque modéré des deux autres CASC visités recevaient des services de soutien à la personne ou étaient inscrits sur une liste d’attente[591]. 

On peut donc supposer que les personnes âgées ayant besoin de services de soins à domicile ne les reçoivent pas de manière uniforme, ce qui met en péril leur sécurité, leur dignité, leur participation et leur indépendance. De plus, les difficultés auxquelles les personnes âgées font face pour obtenir de l’information utile au sujet de leurs droits et des possibilités qui s’offrent à elles dans le réseau de soins à domicile nuisent à leur capacité de faire des choix significatifs, et donc à leur autonomie.

 

Approche retenue pour réaliser les objets de la loi

Les objets de la LSSDSC, de même que les dispositions de la « déclaration des droits », sont en tous points conformes aux principes touchant les personnes âgées. Les objets de la loi, par exemple, comprennent la reconnaissance de « l’importance des besoins et des préférences des personnes, y compris les préférences fondées sur des considérations ethniques, spirituelles, linguistiques, familiales et culturelles ». La déclaration des droits reconnaît explicitement le droit de la personne âgée d’être traitée d’une manière qui « respecte sa dignité et son intimité et qui favorise son autonomie », et d’être traitée « avec courtoisie et respect par le fournisseur de services, sans subir de la part de celui-ci de mauvais traitements d’ordre mental, physique ou financier », de même que le droit au respect de la confidentialité de ses renseignements personnels, et celui de faire part de ses préoccupations ou de recommander des changements à l’égard des services communautaires qui lui sont fournis. Cette loi ne contient aucun stéréotype ni aucune attitude négative à l’endroit des personnes âgées. Elle a pour but de favoriser des résultats positifs pour les personnes âgées (et d’autres personnes) et d’éliminer les obstacles en offrant du soutien.

La loi prévoit certains mécanismes pour fournir aux personnes âgées (et à tous les clients) l’information nécessaire pour faire des choix significatifs (et accroître ainsi leur autonomie), y compris l’affichage des exigences et des obligations de fournir les renseignements directement aux clients ou clients potentiels. Elle contient des mesures pour prévenir les mauvais traitements à l’endroit des clients et leur exploitation par les fournisseurs de services, et préserver ainsi leur sécurité et leur dignité. 

Le principal problème de l’approche retenue est qu’elle laisse une grande latitude aux organismes (les CASC) et aux fournisseurs de services relativement aux critères d’admissibilité, au niveau de services, aux programmes de gestion de la qualité, aux processus d’examen des plaintes, et à la remise des renseignements, sans prévoir en même temps de mécanismes suffisamment contraignants pour assurer la transparence et la reddition de compte. L’insuffisance et la répartition inégale des ressources viennent aggraver le problème. Le vérificateur général a observé que les CASC divergeaient considérablement pour ce qui est des critères d’admissibilité, des politiques sur les listes d’attente, du niveau de services fourni et du contrôle de la qualité des soins offerts. Par exemple, le vérificateur général a constaté que :

[e]n l’absence de lignes directrices standards sur les services, chaque CASC a élaboré ses propres lignes directrices touchant la fréquence et la durée des services. Il y avait donc des différences dans le temps alloué à chaque tâche et la fréquence recommandée des visites, ce qui signifie que le niveau de service offert peut varier d’un CASC à l’autre[592]. 

Par conséquent, malgré les principes et les objets louables qui sous-tendent la loi, il est difficile de déterminer si ces principes sont concrétisés ou non, ou de prendre des mesures correctives s’ils ne le sont pas.

 

Personnes âgées défavorisées

Comme nous l’avons vu, puisque la loi vise les personnes âgées ayant besoin de soutien pour conserver leur sécurité, leur dignité et leur indépendance, toutes celles qui sont touchées par cette loi sont, dans une certaine mesure, défavorisées, quoique la mesure du préjudice qu’elles subissent varie selon le degré de déficience ou d’incapacité, le niveau de soutien informel reçu, et la capacité à comprendre le système et à faire valoir ses droits au sein de celui-ci. Cela signifie que des mesures additionnelles sont requises pour faire en sorte que ces personnes âgées soient en mesure de profiter entièrement des avantages de la loi et de concrétiser les principes. 

