L’effet positif des lois sur la vie des personnes âgées dépend tout autant de la qualité de leur rédaction que de l’efficacité de leur mise en œuvre. Elles seront finalement non avenues s’il n’existe pas de mécanisme efficace pour les faire respecter et que les personnes âgées n’ont pas un véritable accès à la justice.

On s’est beaucoup inquiété de la capacité des personnes âgées à avoir un accès véritable à la justice et à obtenir le respect des normes et des mesures de protection prévues par la loi.

 

A. Contrôler la bonne application des lois

Les témoignages ont évoqué en leitmotiv le problème des lois qui sont mal appliquées. L’Adocacy Centre for the Elderly a utilisé la formule suivante pour décrire le phénomène : de bonnes lois, une application déficiente.

L’AIIO rappelle que, selon le paragraphe 2(4) de la Loi sur les maisons de soins infirmiers, la maison est réputée avoir conclu avec chaque pensionnaire un contrat selon lequel il convient de respecter et de promouvoir les droits énoncés dans la déclaration des droits, mais que la Loi ne prévoit aucun mécanisme permettant aux pensionnaires de faire respecter les droits prévus dans ce contrat réputé conclu. Les droits en question sont trop fréquemment ignorés. La Commission devrait proposer un mécanisme efficace permettant de les faire respecter. [Traduction]
– Association des infirmières et infirmiers de l’Ontario

Nous nous inquiétons du fait que, non seulement, le cadre législatif actuel est insuffisant, mais que les processus et l’application des lois le sont également, et que, enfin, les lois et les processus sont mal appliquées. L’un des meilleurs exemples est la Loi sur la prise de décisions au nom d’autrui, qui vise à protéger les personnes vulnérables. Dans son cadre, toutefois, la nomination des substituts et la création des procurations se font sans supervision tandis que l’examen des nominations et des excès commis par ces substituts est complexe, lent et coûteux. Les procurations sont donc susceptibles d’abus : en ce qui concerne la lutte contre ces abus, la justice différée est presque certainement un déni de justice. Ces violations de l’esprit et des objets de la Loi mettent en jeu des droits fondamentaux protégés par la Charte. [Traduction]
– Association du Barreau de l’Ontario

De même, certains témoignages ont évoqué des lois qui veulent bien faire, mais qui sont d’une conception si maladroite et si peu claire qu’elles sont très difficiles à appliquer. On a, par exemple, fait ressortir les problèmes posés par les lois ontariennes en ce qui concerne l’accessibilité offerte aux personnes handicapées. Malgré les mesures de protection prévues par le Code des droits de la personne de l’Ontario, qui confère aux personnes handicapées le droit à un accès égal aux services et aux installations (jusqu’au point où cela cause un préjudice injustifié), les exigences précises du Code du bâtiment de l’Ontario[35] en ce qui a trait à l’accessibilité et la nouvelle Loi de 2005 sur l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario[36], des bâtiments et des systèmes continuent d’être conçus, construits et rénovés de façon à créer et à perpétuer des obstacles. Les fournisseurs de services ne s’y retrouvent pas dans les exigences concurrentes des trois lois, dont l’exécution doit, en grande partie, se faire par le biais du système ontarien de protection des droits de la personne, déjà surchargé. En un mot, les progrès vers l’accessibilité se font très lentement.

Les témoins se sont inquiétés en particulier de la manière dont le droit peut effectivement aider à résoudre les problèmes dans le contexte des questions très personnelles et des rapports familiaux complexes qui sont souvent en jeu lorsqu’il s’agit d’aînés. L’Association du Barreau de l’Ontario a fortement incité la Commission à se demander :

[s]i le vrai motif des conflits familiaux, à savoir les besoins financiers personnels, n’est pas souvent occulté par l’accent mis sur la « capacité » en droit et dans les procédures, alors que l’objet principal de ces procédures devrait être axé sur les besoins en tenant compte des rapports sociaux de la personne concernée, de la manière dont les intervenants dans ces rapports réagissent les uns aux autres et de la meilleure solution pour la personne en cause et pour ses finances ou son mode de vie. [Traduction]

 

B. Les obstacles à l’accès

Les personnes âgées font face à tout un éventail d’obstacles lorsqu’elles veulent exercer leurs droits et les faire respecter, qu’il s’agisse d’obstacles matériels, financiers ou comportementaux.

