A. Discrimination fondée sur la capacité physique et stigmates d’infériorité

Un récent rapport de l’Environics Research Group sur les attitudes canadiennes vis-à-vis des enjeux liés au handicap a mis en évidence le fait que bien que la plupart des Canadiennes et des Canadiens se plaisent à penser qu’ils appuient la participation des personnes handicapées aux activités quotidiennes de la société, bon nombre d’entre eux expriment des réserves significatives en ce qui concerne certains aspects de la relation avec les personnes handicapées, particulièrement avec les personnes dont le handicap affecte les moyens de communication, ou quand le handicap implique un « défigurement » ou un comportement qui n’est pas considéré comme « normal ».[17] De tels attitudes négatives et préjugés sont à la base de ce que certains ont baptisé « discrimination fondée sur la capacité physique ».

La « discrimination fondée sur la capacité physique » est un système de croyances analogue au racisme, au sexisme ou à la discrimination fondée sur l’âge, qui conduit à percevoir les personnes handicapées comme moins dignes de respect et de considération, moins à même de contribuer et de participer à la vie sociale, et dont la valeur inhérente est inférieure à celle d’autres personnes. La discrimination fondée sur la capacité physique peut être consciente ou inconsciente, et s’ancrer dans les institutions, les systèmes ou la culture d’une société dans un sens plus large.[18] Les attitudes et les stéréotypes peuvent adopter différentes formes en fonction du type de handicap; par conséquent, la discrimination fondée sur la capacité physique peut se manifester de différentes façons en fonction du type de handicap (déficience psychiatrique, sensorielle ou sur le plan du développement, par exemple).

La discrimination fondée sur la capacité physique peut se manifester par des attitudes négatives à l’égard des personnes handicapées, une gêne en leur présence et le fait de tenter de les éviter. Ce genre d’attitudes négatives peut avoir d’importantes répercussions sur la vie des personnes handicapées, pas seulement en ce qui touche leurs expériences sociales, mais aussi pour trouver et conserver un emploi rémunéré, accéder à des services et les utiliser, ou trouver un logement adéquat. Les attitudes et les préjugés négatifs visant les personnes handicapées peuvent faire surgir des obstacles significatifs en matière de dignité, d’égalité et de participation à la vie de la société, et peuvent parfois représenter des obstacles plus insurmontables que le handicap lui-même. Ces attitudes peuvent également jouer sur l’élaboration et la mise en œuvre de lois et de politiques. À titre d’exemple, on peut citer le recours persistant à des règlements de zonage et à des définitions visant à empêcher les personnes ayant des handicaps psychiatriques ou intellectuels d’accéder au logement avec services de soutien dans certains quartiers, ou créant des obstacles et des exigences supplémentaires lors des processus d’approbation.[19]

La discrimination fondée sur la capacité physique peut également empêcher de prendre en compte les besoins réels et la situation des personnes handicapées. Selon l’Association du Barreau de l’Ontario (ABO),

Le changement fondamental qui doit être opéré porte donc sur les attitudes et les conceptions. Par conséquent, les législateurs doivent élaborer les lois en partant du principe que l’aide, le soutien et la protection nécessaires pour assurer l’égalité et la participation des personnes handicapées constituent un droit, et non un privilège. Il faut partir du principe que la société tout entière tirera parti du fait que les personnes handicapées sont encouragées et autorisées à participer pleinement à la vie de la communauté, et ce, à tous les niveaux.[20]

 

B. Ignorance de la différence et exclusion de la « norme »

« L’exclusion de l’ensemble de la société découle d’une interprétation de la société fondée seulement sur les attributs “de l’ensemble” auxquels les personnes handicapées ne pourront jamais avoir accès […] C’est plutôt l’omission de fournir des moyens raisonnables et d’apporter à la société les modifications qui feront en sorte que ses structures et les actions prises n’entraînent pas la relégation et la non-participation des personnes handicapées qui engendre une discrimination à leur égard. »[21]

Les personnes handicapées peuvent se trouver dans des situations d’exclusion ou d’inégalité, non en raison des attitudes négatives per se, mais parce que les lois, les systèmes, les politiques et les pratiques ont été conçus sans prendre en compte leur existence. On part du principe – souvent inconsciemment – que seuls ceux qui sont « valides » tentent d’avoir accès à la loi, au système, au programme ou à la politique en question, et les choix opérés en matière de conception incluent uniquement les personnes qui appartiennent à la « norme » et excluent les personnes handicapées n’en faisant pas partie. Le fait de reconnaître que cette démarche crée des obstacles est fondamental dans l’approche sociale du handicap, et l’identification et l’élimination de ces obstacles constituent l’un des principaux objectifs de la défense des droits des personnes handicapées.

