A.    Les infractions provinciales et la Loi

1.   Historique de la Loi sur les infractions provinciales

La Loi sur les infractions provinciales a été promulguée pour la première fois en 1979[33]. Elle régit la majeure partie du processus de poursuite et d’exécution des infractions réglementaires provinciales et fédérales et des règlements administratifs municipaux[34]. En 1974, la Commission de réforme du droit du Canada a estimé qu’environ 20 000 infractions réglementaires étaient commises dans chaque province, en plus de 20 000 autres infractions commises à l’échelle fédérale, ces chiffres n’incluant pas les infractions aux règlements administratifs municipaux[35]. Nous savons qu’il y a eu depuis trois ans en Ontario chaque année environ 2 millions de mises en accusation effectuées en vertu de législations créant des infractions auxquelles la Loi s’applique[36]. Ces mises en accusation concernaient divers domaines comme la circulation, la réglementation sur les substances contrôlées, l’environnement ou encore la santé et la sécurité au travail.  

Avant l’entrée en vigueur de la Loi, la procédure d’exécution et de poursuite des infractions réglementaires en Ontario était définie dans la Summary Convictions Act[37]. C’était une loi brève contenant 23 articles adoptant largement les dispositions du Code criminel en matière de poursuites d’infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Or, même si ces procédures étaient « légèrement moins strictes que les procédures applicables aux actes criminels prévues dans le Code criminel, elles restaient cependant totalement inadaptées au caractère réglementaire mineur de la plupart des infractions provinciales »[38]. (Traduction libre) Selon un rapport de 1973 de la Commission de réforme du droit de l’Ontario, la procédure disproportionnée régissant certaines infractions provinciales avait des conséquences nuisibles sur l’administration de la justice : 

Les questions qui nous préoccupent témoignent, selon nous, de l’existence d’un problème plus vaste. C’est le système de l’administration des infractions provinciales dans son ensemble qui est en train de s’effondrer, non seulement au niveau des tribunaux, mais également au niveau de la signification d’assignations, de l’exécution des mandats et de toute la documentation administrative associée. Les ressources policières sont utilisées pour veiller au respect des étiquettes de stationnement, alors que l’on envoie par courrier régulier des assignations à comparaître dans des affaires criminelles graves. Certains agents de police ne prennent même pas la peine de témoigner. Les défendeurs sont acquittés, non sur leurs mérites. Ce résultat peut s’avérer acceptable s’il sert un quelconque autre objectif souhaitable, mais si l’acquittement n’est que la conséquence d’une incapacité administrative, alors il favorise uniquement le mépris à l’égard du système[39]. (Traduction libre)

En 1978, l’honorable R. Roy McMurtry, procureur général de l’Ontario de l’époque, a évoqué en ces termes le problème visé par la Loi sur les infractions provinciales : 

La nouvelle Loi sur les infractions provinciales s’attaque directement à la racine du problème de procédure actuel, à savoir que les poursuites relatives aux infractions provinciales suivent maintenant un code de procédure qui fait référence au Code criminel du Canada. Même si la procédure suivie est la moins rigide et la moins contraignante des deux systèmes établis dans le Code, elle est quand même imprégnée d’hypothèses vieilles de centaines d’années quant aux actes criminels et aux personnes qui les commettent. Ni ces hypothèses ni les règles techniques rigides auxquelles elles ont donné naissance ne conviennent à 90 % des infractions provinciales qui visent à réglementer des activités qui sont non seulement légitimes, mais aussi utiles à la société[40]. (Traduction libre) 

L’intention sous-jacente était clairement de créer un « cadre procédural sur mesure »[41] entièrement nouveau pour remplacer la procédure sommaire de déclaration de culpabilité prévue dans le Code criminel et s’en distinguer. (Traduction libre) L’objectif de la Loi décrit dans son paragraphe 2(1) établissait sans nul doute possible cette nouvelle approche : 

La présente loi a pour objet de remplacer la procédure de déclaration de culpabilité par procédure sommaire dans les poursuites à l’égard d’infractions provinciales, y compris les dispositions adoptées par renvoi au Code criminel (Canada), par une procédure qui reflète la distinction existant entre les infractions provinciales et les infractions criminelles[42]. 

Des volets distincts ont été créés dans le cadre de la Loi – un pour les infractions mineures (partie I), un autre pour les infractions plus graves (partie III) et un troisième pour les infractions de stationnement (partie II). Une certaine souplesse a été intégrée à la Loi afin que les circonstances de chaque affaire dictent quel volet – celui pour les infractions mineures ou celui pour les infractions plus graves – est le plus approprié[43]. La nouvelle Loi sur les infractions provinciales a été « conçue pour proposer une méthode juste et efficace permettant de juger la majorité des affaires traitées par les tribunaux des infractions provinciales »[44]. Elle « devait permettre la mise en place d’une méthode accélérée, efficace et pratique pour traiter en majorité les infractions mineures »[45]. (Traduction libre)

Aujourd’hui, le respect de l’administration de la justice, la rapidité, l’efficacité et un processus simple ou adapté demeurent des objectifs louables pour une procédure qui régit l’arbitrage des infractions mineures. Il s’agit d’objectifs particulièrement importants lorsque la grande majorité des défendeurs se représentent eux-mêmes[46]. Nous devons également prendre en compte les infractions provinciales plus graves qui vont de pair avec des sanctions significatives et les examiner à la lumière du système fondé sur la Loi créé en 1979 afin de déterminer le caractère approprié ou non de ce cadre à l’heure actuelle. Étant donné la gravité et la complexité des enjeux considérés, le respect de l’administration de la justice, un processus équilibré et une protection procédurale adaptée sont d’autres objectifs majeurs de n’importe quel système. Dans la section suivante, nous proposons un aperçu du système actuel de la Loi afin de vérifier si elle continue de répondre à ces objectifs ou si ces derniers ont été perdus de vue sur les 30 dernières années, étant donné la nature évolutive des infractions provinciales. 

Ces facteurs révèlent que le système de la Loi est peut-être devenu trop complexe et trop technique pour la résolution des infractions mineures, tout en étant potentiellement trop générique pour le nombre d’infractions provinciales de plus en plus graves.

 

2.     Structure et aperçu de la Loi sur les infractions provinciales

La Loi est un code de procédure qui régit la poursuite des infractions réglementaires créées par la législation provinciale et les règlements administratifs municipaux. Le terme « infraction » est défini comme une « infraction prévue dans une loi de l’Assemblée législative ou dans un règlement ou un règlement administratif pris en application d’une telle loi »[47]. De plus, la Loi applique la poursuite des contraventions définies en vertu de la Loi sur les contraventions[48] à l’échelle fédérale. Le terme « tribunal » dans le cadre de la Loi représente la Cour de justice de l’Ontario, laquelle peut être présidée par un « juge provincial », défini comme un juge de la Cour de justice de l’Ontario ou par un « juge », défini comme un juge provincial ou comme un juge de paix de la Cour de justice de l’Ontario[49]. Voici un aperçu des principales parties de la Loi.

La Loi contient trois parties distinctes régissant l’introduction de poursuites[50].  

Partie I – Instances introduites au moyen du dépôt d’un procès-verbal d’infraction

La partie I traite des instances introduites au moyen du dépôt d’un procès-verbal d’infraction. On en parle souvent comme du processus de « verbalisation »[51]. Ce processus est utilisé pour les infractions de gravité moindre, comme le fait de conduire sans permis[52] ou la consommation d’alcool dans un lieu public[53]. Même si nous caractérisons les infractions créées dans la partie I comme « moins graves », il serait plus précis de dire qu’il s’agit d’infractions pour lesquelles l’agent d’infractions provinciales choisit de procéder au moyen d’un processus moins formel basé sur un procès-verbal d’infraction, plutôt que d’enjoindre à la personne de comparaître au tribunal dans le cadre du mécanisme prévu par la partie III. L’amende maximale est de 1 000 $ et l’emprisonnement n’est pas une sanction autorisée[54]. Lorsqu’un agent d’exécution remet un avis d’infraction à un particulier (p. ex. une contravention pour excès de vitesse constitue un avis d’infraction), l’agent dépose un procès-verbal d’infraction auprès du tribunal pour engager une instance[55]. L’avis d’infraction peut indiquer une amende fixée pour l’infraction commise. Le montant des amendes fixées est déterminé par le juge en chef de la Cour de justice de l’Ontario[56]. 

Un défendeur qui reçoit un avis d’infraction peut procéder comme suit :

  • Si le défendeur ne souhaite pas contester l’accusation, il doit payer l’amende fixée ainsi que les frais et les suramendes applicables fixés par les règlements. Le paiement de l’amende constitue le plaidoyer de culpabilité, la déclaration de culpabilité du défendeur et l’imposition de l’amende fixée à l’égard de l’infraction[57].
  • Si le défendeur ne souhaite pas contester l’accusation, mais désire présenter des observations quant à la peine, notamment quant à une réduction de l’amende ou à une prorogation du délai de paiement, le défendeur peut se présenter aux date, heure et lieu indiqués dans l’avis et comparaître devant un juge[58].
  • Si le défendeur souhaite inscrire un plaidoyer et avoir un procès, il doit déposer un avis d’intention de comparaître[59].  

Si le défendeur n’entreprend aucune des démarches susmentionnées dans un délai de 15 jours après la signification de l’avis d’infraction, il sera réputé ne pas contester l’accusation et si le procès-verbal d’infraction est complet et régulier à sa face même, le juge inscrira une déclaration de culpabilité, en l’absence du défendeur[60]. Si un défendeur souhaite inscrire un plaidoyer et avoir un procès, le greffier du tribunal transmet un avis des date, heure et lieu du procès[61] et le processus régissant les procès et la détermination de la peine visé dans la partie IV de la Loi s’applique[62].

Nous recommandons que le ministère du Procureur général envisage d’exclure du système de poursuites intentées en vertu de la Loi les infractions mineures de la partie I et suggérons qu’un système de sanctions administratives pécuniaires pourrait être plus efficace à cet égard dans certains cas.

 

Partie II – Instances introduites au moyen du dépôt d’un avis d’infraction de stationnement

La partie II établit la procédure pour introduire une instance relative aux infractions de stationnement. Elle est très similaire à la procédure indiquée dans la partie I, excepté que la partie II s’applique exclusivement aux infractions de stationnement, lesquelles sont créées principalement par les règlements administratifs municipaux. Un agent d’exécution signifie un avis d’infraction de stationnement, soit en personne, soit en le fixant au véhicule à un endroit bien en vue[63]. Les amendes fixées pour les infractions de stationnement sont indiquées sur l’avis correspondant et le défendeur doit dans les 15 jours suivants[64] soit choisir de payer l’amende[65], soit solliciter un procès[66]. Le montant d’une amende fixée pour une infraction de stationnement créée par un règlement administratif peut être établi par le juge en chef de la Cour de justice de l’Ontario[67]. 

Lorsqu’un défendeur demande un procès, une instance peut être introduite au moyen du dépôt au tribunal du procès-verbal de l’infraction de stationnement et de la preuve du titre de propriété du véhicule[68]. Un défendeur qui ne paie pas l’amende fixée, ni ne demande un procès peut être reconnu coupable par défaut[69], bien qu’une disposition prévoit de reconsidérer une déclaration de culpabilité si un défendeur établit qu’il n’a pas reçu l’avis d’infraction de stationnement. Lorsqu’une municipalité a conclu une entente avec le procureur général, elle peut recouvrer les amendes imposées en vertu de la partie II[70].  

Nous recommandons que la possibilité de poursuivre au tribunal les infractions de stationnement soit retirée de la Loi. À la place, chaque municipalité (ou partenaire municipal) devrait établir un système de sanctions administratives pécuniaires pour assurer l’application des règlements administratifs sur le stationnement.

 

Partie III – Instances introduites au moyen du dépôt d’une dénonciation 

La procédure de la partie III concerne les infractions qui nécessitent d’être réglées par un juge. Ces infractions ne peuvent pas être réglées par le paiement d’une amende fixée. La décision de poursuivre une infraction en vertu de la partie I ou de la partie III revient souvent à l’agent de police ou à l’agent des infractions provinciales et dépend de la nature de l’infraction et de l’intérêt public qui pourrait imposer des sanctions plus sévères. Par exemple, des infractions commises en vertu de la Loi sur la protection de l’environnement potentiellement punissables par des amendes s’élevant jusqu’à 50 000 $ pour une première déclaration de culpabilité et jusqu’à 100 000 $ pour les déclarations de culpabilité suivantes seront poursuivies en vertu de la partie III[71]. 

En outre, la décision de poursuivre en vertu de la partie III dépend des circonstances ou des conséquences de l’infraction commise[72]. Par exemple, un employeur peut être mis en accusation en application de la Loi sur la santé et la sécurité au travail[73] parce qu’il n’a pas fourni à ses employés des dispositifs de protection appropriés et se voir signifier un avis d’infraction en vertu de la partie I. Cependant, si l’absence de fourniture de dispositifs de protection a conduit à une blessure grave ou au décès d’un employé, alors l’employeur peut être mis en accusation dans le cadre de la procédure de la partie III. 

Pour les poursuites intentées en vertu de la partie III, un agent des infractions provinciales (dont la définition inclut les agents de police)[74] peut signifier une assignation à un défendeur et comparaître par la suite devant un juge pour fournir une dénonciation sous serment; il est également possible que la dénonciation assermentée devant un juge ait lieu avant la signification de l’assignation[75]. Outre les agents d’infractions provinciales, toute personne peut déposer une dénonciation alléguant une infraction sous serment devant un juge[76]. Ce dernier peut décerner une assignation à l’égard du défendeur, définissant brièvement les infractions qui lui sont reprochées et enjoignant au défendeur de comparaître devant le tribunal aux date et heure précisées[77]. Néanmoins, au lieu d’une assignation à comparaître, le juge peut également décerner un mandat pour l’arrestation du défendeur, si l’arrestation est autorisée par une loi et si le juge est convaincu qu’il existe des motifs raisonnables et probables de croire que l’arrestation est nécessaire dans l’intérêt public[78]. La signification d’un procès-verbal ou d’un avis d’infraction n’est pas l’acte introductif d’une instance régie par la partie III, laquelle doit nécessairement être introduite par le dépôt sous serment d’une dénonciation devant un juge. À cet égard, la procédure d’introduction d’une instance régie par la partie III ressemble à l’introduction d’une procédure pénale. 

En ce qui concerne la détermination de la peine, l’amende maximale de 1 000 $ applicable aux infractions régies par la partie I ne s’applique pas aux procédures de la partie III et l’emprisonnement fait partie des peines à disposition.[79]

 

Partie IV – Procès et prononcé de la sentence

La partie IV de la Loi porte sur le déroulement du procès et la détermination de la peine dans les procédures qu’elle régit[80]. Les articles relatifs au déroulement d’un procès sont les articles 29 à 55 et ceux liés au prononcé de la sentence sont les articles 56 à 75. Les dispositions portant sur le procès s’appliquent à tous les procès, que les poursuites aient été intentées en application de la partie I, II ou III. Elles traitent de modalités telles que le lieu, l’autorité du procureur général à suspendre une instance, la délivrance d’assignation aux témoins ou l’arrestation d’un témoin qui ne comparaît pas, l’inscription de plaidoyer, les conférences préalables au procès, les preuves et le cas échéant, le procès-verbal admissible en preuve, les ajournements et l’autorité habilitant à prononcer une déclaration de culpabilité en l’absence de comparution du défendeur. 

Le reste de la partie IV décrit en détail les pouvoirs du tribunal en matière de prononcé de la peine. Certains pouvoirs en matière de détermination de la peine sont limités aux procédures de la partie III, par exemple lorsqu’il s’agit d’ordonner la préparation d’un rapport présentenciel[81] ou de délivrer une ordonnance de probation[82]. Lorsque la loi qui crée l’infraction autorise l’emprisonnement comme sanction, le tribunal peut tenir compte de toute période que la personne déclarée coupable a déjà passée sous garde[83] et imposer une amende à la place de l’emprisonnement[84]. La Loi ne prévoit aucune autorité générale pouvant ordonner l’emprisonnement comme peine. Une telle autorité doit se trouver dans la législation qui crée l’infraction. Une fois déclaré coupable, un défendeur est tenu de payer les frais de tribunal prescrits par les règlements[85] et une suramende en cas d’amende imposée à l’égard d’une infraction fondée sur la partie I ou sur la partie III[86]. Une amende est exigible 15 jours après avoir été imposée[87]. 

S’il y a défaut de paiement d’une amende, son exécution peut être assurée à titre de jugement civil en déposant un certificat soit auprès de la Cour des petites créances, soit auprès de la Cour supérieure de justice, certificat qui sera réputé être une ordonnance de ce tribunal aux fins d’exécution[88]. Parmi les autres modalités d’exécution du paiement d’une amende, citons la suspension ou le refus de renouvellement de permis, licence, enregistrement ou privilège, lorsque cela est autorisé en vertu d’une loi[89].  

La Loi établit qu’un juge peut décerner un mandat pour que la personne en défaut soit arrêtée, mais ce uniquement lorsque d’autres méthodes de recouvrement de l’amende ont été employées sans succès ou qu’il semblerait qu’elles n’entraîneront vraisemblablement pas le paiement dans un délai raisonnable[90]. Un juge peut également prononcer une ordonnance d’emprisonnement (p. ex. mandat de dépôt) en cas d’amendes impayées si l’emprisonnement n’est pas contraire à l’intérêt public[91]. Si une personne n’est pas en mesure de payer une amende, un juge peut accorder une prorogation du délai imparti, fixer un échéancier de paiements, ou, dans des circonstances exceptionnelles, réduire l’amende[92]. Nous remarquons néanmoins que ces dispositions plus sévères relatives à l’exécution du paiement d’une amende (p. ex. décerner un mandat de dépôt ou ordonner l’emprisonnement pour non-paiement d’une amende) ne sont pas réellement en vigueur, dans la mesure où le paragraphe 165(3) de la Loi établit leur non-application lorsqu’une municipalité a conclu une entente de transfert dans le cadre de la Loi avec la province[93]. Des ententes de transfert ont été établies dans l’ensemble de l’Ontario; de ce fait, ces modalités d’exécution ne sont alors pas réellement disponibles. La suppression totale de ces modalités dans la Loi se justifie peut-être, bien que l’on ait parfois affaire à des infractions faisant l’objet de poursuites par la province, commises par des contrevenants qui refusent de façon éhontée de payer leurs amendes, alors qu’ils en ont les moyens. Ces situations peuvent constituer une justification politique pour conserver lesdites modalités.  

Enfin, un programme de règlement optionnel des amendes, autorisé par la Loi et établi par règlements, permet le paiement d’amendes au moyen de crédits accordés pour le travail exécuté[94], même si aucun programme de ce type n’est pour le moment mis en place.  

Nous recommandons ci-après que des procédures judiciaires différentes soient établies de façon proportionnelle à la nature et à la complexité de l’infraction (p. ex. processus différents pour les infractions établies par la partie I et pour celles établies par la partie III). Nous recommandons également l’adoption de principes de détermination de la peine et un éventail élargi de modalités de sanction en vue de mieux promouvoir le respect des objectifs de la réglementation.

 

Partie V – Dispositions générales

La partie V de la Loi s’intitule « Dispositions générales » et s’applique à tous les types de poursuites intentées en application de la Loi. Cette partie comprend des dispositions concernant les délais de prescription pour l’introduction d’une instance[95], une définition des parties à une infraction et de ceux qui conseillent à une autre personne de prendre part à une infraction[96], les moyens de défense en common law[97] et le pouvoir pour un témoin, un défendeur, un poursuivant ou un interprète de comparaître par un moyen électronique, qu’il s’agisse d’une vidéoconférence, d’une audioconférence ou d’une conférence téléphonique[98]. Une des rares infractions créées par la Loi, à savoir l’infraction d’outrage, se trouve dans la partie V[99].

 

Partie VI – Adolescents

La partie VI s’applique aux adolescents, définis comme étant âgés de 12 ans ou plus, mais de moins de 16 ans[100], qui sont accusés d’avoir commis des infractions provinciales. Cette partie inclut des dispositions particulières en ce qui concerne l’introduction d’instances régies par la partie I (p. ex. par voie d’assignation, et non par avis d’infraction)[101], d’autres options en matière de sanction et d’autres procédures pour les adolescents[102] et l’interdiction de publier l’identité d’un adolescent qui a commis ou est accusé d’avoir commis une infraction[103]. Nous recommandons que cette partie de la Loi fasse l’objet d’un examen distinct.

 

Partie VII – Appels et révisions 

La partie VII comprend des dispositions portant sur les appels et les révisions. Certaines d’entre elles s’appliquent à tous les appels. En revanche, les autres dispositions portent de façon distincte soit sur les appels d’ordonnance interjetés en vertu de la partie III, soit sur les appels d’ordonnance interjetés en vertu des parties I ou II. En outre, il existe des règles de procédure distinctes qui s’appliquent aux appels d’affaires de la partie III[104] et aux appels d’affaires des parties I et II.  

Nous proposons des modifications mineures à ces articles afin de remédier à un défaut apparent concernant le pouvoir d’ordonner le paiement de dépens par une cour d’appel.

 

Partie VIII – Arrestation, mise en liberté sous caution et mandats de perquisition

Dans la partie VIII, les dispositions relatives aux arrestations détaillent le pouvoir d’arrêter une personne avec ou sans mandat et avec recours à la force[105].  

Les articles relatifs à la mise en liberté sous caution évoquent la mise en liberté par des agents de police d’une personne après son arrestation et si ce n’est pas le cas, le pouvoir de « l’agent responsable » de mettre en liberté cette personne. Si le défendeur n’est pas mis en liberté par l’agent responsable, il est amené devant un juge aussi tôt que possible, mais dans tous les cas, au plus tard dans un délai de vingt-quatre heures[106]. Un juge peut ordonner la libération conditionnelle du défendeur ou son maintien en détention[107]. D’autres dispositions font référence à la responsabilité des personnes mises en liberté à condition de comparaître, à la responsabilité lorsqu’il y a des cautions et aux conséquences d’un manquement à une condition de l’engagement[108].  

Nous formulons des recommandations quant aux circonstances dans lesquelles une mise en liberté sous caution peut être refusée et suggérons un examen des conditions permettant l’accord d’une telle mise en liberté. Nous proposons également à titre plus général un examen des procédures de mise en liberté sous caution.

Les dispositions relatives aux mandats de perquisition établissent le pouvoir d’un juge de décerner un mandat de perquisition et les circonstances dans lesquelles un tel mandat peut être délivré par télémandat sans comparution devant un juge[109]. D’autres articles définissent l’obligation d’une personne qui effectue la perquisition, les ordonnances que peut délivrer un juge en ce qui concerne les choses saisies et la procédure à suivre lorsqu’on invoque le privilège du secret professionnel pour un document saisi[110]. 

Nous recommandons que les dispositions relatives au mandat de perquisition soient reformulées afin de prendre en compte les découvertes de renseignements provenant de sources électroniques et nous proposons également que l’autorité de rendre une ordonnance de communication soit envisagée comme solution de rechange par rapport à la délivrance d’un mandat de perquisition. Nous proposons en outre d’examiner le privilège du secret professionnel entre le client et le parajuriste en ce qui concerne la protection de documents qui pourraient être saisis.

 

Partie IX – Ordonnance rendue en vertu d’une loi

La partie IX de la Loi ne comporte qu’un seul article, l’article 161, lequel établit que la Loi s’applique si une autre loi autorise la délivrance d’une ordonnance, mais ne prévoit pas de procédure.

 

Partie X – Ententes conclues avec les municipalités

Enfin, la partie X de la Loi permet au procureur général et aux municipalités de conclure des ententes visant un secteur spécifique qui permettent aux municipalités de s’acquitter des fonctions d’administration et de soutien des tribunaux. Lorsque de telles ententes entrent en vigueur, les municipalités ont dès lors l’autorité de recouvrer toutes les amendes liées aux poursuites intentées en vertu des parties I, II et III et de garantir l’exécution du paiement[111]. Dans tout le présent rapport, nous recommandons que les municipalités (ou partenaires municipaux) s’engagent activement dans la réforme de la Loi, étant donné le rôle majeur qu’elles jouent dans les poursuites intentées en vertu de la Loi, l’administration des tribunaux et l’exécution du paiement des amendes.  

En résumé, la Loi propose un code de procédure unique pour la poursuite de toutes les infractions provinciales. Il existe des différences essentielles au niveau de l’introduction d’instances en vertu des parties I, II et III (ainsi, un avis d’infraction ou un avis d’infraction de stationnement sert à introduire une instance en vertu des parties I et II respectivement, alors que le dépôt d’une dénonciation devant un juge permet d’introduire une instance régie par la partie III). Une autre distinction fondamentale porte sur la détermination de la peine. Pour des infractions fondées sur la partie I, l’amende maximale est de 1 000 $ et l’emprisonnement n’est pas une sanction autorisée. Cependant, ces restrictions ne s’appliquent pas aux procédures de la partie III. En règle générale, et à moins d’indication contraire stipulée par une loi, la procédure relative au procès, à l’arrestation, à la mise en liberté sous caution et à d’autres processus s’applique uniformément à toutes les instances des parties I, II et III.

                                                                                    

Règles et règlements applicables aux poursuites intentées en vertu de la Loi 

Outre la Loi, plusieurs règles et règlements, créés en application de la Loi ou par la Loi sur les tribunaux judiciaires, s’appliquent aux poursuites fondées sur la Loi. Sept règlements créés en application de la Loi ont une incidence sur les instances fondées sur la Loi :

R.R.O. 1990, Règlement de l’Ontario 945 Dépens – Prévoit les frais de justice que le défendeur est tenu de payer sur déclaration de culpabilité.
Règlement de l’Ontario 497/94 Electronic Documents – Prévoit les normes pour ce qui est de remplir, signer et déposer des documents électroniques.
Règlement de l’Ontario 679/92 Frais à acquitter pour le paiement en retard d’amendes – Prévoit les frais pour le paiement en retard d’amendes.
R.R.O. 1990, Règlement de l’Ontario 948 Fine Option Program – Prévoit le cadre du programme de règlement optionnel des amendes et la façon de l’administrer (mais aucun programme de ce type n’est actuellement en place).
R.R.O. 1990, Règlement de l’Ontario 949 Parking Infractions – Prévoit les formules, les indemnités aux municipalités et certains processus d’exécution pour les instances introduites en vertu de la partie II (infractions de stationnement).
R.R.O. 1990, Règlement de l’Ontario 950 Instances introduites au moyen du dépôt d’un procès-verbal d’infraction – Prévoit les formulaires et les avis pour les instances introduites en vertu de la partie I (procès-verbal d’infraction).
Règlement de l’Ontario 161/00 Victim Fine Surcharges – Prévoit les suramendes pour la victime applicables en cas d’imposition d’une amende dans une instance fondée sur la partie I ou sur la partie III.

 

De plus, la Loi sur les tribunaux judiciaires confère au Comité des règles en matière criminelle (sous réserve de l’approbation du procureur général) l’autorité d’établir des règles régissant la pratique et la procédure de ces tribunaux dans les instances introduites en vertu de la Loi, y compris des formules[112]. Il existe quatre groupes distincts de règles établis par des règlements pris en application de la Loi sur les tribunaux judiciaires qui s’appliquent aux poursuites intentées et aux appels interjetés en vertu de la Loi. En voici une courte description :

 

R.R.O. 1990, Règlement de l’Ontario 200 Rules of the Ontario Court (Provincial Division) in Provincial Offences Proceedings – Prévoit divers points de procédure, tels que le calcul du temps, les dépôts, la signification d’avis, les procès-verbaux et autres documents et les formules prescrites à utiliser.
Règlement de l’Ontario 721/94 Règles de la Cour d’appel relatives aux appels interjetés en vertu de la Loi sur les infractions provinciales – Ces règles régissent les appels auprès de la Cour d’appel, y compris les appels d’une personne détenue.
Règlement de l’Ontario 722/94 Règles de la Cour de l’Ontario (Division provinciale) relatives aux appels interjetés en vertu de l’article 135 de la Loi sur les infractions provinciales – Ces règles régissent les appels interjetés devant la Cour de justice de l’Ontario par un défendeur, un poursuivant ou le procureur général à la suite d’un acquittement, d’une déclaration de culpabilité ou d’une condamnation dans des instances intentées en vertu de la partie I ou II.
Règlement de l’Ontario 723/94 Règles de la Cour de l’Ontario (Division générale) et de la Cour de l’Ontario (Division provinciale) relatives aux appels interjetés en vertu de l’article 116 de la Loi sur les infractions provinciales – Ces règles régissent les appels interjetés devant la Cour supérieure de justice ou la Cour de justice de l’Ontario dans des instances intentées en vertu de la partie III.

 

3.     Nature et volume des infractions provinciales en Ontario 

Afin de donner du contexte à la nature des instances introduites en vertu de la Loi, nous proposons un survol rapide des nombreuses et diverses infractions réglementaires qui sont régies par la Loi et examinons les données statistiques concernant le volume et les principaux types d’infractions provinciales faisant l’objet d’une instance devant la Cour de justice de l’Ontario.

 

Aperçu des divers types d’infractions provinciales

De nombreuses lois provinciales réglementent le comportement des particuliers et des industries. En cas de violations de ces règlements, la loi régissant la question crée généralement une infraction correspondante afin de promouvoir le respect de la norme de réglementation. Ci-après sont indiqués certains des divers domaines de la législation réglementaire en Ontario.

 

Règlements relatifs à la circulation 

Le Code de la route réglemente le comportement des conducteurs sur les routes de l’Ontario. Il s’agit sans doute d’une des lois réglementaires les plus connues dans la province. Elle a créé de nombreuses infractions, notamment les excès de vitesse, la conduite imprudente, l’absence de ceinture de sécurité, le non-respect des directives figurant sur les panneaux de circulation ou encore le défaut de port du permis de conduire lorsqu’une personne conduit un véhicule[113]. Dans certains cas, la sanction pour des infractions au Code de la route peut être importante. Ainsi, un automobiliste encourt une amende maximale de 10 000 $ ou une peine d’emprisonnement de 6 mois pour disputer une course et une amende maximale de 50 000 $ en cas de détachement d’une roue d’un véhicule utilitaire[114].

La Loi sur l’assurance-automobile obligatoire crée également une infraction pour le défaut d’assurance lorsqu’on utilise un véhicule, pouvant donner lieu à une amende d’au moins 5 000 $ dans le cas d’une première déclaration de culpabilité et d’une amende d’au moins 10 000 $ dans le cas d’une déclaration de culpabilité subséquente[115]. 

Les règlements administratifs municipaux prévoient également diverses infractions de stationnement, d’arrêt interdit et autres infractions liées à la conduite automobile qui sont mis en application par la Loi.

 

Règlements relatifs à la santé et à la sécurité au travail

La Loi sur la santé et la sécurité au travail impose des obligations, tant aux employés qu’aux employeurs[116] en ce qui concerne le matériel, les matériaux et les appareils de protection nécessaires à la garantie d’un lieu de travail sécuritaire. Les devoirs imposés aux travailleurs par la Loi sur la santé et la sécurité au travail incluent le port des vêtements ou appareils de protection précisés par l’employeur et le signalement de toute défectuosité à cet égard[117]. De plus, ils doivent signaler à l’employeur toute infraction à la Loi sur la santé et la sécurité au travail dont ils ont connaissance[118]. Les employeurs sont tenus de leur côté d’élaborer et de mettre en œuvre un programme de santé et de sécurité et de formuler une politique concernant la violence et le harcèlement au travail[119]. 

La Loi sur la santé et la sécurité au travail établit en tant qu’infraction la non-conformité aux dispositions de la Loi punissables des peines maximales de 25 000 $ d’amende ou de 12 mois d’emprisonnement pour les particuliers et de 500 000 $ d’amende pour les personnes morales[120].

Certaines accusations peuvent être importantes. Ainsi, de nombreux chefs d’inculpation ont été portés contre un employeur présumé ne pas avoir fourni une formation et un équipement adéquats aux travailleurs migrants qui sont décédés alors qu’ils effectuaient des réparations au niveau des balcons d’un immeuble de Toronto en décembre 2009. Il apparaît que ces 61 chefs d’inculpation peuvent engendrer un total de 17 millions de dollars d’amendes[121].

 

Règlements relatifs à la protection de l’environnement

La protection de l’environnement est un secteur particulièrement important et actuel de la réglementation provinciale. La Loi sur la protection de l’environnement[122], la Loi de 2006 sur l’eau saine[123] et la Loi sur les pesticides[124] ne sont que quelques exemples de la législation provinciale établissant comme infractions les violations de ces lois, ce qui crée par là même des obligations à protéger l’environnement.

La Loi sur la protection de l’environnement réglemente les actions des personnes en charge de polluants, créant des infractions pour ce qui est du déversement, par exemple. Une personne en charge d’un polluant doit élaborer un plan pour réduire le risque de déversement et réagir lorsque des incidents de ce type se produisent[125]. La Loi interdit également l’abandon de détritus, imposant une amende pouvant s’élever à 1 000 $ lors d’une première infraction et jusqu’à 2 000 $ lors d’une deuxième infraction[126].

La Loi de 2006 sur l’eau saine établit un certain nombre d’obligations, entre autres, celle imposée à une personne autorisée dans le cadre de la Loi précitée d’aviser immédiatement le ministère de l’Environnement si elle prend connaissance d’un danger relatif à l’eau potable[127]. En application de la Loi de 2006 sur l’eau saine, la poursuite d’activités mettant en péril une source d’approvisionnement en eau est considérée comme une infraction[128]. 

La Loi sur les pesticides impose des obligations aux particuliers qui rejettent des pesticides dans leur environnement de façon anormale, de sorte que cela puisse vraisemblablement causer des dommages à l’environnement, à des animaux ou à des personnes[129].

 

Règlements relatifs aux substances contrôlées

La législation provinciale réglemente également la consommation de substances contrôlées, comme l’alcool ou le tabac. La Loi sur les permis d’alcool [130] et la Loi favorisant un Ontario sans fumée[131] sont deux exemples de lois qui concernent nombre de particuliers et d’entreprises en Ontario et créent des infractions pour quiconque contrevient à leurs dispositions.  

La Loi sur les permis d’alcool prévoit que l’état d’ivresse dans un lieu public ou le transport d’alcool dans un contenant ouvert à bord d’un véhicule constituent une infraction réglementaire[132]. Les particuliers doivent détenir un permis pour pouvoir vendre de l’alcool[133]. Les personnes reconnues coupables d’infraction réglementaire en vertu de la Loi sur les permis d’alcool peuvent être assujetties à une peine maximale de 100 000 $ d’amende ou d’un an de prison ou les deux. Les personnes morales déclarées coupables en vertu de la Loi sont passibles d’une amende maximale de 250 000 $[134].

La Loi favorisant un Ontario sans fumée prévoit que la vente de tabac à des personnes de moins de 19 ans[135] ou l’exposition de produits du tabac dans un endroit où ils sont vendus constituent une infraction réglementaire[136]. Les personnes morales engagées dans la fabrication, la vente ou la distribution de produits du tabac sont passibles d’une amende maximale de 100 000 $ si elles contreviennent aux dispositions inscrites dans la législation[137].

 

Règlements relatifs à la sécurité

En Ontario, de nombreuses lois réglementent les affaires de sécurité publique. La Loi de 2001 sur la qualité et la salubrité des aliments réglemente entre autres la production, la transformation et la fabrication d’aliments destinés à la consommation et établit comme infractions les contraventions à la Loi[138]. En vertu de cette loi, des ordonnances peuvent être rendues en vue d’empêcher ou d’éliminer tout risque relatif à la salubrité des aliments[139]. La partie VII de la Loi de 1997 sur la prévention et la protection contre l’incendie crée plusieurs infractions, telles que la violation d’une disposition du code de prévention des incendies[140]. Enfin, la Loi sur le droit de la famille autorise un tribunal à rendre une ordonnance de ne pas faire contre un ancien conjoint lorsque le requérant a des raisons de craindre pour sa sécurité[141].

 

Règlements relatifs aux infractions à l’ordre public général

De nombreuses lois créent des infractions relatives à l’ordre public général. La Loi sur l’entrée sans autorisation crée ainsi une infraction lorsqu’une personne entre dans des lieux dont l’entrée est interdite aux termes de la Loi[142]. 

La Loi Christopher de 2000 sur le registre des délinquants sexuels impose à une personne déclarée coupable d’une infraction sexuelle certaines obligations de se présenter et lorsqu’elle ne se conforme pas à la présente loi, elle est coupable d’une infraction punissable par une amende ou une peine d’emprisonnement[143].  

La Loi de 1999 sur la sécurité dans les rues crée des infractions pour les personnes qui sollicitent des personnes retenues dans certains lieux publics et jettent certaines choses dangereuses dans un lieu public extérieur[144]. Une disposition en vertu de cette loi établit que la sollicitation d’une personne qui se trouve à bord d’un véhicule sur la chaussée est une infraction[145].

 

Protection des consommateurs

La Loi de 2002 sur la protection du consommateur s’applique aux opérations de consommation en Ontario[146]. Elle interdit de procéder à des assertions fausses ou trompeuses auprès des consommateurs et donne un certain nombre d’exemples en la matière, comme le fait d’indiquer qu’une réparation est nécessaire alors que ce n’est pas le cas ou que le prix comporte un avantage précis, alors que ce n’est pas le cas[147]. La Loi régit également les opérations de consommation qui ont lieu sur Internet[148]. Elle impose aux fournisseurs de transmettre aux consommateurs une copie écrite de toute convention conclue. En outre, la Loi permet aux consommateurs d’annuler une convention conclue sur Internet dans des circonstances prescrites[149].  

La Loi de 1990 sur les renseignements concernant le consommateur réglemente le recueil de renseignements sur les consommateurs d’une société[150]. Elle impose à l’agence de renseignements sur le consommateur de corriger les renseignements lorsque le consommateur l’avise d’une erreur dans son dossier[151]. Un directeur ou un dirigeant d’une personne morale, déclaré coupable d’une infraction en vertu de cette loi est passible d’une amende maximale de 35 000 $, d’un an d’emprisonnement, voire des deux. L’amende maximale qui peut être imposée à une personne morale est fixée à 100 000 $[152]. 

L’aperçu précédent sur les infractions réglementaires illustre l’éventail d’infractions qui peuvent faire l’objet d’instances introduites en vertu de la Loi sur les infractions provinciales. Ces infractions diffèrent non seulement sur le plan du sujet, mais également de la gravité et des peines potentielles découlant d’une déclaration de culpabilité. Un agent d’infractions provinciales peut choisir d’appliquer la procédure régie par la partie III qui permettrait une sanction plus sévère autorisée en application de la loi ayant créé l’infraction, mais si l’on exclut la méthode d’introduction de l’instance, la Loi ne fait pratiquement pas d’autres distinctions sur la manière dont ces diverses infractions sont tranchées par le tribunal.

 

Infractions provinciales – Volume et principaux types d’infractions 

Les juges et les juges de paix de la Cour de justice de l’Ontario sont habilités à juger toutes les infractions régies par la Loi, mais ce sont les juges de paix qui président pratiquement toutes les affaires d’infractions provinciales nécessitant un arbitrage[153]. 

