Avant d’analyser les orientations juridiques privilégiées dans les définitions de l’incapacité, il est utile de tenir d’abord compte du paysage juridique général environnant en Ontario et de la nature et des objectifs des lois qui touchent les personnes handicapées.

Les lois ontariennes qui influencent les personnes handicapées sont soumises à la Charte canadienne des droits et libertés et doivent être analysées en fonction de cette dernière. L’article 15 de la Charte, qui est entré en vigueur en 1985, garantit l’égalité devant la loi, ainsi que le même bénéfice et la même protection de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment de celle fondée sur les déficiences mentales ou physiques (termes que la Charte ne définit pas). Le paragraphe 15(2) protège les lois, les programmes ou les activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés pour différents motifs, y compris pour leurs déficiences mentales ou physiques.[13] Les dispositions sur le droit à l’égalité dans la Charte ont joué un rôle très important dans l’avancement des droits des personnes handicapées, en permettant d’articuler le droit à l’inclusion et à la participation, et de mettre de l’avant le principe de l’accommodement.[14]

Les cadres stratégiques et les engagements internationaux ont aussi grandement influencé les orientations stratégiques canadiennes. Comme nous en discuterons plus tard dans ce document, le travail de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) au sujet de la déficience et de l’incapacité a eu une grande influence au Canada, et la nouvelle Convention relative aux droits des personnes handicapées de l’Organisation des Nations Unies devrait avoir un impact significatif sur la politique relative aux déficiences, tant au fédéral qu’au provincial.

Il existe en Ontario un vaste éventail de lois qui ont un impact sur les personnes handicapées. Certaines sont en partie centrées sur des questions liées à l’incapacité, alors que d’autres ne traitent d’incapacité qu’indirectement. Ces lois abordent une vaste gamme de questions, y compris le transport, l’éducation, les mesures d’adaptation au travail, le soutien du revenu et la sécurité, les appareils fonctionnels et l’administration de la justice.

Il faut noter que de nombreuses lois ne traitent pas explicitement de l’incapacité, mais qu’elles ont quand même un impact important et disparate sur les personnes handicapées. Les lois qui négligent l’existence des personnes handicapées et qui omettent donc de tenir compte de leurs expériences et de leur situation peuvent créer des obstacles. Ainsi, celles relatives au divorce, à la pension alimentaire ou à la garde des enfants ne font pas explicitement référence aux questions liées à l’incapacité. Cependant, lorsque des décideurs se fient à des stéréotypes quant à la capacité des personnes handicapées d’agir comme parents, ou qu’ils omettent de tenir compte des besoins des personnes handicapées lorsqu’ils décident du partage des biens, de la pension alimentaire ou de la résidence familiale, ils peuvent les désavantager. Les lois qui exigent que les citoyens fournissent des renseignements ou remplissent des formulaires avant d’avoir accès à des programmes ou à des avantages, et qui ne tiennent pas compte des besoins des personnes ayant des troubles de communication ou des déficiences intellectuelles peuvent involontairement créer des obstacles à l’accès.

Les lois ontariennes relatives à l’incapacité ont une multitude d’objectifs qui influencent la conception du handicap que chaque loi véhicule; c’est pourquoi il est important de les reconnaître. Aux fins de cette analyse, les lois ontariennes relatives à l’incapacité peuvent être divisées en trois grandes catégories : celles qui promeuvent la levée des obstacles auxquels se butent les personnes handicapées, celles qui leur donnent accès à des avantages, à de l’aide ou à des accommodements et celles qui restreignent leurs rôles, leurs activités ou leurs décisions.

 

1. Lois promouvant la levée des obstacles auxquels se butent les personnes handicapées

Ces lois sont uniques en ce que leurs principaux objectifs sont de reconnaître les personnes handicapées en tant que groupe désavantagé et de supprimer les obstacles auxquels elles se butent afin de parvenir à l’égalité et à la participation à part entière. Ces lois exigent que les organismes et les personnes physiques prennent des mesures proactives dans de nombreux domaines pour que les personnes handicapées parviennent à l’égalité pour et qu’elles soient incluses. Seules trois lois ontariennes se classent dans cette catégorie. La plus ancienne d’entre elles est le Code des droits de la personne de l’Ontario,[15] qui inclut depuis 1982 le handicap (terme devenu « disability » en anglais) comme motif de protection. Selon le Code, les personnes handicapées ont droit à un traitement égal, sans discrimination en matière d’emploi, de logement, de services, de biens, d’installations, de contrats ou d’adhésion à un syndicat ou à une autre association professionnelle. Le Code prévoit des mécanismes à la fois proactifs et réactifs pour faire valoir ces droits.[16] Il convient de souligner que, depuis quelques années, le handicap a été le motif du Code le plus souvent cité dans les plaintes de discrimination, apparaissant dans plus de la moitié des plaintes à la Commission ontarienne des droits de la personne (et ce, avant les très récentes modifications aux mécanismes d’exécution prévus au Code).[17]

Plus récemment, le gouvernement a édicté la Loi de 2001 sur les personnes handicapées de l’Ontario (LPHO)[18], puis la Loi de 2005 sur l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario (LAPHO).[19] L’étendue de la LAPHO est beaucoup plus large que celle de la LPHO, mais les deux ont pour but de retirer systématiquement tous les obstacles physiques, technologiques, informationnels, d’attitude ou de communication auxquels les personnes handicapées se butent. La LPHO s’applique au secteur public élargi, ce qui comprend les transporteurs, les établissements d’enseignement et les municipalités, et elle exige que des plans d’accessibilité soient mis en place. La LAPHO s’applique autant au secteur privé qu’au secteur public et, parmi les mesures qu’elle instaure, elle prévoit un processus d’élaboration de normes d’accessibilité dans des industries, des secteurs économiques ou des catégories de personnes et d’organismes donnés.