Par exemple, il est particulièrement important que la loi garantisse que ces personnes âgées aient un accès suffisant à des renseignements clairs et simples au sujet de leurs droits et de leurs responsabilités. De plus, les procédures pour exprimer ses préoccupations et faire respecter ses droits doivent tenir compte des conditions particulières des personnes âgées, notamment de l’incidence des problèmes de santé ou d’une incapacité, d’un faible revenu ou d’un faible niveau d’instruction ou de littératie, et des répercussions que peuvent avoir les rôles féminins et masculins traditionnels sur les ressources et les choix des personnes âgées. Les personnes âgées qui font face à de tels obstacles auront de la difficulté à accéder sans aide à des systèmes complexes, chronophages ou contradictoires, et seront donc moins en mesure de faire respecter et de protéger leur dignité, leur sécurité, leur participation, leur autonomie et leur individualité.

 

3.    Comment les personnes âgées sont-elles touchées? La mise en œuvre de la loi

Comme nous l’avons vu plus haut, la LSSDSC établit des principes solides et positifs et énonce des objets qui sont conformes aux principes anti-âgistes de la CDO et potentiellement très bénéfiques pour les personnes âgées. Les problèmes liés aux soins à domicile découlent souvent de la mise en œuvre de la loi, surtout que celle-ci accorde une latitude considérable aux CASC et aux organismes qui fournissent les services relativement à la manière dont ils la mettent en œuvre.

Ressources

Les difficultés rencontrées pour fournir des services de soins à domicile suffisants et appropriés sont liées pour une bonne part aux problèmes de ressources qu’éprouvent ceux à qui revient la responsabilité de répartir et de fournir les services. 

L’évolution des tendances démographiques, les attentes et les besoins changeants en matière de soins de santé, ainsi que les répercussions financières de la récente crise économique exercent des pressions sur l’ensemble des services de soins de santé. Le système de soins à domicile fait face à de multiples priorités urgentes, surtout parce que les soins de courte durée et de longue durée subissent eux aussi des pressions, et dispose de ressources limitées pour respecter ces priorités. Par exemple, en 2008, le gouvernement ontarien a annoncé que la réduction des temps d’attente dans les urgences était l’une des principales priorités en santé. L’une des stratégies clés pour concrétiser cette priorité était de réduire le nombre de patients qui attendent à l’hôpital pour recevoir d’autres niveaux de soins (ANS), comme des soins de longue durée. Les CASC jouent un rôle clé dans cette stratégie, notamment grâce à un soutien mieux ciblé aux personnes de la collectivité qui risquent davantage d’être admises à l’hôpital, et à la stratégie de maintien à domicile, qui aide les patients hospitalisés ayant besoin de soins de longue durée (ou d’autres niveaux de soins) à retourner à la maison pour attendre ces soins, plutôt que de demeurer dans un cadre hospitalier[593].

L’ACASCO a exprimé des inquiétudes au sujet du niveau et de la structure de financement des services de soins à domicile : 

[traduction] Malgré cette pression croissante sur les services des CASC, le rapport annuel 2010 du vérificateur général de l’Ontario confirme que ces derniers ont reçu une proportion relativement modeste (environ 45 millions de dollars) des 1,1 milliard de dollars prévus dans la stratégie pluriannuelle Vieillir chez soi du gouvernement. La majeure partie du financement accordé aux CASC était du financement ponctuel pour de nouvelles initiatives ou des besoins à court terme. Les CASC, pour continuer d’obtenir ces résultats, ont besoin d’un financement stable, prévisible et à long terme qui reconnaît leur rôle dans la réduction des problèmes de listes d’attente dans d’autres parties du système de soins de santé, principalement les hôpitaux et les foyers de soins de longue durée[594].

En plus du niveau de financement, il y a des problèmes liés à la structure de ce financement. L’ACASCO souligne qu’un financement prévisible, annoncé en temps opportun, est essentiel au maintien de services efficaces : 

[traduction] Les budgets annuels des CASC varient de 38 à 235 millions de dollars, et demander à des organismes de cette taille et de cette complexité d’équilibrer des budgets aussi considérables en un seul exercice, alors que leur financement peut être annoncé jusqu’à six mois après le début de l’exercice, c’est comme faire atterrir un 747 sur un timbre-poste. Les conséquences peuvent aller de réductions inutiles des services, lorsqu’on prévoit une diminution du financement, à l’incapacité d’utiliser les augmentations du financement ou un financement en cours d’exercice destiné à servir davantage de clients. Ce sont les clients qui subissent ces conséquences[595].