En 2009, sur les 2,1 millions de mises en accusation en vertu de la partie I et de la partie III reçues par la Cour, 1,9 million (soit 92 %) concernaient les infractions de la partie I et 170 000 (8 %) celles de la partie III. Parmi les instances introduites en vertu de la partie I, 1,6 million (81 %) portaient sur des infractions au Code de la route ou à ses règlements[154]. Les données de 2007 et de 2008 montrent un volume et une répartition similaires des infractions régies par la Loi[155].

En 2007, 2008 et 2009, les trois infractions prévues par la partie I qui ont le plus souvent fait l’objet d’une décision au tribunal correspondaient à des accusations d’infractions au Code de la route (environ 80 % chaque année), à la Loi sur l’assurance-automobile obligatoire (environ 6 % chaque année) et aux règlements administratifs municipaux (environ 4 % chaque année). Il est intéressant de noter que les trois infractions créées par la partie III qui ont le plus souvent été jugées au tribunal cette même année relevaient des mêmes autorités législatives : le Code de la route (environ 58 % chaque année), la Loi sur l’assurance-automobile obligatoire (environ 14 % chaque année) et les règlements administratifs municipaux (environ 5 % chaque année)[156]. 

Les données provinciales sur le nombre d’infractions de stationnement régies par la partie II qui ont été délivrées en Ontario ne sont pas disponibles, mais nous savons que rien qu’à Toronto, 2,8 millions de procès-verbaux d’infraction de stationnement ont été délivrés et 300 535 (10,75 %) défendeurs ont demandé un procès en 2009[157]. Les données relatives à d’autres municipalités de l’Ontario révèlent un volume élevé d’infractions de stationnement délivrées en 2009 : 343 719 pour la Ville d’Ottawa, dont 5 614 (2 %) avec demande de procès[158] et 89 285 pour la Ville de Brampton, dont 4 004 avec demande de procès[159].

 

 

4. Distinction entre les infractions réglementaires et les vrais crimes – Nécessité d’un code de procédure propre aux infractions provinciales 

En dépit des tentatives dans la jurisprudence et les articles universitaires d’opérer une distinction nette entre les infractions réglementaires et les vrais crimes, cela ne se vérifie pas dans la pratique. Pour autant, la distinction est pertinente sur au moins trois plans : (1) pour les infractions criminelles, il incombe au poursuivant de prouver l’existence de la mens rea (intention coupable), ce qui n’est pas le cas pour les infractions réglementaires sauf prescription contraire dans la loi[160]; (2) l’étendue de la protection procédurale de la Charte peut varier selon qu’il s’agit d’une infraction réglementaire ou d’un vrai crime[161] et (3) les objectifs de la détermination de la peine (et des peines effectives) diffèrent selon qu’il s’agit d’une infraction pénale ou réglementaire[162]. 

Voici un résumé des arguments qui distinguent une infraction réglementaire d’un vrai crime afin de mettre en lumière les objectifs d’un cadre procédural de la Loi sur les infractions provinciales et la nécessité toujours existante de distinguer la Loi de la procédure sommaire de déclaration de culpabilité prévue dans le Code criminel. Une meilleure appréhension des infractions réglementaires permet d’apporter des éclaircissements sur le cadre de réforme de la Loi évoqué dans le chapitre suivant, ainsi que sur notre débat concernant les autres sanctions pécuniaires, la détermination de la peine et d’autres questions de procédures liées à la Loi. 

Dans les années 1970, la Commission de réforme du droit du Canada a examiné la législation réglementaire dans le cadre d’une série de documents de travail et de rapports importants. Elle a alors estimé que les infractions réglementaires étaient fondamentalement différentes des infractions criminelles[163]. Dans un document de travail publié en 1974, la Commission a décrit cette distinction dans les termes suivants :

Nous pensons donc que notre droit pénal repose sur cette distinction imprécise qui ne saurait être poussée trop loin, même si elle correspond à une réalité. D’un côté, il existe quelques crimes réellement graves, tels que le meurtre, le vol sur la personne et le viol qui, de tout temps, ont été considérés comme tels et qui constituent précisément la sorte de crimes qu’on s’attend de trouver dans n’importe quel droit criminel.

[…]

À l’opposé, il existe un groupe beaucoup plus important d’infractions mineures telles que le stationnement illégal, la publicité trompeuse, la vente d’aliments impropres à la consommation, infractions de création plus récente. La common law n’a jamais connu ces infractions qui n’ont d’ailleurs jamais fait partie du Code criminel[164].  

La Commission de réforme du droit du Canada a défendu l’idée que les infractions pénales correspondent à des actions interdites qui sont révoltantes sur le plan moral, alors que les infractions réglementaires sont purement et simplement des actes interdits. Voici trois autres différences qu’elle a mises en exergue : 

D’abord, le crime va à l’encontre de règles fondamentales, alors que l’infraction contrevient à des règles socialement utiles, mais non fondamentales. Ainsi, le meurtre contredit cette règle fondamentale, essentielle à l’existence et au maintien mêmes de toute société humaine, qui interdit la violence et l’homicide. Par ailleurs, le stationnement illégal contrevient à une règle d’un genre différent dont l’observance, sans être essentielle à la société, s’avère tout de même utile. 

Ensuite, le crime vise des maux d’une portée plus générale du fait que toute personne peut le commettre en sa qualité de personne. L’infraction est plus spécifique en ce qu’elle vise des maux susceptibles de survenir à l’occasion de l’accomplissement de certaines fonctions ou de la poursuite de certaines activités particulières. Le meurtre et le vol, par exemple, sont des maux que l’homme cause en tant qu’homme. Mais le stationnement interdit, la vente illégale de boissons enivrantes et la pêche hors saison sont des maux que l’homme commet en tant qu’automobiliste, commerçant ou pêcheur. On s’attend à trouver ces infractions, non pas dans un code criminel ou dans un ouvrage de droit pénal, mais dans des lois particulières et des traités spécialisés. 

Enfin, le crime comporte un préjudice beaucoup plus manifeste. Le meurtre et le vol sur la personne semblent de toute évidence mauvais. Ils infligent un préjudice direct, immédiat et flagrant à des victimes déterminées et s’accompagnent d’une intention manifestement mauvaise. L’infraction comporte un mal moins évident. Le préjudice qui en découle est moins direct, il est collectif plutôt qu’individuel et il résulte aussi bien de la négligence que de l’intention. En outre, il est plus souvent virtuel qu’actuel[165].

En 1976, la Commission a de nouveau étudié cette distinction dans son rapport intitulé Notre droit pénal, dans lequel elle fait référence à ses travaux antérieurs : 

Il y a cependant une autre distinction que nous avons signalée dans le document de travail no 2 intitulé « La notion de blâme ». C’est une […] distinction entre le crime « véritable » et la simple infraction réglementaire. La distinction est bien connue des simples citoyens, elle est admise en philosophie du droit et elle se fonde sur la logique et le sens commun. Le droit devrait aussi la reconnaître. Par conséquent, nous recommandons qu’on émonde le Code criminel de toutes les infractions qui ne représentent pas des actions à la fois mauvaises et graves[166]. [en gras dans l’original] 

Bien qu’arguant de l’existence d’une différence entre les vrais crimes et les infractions purement réglementaires, la Commission de réforme du droit du Canada a reconnu que cette distinction n’était pas toujours respectée. Dans cette perspective, elle a défini comme suit ce sur quoi le droit pénal devrait porter : 

Seules les actions que notre société estime à la fois mauvaises et graves devraient constituer des crimes. 

Toutes ces actions, cependant, ne devraient pas être des crimes. Qu’une action soit moralement mauvaise est une condition nécessaire, mais non pas suffisante pour qu’on l’incrimine. L’incrimination devrait reposer en plus sur trois autres conditions. D’abord, l’action doit causer un tort, soit à d’autres personnes, soit à la société en général ou, dans des cas spéciaux, à ceux qui ont besoin qu’on les protège contre eux-mêmes. Ensuite, le tort qu’elle cause doit être grave. Enfin, le tort doit âtre d’un type pour lequel le remède le plus efficace est le droit pénal. Ces conditions limiteraient le droit pénal aux crimes de violence, de malhonnêteté et aux autres infractions […]. Toutes les autres infractions qui, sans être véritablement répréhensibles, sont prohibées parce que cela constitue la meilleure façon de régler le problème qu’elles posent, ne doivent pas figurer au Code criminel. On doit les considérer seulement comme des quasi-crimes ou des contraventions[167]. 

En 1978, dans la décision fondatrice de la Cour suprême du Canada R. c. Sault Ste Marie, on trouve la déclaration qui illustre la distinction entre les vrais crimes et les infractions réglementaires et le fardeau de la preuve qui va de pair avec chacun de ces types d’infractions.  

Je conclus, pour les motifs que j’ai indiqués, qu’il y a des raisons impératives pour reconnaître trois catégories d’infractions plutôt que les deux catégories traditionnelles :

  1. Les infractions dans lesquelles la mens rea, qui consiste en l’existence réelle d’un état d’esprit, comme l’intention, la connaissance, l’insouciance, doit être prouvée par la poursuite soit qu’on puisse conclure à son existence vu la nature de l’acte commis, soit par preuve spécifique. 
  2. Les infractions dans lesquelles il n’est pas nécessaire que la poursuite prouve l’existence de la mens rea; l’accomplissement de l’acte comporte une présomption d’infraction, laissant à l’accusé la possibilité d’écarter sa responsabilité en prouvant qu’il a pris toutes les précautions nécessaires. Ceci comporte l’examen de ce qu’une personne raisonnable aurait fait dans les circonstances. La défense sera recevable si l’accusé croyait pour des motifs raisonnables à un état de faits inexistant qui, s’il avait existé, aurait rendu l’acte ou l’omission innocent, ou si l’accusé a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter l’événement en question. Ces infractions peuvent être à juste titre appelées des infractions de responsabilité stricte. C’est ainsi que le juge Estey les a appelées dans l’affaire Hickey.
  3. Les infractions de responsabilité absolue où il n’est pas loisible à l’accusé de se disculper en démontrant qu’il n’a commis aucune faute.

Les infractions criminelles dans le vrai sens du mot tombent dans la première catégorie. Les infractions contre le bien-être public appartiennent généralement à la deuxième catégorie. Elles ne sont pas assujetties à la présomption de mens rea proprement dite. Une infraction de ce genre tombera dans la première catégorie dans le seul cas où l’on trouve des termes tels que « volontairement », « avec l’intention de », « sciemment » ou « intentionnellement » dans la disposition créant l’infraction. En revanche, le principe selon lequel une peine ne doit pas être infligée à ceux qui n’ont commis aucune faute est applicable. Les infractions de responsabilité absolue seront celles pour lesquelles le législateur indique clairement que la culpabilité suit la simple preuve de l’accomplissement de l’acte prohibé. L’économie générale de la réglementation adoptée par le législateur, l’objet de la législation, la gravité de la peine et la précision des termes utilisés sont essentiels pour déterminer si l’infraction tombe dans la troisième catégorie[168]. 

La Cour a certes établi une distinction entre les infractions qui sont criminelles dans le vrai sens du terme et les infractions réglementaires ou à l’égard du bien-être public, mais ne l’a pas réellement expliquée[169] jusqu’à 1991 dans l’affaire R. c. Wholesale Travel Group Inc. où la Cour suprême s’est appuyée sur le caractère intrinsèque moralement mauvais et la réprobation morale d’une infraction pour tenter de distinguer les infractions réglementaires et les crimes : 

Des actes ou des actions sont criminels lorsqu’ils constituent une conduite qui, en soi, est si odieuse par rapport aux valeurs fondamentales de la société qu’elle devrait être complètement interdite. Le meurtre, l’agression sexuelle, la fraude, le vol qualifié et le vol sont si répugnants pour la société que l’on reconnaît universellement qu’il s’agit de crimes. Par ailleurs, une certaine conduite est interdite, non parce qu’elle est en soi répréhensible, mais parce que l’absence de réglementation créerait des conditions dangereuses pour les membres de la société, surtout pour ceux qui sont particulièrement vulnérables.  

Les lois de nature réglementaire ont pour objectif de protéger le public ou divers groupes importants le composant (les employés, les consommateurs et les automobilistes pour n’en nommer que quelques-uns) contre les effets potentiellement préjudiciables d’activités par ailleurs légales. La législation réglementaire implique que la protection des intérêts publics et sociaux passe avant celle des intérêts individuels et avant la dissuasion et la sanction d’actes comportant une faute morale. Alors que les infractions criminelles sont habituellement conçues afin de condamner et de punir une conduite antérieure répréhensible en soi, les mesures réglementaires visent généralement à prévenir un préjudice futur par l’application de normes minimales de conduite et de prudence. 

Il s’ensuit que les infractions réglementaires et les crimes expriment deux concepts de faute différents. Étant donné que les infractions réglementaires ne visent pas principalement la conduite elle-même mais plutôt ses conséquences, on peut penser que la déclaration de culpabilité relative à une infraction réglementaire comporte un degré de culpabilité considérablement moins important qu’une déclaration de culpabilité relative à un crime proprement dit. Le concept de faute en matière d’infractions réglementaires repose sur une norme de diligence raisonnable et, comme tel, ne suppose pas la même réprobation morale que la faute criminelle. La déclaration de culpabilité d’un défendeur relativement à une infraction réglementaire n’indique rien de plus que le fait que celui-ci n’a pas respecté la norme de diligence prescrite[170]. 

Certes, aux dires mêmes de la Cour, cette distinction est difficile à appliquer, mais il existe encore une raison logique qui la sous-tend[171]. De fait, la distinction que la Cour suprême a cherché à créer était sujette à controverses, comme l’a fait remarquer le juge Libman dans le texte suivant :  

Donc, puisque les infractions réglementaires tendent de plus en plus à ne pas constituer des « infractions mineures », mais bien de « vrais crimes » (compte tenu, particulièrement, du fait que les sanctions dont elles sont assorties sont de plus en plus souvent plus élevées que celles qui accompagnent ces crimes), on peut se demander si la distinction entre ces catégories d’« infractions contre le bien-être public » ne deviendra pas avec le temps de moins en moins apparente. En fait, le doyen Hogg estime que les décisions de la Cour suprême qui font la distinction entre les vrais crimes et les infractions réglementaires font dans la dentelle[172]. (Traduction libre)

Le caractère illusoire de cette distinction est évident au vu des nombreuses infractions inscrites dans le Code criminel qui ne correspondent pas au point de vue de la Commission de réforme du droit du Canada ou à la description d’un crime proposée par la Cour suprême. Dans Notre droit pénal, la Commission de réforme du droit du Canada a donné les infractions suivantes comme exemples d’infractions que la majorité des gens considèrent ne pas être suffisamment graves pour qu’on les incrimine : affecter de pratiquer la magie ou encore avoir la charge d’un véhicule à moteur muni d’un appareil produisant un écran de fumée[173]. De plus, certaines infractions réglementaires prévoient des sanctions sévères, notamment de lourdes amendes ou des peines d’emprisonnement. Il a été dit qu’une stigmatisation notable peut être associée à des infractions réglementaires comportant des sanctions sévères[174]. Or, cette stigmatisation, lorsqu’elle va de pair avec des infractions telles que celles liées aux valeurs mobilières, suit la volatilité du marché – dans un cas de figure extrême, les gens chercheront des coupables pour des comportements auparavant jugés insignifiants[175]. 

Néanmoins, d’autres raisons sont mises en avant pour préserver la distinction. Il n’est pas nécessaire de prouver une intention de commettre une infraction réglementaire pour la plupart des infractions provinciales, et on a pu dire qu’il s’agissait d’une distinction clé entre les infractions réglementaires et les crimes dans la mesure où une plus grande stigmatisation sera susceptible d’être liée à des infractions pour lesquelles une preuve d’intention d’infraction est établie. De fait, la Cour s’est appuyée sur cette position dans R. c. Transport Robert (1973) Ltée[176]. Dans ce cas, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé le paragraphe 84.1(1) du Code de la route qui a fait une infraction du détachement d’une roue d’un véhicule utilitaire sur la chaussée. Il s’agit d’une infraction de responsabilité absolue et l’assertion de la diligence raisonnable n’est pas un moyen de défense. L’infraction est punissable d’une amende maximum de 50 000 $, mais l’emprisonnement n’est pas une option disponible. Le défendeur a argumenté que l’infraction de responsabilité absolue a contrevenu au droit garanti de sécurité de la personne défini en vertu de l’article 7 de la Charte. La Cour a rejeté l’argument du défendeur et a confirmé la loi. Elle a établi que la plupart des infractions réglementaires sont axées sur les effets préjudiciables d’activités par ailleurs légales. En outre, elle a ajouté que, dans la mesure où il n’est pas nécessaire de prouver l’état d’esprit de l’accusé (mens rea) pour la plupart des infractions provinciales, la stigmatisation associée aux infractions réglementaires est généralement moindre.      

Une autre raison de distinguer les infractions criminelles des infractions réglementaires est que ces deux catégories nécessitent des approches différentes en matière de détermination de la peine. En ce qui concerne l’activité criminelle, elle n’est pas souhaitée et les sanctions existent afin d’éviter qu’elle ne survienne en premier lieu. L’activité réglementée, à l’inverse, est souvent nécessaire ou bénéfique à la société et ce sont uniquement les écarts vis-à-vis de ces normes de réglementation qu’il convient d’éviter. Les sanctions sont imposées pour dissuader de commettre des écarts vis-à-vis de la norme de réglementation, mais une fois la peine imposée (p. ex. une amende), l’entité réglementée reprend généralement l’activité réglementée. La conduite d’un véhicule, la transformation des aliments ou le contrôle des sources d’approvisionnement en eau ne sont que quelques exemples de ces activités réglementées bénéfiques ou nécessaires.  

Sherie Verhulst propose que les principes de détermination de la peine qui vont au-delà de la simple dissuasion soient requis pour les infractions réglementaires, tout en étant différents de ceux appliqués aux infractions criminelles[177]. Selon elle, la détermination de la peine infligée pour des infractions provinciales doit reconnaître qu’une peine réglementaire fait partie du cycle réglementaire, mais l’imposition de la peine n’est pas la fin de l’affaire et il est probable que le défendeur retrouve l’activité pour laquelle il a été reconnu coupable : 

Néanmoins, la peine et toute sanction subséquente ne sont pas la « fin » du cycle. Sauf incapacité permanente, le contrevenant continue souvent de prendre part à l’activité réglementée après le prononcé de la peine. En effet, c’est même ce que peut souhaiter la société, dans la mesure où l’activité réglementée peut être socialement bénéfique, créatrice d’emplois ou de biens et services nécessaires. Ce que la société ne souhaite pas, c’est un engagement continu au niveau des mêmes schémas comportementaux qui ont entraîné l’infraction au départ. C’est pourquoi le comportement contrevenant doit être corrigé[178]. (Traduction libre)  

Il est clair qu’il existe une hausse marquée des amendes maximales et des peines d’emprisonnement possibles mises à disposition pour les affaires régies par la partie III, ce qui a estompé la distinction entre certaines infractions provinciales et les affaires pénales. Cependant, la CDO estime qu’il ne s’agit pas d’une raison suffisante pour abandonner le code de procédure distinct propre aux poursuites réglementaires et pour retourner à la procédure sommaire de déclaration de culpabilité du Code criminel. En effet, il reste des raisons solides justifiant le maintien d’un code de procédure distinct et efficace, proportionnel à la nature moins grave de la plupart des infractions provinciales, ce qui était d’ailleurs l’objectif sous-jacent de la Loi au moment de son adoption. 

La CDO reconnaît que la limite établie par la Cour suprême dans l’affaire R. c. Wholesale Travel Group Inc. peut souvent être dépassée et qu’il est difficile de la mettre en œuvre, même si elle tient son utilité de sa véracité. D’après les données statistiques, une majorité écrasante d’infractions réglementaires sont de nature mineure et moins grave que la plupart des infractions criminelles. Comme nous l’avons indiqué précédemment, 1,9 million d’accusations ont été portées en vertu de la partie I en 2009, contre moins de 200 000 en vertu de la partie III, soit environ 8 % du nombre total de mises en accusation effectuées en vertu des parties I et III[179]. Même si la CDO n’a pas pu obtenir la totalité des données provinciales sur les infractions de stationnement régies par la partie II, ces chiffres indiqueraient un nombre encore plus important d’infractions mineures, ce qui correspond à la description donnée dans R. c. Wholesale Travel Group Inc.[180]. Revenir à un code de procédure complexe mettant en jeu des protections procédurales élaborées ne cadrerait pas du tout avec les objectifs de proportionnalité et d’efficacité pour des infractions réglementaires qui sont principalement mineures. Pour les 8 % de cas plus graves qui nécessitent une protection législative plus importante, des règles de procédure distinctes peuvent être adoptées, mais il faut toujours passer par le système de la Loi. 

Enfin, il convient de reconnaître que de nombreuses infractions réglementaires, y compris celles pour lesquelles l’instance est introduite en application de la partie III, sont commises dans le cadre d’un comportement qui, par ailleurs, est légitime et utile. Environ 74 % des 2,1 millions de mises en accusation en vertu des parties I et III (ou 80 % des accusations de la partie I) portent sur des infractions au Code de la route ou à ses règlements[181]. En règle générale, les activités réglementées, comme le fait de conduire, ne sont pas mauvaises d’un point de vue moral; ce sont davantage la façon dont on effectue ces activités et les conséquences qui en résultent qu’il faut chercher à éviter. Pour ces motifs, nous sommes d’accord avec la position exprimée par la Commission de réforme du droit du Canada dans son rapport de 1976, selon laquelle « une procédure d’arbitrage plus sommaire, plus rapide et moins entourée de formalités » est nécessaire pour le grand nombre d’infractions réglementaires qui ne contreviennent pas aux valeurs fondamentales[182].

En conséquence, la Commission du droit de l’Ontario conclut qu’un code de procédure séparé pour les infractions réglementaires reste justifié et constitue un outil utile pour les organismes de réglementation qui ont besoin de modalités adaptées et souples pour veiller au mieux au respect des normes de réglementation.

 

La CDO formule la recommandation suivante : 

1. Étant donné les distinctions existant entre les infractions réglementaires et les infractions criminelles, il conviendrait de conserver un code de procédure séparé relatif à la poursuite, à la mise en application et à la détermination de la peine des infractions provinciales, de façon distincte de la procédure prescrite dans le Code criminel.

 

 B.    Cadre de réforme de la Loi

1.   Principes fondateurs du cadre de réforme de la Loi

Lors de son adoption en 1979, la Loi avait pour objectif de créer un code de procédure pour la poursuite des infractions provinciales, distinct de la procédure appliquée aux infractions criminelles[183]. Pourtant, au vu de notre présentation sur l’historique de la Loi dans la section II.A du présent rapport, il est évident que d’autres principes plus fondamentaux ont été à la base de la nouvelle Loi. La proportionnalité, l’efficacité et l’équité ont servi de points d’appui à la création de la Loi et nous sommes d’avis que ces principes doivent continuer à guider la future réforme. L’accès à la justice et la jurisprudence réglementaire contemporaine fondée sur le concept de réglementation souple et proportionnelle sont d’autres éléments à prendre en compte pour la réforme de la Loi. L’ensemble de ces principes et de ces considérations forme ce que nous appelons le cadre de réforme de la Loi.

 

Équité

Le principe d’équité était profondément ancré dans la Loi à en juger par la prémisse selon laquelle « les infractions provinciales sont en substance quasi criminelles »[184]. Drinkwalter et Ewart ont écrit en 1980 que même pour les infractions faisant l’objet d’instances intentées selon le volet des infractions mineures (partie I), le droit à un procès restait absolu et sans réserve[185]. « [L]e principal défi dans la création d’un nouveau code de procédure [était] de se débarrasser du fardeau procédural tout en préservant et renforçant les droits procéduraux des accusés »[186]. (Traduction libre)   

Il est essentiel que l’équité de la procédure demeure une priorité dans la réforme de la Loi. Les processus proportionnels et efficaces pour la poursuite des infractions provinciales doivent toujours être mesurés à l’aune des considérations d’équité. Cependant, à nos yeux, le principe d’équité procédurale qui devrait être mis en œuvre pour de nombreuses infractions mineures ne nécessite peut-être pas aujourd’hui d’être autant étendu que ce qui avait pu être envisagé au moment de l’adoption de la Loi. On estimait alors que les instances introduites en vertu de la Loi visaient « clairement à imposer une sanction », point de vue qui sous-tendait l’idée que les infractions provinciales étaient quasi criminelles par nature[187]. (Traduction libre) Au vu des théories contemporaines sur le droit réglementaire et les objectifs en matière de détermination de la peine évoquées dans les sections suivantes, la Commission du droit de l’Ontario se demande si l’objectif des poursuites actuelles intentées en application de la Loi est bien de punir. D’autres objectifs, tels que la persuasion et le respect des normes de réglementation par le biais de modalités non pénales, ou la justice réparatrice, sont peut-être plus efficaces aujourd’hui pour atteindre les objectifs de la réglementation visés dans les lois créatrices d’infractions. À cet égard, l’équité impose peut-être moins que toutes les garanties judiciaires des procès criminels. En d’autres termes, l’application de procédures propres aux procès criminels à toutes les audiences d’infractions réglementaires pourrait bien contrecarrer les objectifs majeurs de ces lois en matière de bien-être public et entraver ainsi de façon significative l’administration de la justice.

Les tribunaux ont indiqué que les protections judiciaires prescrites par la Charte des droits et libertés peuvent être moins strictes ou ne pas s’appliquer aux instances réglementaires. Selon l’ouvrage de Archibald, Jull et Roach, « la Cour suprême du Canada a souvent accepté le principe que les réductions, dans le respect de la légalité, des exigences en matière de perquisition, de la présomption d’innocence et du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, vont de pair avec l’accomplissement des objectifs de la réglementation »[188]. (Traduction libre)   

Ainsi, dans R. c. Transport Robert (1973) Ltée, la Cour d’appel de l’Ontario a estimé que le droit relatif à la sécurité de la personne, auquel on ne peut porter atteinte qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale, inscrit à l’article 7 de la Charte, ne s’applique pas à la poursuite d’une infraction relative au détachement d’une roue de véhicule utilitaire. La Cour a distingué l’infraction d’un « vrai crime » et s’est plutôt basée sur la nature réglementaire de l’infraction (c’est-à-dire empêcher les conséquences néfastes d’une infraction) lorsqu’elle a conclu que la stigmatisation d’une déclaration de culpabilité ainsi que l’imposition éventuelle d’une amende de 50 000 $ ne suffisaient pas à mettre en avant les protections définies dans l’article 7[189].  

La Cour d’appel de l’Alberta a abouti à une conclusion similaire dans l’affaire Lavallee c. Alberta (Securities Commission), et a affirmé que les articles 7 et 11 de la Charte ne s’appliquaient pas aux instances introduites sur la base d’accusations d’infractions à la Securities Act de l’Alberta[190]. La preuve relative à l’activité illégale et frauduleuse présumée permettait l’imposition de sanctions administratives pécuniaires s’élevant à un maximum de 1 million de dollars par contravention. La cour a examiné la peine, son objectif et l’objet de la Securities Act quand elle a conclu que les appelants n’étaient pas accusés d’une « infraction » au sens de l’article 11 de la Charte car les conséquences éventuelles de la violation de la loi n’étaient pas pénales par nature. À l’inverse, la cour a conclu que l’objet de l’amende était de réglementer le comportement dans le secteur des valeurs boursières afin de mieux répondre aux objectifs de la législation correspondante, notamment la protection des investisseurs et du public. En conséquence, le droit d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable à l’issue d’un procès public et équitable, inscrit au paragraphe 11d) de la Charte, ne s’applique pas[191]. En ce qui concerne le droit de l’article 7 relatif à la sécurité de la personne, la Cour a estimé que l’imposition de la peine n’était pas comparable à la stigmatisation attachée à un procès criminel long et vexatoire et ne mettait par conséquent pas en jeu le droit prescrit par la Charte à l’article 7[192]. 

En revanche, on peut opposer ces affaires aux infractions où l’emprisonnement est admissible comme peine ou qui sont « pénales par nature ». Dans ces affaires, les protections judiciaires garanties par la Charte sont davantage susceptibles de s’appliquer. Par exemple, dans R. c. Pontes, la Cour suprême du Canada a déclaré : « une infraction de responsabilité absolue n’est pas susceptible de contrevenir à l’art. 7 de la Charte à moins qu’une peine d’emprisonnement ne soit prévue »[193]. De même, dans R. c. Jarvis, la Cour suprême a affirmé que lorsque l’examen d’une infraction réglementaire a pour objet prédominant d’établir la responsabilité pénale, toutes les garanties prévues par la Charte, pertinentes dans le contexte criminel, s’appliquent[194]. 

Quels que soient la peine imposée ou l’objet prédominant d’une infraction, il convient toujours de garantir un minimum d’équité procédurale. Le droit de connaître l’infraction dont on est accusé et d’être entendu par un décideur impartial fera partie des caractéristiques essentielles de toute réforme du code de procédure des infractions provinciales[195]. La notion d’équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas[196]. Plus important encore, toute procédure adoptée pour la poursuite des infractions provinciales ou l’exécution de la sanction doit être perçue comme équitable afin de conserver le respect du public à l’égard de la primauté du droit et de l’administration de la justice. Les gens pourraient être davantage disposés à obéir à la loi s’ils pensent être traités de façon équitable[197].

 

Accès à la justice

Un deuxième point majeur qui sert de ligne directrice au cadre de réforme de la Loi est l’accès à la justice. Dans son sens le plus large, cela regroupe plusieurs composantes et les obstacles rencontrés peuvent être les suivants[198] :

  • Obstacles procéduraux qui empêchent un accès efficace et raisonnable aux instances devant les tribunaux. Il peut par exemple s’agir de règles de tribunal complexes ou d’un manque de renseignements simples et clairs sur les procédures des tribunaux.
  • Complexité du droit substantiel et des lois, recours au jargon juridique et défis représentés par l’accès aux ressources juridiques.
  • Obstacles économiques tels que les frais de maintien des services d’un représentant juridique ou les procédures qui imposent de multiples comparutions inutiles au tribunal qui augmentent par là même les coûts.
  • Obstacles physiques qui empêchent l’accès physique au système de justice, comme des tribunaux inaccessibles ou des formulaires de justice auxquels ne peuvent accéder les personnes handicapées.
  • Obstacles culturels et linguistiques qui peuvent compromettre de façon disproportionnée l’accès de certains groupes au système juridique. Les connaissances relatives à des systèmes juridiques autres que le système canadien peuvent également avoir une incidence sur la façon dont certains groupes perçoivent notre système.
  • Autres obstacles qui empêchent certains groupes de participer à la réforme plus vaste du droit et de la justice sociale et économique. Il peut s’agir du manque d’éducation ou de sensibilisation concernant les moyens pour participer à l’élaboration et à la réforme du droit.  

L’accès à la justice doit entrer en ligne de compte dans toute réforme du système judiciaire relatif aux infractions provinciales. Le droit réglementaire a une incidence sur nos vies au quotidien. Le système judiciaire relatif aux infractions provinciales est le visage de la justice pour la plupart des Ontariennes et Ontariens et il doit par conséquent proposer des procédures simples, facilement compréhensibles et accessibles en ce qui concerne les infractions dont les citoyens ordinaires sont le plus souvent accusés. Sans un tel système, il y a un risque d’éloignement par rapport à la communauté qu’il sert et par là même, de perte de respect de cette même communauté. Pire, cela ne favorisera pas le respect de la règle de droit.

 

Proportionnalité

Le principe de proportionnalité reste un élément clé de la réforme de la Loi, comme c’était le cas lors de son adoption. Drinkwalter et Ewart, dans leur ouvrage de 1980, Ontario Provincial Offences Procedure, décrivent comment les procédures en application de l’ancienne Summary Convictions Act qui régissait la poursuite des infractions provinciales « restaient totalement inadaptées au caractère réglementaire mineur de la plupart des infractions provinciales »[199]. (Traduction libre) Ils indiquent que l’Assemblée législative de l’Ontario a réagi en créant la nouvelle Loi sur les infractions provinciales qui a établi un « cadre procédural adapté » et qui « représent[ait] du début à la fin une tentative visant à faire en sorte que chaque article corresponde à la nature des infractions qu’il régit. […] Un des principaux changements procéduraux qu’a apporté la Loi porte sur la création de deux volets distincts, un pour les infractions mineures et l’autre pour les infractions plus graves »[200]. (Traduction libre)  

Voici ce que déclarait alors l’ancien procureur général de l’Ontario :

De nombreuses personnes vivant en Ontario trouvent que la procédure qui régit actuellement la poursuite des infractions provinciales est déroutante, onéreuse, chronophage et tout à fait disproportionnée par rapport à la gravité de ces infractions. La Loi sur les infractions provinciales qui est proposée vient parer à cette situation en créant un code de procédure clair et indépendant afin de simplifier les procédures, d’éliminer les détails techniques, d’améliorer les droits et protections inscrits dans les procédures et de supprimer les retards en ce qui concerne l’affirmation des droits et la conclusion des poursuites[201]. (Traduction libre) 

Sans nul doute, la proportionnalité de la procédure en accord avec la gravité de l’infraction provinciale constituait un objectif fondamental de la Loi en 1979 et devrait rester un principe directeur pour toute réforme à venir de la Loi. Le bon sens ordonne un rapport proportionnel entre la gravité ou la complexité d’une infraction et la procédure mise en place pour sa résolution. Cela n’est pas unique à la réforme sur les infractions provinciales. La proportionnalité de la procédure est également un facteur clé de la réforme des systèmes de justice civile et familiale[202]. Étant donné le grand nombre d’infractions provinciales, la gamme de sanctions possibles qui s’étend d’amendes négligeables à des peines d’emprisonnement et la complexité accrue de certaines affaires, qui peuvent impliquer des experts et des milliers de documents, la proportionnalité reste un principe pertinent dans le cadre de la réforme de la Loi.

 

Efficacité et administration de la justice

Des millions d’infractions sont traitées chaque année dans le cadre de la procédure prescrite par la Loi. Pour cette seule raison, l’efficacité se doit d’être une priorité du cadre de réforme de la Loi. En effet, il s’agissait déjà d’un facteur clé au moment de l’adoption de la Loi. Voici ce que déclarait l’ancien juge en chef adjoint McKinnon dans R. c. Jamieson :

La Loi sur les infractions provinciales n’est pas conçue pour être un piège pour les personnes peu qualifiées ou non vigilantes, mais plutôt […] pour être un moyen peu coûteux et efficace de gérer les infractions mineures dans la plupart des cas[203]. (Traduction libre)

Plus que leur seul volume, c’est la nature des affaires régies par la Loi qui demande la mise en place de procédures efficaces. La décision de 2003 de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire R. c. Felderhof évoquait à cet égard une Cour des infractions provinciales efficace et efficiente. L’affaire portait sur la poursuite d’infractions commises en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières. La décision fait référence à la complexité accrue de certaines mises en accusation relatives à des infractions provinciales, à l’importance de traiter ces affaires de façon efficace et à la nécessité de modalités procédurales pour garantir l’efficacité de l’arbitrage : (Traduction libre)   

Jusqu’à tout récemment, un long procès durait une semaine, peut-être deux. De nos jours, il n’est plus rare que des procès se poursuivent pendant plusieurs mois, sinon des années. Au début du procès ou pendant son déroulement, l’avocat peut prendre des décisions qui le prolongent indûment ou l’entraînent vers une procédure presque impossible à gérer.

Une « évolution des réalités sociales et matérielles » est que le contentieux, même à la Cour des infractions provinciales, est devenu plus complexe et demande des procès plus longs. Cela est dû en partie à une plus grande complexité de la société qui engendre des affaires telles que celle-ci, fondées sur des opérations commerciales délicates. L’autre réalité à prendre en compte est l’incidence de la Charte des droits et des libertés. Il est possible que cette affaire ait également demandé du temps avant 1982. Néanmoins, la Charte a introduit un autre degré de complexité.

De la même façon, demander à ce qu’un tribunal des infractions provinciales traite cette affaire délicate portant sur les règlements relatifs aux valeurs mobilières comme s’il ne s’agissait de rien de plus qu’une infraction de circulation nuirait gravement à l’efficacité de son fonctionnement. En conséquence de R. c. 974649 Ontario Inc., la Cour des infractions provinciales possède une vaste compétence réparatrice en vertu de la Charte. Il me semble que, par voie de conséquence nécessaire, elle doit donc disposer des modalités procédurales requises pour garantir son efficacité à mettre fin à toutes les demandes de réparation.[…] En effet, le pouvoir législatif a conféré au tribunal des infractions provinciales la compétence de décider ces affaires commerciales complexes, impliquant des centaines, voire des milliers de documents, et parfois des demandes de réparation délicates fondées sur la Charte. De mon point de vue, le juge de première instance doit avoir l’autorité de contrôler la procédure dans son tribunal afin d’assurer un déroulement efficace du procès[204].  

Selon nous, l’efficacité du processus doit constituer une ligne directrice afin de pouvoir traiter non seulement les affaires simples et élémentaires fondées sur la Loi, mais également les affaires plus complexes et plus longues. Un code de procédure de la Loi ne fera pas avancer l’administration de la justice s’il n’est pas efficace.

 

2.     Réglementation souple

Une réglementation souple et proportionnelle constitue le dernier concept à prendre en compte pour le cadre de réforme de la Loi. Ce concept a été décrit comme une « pyramide réglementaire » qui suggère une réponse progressive lorsque les responsables de la réglementation repèrent une non-conformité aux normes réglementaires, plutôt que de lancer d’emblée des poursuites réglementaires entraînant de lourdes amendes comme premier moyen de réponse[205].  

Nous reconnaissons que la pyramide réglementaire n’a en soi aucune incidence directe sur le code de procédure propre aux poursuites relatives aux infractions réglementaires. Elle est davantage pertinente dans le cadre d’un examen critique portant sur la façon dont les responsables de la réglementation devraient mieux répondre aux infractions réglementaires qu’ils perçoivent. Comme il est décrit ci-dessous, les poursuites représentent seulement une réponse possible dans le cadre de la pyramide réglementaire et la Loi ne traite de la procédure que lorsqu’une décision d’intenter une poursuite a été prise. Néanmoins, la pyramide réglementaire peut être un outil instructif et utile pour les poursuivants lorsqu’ils décident de lancer ou non une poursuite, et surtout, en ce qui concerne notre propos, les concepts qu’elle véhicule peuvent s’avérer pertinents pour les juges lorsqu’ils envisagent les options appropriées en matière de peine.  

