A. Présentation générale

Le droit ontarien comporte de nombreuses lois qui concernent les personnes handicapées. Certaines sont centrées sur les enjeux liés au handicap, alors que d’autres évoquent le handicap de façon indirecte uniquement. Ces lois abordent de nombreux aspects, notamment les transports, l’éducation, l’accommodement en milieu de travail, le soutien du revenu et la sécurité économique, les appareils fonctionnels et l’administration de la justice. Pour plus de clarté, on peut considérer que les lois relatives aux personnes handicapées se divisent en quatre catégories principales.

Lois d’application générale : de nombreuses lois qui n’abordent pas le handicap de façon explicite ont néanmoins une incidence significative et contrastée sur les personnes handicapées. Les lois qui ignorent leur existence, et qui ne prennent donc pas en compte les expériences et la situation des personnes handicapées, peuvent créer des obstacles. Ainsi, les lois qui imposent au public de fournir des renseignements et de remplir des formulaires pour avoir accès à certains programmes et prestations, mais qui ne prennent pas en compte les besoins des personnes ayant un handicap intellectuel ou lié à la communication peuvent empêcher involontairement l’accès à ces programmes et prestations.

Lois promouvant l’égalité et l’élimination des obstacles : de nombreuses lois visent explicitement, en tout ou en partie, l’élimination des obstacles à l’égalité pour les personnes handicapées. L’article 15 de la Charte joue un rôle central dans la défense des droits des Canadiennes et Canadiens handicapés. Le Code des droits de la personne de l’Ontario prévoit des mesures majeures contre la discrimination. De même, la Commission ontarienne des droits de la personne utilise tous les pouvoirs qui lui sont conférés au titre de l’article 29 du Code pour aborder les problèmes systémiques qui touchent les personnes handicapées, notamment par le biais d’initiatives concernant l’éducation des personnes handicapées, l’accessibilité aux transports en commun, les normes d’accessibilité aux services; les vérifications des casiers judiciaires; et en élaborant des politiques et des lignes directrices.

En Ontario, l’initiative la plus récente et la plus innovante en matière d’élimination des obstacles à l’accessibilité des personnes handicapées est la Loi de 2005 sur l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario (LAPHO).[28] La LAPHO s’applique aux secteurs public et privé, et un acte apparenté, la Loi sur les personnes handicapées de l’Ontario,[29] vise également l’élimination des obstacles, bien que sa portée soit plus limitée. La LAPHO prévoit un processus visant à élaborer des normes d’accessibilité et à garantir l’élimination des obstacles physiques, liés à l’attitude, aux renseignements, aux technologies ou aux communications pour les personnes handicapées. L’objectif de la LAPHO est d’atteindre l’accessibilité totale d’ici à 2025. Des normes ont été élaborées pour les services à la clientèle, et d’autres seront préparées dans quatre autres domaines, à savoir l’emploi, les communications et l’information, les transports et le milieu bâti.

Lois fournissant des soutiens, des accommodements et des prestations aux personnes handicapées : de nombreuses lois ontariennes reconnaissent la situation exceptionnelle des personnes handicapées et fournissent des soutiens, des prestations et des accommodements spécifiques, soit à toutes les personnes handicapées admissibles, soit à des groupes spécifiques de personnes handicapées. Ces lois incluent la législation à l’origine du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, les dispositions spécifiques concernant l’éducation prévues par la Loi sur l’éducation et les règlements connexes, les services et soutiens relatifs aux enfants handicapés et la clause concernant les permis de stationnement pour personnes handicapées au titre du Code de la route.

Lois restreignant les activités et la participation des personnes handicapées : les lois liées à la compétence ou à la capacité juridique peuvent restreindre les activités des personnes ayant un handicap de type psychiatrique, intellectuel, cognitif ou de développement. Ainsi, la Loi sur le consentement aux soins de santé et la Loi sur la prise de décisions au nom d’autrui énoncent des procédures pour la prise de décisions relatives à la santé, à la propriété ou aux soins personnels d’une personne dont on estime qu’elle ne possède pas la capacité juridique nécessaire à cette prise de décisions.

 

B. Thèmes et enjeux centraux

À la lumière des consultations préliminaires et des recherches initiales menées par la CDO, certains thèmes et enjeux ont commencé à émerger quant au cadre juridique actuel s’appliquant aux personnes handicapées.