Une recherche menée par l’Institut de recherche en services de santé indique qu’il reste encore des besoins importants à combler en matière de services de soins à domicile. Selon un rapport de 2010, le temps d’attente moyen pour des services de soins à domicile après une demande était de sept jours pour les clients de court séjour et de neuf jours pour les clients de long séjour. Ces temps d’attente varient considérablement d’un CASC à l’autre cependant, ceux des clients de long séjour atteignant un pic de presque 17 jours dans une région, comparativement à un minimum de 7,4 jours dans une autre. Les besoins non satisfaits en matière de soins étaient plus élevés chez les personnes de 75 ans ou plus (environ six pour cent d’entre elles ont déclaré des besoins non satisfaits) que chez celles de 65 à 75 ans, chez les femmes que chez les hommes (cinq pour cent comparativement à trois pour cent), chez celles vivant seules que chez celles vivant avec d’autres (six pour cent comparativement à quatre pour cent) et chez celles de la catégorie de revenu la plus basse (huit pour cent) que chez celles de la catégorie de revenu la plus élevée (aucune)[596]. 

Les personnes ayant besoin de services peuvent être mises sur une liste d’attente, ou même, dans certaines régions, être considérées comme non admissibles à une liste d’attente. Les politiques relatives aux personnes qui doivent être mises sur une liste d’attente varient d’un emplacement de CASC à l’autre. Alors que certains CASC inscrivent tous les clients admissibles sur une telle liste, d’autres ne sont pas en mesure d’accommoder tous les clients et doivent faire un tri. En conséquence, certains CASC ne peuvent inscrire sur une liste d’attente que les clients évalués comme étant à risque élevé ou plus. Habituellement, les clients à risque faible ou modéré sont plutôt dirigés vers d’autres organismes communautaires[597]. 

Récemment, le Toronto Star publiait une série d’articles décrivant l’expérience de personnes âgées et de leurs aidants naturels aux prises avec des services insuffisants. Par exemple, des personnes âgées atteintes de démence ont déclaré avoir été refusées après avoir demandé des soins à domicile; une femme qui s’occupe de son mari, lequel souffre de la maladie de Parkinson, s’est vu refuser des soins à domicile après s’être blessée au dos; des enfants aux moyens financiers très limités ont été forcés de supplier pour obtenir d’autres heures en raison d’une politique d’un CASC voulant que les heures consacrées à un client finissent par être coupées lorsque sa situation n’empire pas. Les employés des CASC se disent épuisés parce qu’ils ne peuvent pas donner tous les soins requis avec les ressources dont ils disposent. Ils se trouvent forcés de prendre des décisions qu’ils ne souhaitent pas prendre, alors qu’aucune politique ne peut pallier le manque de financement de leur organisme[598].

Bref, bien que le contenu de la loi respecte et mette de l’avant des principes anti-âgistes, le manque de ressources pour assurer sa mise en œuvre adéquate crée des entraves importantes à la réalisation de ces principes.

 

Communication et sensibilisation

Il y a peu d’information disponible au sujet de la formation et de la sensibilisation du personnel chargé de la prestation des services. Tandis que les CASC tiennent évidemment compte des qualifications du personnel lorsqu’ils accordent des contrats aux divers fournisseurs de services et dans le cadre de leurs programmes de gestion de la qualité, la LSSDSC et les règlements ne fixent pas d’exigences minimales pour les qualifications du personnel ou pour la sensibilisation et la formation continue.

En ce qui concerne l’information accessible sur les services de soins à domicile, les principaux canaux d’information semblent être les sites Web des RLISS et des CASC, ainsi que les services d’information téléphoniques. Les CASC ne donnent pas tous leur numéro de téléphone sur leur page d’accueil : dans certains cas, on doit avoir recours au site Web du ministère de la Santé. Les appels aux services téléphoniques sont souvent redirigés vers les sites Web. Autrement dit, l’information est surtout accessible sur Internet et sur support papier.