Le concept de réglementation souple est né d’un débat relativement insatisfaisant concernant la déréglementation dans le secteur des affaires. D’une part, les hommes politiques proéminents des années 1980 et 1990 ont cherché à remplacer ce qui était perçu comme un contrôle gouvernemental excessif exercé par l’État-providence par une plus grande privatisation et une gouvernance fondée sur la « magie du marché » [206]. (Traduction libre) Le point de vue opposé est que la réglementation du gouvernement associée à une application stricte des lois par le biais de sanctions est nécessaire pour protéger les individus dans une société moderne. On ne peut se fier aux acteurs du secteur industriel privé, sans réglementation et application des normes de réglementation, pour protéger le public dans la mesure où ils s’intéressent uniquement aux bénéfices et non aux objectifs liés au bien-être public. Les personnes favorables à une forte réglementation et application de la loi (tant dans le contexte public que privé) pourraient ainsi pointer du doigt les incidents tragiques dus à l’insalubrité de l’eau potable à Walkerton, en Ontario, en 2000, et faire référence à l’enquête subséquente dans laquelle l’honorable juge O’Connor a établi que l’échec du gouvernement provincial à promulguer des règlements juridiquement contraignants a contribué à l’insalubrité de l’eau potable et aux maladies et décès qui ont suivi[207]. 

La réglementation souple vise à transcender le débat « réglementation contre déréglementation ». 

La souplesse de l’approche (en ce qui concerne la réglementation), proposée par Ayres et Braithwaite, prévoit un processus où les responsables de la réglementation s’appuient sur des stratégies basées sur la conformité et ont ensuite recours à des éléments de dissuasion plus punitifs lorsque le niveau désiré de conformité n’est pas atteint. Selon eux, il s’agit d’une option préférable aux positions soutenues soit par ceux qui pensent que « la persuasion douce fonctionne en garantissant la conformité des entreprises avec la loi » et ceux qui considèrent simplement que les entreprises ne respectent la législation que lorsque des sanctions sévères ont été appliquées[208]. (Traduction libre)  

La réglementation souple offre un équilibre entre ceux qui pensent que la dissuasion par des « sanctions sévères » (traduction libre) est la meilleure façon d’atteindre la conformité à la loi, et ceux qui estiment que « la persuasion douce est suffisante pour garantir […] la conformité » (traduction libre). Au lieu de demander s’il vaut mieux punir ou persuader, la question consiste plutôt à savoir quand punir ou quand persuader[209]. À partir de la plupart de ses recherches empiriques sur ce qui motive les acteurs réglementés, John Braithwaite conclut que la punition comme première réponse peut souvent inhiber la conformité aux normes de réglementation, dans la mesure où elle insulte les acteurs réglementés et les démotive[210]. Cela favorise la rébellion personnelle et le risque d’une sous-culture de résistance du monde des affaires vis-à-vis de la réglementation[211].  

Lorsque la punition, et non le dialogue, s’inscrit au premier plan des rencontres réglementaires, il est évident que, du point de vue psychologique, les gens trouveront cela humiliant, éprouveront du ressentiment et résisteront en adoptant des comportements qui incluent l’abandon de l’autoréglementation[212]. (Traduction libre) 

Les auteurs Ayres and Braithwaite indiquent que les particuliers et les entreprises respectent souvent les règlements non par peur des sanctions, mais pour d’autres facteurs qui incitent à la conformité, y compris la perte de la réputation, le désir de faire ce qui est juste, d’être fidèle à son identité de citoyen respectueux des lois et de maintenir une image personnelle de responsabilité sociale[213]. Ils expliquent que ces facteurs de motivation devraient être la source de réponses initiales aux violations réglementaires qui soient proportionnelles et personnalisées et favorisent la coopération et l’observation des lois, plutôt que les poursuites judiciaires entraînant l’imposition d’une amende standard. En outre, les poursuites pourraient au final n’entraîner aucun changement de comportement, ni favoriser l’observation des lois, notamment si l’amende pèse sur les consommateurs et n’est pas supportée par la partie réglementée.

Toutefois, le recours à la punition ne devrait pas être abandonné. Il faut le conserver en arrière-plan comme le bâton que l’on peut utiliser pour favoriser l’observation de la loi avec des sanctions moindres[214].  

La persuasion est à la base de la pyramide réglementaire proposée par Ayres et Braithwaite. Plus on monte dans la pyramide, plus les outils utilisés par les responsables de la réglementation s’avèrent punitifs et exigeants. La persuasion devient une lettre d’avertissement qui elle-même peut se transformer en sanction civile, poursuite ou sanction pénale, suspension, voire révocation de permis. Le modèle se veut dynamique. Il ne devrait pas servir à déterminer à l’avance vers quel niveau les responsables de la réglementation devraient se tourner pour répondre à une infraction. On devrait partir, hypothétiquement, de la base de la pyramide, même si les circonstances pourraient exiger de commencer plus haut. Lorsque la personne réglementée ne répond pas à la persuasion, le responsable de la réglementation peut alors monter dans la pyramide jusqu’à atteindre le palier de « réforme et réparation »[215].  

En Ontario, Archibald, Jull et Roach ont poursuivi les travaux de Ayres et Braithwaite. Ils placent également l’autoréglementation et la persuasion en bas de la pyramide, mais prévoient en outre un rôle précoce pour la justice réparatrice ou corrective dans certains cas de violations de la réglementation[216]. À cet égard, ils se sont appuyés sur la définition formulée par la Cour suprême du Canada dans un contexte criminel : 

En termes généraux, la justice corrective peut se définir comme une conception de la réponse au crime selon laquelle, tout étant interrelié, le crime vient rompre l’harmonie qui existait avant sa perpétration, ou du moins l’harmonie souhaitée. L’adéquation d’une sanction donnée est alors largement déterminée par les besoins des victimes et de la communauté, ainsi que par ceux du délinquant. L’accent est mis sur les êtres humains touchés de près par le crime[217]. 

En cas d’échec de la persuasion et de la justice réparatrice, Archibald, Jull et Roach proposent les lettres d’avertissement. Si ces lettres restent suivies par une non-conformité, le prochain niveau est le volet de justice civile ou administrative qui inclut des actions civiles visant l’obtention d’une indemnisation et de l’internalisation des coûts. Les sanctions administratives pécuniaires (SAP) (s’inscrivant en dehors du système régi par la Loi) semblent faire partie de ce niveau. Le niveau suivant est la poursuite réglementaire pour laquelle la Loi entre en jeu. La dissuasion est alors généralement l’objectif recherché. Les défendeurs sont poursuivis, mais peuvent éviter d’être déclarés coupables en établissant qu’ils ont fait preuve de diligence raisonnable, mettant en œuvre des garde-fous que tout défendeur raisonnable aurait déployés pour éviter que se produise l’acte interdit[218]. Tout en haut de la pyramide, se trouvent enfin les sanctions criminelles et la suspension de permis temporaire ou permanente[219]. 

Braithwaite estime que la pyramide est efficace si l’on se base sur l’expérience acquise par les organismes de réglementation du secteur des affaires dans le monde entier[220]. Les preuves empiriques montrent que la persuasion peut marcher à certains moments et pas à d’autres, mais il en va de même pour la punition. De plus, la faveur hypothétique accordée à la persuasion implique que l’on commence par l’option la moins onéreuse et la plus respectueuse. Si l’on utilise d’abord des moyens de persuasion, il est davantage probable que les moyens de coercition éventuels apparaissent équitables et légitimes par les personnes réglementées ou tout du moins, par les tiers. La persuasion peut aussi permettre d’éviter pour certains cas la réponse traditionnelle fondée sur les poursuites, ce qui réduit les coûts généraux engendrés par les tribunaux et les poursuites et limite le délai associé aux instances judiciaires[221].   

La CDO soutient la réglementation réactive et la notion d’un ensemble de modalités adaptées et souples pour les responsables de la réglementation afin de promouvoir le respect des normes de réglementation. La recherche pluridisciplinaire menée par Braithwaite et d’autres[222] est très intéressante et amène des solutions créatives pour favoriser le respect des normes de réglementation.

Comme nous l’avons mentionné précédemment, le modèle de la pyramide réglementaire en soi est davantage pertinent dans le cadre d’une analyse générale sur la façon dont les responsables de la réglementation peuvent promouvoir au mieux le respect des normes de réglementation, plutôt que vis-à-vis de la question du code de procédure des poursuites d’infractions. Cependant, ce modèle de réglementation souple a une certaine application en ce qui concerne l’examen des modalités de détermination de la peine à disposition d’un juge à l’étape de la pyramide relative à la poursuite réglementaire. Il remet en effet en cause le paradigme général amende-dissuasion comme réponse standard pour la plupart des poursuites réglementaires et ouvre la porte à des outils plus efficaces en matière de peine permettant de mieux favoriser l’observation des objectifs réglementaires à l’avenir. Comme nous l’évoquons dans la section II.E sur la réforme de la détermination de la peine, l’usage étendu de la probation, la possibilité de rendre des ordonnances de restitution et d’indemnisation et la possibilité d’ordonner un vérificateur intégré en vue de contrôler le respect des lois sont quelques-unes des options qui correspondent aux concepts de réglementation souple et proportionnelle.

 

C.     L’objet de la Loi et nouvelle structure proposée

1.     L’objet de la Loi de nos jours

Dans la section II.A, nous avons commencé par évoquer l’objet de la Loi tel qu’il est décrit à l’article 2. Nous avons noté que les objectifs sous-jacents de la Loi étaient bien plus que de simplement « remplacer la procédure de déclaration de culpabilité par procédure sommaire dans les poursuites à l’égard d’infractions provinciales […] par une procédure qui reflète la distinction existant entre les infractions provinciales et les infractions criminelles ». Selon plusieurs sources, la Loi était en fait véritablement « conçue pour proposer une méthode juste et efficace permettant de juger la majorité des affaires traitées par les tribunaux des infractions provinciales »[223] et pour « permettre la mise en place d’une méthode accélérée, efficace et pratique pour traiter en majorité les infractions mineures »[224] (Traduction libre). Les objectifs de proportionnalité, d’efficacité et d’équité étaient alors réels et le sont encore aujourd’hui. C’est pourquoi nous pensons qu’ils devraient être adéquatement inscrits dans le cadre d’une modification de l’article sur l’objet de la Loi. 

Après 30 ans d’expérience avec un code de procédure séparé pour les affaires fondées sur la Loi, il ne fait aucun doute que les infractions réglementaires doivent être régies par une procédure qui se distingue de la procédure sommaire de déclaration de culpabilité prescrite par le Code criminel. Par conséquent, il n’est plus nécessaire d’envisager la création d’une procédure régie par la Loi qui se distingue de la procédure du Code criminel comme seul objet de la Loi. Il reste peut-être encore des raisons valables de distinguer les « infractions criminelles » des « infractions provinciales » dans l’article sur l’objectif. Comme le recommande la section II.A, un code de procédure distinct devrait être maintenu pour les infractions provinciales étant donné la distinction entre la plupart des infractions réglementaires et les crimes, distinction qui devrait être conservée dans le cadre d’un nouvel article complété qui reflète les véritables objectifs sous-tendant la Loi sur les infractions provinciales. Il peut également être justifié d’indiquer expressément cette distinction dans l’article sur l’objet de la Loi, étant donné que les protections prévues par la Charte ne s’appliquent pas de la même façon aux infractions provinciales et aux infractions criminelles[225] et que certaines infractions peuvent faire l’objet de poursuites à titre d’infractions criminelles aussi bien que provinciales (p. ex. la cruauté envers les animaux)[226].  

Un article sur l’objet de la Loi permet d’avoir un aperçu de l’intention véritable du législateur quant à son adoption. Cela permet non seulement de guider la sphère judiciaire en ce qui concerne l’interprétation et l’application de la loi, mais également d’enjoindre aux poursuivants et aux défendeurs d’agir d’une manière conforme à cet objectif législatif. De la même façon, l’ébauche des règles, règlements et formules subordonnés à la Loi suivra le principal objectif de la Loi. À ce jour, il incombe aux comités judiciaires[227] et chargés des règles d’interpréter le véritable objectif sous-tendant la Loi. 

Selon nous, un article sur l’objet de la Loi qui intègre les concepts de proportionnalité, d’efficacité, d’équité, d’accessibilité et d’adaptabilité aux objectifs de la législation créatrice de l’infraction permettra de créer un code de procédure flexible et dynamique. Il sera alors possible de disposer d’une (ou de plusieurs) procédure(s) évolutive(s) et active(s) permettant de mieux répondre au volume et à la diversité des infractions régies par la Loi, tant aujourd’hui qu’à l’avenir. Nous pourrons alors nous appuyer sur des principes directeurs suivant lesquels nous devrons mettre en place, interpréter et appliquer toute procédure, règle ou réglementation liée à la Loi. 

Le revers de la médaille avec la flexibilité est l’incertitude. D’aucuns pourraient dire que l’introduction de ces concepts engendrera un caractère incertain du code de procédure. Le pouvoir judiciaire, les poursuivants et les défendeurs doivent connaître le processus qui régit une instance et nous ne soutenons pas l’idée d’abandonner un code de procédure précis pour les infractions régies par la Loi. Au contraire, nous recommandons la mise en place de procédures claires pour les différents types de poursuites intentées en vertu de la Loi dans la prochaine section. Nous pensons cependant que les principes et les facteurs ci-dessus doivent être inclus dans l’article sur l’objet de la Loi afin de pouvoir orienter l’interprétation et l’application de la loi. L’autre possibilité est de ne fournir aucune ligne directrice et de laisser la question entièrement à la discrétion des juges, mais cela pourrait entraîner une plus grande incertitude et ne favoriserait peut-être pas l’atteinte des objectifs qui devraient selon nous régir les instances introduites en vertu de la Loi. 

L’approche que nous proposons n’est ni unique, ni nouvelle. Les codes de procédure régissant les affaires civiles[228], familiales[229], de petites créances[230] et criminelles[231] incluent tous un objectif principal ou une disposition interprétative qui transcrit les concepts de proportionnalité, d’équité ou d’efficacité dans l’administration de la justice. Des concepts similaires devraient définir les principes directeurs clés pour l’élaboration, l’interprétation et l’application d’une procédure relative aux infractions provinciales. Sans outrepasser l’expertise des légistes, nous nous permettons de proposer une version possible de la révision de l’article relatif à l’objet :  

L’objet de la présente Loi est de :

  • fournir une procédure accessible pour la résolution ou l’arbitrage efficace et équitable d’infractions provinciales d’une manière proportionnelle à la complexité et à la gravité de l’infraction provinciale;
  • promouvoir les objectifs de la loi créant l’infraction;
  • prévoir une procédure qui reflète la distinction entre les infractions provinciales et les infractions criminelles.
     

La CDO formule la recommandation suivante :

2. L’article sur l’objet de la Loi devrait être modifié en vue de mettre en avant une procédure pour l’arbitrage ou la résolution d’affaires liées à des infractions provinciales et d’appuyer l’élaboration de règles, formulaires ou autres textes ou pratique d’autorité subordonnée pour être :

  • équitable;
  • accessible;
  • proportionnel à la complexité et à la gravité de l’infraction provinciale;
  • efficace;
  • adapté à l’objectif de la loi créant l’infraction;
  • conforme à la distinction entre les infractions provinciales et les infractions criminelles.

 

 

2.     Nouvelle structure de la Loi et des règles relatives à la Loi

Après avoir résumé dans la section II.A la structure de la Loi et les règles et règlements qui régissent les instances et les appels liés aux infractions provinciales, nous avons déterminé un certain nombre de sujets de préoccupation à cet égard que nous allons à présent aborder. Il nous semble désormais grand temps de restructurer et de simplifier en profondeur la Loi conformément aux objectifs du cadre de réforme défini.

 

Simplifier la Loi

Le régime de la Loi, accompagné de ses nombreuses règles, formules et réglementations, est très complexe. Sa complexité est d’autant plus gênante que, dans la plupart des cas, les infractions faisant l’objet de poursuites intentées en vertu de la Loi sont mineures et impliquent des défendeurs se représentant eux-mêmes. Voici une liste des composantes de ce régime afin de témoigner de sa nature complexe et fastidieuse. 

  • La Loi dispose de 10 parties et de 176 articles. Elle décrit comment introduire une instance, comment répondre à une instance, les pouvoirs d’arrestation, les mandats de perquisition, la détermination de la peine, la mise en liberté sous caution et les règles régissant les procès et les appels. Étant donné les renvois fréquents entre ses articles ou à d’autres règlements ou formules, la lecture de la Loi peut s’avérer des plus fastidieuses, même pour un public averti. En outre, elle n’emploie pas un langage courant.
  • Il y a sept règlements pris en application de la Loi qui peuvent s’appliquer à une instance fondée sur la Loi.
  • Il existe quatre groupes distincts de règles établis par le Comité des règles en matière criminelle en vertu de la Loi sur les tribunaux judiciaires qui régissent les poursuites intentées et les appels interjetés en vertu de la Loi. Dans certains cas, les règles liées à la Loi semblent faire double emploi, voire rendre superflu ce qui est déjà inscrit dans la Loi[232].
  • Les formules nécessaires pour suivre la procédure établie dans la Loi se trouvent dans un règlement distinct et dans l’un de ces quatre ensembles de règles. Elles ne sont pas expressément définies dans la Loi, ce qui oblige à rechercher dans les ensembles de règles ou dans les sept règlements pour trouver la formule adaptée.
  • Il y a plusieurs exceptions aux processus généraux prescrits par la Loi. Par exemple :
    – Plusieurs procédures régissant les instances introduites en vertu de la partie I et de la partie II s’appliquent uniquement à certaines zones de l’Ontario[233] et il faut aller vérifier un règlement distinct pour déterminer si oui ou non, elles s’appliquent[234].
    – Plusieurs autres articles de la Loi ne s’appliquent pas dans certaines municipalités et inversement[235].
  • Afin de connaître la procédure législative fondée sur la Loi, il faut également consulter les règles de procédure établies en vertu de la Loi sur les tribunaux judiciaires afin de veiller à la conformité. 

Nous n’entendons pas suggérer que les exigences procédurales établies dans la Loi ne sont pas nécessaires ou fondées sur la logique. Un processus clairement défini est essentiel à tout code de procédure. La majeure partie de la procédure semble avoir été intégrée à la Loi au moment de son adoption en 1979 sur la base de conventions visant à mettre en place une procédure quasi criminelle. Néanmoins, nous doutons aujourd’hui de la nécessité et de l’efficacité d’aller autant dans le détail.

Nous nous demandons également s’il est sage de devoir se reporter à plusieurs autres ensembles de règles, règlements et formules en vue de totalement comprendre et respecter la procédure prescrite par la Loi. La complexité qui en résulte peut rendre la procédure inintelligible, et par là même inaccessible. Le jargon juridique aggrave encore la situation et empêche un accès aisé, à moins qu’on ne sache comment appréhender les documents juridiques. Selon nous, la procédure prescrite par la Loi doit être simplifiée, notamment en ce qui concerne les instances introduites en vertu des parties I et II, qui représentent la grande majorité des poursuites intentées en vertu de la Loi et qui sont particulièrement susceptibles d’impliquer des défendeurs se représentant eux-mêmes.  

Comme nous l’avons noté précédemment, 90 % des poursuites intentées en vertu de la Loi correspondent à des infractions de la partie I, parmi lesquelles 80 % sont commises à l’encontre du Code de la route et l’on pense que la plupart des défendeurs en question ne sont pas représentés. Demander à une personne sans représentant juridique de naviguer dans la Loi, ses règles et ses formules afin de comprendre le processus auquel elle est soumise ne favorise ni l’équité, ni l’accessibilité. La quantité de procédures détaillées est simplement disproportionnée si l’on considère les intérêts en jeu. À titre de comparaison, nous remarquons qu’un autre tribunal où la majorité des plaideurs ne sont pas représentés, à savoir la Cour des petites créances, dispose d’un code de procédure complet contenant au total 21 règles accompagnées des formules associées au sein même de ces règles[236]. En outre, des guides de procédure en langage courant, préparés par le ministère du Procureur général, sont facilement disponibles pour aider les défendeurs dans le cadre du processus existant pour la Cour des petites créances[237].

 

Simplifier et mettre à jour les règles associées à la Loi

Il y a quatre ensembles distincts de règles liées à la Loi avec les formules prescrites associées : (1) la procédure fondée sur la Loi devant la Cour de justice de l’Ontario[238]; (2) les appels interjetés devant la Cour de justice de l’Ontario à partir d’instances introduites en vertu des parties I et II[239]; (3) les appels d’instances introduites en vertu de la partie III devant la Cour de justice de l’Ontario ou la Cour supérieure de justice[240] et (4) les appels liés à la Loi devant la Cour d’appel[241]. Avec l’approbation du Procureur général, le Comité des règles en matière criminelle crée les règles liées à la Loi en application de la Loi sur les tribunaux judiciaires[242].

De même que la Loi, nous avons estimé que les règles sont indûment complexes. Elles sont rédigées dans un langage juridique et il relève du défi de les passer en revue sans avoir reçu au préalable une formation officielle. Pour illustrer la complexité de ces règles, la plaisanterie suivante a eu cours : « il faudrait pratiquement porter son anneau décodeur trouvé dans une boîte de Cheerios! » Depuis leur création, les règles générales liées à la Loi pour la Cour de justice de l’Ontario n’ont reçu que des modifications mineures. Les dernières modifications datent de dix ans et étaient de nature purement administrative[243]. Les trois autres ensembles de règles ont été établis en 1994 et n’ont jamais été modifiés depuis. De fait, elles font encore référence à la Cour de l’Ontario (Division provinciale), l’ancien nom de la Cour de justice de l’Ontario, de même que les formules prescrites. Les règles ne sont pas consolidées, ni facilement accessibles et il faut consulter différents règlements pour déterminer les formules adaptées, ce qui représente un problème, étant donné le nombre de défendeurs se représentant eux-mêmes. 

De plus, il nous a également été confié que le Comité des règles en matière criminelle, qui a compétence en vertu de la Loi sur les tribunaux judiciaires pour faire les règles liées à la Loi, pourrait ne pas être le mieux adapté à cet égard. Il compte 28 membres, y compris les juges en chef et juges en chef adjoints de la Cour d’appel, de la Cour supérieure de justice et de la Cour de justice de l’Ontario, d’autres juges de tribunal de différentes instances, des avocats et des représentants du ministère du Procureur général et de l’administration des tribunaux. Cette composition peut s’avérer appropriée pour élaborer les règles en matière criminelle à appliquer à la Cour de justice de l’Ontario et à la Cour supérieure de justice, mais elle ne semble pas idéale pour les règles liées à la Loi. La grande majorité des membres du Comité ne sont pas directement impliqués dans les affaires régies par la Loi, à l’exception de certains juges de la Cour de justice de l’Ontario. Les juges de paix président pour la plupart des instances introduites en vertu de la partie I ou de la partie II et ne sont pas représentés au sein du Comité. Il n’y a pas non plus de représentants des municipalités qui assurent les poursuites et l’administration des tribunaux pour la majorité des infractions commises à l’encontre de la Loi, ni de parajuristes qui représentent les défendeurs lors de poursuites fondées sur la Loi. Le Comité des règles en matière criminelle a mis en place un sous-comité et recherche ses conseils et ses recommandations, mais cette structure d’élaboration des règles n’est peut-être pas la plus efficace, car elle dépend de l’approbation de l’ensemble du Comité en ce qui concerne les projets de modification. La taille du Comité des règles en matière criminelle et l’absence de réunions régulières sont d’autres obstacles au suivi permanent des règles liées à la Loi et à la présentation des améliorations nécessaires.

 

 

Créer des procédures claires et proportionnelles pour les procès d’affaires fondées sur la Loi

Il n’y a qu’un seul ensemble de dispositions relatives aux procès dans la Loi, les articles 28 à 55, qui s’appliquent à tous les procès, qu’ils soient de la partie I, II ou III. La plupart portent sur des éventualités particulières qui pourraient survenir lors d’un procès. Elles ne créent pas une feuille de route qui indique comment doit se dérouler un procès intenté en vertu de la Loi. Il semblerait qu’elles soient plus particulièrement pertinentes pour des procès plus complexes intentés en vertu de la partie III et elles peuvent sans aucun doute être utiles à cet effet. Toutefois, pour un défendeur non représenté qui cherche à avoir une compréhension de base du déroulement d’une instance simple introduite en vertu de la Loi, ces articles ne sont guère utiles. 

Ce seul ensemble de dispositions relatives au procès s’applique de façon égale à l’ensemble des procès intentés en vertu de la Loi, quel que soit le type concerné ou la gravité de l’infraction. Il peut s’agir d’un procès impliquant un procès-verbal d’infraction de stationnement de 30 $ en vertu de la partie II, comme d’une infraction environnementale majeure fondée sur la partie III pouvant entraîner une amende de 10 millions de dollars et une peine d’emprisonnement. Les articles de la Loi relatifs au procès ne limitent pas le nombre de procédures disponibles pour le premier type de procès évoqué, ni n’offrent de règles spécialisées pour contribuer à la gestion des autres types de procès pouvant être plus complexes, exiger le témoignage d’experts et possiblement des semaines de procès. 

On pourrait y trouver des avantages si des règles particulières en matière de procès étaient créées de façon proportionnelle à la gravité de l’infraction. Si des règles simples et distinctes s’appliquaient exclusivement aux procès relatifs aux infractions de moindre gravité et si d’autres règles plus exhaustives étaient créées pour les procès plus graves, on pourrait s’attendre à un usage plus efficace du tribunal et des ressources judiciaires et à une meilleure compréhension des procédures intentées. Cela favoriserait la proportionnalité, l’équité et une meilleure accessibilité.

 

Faciliter les modifications des procédures régies par la Loi

La Loi est inscrite dans un acte législatif. Or, il pourrait être plus facile et plus rapide de la modifier si elle s’inscrivait dans une règle ou un règlement. Pour toutes les modifications législatives, les comités ministériels doivent d’abord donner leur aval aux projets de modifications de la Loi. En cas d’approbation, le Conseil des ministres doit alors envisager les modifications. Après qu’il a donné son approbation, il faut trouver du temps dans le programme du législateur pour introduire et débattre les modifications dans un projet de loi. Il est fondamental à notre processus démocratique de procéder à un examen attentif ainsi qu’à un débat concernant nos actes législatifs et la décision de retirer ces questions d’un tel processus ne devrait pas être prise à la légère. Néanmoins, certaines questions d’ordre purement procédural ne nécessitent peut-être pas un tel processus. Il pourrait être avantageux de déléguer l’élaboration d’un code de procédure à un organe approprié disposant de l’expertise technique en la matière.

D’autre part, les modifications portant sur des actes subordonnés, tels que les règles ou les règlements, peuvent généralement être mises en place plus rapidement et plus facilement. En fonction de la loi qui les régit, de telles modifications ne nécessitent en règle générale que l’approbation du procureur général ou du lieutenant-gouverneur en conseil (Conseil des ministres). Des organes spécialisés disposant de l’expertise adéquate (exemple phare : les comités des règles) pourront comprendre pourquoi ces changements procéduraux sont requis. C’est le processus qui permet l’entrée en vigueur des modifications du code de procédure des affaires civiles, familiales et criminelles présentées par les comités des règles respectifs. C’est également le processus par lequel passent les modifications des règles associées à la Loi, mais dans la mesure où la majorité de la procédure régie par la Loi est contenue dans la législation, les modifications doivent être prises en charge par l’Assemblée législative provinciale.

En conséquence, le gros de la procédure régie par la Loi étant inscrit dans la législation, cela favorise indûment les inefficacités et engendre un régime de la Loi qui manque de souplesse face aux améliorations requises. Cela crée des frustrations chez les personnes responsables de la poursuite, de la défense, de l’arbitrage et de l’administration des infractions fondées sur la Loi, qui souhaitent des modifications procédurales. Selon nous, le transfert du gros de la procédure à un nouvel ensemble unique de règles ou à un règlement relatif à la Loi pourrait permettre de corriger ce problème. 

Bien entendu, la loi doit toujours comprendre certains sujets fondamentaux, juridictionnels ou créant l’infraction, à l’inverse des règles ou règlements. L’équité et la responsabilisation démocratique nécessitent que certaines questions, comme la création d’infractions et de sanctions, le transfert du pouvoir de décision aux juges et l’établissement de tribunaux provinciaux, soient inscrites dans un acte législatif afin de pouvoir faire l’objet de débats publics et être dûment considérées par les représentants élus. À l’inverse, un règlement est une directive de nature législative qui traite généralement d’enjeux techniques ou procéduraux pour qu’un acte législatif soit appliqué. Un règlement est approuvé par le pouvoir exécutif au sein du gouvernement sans débat public à l’Assemblée législative, même si l’acte législatif qui le régit doit autoriser la création dudit règlement. À cet égard, les règlements sont créés sous l’autorité de l’Assemblée législative. Comme nous l’avons mentionné précédemment, les règlements ou règles sont généralement approuvés par le procureur général ou par le lieutenant-gouverneur en conseil (c’est-à-dire, le Conseil des ministres).

Les règlements de l’Assemblée législative dictent quels sujets doivent apparaître dans la législation et non dans la réglementation. En outre, certaines procédures régies par la Loi peuvent avoir une composante politique, car elles ont une incidence directe sur la vie de la plupart des Ontariennes et des Ontariens et devraient par conséquent s’inscrire dans un acte législatif, et non dans un règlement, afin de permettre un débat public. Le recours au radar photo comme modalité d’introduction d’une instance fondée sur le Code de la route est un exemple. Le conseiller législatif est dans la meilleure position pour offrir son analyse et ses conseils concernant ce qui doit rester inscrit dans une loi et ce qui doit être transféré à une autorité subordonnée. En outre, les modifications législatives à la Loi ou à la Loi sur les tribunaux judiciaires peuvent être nécessaires pour étendre l’autorité d’adopter des règles ou des règlements subordonnés. Tout en nous inclinant devant l’expertise du conseiller législatif, nous nous permettons de suggérer que les dispositions établissant la compétence d’un tribunal à entendre les affaires régies par la Loi, l’autorité des juges et des juges de paix, l’autorité du personnel judiciaire à assumer certaines fonctions, l’autorité d’ordonner l’arrestation d’une personne et de délivrer des mandats de perquisition, la création des infractions et la détermination de la peine devraient toutes rester dans la Loi, sans compter d’autres points qui devraient peut-être également figurer encore au sein du texte législatif. 

À l’issue de cette analyse préliminaire, la CDO est d’avis qu’une grande partie de la procédure détaillée que l’on trouve actuellement dans la Loi devrait être grandement simplifiée et transférée à des règles ou un règlement. Voici quelques exemples de points inscrits dans la Loi qui pourraient être transférés dans des règles ou un règlement :

comment un défendeur peut déposer un avis d’intention de comparaître en réponse à un avis d’infraction en vertu de la partie I ou de la partie II et comment le greffier doit donner un avis de procès (articles 5 et 17);

  • comment une assignation est délivrée par le tribunal (art. 39);
  • comment les parties peuvent assister à des conférences préparatoires au procès (art. 45.1);
  • comment les ajournements sont accordés (art. 49);
  • la restitution des pièces (art. 48);
  • les circonstances dans lesquelles les documents peuvent être déposés par voie électronique (art. 76.1);
  • les circonstances dans lesquelles les parties ou les témoins peuvent comparaître par téléphone ou par vidéoconférence (art. 83.1);
  • comment et dans quelles circonstances des prorogations de délai peuvent être accordées (art. 85);
  • comment les appels sont interjetés (art. 116 et 135) et la procédure qui régit les appels (voir p. ex. art. 118, 119 et 136).

À la lumière des éléments précités, nous recommandons une refonte de la Loi et de ses règles. Le code de procédure détaillé de la la Loi serait retiré, et la Loi conserverait uniquement les dispositions fondamentales, juridictionnelles et créatrices d’infractions nécessaires au fonctionnement du régime fondé sur elle. La Loi devrait continuer de prescrire comment introduire les instances qu’elle régit et d’établir des volets distincts afin que les procédures proportionnelles à ces différents volets puissent être décrites en détail dans des règles ou un règlement subordonnés (p. ex. l’actuelle partie I pour les infractions de moindre gravité et l’actuelle partie III pour les infractions plus graves; cependant, il convient de noter que la partie III pourrait être renommée une fois que la révision de la Loi sera ébauchée et que les infractions de stationnement régies par la partie II seront exclues de la Loi, selon les recommandations présentées ci-dessous au sujet du système de SAP). Il convient également de conserver d’autres dispositions qui, par convention législative ou du fait d’une autre autorité, doivent rester dans une loi et sont nécessaires à l’efficacité du système fondé sur la Loi.  

Le code de procédure détaillé devrait alors être consolidé dans le cadre de nouvelles règles ou d’un nouveau règlement relatifs à la Loi. Nous évoquons ci-après les options possibles concernant la promulgation de ces textes. Les quatre ensembles de règles liées à la Loi seraient révoqués et remplacés par un seul ensemble de règles ou un seul règlement, avec toutes les formules associées. Comme avec la Loi actuelle, nous envisageons que les règles ou le règlement continuent d’établir différents volets afin que la procédure prescrite soit proportionnelle à la gravité de l’infraction. La simplicité en ce qui concerne les affaires de moindre gravité et les plus courantes devrait être l’une des principales caractéristiques de ce nouveau code de procédure. D’après les statistiques, une majorité écrasante de ces instances portent sur des infractions de stationnement ou de circulation et la procédure devrait être autant que possible simplifiée afin que les types d’instances les plus fréquents soient facilement compris et accessibles par des particuliers qui ne sont pas familiers du système juridique. 

Au sein de chaque volet, des procédures spécialisées pourraient être élaborées en vue de procès ou autres résolutions d’instances équitables et plus efficaces. Par exemple, pour les infractions régies par la partie III, on pourrait également prescrire un système de gestion de cas afin de garantir une utilisation des ressources judiciaires et du tribunal et le traitement équitable et rapide des instances correspondantes plus complexes. Une règle distincte relative aux appels pourrait également être créée. Il est possible de créer d’autres règles spécialisées relatives à certains types d’infractions, pourvu qu’elles soient établies afin de promouvoir les objectifs établis dans l’article mis à jour relatif à l’objet de la Loi. 

Afin de mieux promouvoir l’accès à la justice pour ceux qui se représentent eux-mêmes et, simultanément à la publication et à la mise en œuvre d’une nouvelle Loi simplifiée et rationalisée, accompagnée de ses règles ou de son règlement, il serait utile que le ministère du Procureur général propose aux défendeurs un guide ou un manuel en langage courant facilement accessible afin que la procédure créée par la Loi soit clairement comprise. Cette proposition n’est pas nouvelle. Le ministère du Procureur général publie déjà sur son site Web des guides et des brochures simples et faciles à suivre pour les plaideurs de la Cour des petites créances[244], pour ceux impliqués dans des procédures civiles devant la Cour supérieure de justice[245] et un guide procédural et d’autres renseignements pour les défendeurs dans des affaires de droit familial[246]. Des outils similaires, rédigés en langage simple et faciles à suivre, devraient également être mis en place pour les défendeurs dans des affaires régies par la Loi et être facilement accessibles. Dans le cadre de l’élaboration du guide sur la Loi pour les défendeurs, il convient de tenir des consultations avec les municipalités et les organismes juridiques et communautaires, notamment Éducation juridique communautaire Ontario et les groupes communautaires concernés.  

En bref, nous pensons que ces modifications structurelles à apporter à la Loi favoriseront la clarté de la procédure et amélioreront l’accès aux tribunaux chargés de l’application de la Loi. En outre, elles mettront en avant les objectifs de proportionnalité des procédures par rapport à la gravité des infractions. Enfin, les modifications nécessaires à venir seraient plus faciles à mettre en place, ce qui rendrait la Loi plus réactive à la survenue éventuelle de nouvelles infractions réglementaires ou à de nouvelles circonstances.

 

La CDO formule les recommandations suivantes : 

3.         La Loi devrait connaître une refonte majeure pour conserver uniquement les dispositions fondamentales, juridictionnelles et créatrices d’infractions nécessaires au fonctionnement du régime fondé sur la Loi, en transférant les dispositions détaillées relatives à la procédure dans un règlement.

4.         La Loi devrait continuer de prévoir différents volets pour l’introduction des instances qu’elle régit (p. ex. partie I pour les infractions de moindre gravité et partie III pour les infractions plus graves, bien que ces parties pourraient changer de nom et de numéro dans la nouvelle version de la Loi). 

5.         Les quatre ensembles de règles associées à la Loi et les formules connexes devraient être consolidés en un seul ensemble de règles ou en un seul règlement de la Loi. 

6.         De nouvelles règles ou un nouveau règlement de la Loi devraient prévoir un code de procédure simplifié et exhaustif en ce qui concerne la mise en place équitable, accessible et la plus efficace possible de procès, d’appel ou de résolution d’instances fondées sur la Loi, en fonction du volet régissant l’introduction de l’instance. Des règles de procès simplifiées devraient notamment être établies pour les infractions de la partie I, de même que d’autres règles de procès plus complètes pour les infractions de la partie III. Il est possible au besoin d’élaborer d’autres règles spécifiques et proportionnelles pour les types d’infractions liées à la Loi les plus fréquents ou pour les instances indûment complexes ou qui tireraient parti de règles précises mettant en œuvre les objectifs de la Loi.

7.         Le ministère du Procureur général, en consultation avec les municipalités et les organisations juridiques et communautaires, devrait élaborer des guides de procédure simples et rédigés en langage courant pour les défendeurs dans le cadre d’affaires régies par la Loi, qui pourraient y avoir accès sur le site Web du ministère et dans tous les tribunaux d’infractions provinciales. 

 

 

3.     Adoption d’un nouveau code de procédure

Il existe plusieurs façons qui permettraient d’adopter un nouveau code de procédure lié à la Loi. Nous proposons les options suivantes en évoquant de façon préliminaire certains points pertinents. 

Option 1 :        modèle basé sur un comité traditionnel des règles

Cette option verrait la création de nouvelles règles associées à la Loi par un nouveau comité des règles relatives à la Loi, comprenant des membres de la magistrature et du barreau, des poursuivants, des parajuristes et le personnel d’administration des tribunaux municipaux.

 

Option 2 :        modèle basé sur un comité judiciaire des règles

Cette option verrait la création de nouvelles règles associées à la Loi par un nouveau comité des règles relatives à la Loi, comprenant exclusivement des représentants judiciaires, presque tous membres de la Cour de justice de l’Ontario.

 

Option 3 :        élaboration d’un règlement sous la direction de la sphère judiciaire 

Cette option verrait la création d’un nouveau code de procédure pour la Loi dans le cadre d’un seul nouveau règlement, suivant les recommandations du juge en chef de la Cour de justice de l’Ontario lequel aurait mené des consultations de façon appropriée et dans la mesure du nécessaire.

 

Option 4 :        élaboration d’un règlement par le ministère du Procureur général 

Il s’agit d’une variante de l’option précédente qui verrait cette fois la création d’un nouveau code de procédure pour la Loi dans le cadre d’un nouveau règlement élaboré suivant les recommandations du ministère du Procureur général, lequel aurait mené des consultations de façon appropriée et dans la mesure du nécessaire.

 

Option 5 :        lignes directrices procédurales ou pratiques exemplaires proposées par le pouvoir judiciaire  

Cette dernière option verrait la création d’un nouveau code de procédure pour la Loi dans le cadre d’un document de lignes directrices ou de pratiques exemplaires, établi par le juge en chef de la Cour de justice de l’Ontario, lequel aurait mené des consultations de façon appropriée et dans la mesure du nécessaire. Ces lignes directrices pourraient être la source exclusive de la procédure liée à la Loi ou pourraient venir compléter un nouvel ensemble de règles ou un nouveau règlement associé à la Loi.

