A-t-on encore besoin de souligner que nos rapports sociaux sont essentiels pour notre bien-être et pour celui de la société ? C’est par l’intermédiaire de nos rapports de soins et d’engagement que nous offrons et recevons un soutien financier, affectif et social, que nous faisons profiter les autres de notre sagesse, de nos aptitudes et de notre expérience et que nous partageons nos valeurs et nos buts. Le droit a un rôle à jouer dans la reconnaissance, la réglementation et le soutien de ces rapports. Le droit de la famille, par exemple, offre des mécanismes qui permettent de reconnaître officiellement l’établissement et la dissolution de certaines formes de rapports, en plus de réglementer l’obligation de prendre soin des autres et de les soutenir. Les lois sur les normes d’emploi obligent les employeurs à offrir des congés qui permettent aux employés de s’acquitter de certaines de leurs obligations en matière de soins. Les lois sur le consentement aux soins de santé précisent qui peut donner son consentement à un traitement pour le compte d’une personne incapable de prendre des décisions en matière de santé.

Comme nous tous, les personnes âgées sont au cœur d’un réseau de rapports interdépendants qui les lient à leur conjoint ou à leur partenaire, à leurs enfants, à leurs frères et sœurs, aux membres de leur famille étendue, à leurs proches et à leurs amis. Dans certains cas, elles sont également le principal fournisseur de soins tandis que, dans d’autres, elles en sont le principal bénéficiaire; dans la plupart des cas, elles donnent et elles reçoivent soins et soutiens. Quoi qu’il en soit, ces rapports ont une incidence importante sur leur bien-être.

 

A. Reconnaître les rapports importants pour les personnes âgées

On s’est beaucoup inquiété de la façon dont le droit reconnaît, réglemente et soutient les rapports qu’entretiennent les personnes âgées.

Pour commencer, le droit ne reconnaît pas et ne respecte pas suffisamment l’importance des rapports sociaux dans la vie des personnes âgées. L’Advocacy Centre for the Elderly souligne qu’il n’y a actuellement aucun cadre législatif global portant sur la question de l’accès aux personnes âgées : l’organisme reçoit sans arrêt des appels de personnes à qui on refuse l’accès à un parent, un conjoint ou un ami parce qu’un fournisseur de soins ou une autre personne a décidé de l’interdire :

La capacité de décider qui recevoir ou qui contacter reste souvent intacte chez les aînés bien longtemps après qu’ils ont perdu toute autre forme de capacité. Une personne âgée peut continuer de vouloir rester en contact avec des parents et des connaissances bien longtemps après ne plus être capable de gérer ses biens, de prendre des décisions en matière de traitement, voire de se souvenir de son passé récent. Le bien-être que procurent les contacts humains est fondamental et a une grande incidence sur la qualité de vie. Les personnes qui sont capables de décider qui recevoir ne sont toutefois pas toujours en mesure d’exercer ce droit. Elles peuvent souffrir de problèmes physiques ou mentaux, comme l’incapacité de se servir d’un téléphone ou de se déplacer.

Dans le même sens, les politiques dites « du premier lit disponible » peuvent séparer les personnes âgées de leur conjoint, de leur famille ou de leurs amis[39].

Même lorsqu’il tient compte des rapports sociaux des personnes âgées, le droit ne le fait pas toujours également. Par exemple, on a fait remarquer à la Commission que les préjugés âgistes font considérer les personnes âgées pratiquement exclusivement comme des bénéficiaires de soins : les cas où elles en fournissent ne sont pas habituellement reconnus à leur juste mesure ni dotés de soutiens suffisants. De nombreux témoins ont ainsi souligné l’ignorance fréquente du rôle important que les grands-parents jouent dans la vie de leurs petits-enfants, souvent comme principaux gardiens[40]. D’autres ont évoqué les difficultés que vivent les parents vieillissants des personnes dont les handicaps nécessitent des soins et des soutiens importants en soulignant le manque de reconnaissance et de soutien manifestés à ces soignants :

Trop de Canadiens de 70, 80 voire 90 ans sont les principaux et les seuls soignants de leur fils, fille ou conjoint handicapé âgé. En même temps, beaucoup trop d’adultes âgés présentant des handicaps intellectuels n’ont pas, simplement par manque de revenus, de soutien et de capacité de la collectivité à les aider, réussi ce que la société considère comme une transition essentielle vers l’âge adulte – quitter le foyer familial pour s’établir indépendamment dans la collectivité. [Traduction]
– Association canadienne pour l’intégration communautaire

Par ailleurs, les préjugés âgistes voulant, par exemple, que les aînés n’aient pas de vie sexuelle ou soient incapables de prendre des décisions éclairées à propos de leurs rapports affectifs ont parfois comme conséquence de les empêcher d’établir et d’entretenir des rapports intimes, surtout en établissement.