Un survol de l’information sur les soins à domicile offerte dans les sites Web des 14 RLISS et CASC révèle des écarts importants quant à l’étendue et au format de cette information. Certains CASC ont des présentations vidéo sur leurs services et options, mais la majorité offre exclusivement de l’information imprimée. La majeure partie de l’information est présentée sous forme de fichiers PDF, ce qui peut représenter un obstacle pour les personnes ayant une déficience visuelle qui doivent utiliser des lecteurs d’écran. Certains CASC offrent des documents imprimés grand format, mais nombreux sont ceux qui ne le font pas. Certaines régions, mais pas toutes, offrent de l’information en français et en anglais; et pas en d’autres langues. Certains CASC offrent des renseignements détaillés sur les fournisseurs de services dans leur région et d’autres, non.

 

Mécanismes d’accès et d’exécution

Plusieurs problèmes ont été soulevés concernant les mécanismes de plainte en vertu de la LSSDSC, notamment la complexité du système, le manque d’accès à un tiers indépendant, le manque d’accès à l’information sur la marche à suivre pour porter plainte, et le manque de transparence et de reddition de comptes au sein des processus de plainte.

La complexité : Comme nous l’avons vu plus haut, il y a différentes façons de présenter une plainte selon les divers types de problèmes. 

  • Les problèmes liés à la « déclaration des droits » peuvent faire l’objet d’une plainte à l’organisme, ou être traités comme une violation du contrat entre la personne et le fournisseur de services.
  • Les problèmes liés au niveau de services ou à l’admissibilité doivent être portés à l’attention de l’organisme, qui doit répondre par écrit, et les décisions peuvent être portées en appel devant la CARSS.
  • Les problèmes liés au niveau de services doivent être portés à l’attention de l’organisme. Celui-ci n’est pas obligé de répondre par écrit, et il n’y a pas de droit d’appel à la CARSS.
  • Pour toute question, les problèmes peuvent maintenant être portés à l’attention de la Ligne ACTION des soins de longue durée.

Le processus d’examen des plaintes est donc complexe, des solutions différentes étant possibles pour les différents problèmes, et il peut être déroutant pour une personne âgée qui tente de déterminer les choix qui s’offrent à elle ainsi que les issues possibles. Et comme la LSSDSC ne prévoit pas d’exigences particulières pour ces processus d’examen des plaintes, ceux-ci varient selon l’organisme, ce qui complique la navigation des clients dans le système.

Faisabilité des choix offerts : Comme nous l’avons souligné précédemment, lorsqu’un client estime qu’une disposition de la déclaration des droits a été violée, il peut aussi recourir aux tribunaux civils et intenter une action en justice pour violation de contrat. Même sans un contrat en bonne et due forme, il y a tout de même un engagement implicite entre les organismes qui fournissent les services et les CASC et les clients qui reçoivent des soins à domicile[599]. Bien que, en théorie, le recours aux tribunaux civils accorde aux personnes âgées une autre avenue que le système administratif, dans la réalité, un tel recours reste inaccessible à la majorité des personnes âgées qui reçoivent des soins à domicile des CASC. Autant les ressources limitées d’Aide juridique Ontario que le manque d’avocats spécialisés en droit des aînés en Ontario posent un problème pour les personnes âgées qui, sinon, opteraient peut-être pour une action en justice. De plus, les moyens financiers limités de nombre de personnes âgées qui dépendent de soins à domicile financés par la province peuvent empêcher celles qui songent à entreprendre des poursuites judiciaires longues et coûteuses de le faire. Les personnes âgées qui peuvent se permettre un procès civil décideront parfois de consacrer leurs ressources à payer des services de soins à domicile de leur poche au lieu d’investir des ressources, du temps et des efforts dans un procès civil à l’issue incertaine[600].

Impossibilité de recourir à un tiers indépendant : Les plaintes au sujet de la qualité des soins ou des décisions relatives à l’admissibilité ou au niveau de services peuvent être soumises à l’organisme qui fournit les services. En fait, la LSSDSC prévoit simplement un mécanisme par lequel les personnes âgées peuvent se plaindre des services qu’elles reçoivent directement aux organismes fournisseurs. Les décisions des organismes concernant les plaintes au sujet de l’admissibilité ou du niveau de services peuvent être portées en appel devant la CARSS; cependant, ce n’est pas le cas des réponses aux plaintes concernant la qualité des soins, de sorte que, pour celles-ci, on ne peut en aucun temps recourir à un tiers vraiment indépendant. En d’autres termes, pour les problèmes de niveau de services et d’admissibilité, le premier recours consiste à se plaindre auprès des responsables de la fourniture des soins, et c’est le seul choix qui s’offre aux personnes ayant reçu des soins de piètre qualité. 