Les règles de tribunal adoptées par des organes autorisés par la loi sont des règlements[247]. Par conséquent, sur le plan de la loi, il n’y a pas de différence concrète si le nouveau code de procédure se trouve dans le cadre de règles associées à la Loi ou d’un règlement. Il s’agirait dans les deux cas de règlements, qui auraient la même force de loi. La distinction entre les options (sauf l’option 5 qui n’aurait pas force de loi) repose en fait sur l’autorité habilitée à créer les règles ou le règlement.  

Le modèle basé sur un comité des règles traditionnel (option 1) pourrait s’avérer inefficace s’il comprend trop de membres (p. ex. le Comité des règles en matière criminelle compte 28 membres). Il s’agissait d’une critique concernant au moins un comité des règles similaire[248]. Il peut également y avoir le risque de conflit interne, dans la mesure où la procédure proposée par le comité peut ne pas être soutenue par le procureur général ou le lieutenant-général en conseil[249]. En outre, si les membres du comité ne sont pas directement ou régulièrement impliqués dans les affaires régies par la Loi, ils pourraient ne pas être les mieux indiqués pour recommander des modifications techniques des règles. (Si l’option 1 est choisie, nous recommandons que tous les membres disposent d’expertise quant aux affaires régies par la Loi.) D’un autre côté, un comité des règles possédant une large composition veille à ce que les intérêts de la plupart des groupes concernés soient pris en compte. Un nouveau comité des règles associées à la Loi pourrait être plus petit, mais représenter les groupes clés d’intervenants (p. ex. 10 membres)[250] et s’appuyer sur des sous-comités informels si les membres ont besoin d’avis spécialisés sur des questions sur lesquelles ils ne possèdent aucune expertise.  

On pourrait penser qu’un modèle basé sur un comité judiciaire des règles comptant principalement des représentants judiciaires de la Cour de justice de l’Ontario (option 2) serait plus efficace. En effet, il disposerait d’une expertise fondamentale concernant les instances fondées sur la Loi. Néanmoins, les avis d’autres groupes d’intervenants seraient nécessaires pour veiller à ce que les nouvelles règles proposées soient fonctionnelles (p. ex. administrateurs des tribunaux municipaux). De plus, pour les affaires en appel devant la Cour supérieure de justice ou devant la Cour d’appel, il serait utile que des juges siégeant à ces tribunaux soient directement impliqués dans les processus qui ont une incidence en la matière. 

Les mêmes points envisagés pour l’option 2 s’appliqueraient aussi à l’option 3, à savoir l’élaboration d’un règlement sous la direction du juge en chef de la Cour de justice de l’Ontario. Cette option répondrait également au désir de donner au pouvoir judiciaire l’autorité expresse de rendre des règles de tribunal relatives à la Loi, autorité analogue à celle que le Code criminel lui confère pour les affaires pénales[251]. L’option 3 évite également la rigidité du processus qui pourrait advenir avec une structure formelle de comité des règles. Cependant, comme nous l’avons évoqué précédemment, les infractions provinciales ne ressemblent pas aux affaires criminelles; elles ont une incidence sur la plupart des gens et des entreprises et la procédure qui régit les affaires fondées sur la Loi aura généralement des conséquences sur un plus grand nombre de personnes, ce qui semble facilement justifier l’apport de divers horizons pour créer les règles associées à la Loi. Les municipalités ont de solides intérêts en ce qui concerne les affaires fondées sur la Loi, tout comme plusieurs ministères provinciaux et de nombreuses industries réglementées. Avec cette option, ces intervenants pourraient alors ne pas avoir de voix quant à la procédure choisie, à moins que le juge en chef ne mette en place un processus officiel de consultation pour obtenir leurs avis. Autre sujet de préoccupation : est-il approprié que le juge en chef élabore un règlement sur des affaires qui peuvent être potentiellement de nature politique ou propose des modifications procédurales qui répondent aux intérêts du gouvernement ou des poursuivants? De telles actions pourraient en effet soulever des questions sur le véritable rôle et sur l’indépendance du juge en chef.

Si un modèle basé sur un comité des règles est adopté, les travaux initiaux de consolidation et de simplification des règles et formules existantes seront significatifs. Il faudrait du temps et des ressources pour mener à bien cette tâche importante. Pour cette raison, l’option la plus pratique et la plus efficace pourrait être de s’appuyer sur l’expertise stratégique du ministère du Procureur général afin de préparer un règlement après la consultation des groupes appropriés (option 4). Il s’agit du processus normal pour la plupart des règlements. Cependant, le personnel du ministère ne dispose peut-être pas de l’expertise du quotidien de ceux qui travaillent dans les tribunaux réglant les affaires fondées sur la Loi et de ce fait, pourrait ne pas être en mesure : a) d’exercer une fonction de surveillance pour veiller au fonctionnement efficace des règles; b) de répondre à toute autre modification réglementaire qui pourrait s’avérer nécessaire au fil du temps.  

La dernière option, à savoir des lignes directrices ou des pratiques exemplaires proposées par le pouvoir judiciaire, serait à l’origine d’un code de procédure qui n’a pas force de loi. Dans la mesure où le pouvoir judiciaire rend ces règles après avoir mené des consultations appropriées, on s’attendrait à ce que le nouveau code de procédure soit considéré par la sphère judiciaire, les poursuivants, les défendeurs et les administrateurs des tribunaux comme ayant force de loi. Néanmoins, le risque est qu’elles ne soient pas appliquées ou respectées de manière uniforme, n’étant ni un règlement, ni une règle. Comme nous l’avons déjà mentionné, le caractère certain de la procédure constitue un objectif important, car il sert les principes d’équité et de proportionnalité. De plus, des cas graves pourraient exiger tout particulièrement une plus grande formalité du processus, notamment lorsque des amendes significatives et la liberté sont potentiellement en jeu.  

Toutes les lignes directrices émises par la sphère judiciaire pourraient également servir à compléter les règles ou le règlement adoptés. Elles pourraient proposer les meilleures pratiques pour les poursuivants et les défendeurs conformément aux objectifs de la Loi. Elles serviraient à améliorer les procédures opérationnelles quotidiennes dans le cadre d’un nouveau code de procédure associé à la Loi. Ces lignes directrices pourraient prendre la forme d’une directive de pratique. Néanmoins, alors qu’elles sont censées compléter les nouvelles règles ou le nouveau règlement de la Loi, elles risquent aussi de renforcer la complexité procédurale à laquelle l’élaboration d’un ensemble de règles ou d’un règlement cherche à remédier. 

Dans tous les cas, chaque option doit faire la place aux municipalités pour qu’elles apportent leur point de vue. Le transfert aux municipalités des poursuites intentées en vertu de la Loi et de l’administration des tribunaux impose qu’elles disposent d’une voix importante dans l’élaboration d’un nouveau code de procédure.  

Nous ne formulons aucune recommandation quant au choix de l’option à adopter parmi les possibilités ci-dessus. Toutefois, nous constatons que l’organe approprié devrait posséder indépendance, caractère intégré, expertise et efficacité. 

Selon nous, il est préférable que le procureur général et le juge en chef de la Cour de justice de l’Ontario, conviennent ensemble de la façon d’établir un nouveau code de procédure mis à jour pour la Loi et s’accordent sur les personnes qui en seront en charge. Cette décision devrait être prise après consultation avec le Comité des règles en matière criminelle, les juges en chef d’autres degrés de juridiction et les municipalités qui assument désormais l’administration des tribunaux pour les affaires liées à la Loi.

 

La CDO formule les recommandations suivantes :

8.         Après consultation avec le Comité des règles en matière criminelle, les juges en chef d’autres degrés de juridiction et les municipalités qui assument désormais l’administration des tribunaux pour les affaires relevant de la Loi, le procureur général et le juge en chef de la Cour de justice de l’Ontario devraient convenir ensemble de la façon d’établir le nouveau code de procédure mis à jour pour la Loi et s’accorder sur les personnes qui en seront en charge. 

9.         Il conviendrait de modifier le paragraphe 70(2) de la Loi sur les tribunaux judiciaires en conséquence, afin que le Comité des règles en matière criminelle n’ait plus autorité pour créer les règles associées à la Loi et afin de déterminer le nouvel organe ou l’entité responsable de l’élaboration du nouveau code de procédure mis à jour pour la Loi.
 

 

 

D.    Les sanctions administratives pécuniaires comme solution de rechange par rapport aux procédures judiciaires

1.     Recours au tribunal pour juger les instances introduites en vertu de la partie I et de la partie II de la Loi

Les juges et les juges de paix de la Cour de justice de l’Ontario sont habilités à juger toutes les infractions régies par la Loi, mais ce sont les juges de paix qui président pratiquement toutes les affaires d’infractions provinciales nécessitant un arbitrage[252]. Cela représente assurément un volume de travail significatif pour les tribunaux et la grande majorité semble porter sur des infractions mineures. Étant donné le volume et la nature de ces affaires et les coûts associés, nous cherchons à examiner si le transfert de la résolution de nombre de ces infractions sous le coup d’un système de SAP ne favoriserait pas davantage l’administration de la justice et l’utilisation efficace des ressources judiciaires.

Les tribunaux reçoivent généralement chaque année 2,1 millions de mises en accusation fondées sur les parties I et III de la Loi, réparties comme suit : environ 90 % (1,9 million) correspondent à la partie I et environ 10 % (170 000) à la partie III. De façon constante en 2007, 2008 et 2009, environ 80 % des instances fondées sur la partie I correspondent à des mises en accusation en vertu du Code de la route ou de ses règlements[253].  

Bien que les données provinciales sur le nombre d’infractions de stationnement régies par la partie II, reçues par les tribunaux, ne soient pas disponibles, nous savons qu’il s’agit de chiffres importants. En 2009, rien qu’à Toronto, 2,8 millions de procès-verbaux d’infractions de stationnement ont été délivrés[254]. Les estimations relatives à d’autres grandes municipalités de l’Ontario révèlent que des centaines de milliers d’infractions de stationnement sont reçues chaque année par les tribunaux[255].  

Ce qui importe pour notre analyse, c’est l’importance du temps passé par les tribunaux pour régler ces affaires régies par la Loi. Les données provinciales sur les heures de fonctionnement des tribunaux en 2009 montrent que les juges de paix ont passé un total de 57 576 heures sur des affaires régies par la Loi, parmi lesquelles :

  • 58 % (33 358 heures) ont été consacrées à présider des procès sur des affaires des parties I et II;
  • 26 % (15 088 heures) ont été consacrées à présider des procès sur des affaires des parties III;
  • 16 % (9 129 heures) ont été consacrées à d’autres questions régies par la Loi (p. ex. motions, absence de réponse).

Ainsi, ces chiffres montrent clairement que la majorité du temps consacré par les juges de paix sur les affaires régies par la Loi porte sur les infractions de stationnement et les infractions de la partie I[256].

Nous n’avons pas pu obtenir de données sur les coûts engendrés par l’administration des tribunaux pour les affaires régies par la Loi en Ontario, mais on estime qu’il s’agit d’un montant important. Le ministère du Procureur général ne possède pas ces données et chaque municipalité calcule ces coûts différemment. Toutefois, si l’on examine une nouvelle fois les données de Toronto, on estime que 50 millions de dollars sont dépensés chaque année pour l’administration des tribunaux pour les affaires régies par la Loi[257]. Les dépenses annuelles du ministère du Procureur général en ce qui concerne les juges de paix sont évaluées à 45,4 millions de dollars. Si l’on se base sur le nombre d’heures consacrées par les juges de paix à présider des procès d’affaires régies par les parties I et II, on estime qu’un montant de 9,2 millions de dollars de dépenses pour les juges de paix est consacré à l’audience de ces infractions de moindre gravité. Les coûts additionnels liés à l’administration des tribunaux pour la Loi supportés par les municipalités comprendraient le coût pour les installations, les poursuivants, le personnel de tribunal et l’administration connexe (p. ex. le matériel de bureau). Au vu de ces coûts, la question suivante se pose : ne faudrait-il pas rendre disponible un forum moins onéreux, mais tout aussi équitable pour l’arbitrage de ces infractions, à l’instar du système de SAP. Une telle transition pourrait en outre favoriser un plus grand respect pour le système judiciaire, dans la mesure où les juges nommés se consacreraient davantage à présider des affaires plus graves.

 

2. Introduction sur les sanctions administratives pécuniaires

Les systèmes de sanctions administratives pécuniaires (SAP) (également appelées « pénalités administratives ») permettent l’imposition de sanctions pécuniaires par un organisme de réglementation pour une contravention à une Loi, à un règlement ou à un règlement administratif. L’organisme de réglementation rend une SAP après avoir mis à jour un événement illégal et cette SAP est exigible sous réserve uniquement des droits d’examen prévus dans le système de SAP. On peut distinguer l’amende de la sanction administrative pécuniaire en ceci que l’amende fait référence à une sanction pécuniaire d’ordre pénal ou quasi pénal, payable uniquement après admission de culpabilité ou déclaration de culpabilité par un tribunal. À l’inverse, une SAP« ne contient pas d’élément criminel et vise uniquement à traduire la violation d’une loi ou d’une règle qui porte en elle-même une sanction monétaire »[258]. (Traduction libre) Il s’agit d’une peine réglementaire imposée pour favoriser la conformité à un modèle réglementaire donné et elle « n’est pas considérée comme une punition criminelle, car elle est principalement imposée en vue de compenser l’état de la nuisance commise à son encontre, et non de punir une activité moralement mauvaise »[259]. (Traduction libre) 

Lorsqu’une SAP est autorisée, on peut souvent avoir recours à un examen. Le type d’examen dépendra du système de SAP. Très souvent, la décision de l’organisme de réglementation d’imposer une SAP est soumise uniquement à un examen administratif mené par une personne ou un organisme désigné[260], même si l’on a parfois le droit de faire appel de la sanction devant un tribunal[261]. Comme pour toutes les décisions rendues par des organes administratifs, les décisions prises dans le cadre d’un système de SAP sont soumises à un examen judiciaire devant la Cour supérieure de justice[262].  

Le système de SAP décrit dans la Loi de 2001 sur les municipalités[263] est particulièrement intéressant. Le 1er janvier 2007, l’article 102.1 a été ajouté à la Loi de 2001 sur les municipalités par la Loi modifiant diverses lois en ce qui concerne les municipalités[264] adoptée en 2006. Cet article donne aux municipalités l’autorité globale d’exiger qu’une personne paie une pénalité administrative si elle est convaincue que celle-ci n’a pas observé un règlement municipal sur le stationnement, l’immobilisation ou l’arrêt de véhicules[265]. Il incombe à la municipalité de décider si elle crée un système de SAP pour les infractions de stationnement. Si tel est le cas, le régime fondé par la Loi sur les infractions provinciales ne s’applique plus[266].  

La Loi de 2006 sur la cité de Toronto s’applique à la Ville de Toronto, plutôt que la Loi de 2001 sur les municipalités[267]. On y trouve un article pratiquement identique à l’article 102.1, permettant à la Ville d’obliger une personne de payer une SAP en cas d’infraction à des règlements administratifs relatifs au stationnement, à l’immobilisation ou à l’arrêt de véhicules[268]. Ainsi, la Ville de Toronto a le choix d’adopter un système de SAP, et dans ce cas, le système régi par la Loi ne s’appliquerait plus[269]. Les articles quasi identiques figurant dans la Loi de 2001 sur les municipalités et dans la Loi de 2006 sur la cité de Toronto garantissent la disponibilité de systèmes de SAP pour assurer l’application des règlements relatifs au stationnement, à l’immobilisation et à l’arrêt de véhicules dans les municipalités ontariennes, à la discrétion de ces dernières. De fait, nous savons que c’est la Ville de Toronto elle-même qui a demandé à l’origine ces dispositions législatives, reconnaissant « les avantages significatifs potentiels d’un système de SAP pour les infractions de stationnement »[270] (Traduction libre). Aux fins du présent rapport, nous ferons uniquement référence aux dispositions de la Loi de 2001 sur les municipalités et au règlement correspondant sur les SAP, dans la mesure où ils sont similaires à l’article de la Loi de 2006 sur la cité de Toronto et au règlement correspondant sur les SAP.

Au moment de la rédaction du présent rapport, seules les Villes de Vaughan et d’Oshawa ont instauré un système de SAP pour les infractions de stationnement, mais celui de la Ville d’Oshawa n’est entré en vigueur que très récemment le 1er mars 2011[271]. 

Certaines municipalités ont créé des systèmes de SAP pour gérer les contraventions créées par d’autres types de règlement administratifs municipaux passés conformément à la Loi de 2001 sur les municipalités[272]. Il est important de noter que le pouvoir d’adopter un système de SAP (ainsi que le pouvoir pour l’application d’un système de permis établi par une municipalité en vertu de l’alinéa 151(1)g) de la Loi de 2001 sur les municipalités) commence par : « Sans préjudice de la portée générale des articles 9, 10 et 11 ». Ces dispositions confèrent de vastes pouvoirs aux municipalités. En conséquence, il a été avancé que le pouvoir d’établir un système municipal de pénalités administratives n’est pas limité aux questions de stationnement et de permis, mais peut potentiellement s’appliquer à tous les règlements administratifs relatifs aux services et aux choses qu’une municipalité est autorisée à fournir en vertu des larges pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi de 2001 sur les municipalités. 

Le recours aux systèmes de SAP à d’autres fins semble augmenter de façon constante en Ontario et ailleurs au Canada[273]. Vingt-et-une lois en Ontario établissent divers systèmes de sanctions administratives. D’autres termes peuvent être parfois utilisés pour désigner les SAP. L’article 182.1 de la Loi sur la protection de l’environnement, par exemple, prévoit des « pénalités environnementales » et il s’agit d’un des systèmes de SAP les mieux connus en Ontario[274]. La Loi de 2006 sur Metrolinx permet aussi à des règlements administratifs de mettre en place un système de « frais administratifs » pour les systèmes de transports régionaux (comme GO Transit) lorsqu’une personne contrevient aux règlements en ce qui concerne le paiement de tarifs par les passagers ou l’arrêt, l’immobilisation ou le stationnement de véhicules sur certains biens-fonds[275]. Les règlements de la Loi prévoient des exigences administratives et procédurales pour tout règlement administratif sur les frais administratifs, exigences qui sont similaires à celles des règlements de la Loi de 2001 sur les municipalités (p. ex. avis donné à la personne, examen de la pénalité par un agent d’examen, suivi d’un examen par l’agent enquêteur)[276]. 

Aux États-Unis, l’application administrative de la sanction relative aux procès-verbaux d’infractions de stationnement est très courante. Le tableau à l’annexe B suggère que des systèmes d’audience administrative sont aussi fréquents que le recours aux tribunaux pour l’application des sanctions d’infractions de stationnement dans le pays. Nombre de ces systèmes ont été mis en place depuis un certain temps. La Ville de New York a transféré l’application des sanctions liées aux infractions de stationnement de ses tribunaux judiciaires à ses tribunaux administratifs dans les années 1970[277]. À Chicago, le Department of Administrative Hearings est entré en vigueur en 1997, mais dès 1990, la ville avait décriminalisé les infractions de stationnement et le Department of Revenue avait commencé à tenir des procès administratifs pour diverses affaires, y compris les affaires de stationnement. Aujourd’hui, c’est le Vehicle Hearings Department de Chicago qui gère les affaires de stationnement et d’équipement de véhicules[278].

 

3. Les SAP comme solution par rapport au système régi par la Loi

Étant donné le volume d’infractions mineures régies par les parties I et II de la Loi que juge la Cour de justice de l’Ontario, le coût d’administration des tribunaux concernés et l’augmentation du recours aux systèmes de SAP au Canada et ailleurs, il convient de se demander si le régime fondé sur la Loi en Ontario ne devrait pas s’appuyer davantage sur les SAP comme solution de rechange par rapport aux instances menées au tribunal. Autre élément clé à prendre en compte : le respect de notre système judiciaire est-il favorisé lorsque les ressources des tribunaux sont employées pour juger des infractions particulièrement mineures. Nous avons d’abord examiné les questions générales suivantes avant de chercher à évaluer si les SAP devraient servir à l’application de sanctions pour certaines infractions faisant actuellement l’objet d’instances introduites en vertu de la Loi : 

  • les arguments stratégiques favorables et défavorables aux SAP en général;
  • le système de SAP pour les infractions de stationnement en vertu de la Loi de 2001 sur les municipalités et son utilisation dans la Ville de Vaughan;
  • l’application de la Charte à un système de SAP;
  • l’obligation d’équité d’un système de SAP.
     

Nous avons conclu en faisant part de recommandations pour la réforme.

 

Arguments stratégiques généraux favorables et défavorables aux SAP

Nos recommandations mettent l’accent sur l’utilisation de systèmes de SAP pour les infractions de stationnement ou d’autres infractions mineures, mais nous commencerons par procéder à un résumé des arguments généraux favorables et défavorables à de tels systèmes. 

De nombreux spécialistes pratiques et théoriques pensent que les SAP constituent l’option la plus efficace par rapport aux procédures judiciaires[279]. Même si de nombreux systèmes de SAP assurent des degrés très différents de protection procédurale, cette dernière est généralement moindre et les systèmes sont plus informels que les procédures de tribunal. Dans le cadre de poursuites intentées en vertu de la Loi, des règles de tribunal formelles doivent être suivies, la défense et les poursuivants doivent préparer leurs arguments et leurs témoins et une divulgation détaillée des renseignements peut être exigée. Ces caractéristiques ne s’appliquent pas à la plupart des systèmes de SAP. La norme en matière de preuve requise dans le cadre des SAP est souvent inférieure à celle requise dans une poursuite réglementaire ordinaire, ce qui peut éliminer beaucoup des problèmes auxquels on se retrouve généralement confronté dans le cadre d’un procès. Par exemple, l’article 182.1 de la Loi sur la protection de l’environnement établit que l’obligation de payer une pénalité environnementale n’est pas soumise aux arguments de défense suivants : prudence raisonnable ou croyance raisonnable à l’existence de faits erronés. Par conséquent, les pénalités administratives sont généralement perçues comme une option plus rapide et moins coûteuse que les procédures au tribunal[280]. 

On a également défendu l’idée qu’un système d’application de la loi qui s’appuie sur les SAP est plus efficace qu’un système dépendant exclusivement des poursuites réglementaires ou criminelles. Le coût, la complexité et le temps demandé qui sont liés à ces poursuites peuvent dissuader les organismes de réglementation d’exécuter la sanction d’une infraction, ce qui serait à l’origine d’un « déficit de conformité », selon l’expression de Richard Macrory (Traduction libre) – à savoir l’échec de mise en œuvre de mesures d’application de la loi pour répondre à des défauts de conformité avérés en raison d’un manque de ressources pour appliquer la loi de manière efficace[281]. Macrory reconnaît qu’il est difficile d’évaluer le niveau général d’observation des normes de réglementation du fait du manque de preuves concrètes. Cependant, dans son étude, 60 % des répondants estimaient que le système alors en place au Royaume-Uni pour exécuter la loi en réponse aux infractions était inadapté, et 66 % étaient favorables à un usage renforcé des SAP[282].  

Une étude menée par le professeur R.M. Brown a examiné les enquêtes réalisées par les responsables de la réglementation en Colombie-Britannique et aux États-Unis qui utilisent les SAP afin d’appliquer les normes de santé et de sécurité au travail. Il les a ensuite comparées aux enquêtes effectuées par le ministère du Travail de l’Ontario relativement à l’application de la Loi sur la santé et la sécurité au travail par le biais de poursuites intentées en vertu de la Loi sur les infractions provinciales. Dans son étude, il a conclu qu’il y a une plus grande probabilité d’applications de pénalités relatives à la violation de normes lorsque l’on a recours aux SAP plutôt qu’aux poursuites. Afin d’expliquer pourquoi l’application de la loi dans le cadre d’un système de SAP est plus efficace, l’étude fait valoir le coût de l’arbitrage du tribunal, le travail demandé dans la préparation d’une poursuite, la difficulté qu’impose la garantie d’une déclaration de culpabilité et le retard des décisions judiciaires[283]. Brown poursuit son argumentaire en affirmant que la certitude d’une sanction a une incidence plus grande sur la conformité que la sévérité de ladite sanction[284]. De ce fait, on pourrait arguer qu’à défaut d’être la modalité exclusive d’application de la loi, les SAP devraient au moins faire partie de l’arsenal des organismes de réglementation. Dans ce cas, on peut penser que les taux de conformité devraient être meilleurs que dans le cadre de systèmes se fondant uniquement sur les poursuites. 

De plus, les systèmes de SAP disposent souvent de décideurs qui ont l’expertise qui manque généralement aux tribunaux et par conséquent, des décideurs administratifs sont peut-être mieux équipés pour veiller à ce que les objectifs de la réglementation soient atteints. Par exemple, dans les affaires de protection environnementale, les membres de tribunaux spécialistes de l’environnement possèdent ou acquièrent l’expertise technique et scientifique nécessaire à l’atteinte des objectifs de la réglementation[285]. 

Toutefois, la Law Reform Commission of Saskatchewan (commission de réforme du droit de la Saskatchewan) a déterminé un certain nombre de sujets de préoccupation concernant les caractéristiques de certains systèmes de SAP. En effet, elle a exprimé une certaine gêne à l’égard du fait que les responsables de la réglementation enquêtent sur les infractions, puis décident de tout examen sur les SAP résultant des violations mises en évidence[286]. L’obligation d’équité nécessite un décideur impartial et indépendant. Elle impose également qu’une personne ait la possibilité de présenter son cas et de répondre aux preuves et arguments avancés par d’autres[287]. Selon la Law Reform Commission of Saskatchewan, dans de nombreux contextes administratifs, les fonctions d’enquête et d’arbitrage du décideur ne sont pas séparées, sans que l’on fasse pour autant appel à un arbitre indépendant. Pourtant, de nombreux systèmes de SAP de la Saskatchewan ne prévoient pas de droit inscrit dans la loi de faire appel devant un tribunal ou de disposer d’un autre examen effectué par un décideur indépendant[288]. Comme nous l’évoquerons dans la présentation sur les systèmes de SAP pour les infractions de stationnement, les protections législatives établies dans les règlements et règlements administratifs municipaux de la Loi de 2001 sur les municipalités répondent à ces préoccupations en matière d’obligation d’équité. 

Une autre crainte relative aux SAP est que l’on occulte alors l’utilisation d’autres modalités d’application de la loi. Les poursuites restent un processus précieux dans la pyramide réglementaire. Pour autant, les organismes de réglementation pourraient s’appuyer excessivement sur les SAP et ne pas prendre la peine de procéder à des poursuites plus lourdes, coûteuses et complexes. Cette préoccupation n’est pas sans fondement. L’étude de Brown a révélé que les deux organismes de réglementation qui disposaient de la possibilité d’utiliser les SAP et de procéder à des poursuites s’appuyaient presque exclusivement sur les SAP. Après avoir examiné l’Occupational Health Safety and Health Administration (OSHA) aux États-Unis, l’auteur a découvert que même dans le cas d’infractions délibérées ayant engendré le décès, l’OSHA préférait recourir aux SAP plutôt qu’aux poursuites pénales et à leurs sanctions associées[289].  

Des directives ou lignes directrices réglementaires pourraient être introduites pour répondre à cette crainte. La législation créatrice de l’infraction ou d’autres autorités peuvent préciser que les SAP ne sont pas disponibles pour certaines catégories d’infractions graves ou des politiques en matière d’application de la loi pourraient établir quand l’emploi des SAP est approprié et quand il convient d’intenter des poursuites[290]. En outre, l’attractivité du système de SAP inquiète également dans la mesure où les responsables de la réglementation pourraient ignorer totalement les outils disponibles au bas de la pyramide (comme les lettres d’avertissement) et choisir directement les SAP[291]. Même s’il peut s’agir d’un ajout utile à l’arsenal des organismes de réglementation, les SAP ne sont qu’une option et il devrait y avoir des lignes directrices pour déterminer quand il convient de les préférer aux autres modalités d’application de la loi.    

Un autre contributeur au projet s’est demandé si la véritable raison expliquant les SAP ne serait pas de contourner la décision dans l’affaire R. c. Sault Ste. Marie[292] selon laquelle il est plus approprié de traiter les infractions réglementaires comme des infractions de responsabilité stricte plutôt que comme des infractions de responsabilité absolue. Avec ce dernier type d’infractions, le moyen de défense de diligence raisonnable n’est pas valable et il suffit de prouver que l’infraction a eu lieu. En imposant une SAP lorsque l’on découvre une violation d’une norme de réglementation, l’affaire est alors plus ou moins réglée comme une infraction de responsabilité absolue s’il n’est pas possible de proposer un moyen de défense de diligence raisonnable lors d’un procès subséquent. En effet, le paragraphe 182.1(6) de la Loi sur la protection de l’environnement établit que l’obligation de payer une pénalité environnementale n’est pas soumise aux moyens de défense suivants : prudence raisonnable ou croyance raisonnable à l’existence de faits erronés. Si R. c. Sault Ste. Marie représentait une solution plus équitable que la responsabilité absolue, s’agit-il d’une bonne politique publique que de permettre aux autorités de contourner cette décision en désignant simplement l’infraction par un nom différent, en abaissant le montant de la pénalité, en confiant l’affaire à un organe d’arbitrage plutôt qu’à un tribunal et peut-être en caractérisant la sanction de « compensatoire » ou en utilisant une autre terminologie suggérant que la peine n’est pas vraiment une peine?  

Il s’agirait sans doute d’un sujet de préoccupation particulièrement sensible pour les infractions pouvant être sanctionnées par des peines significatives, mais moins problématique pour les infractions mineures aujourd’hui réglées par un système de SAP. De fait, on pourrait avancer que la création d’un système de SAP pour des infractions mineures de responsabilité absolue constitue un prolongement logique et approprié du raisonnement suivi dans Sault Ste. Marie qui a abouti à l’adoption d’une approche différente face aux divers types d’infractions commises contre le bien-être public – celles qui ressemblent le moins à des vrais crimes et qui engendrent des pénalités modérées (c’est-à-dire les infractions de responsabilité absolue) ne doivent pas être traitées comme de vrais crimes demandant l’application des pleins droits de défense. En outre, depuis Sault Ste. Marie, les tribunaux ont envisagé des systèmes de SAP proposant des pénalités très importantes. Ces affaires semblent indiquer que le tribunal fait peu de cas des actes législatifs qui prévoient le transfert de certaines infractions traditionnelles dans le cadre d’un système de SAP sous réserve de la mise en place de certains garde-fous. Nous évoquerons la position des tribunaux en ce qui concerne d’autres systèmes de SAP ci-dessous à la section sur les aspects constitutionnels des SAP. 

Enfin, le concept de réglementation souple et proportionnelle offre un argument convaincant en faveur d’un ensemble d’outils divers et flexibles à disposition des organismes de réglementation. Une poursuite pénale ou réglementaire n’est pas toujours la réponse adaptée à toutes les violations d’une loi réglementaire[293]. Il serait injuste de poursuivre par voie pénale une infraction mineure si l’on considère l’importante stigmatisation liée à une déclaration de culpabilité criminelle et les autres répercussions graves entraînées par une telle déclaration de culpabilité (p. ex. incidence sur la détention de permis professionnel ou capacité à exercer en tant que directeur de société)[294]. Dans ces circonstances, un système de SAP pourrait s’avérer un outil d’application de la loi plus efficace et plus adapté. 

Notre examen des systèmes de SAP au Canada et à l’étranger et de la documentation sur leur efficacité et sur leurs avantages en tant qu’outil d’application de la loi met en évidence un plaidoyer convaincant en faveur d’une transition progressive vers un usage renforcé des SAP inscrit dans les lois créatrices d’infractions de l’Ontario. L’évaluation et l’énumération de toutes les infractions qui devraient être sanctionnées par les systèmes de SAP vont bien au-delà de la mission du présent rapport. Selon la nature de l’infraction et l’objectif de la loi créatrice de l’infraction, les SAP pourraient être un outil d’application de la loi exclusivement réservé à certaines contraventions ou simplement une modalité à disposition de l’organisme de réglementation lorsque des options moins sévères (comme les lettres d’avertissement) ou plus sévères (comme les poursuites et les suspensions de permis) ne sont ni efficaces, ni adaptées.  

Comme point de départ de la réforme, de solides arguments sont de prime abord favorables au fait de débarrasser les tribunaux des affaires d’infractions de stationnement de la partie II, lesquelles seraient réglées dans le cadre d’un système de SAP. Nous allons à présent évoquer ce transfert de la résolution des infractions de stationnement dans le cadre d’un régime de SAP, puis nous évaluerons si d’autres infractions mineures, notamment celles à l’égard du Code de la route, devraient également être assujetties à ce système.

 

Le cas des SAP pour les infractions de stationnement dans toutes les municipalités de l’Ontario

Aperçu des systèmes de SAP en application de la Loi de 2001 sur les municipalités

L’article 102.1 de la Loi de 2001 sur les municipalités donne aux municipalités l’autorité d’imposer une pénalité administrative si la municipalité est convaincue qu’une personne n’a pas observé un règlement municipal sur le stationnement, l’immobilisation ou l’arrêt de véhicules[295]. Si la municipalité choisit de mettre sur pied un tel système pour une infraction de stationnement, la Loi ne s’applique plus à cette infraction[296].

L’article 3 du Règlement 333/07 pris en application de la Loi de 2001 sur les municipalités (règlement sur les SAP) impose aux municipalités d’adopter un règlement municipal établissant un système de pénalités administratives si la municipalité doit exercer le pouvoir d’exiger qu’une personne paie une pénalité administrative pour stationnement, immobilisation ou arrêt de véhicules illégaux. Le règlement administratif municipal doit satisfaire aux exigences du Règlement 333/07.  

Il s’agit d’une part de limites pécuniaires. L’article 6 du Règlement fixe la limite d’une pénalité administrative établie dans un règlement municipal à 100 $ :

6. Le montant d’une pénalité administrative fixé par une municipalité ne doit être :

  a) ni de nature punitive;

b) ni supérieur au montant qui est raisonnablement nécessaire pour encourager l’observation d’un règlement municipal désigné;

c) ni supérieur à 100 $. 

L’article 7 crée des règles relatives à l’administration d’un système de SAP en vue, semble-t-il, de prévenir l’ingérence politique afin que les décisions prises par les agents enquêteurs soient indépendantes : 

7.  Une municipalité élabore des normes relatives à l’administration du système de pénalités administratives qui comprennent ce qui suit :

a) des politiques et des procédures pour empêcher l’ingérence politique dans l’administration du système;

b) des lignes directrices pour définir ce qui constitue un conflit d’intérêts relativement à l’administration du système, pour empêcher de tels conflits et pour y remédier, le cas échéant;

c) des politiques et des procédures en matière de gestion et d’information financières;

d) des procédures pour le dépôt et le traitement des plaintes du public portant sur l’administration du système.

L’article 8 définit les exigences en matière de procédure auxquelles doit satisfaire un règlement municipal sur les pénalités administratives, permettant ainsi de résoudre les questions d’équité procédurale. L’article prévoit qu’une personne a le droit de recevoir l’avis de pénalité et de demander qu’un agent d’examen nommé à cette fin par la municipalité examine la pénalité administrative. Ce dernier peut annuler, confirmer ou modifier la pénalité. La personne peut alors demander un réexamen de la décision de l’agent d’examen par un agent enquêteur également nommé par la municipalité, lequel, après avoir donné à la personne l’occasion d’être entendue, peut annuler, confirmer ou modifier la pénalité de la même façon. Des procédures pour obtenir une prorogation du délai accordé pour payer une pénalité doivent être incluses dans tout règlement administratif municipal. La Loi sur l’exercice des compétences légales s’applique au réexamen effectué par l’agent enquêteur[297]. 

Les articles 9 et 10 décrivent les mécanismes d’exécution similaires à ceux mis en place pour le non-paiement d’amendes ordonnées par un tribunal jugeant les affaires fondées sur la Loi. En cas de défaut de paiement d’une pénalité, un certificat de défaut peut être déposé devant un tribunal civil compétent aux fins d’exécution[298]. En outre, la municipalité peut aviser le registrateur des véhicules automobiles du défaut de paiement et ce dernier doit alors refuser de valider ou de délivrer le certificat d’immatriculation du véhicule jusqu’au paiement de la pénalité[299]. L’emprisonnement n’est pas une mesure d’exécution autorisée pour le défaut de paiement d’une pénalité administrative et, comme nous l’avons mentionné précédemment, ledit règlement prévoit qu’aucune pénalité ne doit être de nature punitive.

 

Expérience acquise dans la Ville de Vaughan

Au moment de la rédaction du présent rapport, la Ville de Vaughan et la Ville d’Oshawa sont les seules municipalités à avoir adopté un règlement administratif créant un système de SAP pour les infractions de stationnement, bien que le système adopté à Oshawa n’ait été mis en œuvre que très récemment (le 1er mars 2011). Par conséquent, nous portons notre attention sur l’expérience de la Ville de Vaughan concernant le système de SAP, lequel est entré en vigueur le 10 août 2009[300]. Au lieu d’être examinés par la Cour de justice de l’Ontario, les quelque 40 000 procès-verbaux d’infractions de stationnement délivrés chaque année par la Ville de Vaughan sont revus par un agent d’examen et par un agent enquêteur, si un réexamen est nécessaire.  

La pénalité administrative ressemble à un procès-verbal d’infraction et le paragraphe 10.1(4) du règlement municipal établit qu’elle doit contenir les caractéristiques de la contravention, le montant de la pénalité, les renseignements indiquant comment demander un examen et une déclaration énonçant que la pénalité représente une dette contractée à l’égard de la ville à moins qu’elle ne soit annulée ou réduite conformément au processus d’examen. Si la personne qui reçoit la pénalité administrative souhaite un examen par un agent d’examen, elle doit appeler la ville afin de prendre rendez-vous, lequel est généralement fixé à une date dans les deux semaines suivant l’appel. Ensuite, la personne doit se rendre à un bureau municipal et fournir les pièces ou soumissions qu’elle souhaite présenter afin que l’agent d’examen prenne sa décision à ce moment-là. L’agent d’examen peut annuler, confirmer ou réduire la pénalité. Il peut également accorder une prorogation du délai de paiement sur la base de motifs définis dans le règlement municipal. Si la personne souhaite que l’affaire soit de nouveau examinée par un agent enquêteur, elle doit alors prendre rendez-vous et on lui fixera une date et une heure pour son audience auprès d’un agent enquêteur. Le deuxième examen a généralement lieu dans les cinq semaines suivant le premier. 