Beaucoup de personnes âgées qui n’ont qu’un revenu faible ou fixe ne peuvent se permettre les frais qu’il leur faudrait engager pour avoir accès à la justice :

Le principal obstacle à l’accès à la justice est le manque de disponibilité de l’aide juridique, principalement pour les affaires civiles. Les critères d’obtention de l’aide juridique fondés sur les moyens excluent presque tout le monde, si ce n’est les plus pauvres, ce qui laisse une grande partie de la population à revenu modeste sans accès à des conseils et à une représentation juridiques abordables. Même si ce problème ne se limite pas à elles, les personnes âgées sont celles qui en souffrent probablement le plus en raison de la modicité générale de leur revenu annuel. [Traduction]
– British Columbia Law Institute

Soulignons que de nombreux aînés ont un patrimoine important, mais peu de liquidités. Aide juridique Ontario exige souvent que les demandeurs grèvent leur maison d’un privilège avant d’accepter leur dossier; craignant de perdre leur foyer, de nombreuses personnes âgées hésitent et n’ont donc pas les moyens d’obtenir l’aide et les conseils juridiques dont elles ont besoin.

Les personnes âgées ignorent souvent leurs droits, les recours dont elles peuvent se prévaloir et les sources de soutien et d’aide à leur disposition.

En dépit du nombre de lois existantes, l’un des plus grands défis est souvent l’ignorance à leur égard et le manque de moyens pour les faire connaître, l’un des meilleurs exemples étant l’existence des conseillers en matière de droits, chargés d’informer de leurs droits les personnes qui ont été déclarées incapables, et le manque de ressources à leur disposition. Nous vous demandons donc respectueusement, lorsque vous étudierez les modifications à apporter aux lois, de penser également à celles dont ont besoin les politiques et les règlements pour garantir le financement de ces nouvelles règles. [Traduction]
– Prevention of Senior Abuse Network — Simcoe County

Le problème est particulièrement grave chez les immigrants âgés, qui ignorent largement l’infrastructure à leur disposition et qui ne savent pas à qui et où s’adresser pour obtenir de l’aide.

Ils ne connaissent pas les ressources communautaires. Parfois, leur famille ne veut pas qu’ils sachent où s’adresser. Ces aînés peuvent être extrêmement isolés et forcés de s’occuper du ménage et des enfants des familles qui les parrainent. On refuse donc sciemment de les informer pour les garder dans leur situation. Le système judiciaire devrait, avec l’aide des organismes de bénévoles, des services communautaires et des lieux de culte, se doter de moyens de punir en public, dans les médias et devant les tribunaux ceux qui oppriment les personnes âgées. [Traduction]
– Réseau ontarien de prévention des mauvais traitements envers les personnes âgées

Le manque d’information et de sensibilisation est un problème grave, non seulement parmi les personnes âgées, mais également chez ceux qui leur dispensent des services. De nombreux témoignages ont souligné l’importance de mieux former et de sensibiliser davantage les acteurs du système judiciaire, non seulement en ce qui a trait aux aspects juridiques particuliers aux personnes âgées, mais également à l’égard des obstacles, des stéréotypes et des défis auxquels elles doivent faire face. L’Advocacy Centre for the Elderly rappelle que, parfois, les avocats ne consultent pas la personne âgée qui est leur cliente et s’adressent plutôt aux amis et aux membres de la famille pour obtenir des directives. Par ailleurs, des avocats qui n’ont pas l’habitude de travailler en droit des aînés risquent de faire preuve d’incompétence parce qu’ils ne comprennent pas les règles juridiques applicables. L’Association du Barreau de l’Ontario fait remarquer ce qui suit :

Il existe bien des lignes directrices à l’intention des juristes qui aident ces personnes, mais ces lignes directrices sont souvent démodées, ceux qui en ont besoin ignorent leur existence et elles ne sont pas appliquées ou donnent de mauvais renseignements. [Traduction]

On a évoqué les mêmes préoccupations à l’égard des policiers, des juges, des appréciateurs visés par la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé[37] et d’autres professionnels au service des personnes âgées.

Même si les personnes âgées peuvent avoir accès à la justice, dans certains cas, le droit ne leur offre pas de recours susceptible de réparer le préjudice qu’elles ont subi.

Un autre frein à l’accès à la justice pour les personnes âgées est la rareté de l’octroi d’indemnités lorsque le plaignant a gain de cause. Nous ne recommandons généralement pas que des personnes âgées intentent des poursuites si elles cherchent avant tout une indemnisation financière parce que les dommages-intérêts auxquels elles peuvent prétendre sont peu nombreux. La Commission voudra peut-être penser à des mécanismes différents, autres que le litige, pour indemniser les personnes âgées (p. ex., adopter des règlements qui régissent les préjudices subis en foyer de soins de longue durée). [Traduction]
– Advocacy Centre for the Elderly

Certaines personnes âgées doivent relever encore d’autres défis pour avoir accès à la justice. Celles qui vivent en établissement ont encore plus de difficultés à faire respecter leurs droits et à se prévaloir des recours disponibles, compte tenu de leur isolement et de leur dépendance à l’égard des établissements où elles vivent.

La situation est encore plus difficile pour les plus âgés des aînés — par exemple, ceux de plus de 80 ans —, qui ne peuvent se permettre d’attendre un redressement. Lorsque leur action ne peut être poursuivie après leur décès, la partie adverse a tout intérêt à choisir une stratégie dilatoire dans l’espoir que la victime