Certains bénéficiaires de soins à domicile déclarent ne pas utiliser les mécanismes de plainte existants même s’ils ne sont pas satisfaits des soins reçus[601]. Les personnes âgées en viennent souvent à la conclusion que les problèmes qu’ils éprouvent surviennent en raison des tensions dans le secteur des soins à domicile. Certaines ont l’impression que le pouvoir d’améliorer les soins qu’elles reçoivent ne leur appartient pas, pas plus qu’aux personnes à qui elles peuvent adresser leurs plaintes[602]. Cela augmente leur sentiment d’impuissance et les rend moins susceptibles de se plaindre, même lorsqu’elles estiment ne pas recevoir les soins dont elles ont besoin. Certaines déclarent également qu’elles ne veulent pas se plaindre par crainte que l’expression de leurs griefs au sujet des soins insuffisants qu’elles reçoivent entraîne leur placement en établissement. D’autres encore disent qu’elles ne veulent pas être perçues comme des « fauteurs de trouble », ce qui pourrait avoir selon elles une incidence négative sur les soins qu’elles reçoivent[603]. 

Dans ce contexte, le fait que, dans la plupart des cas, il n’y ait pas d’organisme indépendant pour recevoir les plaintes complique vraisemblablement la tâche des personnes âgées qui voudraient se plaindre. Certains CASC ont un ombudsman qui agit comme médiateur entre le client et son intervenant[604], mais d’autres n’ont que le gestionnaire de cas du client du CASC comme point de contact initial pour un client qui voudrait déposer une plainte[605]. La possibilité de communiquer avec un ombudsman au lieu du gestionnaire de cas du client augmente la transparence du processus d’examen des plaintes et pourrait mettre le client plus à l’aise de déposer une plainte s’il peut le faire sans s’inquiéter d’avoir à confronter son intervenant directement.

En plus de soulever des questions liées à la transparence, l’absence d’un tiers indépendant obligatoire dans le processus d’examen des plaintes des CASC pose un problème d’accessibilité : elle peut décourager les personnes âgées de se plaindre. Il peut ainsi être difficile pour les CASC de se faire une idée précise de l’expérience de soins à domicile des bénéficiaires de services. Un mécanisme de plainte clairement énoncé dans la LSSDSC, qui prévoirait un tiers indépendant, contribuerait à améliorer la responsabilité, l’accessibilité et la transparence des soins à domicile fournis par les CASC.

Accès à l’information : À l’heure actuelle, la LSSDSC exige des CASC qu’ils informent par écrit une personne qui reçoit des services communautaires de la marche à suivre pour déposer une plainte contre ses fournisseurs de services[606]. Le site Web provincial des CASC explique très brièvement comment déposer une plainte, et propose aux clients de communiquer directement avec leur CASC pour obtenir des renseignements détaillés[607]. Les renseignements sur les diverses marches à suivre pour les plaintes concernant la qualité des services ou sur les choix possibles en cas de violation de la « déclaration des droits » n’apparaissent pas dans les documents publics des CASC. 

Alors que certains clients n’ont aucun mal à lire des documents écrits et à déposer une plainte, les personnes âgées qui reçoivent des soins à domicile et qui ont des déficiences visuelles ou cognitives font face à des problèmes d’accessibilité. Il faut bien comprendre le processus d’examen des plaintes pour saisir les différents choix qui s’offrent aux bénéficiaires de soins, par exemple appeler la Ligne ACTION des soins de longue durée ou communiquer directement avec un fournisseur de soins. Sans la possibilité de consulter une partie qui dispose de toute l’information sur la marche à suivre pour porter plainte et qui peut s’assurer que le client comprend tous les choix offerts, la procédure de plainte écrite pourrait ne pas faciliter le processus pour toutes les personnes âgées. Si certaines personnes âgées peuvent compter sur leur famille ou leurs amis pour obtenir des renseignements supplémentaires au besoin et pour bien se faire expliquer le processus, d’autres n’ont pas accès à des sources d’information secondaires de ce type. Par elle-même, l’exigence d’un « avis écrit » contenue dans la LSSDSC ne peut suffire, dans la réalité, à informer les personnes âgées de la procédure de plainte. Pour remédier à ce problème, il pourrait être utile d’énoncer dans la LSSDSC un ensemble d’exigences plus complet sur l’aide à fournir relativement au processus d’examen des plaintes .