Environ vingt audiences ont lieu tous les mardis. À cette occasion, la personne contestant la sanction administrative pécuniaire est présente, de même que l’agent enquêteur, un greffier établissant et tenant le dossier pendant l’audience et l’agent municipal d’exécution de la loi qui a rédigé le procès-verbal d’infraction. Il n’y a pas de poursuivant. La ville a contracté les services de deux agents enquêteurs, tous deux avec une formation juridique, et d’un juge à la retraite. La personne est assermentée, soumet les preuves et les présentations souhaitées. L’agent enquêteur fournit une décision écrite sur un formulaire préimprimé et explique généralement en quelques lignes les motifs de sa décision. 

De même que l’agent d’examen, l’agent enquêteur peut confirmer, annuler ou réduire la pénalité administrative ou proroger le délai de paiement sur la base de motifs définis dans le règlement administratif. Ces motifs sont limités : il s’agit d’une part que la personne recevant la pénalité établisse, selon la prépondérance des probabilités, que le véhicule n’était ni stationné, ni immobilisé, ni arrêté comme le décrivait l’avis de pénalité. C’est extrêmement difficile à prouver, dans la mesure où les agents d’exécution de la loi de la Ville de Vaughan prennent une photographie du véhicule au moment où ils délivrent la pénalité et que cette photographie est toujours soumise aux décideurs. D’autre part, le deuxième motif correspond aux difficultés excessives. Comme un auteur le fait remarquer, ces motifs limités suppriment efficacement une défense de diligence raisonnable et créent une infraction de responsabilité absolue[301].  

Du point de vue des trois employés de la Ville de Vaughan et de l’agent enquêteur avec lesquels la CDO s’est entretenue, le système de SAP pour les infractions de stationnement est un grand succès et a permis d’obtenir les avantages suivants :

  • Un règlement des affaires beaucoup plus rapide. Il faut généralement moins de deux mois pour qu’une affaire soit entendue par un agent d’examen et un agent enquêteur, comparé à environ 10 mois d’attente pour les audiences au tribunal.
  • Moins de temps perdu par le public. Un temps fixe est désormais prévu pour une audience. Les citoyens n’ont pas à réserver beaucoup de temps en dehors de leur travail pour attendre au tribunal que leur affaire soit jugée.
  • Économies réalisées. Les audiences sont prévues pendant les quarts de travail réguliers des agents municipaux d’application de la loi et il n’est donc pas nécessaire de leur payer des heures supplémentaires. Lorsque les infractions de stationnement étaient jugées au tribunal, la ville devait souvent payer des heures supplémentaires à l’agent, dans la mesure où les horaires du tribunal n’étaient pas adaptés à ses heures de travail normales. Outre les économies sur la rémunération de l’agent municipal d’application de la loi, aucun poursuivant n’est présent à l’audience.
  • Réduction générale des audiences. Le pourcentage des affaires passant devant un agent enquêteur est d’environ 1,5 % des procès-verbaux d’infraction délivrés, soit moins que les quelque 3,5 % contestés au tribunal. On peut supposer que moins d’audiences sont désormais demandées car les gens ne tirent plus profit du délai du système judiciaire ou du rejet éventuel de l’accusation du fait du retard ou de l’absence de l’agent ayant délivré le procès-verbal d’infraction.
  • Économies de temps pour les tribunaux des infractions provinciales et les poursuivants. Les infractions de stationnement occupaient du temps précieux pour le tribunal. Le procureur régional peut désormais utiliser ce temps pour amener plus rapidement devant le tribunal des dossiers plus graves.
  • Satisfaction de l’opinion publique. Les employés de la Ville de Vaughan et l’agent enquêteur ont estimé que les personnes demandant un examen étaient satisfaites du processus. Ils ont fait remarquer que, même si le système de SAP n’implique pas la même procédure que les poursuites fondées sur la Loi, les gens se voient encore accorder une audience équitable devant un décideur neutre disposant d’une formation juridique sur des questions sanctionnées par une peine de moins de 100 $ (la plupart, entre 25 et 35 $).
  • Coût peu important des agents enquêteurs. Du point de vue du coût, nous avons appris que les frais additionnels encourus par la Ville de Vaughan pour les deux agents enquêteurs ne sont pas significatifs. Dans la mesure où un seul jour par semaine est consacré aux audiences, le coût annuel représenté par les deux agents enquêteurs est d’environ 13 000 $, montant qui est totalement couvert par les recettes issues des pénalités administratives. En outre, il n’y a plus de pertes de recettes dues au rejet d’infractions de stationnement ou aux décisions ne prévoyant pas le paiement d’une amende dans le cadre du système de procès au tribunal. Les recettes issues des pénalités de stationnement devraient être égales, voire supérieures à celles engendrées par le système fondé sur la Loi.

 

Les systèmes de SAP pour les infractions de stationnement dans toutes les municipalités de l’Ontario

L’expérience très positive de Vaughan, même si elle n’est que d’un an, parle fortement en faveur de l’utilisation des sanctions administratives pécuniaires pour les infractions de stationnement dans les municipalités de l’Ontario. Certaines sont d’ailleurs en train de mettre en œuvre un système correspondant, mais des préoccupations d’ordre juridique et fonctionnel engendrent une certaine réticence chez d’autres municipalités à adopter un tel système pour le moment. 

Le premier argument contre un système de SAP pour les infractions de stationnement est que cela n’entraînerait pas de différence concrète par rapport au système fondé sur la Loi actuellement en place. Dans le cadre des deux systèmes, la personne recevant le procès-verbal d’infraction de stationnement peut payer la pénalité (ou l’amende fixée) ou demander une audience d’examen (ou un procès). Les données provinciales relatives au nombre de personnes payant volontairement les amendes plutôt que de demander un procès ne sont pas disponibles, mais si les données de Toronto sont représentatives des demandes de procès des autres villes, il semblerait que seulement 10 % des personnes faisant l’objet d’un procès-verbal d’infraction, voire moins, demandent à comparaître devant un tribunal[302]. Par conséquent, le seul véritable changement, à savoir la nature de l’audience, n’aurait une incidence que sur un petit pourcentage de cas. De même, certaines municipalités ont donné à leur personnel des lignes directrices afin d’annuler un procès-verbal d’infraction de stationnement sur la base de certains motifs restreints (p. ex. irrégularités sur le procès-verbal; présentation d’un permis de stationnement démontrant que le stationnement était légal)[303]. Il en va de même avec les agents d’examen dans le système de SAP. En outre, certaines municipalités ont déclaré qu’elles ne connaissaient pas de longs délais pour faire passer les infractions de stationnement devant les tribunaux d’infractions provinciales. De ce fait, un système de SAP n’offrirait que peu d’avantages concrets, excepté le fait que l’agent enquêteur serait un arbitre moins onéreux qu’un juge de paix. 

Cet argument ne nous apparaît pas convaincant. Ce qui importe, c’est le nombre réel d’affaires qui finissent par être traitées au tribunal, le coût d’administration des tribunaux à cette fin et l’image donnée au public lorsqu’un représentant judiciaire juge de telles affaires et est par conséquent indisponible pour juger d’autres affaires plus graves qui sont en instance. Même si seulement 10 %, voire moins, des procès-verbaux d’infraction de stationnement peuvent finir en procès, cela représente en données brutes un nombre notable d’affaires qui s’appuient sur des ressources limitées. À Toronto en 2009, 129 932 procès sur des infractions de stationnement ont été jugés par des juges de paix, utilisant ainsi des ressources coûteuses en termes de poursuivants, de représentants judiciaires et de tribunal. Les coûts prennent en compte le personnel du tribunal, un poursuivant, les coûts des heures supplémentaires à payer aux agents d’exécution de la loi pour leur comparution, la sécurité de la salle de tribunal et le salaire annuel d’un juge de paix[304]. Des économies pourraient être obtenues dans le cadre d’un système de SAP où les agents enquêteurs sont payés moins que les juges de paix, où les poursuivants ne sont pas tenus d’assister aux audiences et où les audiences sont fixées à des horaires permettant au personnel d’exécution de la loi de se présenter sans que l’on doive leur payer des heures supplémentaires. 

Même si l’on ne peut établir un argument décisif en ce qui concerne le coût, il y a quelque chose d’incontestablement disproportionné dans l’arbitrage d’infractions de stationnement par une autorité judiciaire dans une salle de tribunal. En Ontario, des arbitres non judiciaires décident d’affaires qui nous sont d’une importance fondamentale, telles que les violations des droits de la personne, de nos droits en tant que locataires, de notre droit à une aide sociale et de notre capacité à travailler et à détenir un permis pour une profession choisie. Pourtant, en vertu du système actuel régi par la Loi, il est possible qu’un procès devant un juge de paix soit tenu afin de juger une affaire de procès-verbal d’infraction de stationnement contesté d’une valeur de 30 $. Il existe des enjeux plus graves ayant des conséquences supérieures en matière de sécurité publique (p. ex. mise en liberté sous caution dans une affaire criminelle, infractions environnementales et infractions en matière de santé et de sécurité au travail) qui devraient avoir priorité sur des infractions de stationnement. Il nous semble que la règle de loi et l’administration de la justice s’en trouveraient davantage respectées si l’on réservait les ressources judiciaires et de tribunal à des affaires plus graves. 

Deuxième argument contre le système de SAP : il ne peut s’appliquer à des procès-verbaux d’infraction de stationnement délivrés conformément à un règlement administratif établissant un système de stationnement pour personnes handicapées[305]. En conséquence, certaines infractions de stationnement doivent toujours faire l’objet de poursuites dans des tribunaux d’infractions provinciales et il apparaît incongru d’avoir un système de SAP et un système fondé sur la Loi pour les infractions de stationnement – il conviendrait plutôt d’adopter un seul et unique système. Nous sommes d’accord sur ce point et nous recommandons donc l’inclusion de ces infractions dans un système de SAP. Là encore, si l’expérience de Toronto est représentative de celle de la province, uniquement 0,32 % de tous les procès-verbaux d’infraction de stationnement délivrés en 2009 portent sur le système de stationnement pour personnes handicapées[306]. Plus important, nous ne comprenons pas la raison stratégique sous-tendant l’exclusion des contraventions de stationnement pour personnes handicapées du système de SAP. Si un tel système permet d’offrir une modalité équitable, rapide et plus accessible pour régler les contraventions de stationnement contestées, nous ne voyons pas pourquoi les personnes qui demandent un examen de leur pénalité dans une infraction de stationnement pour personnes handicapées ne pourraient pas tout autant y avoir droit, et ce, notamment, si la personne ayant reçu le procès-verbal d’infraction possède un handicap et avait adéquatement affiché un permis de stationnement pour personnes handicapées que l’agent responsable de la contravention n’avait pas vu.

Les amendes relatives au stationnement à une place réservée aux personnes handicapées peuvent être supérieures à la limite de 100 $ fixée pour les SAP et la raison de les exclure réside peut-être dans le fait que les amendes sont alors perçues comme étant « de nature punitive ». On peut faire valoir des arguments d’ordre constitutionnel prévoyant le procès de ces infractions devant un tribunal ou l’application des protections établies par la Charte. Comme nous l’évoquerons dans notre analyse constitutionnelle ci-dessous, les SAP s’élevant jusqu’à 1 million de dollars ne sont pas considérées comme contrevenant à la Charte. En conséquence, nous estimons que la limite devrait être augmentée ou que des exceptions devraient être inscrites afin que tous les procès-verbaux d’infractions commises à l’égard des règlements administratifs relatifs au stationnement, à l’immobilisation ou à l’arrêt de véhicules soient réglés dans le cadre d’un système de SAP.  

Une troisième raison s’opposant à un règlement de pénalités administratives comme celui de Vaughan est que des considérations uniques et diverses peuvent s’appliquer aux municipalités selon leur nature et leur taille. Par exemple, nous avons appris qu’à Toronto, un nombre important parmi les 2,4 millions de procès-verbaux d’infraction de stationnement sont délivrés aux camions postaux et à d’autres véhicules utilitaires qui doivent faire des arrêts réguliers dans les rues de la ville. Le conseil municipal attend actuellement un rapport sur cette question afin de pouvoir répondre adéquatement aux pressions contradictoires qui s’exercent pour à la fois faciliter les flux de circulation et permettre les livraisons dans certaines rues particulièrement encombrées[307]. Ce problème se retrouve probablement dans d’autres centres urbains de l’Ontario. Néanmoins, même s’il s’agit d’un enjeu réel, nous ne voyons pas en quoi il influe sur la décision d’adoption d’un système de SAP. Il pourrait être réglé par des modifications apportées aux règlements sur le stationnement, l’arrêt et l’immobilisation de véhicules, mais non en modifiant un règlement administratif établissant comment d’autres règlements précédents doivent être appliqués. 

Le volume des procès-verbaux d’infraction de stationnement délivrés et les coûts subséquents se reportant sur l’administration du système de SAP représentent une autre réalité unique s’appliquant aux centres urbains majeurs qu’il convient de prendre en considération. Les coûts pour la Ville de Toronto devraient être bien supérieurs à ceux de la Ville de Vaughan. Il faut également compter les coûts d’administration relatifs à la mise en place et au maintien du système de sanctions administratives pécuniaires. Cependant, les municipalités assument actuellement les coûts d’administration des tribunaux d’infractions provinciales en vertu d’ententes de transfert et il semblerait que ces coûts ne seraient pas forcément supérieurs, voire pourraient être réduits, dans le cadre d’un système de SAP.  

D’un autre côté, des municipalités plus petites ont indiqué qu’elles n’avaient pas le volume de contraventions de stationnement nécessaires pour mettre en place un système séparé. Cependant, l’article 20 de la Loi de 2001 sur les municipalités permet aux municipalités de conclure une entente entre elles « […] en vue de prévoir conjointement, à leur profit mutuel, toute question qu’[elles] ont [toutes] le pouvoir de prévoir dans leurs propres limites ». En effet, des partenariats municipaux ont déjà été mis en place afin d’administrer les tribunaux d’infractions provinciales en vertu de la partie X de la Loi. Ces partenaires municipaux pourraient donc partager de même les coûts d’un système de SAP. Par conséquent, il est possible pour plusieurs municipalités de moindre taille de créer conjointement un système de SAP qu’elles partageront. Les avantages obtenus par la Ville de Vaughan devraient être sérieusement pris en compte par toutes les municipalités. Il y a sans doute d’autres points particuliers à envisager pour chaque municipalité et nous leur recommandons d’évaluer attentivement la situation et de régler ces éventuels problèmes dans la perspective d’adopter un système de SAP pour toutes les infractions de stationnement. 

La transition vers un tel système impose du temps qui devrait être accordé. Bien que toute date soit purement arbitraire, nous pensons que cette transition devrait avoir lieu dans un intervalle de trois ans; cependant, nous reconnaissons que la date précise devra être décidée après consultations approfondies avec les municipalités et après un délai suffisant pour mettre en place des systèmes de technologie de l’information pour signaler les SAP impayées au ministère des Transports. Pendant nos consultations sur cet enjeu, nous avons été informés de problèmes très concrets de mise en œuvre, notamment, au niveau du temps nécessaire pour mettre en place une infrastructure en matière de TI pour permettre aux municipalités d’informer le registrateur des véhicules automobiles en cas de non-paiement d’une SAP. Le pouvoir du registrateur de ne pas valider ou délivrer un certificat d’immatriculation jusqu’au paiement de la pénalité constitue un outil important et efficace d’application de la loi[308]. La Ville d’Oshawa nous a indiqué que, d’après son expérience, des travaux considérables étaient nécessaires pour établir une infrastructure adaptée en matière de TI qui permettrait un système de déclaration directe du non-paiement d’une SAP au ministère des Transports (MTO). En règle générale, le ministère du Procureur général assure l’entretien de l’infrastructure des TI qui permettrait un système de déclaration directe auprès du registrateur des véhicules automobiles. Le ministère des Transports ne dispose pas encore de cette structure pour permettre aux municipalités de déclarer directement le défaut de paiement des SAP. Elles doivent pour le moment passer par le ministère du Procureur général, qui à son tour, informe le ministère des Transports.  

Il ne fait aucun doute qu’il existe un réel enjeu en matière de mise en œuvre, mais nous espérons qu’une période de trois ans constitue un délai raisonnable et suffisant pour élaborer et mettre en place une infrastructure de TI permettant un système de déclaration directe entre les municipalités et le ministère des Transports, notamment au vu des travaux et des concertations sur cette question qui ont eu lieu jusqu’à présent. Un intervalle de trois ans permettra aux municipalités de mettre soigneusement leur système en place et d’avoir l’avantage d’observer l’expérience accumulée par la Ville de Vaughan (et d’autres municipalités comme la Ville d’Oshawa qui a récemment mis en œuvre un système de SAP). Les défis fonctionnels mineurs ne doivent pas servir de prétexte pour prolonger indûment la mise en œuvre d’un système de SAP. Au contraire, il convient de rechercher des solutions à ces difficultés et de les mettre en œuvre afin de pouvoir rediriger les ressources judiciaires vers des affaires plus importantes.  

Dernier point de préoccupation soulevé par certaines municipalités : la constitutionnalité de l’utilisation d’un système de SAP pour les infractions de stationnement. Si les infractions de stationnement sont des infractions auxquelles les protections prescrites par la Charte s’appliquent, alors un système de SAP qui impose une pénalité sans procès ou déclaration de culpabilité peut contrevenir à la Charte. Nous allons évoquer cette question dans la prochaine section et nous verrons qu’il y a de solides arguments soutenant la constitutionnalité d’un système de SAP comme celui utilisé par la Ville de Vaughan.

 

Aspects constitutionnels du système de SAP

Principes de la Charte applicables à tous les systèmes de SAP

Une question cruciale est de savoir si la Charte s’applique au système de SAP. L’objectif d’une loi créatrice d’infraction, la nature et l’objet de la sanction et la nature de l’instance permettront de déterminer si la Charte s’applique à la procédure. Si les droits prescrits par la Charte s’appliquent, un système de SAP peut être considéré inconstitutionnel ou nécessiter l’ajout d’autres garde-fous procéduraux qui pourraient rendre les avantages d’un tel système négligeables. Les articles 7 et 11 sont les droits de la Charte qui sont particulièrement pertinents. 

Selon l’article 7 de la Charte : 

Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.  

Dans R. c. Pontes, la Cour Suprême a affirmé que les infractions de responsabilité absolue qui pourraient éventuellement entraîner une peine d’emprisonnement contreviennent à l’article 7 de la Charte[309]. Par conséquent, un système de SAP qui prévoit l’emprisonnement comme sanction potentielle est tout à fait susceptible de contrevenir à l’article 7. Néanmoins, la plupart des membres de la Cour ont laissé la porte ouverte pour discuter à une autre occasion de la constitutionnalité d’une infraction de responsabilité absolue qui est punissable d’une amende avec possibilité d’emprisonnement en cas de non-paiement de cette amende lorsque la mesure législative prévoit que l’imposition et la perception d’une amende sont assujetties à une évaluation des ressources[310]. 

Si la pénalité n’est qu’une amende, la jurisprudence suggère que cela ne suffit pas à mettre en péril les droits prescrits par l’article 7. Dans R. c. Transport Robert (1973) Ltée[311], la Cour d’appel de l’Ontario a examiné la constitutionnalité de l’article 84.1 du Code de la route. Comme nous l’avons évoqué précédemment, cette affaire portait sur un défendeur accusé de conduire un véhicule utilitaire dont une roue s’était détachée sur la chaussée. Il s’agissait d’une infraction de responsabilité absolue, dans la mesure où le paragraphe 84.1(5) prévoit que la diligence raisonnable n’est pas un moyen de défense possible pour cette accusation. La peine maximale prévue était une amende de 50 000 $; néanmoins, l’infraction ne prévoyait pas l’emprisonnement comme sanction. Les défendeurs ont argumenté que l’association des risques liés à l’imposition d’une amende importante et de la stigmatisation liée à une déclaration de culpabilité contrevenait au droit de l’article 7 de la Charte relatif à la sécurité de la personne. 

La Cour a considéré la décision de la Cour suprême du Canada dans R. c. Blencoe qui a défini la portée du droit de l’article 7 relatif à la sécurité de la personne : 

[…] Dans Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission) […], le juge Bastarache a affirmé, au nom de la majorité que « [l]es atteintes de l’État à l’intégrité psychologique d’une personne ne font pas toutes intervenir l’art. 7. Lorsque l’intégrité psychologique d’une personne est en cause, la sécurité de la personne se limite à la “tension psychologique grave causée par l’État” ». Par conséquent, « [l]es formes que prend le préjudice psychologique causé par le gouvernement n’entraînent pas toutes automatiquement des violations de l’art. 7 ». De plus, il n’y a pas de « droit général à la dignité ou, plus précisément, [de] droit à la protection contre la stigmatisation » et « [l]a dignité et la réputation ne sont pas des droits distincts. La protection contre la stigmatisation ne l’est pas non plus »[312]. (citation omise) (Traduction libre)  

La Cour a poursuivi en affirmant que malgré l’importance de l’amende, l’article 84.1 du Code de la route ne faisait pas intervenir les garanties de sécurité de la personne inscrites dans la Charte :

Néanmoins, nous ne sommes pas persuadés qu’une poursuite à l’égard de l’infraction commise inscrite à l’article 84.1 implique le type de tension psychologique exceptionnelle causée par l’État qui ferait valoir le droit de sécurité de la personne garanti dans l’article 7 de la Charte, et ce même pour un individu. L’infraction ne crée pas un vrai crime et, comme la plupart des infractions réglementaires, elle porte davantage sur les conséquences néfastes d’un comportement par ailleurs légal que sur une quelconque turpitude morale. […] L’infraction créée par l’article 84.1 est centrée sur les conséquences involontaires, mais néfastes, causées par une entreprise de véhicules utilitaires. Nous rejetons la proposition selon laquelle un défendeur accusé d’une telle infraction soit stigmatisé en tant que personne conduisant de manière délibérée, sans considération pour les risques extrêmes à la vie humaine engendrés par sa conduite. Au pire des cas, une déclaration de culpabilité pour cette infraction implique la négligence et comme l’infraction de publicité trompeuse dont a fait l’objet l’affaire Wholesale Travel, toute stigmatisation s’en trouve alors très fortement diminuée. 

La stigmatisation réduite liée à l’infraction inscrite à l’article 84.1 n’est pas suffisante pour faire valoir le droit de sécurité de la personne prévu par l’article 7, et ce même si elle est associée à une éventuelle amende significative. Il ne s’agit tout simplement pas du type de tension psychologique grave causée par l’État que la sécurité de la personne entend couvrir. Il existe des différences qualitatives par rapport aux types de tension qui ont été reconnus dans les affaires faisant valoir ce droit[313]. (Traduction libre)  

Dans une récente décision de la Cour d’appel de l’Alberta, Lavallee c. Alberta (Securities Commission)[314], la Cour a examiné un système de SAP dans le cadre de la Securities Act qui pourrait prévoir des pénalités s’élevant jusqu’à 1 million de dollars par contravention[315]. Les appelants ont fait valoir que les dispositions 29 e) et f) de la Securities Act étaient contraires aux articles 7 et 11 de la Charte, car elles avaient pour effet d’imposer à la Securities Commission de révéler toutes les preuves n’étant que vaguement pertinentes à l’affaire, et ce, quels que soient leur valeur probante, leur effet préjudiciable ou leur fiabilité. La Cour a désapprouvé l’interprétation ci-dessus des dispositions 29 e) et f), mais a établi que, même si elle était parvenue à une interprétation différente de ces deux dispositions, les articles 7 et 11 de la Charte ne sont pas applicables aux procédures administratives et ne protègent pas les droits économiques. En ce qui concerne l’article 7, la Cour a estimé que les conséquences de pénalités importantes n’étaient pas suffisantes pour faire valoir l’article 7. 

Comme l’a indiqué le juge Bastarache au paragraphe 83 de la décision Blencoe, l’application du droit à la sécurité de la personne garanti par l’article 7 n’est déclenchée que dans des cas exceptionnels où l’État s’ingère dans des choix profondément intimes et personnels, des choix qui « pourraient difficilement inclure le genre de stress, d’angoisse et de stigmatisation qui résulte de procédures administratives ou civiles ». 

Je conviens avec les juges en chambre que l’effet des conséquences potentielles sur les appelants n’est pas comparable au type de stigmatisation associée à un procès criminel interminable et vexatoire ou à des instances introduites pour retirer un enfant de sa prise en charge parentale. Les droits des appelants prescrits par l’article 7 ne sont pas engagés dans cette affaire[316]. (Traduction libre) 

Il convient de noter que la demande d’autorisation d’appel de cette décision devant la Cour suprême du Canada a été rejetée[317]. 

En résumé, il semblerait que les systèmes de SAP prévoyant des pénalités purement monétaires, sans possibilité d’emprisonnement, sont peu susceptibles de faire intervenir l’article 7 de la Charte. Il est plus intéressant de s’interroger sur l’application éventuelle de l’article 11 de la Charte dans le cas d’imposition de sanctions administratives pécuniaires pour des violations à l’encontre d’activités réglementées.

Voici les parties de l’article 11 qui sont pertinentes à cette analyse :  

                11. Tout inculpé a le droit :

c)  de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même dans toute poursuite intentée contre lui pour l’infraction qu’on lui reproche; 

d) d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable;

h) d’une part de ne pas être jugé de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement acquitté, d’autre part de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement déclaré coupable et puni;

La décision de la Cour suprême du Canada dans R. c. Wigglesworth sert de point de départ à notre analyse de l’article 11[318]. Le juge Wilson restreint l’application de l’article 11 aux affaires criminelles ou pénales et formule un critère pour déterminer si une instance est pénale ou criminelle. Selon Archibald, Jull et Roach, l’affaire Wigglesworth semble créer « deux niveaux distincts d’analyse pour procéder à cette détermination : 1) le critère de la “nature même” et 2) le critère de la “véritable conséquence pénale” »[319].  

Concernant le critère de la « nature même », voici ce que déclare le juge Wilson : 

Il y a de nombreux exemples d’infractions qui sont de nature criminelle mais qui entraînent des conséquences relativement mineures par suite d’une déclaration de culpabilité. Les procédures relatives à ces infractions seraient néanmoins assujetties à la protection de l’art. 11 de la Charte. On ne peut sérieusement soutenir que du seul fait qu’une infraction mineure en matière de circulation entraîne une conséquence très négligeable, voire une légère amende seulement, cette infraction ne relève pas de l’art. 11. Il s’agit d’une procédure criminelle ou quasi criminelle. C’est le genre d’infraction qui, de par sa nature même, doit relever de l’art. 11[320]. 

La Cour définit ensuite le critère de la « nature même » et décrit les affaires qui relèvent de l’article 11 : 

À mon avis, si une affaire en particulier est de nature publique et vise à promouvoir l’ordre et le bien-être publics dans une sphère d’activité publique, alors cette affaire est du genre de celles qui relèvent de l’art. 11[321].  

La Cour évoque ensuite les instances auxquelles, de par leur nature, l’article 11 ne s’applique pas. 

Il faut distinguer cela d’avec les affaires privées, internes ou disciplinaires qui sont de nature réglementaire, protectrice ou corrective et qui sont principalement destinées à maintenir la discipline, l’intégrité professionnelle ainsi que certaines normes professionnelles, ou à réglementer la conduite dans une sphère d’activité privée et limitée. . . . Les procédures de nature administrative engagées pour protéger le public conformément à la politique générale d’une loi ne sont pas non plus le genre de procédures relatives à une “infraction”, auxquelles s’applique l’art. 11[322]. 

D’après le juge Wilson, même lorsqu’une instance satisfait au critère de la « nature même », elle ne serait assujettie à l’article 11 que si elle prévoit une véritable conséquence pénale qui entraînerait l’application de l’art. 11. Une véritable conséquence pénale entraînant l’application de l’article 11 est l’emprisonnement ou une amende qui par son importance « semblerait imposée dans le but de réparer le tort causé à la société en général plutôt que pour maintenir la discipline à l’intérieur d’une sphère d’activité limitée »[323]. 

De nombreux systèmes de SAP pourraient être classés comme systèmes de nature administrative mis en place pour la protection du public conformément à la politique d’une loi. Cette analyse selon le critère de la « nature même » a été explicitée par la Cour suprême du Canada dans la décision Martineau c. M.R.N[324]. Dans cette affaire, un agent des douanes a ordonné à M. Martineau de payer 315 458 $ en vertu de l’article 124 de la Loi sur les douanes. Cette procédure est largement connue sous le nom de « confiscation compensatoire ». Le montant de la demande correspondant à l’estimation de la valeur des biens qu’il avait supposément essayé d’exporter en faisant de fausses déclarations. M. Martineau a demandé que le ministre du Revenu national examine la décision de l’agent des douanes, mais le ministre a maintenu l’ordre de paiement. M. Martineau a alors fait appel de la décision du ministère par voie d’action, face à laquelle le ministre a déposé une requête pour interroger M. Martineau.  

M. Martineau s’est opposé à la requête pour le motif qu’elle irait à l’encontre de la protection contre l’auto-incrimination garantie par l’alinéa 11c) de la Charte. Voilà ce sur quoi la Cour suprême a dû trancher. Pour répondre à la question, la Cour a dû déterminer si M. Martineau avait été accusé d’une infraction. Après examen de sa décision dans l’affaire Wigglesworth, la Cour a établi qu’une distinction devait être établie entre les procédures pénales, d’une part et les procédures administratives, d’autre part, seules les premières entraînant l’application de l’article 11 de la Charte. Pour ce faire, la Cour a défini trois critères en vue de déterminer la nature d’une procédure[325].

Les objectifs de la Loi et de l’article en question constituent le premier critère. La Loi sur les douanes a pour objectifs de « régir, d’encadrer et de contrôler la circulation transfrontalière des personnes et des marchandises ». À cette fin, il est nécessaire de pouvoir assurer le respect des exigences en matière de déclaration prévues par la Loi sur les douanes, ce qui est l’objet de son article 124 en application duquel l’agent des douanes a rendu son ordonnance. La Cour comprend que cet examen porte non sur la nature de l’acte à l’origine des procédures, mais bien sur la nature des procédures elles-mêmes[326]. Par conséquent, il n’est pas pertinent pour la Cour de savoir que la sanction de la violation de la Loi sur les douanes aurait pu être exécutée par voie de poursuites, plutôt que par une réclamation par avis écrit, comme cela a été le cas dans l’affaire Martineau.  

Le deuxième critère est le but visé par la sanction. La Cour a indiqué que l’objet de la confiscation compensatoire n’est pas de punir le défendeur pour créer un effet dissuasif. De fait, il s’agit plutôt de garantir le respect de la Loi sur les douanes en donnant aux agents des douanes des moyens rapides et efficaces d’en assurer l’application. Cette modalité n’est pas conçue pour punir le contrevenant, même si la Cour concède toutefois que cela a pu avoir cet effet dans certains cas. Certes, la confiscation compensatoire peut avoir un effet dissuasif. Toutefois, les poursuites en responsabilité civile et les instances disciplinaires visent aussi à dissuader d’éventuels contrevenants et ne constituent pas pour autant des procédures criminelles[327]. Enfin, la Cour a affirmé que rien n’indiquait que la confiscation compensatoire avait pour objet de réparer un tort causé à la société. Elle a fait remarquer qu’à cet égard, l’article 124 ne tient aucunement compte des principes de responsabilité pénale et des principes de détermination de la peine[328]. 

Le dernier critère examine le processus de confiscation compensatoire. L’article 124 impose à un agent des douanes d’avoir des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction à une disposition de la Loi des douanes a été commise. Si tel est le cas et s’il a été établi qu’il serait difficile de saisir les marchandises en question, l’agent peut demander au contrevenant le montant égal à la valeur de ces biens. La personne qui reçoit l’avis de réclamation peut demander au ministre du Revenu national d’examiner la décision. Le ministre communique alors les motifs qui appuient la sanction appliquée et le présumé contrevenant dispose de 30 jours pour faire valoir ses prétentions et présenter sa preuve, par écrit, au ministre. Le ministre rend ensuite une décision concernant la demande d’examen, décision qui n’est pas soumise à réexamen sauf si la personne fait appel par voie d’action devant la Cour fédérale.  

La Cour a estimé que ce processus ne ressemble pas du tout à une procédure pénale. Personne n’est inculpé, personne n’est arrêté, personne n’est sommé de comparaître devant une cour de juridiction pénale et aucun casier judiciaire ne résulte de cette procédure. Au pire des cas, si la personne redevable épuise toutes les modalités d’appel et refuse toujours de payer, elle risque d’être contrainte civilement de le faire[329].

La Cour suprême a conclu que l’avis de confiscation compensatoire était de nature administrative, mais en faisant référence à sa décision dans Wigglesworth, elle a déclaré que dans les cas où il y a conflit entre le critère de la « nature même » et celui de la « véritable conséquence pénale », c’est ce dernier critère qui doit prévaloir. La Cour a alors examiné si l’avis de confiscation compensatoire avait une véritable conséquence pénale. Elle a noté que le contrevenant ne risquait pas d’être emprisonné, puis a examiné si le paiement exigé en vertu de l’article 124 de la Loi sur les douanes « [constituait] une amende qui, par son importance, est infligée dans le but de réparer le tort causé à la société en général plutôt que dans celui de maintenir l’efficacité des exigences douanières »[330].  

La Cour a déclaré que, même si la somme de 315 458 $ réclamée est supérieure à l’amende maximale à laquelle un contrevenant serait exposé par une poursuite par voie sommaire, ce dernier, s’il avait été poursuivi par voie de mise en accusation, aurait été passible d’une amende maximale de 500 000 $. Qui plus est, dans un cas comme dans l’autre, l’amende doit tenir compte des facteurs et des principes qui régissent la détermination de la peine et est clairement de nature pénale. La confiscation compensatoire, en revanche, est de nature civile et purement économique et est déterminée par une simple formule mathématique. De plus, la Cour a ajouté que la réclamation ne stigmatise personne. Il n’y a aucun casier judiciaire, le but n’est pas de punir et les principes et facteurs entrant en jeu dans la détermination de la peine ne s’appliquent pas. La Cour a alors conclu que l’avis de confiscation compensatoire n’a pas entraîné de véritables conséquences pénales pour M. Martineau. 

Revenons à l’affaire Lavallee jugée par la Cour d’appel de l’Alberta, car elle est très intéressante si l’on regarde le montant de la pénalité imposée. La Cour a appliqué la décision Wigglesworth pour déterminer si l’article 11 de la Charte s’appliquait au système de SAP créé par la Securities Act. Elle a estimé que les audiences administratives devant la Securities Commission relèvent généralement de la catégorie de « procédures administratives intentées pour la protection du public conformément à la politique d’une loi »[331]. La Cour a ainsi tenté de définir si, en dépit de leur nature, les procédures de la Securities Commission entraînaient de véritables conséquences pénales[332]. Les appelants ont soutenu qu’une amende pouvant s’élever à un maximum de 1 000 000 $ par contravention constitue une véritable conséquence, argument que la Cour d’appel a rejeté. Elle a en effet établi que l’objet de la sanction et de la Securities Act devait être pris en compte en plus de l’importance de la pénalité. La Securities Act a entre autres pour objectifs la « protection des investisseurs et du public, l’efficacité des marchés de capitaux et le fait d’assurer la confiance du public dans le système »[333]. Dans cette optique, l’importance de la sanction reflète l’intention du législateur visant à faire en sorte que les pénalités ne soient pas considérées simplement comme un autre coût à payer pour faire des affaires, sans qu’il n’y ait de véritables conséquences pénales. Enfin, la Cour d’appel a affirmé que la dissuasion générale est un facteur pertinent lorsque la Commission impose une sanction qui entend « protéger et prévenir »[334]. (Traduction libre)

 

Application de la Charte à un système de SAP pour les infractions de stationnement 

Selon nous, un système de SAP pour les infractions de stationnement similaire à celui adopté par la Ville de Vaughan et autorisé en application de la Loi de 2001 sur les municipalités et de ses règlements n’entraînerait pas l’application des protections garanties dans les articles 7 et 11 de la Charte. Voici l’analyse que nous avons effectuée pour appuyer notre recommandation préconisant que toutes les municipalités mettent en œuvre un système de SAP pour les infractions de stationnement, lesquelles ne feraient plus l’objet de poursuites en vertu de la Loi sur les infractions provinciales. 

Tout d’abord, l’application des droits prévus à l’article 7 exige que les intérêts d’une personne en ce qui concerne sa vie, sa liberté ou sa sécurité soient en jeu. Cela ne semble pas être le cas si l’on considère la nature de la sanction autorisée dans le cadre des règlements de la Loi de 2001 sur les municipalités. D’une part, l’emprisonnement n’est pas une peine autorisée. D’autre part, la sanction monétaire ne peut ni être de nature punitive, ni être supérieure au montant qui est raisonnablement nécessaire pour encourager l’observation d’un règlement municipal et ne peut en aucun cas dépasser 100 $[335]. Il suffit simplement de considérer l’amende de 50 000 $ dans l’affaire Transport Robert ou la pénalité de 1 000 000 $ dans l’affaire Lavallee, sanctions qui, dans chaque cas, n’entraînaient pas, selon la Cour, le niveau de stigmatisation nécessaire pour faire valoir les droits prescrits par l’article 7 et de les comparer avec la pénalité de 100 $ prévue pour une infraction de stationnement pour appuyer l’idée qu’il est peu probable qu’une telle pénalité engage les droits de l’article 7[336]. Au fil du temps, on peut s’attendre à des augmentations modérées et progressives de ce maximum de 100 $. Mais les décisions dans les affaires Transport Robert et Lavallee, associées à l’objectif de promotion de l’observation des règlements administratifs sur le stationnement, laissent à penser que des hausses raisonnables de la pénalité maximale de 100 $ ne seraient pas non plus assujetties à l’application de l’article 7.  

La Cour suprême dans R. c. Pontes a laissé la question ouverte quant à savoir si la possibilité d’emprisonnement en cas de défaut de paiement d’une amende pouvait faire intervenir l’application du droit prévu par l’article 7[337] et par conséquent, nous examinons si l’emprisonnement représente une option si une personne refuse de payer une SAP. Dans R. c. Bowman, la Cour de justice de l’Ontario a estimé que la possibilité d’emprisonnement pour un procès-verbal d’infraction de stationnement impayé dans le cadre du système régi par la Loi était trop isolée pour déclencher l’application des protections de l’article 7[338]. La Cour a noté que l’emprisonnement n’est pas une sanction directe engendrée par une déclaration de culpabilité dans le cas d’une infraction de stationnement; elle est seulement possible après une nouvelle audience devant un représentant judiciaire et, même dans ce cas, il s’agit d’une lointaine possibilité, dans la mesure où il faut pouvoir démontrer que la personne est capable de payer l’amende, mais refuse de la payer et que l’emprisonnement n’est pas contraire à l’intérêt public[339]. Comme nous l’avons fait remarquer précédemment, l’emprisonnement pour défaut de paiement d’une amende n’est pas aujourd’hui réellement disponible en Ontario, car le paragraphe 165(3) de la Loi exclut cette option en matière d’application de la loi lorsque les municipalités ont conclu une entente de transfert avec la province. Ces ententes sont désormais en place dans l’ensemble de l’Ontario et par conséquent, l’emprisonnement en cas d’amendes impayées est indisponible en tant que modalité d’exécution pour les municipalités. De fait, ces dernières années, personne n’a été emprisonné en raison du non-paiement d’une amende, selon les données du ministère du Procureur général pour 2007 et 2008[340]. 