Double emploi et incohérences : en raison de l’enchevêtrement complexe de ces lois et politiques, il n’est guère étonnant que ponctuellement, le cadre juridique s’appliquant aux personnes handicapées présente des recoupements et des incohérences qui peuvent causer une certaine confusion et empêcher que les objectifs de la loi ne soient atteints de manière efficace. Certaines personnes ont par exemple exprimé des inquiétudes quant à l’interaction de plusieurs lois et politiques concernant le soutien du revenu pour les personnes handicapées.[30]

Un bon exemple de double emploi et d’incohérence concerne la relation entre les trois lois réglementant l’accessibilité des personnes handicapées : le Code du bâtiment, le Code des droits de la personne de l’Ontario et la Loi sur l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario. Il n’existe aucun mécanisme formel permettant de coordonner ces trois lois. Dans la pratique, les approches adoptées par chacun de ces textes en faveur de l’accessibilité varient souvent de façon considérable, et la Commission ontarienne des droits de la personne fait régulièrement part de ses préoccupations au sujet du Code du bâtiment et de la LAPHO.[31] Les fournisseurs de services peuvent donc être amenés à se conformer à trois normes distinctes pour un seul problème d’accessibilité; en revanche, les personnes qui cherchent à déposer un recours vis-à-vis d’une absence d’accessibilité ne peuvent le faire qu’en vertu du Code des droits de la personne de l’Ontario.

Critères d’admissibilité et contrôleurs : les programmes qui fournissent des services, des prestations et des soutiens aux personnes handicapées prévoient des critères d’admissibilité afin de pouvoir déterminer qui est fondé à bénéficier du service, de la prestation ou du soutien en question. De tels critères peuvent exiger d’une personne qu’elle prouve qu’elle a un handicap spécifique, que celui-ci atteint un certain seuil de gravité, et/ou qu’il affecte de façon particulière la capacité à réaliser certaines actions spécifiques.

La détermination des personnes répondant aux critères d’admissibilité peut exiger la mise en place de systèmes administratifs complexes et de ressources considérables. Pour certaines personnes handicapées, il est difficile – voire dégradant – d’accéder à de tels systèmes, et les personnes ayant réellement besoin de ces soutiens ou de ces services peuvent ne pas déposer de demande, ou être incapables de prouver qu’elles sont fondées à en bénéficier.

La preuve d’admissibilité à une prestation ou à un service donné passe parfois par une vérification effectuée par des professionnels de la santé spécifiques, ce qui confère à ces praticiens un pouvoir considérable sur les personnes handicapées et leur existence, puisque de leur décision dépend l’octroi de prestations permettant de faire face à des besoins fondamentaux. Le recours aux professionnels de la santé fait l’objet de nombreuses critiques, car cela revient à placer les personnes handicapées dans une situation de dépendance, et à accorder à ces praticiens un pouvoir excessif sur la catégorisation, l’évaluation et la définition des personnes handicapées.

Par exemple, le système qui permet actuellement de déterminer l’admissibilité au Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées est vivement critiqué. Les délais concernant l’attribution des soutiens et les révisions internes ont été dénoncés par le Bureau de l’ombudsman de l’Ontario dans un rapport datant de 2006 : à l’époque, le processus d’attribution pouvait prendre des mois, avec des garanties très limitées de remboursement des prestations une fois l’admissibilité confirmée.[32] Ce programme est complexe, et les demandeurs peuvent avoir des difficultés à comprendre leurs droits et la façon d’y avoir accès.[33] Les critères d’admissibilité qui reposent en partie sur une approche biomédicale empêchent certaines personnes ayant des affections incapacitantes d’avoir accès aux prestations et, comme le souligne une soumission envoyée à la CDO, « fait des médecins les contrôleurs de la définition du handicap, ce qui les place dans une position de pouvoir vis-à-vis du patient ».[34]

Accès aux soutiens : pour parvenir à l’égalité, les personnes handicapées peuvent avoir besoin de soutiens, qu’il s’agisse d’appareils fonctionnels permettant à un étudiant d’accéder au matériel de cours, de soutiens personnels pour les tâches ménagères ou les activités quotidiennes, de services spécialisés de réadaptation ou de formation, ou de soutiens financiers prenant en charge certains coûts liés au handicap. Quand les soutiens nécessaires ne sont pas disponibles, les personnes handicapées se voient refuser la possibilité de développer leur potentiel et de contribuer pleinement à la vie de leur communauté, et peuvent être reléguées en marge de la société et condamnées à la précarité.

Des préoccupations ont été exprimées à maintes reprises en ce qui concerne l’insuffisance des ressources nécessaires au soutien des personnes handicapées, qui font que les programmes destinés aux personnes handicapées ne peuvent pas être mis en place de façon adéquate. Selon l’ABO,

Les lois dont l’objectif est de fournir uniquement les ressources pour lesquelles les contribuables sont prêts à payer rendent les personnes handicapées – et d’autres – incapables d’accéder aux services et aux prestations que la société peut offrir, non pas en raison de leur handicap, mais du fait de l’absence de ressources personnelles ou sociétales rendant la participation possible. Plus cette situation se prolongera et plus le prix – au niveau personnel comme pour l’ensemble de la société – sera lourd à payer.[35]