L’affaire Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général) constitue un excellent exemple de l’exclusion des personnes handicapées de la « norme ». Dans cette affaire, les parties concernées étaient des personnes sourdes communiquant par langage gestuel. Ayant eu besoin de faire appel à des services de soins de santé par l’intermédiaire d’un hôpital, elles ont découvert que cet hôpital ne proposait pas d’interprétation gestuelle. Autrement dit, contrairement à d’autres membres de la société, ces personnes se trouvaient dans l’impossibilité de communiquer pleinement et efficacement avec les professionnels de soins de santé les soignant. En l’occurrence, le problème n’était pas lié à des attitudes ou à des intentions négatives vis-à-vis des personnes sourdes, mais plutôt au fait que lors de la conception des soins hospitaliers, leurs besoins n’ont ni été pris en compte ni respectés, ce qui équivaut dans les faits à nier l’existence même des personnes sourdes. La Cour suprême du Canada a jugé que cette omission enfreignait les droits des personnes sourdes en vertu de la Charte, attendu que faute d’interprétation gestuelle, les personnes sourdes ne pouvaient pas véritablement bénéficier des mêmes services de soins de santé que les personnes entendantes. La Cour a énoncé que lorsque les gouvernements fournissent un service, ils doivent prendre les mesures nécessaires pour que les groupes défavorisés puissent bénéficier de ce service au même titre que les autres groupes de la société.[22]

 

C. Marginalisation socio-économique

Bien que de nombreuses personnes handicapées aient un excellent niveau d’instruction, soient employées à temps plein et participent à la vie de leur communauté, ce n’est pas le cas général : un nombre disproportionné de personnes handicapées sont exposées à un fort taux de chômage, perçoivent des revenus bien moindres que ceux d’autres catégories de population, et doivent donc faire face aux enjeux qui touchent les personnes au chômage et à faible revenu, notamment en termes de bien-être et de participation à la vie sociale.[23] Aujourd’hui, les personnes handicapées font donc toujours l’expérience de la marginalisation sociale et économique et de ses conséquences.

Ce faible taux d’emploi et ces revenus peu élevés découlent des obstacles rencontrés très tôt par les personnes nées avec un handicap, ou par celles qui développent une incapacité plus tard dans leur vie. Ces obstacles, qui sont systémiques ou liés à l’attitude, peuvent empêcher les enfants handicapés d’avoir accès à une éducation adéquate.[24] De même, l’absence de soutien proposé aux personnes qui vivent avec des enfants handicapés ou qui leur prodiguent des soins explique que les familles ayant un enfant handicapé perçoivent des revenus beaucoup plus faibles.[25] Le fait que les personnes nées handicapées soient désavantagées très tôt dans leur vie n’est pas sans conséquence. Toutefois, puisque les personnes handicapées souffrent plus de ces désavantages (taux de chômage plus élevé, revenus faibles) que les personnes ayant un niveau d’éducation et de formation similaire, on peut penser que les obstacles se situent au sein même du marché du travail.

La marginalisation sociale et économique s’accompagne de nombreuses conséquences. La sécurité personnelle des personnes handicapées est souvent compromise, et elles sont plus vulnérables à la violence et à l’exploitation. Par exemple, elles risquent beaucoup plus d’être victimes de crimes violents et de violence familiale. Certains experts établissent un lien entre cette vulnérabilité à la violence physique et verbale et la dévalorisation persistante des personnes handicapées, et avec le fait que les systèmes sociaux les placent dans des relations où elles sont tenues à l’écart du pouvoir. [26]

La faiblesse des revenus est un facteur qui constitue en lui-même un obstacle supplémentaire en empêchant les personnes handicapées d’être incluses à la vie de la communauté et d’y participer pleinement. La pauvreté est un obstacle à l’obtention d’un logement adéquat, à l’accès à la justice ainsi qu’à la participation à la vie municipale et communale. À cet égard, l’ABO relève que :

Même quand les cours et les tribunaux sont techniquement accessibles aux personnes handicapées, la pauvreté constitue un véritable obstacle à l’accès à la justice. Le risque d’attribution des dépens, le fait de devoir trouver un avocat aux honoraires abordables et qui ait l’expérience, la capacité ou tout simplement la volonté de consacrer aux personnes handicapées le temps supplémentaire nécessaire à leur représentation – notamment dans le cas d’un handicap cognitif ou mental –, constituent autant de facteurs qui limitent la faculté des personnes handicapées à défendre leurs droits.[27]

 

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