De même, si l’emprisonnement peut survenir dans le cadre du système de SAP pour les infractions de stationnement, il semblerait qu’il s’agisse d’une option très improbable qui n’est pas directement liée à la pénalité. L’article 9 du règlement permet aux municipalités de déposer un certificat de défaut auprès de la Cour des petites créances ou auprès de la Cour supérieure de justice, lorsqu’une amende n’est pas payée, et le certificat sera alors réputé être une ordonnance de ce tribunal aux fins d’exécution. On peut avancer que, si une personne venait à refuser de respecter les procédures d’application de la loi dans ces tribunaux (p. ex. refus de participer à un examen du débiteur en vertu du jugement ou de répondre à une question pertinente), elle pourrait être incarcérée pour outrage à la cour après un autre procès relatif à l’outrage devant un juge[341]. Cependant, une telle peine d’emprisonnement ferait suite non pas au défaut de paiement de la pénalité, mais au refus de respecter les ordonnances des tribunaux et cela vaudrait pour toute procédure civile d’application de la loi[342]. 

L’affaire London (City) c. Polewsky est également instructive[343]. La Cour d’appel de l’Ontario a examiné si le risque potentiel d’emprisonnement issu de procédures en cas de défaut en application de l’article 69 de la Loi pourrait provoquer l’application des droits de l’article 7 de la Charte dans l’instance initiale régie par la Loi. Après avoir noté que l’article 69 prévoit des procédures en cas de défaut distinctes du procès initial de l’infraction provinciale et qu’il exige également une évaluation de la capacité de la personne à payer l’amende, la cour a déclaré que le risque d’emprisonnement en cas de défaut était suffisamment improbable pour ne pas engager l’application du droit à la liberté de l’article 7. De la même façon, dans le cadre du système de SAP autorisé par le règlement pris en application de la Loi de 2001 sur les municipalités, l’exécution d’un certificat de défaut aurait lieu dans le cadre d’une procédure distincte dans un tribunal civil. En outre, l’article 8 du règlement impose aux municipalités d’établir des procédures pour autoriser une personne à être dispensée du paiement de la totalité ou d’une partie d’une pénalité administrative si le fait d’exiger le paiement venait à lui causer un préjudice indu. Cela réduit également la perspective de l’exécution d’une pénalité contre une personne incapable de la payer. Pour ces motifs, nous pensons que la possibilité d’emprisonnement dans le cadre du système de SAP est suffisamment lointaine pour ne pas faire intervenir les protections de la liberté prévues par l’article 7, car seule une instance distincte intentée pour outrage au tribunal pourrait entraîner cette peine.  

Examinons à présent si les droits de l’article 11 seraient impliqués. L’article 11 s’applique uniquement aux procédures pénales et non aux procédures administratives. Afin de déterminer si un système de SAP pour des infractions de stationnement représente une procédure criminelle (pénale) ou administrative, nous nous référons aux trois critères définis dans Martineau.    

Le premier est l’objectif de la loi et du règlement en jeu. Le paragraphe 3(2) du règlement s’appliquant aux pénalités administratives décrit comme suit le but d’un système de pénalités administratives :

Le système de pénalités administratives qu’établit la municipalité a pour objet de l’aider à réglementer le débit de la circulation et l’utilisation des biens-fonds, y compris les voies publiques, en encourageant l’observation de ses règlements municipaux sur le stationnement, l’immobilisation ou l’arrêt de véhicules. 

L’objet de ce système est davantage réglementaire que pénal. Le système de SAP cherche à promouvoir l’observation des règlements de stationnement qui existent afin de réglementer les flux de circulation et l’utilisation des biens-fonds. L’accent est mis sur le respect de la loi et sur la prévention de conséquences néfastes, plutôt que sur la sanction de comportement passé[344]. On peut en déduire que le système de SAP est conçu pour dissuader le stationnement illégal, mais cela ne signifie pas qu’un tel système a un objectif d’ordre pénal. Dans Martineau, le juge Fish a indiqué que « les poursuites en responsabilité civile et les instances disciplinaires visent aussi à dissuader d’éventuels contrevenants [, mais] ne constituent pas pour autant des procédures criminelles »[345].

Le deuxième critère est le but visé par la sanction. De même que dans l’analyse menée dans Martineau, l’objet de la pénalité administrative est bien ici de garantir le respect des règlements administratifs de stationnement en donnant aux agents municipaux responsables de l’application de la loi des moyens rapides et efficaces pour ce faire. Le système de sanctions administratives pécuniaires (SAP) n’est pas conçu pour punir une personne qui contrevient au règlement; de fait, ledit règlement exige que toute pénalité imposée ne soit pas de nature punitive. La sanction dispose d’une limite relativement basse fixée à 100 $ et on pourrait faire valoir qu’il faudrait une pénalité bien plus sévère pour atteindre un objectif d’ordre pénal. Enfin, le règlement n’oblige pas de prendre en compte les principes de responsabilité pénale et de détermination de la peine avant de délivrer une SAP. La ville fixe le montant de la pénalité avant que n’ait lieu l’infraction et le montant ne change pas en fonction de la répétition de l’infraction ou d’autres facteurs relatifs à ceux qui contreviennent aux règlements[346]. 

Le dernier critère porte sur la procédure des SAP en elle-même. En vertu du règlement, une SAP peut être délivrée si un véhicule est stationné, immobilisé ou arrêté en contravention d’un règlement administratif municipal désigné. Le propriétaire doit recevoir l’avis de pénalité et être informé de son droit à demander un examen par un agent d’examen et par un agent enquêteur. Seul l’agent enquêteur doit tenir une audience et la Loi sur l’exercice des compétences légales s’applique aux tribunaux administratifs et non aux tribunaux judiciaires. Les règles relatives aux preuves pour les tribunaux administratifs qui sont inscrites dans cette Loi se distinguent de celles qui s’appliquent aux instances dans les tribunaux judiciaires. Par exemple, un agent enquêteur peut admettre une preuve testimoniale, même si le témoignage n’a pas lieu sous serment ou solennellement, et peut accepter toutes les preuves pertinentes à moins qu’un témoignage ou un document soit inadmissible en raison d’un privilège prévu par la législation sur les preuves ou par une disposition législative[347]. La décision de l’agent enquêteur est définitive et ne peut faire l’objet d’un appel.  

Comme dans Martineau, ce processus se rapproche bien plus d’une audience administrative que d’une instance judiciaire d’ordre pénal. Personne n’est inculpé, aucune dénonciation n’est déposée, personne n’est arrêté, personne n’est sommé de comparaître devant une cour de juridiction pénale. Aucun casier judiciaire ne résulte d’une pénalité administrative et au pire des cas, si la personne refuse de payer, une instance civile risque d’être introduite et le registrateur des véhicules automobiles peut refuser de valider ou de délivrer le certificat d’immatriculation du véhicule.    

Sur la base des trois critères définis dans Martineau, il y a tout lieu de penser qu’un système de SAP comme celui utilisé à Vaughan est de nature administrative et non criminelle ou pénale. Cette analyse peut être supplantée par l’analyse relative aux véritables conséquences pénales. L’amende maximale qui peut être imposée en vertu du règlement est de 100 $ et il est clairement établi que le montant exigé en deçà de ce plafond ne peut être de nature punitive, ni excéder le montant qui est raisonnablement nécessaire pour encourager l’observation d’un règlement municipal désigné. Étant donné ces limites, ce système correspond, semble-t-il, bien plus à une sanction en vue de favoriser le respect des règlements administratifs sur le stationnement, l’immobilisation et l’arrêt de véhicules qu’à une sanction imposée en vue de réparer un tort causé à la société dans son ensemble. En effet, on pourrait avancer que la limite de 100 $ pourrait passer à au moins 500 $ (voire plus au fil du temps), afin qu’elle couvre les pénalités imposées en vue de favoriser l’observation des règlements relatifs au stationnement pour personnes handicapées[348]. Nous nous permettons cette remarque, au vu de la propension de la Cour à estimer que des SAP bien plus importantes n’engendrent pas l’application des protections de la Charte (par exemple, dans l’affaire Lavallee). Nous pensons également que des pénalités plus sévères pourraient bien être nécessaires afin de promouvoir l’observation des règlements relatifs au stationnement pour personnes handicapées, étant donné le fort intérêt social à pouvoir offrir aux personnes handicapées des places de stationnement adaptées. 

En conclusion, il nous semble que le système de sanctions administratives pécuniaires prescrit dans le cadre de la Loi de 2001 sur les municipalités et de ses règlements en vue d’assurer l’application des règlements administratifs municipaux sur le stationnement ne contrevient pas aux articles 7 et 11 de la Charte. Notre point de vue est renforcé par le fait que des systèmes de SAP sont déjà en place en Ontario dans le cadre de plusieurs autres contextes et dans diverses municipalités, que le gouvernement a dûment examiné et analysé leur constitutionnalité avant de les déployer dans la province et que divers tribunaux ont par la suite confirmé ces systèmes. Comme l’analyse ci-dessus le démontre, nous incitons vivement à déterminer les préoccupations en matière constitutionnelle qui pourraient être liées au règlement administratif modèle sur les SAP pour les infractions de stationnement, pris en application de la Loi de 2001 sur les municipalités. Selon nous, ces préoccupations ne devraient pas servir de prétexte pour retarder la mise en œuvre à l’échelle provinciale d’un régime de SAP pour les infractions de stationnement.

 

Obligation d’équité d’un système de SAP

Indépendamment de toute considération relative à la Charte, l’obligation d’équité dans la procédure s’applique à une décision administrative qui touche « les droits, privilèges ou biens d’une personne »[349]. Par conséquent, lorsqu’un responsable de la réglementation impose une pénalité administrative, il faut faire en sorte d’accorder à ceux qui sont soumis à la pénalité un certain degré d’équité procédurale. La Cour supérieure de justice a compétence pour examiner sur le plan judiciaire la procédure utilisée par un organe administratif et peut rendre diverses ordonnances afin de garantir le niveau de procédure approprié.

En gros, l’obligation d’équité dans la procédure inclut certaines mesures relatives aux droits procéduraux suivants : a) donner à la personne un avis indiquant que ses droits, privilèges ou biens pourraient être touchés, avec suffisamment de renseignements pour qu’elle puisse répondre; b) accorder à la personne l’occasion d’être entendue dans le cadre d’un témoignage oral ou écrit et de présenter des observations devant le décideur avant qu’une décision ne soit prise; c) garantir l’impartialité du décideur qui prendra des décisions sans crainte raisonnable de partialité et d) garantir le droit à avoir connaissance de la décision, et dans certains cas, des motifs qui la sous-tendent. 

Le concept d’équité dans la procédure est variable et dépend du contexte de chaque affaire[350]. Dans Baker c. Canada, la Cour suprême du Canada a affirmé que le contenu de la notion d’équité procédurale est tributaire du type de droit considéré et des circonstances de chaque cas. La Cour a énuméré cinq facteurs qui influent sur le contenu de cette obligation[351]. Sous-tendant ces facteurs, il y a « [l’idée que] les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur »[352].

Nous allons évoquer brièvement chaque facteur, relativement au système de SAP pour les infractions de stationnement dans le cadre du règlement sur les SAP pris en application de la Loi de 2001 sur les municipalités et du règlement administratif de la Ville de Vaughan.

 

(i) La nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir

Ce facteur examine dans quelle mesure le processus administratif se rapproche d’un processus judiciaire. Plus les deux procédures se ressemblent et plus il est probable que les protections procédurales garanties lors de procès seront nécessaires. 

La procédure des SAP est très différente de la procédure suivie dans un tribunal d’infractions provinciales : les agents enquêteurs ne sont pas des juges; la première étape de l’examen par un agent d’examen ressemble plus à une réunion qu’à une audience, la procédure n’est pas contradictoire dans la mesure où il n’y a pas de poursuivant; la personne recevant le procès-verbal d’infraction a l’occasion d’être entendue lors d’une réunion avec l’agent d’examen, puis, devant l’agent enquêteur, mais les règles strictes relatives aux preuves qui sont appliquées dans un tribunal n’ont pas cours devant un agent enquêteur; la question lors de l’audience n’est pas de savoir si une « amende » devrait être imposée, mais si la « pénalité » devrait être modifiée ou annulée ou si une prorogation du délai de paiement devrait être accordée. Dans l’ensemble, le processus d’audience prévu dans le système de SAP est bien plus proche d’une audience administrative que d’une audience judiciaire.

 

(ii) La nature du régime législatif                                   

Selon le paragraphe 3(2) du règlement sur les pénalités administratives, l’objet d’un tel système est d’aider les municipalités à réglementer « le débit de la circulation et l’utilisation des biens-fonds, y compris les voies publiques, en encourageant l’observation » de leurs règlements municipaux sur le stationnement[353]. Le but visé n’est pas de punir, ce qui suggère des protections procédurales plus importantes. En outre, il existe deux niveaux d’examen de la décision initiale d’imposer une pénalité – premier examen par un agent d’examen, puis réexamen par un agent enquêteur – ce qui garantit encore plus la protection procédurale.

 

(iii) L’importance de la décision pour les personnes visées 

L’importance de la décision pour les personnes visées est un facteur déterminant en ce qui concerne le contenu de la notion d’équité procédurale. Par rapport aux autres intérêts en jeu dans des audiences administratives ou judiciaires, on ne peut pas dire qu’une pénalité maximale de 100 $ représente un enjeu d’une importance significative imposant un procès en règle. De plus, les procédures d’examen sont conçues pour évaluer si la pénalité engendrerait des difficultés excessives et si l’on peut accorder une prorogation du délai de paiement. Lorsque la personne refuse de payer, le registrateur des véhicules automobiles peut refuser de valider ou de délivrer le certificat d’immatriculation du véhicule jusqu’à paiement de la pénalité. Même dans ce cas, cela reste des conséquences relativement mineures et facilement réparables qui ne se comparent en rien aux intérêts majeurs généralement en jeu lors d’instances de justice civile, familiale ou pénale.

 

(iv)  Les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision 

Dans certains cas, les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision peuvent déterminer le contenu de l’obligation d’équité procédurale. Par exemple, une personne s’attend légitimement à pouvoir présenter des arguments par oral devant un décideur impartial, ce qui peut définir le type d’audience prévue. Cependant, une attente légitime peut uniquement générer des droits en matière de procédure et non des droits fondamentaux[354]. Nous n’avons pas entendu parler de déclarations faites par la Ville de Vaughan qui créeraient des attentes en matière de procédure dépassant ce qui est défini dans le règlement sur les SAP et qui pourraient alors engendrer l’application d’autres protections procédurales basées sur des attentes légitimes. 

D’aucuns pourraient affirmer que les personnes devant payer une SAP pour une infraction de stationnement l’assimileraient à un procès-verbal classique, du fait de leur expérience passée. Ces contrevenants pourraient alors s’attendre à ce que certains processus continuent d’être appliqués, notamment les lignes directrices d’annulation des procès-verbaux d’infraction de stationnement délivrés au personnel de la Ville de Toronto indiquant quand les procès-verbaux de stationnement peuvent être annulés sans comparution devant un juge[355]. Ces lignes directrices indiquent de nombreuses situations dans lesquelles un procès-verbal de stationnement peut être annulé par voie administrative, par exemple, lorsqu’il présente des renseignements inexacts ou manquants ou lorsqu’une personne présente un permis prouvant qu’elle est autorisée à stationner[356]. Bien que cet argument soit recevable, une approche plus rationnelle serait de continuer d’adopter ces lignes directrices relatives à l’annulation comme motifs sur lesquels un agent d’examen peut annuler une SAP.

 

(v) Les choix de procédure que l’organisme fait lui-même   

Un cinquième facteur pour évaluer le contenu de l’obligation d’équité correspond au respect du choix de procédure adopté par l’organisme lui-même. Le règlement sur les SAP prévoit les composantes principales en matière de procédure d’un règlement administratif municipal à cet égard pour les infractions de stationnement, et il ne reste que peu de place pour déroger à la procédure prescrite. Il n’est donc pas étonnant de respecter le choix de quelques détails procéduraux supplémentaires établis par les règlements municipaux sur le système de SAP. 

Au vu de l’analyse ci-dessus, nous pensons que le contenu de l’obligation d’équité procédurale dans un système de SAP pour les infractions de stationnement serait moindre que ce que l’on attend d’un procès en bonne et due forme impliquant des droits et intérêts bien plus importants. Le système de SAP utilisé dans la Ville de Vaughan, qui se fonde largement sur les exigences prévues dans le règlement sur les SAP, comprend des protections procédurales majeures, qui, selon nous, sont suffisantes au vu des intérêts en jeu et de la nature et de l’objet d’un tel système pour les infractions de stationnement. Il s’agit, entre autres, des protections suivantes :

  • l’avis de pénalité avec les détails de la contravention et les renseignements pour savoir comment exercer son droit à un examen;
  • le droit à ce qu’un agent d’examen examine la pénalité lors d’une réunion;
  • le droit à ce qu’un agent enquêteur réexamine la pénalité lors d’une audience;
  • l’occasion de présenter par oral des observations devant l’agent enquêteur;
  • toutes les protections procédurales définies dans la Loi sur l’exercice des compétences légales[357]. (Traduction libre)  

En ce qui concerne l’indépendance du décideur et la protection contre une crainte raisonnable de partialité, le règlement administratif de la Ville de Vaughan no 157-2009 interdit l’ingérence dans les décisions prises par les agents d’examen ou par les agents enquêteurs :

6.                Personne n’essaiera, directement ou indirectement, de communiquer avec un agent d’examen ou un agent enquêteur en vue de les influencer concernant la décision d’une question conforme à la délégation de l’autorité de la décision dans le cadre d’une procédure qui est ou sera pendante devant l’agent d’examen ou l’agent enquêteur, à l’exception des personnes autorisées à être entendues dans le cadre de la procédure ou de l’avocat ou du parajuriste titulaire d’un permis qui représente la personne faisant l’objet de la procédure, et uniquement en la présence de cette personne, de son avocat ou de son parajuriste pendant l’audience soulevant la question en jeu. Le non-respect du présent article constitue une infraction.          

Enfin, le règlement sur les pénalités administratives impose que la nomination d’un agent enquêteur respecte les lignes directrices relatives au conflit d’intérêts[358]. Le règlement administratif de la Ville de Vaughan établit que les membres du conseil municipal et les proches sont inadmissibles à une nomination en tant qu’agent d’examen ou agent enquêteur[359]. Il semblerait que ce règlement administratif mette en place des protections suffisantes pour assurer une prise de décisions autonome par l’agent d’examen ou l’agent enquêteur.

 

Utilisation d’un système de SAP pour les infractions mineures en vertu de l’actuelle partie I

Quatre-vingts pour cent des mises en accusation en vertu de la partie I portent sur des infractions au Code de la route ou à ses règlements, ce qui représente environ 1,6 million de mises en accusation chaque année qui occupent approximativement 30 000 heures de travail des juges de paix. De nombreuses infractions seraient considérées comme mineures. Elles prennent énormément de ressources judiciaires (tribunaux et juges) qui pourraient très bien être consacrées à des infractions plus graves. De plus, même si nous avons mis en évidence les infractions mineures au Code de la route, il y a d’autres lois provinciales pour lesquelles un système de SAP pourrait être approprié. Par exemple, la Loi de 1992 sur le code du bâtiment[360] est mise en application à l’échelle municipale. Elle prévoit un système d’ordonnances administratives avec les droits correspondants d’examen et d’appel. Un système de sanctions administratives est un prolongement naturel de ces systèmes existants pour favoriser l’observation de la loi avant d’engager une poursuite intentée en vertu de la Loi ou éventuellement à la place d’une telle procédure. L’utilisation actuelle des représentants judiciaires pour régler ces infractions mineures ne favorise peut-être pas le respect de l’administration de la justice. Pour ces raisons, entre autres, Archibald, Jull et Roach estiment que les infractions mineures d’excès de vitesse devraient également ne plus être traitées par les tribunaux d’infractions provinciales et être réglées par un régime de SAP :  

La question des ressources laisse penser que nous ne devrions pas du tout avoir recours aux tribunaux pour des infractions provinciales mineures. Les infractions de vitesse mineures se prêtent parfaitement aux sanctions administratives pécuniaires. À notre avis, le règlement des infractions de vitesse mineures dans des tribunaux présidés par des juges de paix ne fait guère de sens. En outre, cette façon de faire ne cadre pas très bien avec la tendance constatée dans d’autres domaines tels que l’environnement[361]. (Traduction libre) 

Les arguments juridiques, politiques et constitutionnels relatifs aux SAP pour le stationnement seraient pertinents pour analyser si les infractions mineures de la partie I devraient également relever d’un régime de SAP. Cela étant dit, il convient de porter une attention particulière à divers enjeux supplémentaires d’ordre juridique, politique et opérationnel avant de transférer la résolution des infractions mineures, y compris celles commises à l’encontre du Code de la route dans le cadre d’un régime de SAP. Il s’agit des facteurs suivants :

  • Quelles infractions? Il y a des centaines d’infractions mineures au Code de la route et beaucoup d’autres infractions mineures créées par d’autres lois qui pourraient éventuellement être soumises à un système de SAP. Il faudra évaluer quelles infractions disposeront des caractéristiques pour relever d’un système de SAP, et aux fins d’uniformité, cette décision devrait reposer sur une justification et sur un critère seuil appliqué de façon constante.
  • Quand imposer une SAP ou engager des poursuites? Certaines infractions pourraient être considérées mineures dans certaines circonstances (p. ex. conduire sans permis, car le conducteur a oublié son permis à son domicile), mais plus graves dans d’autres situations (p. ex. conduire sans permis, car il a été précédemment révoqué par le registrateur des véhicules automobiles en raison de condamnations antérieures). L’agent d’application de la loi aurait-il la compétence de délivrer une SAP ou de choisir une poursuite intentée en vertu de la Loi?
  • Nature de l’infraction – responsabilité absolue contre responsabilité stricte. Autre enjeu, les infractions qui sont à présent des infractions de responsabilité stricte deviendraient-elles dans les faits des infractions de responsabilité absolue si un régime de SAP en assurait l’application? Un moyen de défense de diligence raisonnable serait-il disponible pour certaines infractions devant un agent enquêteur dans le cadre d’un système de SAP ou serait-il expressément exclu par une loi comme c’est le cas pour les pénalités environnementales prévues par la Loi sur la protection de l’environnement? Si le moyen de défense de diligence raisonnable devait être maintenu, serait-il possible de préciser ce moyen de défense dans les lignes directrices utilisées par un agent enquêteur, lesquelles pourraient également être mises à disposition du public?
  • La pénalité et les aspects constitutionnels. La pénalité proposée envisage-t-elle l’emprisonnement ou une autre pénalité de nature punitive? Le montant de toute pénalité ne devrait pas être de nature punitive; si c’était le cas, les droits prévus par la Charte pourraient être invoqués.
  • Autres questions juridiques et politiques. Par exemple, comment un agent enquêteur dans le cadre d’un système de SAP pourrait-il gérer une arrestation ou une perquisition illégale survenant pendant la perpétration d’une infraction fondée sur la partie I ou pendant l’enquête à cet égard, et quelle autorité possèderait-il pour exercer une compétence réparatrice? De même, les gens seraient-ils encore disposés à observer des normes réglementaires importantes s’ils savent que les seules conséquences possibles sont une pénalité pécuniaire et non une sanction potentiellement plus sévère qui pourrait uniquement être rendue par un juge de la Cour de justice de l’Ontario (p. ex. probation, révocation de permis)? 
  • Problèmes en matière de mise en œuvre. Le volume des affaires serait significatif et les municipalités auraient à élaborer et à mettre en œuvre des structures appropriées, ainsi qu’à assurer la dotation en personnel pour gérer le volume de cas prévu. Les infrastructures appropriées en matière de TI devraient également être en place pour permettre une déclaration adaptée aux organismes gouvernementaux et aux ministères aux fins d’application de la loi (p. ex. registrateur des véhicules automobiles).
  • Perte des recettes provenant du Fonds de la justice pour les victimes. L’article 60.1 de la Loi autorise l’application d’une suramende pour la victime en plus des amendes imposées en cas d’infractions en vertu de la partie I ou de la partie III. Le ministère du Procureur général a indiqué qu’en 2010, ces suramendes ont généré des recettes s’élevant à 43,5 millions de dollars consacrées au soutien des programmes et des organismes communautaires venant en aide aux victimes. Le transfert de certaines infractions de la partie I à un système de SAP entraînerait une réduction des recettes pour ce Fonds.
  • Création de deux systèmes distincts. Si un régime de SAP pour certaines infractions mineures est créé, alors que le système actuel de la Loi reste maintenu pour d’autres infractions, il y aurait alors deux systèmes distincts. Il est peut-être possible de réaliser des économies d’échelle en conservant un seul système pour toutes les infractions de la partie I et de la partie III, plutôt qu’en créant un nouveau système séparé pour uniquement certaines infractions mineures.    

Le seul volume des infractions de la partie I et le temps consacré à leur règlement nécessitent un examen plus approfondi. Nous pensons que ce système pourrait tirer parti de l’analyse menée par le gouvernement de l’Ontario sur les infractions provinciales mineures, notamment celles au Code de la route, qui pourraient relever d’un système de SAP après avoir correctement pris en compte toutes les questions juridiques, politiques, sociales et opérationnelles.

 

 

Utilisation d’un régime de SAP pour l’application de la loi relative au stationnement par les communautés de Premières nations

Une autre option éventuelle de réforme a été présentée à la CDO pratiquement à la fin du rapport préliminaire du projet. Il s’agit de l’utilisation d’un régime de SAP pour assurer l’application de la législation sur le stationnement par les communautés de Premières nations. Nous en parlerons brièvement dans le cadre de la partie IV du présent rapport, à titre d’enjeu nécessitant un plus ample examen.

 

 

4. Conclusions et recommandations 

Le recours à des sanctions administratives pécuniaires comme solution de rechange face aux poursuites intentées contre les infractions provinciales mineures relevant de la partie I est un sujet qui mériterait qu’un rapport propre lui soit consacré. Cependant, nous avons cherché des avis et mené une recherche et une analyse pour recommander des réformes discrètes, mais majeures qui verraient une utilisation plus importante des SAP comme mécanisme exclusif d’application de la loi pour les infractions de stationnement. 

Comme point de départ de la réforme, il existe de prime abord des arguments solides étayant l’idée que des économies importantes de temps et d’argent pourraient être obtenues en excluant toutes les infractions de stationnement de la partie II du système fondé sur la Loi sur les infractions provinciales et en les transférant dans le cadre d’un système de SAP prévu par chaque municipalité. Même si l’on ne peut établir un argument décisif en ce qui concerne les économies de coût ou si l’on n’accepte pas cet argument, il y a quelque chose d’incontestablement disproportionné dans l’utilisation des juges de paix et des ressources limitées des tribunaux pour ces affaires d’ordre particulièrement mineur. Nous pensons que l’utilisation des SAP, basée sur le modèle adopté par la Ville de Vaughan, offre un mécanisme équitable et équilibré pour examiner les pénalités administratives, système qui ne contreviendrait pas à la Charte. Le système de SAP est également plus accessible et devrait être mis à disposition pour assurer l’application des règlements administratifs relatifs au stationnement pour personnes handicapées. Plus important encore, nous pensons que la règle de loi et l’administration de la justice feraient l’objet d’un plus grand respect si les ressources en matière de juges et de tribunaux étaient réservées à la poursuite d’infractions provinciales plus graves. 

Dans le cadre d’une soumission à la CDO, la Ville de Toronto soutient l’utilisation d’un système de SAP pour les infractions de stationnement, mais met en garde contre une mise en œuvre obligatoire sans l’avis initial de la Cour d’appel sur cette question. Si les tribunaux venaient à invalider le modèle proposé de SAP pour cause de non-constitutionnalité, cela pourrait avoir un effet néfaste sur la ville. Selon la chef des contentieux : 

Si un tribunal invalide le système de [SAP] en place pour le règlement des contraventions de stationnement, les conséquences financières pour la ville avoisineraient les 6,5 millions de dollars par mois, soit 215 000 dollars par jour jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée. Autre enjeu, cette fois encore plus problématique, les questions de sécurité pour les automobilistes et les piétons liées à l’absence de mesures d’application de la loi[362].  

En conséquence, la Ville de Toronto a proposé que la Cour d’appel examine la constitutionnalité du modèle de SAP, selon un renvoi de la question de la part du procureur général conformément à l’article 8 de la Loi sur les tribunaux judiciaires. Nous ne pensons pas qu’il soit nécessaire de renvoyer la question. Dans la section précédente, nous avons pris la peine d’examiner la constitutionnalité du régime proposé de SAP, nous avons mandaté une étude sur cette question et l’on s’attend à ce que la Direction du droit constitutionel du ministère du Procureur général considère dûment cette question avant l’intégration du processus du système de SAP dans la Loi de 2001 sur les municipalités (et la Loi de 2006 sur la cité de Toronto). En bref, nous ne pensons pas qu’il existe des préoccupations d’ordre constitutionnel avec le système de SAP proposé, bien que le procureur général puisse bien entendu ordonner un renvoi à la Cour d’appel à cet égard par souci supplémentaire de prudence. 

Nous pensons qu’un transfert de toutes les infractions de stationnement régies par la partie II vers un régime de SAP pour toutes les municipalités de l’Ontario devrait être effectué dans les trois ans; cependant, la date exacte devra être déterminée après consultation approfondie avec les municipalités et les ministères gouvernementaux pertinents.

Eu égard à l’application d’un système de SAP à d’autres infractions mineures faisant actuellement l’objet d’une instance introduite en vertu de la partie I, notamment les infractions mineures au Code de la route, nous pensons qu’il existe de prime abord de solides arguments étayant cette idée, sous réserve d’un examen de plusieurs points juridiques, stratégies et opérationnels en suspens. Dans le cadre de ses commentaires sur le rapport préliminaire pour ce projet, le Barreau du Haut-Canada s’est opposé à l’inclusion des infractions de la partie I dans le cadre d’un système de SAP. Il a fait remarquer que, même si de nombreuses infractions poursuivies en vertu de la partie I pourraient être considérées comme mineures, elles pourraient avoir de graves implications sur le plan de la sécurité publique, notamment dans le contexte du Code de la route, en cas de blessures graves ou de décès survenant à la suite d’infractions en apparence mineures. Le Barreau a également noté qu’une procédure judiciaire resterait nécessaire pour régler d’autres infractions provinciales et que, s’agissant de l’accès à la justice, avoir deux procédures distinctes pourrait ne pas s’avérer très efficace[363].  

Nous convenons qu’il s’agit de considérations valables. De fait, nous en avons nous-mêmes parlé précédemment. Ces facteurs devraient être pris en compte par le ministère du Procureur général pour évaluer si certaines infractions mineures, faisant en règle générale l’objet d’instances introduites en vertu de la partie I, devraient être réglées par un système de SAP. De notre point de vue, il est bon de mener une analyse stratégique exhaustive à cet égard, étant donné les avantages potentiels d’un système de SAP et cette étude devrait prendre en compte tous les facteurs appropriés, y compris ceux présentés par le Barreau du Haut-Canada.

Au vu de ces conclusions, nous effectuons les recommandations suivantes.

 

La CDO formule les recommandations suivantes :

10.       Dans un intervalle de trois ans, après consultation du ministère du Procureur général avec les municipalités et l’élaboration d’une infrastructure de TI appropriée pour signaler les SAP impayées, la Loi devrait être modifiée afin de supprimer les poursuites des infractions de stationnement fondées sur la partie II au sein de la Cour de justice de l’Ontario.

11.       Dans un intervalle de trois ans, chaque municipalité (ou conjointement avec d’autres municipalités ou partenaires municipaux) devrait adopter et mettre en place un règlement administratif relatif aux pénalités administratives en vue d’assurer l’application des règlements relatifs au stationnement, à l’immobilisation ou à l’arrêt de véhicules, y compris des règlements concernant le stationnement pour personnes handicapées. 

12.       Le Règlement de l’Ontario 333/07 pris en application de la Loi de 2001 sur les municipalités (et le Règlement de l’Ontario 611/06 pris en application de la Loi de 2006 sur la cité de Toronto) devrait être modifié pour autoriser des pénalités administratives en vue d’assurer l’application des règlements administratifs établissant les systèmes de stationnement pour personnes handicapées.

13.       La limite pécuniaire de 100 $ pour les pénalités administratives, prescrite dans l’article 6 du Règlement de l’Ontario 333/07 (et dans l’article 6 du Règlement de l’Ontario 611/06) devrait être augmentée à 500 $ ou à un autre montant nécessaire, pour que les régimes de SAP puissent assurer l’application des règlements administratifs établissant les systèmes de stationnement pour personnes handicapées.  

14.         Les municipalités et ministères pertinents, notamment le ministère des Transports, devraient immédiatement évaluer les défis opérationnels que pose la mise en œuvre réussie d’un système de SAP pour l’application de la législation sur le stationnement (par exemple, l’infrastructure requise en matière de TI) et élaborer un plan d’action pour résoudre ces problèmes en l’espace de trois ans. Des consultations avec les municipalités qui ont d’ores et déjà mis en œuvre un système de SAP pourraient aider à relever ces défis opérationnels.

15.         Le gouvernement de l’Ontario devrait mener un examen des infractions provinciales mineures faisant plus généralement l’objet d’instances introduites en vertu de la partie I, notamment, les infractions mineures au Code de la route actuellement poursuivies en vertu de la partie I, afin de déterminer quelles infractions pourraient le mieux relever d’un régime de SAP. Cet examen devrait prendre en compte, entre autres considérations juridiques, politiques et opérationnelles :

a.        déterminer les infractions les plus courantes, actuellement poursuivies dans le cadre de la partie I, leur volume et les ressources nécessaires connexes (en matière de juges et de tribunaux) pour régler ces infractions, comparativement à un régime de SAP;

b.        évaluer l’efficacité des régimes de SAP pour les autres infractions mineures;

c.         définir la nature des infractions (p. ex. savoir s’il s’agit d’une infraction de responsabilité stricte ou absolue) et la possibilité ou la nécessité de maintenir une défense de diligence raisonnable dans le cadre d’un système de SAP au moyen de lignes directrices appropriées adressées à l’agent enquêteur administratif;

d.        examiner le projet de pénalités en vertu d’un régime de SAP et déterminer si elles seraient de nature punitive et entraîneraient une possibilité d’emprisonnement;

e.     déterminer si les circonstances éventuelles engendrant l’infraction pourraient éventuellement susciter des allégations de contravention aux droits prescrits par la Charte ou à d’autres droits, et si tel est le cas, comment ces allégations pourraient être gérées dans le cadre d’un régime de SAP;
 
f.    déterminer les problèmes opérationnels qui entraveraient la capacité à mener à bien la transition de la résolution d’infractions vers un système de SAP;

g.   évaluer les répercussions sur le Fonds de la justice pour les victimes;

h. définir les mérites du maintien de deux systèmes séparés et distincts pour la résolution des mêmes infractions provinciales qui sont actuellement poursuivies en vertu de la partie I (à savoir, un système de SAP et un système judiciaire fondé sur la Loi).

 
 

 

E.         Réforme de la détermination de la peine

1.     Dispositions de la Loi sur les infractions provinciales relatives à la détermination de la peine

Durant nos consultations, il a été proposé de réformer deux domaines concernant la détermination de la peine : il s’agit de savoir si premièrement la Loi devrait comporter une disposition énonçant l’objectif ou les principes de la détermination des peines, et deuxièmement, si l’éventail des choix qui s’offrent au juge en matière de détermination de la peine devrait être étendu. Nous commençons par un aperçu des dispositions actuelles de la partie IV de la Loi relatives à la détermination de la peine avant d’analyser ces deux enjeux au regard de la réglementation souple abordée dans la section II.B. 

Aux termes de la Loi, toute personne condamnée dans le cadre d’une instance introduite aux termes de la partie I est punissable d’une amende d’au plus 1 000 $[364]. Pour les infractions de la partie III, l’amende maximum est de 5 000 $ à moins de disposition contraire contenue dans une loi[365]. Certains pouvoirs en matière de détermination de la peine sont limités aux instances introduites aux termes de la partie III, comme le pouvoir d’ordonner la préparation d’un rapport présentenciel[366] et celui d’ordonner que le défendeur se conforme aux conditions prescrites dans une ordonnance de probation[367]. La Loi ne comporte pas de pouvoir général permettant de condamner une personne à une peine d’emprisonnement; un tel pouvoir doit exister dans la loi instituant l’infraction. La Loi crée toutefois plusieurs infractions procédurales pour lesquelles une peine d’emprisonnement peut être prononcée (p. ex. l’outrage est punissable d’une amende d’au plus 1 000 $ ou d’une peine d’emprisonnement d’au plus trente jours[368]). Lorsqu’une loi autorise le prononcé d’une peine d’emprisonnement, le juge peut tenir compte de la période que la personne condamnée a déjà passée sous garde[369] et envisager une peine d’amende à la place de la peine d’emprisonnement[370].  

Le défendeur qui est déclaré coupable est tenu de verser au tribunal, à titre de dépens, le montant fixé par les règlements[371], et doit payer une suramende lorsque l’instance est introduite en vertu de la partie I ou III et qu’une amende est imposée à l’égard de l’infraction[372].   

Une amende est exigible quinze jours après avoir été imposée[373]. S’il y a défaut de paiement d’une amende, celle-ci peut être mise à exécution au moyen d’un jugement civil en déposant un certificat auprès de la Cour des petites créances ou de la Cour supérieure de justice. Aux fins d’exécution, le certificat est réputé, dès son dépôt, être une ordonnance de ce tribunal[374]. Le juge dispose d’autres outils d’exécution de la peine d’amende : ordonner la suspension d’un permis, d’une licence, d’un enregistrement ou d’un privilège dont la suspension est autorisée en vertu d’une loi ou refuser leur renouvellement[375]. La Loi prévoit d’autres outils d’exécution, mais comme on l’a indiqué précédemment, ces outils ne sont pas réellement en vigueur puisque d’après l’article 165(3) de la Loi, les dispositions ne sont pas applicables aux municipalités qui ont conclu des ententes de transfert avec le procureur général. Ces outils incluent la possibilité pour un juge de décerner un mandat d’arrêt contre la personne en défaut et lorsque d’autres méthodes de recouvrement de l’amende ont été employées sans succès[376], et la possibilité pour un juge de prononcer une peine d’emprisonnement pour défaut de paiement de l’amende si l’emprisonnement de la personne ne serait pas contraire à l’intérêt public[377]. En outre, d’après une décision de la Cour suprême du Canada, l’incapacité réelle de payer une amende n’est pas un motif valable d’emprisonnement[378]. Lorsqu’une personne n’est pas en mesure de payer une amende, un juge peut accorder une prorogation du délai, établir un échéancier de paiements, ou dans des circonstances exceptionnelles, réduire le montant de l’amende[379].  

Un programme de règlement optionnel des amendes, autorisé par la Loi et établi par règlement, permet le paiement des amendes au moyen de crédits accordés pour le travail exécuté[380], même si aucun programme de ce genre n’est actuellement en vigueur.   