Dans l’affaire Auton (Tutrice à l’instance de) c. Colombie-Britannique (Procureur général), les parents d’enfants autistes ont soutenu que le fait que la province était incapable de financer une thérapie d’intervention comportementale intensive (ICI) pour enfants autistes d’âge préscolaire constituait une violation des droits à l’égalité prévus par la Charte. Bien que les tribunaux inférieurs aient constaté la violation de l’article 15, la Cour suprême du Canada a jugé que la conduite du gouvernement ne portait pas atteinte aux droits à l’égalité. La Cour a en effet estimé que le régime législatif prévu par la Loi canadienne sur la santé et d’autres dispositions législatives associées n’était pas discriminatoire, car bien qu’il refuse de supporter financièrement la thérapie ICI destinée aux enfants autistes, il assure le financement de services non essentiels destinés à d’autres groupes. La Cour a souligné que l’objectif du régime législatif concernant les soins de santé « n’est pas de répondre à tous les besoins médicaux » et qu’« il s’agit par définition d’un régime partiel de soins de santé ».[36]

Le droit et la discrimination fondée sur la capacité physique : comme évoqué ci-dessus, certains s’inquiètent du fait que la loi elle-même puisse parfois adopter et véhiculer des attitudes et des préjugés relevant de la discrimination fondée sur la capacité physique. Ainsi, les lois relatives à la capacité et à la tutelle ont fait l’objet de nombreuses critiques. On leur reproche notamment de s’appuyer sur des attitudes et des stéréotypes négatifs visant les personnes ayant des handicaps de type intellectuel ou cognitif :

Malgré le suivi législatif mis en œuvre par d’autres juridictions et par la Convention des Nations Unies, certains stéréotypes négatifs ont la vie dure en ce qui touche le handicap intellectuel, et par conséquent en ce qui concerne la capacité juridique des personnes ayant un handicap intellectuel. Il en va de même pour les personnes plus âgées dont les capacités intellectuelles et cognitives déclinent. Dans les deux cas, ces stéréotypes, qui vont de pair avec des idées reçues sur le degré de capacité intellectuelle censé caractériser les personnes disposant d’une capacité juridique, sont profondément discriminatoires et dévalorisants. Trop souvent, ces stéréotypes se rencontrent au sein de l’administration de la justice, ce qui a pour conséquence de dépouiller de leur identité individuelle les personnes ayant un handicap intellectuel ou les personnes plus âgées qui éprouvent des difficultés d’ordre cognitif. [37]

Il a été allégué que les dispositions de la Loi sur les coroners – en vertu desquelles une enquête est obligatoire dans le cas d’un prisonnier qui meurt en détention, mais discrétionnaire dans le cas d’un décès dans un établissement psychiatrique – contribuent à dévaloriser les personnes ayant des incapacités d’ordre psychiatrique, et n’apprécient pas à sa juste valeur la vulnérabilité réelle des personnes qui sont détenues en établissement psychiatrique contre leur gré.[38]

Application et mise à exécution : un autre point qui suscite fréquemment des inquiétudes concerne les lacunes de lois qui, en théorie sont bénéfiques aux personnes handicapées, mais dont la mise à exécution pose de grands problèmes dans la pratique. Les problèmes peuvent être très variés dans leurs manifestations, qui incluent le sous-financement des programmes, des attitudes négatives ou faisant preuve de discrimination fondée sur la capacité physique de la part du personnel chargé de l’exécution du programme, une formation insuffisante de la part du personnel chargé de l’exécution du programme, l’absence de mécanismes de mise à exécution viables ou des problèmes découlant de la conception des systèmes d’application et de mise à exécution.

À cet égard, une grande attention a été accordée ces dernières années aux problèmes rencontrés par le système ontarien de gestion de l’enfance en difficulté. Le vérificateur général a indiqué dans son rapport annuel de 2001 que l’éducation de l’enfance en difficulté était un domaine présentant des enjeux spécifiques.[39] En 2003, la Commission ontarienne des droits de la personne a publié son rapport Une chance de réussir en s’appuyant sur des consultations publiques à grande échelle. Ce document décrivait les lacunes du système éducatif de l’Ontario en ce qui concerne les élèves handicapés, et proposait des recommandations dans l’optique d’une réforme. Souvent, alors que la loi et les politiques du ministère de l’Éducation adoptaient des approches et des principes appropriés, leur application dans la pratique ne répondait pas aux objectifs fixés. Ainsi, le processus d’accommodement pouvait s’avérer extrêmement lent, de sorte que les élèves ne pouvaient bénéficier des structures nécessaires que tard dans l’année scolaire. Certains établissements avaient investi dans des appareils fonctionnels, mais ceux-ci ne pouvaient pas être employés car le personnel ignorait comment s’en servir. Les éducateurs et les administrateurs considéraient parfois l’accommodement des élèves handicapés comme une contrainte. Quand les plans d’enseignement individualisés s’avéraient inadéquats ou n’étaient pas appliqués, aucun recours formel n’était possible.[40]

Ce type de problèmes met en évidence le fait qu’il faut accorder une plus grande attention à l’application et à la mise à exécution des lois et des politiques élaborées en faveur des personnes handicapées. Dans certains cas, les mécanismes d’accès et de mise à exécution ne sont pas conçus en fonction des besoins réels des personnes handicapées. Bien souvent, il est difficile de savoir si un programme donné est mis à exécution conformément à l’objectif initial, car il n’existe aucun système permettant de mesurer le succès des programmes et des politiques.

 

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