La transparence et la reddition de comptes : Comme le mécanisme de plainte n’est pas centralisé, il n’aide pas les CASC à regrouper l’information sur les soins fournis par les divers organismes dans l’ensemble de la province. Puisque les plaintes relatives à la qualité des services n’exigent pas une réponse écrite, il peut aussi être difficile de suivre le nombre exact des plaintes déposées, leur objet et leur traitement. Cela ne semble pas non plus faciliter la tâche du Ministère en vue de s’assurer que des services de grande qualité soient fournis uniformément dans toute la province.

Selon une étude du vérificateur général de l’Ontario portant sur les plaintes reçues par trois CASC, seul un petit nombre de plaintes officielles avaient été faites par les bénéficiaires de soins à domicile de l’Ontario à leur CASC. Durant les trois premiers trimestres de l’exercice 2009-2010, seulement trois à huit bénéficiaires de soins à domicile sur 1 000 avaient porté plainte dans ces trois CASC. Toutefois, de nombreux problèmes soumis aux CASC ne sont pas classés comme des plaintes officielles, mais sont simplement réglés par les gestionnaires de cas et versés au dossier des clients. Et ils sont beaucoup plus fréquents. En examinant les dossiers des trois CASC, le vérificateur général a relevé environ 1 300 « incidents » sur une période de neuf mois dans deux des CASC, et plus de 600 incidents sur une période de six mois au troisième[608].

Globalement, les mécanismes de plainte et d’exécution comportent des failles et des lacunes importantes relativement à l’accès aux soins à domicile, de sorte que, dans la pratique, les personnes âgées, et particulièrement celles qui sont défavorisées d’une manière quelconque, ne sont pas toujours en mesure de réaliser les principes anti-âgistes qui devraient être favorisés par la loi.

 

4.    Contrôle et évaluation de la loi

Cette discussion a fait ressortir l’écart entre le contenu et la mise en œuvre du droit concernant l’accès aux soins à domicile. Une loi dont l’objet est positif et généralement conforme aux principes anti-âgistes peut, dans la pratique, passer considérablement à côté de ses objectifs. Dans de telles conditions, le contrôle et l’évaluation continus de la mise en œuvre de la loi et de ses résultats peuvent être très profitables.

La responsabilité de contrôler l’efficacité des lois et des services de soins à domicile fournis appartient au bout du compte au Ministère. Pour être retenu par le Ministère, un organisme doit d’abord être agréé. Pour être agréé, l’organisme doit se conformer à la déclaration des droits et être exploité avec « compétence, honnêteté et intégrité, et avec le souci de la santé, de la sécurité et du bien-être des personnes qui reçoivent le service[609] ». La LSSDSC exige des organismes qu’ils remettent des rapports annuels sur leur exploitation au Ministère, et autorise le Ministère à nommer des superviseurs de programmes au besoin, de même qu’à révoquer ou suspendre un agrément.

Fin 2008, le Ministère a annoncé un certain nombre d’initiatives dans le but d’améliorer la qualité des services de soins à domicile en Ontario, dont les suivantes :

  • exiger des CASC qu’ils fassent appel à des « conseillers en équité » pour toutes les demandes de propositions;
  • exiger des CASC qu’ils divulguent la justification du choix des fournisseurs de services après la conclusion du processus de demande de propositions;
  • commencer à publier les mesures du rendement;
  • exiger de tous les CASC et fournisseurs de services qu’ils mettent au point des plans annuels d’amélioration continue de la qualité[610].

Les CASC reçoivent de l’information sur le rendement de leurs fournisseurs de services de la part des clients qui choisissent de communiquer avec eux pour se plaindre de leurs soins, mais il n’y a pas d’obligation expresse pour les CASC de s’assurer que les organismes qui fournissent les services respectent la déclaration des droits. Une obligation expresse de surveillance permettrait aux CASC d’obtenir une information complète au sujet de la conformité des fournisseurs de services à la déclaration des droits dans toute la province.                         