 

2.   Objectifs et principes en matière de détermination de la peine

Problèmes causés par l’absence d’énoncé d’objectif ou de principes en matière de détermination de la peine

La Loi ne comporte pas d’énoncé d’objectif ou de principes en matière de détermination de la peine. Le juge été contraint de combler le vide grâce à la jurisprudence. Cette approche a été critiquée, car le pouvoir judiciaire a été amené à prendre des décisions d’ordre politique à propos de la détermination de la peine, domaine pourtant davantage du ressort du pouvoir législatif. De même, plusieurs affaires présentant des faits similaires ont débouché sur des peines tout à fait différentes, ce qui rend difficile toute rationalisation. Plusieurs commentateurs ont appelé de leurs vœux l’établissement de lignes directrices claires afin de favoriser une certaine uniformité dans la détermination de la peine et d’aider le juge à promouvoir les objectifs des lois instituant les infractions. En revanche, le Code criminel énonce expressément l’objectif et les principes en matière de détermination de la peine applicable aux affaires criminelles[381] de même que la loi de la Colombie-Britannique intitulée Public Health Act[382], qui comporte également un énoncé des principes de détermination de la peine infligée dans le cas des infractions qu’elle vise. La Loi sur la protection de l’environnement de l’Ontario énonce des circonstances aggravantes à envisager au moment de déterminer la peine à infliger aux contrevenants à la législation sur la protection de l’environnement,[383] mais elle ne comporte pas de déclaration péremptoire à propos des objectifs et des principes applicables en matière de détermination de la peine. C’est la raison pour laquelle Todd Archibald, Kenneth Jull et Kent Roach en concluent qu’en Ontario, les dispositions relatives à la détermination de la peine dans le domaine des infractions réglementaires « constituent un patchwork nécessitant une réforme »[384]. (Traduction libre)

Au fil des années, les tribunaux ont établi une longue liste de principes applicables aux infractions réglementaires. Ils ont défini et utilisé pas moins de 23 principes, y compris la nature de l’infraction, la taille, la quantité et la nature des activités du défendeur ainsi que leur utilité sociale[385]. Ce « catalogue » sert de guide pour les tribunaux, mais il n’est pas pleinement satisfaisant[386]. Par exemple, les rapports qu’entretiennent ces principes entre eux ne sont pas évidents et on ignore s’ils doivent être considérés comme des circonstances aggravantes ou atténuantes, de même que leur ordre de priorité[387]. En outre, si le concept de catalogue a été élaboré par les tribunaux de première instance, la Cour d’appel de l’Ontario a rendu peu de décisions de nature à guider les tribunaux inférieurs en matière de détermination de la peine. L’absence de jurisprudence abondante dans le domaine de la détermination de la peine s’explique notamment par les critères stricts qui doivent être réunis pour pouvoir faire appel d’une décision devant la Cour d’appel[388].  

La principale décision de la Cour d’appel traitant de la détermination de la peine dans le domaine des infractions réglementaires est R. c. Cotton Felts Ltd[389]. Dans cette affaire, un employé nettoyait une machine roulante lorsque son bras a été aspiré dans les rouleaux de la machine et broyé. Son bras a dû être amputé jusqu’au coude. Un règlement pris en application de la Loi sur la santé et la sécurité au travail prévoit qu’une machine doit être nettoyée uniquement lorsque le mouvement susceptible de mettre en danger la sécurité du travailleur est arrêté. Le défendeur a été condamné à une peine d’amende de 12 000 $, dont il a fait appel. La Cour d’appel a indiqué que les amendes sont généralement utilisées pour faire appliquer les dispositions réglementaires et que le principal élément déterminant pour la fixation du montant est la dissuasion : 

Dans une large mesure l’application de tels textes [réglementaires] passe par l’imposition d’amendes aux entreprises contrevenantes. Le montant de l’amende sera déterminé par un ensemble complexe de considérations, notamment la taille de la compagnie impliquée, la portée de l’activité économique concernée, l’ampleur du préjudice réel et éventuel pour le public, et la sanction maximale prescrite par la loi. Par-dessus tout, le montant de l’amende sera déterminé par la nécessité d’appliquer les normes de réglementation par la dissuasion[390]. (C’est nous qui soulignons) (Traduction libre)

La Cour a ensuite déclaré que si l’amende ne devrait pas être sévère, elle ne devrait toutefois « pas être perçue comme une simple autorisation d’exercer une activité illégale »[391]. La Cour d’appel n’a pas rendu de décision de portée générale dans le domaine de la détermination de la peine comme celle de l’affaire Cotton Felts dans les 25 années qui ont suivi[392]. 

Ce que nombre de chercheurs contestent à propos de l’affaire Cotton Felts, c’est le recours aux amendes comme sanction prédominante avec la dissuasion comme principe suprême pour la détermination de la peine dans le domaine des infractions réglementaires. Ils estiment que d’autres principes, tels que la réparation et la réadaptation, jouent un rôle équivalent, voire plus important, en matière de détermination de la peine dans le domaine des infractions réglementaires[393]. Ils souhaitent également que l’on ait recours à d’autres outils que les seules peines d’amende pour mettre en œuvre cette vaste gamme de principes en matière de détermination de la peine[394]. Nous abordons ci-après les principes en matière de détermination de la peine et les autres possibilités qui devraient être envisagées pour permettre aux tribunaux de contribuer à la promotion des objectifs de la réglementation.

 

Absence d’uniformité dans les peines prononcées

M. Libman avance que la jurisprudence Cotton Felts donne peu d’indications et que, par conséquent, une grande partie des peines prononcées sont difficiles à expliquer. Il s’interroge également sur l’usage des amendes et l’absence d’autres sanctions visant à réparer le préjudice ou à réhabiliter l’auteur de l’infraction afin de promouvoir la conformité future à la disposition réglementaire. Pour illustrer ce point, M. Libman étudie plusieurs décisions rendues par des juridictions en Ontario ou dans d’autres provinces[395].

Tout d’abord, en matière de sécurité sur le lieu de travail, M. Libman fait référence à la décision R. c. Ellis-Don dans laquelle la Cour de district de l’Ontario a réduit l’amende imposée par un tribunal inférieur, en application de la Loi sur la santé et la sécurité au travail, de 20 000 $ à 10 000 $[396]. Un travailleur était décédé après avoir fait une chute depuis une gaine d’ascenseur. En appel, la majorité des juges de la Cour d’appel n’avaient pas eu à traiter la question de la peine puisqu’ils avaient ordonné la tenue d’un nouveau procès en raison d’un problème de constitutionnalité, mais le juge dissident aurait confirmé l’amende de 10 000 $[397]. Ce qui signifie que l’amende aurait été inférieure à celle prononcée dans l’affaire Cotton Felts, alors que dans l’affaire Ellis-Don, une personne était décédée et que le défendeur était une grande entreprise[398]. Dans une autre affaire, un employé avait été victime de brûlures mineures et d’autres travailleurs avaient ressenti l’impact après que le bras d’une excavatrice fut entré en contact avec des conducteurs sous tension. La Cour d’appel avait approuvé les amendes prononcées contre une petite entreprise familiale pour un total de 35 000 $, soit une somme beaucoup plus élevée que les amendes infligées dans les affaires Cotton Felts ou Ellis-Don alors que les blessures étaient bien moins graves que dans ces deux autres affaires[399]. 

Même dans des affaires avec des faits similaires, les différents paliers de juridiction ont de la difficulté à déterminer le montant adéquat de l’amende. Dans R. c. Inco Ltd., le défendeur était une grande entreprise minière finalement condamnée pour ne pas avoir maintenu son équipement en bon état et pour ne pas avoir prévu de grille de protection pour protéger les travailleurs contre une pièce d’équipement mobile[400]. Cette défaillance avait entraîné le décès d’un employé. Le juge de première instance avait condamné l’entreprise à une peine d’amende de 250 000 $ par chef d’accusation pour trois chefs d’accusation. La Cour supérieure de justice avait infirmé l’une des condamnations et réduit la peine pour les autres chefs d’accusation à 125 000 $ par chef d’accusation après avoir réexaminé l’évaluation réalisée par le juge de première instance des deux facteurs applicables à la détermination de la peine[401]. La Cour d’appel avait ensuite rétabli l’amende de 250 000 $ pour les deux chefs d’accusation restants[402]. M. Libman relève des disparités similaires dans le montant des amendes dans des décisions rendues en Alberta, en Saskatchewan, au Nouveau-Brunswick et à Terre-Neuve[403].

Les peines prononcées dans les affaires de protection du consommateur peuvent être tout aussi difficiles à expliquer. M. Libman cite l’affaire R. c. Browning Arms Co. of Canada dans laquelle le juge d’instance avait prononcé une peine de 15 000 $ par chef d’accusation pour quatre chefs d’accusation de « prix imposé », pour un total de 60 000 $. Le tribunal avait fait observer qu’il était nécessaire d’infliger une amende totale élevée pour que la décision ne passe pas pour « une autorisation pure et simple de continuer »[404]. La Cour d’appel n’était pas d’accord et avait prononcé une amende de 2 500 $ par chef d’accusation, pour un total de 10 000 $[405]. Le résultat était que le montant total de l’amende pour les quatre chefs d’accusation était inférieur de 5 000 $ à ce que le juge de première instance aurait ordonné pour chaque chef d’accusation pris individuellement. L’affaire R. c. Epson (Canada) Ltd. est un autre exemple. Le juge de première instance avait infligé à l’entreprise une amende de 200 000 $ pour avoir tenté de gonfler les prix au moyen desquels les distributeurs faisaient la promotion des produits du défendeur, mais la Cour d’appel avait trouvé l’amende disproportionnée et l’avait ramenée à 100 000 $[406]. Et dans l’affaire R. c. Total Ford Sales Ltd., la Cour de district de l’Ontario avait infirmé les amendes prononcées par le juge d’une cour provinciale totalisant 66 000 $ et les avaient remplacées par des amendes totalisant 19 600 $ en se basant sur le fait que le juge de première instance n’avait pas appliqué correctement certains facteurs de détermination de la peine[407]. Là encore, l’écart entre les amendes prononcées pour des faits similaires montre bien la nécessité de mieux guider les tribunaux dans la détermination de la peine. 

Le troisième domaine examiné par M. Libman est celui des infractions à la législation sur la protection de l’environnement. Même si les outils de détermination de la peine autres que les amendes sont davantage susceptibles d’être utilisés dans le cas des infractions à la législation sur la protection de l’environnement, les écarts dans les peines prononcées sont considérables. Dans l’affaire R. c. Bata Industries Ltd., la Cour provinciale infligeait une sanction totale de 120 000 $ pour déversement illégal de déchets toxiques et une ordonnance de probation de deux ans[408]. La moitié de la sanction était une amende et les 60 000 $ restants étaient infligés sous forme d’obligation de financer les frais de démarrage d’un programme local conçu pour nettoyer les déchets toxiques ménagers, ce qui constituait une condition de l’ordonnance de probation. Outre les amendes infligées à l’entreprise Bata, deux directeurs de l’entreprise ont été condamnés chacun à une amende de 12 000 $. En appel, la Cour de district a réduit la sanction totale à 90 000 $, soit 60 000 $ d’amende versés au profit du Trésor du gouvernement et seulement 30 000 $ versés au programme local de nettoyage des déchets toxiques. Par ailleurs, les amendes personnelles infligées aux directeurs ont été réduites à 6 000 $ chacun[409]. 

De toute évidence, les circonstances particulières d’une affaire donnée donneront lieu à des peines différentes, et il faut donc toujours s’attendre à certaines disparités. Cependant, pour être légitime, il a été argumenté que la détermination de la peine devrait « se fonder sur une démarche cohérente et fondée sur des principes, qui aligne cet aspect du processus de réglementation sur ses objectifs sous-jacents »[410]. (Traduction libre) On pourrait s’attendre à des peines plus fondées et faciles à défendre si les objectifs et les principes de la détermination de la peine sont fermement établis et ne sont pas laissés à l’entière discrétion du pouvoir judiciaire. En outre, c’est davantage au pouvoir législatif que revient la tâche de fournir aux tribunaux les outils dont ils ont besoin pour atteindre les objectifs visés par les règlements. Comme le fait remarquer M. Libman :

« …on ne peut pas à proprement parler de « chaos » pour désigner l’état de la détermination de la peine dans le domaine des infractions réglementaires au Canada, mais de toute évidence, les décisions des tribunaux ne sont pas uniformes, de même qu’il n’y a aucune cohérence dans l’application des objectifs et des principes de détermination de la peine s’agissant de ces infractions. Ceci dit, on se demande comment il pourrait en être autrement, étant donné l’absence de fondement législatif ou de principe directeur dans les dispositions relatives à la détermination de la peine pour la plupart des infractions réglementaires[411]. (Traduction libre)

D’autres chercheurs ont également fait valoir qu’une plus grande uniformité dans la détermination de la peine est nécessaire et que la législation peut jouer un rôle en fournissant une approche fondée sur des principes et uniforme[412]. Il importe tout particulièrement que la législation fasse en sorte que la détermination de la peine s’aligne avec les objectifs visés par les règlements. Comme l’indique une auteure :  

De toute évidence, il faut s’attendre à certaines disparités. L’équité commande que les tribunaux adaptent leurs peines aux circonstances de chaque délinquant et de chaque infraction. Toutefois, pour être légitime, la détermination de la peine doit se fonder sur une démarche cohérente et fondée sur des principes, qui aligne cet aspect du processus de réglementation sur ses objectifs sous-jacents. Ces objectifs peuvent généralement être classés comme suit : prévention ou limitation du préjudice, amélioration de l’efficacité administrative et atteinte d’un objectif particulier qui sert l’intérêt du public[413]. (Traduction libre)   

 

Élaboration d’objectifs et de principes en matière de détermination de la peine dans d’autres compétences

Les objectifs et principes en matière de détermination de la peine adoptés dans d’autres contextes fournissent une base qui permet de se demander si des réformes similaires devraient être entreprises s’agissant de la Loi. Diverses études réalisées par la Commission de réforme du droit du Canada, des comités permanents du Parlement, la Commission canadienne sur la détermination de la peine et le gouvernement du Canada ont chacune conclu à la nécessité de dégager des principes dans le Code criminel. Le Comité permanent de la justice et du solliciteur général a procédé à un examen de la détermination de la peine et des mesures de mise en liberté conditionnelle et, dans son rapport de 1988, a formulé les commentaires suivants à propos des disparités observées dans le contexte pénal : 

Les recherches en matière de disparité des peines laissent entendre que c’est la confusion entourant le but de la détermination de la peine qui est la raison la plus souvent invoquée pour expliquer cette situation. À l’heure actuelle, les lois n’énoncent pas l’objet de la détermination de la peine. Le manque d’uniformité dans la jurisprudence semble provenir du fait qu’il est souvent impossible de combiner des éléments comme la protection de la société, la punition, la dénonciation et la dissuasion; ces éléments sont souvent contradictoires et incompatibles. Il convient donc de s’entendre sur une finalité de la détermination de la peine qui puisse orienter la magistrature et éclairer les citoyens[414]. (Traduction libre)

Ce mouvement réformateur a finalement débouché sur le dépôt du projet de loi C-41[415] qui a donné lieu à « une réforme globale du processus de détermination de la peine »[416]. Le Code criminel contient donc désormais un énoncé d’objectifs et de principes en matière de détermination de la peine[417].    

Objectif 

718  Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de contribuer, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

a) dénoncer le comportement illégal;

b) dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

c) isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

d) favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

e) assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

f) susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité. 

Principe fondamental 

718.1  La peine est proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. 

Principes de détermination de la peine 

718.2  Le tribunal détermine la peine à infliger compte tenu également des principes suivants :

a) la peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant; sont notamment considérées comme des circonstances aggravantes des éléments de preuve établissant : 

(i) que l’infraction est motivée par des préjugés ou de la haine fondés sur des facteurs tels que la race, l’origine nationale ou ethnique, la langue, la couleur, la religion, le sexe, l’âge, la déficience mentale ou physique ou l’orientation sexuelle, 

(ii) que l’infraction perpétrée par le délinquant constitue un mauvais traitement de son époux ou conjoint de fait,

(ii.1) que l’infraction perpétrée par le délinquant constitue un mauvais traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de dix-huit ans, 

(iii) que l’infraction perpétrée par le délinquant constitue un abus de la confiance de la victime ou un abus d’autorité à son égard, 

(iv) que l’infraction a été commise au profit ou sous la direction d’une organisation criminelle, ou en association avec elle, 

(v) que l’infraction perpétrée par le délinquant est une infraction de terrorisme; 

b) l’harmonisation des peines, c’est-à-dire l’infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables; 

c) l’obligation d’éviter l’excès de nature ou de durée dans l’infliction de peines consécutives; 

d) l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient;  

e) l’examen de toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones. 

Les dispositions du Code criminel n’établissent pas de hiérarchie des objectifs ou des principes, et n’indiquent pas non plus au pouvoir judiciaire comment les appliquer, ce qui a donné lieu à de vives critiques[418]. En dépit de ces difficultés, d’aucuns ont déclaré que les dispositions du Code criminel étaient préférables à l’absence d’objectifs et de principes et qu’elles permettaient de mettre un peu d’ordre dans le domaine de la détermination de la peine[419]. 

La loi de la Colombie-Britannique intitulée Public Health Act[420] est un autre exemple de texte législatif qui comporte un énoncé des objectifs et principes de détermination de la peine. Contrairement au Code criminel, cette loi établit une priorité dans les principes et exige des peines qui soient, premièrement, réparatrices dans les cas où il y a eu un préjudice; deuxièmement, conçues pour favoriser la réadaptation lorsque l’on s’attend à ce que l’auteur de l’infraction poursuive son activité réglementée; troisièmement, dissuasives lorsque la peine applicable conformément aux priorités précédentes est insuffisante et qu’une autre sanction peut être justifiée pour dissuader d’autres personnes; et quatrièmement, punitives si l’infraction était délibérée ou que d’autres circonstances aggravantes justifient la sanction. Les articles pertinents sont abordés plus en détail ci-après.

 

Introduction d’objectifs et de principes en matière de détermination de la peine dans la Loi sur les infractions provinciales

Comme avec les résultats de la recherche sur les disparités en matière de détermination de la peine sous l’empire du Code criminel, il semble qu’il existe des variations infondées dans les peines prononcées en vertu de la Loi. Le patchwork de dispositions législatives et la jurisprudence limitée de la Cour d’appel n’ont pas permis de combler les lacunes législatives. La détermination de la peine devrait avoir une base fondée sur des principes pour promouvoir au mieux les objectifs visés par les règlements et un énoncé des principes dans la Loi est adapté à cet effet.  

Plutôt que de simplement adopter les principes du Code criminel en matière de détermination de la peine, il convient d’accorder une attention particulière à la distinction entre les infractions pénales et les infractions réglementaires, et tout particulièrement, au « cycle réglementaire » évoqué précédemment[421]. Pour dire les choses simplement, il s’agit du cycle dans lequel une partie assujettie à la réglementation se livrera à une activité réglementée, où un manquement à une norme de réglementation sera détecté et résolu (p. ex. au moyen d’une lettre d’avertissement, d’une sanction administrative pécuniaire, ou de poursuites avec condamnation à une amende), à la suite de quoi la partie assujettie à la réglementation reprendra en général son activité réglementée. Les entreprises ou les particuliers continueront à transporter des déchets, à conduire leur véhicule, à exploiter une usine de fabrication ou à répandre des biosolides dans une ferme. En effet, il est dans l’intérêt de la société que la personne condamnée poursuive son activité réglementée, mais qu’elle le fasse dans le respect de la réglementation, plutôt qu’elle soit contrainte de cesser de l’exercer.   

Lorsqu’une infraction provinciale a été commise, une détermination de la peine appropriée et cohérente nécessite de reconnaître le cycle réglementaire. Par conséquent, le tribunal doit regarder « non seulement en arrière pour observer la conduite qui a débouché sur le manquement, mais aussi vers l’avant, dès lors que le défendeur continuera souvent de se livrer à l’activité réglementée après l’imposition de la sanction »[422]. (Traduction libre) Par conséquent, lorsque le tribunal se prononce sur la peine, il devrait se demander quelle réponse est la plus à même de favoriser le respect de la norme dans le futur, « ce qui est très différent du contexte pénal dans lequel les défendeurs sont punis pour leur comportement fautif antisocial ou immoral »[423]. C’est là la distinction fondamentale entre la détermination de la peine dans les affaires pénales et les infractions réglementaires et il doit en être tenu compte pour élaborer des principes de détermination de la peine dans le domaine des infractions réglementaires et pour envisager la corrélation existant entre ces principes[424].  

Pour bien comprendre le cycle réglementaire et ses implications dans le domaine de la détermination de la peine, il est nécessaire de se pencher sur les tendances en matière d’application des règlements. Les normes de réglementation tendent à ne plus être basées sur des modèles[425]. Les règlements basés sur des modèles précisent la façon dont un acte doit être accompli et sont clairs et directs (p. ex. l’exploitant doit poser un absorbeur n° 2 sur chaque cheminée)[426]. On leur a toutefois reproché de ne pas s’adapter facilement à l’évolution de la technologie et des compétences, au détriment de l’efficacité et de l’innovation[427]. Un règlement trop restrictif ou rigide est susceptible d’affecter indument le fonctionnement efficace des activités. On peut lire dans un rapport consacré au secteur financier que de telles normes prescriptives ne répondent pas suffisamment rapidement aux changements intervenant sur le marché, constituent un fardeau pour l’industrie et ne permettent pas de prévenir les actes répréhensibles[428].  

Les stratégies plus récentes de réglementation produisent des règlements basés sur les résultats, le rendement ou les principes. Ces types de règlements se distinguent comme suit[429] :  

  1. Les règlements « basés sur les résultats » quantifient le résultat à atteindre (p. ex. l’exploitant doit faire en sorte que les émissions d’une cheminée contiennent moins de x parties par million d’oxyde nitreux).  
  2. Les règlements « basés sur le rendement » ne quantifient pas le résultat à atteindre (p. ex. l’exploitant doit faire en sorte que la teneur en oxyde nitreux des émissions ne soit pas nuisible pour l’environnement).
  3. Les règlements « basés sur les principes » fixent des normes de comportement (p. ex. l’exploitant doit disposer des cadavres d’animaux d’une manière écologique).  

Ces stratégies sont plus souples sur le plan opérationnel pour les personnes assujetties à la réglementation, mais les deux dernières laissent également plus de place à l’incertitude quant aux obligations. L’obligation de disposer d’un épurateur donné est moins souple, mais elle est également plus claire que celle de faire en sorte que l’exploitation fonctionne de manière écologique. Lorsqu’une norme de réglementation incertaine donne lieu à des poursuites, le tribunal appelé à se prononcer sur la peine doit tenir compte de l’absence de certitude de la norme; il doit par ailleurs se demander si la peine peut être utilisée pour aider le défendeur à déterminer ce qu’exige la norme et comment la peine aidera à observer les normes à l’avenir[430].  

Cette nouvelle tendance s’est accompagnée d’une démarche d’exécution moins accusatoire[431] et d’un recours accru aux outils d’exécution indiqués au bas de la pyramide réglementaire abordée dans la section II.B du présent rapport. Les lettres d’avertissement, la formation et les tentatives de persuasion par l’organisme de réglementation devraient être utilisées avant que ne soient invoquées les approches placées au sommet de la pyramide, telles que les enquêtes, les poursuites et la suspension de permis. Lorsque le tribunal prononce une peine, il devrait tenir compte des tentatives d’observation antérieures et de la réponse du défendeur à ces tentatives. Le tribunal doit également tenir compte de l’effet de la peine sur les rapports futurs entre l’organisme de réglementation et la personne concernée. Selon toute vraisemblance, l’organisme de réglementation et la partie assujettie à la réglementation continueront de traiter l’un avec l’autre et le tribunal doit se demander si la peine pourrait en fait être utilisée pour favoriser une application collaborative à l’avenir[432]. M. Libman résume ces considérations de la façon suivante : 

Pour dire les choses autrement, tenir compte de la relation antérieure entre la partie assujettie à la réglementation et l’organisme de réglementation, des répercussions de la peine infligée par le tribunal sur l’aptitude des parties à aller de l’avant et à instaurer de nouveau une relation de travail non conflictuelle et collaborative[433]. (Traduction libre) 

Après avoir considéré les nouvelles stratégies de réglementation, Sherie Verhulst estime que le tribunal chargé de déterminer la peine applicable dans le cas d’une infraction prévue par la loi de la Colombie-Britannique intitulée Offence Act[434], l’équivalent de la Loi sur les infractions provinciales en Ontario, devrait passer par les cinq étapes suivantes :  

encourager la présentation de positions communes sur les facteurs aggravants ou atténuants et la peine à infliger (« présentation de positions communes »);

 

  1. dans la mesure du possible et du raisonnable, infliger une peine qui remédie à la violation (p. ex. indemnisation, probation, ordonnances communautaires) (« réparation »); 
  2. s’il est probable que le délinquant continuera de se livrer à l’activité réglementée après l’imposition de la peine, mais que son comportement doit changer pour éviter des violations futures, infliger une peine qui favorise les changements nécessaires à la prévention de violations futures (p. ex. probation, service communautaire) (« réadaptation »); 
  3. infliger une peine qui favorisera le changement du comportement de tiers, mais seulement si le tribunal est convaincu que cela va dans le sens d’un objectif de la réglementation et lorsque les sanctions axées sur la réparation et la réadaptation sont insuffisantes étant donné les circonstances de l’affaire (p. ex. service communautaire, amendes) (« dissuasion »); 
  4. si les circonstances aggravantes le justifient, infliger une peine qui sanctionne et punit le comportement du délinquant (p. ex. ordonnances de publication, ordonnance de cessation des activités de façon temporaire ou permanente) (« punition »)[435].  

L’approche de Sherie Verhulst envisage une hiérarchie des principes dont le tribunal doit tenir compte aux fins de détermination de la peine[436]. Une telle hiérarchie a été considérée comme une amélioration par rapport à l’approche du Code criminel, lequel n’établit aucune priorité et fournit peu d’indications sur la façon d’appliquer ses principes et objectifs en matière de détermination de la peine[437].  

M. Libman fait remarquer que chaque étape individuelle dans la hiérarchie est bien ancrée dans la jurisprudence concernant les infractions réglementaires. Les principes de dissuasion et de dénonciation sont considérés comme des principes de détermination de la peine traditionnels conformes à la jurisprudence Cotton Felts, mais désormais les principes de réparation et de réadaptation sont expressément inscrits et ils prennent le pas sur la dissuasion. Cette approche s’inscrit dans une vision contemporaine du droit réglementaire qui envisage la persuasion comme un facteur de motivation plus fort que la punition et dans un système d’exécution des peines qui est souple et susceptible de s’adapter aux stratégies de réglementation plus récentes. 

Mme Verhulst et M. Libman proposent des arguments pour chacune des étapes. Le premier consiste en l’encouragement de la présentation de positions communes par le procureur et la défense mettant en évidence les facteurs aggravants ou atténuants ainsi que la sanction qui devrait selon eux être infligée par le tribunal. Pour les affaires complexes qui mettent en cause un règlement basé sur le rendement ou basé sur les principes, cette première étape pourrait s’avérer extrêmement utile. L’organisme de réglementation et les personnes assujetties à la réglementation, dotés chacun de connaissances que ne possède pas nécessairement le tribunal, peuvent proposer une peine qui favorisera les objectifs du règlement et qui peut être choisie en fonction de la capacité de la personne assujettie à la réglementation à se conformer aux conditions de la peine. On peut alors envisager des peines plus créatives de nature à favoriser un meilleur respect de la réglementation à l’avenir. En outre, des peines approuvées par les parties concernées favorisent une meilleure compréhension des positions de chacune d’elles, ce qui va dans le sens d’une coopération accrue pour l’avenir[438]. Le recours à une présentation de positions communes au lieu d’une punition purement imposée par le tribunal peut également favoriser le respect futur de la réglementation. Comme l’indiquent Ian Ayres et John Braithwaite : 

Lorsque la punition est placée au premier plan des mesures réglementaires plutôt que le dialogue, la psychologie humaine veut que les personnes concernées trouvent la mesure humiliante, éprouvent du ressentiment et fassent preuve de résistance notamment en abandonnant l’autoréglementation[439]. (Traduction libre) 

La présentation de positions communes sur les facteurs aggravants ou atténuants et la peine à infliger peut s’avérer très utile, mais pas nécessairement pratique dans tous les cas visés par la Loi. Premièrement, nombre de parties comparaissant devant le tribunal, en particulier pour des infractions mineures à la Loi, n’auront pas de formation juridique ou assureront elles-mêmes leur représentation; il se peut donc qu’elles ignorent les facteurs aggravants ou atténuants ou l’éventail de peines adaptées. Deuxièmement, même en cas de transaction, bien souvent les parties ne seront pas en mesure de se mettre d’accord sur d’éventuels facteurs aggravants ou atténuants et le tribunal devra déterminer si de tels facteurs existent. Pour ces raisons, nous pensons qu’une entente sur les facteurs aggravants ou atténuants ou sur la peine à infliger ne doit pas être une exigence dans tous les cas. Nous pensons plutôt que le tribunal devrait simplement être prêt à entendre toute entente sur ces questions éventuellement conclue par les parties. En cas de consensus autour de ces facteurs, celui-ci permettra de faire en sorte que toutes les considérations pertinentes pour la détermination de la peine soient présentées au tribunal, et supprimera la nécessité de résoudre des conflits factuels à propos de leur application. Lorsque les parties n’arriveront pas à s’entendre, le tribunal devra résoudre ces difficultés factuelles afin d’arriver à une base correcte sur laquelle il pourra s’appuyer pour prononcer la peine.   

Dans de nombreux cas, les mesures de réparation peuvent être une première approche appropriée pour la détermination de la peine. Le tribunal envisagera les ordonnances qui visent à réparer le préjudice subi. Lorsqu’une personne se livre volontairement à une activité réglementée et que sa conduite illégale cause un préjudice, le bon sens et l’équité commandent que le préjudice soit réparé par la personne qui en est à l’origine. Les personnes assujetties à la réglementation devraient assumer la responsabilité de leurs actes au moyen de sanctions ayant un lien logique avec l’infraction[440]. La réparation est importante, car elle vise à replacer la victime dans la situation dans laquelle elle se trouvait avant la violation de la règle et elle est conforme aux principes de justice réparatrice[441]. 

Des outils comme l’indemnisation, les ordonnances de probation et les services à la communauté peuvent être des outils bien plus efficaces que les amendes lorsqu’il s’agit de réparer le préjudice et les circonstances de l’espèce peuvent commander qu’ils soient préférés aux amendes. La détermination du montant approprié de l’amende est souvent une tâche difficile et parfois les amendes ne modifient pas directement le comportement du délinquant ou ne permettent pas d’atteindre les objectifs établis par la réglementation[442]. Les amendes peuvent être perçues comme étant un simple coût de fonctionnement des entreprises et, une fois encaissées dans les coffres de l’État, elles ne sont pas nécessairement allouées à la réparation du préjudice subi. 

Le principe de réparation peut s’avérer plus difficile à mettre en œuvre lorsqu’il n’y a eu aucun préjudice réel et que c’est davantage l’atteinte d’un objectif particulier touchant à l’intérêt général qui est compromise. Néanmoins, le tribunal reste capable de concevoir une peine visant la réparation dans de telles circonstances[443]. Par exemple, si un délinquant est responsable d’un déversement dans un lac, mais qu’on ignore les effets néfastes immédiats, le tribunal peut exiger qu’une étude à long terme des effets toxiques des matières déversées soit menée par un chercheur indépendant aux frais du contrevenant. De même, en l’absence de préjudice physique entraîné par des produits chimiques découverts dans une maison de soins infirmiers, le tribunal peut ordonner que le personnel soit mieux formé à l’utilisation de produits chimiques toxiques. Ces peines seraient plus utiles en ce qu’elles obligeraient le délinquant à s’intéresser directement à l’atteinte des objectifs de la réglementation.  

Après la réparation, la réadaptation du contrevenant peut être particulièrement appropriée lorsqu’il est probable que ce dernier continuera de se livrer à l’activité réglementée après l’infliction de la peine[444]. L’objectif du tribunal est de déterminer une peine qui encourage et aide le délinquant à se conformer aux normes de réglementation à l’avenir. La société a souvent intérêt à ce que la personne poursuive son activité dans le respect de la réglementation plutôt qu’elle cesse purement et simplement son activité; par conséquent, les ordonnances de réadaptation sont préférables aux suspensions de permis ou aux amendes écrasantes. Par exemple, il est préférable que les portes d’une maison de soins infirmiers restent ouvertes de façon sécuritaire pour ceux et celles qui ont besoin de services d’assistance et de logement, plutôt que de faire fermer l’établissement complètement. 

La recherche suggère que les organisations passent par trois étapes s’agissant de la conformité aux obligations réglementaires. Compte tenu de ces trois phases, les tribunaux devraient tenir compte de la situation particulière dans laquelle se trouve l’organisation au moment de déterminer des peines visant la réadaptation. Dans le cadre de la première étape, l’organisation s’engage à se conformer à la réglementation. Dans la deuxième phase, l’organisation doit apprendre comment se conformer à ladite réglementation. Dans la troisième phase, elle doit institutionnaliser la mise en conformité au moyen de procédures d’exploitation uniformisées, d’évaluations du rendement et d’une culture de l’organisation[445]. Donc, si l’organisation se trouvait dans la deuxième phase de conformité, le tribunal pourrait ordonner, comme condition de la probation, que certains employés suivent une formation pour apprendre comment  se conformer aux normes de réglementation. Si elle se trouvait dans la troisième phase, le tribunal pourrait exiger de l’entreprise qu’elle embauche un expert pour l’aider à mettre au point des procédures d’exploitation uniformisées conformes aux normes de réglementation.  

Si l’objectif est la réadaptation, la probation est préférable aux amendes. L’expérience suggère que si les amendes dissuadent certains types de comportement[446], elles ne changent pas les attitudes ou le comportement à long terme[447]. Nous discutons ci-après de la nécessité d’élargir les pouvoirs conférés par la Loi aux tribunaux afin de leur permettre d’imposer une probation, car celle-ci peut jouer un rôle crucial dans la mise en œuvre du principe de réadaptation. D’autres outils comme un « vérificateur intégré » sont également de nature à favoriser l’objectif de réadaptation. 

Les ordonnances de probation devraient être axées sur les facteurs comportementaux qui favorisent la conformité à la réglementation. Dans la section II.B., nous citions des auteurs qui suggèrent que les parties assujetties à la réglementation sont souvent disposées à observer les normes de réglementation, non pas par crainte d’une amende, mais en raison d’autres facteurs. Il peut s’agir du maintien d’une bonne réputation, du désir de faire ce qu’il faut, de la volonté d’être fidèle à son image de citoyen respectueux des lois et d’assumer une certaine responsabilité sociale[448]. Ces facteurs de motivation devraient servir de points de départ pour des ordonnances de probation proportionnelles et adaptées aux cas de manquement à des dispositions réglementaires qui favoriseront la conformité, plutôt que de déboucher sur une amende classique comme réponse première. 

Quatrièmement, le tribunal devrait considérer le principe de dissuasion du public. Après avoir fait remarquer que la dissuasion du public avait été le principal objectif de la détermination de la peine dans le domaine des infractions réglementaires, Mme Verhulst affirme que ce principe ne devrait plus se trouver au premier plan et qu’il devrait laisser la place à d’autres principes de détermination de la peine pressants pour les motifs suivants :  

a)      compte tenu de la nécessité de tenir compte de l’effet de la totalité de la peine sur un délinquant, le fait de mettre l’accent sur la dissuasion laisse peu de place pour les mesures axées sur la réparation et la réadaptation, or, si l’on veut que les objectifs de la réglementation soient atteints, ces considérations devraient être prioritaires;

b)      que ce soit dans le contexte du droit pénal ou dans celui du droit réglementaire, les études montrent que la dissuasion du public, et en particulier les sanctions très sévères à cette fin, ne réussit pas à faire changer les comportements à long terme;

c)       il est injuste de punir une personne pour anticiper les éventuels manquements d’autres personnes;

d)    le succès d’un règlement basé sur le rendement ou sur des principes, et de stratégies d’exécution moins accusatoires, repose sur le postulat selon lequel les personnes les plus assujetties à la réglementation font preuve dans une large mesure de bonne volonté et ne se contentent pas de répondre aux menaces de sanction formelle; l’infliction d’une sanction aux fins de dissuasion du public va à l’encontre de ce postulat[449]. (Traduction libre) 

Une sanction basée sur la dissuasion du public ne devrait être imposée que si deux conditions sont réunies :    

Tout d’abord, si le tribunal a des raisons de croire que l’objectif de la sanction serait conforme à celui du règlement; deuxièmement, si la totalité de la peine ne serait pas disproportionnée au regard des sanctions déjà infligées au titre de la réparation et de la réadaptation[450]. (Traduction libre) 

Cette approche est conforme au modèle de la pyramide réglementaire. Lorsque les sanctions au bas de l’échelle de la pyramide ont été tentées sans succès, ou lorsqu’une sanction moindre serait tout à fait inadaptée compte tenu des circonstances aggravantes d’un délinquant donné, une sanction plus sévère pourrait bien s’imposer. Une sanction basée sur la dissuasion du public pourrait être justifiée en cas, par exemple, de problème systémique au sein de l’industrie réglementée.  

En termes de sévérité de la sanction, celle-ci doit signifier à la collectivité que le non-respect ne sera pas toléré. Nous préconisons d’élargir l’explication de la dissuasion du public donnée dans la jurisprudence Cotton Felts Ltd. pour inclure d’autres types de sanctions que les amendes, mais comme il a été dit dans cette affaire, la sanction infligée doit avertir le public que l’infraction ne sera pas tolérée sans pour autant être sévère. En revanche, la sanction ne doit pas être perçue comme de simples droits de licence[451]. Il convient de se demander si une amende est en fait la peine la plus appropriée dès lors qu’elle peut suggérer « que le délinquant se tire d’affaire à coup d’argent »[452]. Les ordonnances de probation ou les ordonnances de publication portant à la connaissance du public l’infraction commise par le délinquant, ainsi que la sanction, pourraient bien être des facteurs de motivation plus efficaces pour promouvoir l’observation de la règle.  

Enfin, le tribunal ne devrait recourir à la dénonciation qu’en présence de facteurs aggravants suffisants. De façon unanime, les juges de la Cour suprême du Canada décrivaient comme suit l’objectif de dénonciation :

L’objectif de dénonciation requiert qu’une peine traduise également le fait que la société condamne la conduite d’un contrevenant particulier. Bref, une peine qui comporte un élément dénonciateur représente une déclaration collective symbolique à l’effet qu’on devrait châtier le comportement du contrevenant parce qu’il a enfreint le code des valeurs fondamentales de notre société telles qu’enchâssées dans les règles de fond de notre droit pénal[453].  