Les préjugés hétérosexistes culturellement biaisés sur la nature de la famille empêchent parfois la reconnaissance de rapports intimes de soin et de soutien. La Commission s’est fait rappeler que de nombreux aînés GLBT n’avouent pas à leur famille naturelle l’existence de leur famille affective. Les membres de cette famille ne sont donc pas toujours reconnus lorsque la personne GLBT devient malade ou incapable et sont souvent exclus : on ne leur permet pas de visiter le malade aux soins intensifs, de prendre des décisions en matière de soins de santé ou d’être informés de l’évolution de l’état du malade. Une telle situation entraîne un grand isolement pour les personnes âgées GLBT malades.

 

B. Les contraintes énormes exercées sur les rapports de soin et de dévouement

L’ACIC estime que le droit doit commencer à énoncer les attentes à l’égard des rapports de soin au sein des familles, ainsi que les droits et les responsabilités des membres de la famille dans le cadre de ces rapports. [Traduction]
– Association canadienne pour l’intégration communautaire

De nombreux témoins ont affirmé que le droit ne soutient pas assez ceux qui s’occupent de membres de leur famille ou d’amis.

Nous estimons qu’il revient à tous les gouvernements du Canada de régler cette réalité insoutenable. La première chose à faire… est de faire la distinction entre les rapports de soins familiaux et les rapports de dispense de soins qui dépassent le cadre des attentes de la société en ce qui concerne ce que les membres d’une famille se doivent les uns aux autres. Selon nous, c’est au point où les rapports de soins familiaux franchissent ce seuil – pour devenir principalement des rapports de dispense de soins – que naît un droit au soutien tant pour les pourvoyeurs de soins familiaux que pour les bénéficiaires de ces soins. [Traduction]
– Association canadienne pour l’intégration communautaire

Cette question touche les personnes âgées tant dans leur rôle de soignants que dans celui de bénéficiaires de soins. La Commission ontarienne des droits de la personne s’est inquiétée des conséquences de cette pénurie de soutiens tant pour les personnes âgées que pour ceux qui leur dispensent des soins :

Comme la Commission l’a indiqué dans Il est temps d’agir : Faire respecter les droits des personnes âgées en Ontario, le manque de soutien social pour les membres des familles qui prennent soin de personnes âgées reste un problème significatif et urgent. La Commission a entendu parler… des besoins croissants et urgents liés aux soins aux aînés qui sont dispensés, en grande partie, dans la collectivité par les membres de la famille. Le manque de soutien accordé à ces soignants par le gouvernement, les employeurs et les fournisseurs de services a des répercussions importantes sur la qualité de vie des aînés ontariens et des personnes qui s’occupent d’eux[41].

L’Advocacy Centre for the Elderly, pour sa part, ne lie pas du tout le problème aux rapports sociaux, mais bien à l’échec des gouvernements de mettre en place des mesures suffisantes de soutien des soins à domicile et d’autres ressources du même genre peu abondantes :

Les soins aux aînés sont dispensés dans la collectivité par les membres de la famille, ce qui permet de vieillir dans son milieu tout en économisant des ressources publiques. Malheureusement, les services offerts pour soutenir les soignants familiaux sont très limités, ce qui donne naissance à un système du « tout ou rien », dans lequel les familles estiment n’avoir d’autre choix que de placer leurs êtres chers dans un établissement de soins de longue durée. [Traduction]

L’Association canadienne pour l’intégration communautaire fait remarquer que, lorsque poussés à la limite par des responsabilités en matière de soins, les rapports de soins et de dévouement sont menacés au point de mettre en danger le bénéficiaire de soins, le soignant et la cellule familiale. Le bénéficiaire est mis dans une situation de vulnérabilité et de dépendance, tandis que le soignant subit des inconvénients importants et parfois de longue durée sur le plan financier, affectif et social. Résultats possibles : éclatement de la famille, placement inopportun en établissement, voire violences et mauvais traitements.

Dans la foulée, l’Association canadienne pour l’intégration communautaire a défendu l’idée que la réforme du droit doit fonder les rapports de soins familiaux sur les principes de la santé et du bien-être, de l’interdépendance respectueuse, de la participation pleine et égale à la société, de l’autodétermination, de la sécurité et de la reconnaissance mutuelle. Une telle approche sous-entend des mesures visant à garantir le droit aux soutiens nécessaires à l’indépendance et à l’inclusion dans la collectivité, la réforme des critères d’admissibilité et de la protection des emplois en vue d’accroître la sécurité économique des soignants et la mise sur pied d’un « Bureau des personnes vulnérables » capable d’intervenir lorsqu’une personne âgée est en danger dans n’importe quel milieu.

 

C. Le droit et la réglementation des rapports sociaux

Les rapports sociaux des personnes âgées sont souvent complexes et diffus. Il peut parfois être difficile de distinguer les soins de l’emprise ou les normes culturelles, sociales ou sexuelles de comportements d’exploitation. Par exemple, la Commission s’est fait dire par des membres de la communauté afro-canadienne que, bi