Alors que la LSSDSC oblige chaque organisme qui dispense des services à veiller « à ce que soit élaboré et mis en œuvre un système de gestion de la qualité visant à surveiller, à évaluer et à améliorer la qualité des services communautaires fournis par l’organisme ou dont ce dernier fait en sorte qu’ils soient fournis[611] », elle ne précise pas ce que ce système devrait comporter. Bien que la LSSDSC autorise le Ministre à adopter des règlements pour « régir le système de gestion de la qualité qui doit être élaboré et mis en œuvre[612] », la LSSDSC et ses règlements ne contiennent actuellement aucune obligation de surveillance relativement à la gestion de la qualité.

De la même façon, même si la LSSDSC oblige les fournisseurs de services à fournir des services en temps opportun et à tenir des listes d’attente, elle ne fixe aucune norme précise en ce domaine. Il n’y a aucune obligation législative quant au délai sinon qu’il « soit raisonnable dans les circonstances[613] », aucune directive quant à la façon dont les CASC devraient établir les priorités des besoins de services, ni aucune exigence concernant les qualifications et la formation du personnel des soins à domicile. En plus de créer des écarts considérables entre les politiques et les résultats des divers CASC, cette situation réduit la transparence et reddition de comptes au sein du système. Les clients n’ont pas une idée claire des services auxquels ils ont droit. 

Les CASC ont entrepris diverses initiatives pour faire en sorte que des soins sécuritaires et de qualité soient fournis « au bon endroit au bon moment ». Parmi celles-ci, mentionnons le recours à des comités de qualité des CA, des plans annuels d’amélioration de la qualité, des sondages communs sur la satisfaction de la clientèle, des sondages communs sur la satisfaction par rapport aux fournisseurs de service sous contrat et des sondages sur la satisfaction des employés[614]. Les CASC peuvent visiter les locaux des fournisseurs de services et examiner les données sur le rendement comme les taux d’acceptation des renvois et le nombre de visites manquées. Au moins un CASC a adopté comme priorité des visites ponctuelles chez chacun de ses 14 fournisseurs de services, afin de constater la qualité des services offerts[615]. 

Le vérificateur général a constaté que les trois CASC visités avaient effectué des visites ponctuelles des locaux de certains de leurs fournisseurs de services, mais qu’un seul avait effectué des visites régulières sur place pour vérifier l’ensemble de ses fournisseurs de services. Ces CASC ont décelé certaines lacunes courantes liées au contrôle et à la surveillance. Par exemple, les trois quarts des fournisseurs de services évalués avaient une capacité limitée de déterminer si leur personnel avait fourni les services chez le client en temps opportun, et le tiers des fournisseurs de services n’évaluaient pas les préposés aux services de soutien à la personne en les observant en train de fournir des services aux clients[616].

 

D.  Conclusion

L’application du cadre à la Loi de 1994 sur les services de soins à domicile et les services communautaires fait ressortir un problème courant d’écart entre le contenu de la loi et sa mise en œuvre. La LSSDSC porte sur une question d’une grande importance pour les personnes âgées et les autres Ontariens vulnérables ou qui sont à une étape difficile de leur vie. Elle prévoit la fourniture de services indispensables, et elle est fondée sur des principes anti-âgistes appropriés. 

Toutefois, la loi est beaucoup plus discrétionnaire que directive. On a sûrement voulu ainsi laisser suffisamment de latitude pour satisfaire des besoins changeants et complexes dans un environnement qui évolue sans cesse. Cependant, cette situation, jointe à l’absence de mécanismes pour assurer la transparence et la reddition de comptes, et au continuel manque de ressources non seulement dans le secteur des soins à domicile, mais aussi dans les secteurs des soins de longue durée et hospitaliers, crée des problèmes d’accès à la justice pour les personnes âgées et pour les autres personnes touchées par cette loi. Cela est particulièrement troublant parce que les personnes touchées par la LSSDSC vivent avec des déficiences à court ou à long terme, dépendent en grande partie des services offerts et, par conséquent, peuvent avoir des difficultés à comprendre et à faire valoir leurs droits. Dans la pratique, la loi peut faillir à respecter et à promouvoir les principes anti‑âgistes ayant présidé à son élaboration

 

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