 

2. Lois donnant accès à des avantages, à de l’aide ou à des accommodements pour les personnes handicapées

De nombreuses lois ontariennes reconnaissent la situation particulière des personnes handicapées, soit en tant que groupe élargi ou pour des types précis de déficiences, et elles fournissent l’accès à l’aide, aux avantages et aux mesures d’adaptation visant à corriger leur désavantage, à leur fournir de l’aide ou à améliorer leurs chances. Certaines se concentrent sur les besoins liés à l’incapacité, alors que d’autres s’adressent à la population en général et fournissent des mesures d’adaptation ou du soutien propres aux personnes handicapées.

À titre d’exemple, le désavantage auquel les personnes handicapées sont confrontées pour obtenir et conserver leur emploi, ainsi que les faibles niveaux de revenu qui y sont associés, sont partiellement abordés en Ontario par des programmes de soutien du revenu, les deux plus importants étant le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées (POSPH) (prévu selon la Loi de 1997 sur le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées[20]), qui prévoit un programme d’aide sociale à part pour les personnes handicapées qui répondent aux critères d’admissibilité spécifiés, et le programme sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail, qui fournit des revenus et des mesures de soutien pour le retour au travail aux personnes atteintes de déficiences temporaires ou permanentes à cause d’accidents du travail.[21]

Il existe de nombreuses lois qui donnent accès à des programmes ou à des politiques adaptés aux personnes handicapées pour leur donner des chances égales de participer et de tirer avantage des programmes gouvernementaux. Peut-être la plus importante d’entre elles est la disposition prévue à la Loi sur l’éducation[22] qui prévoit un soutien individuel, des méthodes d’enseignement et des programmes d’enseignement adaptés pour les « élèves en difficulté ». Parmi les autres exemples, citons les politiques ou règlements municipaux qui prévoient le transport adapté pour les personnes handicapées qui ne peuvent pas utiliser les services usuels de transport en commun et la disposition touchant les « permis de stationnement pour personnes handicapées » selon le Code de la route, qui permet aux personnes à mobilité réduite de stationner leurs véhicules à une distance raisonnable de leur lieu de destination.[23]

Le gouvernement ontarien fournit également des avantages afin de répondre aux besoins particuliers des personnes handicapées. À titre d’exemple, la taxe sur la vente au détail ontarienne ne s’applique pas à l’achat de certains types d’appareils fonctionnels[24] et l’Ontario finance un programme d’adaptation des habitations et des véhicules.[25]

Il existe de nombreux services et mesures de soutien visant les enfants handicapés, y compris les services de développement de l’enfant prévus à la Loi sur les services à l’enfance et à la famille,[26] les programmes de garderie pour enfants handicapés selon la Loi sur les garderies,[27] le répit pour les familles d’enfants handicapés et une prestation pour enfants handicapés pour les familles qui s’occupent d’un enfant ayant une déficience physique ou mentale sévère ou prolongée.[28]

 

3. Lois restreignant les rôles, les activités ou les décisions des personnes handicapées

Les lois citent fréquemment l’incapacité comme facteur jouant sur l’opportunité d’assumer certains rôles ou de participer à certaines décisions. Cela importe le plus souvent dans le cas de déficiences de type psychiatrique, développemental, cognitif ou intellectuel et est considéré comme une question de « capacité juridique » ou de « compétence ». L’absence de « capacité juridique » peut, par exemple, être un motif pour suspendre le permis d’exercice d’un avocat selon la Loi sur le Barreau[29] ou pour nommer un tuteur à l’instance selon la Loi sur les tribunaux judiciaires.[30] Aux termes de la Loi sur la Preuve, le témoignage de toute personne considérée comme atteinte d’incapacité mentale ne pourra pas servir de fondement pour une décision judiciaire à moins d’être corroboré, une mesure pouvant avoir des conséquences sérieuses sur l’habileté des personnes handicapées mentales d’obtenir réparation, notamment, lorsqu’elles ont subi des sévices ou qu’elles ont été exploitées.[31]

De façon encore plus sérieuse, c’est la possession de la capacité juridique qui détermine si une personne handicapée peut prendre des décisions au sujet des aspects les plus fondamentaux de sa vie. La possession de la capacité mentale requise est exigée afin de se marier[32] ou pour faire un testament valide. Qui plus est, des régimes législatifs créent des mécanismes de décision substituts complexes lorsqu’une personne physique est considérée ne pas détenir la capacité juridique nécessaire à la prise de décision sur des soins de santé, des soins personnels ou la gestion de ses biens. La Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé[33] prévoit les procédures et les exigences visant à consentir à un traitement médical, à l’admission dans des établissements de soins ou aux services d’aide personnelle pour les personnes « incapables ». La Loi de 1992 sur la prise de décisions au nom d’autrui[34] établit des procédures pour prendre des décisions au nom d’autrui en matière de biens ou de soins personnels en cas de perte de « capacité ». Une personne qui perd sa capacité juridique peut, par exemple, être institutionnalisée contre son gré. Une décision en vertu de la Loi sur la santé mentale[35] selon laquelle une personne est mentalement incapable peut entraîner la prise de décisions relatives à son traitement sans son consentement. La perte du droit de prendre de telles décisions fondamentales peut rendre les personnes handicapées extrêmement vulnérables à l’exploitation et aux abus.

 

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