Pour déterminer s’il existe des facteurs aggravants qui justifient une sanction contenant un élément dénonciateur, le tribunal devrait s’attacher davantage à la conduite du délinquant qu’à l’infraction elle-même. Les facteurs à considérer seraient alors la conduite délibérée ou imprudente (le fait d’ignorer les agents chargés de la réglementation par exemple), les manquements répétés à l’obligation d’agir avec la diligence requise, le point de savoir si le respect de la réglementation aurait pu être atteint à peu de frais ou facilement ou si le risque de préjudice était élevé.  

La dénonciation peut également s’avérer adaptée dans le cas d’une infraction ayant entraîné la mort ou des répercussions de grande envergure et à long terme. Cependant, le préjudice réel, tout en étant pertinent, ne devrait pas être une condition préalable pour le recours à une sanction contenant un élément dénonciateur. Par exemple, une personne qui met délibérément en danger la santé publique en dépit des avertissements répétés des agents chargés de la réglementation pourrait bien mériter une sanction exemplaire. 

Mme Verhulst estime également que la dénonciation devrait être utilisée avec retenue de façon à laisser plus de place aux sanctions visant la réparation et la réadaptation. Un usage répandu de la dénonciation compromettrait les approches non accusatoires de l’exécution. Ceci s’explique par le fait que des réponses sévères des tribunaux, qui prononceraient par exemple des peines d’incarcération et de révocation de permis, rendraient les organismes de réglementation réticents à engager des poursuites, ce qui finalement compromettrait les approches non accusatoires qui reposent sur une menace crédible de sanctions plus sévères[454]. Ceci est tout à fait conforme aux études menées par Ian Ayres et John Braithwaite. Ces auteurs avaient en effet observé que les parties assujetties à la réglementation sont davantage disposées à collaborer avec les organismes de réglementation au bas de la pyramide; toutefois, en cas de non-conformité à la réglementation, la dénonciation par le recours au « gros bâton » doit toujours être un outil disponible[455].  

La loi de la Colombie-Britannique intitulée Public Health Act adopte l’approche proposée par Mme Verhulst. Les articles 105 et 106 sont traduits ci-dessous :   

Détermination de la peine

105  (1) Avant de prononcer une peine, le juge peut demander à l’auteur de l’infraction et au procureur d’établir une entente portant sur les éléments suivants :

(a) les circonstances qui devraient être considérées par le juge qui prononce la peine comme aggravant ou atténuant la gravité de l’infraction`;

(b) la sanction à infliger. 

(2) Pour déterminer la peine appropriée, le juge doit tenir compte, conformément aux règlements, des circonstances qui aggravent ou atténuent l’infraction. 

(3) Pour déterminer la peine appropriée, le juge doit :

a) tenir compte des objectifs de la détermination de la peine énoncés dans l’article 106 [objectifs de la peine];

b) pour concrétiser ces objectifs,

(i)  d’abord, envisager à titre de sanction, une ou plusieurs des ordonnances qui peuvent être prises en application de l’article 107 [autres sanctions];

(ii)  ensuite, déterminer s’il est également nécessaire de prononcer une peine d’amende ou d’emprisonnement en application de l’article 108 [amendes et emprisonnement]. 

Objectifs de la détermination de la peine 

106  (1) Lorsqu’il prononce une peine, le juge peut infliger une ou plusieurs sanctions afin de satisfaire les objectifs énoncés ci-dessous dans l’ordre de priorité :  

a) d’abord,

(i)  si un préjudice a été causé, réparer le préjudice ou indemniser la personne qui a réparé le préjudice ou en a été victime, y compris le gouvernement;

(ii)  si aucun préjudice n’a été causé, prendre acte du préjudice potentiel ou favoriser l’atteinte de l’objectif de la réglementation en soulignant la disposition qui a été enfreinte;

b) ensuite, si l’infraction a été commise dans le cadre d’une activité réglementée ou d’une autre activité que le délinquant continuera vraisemblablement d’exercer, permettre la réadaptation de l’auteur de l’infraction.

(2) En plus d’infliger une sanction en application du paragraphe (1), le juge qui prononce la peine peut infliger une ou plusieurs sanctions en application du paragraphe (3) ou (4), à moins que ce ne soit disproportionné par rapport à l’infraction compte tenu de la nature de l’infraction et du total des sanctions infligées en application de cet article.

(3) Le juge qui prononce la peine peut infliger une sanction dans un but de dissuasion du public s’il croit raisonnablement que la sanction supplémentaire aura un effet dissuasif, notamment :

a) parce que la sanction infligée en application du paragraphe (1) ne répond pas de façon adéquate aux circonstances entourant l’infraction, ou  

b) parce que la nature de la sanction peut

(i)  soit aider d’autres personnes qui se trouvent dans la même situation que le délinquant à éviter de commettre une infraction similaire;

(ii)  soit éduquer d’autres personnes qui se trouvent dans la même situation que le délinquant sur la manière de respecter la gravité de l’infraction. 

(4) Le juge qui prononce la peine peut infliger une sanction pour punir le délinquant si l’une ou l’autre des conditions suivantes sont satisfaites : 

a) le délinquant a commis l’infraction en connaissance de cause ou délibérément, ou a fait preuve d’insouciance quant aux conséquences de l’infraction;

b) il existe des circonstances aggravantes suffisantes justifiant que le délinquant soit puni pour l’infraction commise. 

Nous sommes persuadés qu’il est nécessaire d’adopter une nouvelle approche en matière de détermination de la peine, une approche qui serait d’application générale pour toutes les infractions poursuivies en vertu de la Loi, sauf lorsque la loi qui crée l’infraction prévoit l’application de principes différents ou supplémentaires. Nous sommes conscients qu’une loi peut prescrire un ensemble différent de principes spécifiques en matière de détermination de la peine, et ce, afin de promouvoir les objectifs de la réglementation; ces principes doivent toujours avoir préséance sur les principes généraux prescrits en la matière par la Loi. 

Nous recommandons que les principes généraux en matière de détermination de la peine proposés par Mme Verhulst et par M. Libman servent de modèle pour les infractions réglementaires régies par la Loi. Cependant, nous ne croyons pas que ces principes devraient s’appliquer suivant un ordre hiérarchique tel que le prévoit la Public Health Act en Colombie-Britannique. Étant donné l’éventail d’infractions régies par la Loi, nous nous demandons si l’application rigide et systémique de ces principes dans chaque cas fondé sur la Loi n’entraînerait pas inutilement un certain niveau de complexité et ne prolongerait pas de manière indue les audiences de détermination de la peine. À la place, le pouvoir judiciaire devrait avoir connaissance de ces principes de détermination de la peine et pouvoir les utiliser de façon flexible afin de mieux répondre aux besoins de chaque espèce et aux objectifs de la loi qui crée l’infraction. Nous tenons compte de la critique émise à l’encontre des principes de détermination de la peine dans le Code criminel, lesquels ne sont pas définis suivant une hiérarchie. Néanmoins, le nouvel article relatif à l’objet de la Loi prévoit que la Loi soit appliquée de manière à promouvoir, entre autres, le respect de la législation créatrice de l’infraction. Par conséquent, on peut s’attendre à ce que cet article principal sur l’objet soit à l’origine d’une réduction du recours aux amendes comme première réponse en matière de détermination de la peine et d’une hausse de l’application des principes de réparation et de réadaptation. 

Comparé à l’actuel paradigme « dissuasion et amende » qui a prévalu dans le cadre de la Loi ces 25 dernières années au moins, le nouveau modèle proposé est réactif, souple et mieux adapté pour favoriser la conformité aux nouvelles stratégies de réglementation. Il serait d’application générale et particulièrement utile dans le cas des infractions pour lesquelles il n’existe aucun principe en matière de détermination de la peine, mais il serait assujetti à d’autres principes spécifiques et éventuellement différents lorsqu’ils sont énoncés expressément par la loi créant l’infraction. Les principes de détermination de la peine proposés fournissent des instructions claires permettant au pouvoir judiciaire de concevoir des peines adaptées aux différents types d’infractions et de délinquants, et permettant une meilleure rationalisation des peines par les cours d’appel et entre les différentes affaires présentant des faits similaires. 

Certaines des personnes ayant contribué à nos consultations ont fait part de leur inquiétude à propos de la distance prise à l’égard des amendes et du principe de dissuasion comme principe premier en matière de détermination de la peine. Les poursuivants en charge des infractions provinciales affirment que, selon leur expérience, les amendes constituent la « base » pour ce qui est de contrôler la conduite des parties assujetties à la réglementation. Ils n’approuveraient pas les études suggérant que des facteurs autres que les amendes motivent la conformité à la réglementation. Ils nous ont indiqué que les entreprises subissent les effets d’une amende substantielle et suivent de près la façon dont leurs concurrents sont condamnés sur le terrain des infractions provinciales.  

La peine d’amende en tant qu’outil de détermination de la peine restera disponible et devra continuer à être utilisée à des fins dissuasives lorsque les circonstances d’une espèce donnée le justifient. Les amendes salées autorisées par la législation créatrice d’infractions resteraient disponibles et continueraient à être ordonnées si elles s’avéraient être le moyen le plus efficace de promouvoir la conformité. La seule différence avec l’introduction de principes en matière de détermination de la peine serait qu’un juge pourrait désormais envisager ces autres principes. Il pourrait en résulter des peines coûteuses, affectant tout autant les profits nets et la compétitivité des entreprises qu’une peine d’amende, mais axées sur la réparation ou la réadaptation. On pense par exemple aux coûteuses opérations de dépollution ou aux ordonnances visant la modernisation ou l’amélioration de l’équipement pour le rendre conforme à des normes plus exigeantes en termes de sécurité et de protection de l’environnement. En outre, l’entreprise contrevenante pourrait être condamnée à payer une amende en plus de ces mesures visant la réparation ou la réadaptation.  

Les nouveaux principes en matière de détermination de la peine permettraient au tribunal de disposer d’une plus grande souplesse et d’une meilleure connaissance pour déterminer une peine appropriée favorisant les objectifs législatifs et le respect des lois. 

Nous ne proposons pas que les parties soient obligées de présenter des positions communes sur les facteurs aggravants ou atténuants ou sur la peine recommandée. Nombre de plaideurs non représentés ne seront pas en mesure de s’entendre sur les facteurs aggravants ou atténuants ou sur une peine. Nous recommandons que les parties soient encouragées à le faire lorsque cela semble approprié et que le tribunal tienne compte de ces positions communes lorsqu’elles ont été présentées par les parties. Concrètement, il est probable que des positions communes ne soient jamais présentées dans le cas des infractions les plus courantes, même s’il pourrait y avoir des cas dans lesquels elles pourraient s’avérer intéressantes et utiles et que nous ne voulons pas écarter cette possibilité. En revanche les positions communes peuvent être extrêmement utiles pour la détermination de la peine dans le cas des infractions plus graves qui impliquent un préjudice grave pour des personnes physiques ou qui seraient susceptibles de justifier une peine de nature punitive. Par conséquent, selon nous, l’application de cette recommandation n’est pas particulièrement exigeante compte tenu de ses bienfaits potentiels.  

Il est important de comprendre que l’introduction de principes de détermination de la peine ne vise pas à compliquer encore le processus ou à le retarder de façon arbitraire. Cela ne devrait pas non plus être un exercice pro forma appliqué à toutes les infractions qui ne sont pas soumises aux principes établis par une loi créant l’infraction. Le but est de faire en sorte que la détermination de la peine soit plus uniforme et proportionnelle à l’infraction et aux circonstances liées au délinquant, et rendre par là même le processus plus efficace. Nous ne proposons pas que la Loi inclue une hiérarchie de solutions que les juges se sentiraient obligés de suivre dans l’ordre, mais nous proposons plutôt que la Loi contienne des principes qui régiront un éventail plus large de solutions. Les infractions fondées sur la partie I actuelle de la Loi sont soumises à ces principes et solutions, mais la plupart du temps, il ne sera pas nécessaire – voire inefficace – d’envisager l’application de tous les principes ou le caractère pertinent des diverses solutions. Dans la mesure où 80 % des infractions fondées sur la partie I sont des infractions au Code de la route qui sont efficacement réglées par le biais d’amendes (et un système de points de démérite), il n’y a pas besoin de compliquer les procédures en envisageant d’autres options. Néanmoins, dans certains cas, il pourrait être utile qu’un juge ait accès à des dispositions plus innovantes, par exemple, lorsqu’un conducteur ayant accumulé le nombre de points de démérite suffisant pour perdre son permis, a besoin de son véhicule pour travailler et subvenir ainsi aux besoins de sa famille. Il y a également certaines infractions poursuivies en vertu de la partie I (par exemple, en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail) qui pourraient aussi être poursuivies en vertu de la partie III; dans certains cas, il pourrait être plus efficace à long terme d’imposer une ordonnance de réparation ou de réadaptation qui pourrait éviter un préjudice plus grave à l’avenir. Par conséquent, nous recommandons que les principes, ainsi qu’une gamme accrue de solutions soient appliqués à toutes les infractions, mais nous prévoyons que leur utilisation adaptée entraînera une application limitée aux infractions de la partie I et plus importante aux infractions de la partie III.

 

La CDO formule les recommandations suivantes : 

16.       La Loi devrait être modifiée pour fournir un énoncé de principes d’application générale en matière de détermination de la peine qui sera utilisé par le tribunal comme lignes directrices aux fins de détermination de la peine dans les instances introduites en application de la partie III, sous réserve d’autres dispositions ou principes ou de dispositions ou principes différents prescrits par la loi créant l’infraction. 

17.       L’énoncé des principes de détermination de la peine devrait comprendre les quatre principes suivants :  

(i)                 Infliger une peine qui remédie à la violation dans la mesure du possible et du raisonnable (« réparation »);

(ii)               S’il est probable que le délinquant continuera de se livrer à l’activité réglementée après l’imposition de la peine, mais que son comportement doit changer pour éviter des violations futures, infliger une peine qui favorise les changements nécessaires à la prévention de violations futures (« réadaptation »);

(iii)             Infliger une peine qui favorise le changement du comportement de tiers (p. ex. dissuader d’autres personnes de commettre la même infraction ou une infraction similaire), mais seulement si le tribunal est convaincu que cela va dans le sens d’un objectif de la réglementation et lorsque les sanctions axées sur la réparation et la réadaptation sont insuffisantes étant donné les circonstances de l’affaire (« dissuasion »);

(iv)              Imposer une sanction qui dénonce et punit le comportement du délinquant, si des circonstances aggravantes le justifient (« dénonciation »).

18.       Lors des audiences de détermination de la peine, notamment dans le cas d’infractions régies par la partie III, les parties devraient être invitées à soumettre des présentations conjointes sur les circonstances aggravantes et atténuantes ainsi que sur la peine à infliger.
 

 

 

3.   Outils de détermination de la peine

Les dispositions actuelles de la Loi en matière de détermination de la peine sont trop limitées pour permettre aux tribunaux de mettre en œuvre correctement les principes et objectifs de détermination de la peine recommandés dans la section précédente. On insiste trop sur les amendes, sans tenir compte des autres possibilités, ce qui laisse peu de place à des peines de nature à davantage favoriser l’atteinte des objectifs de la réglementation. Pour que les tribunaux soient en mesure de « concevoir la peine la plus appropriée », il est essentiel qu’ils disposent d’un « vaste éventail de peines »[456], dans la mesure où « les tribunaux ne seront pas en mesure de jouer un rôle efficace dans le cycle réglementaire si on ne leur donne pas les outils de détermination de la peine qui permettent d’y parvenir »[457]. (Traduction libre) En particulier, si le tribunal doit mettre en œuvre les principes recommandés dans la section précédente en matière de détermination de la peine, il doit disposer des outils nécessaires pour concrétiser lesdits principes.  

Il ne s’agit pas dans le cadre du présent rapport de recenser l’ensemble des possibilités en matière de détermination de la peine qui pourraient convenir à toutes les infractions provinciales. Notre étude portera plutôt sur les outils supplémentaires qui devraient être introduits dans la Loi qui auraient vocation à s’appliquer à l’ensemble des lois de nature réglementaire.

 

Ordonnances de probation 

La Loi permet au tribunal de rendre une ordonnance de probation dans une instance introduite au moyen du dépôt d’une dénonciation, à moins que l’infraction commise n’entraîne la responsabilité absolue[458]. D’après le paragraphe 72(2) de la Loi, l’ordonnance de probation est réputée contenir un certain nombre de conditions standard et le paragraphe 72(3) permet au tribunal de prescrire quatre types de conditions supplémentaires, mais uniquement dans des circonstances bien précises. Ces circonstances sont, selon nous, trop restrictives pour permettre aux tribunaux de mettre en œuvre les principes de détermination de la peine axés sur la réparation et la réadaptation. 

Premièrement, aux termes de l’alinéa 72(3) a), l’indemnisation ou la restitution ne peut être ordonnée comme condition dans une ordonnance de probation que lorsqu’elle est autorisée par une loi. Cela signifie que le juge peut ordonner une mesure d’indemnisation ou de restitution pour certaines lois de nature réglementaire en Ontario, mais pas pour d’autres. Si l’on introduit la réparation comme principe de détermination de la peine, un mécanisme de détermination de la peine doit être disponible pour concrétiser ce principe. Nous remarquons qu’il existe un grand nombre d’infractions qui n’entraînent pas de préjudice (p. ex. nombre d’infractions poursuivies en vertu de la partie I); toutefois, ceci ne devrait pas empêcher la mise à disposition de manière générale d’une peine de nature réparatrice pour les infractions ayant causé un préjudice. L’Ontario semble à la traîne dans ce domaine, car les lois de procédure générale d’autres provinces donnent de larges pouvoirs aux tribunaux pour rendre des ordonnances de restitution ou d’indemnisation[459]. 

Deuxièmement, l’alinéa 72(3) b) permet au tribunal d’exiger que le défendeur exécute des services à la communauté, mais uniquement dans le cas des infractions punissables d’emprisonnement et avec le consentement du défendeur. La raison d’être de cette limitation semble être liée au fait que les services à la communauté sont perçus comme étant une atteinte à la liberté du délinquant et que, par conséquent, cette sanction ne devrait être disponible qu’à titre d’alternative lorsque l’emprisonnement est une des sanctions autorisées[460]. Cependant, la législation dans d’autres provinces permet au tribunal d’imposer des services à la communauté et la disponibilité de cette mesure n’est pas subordonnée au consentement du défendeur ou au fait que l’infraction soit punissable d’une peine d’emprisonnement[461]. Par ailleurs, l’affirmation selon laquelle les services à la communauté seraient uniquement une alternative appropriée à l’emprisonnement n’est plus vraie aujourd’hui. La mesure peut constituer une alternative efficace à l’amende dans les cas où le délinquant serait incapable de la payer[462], et lorsqu’elle serait de nature à « favoriser la réadaptation du délinquant qui assumerait davantage la responsabilité de son méfait, ou à prendre acte des répercussions de l’acte du délinquant sur une victime »[463]. (Traduction libre) Il est vrai que les services à la communauté dans une certaine mesure empiètent sur la liberté du délinquant par le temps nécessaire à leur accomplissement, mais d’autres conditions assortissant les ordonnances probatoires peuvent de la même façon créer des obligations pour le délinquant en termes de temps à consacrer à la mesure (p. ex. se présenter à un agent de probation ou former le personnel dans le domaine de la sécurité au travail). En outre, c’est certainement une atteinte moindre à la liberté par rapport à l’incarcération totale lorsque l’emprisonnement est une sanction autorisée par la loi qui crée l’infraction. Afin de limiter les répercussions sur la liberté du délinquant, nous recommandons que les heures et la durée des services à la communauté soient limitées dans la Loi comme c’est le cas dans d’autres compétences[464]. 

Enfin, l’alinéa 72(3)c) de la Loi permet au juge de prescrire des conditions dans une ordonnance de probation relatives aux circonstances de l’infraction et à la situation du défendeur qui ont contribué à la perpétration de l’infraction « soit pour empêcher le défendeur de récidiver, soit pour contribuer à sa réadaptation », mais seulement lorsque le défendeur est coupable d’une infraction punissable d’emprisonnement. La réadaptation, en tant que principe de détermination de la peine, peut s’appliquer à toutes les infractions. La limitation aux infractions punissables d’emprisonnement affecte indument l’aptitude du tribunal à favoriser le respect des lois de nature réglementaire lorsque l’emprisonnement ne fait pas partie des sanctions autorisées. Si l’on veut permettre aux tribunaux de prononcer des peines appropriées propices à la réadaptation pour toutes les infractions, cette limitation n’a plus de raison d’être et doit, selon nous, être supprimée.

Nous souhaitons souligner que la disponibilité de la probation pour toutes les infractions régies par la Loi ne signifie pas que cette option devrait devenir la norme en matière de détermination de la peine pour toutes les infractions. Comme nous l’avons indiqué ci-avant, l’imposition d’une amende continue probablement d’être le moyen le plus efficace et le plus équitable pour assurer le respect des lois dans le cas de beaucoup d’infractions mineures, si ce n’est la majorité. Néanmoins, lorsque les circonstances d’une espèce donnée justifient une ordonnance de probation conditionnelle comme outil efficace pour assurer la conformité aux objectifs réglementaires liés à une infraction mineure, un juge devrait disposer de cette solution.

 

Sanctions de rechange

Plusieurs lois de nature réglementaire offrent aux tribunaux un vaste éventail de pouvoirs en matière de détermination de la peine, pouvoirs qui leur permettent d’infliger une sanction allant au-delà des sanctions typiques à savoir l’amende, la probation ou l’emprisonnement. Connues sous différentes appellations (« sanctions de rechange » ou « mesures innovantes en matière de détermination de la peine »), nombre d’entre elles pourraient s’avérer extrêmement utiles dans le contexte de la Loi pour favoriser l’atteinte des objectifs de la réglementation dans un grand nombre de régimes de réglementation. 

On en trouve un exemple dans la loi de la Colombie-Britannique intitulée Public Health Act. L’article 107 prévoit un grand nombre de types d’ordonnances, notamment le pouvoir d’ordonner des services à la communauté pour une durée de trois ans au plus et d’indemniser au titre des coûts engagés dans le cadre de mesures de prévention ou de réparation. Il permet également au tribunal d’ordonner à une personne morale poursuivie de désigner un cadre supérieur au sein de l’entreprise comme étant la personne en charge de veiller au respect de la loi ou de ses règlements, ou des conditions assortissant toute licence ou tout permis détenu par la personne morale en application de la loi. Un autre pouvoir permet au tribunal d’ordonner au défendeur de verser une caution pour le montant que le tribunal estime approprié pour garantir le respect d’une interdiction, d’une instruction ou d’une exigence établie conformément à la section sur les autres sanctions. Ces ordonnances peuvent être utilisées pour favoriser l’atteinte des objectifs liés à la réparation et à la réadaptation.

On trouve dans la Loi sur les pêches[465] une source différente de « peine innovante ». L’article 79.2 énonce que le tribunal, en tenant compte de la nature de l’infraction ainsi que des circonstances de sa perpétration, peut rendre une ordonnance contenant une ou plusieurs des interdictions, instructions ou exigences énumérées. Ces instructions peuvent notamment consister à indemniser le ministre des frais qu’il a engagés pour la réparation ou la prévention ou à verser une caution afin de garantir l’exécution de l’ordonnance prise en application de cet article. En outre, il permet au tribunal d’ordonner à la personne de soumettre au ministre les renseignements relatifs à ses activités que le tribunal estime justifiés. 

Le Code criminel permet au tribunal d’ordonner la restitution et l’indemnisation dans le cadre d’une ordonnance indépendante ou comme condition facultative dans une ordonnance de probation afin d’indemniser les victimes de crime[466]. Aucune de ces possibilités n’est actuellement prévue par la Loi. La législation sur les infractions provinciales dans d’autres compétences autorise les tribunaux à ordonner l’indemnisation des personnes lésées en raison d’une perte ou de dommages matériels causés par le défendeur. L’ordonnance est ensuite exécutoire devant les tribunaux civils en cas de non-paiement[467]. L’un des avantages d’une ordonnance indépendante est qu’on peut en demander l’exécution forcée au même titre qu’un jugement civil, alors que la restitution en tant que condition d’une ordonnance de probation n’est exécutoire que pendant la durée de validité de l’ordonnance de probation et par la suite, uniquement si un recours en manquement est engagé. Les ordonnances de restitution ou d’indemnisation visent à réparer le préjudice causé aux victimes ou à la collectivité, à favoriser un certain sens de la responsabilité chez les délinquants et à leur faire prendre conscience du préjudice causé aux victimes et à la collectivité. Elles sembleraient être un outil utile pour l’exécution et conforme aux principes recommandés en matière de détermination de la peine. Elles vont également dans le sens du principe d’efficacité puisqu’elles suppriment la nécessité d’engager une procédure civile distincte pour obtenir la restitution sur les mêmes fondements. 

Le pouvoir de nommer un vérificateur intégré serait un autre outil utile à insérer dans la Loi[468]. Le tribunal ordonnerait qu’un vérificateur de gouvernement, ou un vérificateur privé agréé par le tribunal, passe un certain temps au sein d’une entreprise pour s’assurer de sa conformité à la réglementation. L’entreprise serait tenue de coopérer pleinement avec le vérificateur et devrait prendre en charge son salaire ou ses honoraires pendant la période de mise en conformité. La portée de la mission du vérificateur pourrait être limitée à la surveillance et à l’établissement de rapports sur la conformité de l’entreprise à intervalles déterminés par le tribunal; on peut également concevoir que le vérificateur joue un rôle proactif pour aider l’entreprise à établir et à mettre en œuvre des mesures d’application de la réglementation améliorées. Nous faisons remarquer que les pratiques du gouvernement en matière d’embauche et d’approvisionnement pourraient être un obstacle à l’efficacité de cette option, mais nous estimons malgré tout que ce serait un outil utile.  

De notre point de vue, nombre des sanctions de rechange mentionnées ci-dessus pourraient être utilisées pour favoriser l’atteinte des principes recommandés en matière de détermination de la peine et s’avérer efficaces pour l’atteinte des objectifs de la réglementation.

 

Déclarations de la victime

La Loi, contrairement au Code criminel, ne codifie par le droit d’une victime d’une infraction à rédiger une déclaration de la victime[469]. Le Code criminel comporte des dispositions permettant à la victime d’un crime de rédiger, selon une forme prescrite, une déclaration détaillant le préjudice ou la perte causé(e) à la victime du fait de l’infraction. La victime a également le droit de lire sa déclaration au tribunal. Même si certains tribunaux ont utilisé les déclarations de la victime dans des instances introduites en application de la Loi, cette dernière ne prévoit aucun droit précis leur permettant de le faire[470]. En fait, une incertitude entoure le pouvoir de faire de telles déclarations et l’identité de la personne susceptible de pouvoir présenter une telle preuve et selon quelle forme (p. ex. présentations orales ou écrites).  

Une déclaration de la victime peut être un outil précieux dans les instances introduites en application de la Loi. En plus de permettre aux victimes de se faire entendre dans le cadre de l’instance, de telles déclarations fourniraient au tribunal suffisamment de renseignements pour lui permettre de prononcer des peines adaptées et conformes aux principes d’indemnisation ou de réadaptation. Pour l’anecdote, nous avons appris que certaines victimes autochtones avaient eu de la difficulté à faire une déclaration de la victime. Même si d’autres raisons peuvent expliquer cela, la codification expresse du pouvoir d’avoir recours aux déclarations de la victime favoriserait leur utilisation dans les cas appropriés, sans égard à la nature de la victime ou à sa race.  

Cet outil serait, selon nous, utilisé principalement pour les infractions provinciales les plus graves car les infractions les moins graves tendent à ne pas impliquer de « victimes ». Cependant, nous ne souhaitons pas limiter l’accès aux déclarations de la victime aux seules infractions les plus graves. Il pourrait bien se trouver des cas où il serait utile que le tribunal puisse entendre les victimes pour pouvoir prononcer des peines adaptées et conformes aux principes d’indemnisation ou de réadaptation. Imaginons par exemple un quartier subissant un préjudice en raison du dépôt de déchets sauvages ou de nuisances sonores occasionnées par une entreprise locale. Même si le dépôt de déchets sauvages ou les nuisances sonores peuvent être considérés comme une infraction mineure, la collectivité peut avoir intérêt à présenter au tribunal son opinion à propos des répercussions des violations répétées afin qu’une peine appropriée puisse être prononcée. En pratique, le juge qui préside devrait pouvoir décider si le tribunal devrait tenir compte des déclarations de la victime après avoir examiné comme il se doit les circonstances entourant l’infraction et tout préjudice causé.

 

Mesures de rechange 

On entend par « mesures de rechange », une forme de déjudiciarisation après la mise en accusation par laquelle la Couronne abandonne un chef d’accusation ou par laquelle le tribunal écarte un chef d’accusation si le défendeur a effectué un programme convenu de mesures de rechange. Ces mesures sont différentes des « sanctions de rechange » abordées ci-dessus, lesquelles interviennent uniquement à l’issue d’une condamnation et servent de solution de rechange à une amende, une probation ou une peine d’emprisonnement. Dans le cas des mesures de rechange, il n’y a pas de condamnation. Par exemple, un procureur peut accepter de renoncer à poursuivre un excès de vitesse s’il est prouvé que le défendeur a suivi avec succès un cours de sécurité routière. Lorsque de tels programmes sont utilisés correctement, ils peuvent appuyer les efforts de réadaptation d’un défendeur tout en faisant l’économie (en temps et en argent) d’un procès.   

Des mesures de rechange sont prévues par l’article 712 du Code criminel, mais elles ne peuvent être utilisées que lorsqu’elles vont dans le sens de la protection de la société et si certaines conditions sont réunies. L’article énumère également des circonstances dans lesquelles les mesures de rechange ne sont pas autorisées, les restrictions à l’utilisation des admissions faites par le défendeur et les règles entourant les chefs d’accusation ultérieurs. 

Il n’existe pas de base législative pour les mesures de rechange en Ontario, même si en décembre 2009, nous avons connaissance que certaines municipalités proposent de tels programmes. Si elles étaient adoptées dans le contexte de la Loi, les modifications à la Loi pourraient permettre d’exercer un certain contrôle sur ces programmes et de veiller à ce qu’ils soient efficaces et correctement utilisés. L’article 712 du Code criminel servira de guide précieux à cet égard. La partie X de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement pourrait également servir pour la rédaction des nouvelles dispositions de la Loi. Selon la CDO, avant que des programmes, actuels ou nouveaux, de mesures de rechange ne soient mis en œuvre, il serait souhaitable que le gouvernement provincial mène des consultations auprès des municipalités pour faire en sorte que des structures administratives appropriées soient en place afin d’appuyer la déjudiciarisation des infractions provinciales en faveur de tels programmes. Des organismes juridiques et communautaires pertinents devraient également être consultés pour garantir l’efficacité des mesures de rechange en ce qui concerne la réduction du risque de récidive du défendeur. 

 

La CDO formule les recommandations suivantes : 

19.              La Loi devrait être modifiée pour conférer des pouvoirs plus importants au tribunal qui pourra rendre des ordonnances de probation pour l’ensemble des infractions provinciales, ce qui permettra de concrétiser les principes de détermination de la peine visant la réparation et la réadaptation. Les conditions assortissant les ordonnances de probation pouvant être prononcées par le tribunal devraient inclure la restitution et toute autre condition que le tribunal considère nécessaire et appropriée pour prévenir un comportement illégal similaire ou pour contribuer à la réadaptation du délinquant, et ce, que l’infraction soit ou non punissable d’une peine d’emprisonnement. Certes disponibles pour toutes les infractions, les ordonnances de probation devraient être limitées aux infractions de moindre gravité lorsque les circonstances en font une option particulièrement appropriée.

20.              La Loi devrait être modifiée pour inclure les services à la communauté comme condition possible de la probation lorsque la mesure serait de nature à réparer le préjudice subi, à contribuer à la réadaptation du délinquant ou à servir de sanction de rechange au paiement d’une amende lorsque le défendeur n’est pas en mesure de la payer.

21.              La Loi devrait être modifiée pour prévoir que des sanctions de rechange puissent être prononcées par le tribunal. En particulier, le pouvoir de rendre des ordonnances indépendantes visant la restitution ou l’indemnisation exécutoires devant un tribunal civil devrait être expressément créé, de même que le pouvoir de nommer un vérificateur intégré chargé de veiller au respect des normes de réglementation.  

22.              La Loi devrait être modifiée pour autoriser expressément l’utilisation des déclarations de la victime pour les infractions pour lesquelles un préjudice a été causé, à charge pour le tribunal d’utiliser son pouvoir discrétionnaire pour décider de les admettre ou non après avoir considéré la gravité de l’infraction et tout préjudice causé. 

23.              Après consultation des municipalités et des organismes communautaires et juridiques, le ministère du Procureur général devrait envisager l’adoption de programmes de mesures de rechange pour les infractions provinciales moins graves.

 
 

 

5.   Détermination de la peine à l’égard des entreprises (organisations commerciales) contrevenantes

Jusqu’ici nous n’avons pas fait de distinction entre les personnes physiques et les personnes morales en matière de détermination de la peine. En fait, nombre de nos exemples ont présumé la possibilité d’un défendeur personne morale et ont considéré que les objectifs et principes de détermination de la peine s’appliqueraient indifféremment aux personnes physiques et aux personnes morales. Nous estimons en effet qu’il n’y a pas lieu de réaliser une distinction, même si ceci remet en question certains de nos concepts traditionnels en matière de détermination de la peine. La réadaptation, par exemple, est en général associée au rétablissement de la moralité d’une personne physique, mais comment « guérir » une entreprise qui n’est pas une personne en chair et en os? Dans la mesure où les amendes et les ordonnances d’indemnisation sont directement liées à l’« essentiel » et à l’aptitude d’une entreprise à générer des profits, en fait à sa raison d’être, comment des sanctions non monétaires telles que des ordonnances de probation pourraient-elles être efficaces? La portée des activités réglementaires auxquelles participent les entreprises démontre la nécessité de sanctions réglementaires efficaces, et nous réexaminons les études qui montrent ce qui motive les entreprises à se conformer aux normes de réglementation. Nous nous demandons ensuite si des dispositions relatives à la détermination de la peine spécifiques aux entreprises devraient être insérées dans la Loi. 

Les entreprises ont de vastes répercussions dans notre société. Elles constituent « les principaux moyens de faire des affaires, d’employer la vaste majorité des travailleurs, de produire la plupart des biens et services de l’économie, et d’acheter nombre de biens et services »[471]. (Traduction libre) Nous voulons que les entreprises se livrent à ces activités mais, ce faisant, elles risquent de commettre des infractions. Nous connaissons malheureusement les conséquences tragiques qui peuvent affecter le bien-être public lorsque les entreprises ne respectent pas les normes de sécurité au travail, ignorent la réglementation sur les valeurs mobilières sur l’autel des profits, ne testent pas correctement notre approvisionnement en eau, ou se livrent à des pratiques commerciales qui entraînent des catastrophes pour l’environnement. La majorité des actes répréhensibles commis par les entreprises ne sont pas interdits par le Code criminel, mais par de nombreuses lois de nature réglementaire régissant l’activité dans ces domaines[472]. C’est pourquoi il est essentiel de disposer de mécanismes d’exécution efficaces dans le cadre des régimes d’infractions provinciales afin de promouvoir la conformité aux normes de réglementation. 

Nous avons déjà expliqué comment les amendes peuvent s’avérer inefficaces pour promouvoir la conformité aux normes. Elles peuvent souvent devenir un coût d’exploitation répercuté sur les consommateurs. Les entreprises peuvent délibérément être conçues comme des coquilles sans actifs pour ne pas avoir à payer des amendes, ce qui compromet encore un peu plus l’application des régimes de réglementation[473]. Si le montant élevé des amendes peut inciter certaines entreprises à respecter la réglementation, les amendes ne remédient pas aux causes profondes de la non-conformité aux règlements et elles manquent une occasion d’induire des changements positifs dans le comportement de l’entreprise[474]. En fait, les recherches empiriques montrent que la punition peut souvent inhiber la conformité aux normes de réglementation; elle insulte les acteurs assujettis à la réglementation et les démotive[475]. Elle favorise la rébellion individuelle et la possibilité d’une sous-culture de résistance à la réglementation au sein de l’entreprise[476]. Par ailleurs, les facteurs qui motivent la conformité incluent le souhait de conserver une bonne réputation, le désir de faire ce qu’il faut, la volonté d’être fidèle à son image de citoyen respectueux des lois et d’assumer une certaine responsabilité sociale[477]. Les sanctions qui répondent à ces facteurs de motivation pourraient permettre de mieux répondre à ces motifs de non-conformité et de favoriser le respect futur de la réglementation.

Le paragraphe 732.1(3.1) du Code criminel tient compte des principes de réparation et de réhabilitation dans le domaine des ordonnances de probation prononcées contre des « organisations », ce qui englobe les personnes morales et les entités sans personnalité morale. La disposition a) du paragraphe732.1 (3.1) autorise le tribunal à intimer à une organisation de dédommager une personne pour le préjudice subi. Les dispositions b) à e) établissent des mécanismes de surveillance visant à réduire la probabilité d’un nouvel acte répréhensible de la part de l’organisation. La disposition f) autorise le tribunal à exiger de l’organisation qu’elle informe le public de la nature de l’infraction et de la peine infligée. Ce type d’ordonnance prend acte de ce que « le public et les clients peuvent jouer un rôle important s’agissant d’influencer et de surveiller le comportement de l’organisation »[478]. (Traduction libre) Cela va également dans le sens des études qui montrent que les parties assujetties à la réglementation ne désirent pas nuire à leur bonne réputation et qu’elles cherchent à faire ce qu’il faut et à être socialement responsables. Le paragraphe 732.1 (3.1) énonce ce qui suit :

(3.1) Le tribunal peut assortir l’ordonnance de probation visant une organisation de l’une ou de plusieurs des conditions ci-après, intimant à celle-ci :

a) de dédommager toute personne de la perte ou des dommages qu’elle a subis du fait de la perpétration de l’infraction;

b) d’élaborer des normes, règles ou lignes directrices en vue de réduire la probabilité qu’elle commette d’autres infractions;

c) de communiquer la teneur de ces normes, règles et lignes directrices à ses agents;

d) de lui rendre compte de l’application de ces normes, règles et lignes directrices;

e) de désigner celui de ses cadres supérieurs qui veillera à l’observation de ces normes, règles et lignes directrices;

f) d’informer le public, selon les modalités qu’il précise, de la nature de l’infraction dont elle a été déclarée coupable, de la peine infligée et des mesures — notamment l’élaboration des normes, règles ou lignes directrices — prises pour réduire la probabilité qu’elle commette d’autres infractions;

(g) d’observer telles autres conditions raisonnables qu’il estime indiquées pour empêcher l’organisation de commettre d’autres infractions ou réparer le dommage causé par l’infraction. 

Nous recommandons l’adoption dans le cadre de la Loi d’une disposition similaire prévoyant expressément de donner au tribunal le pouvoir d’assortir une ordonnance de probation prononcée à l’égard d’une entreprise, ou toute autre organisation commerciale dotée ou non de la personnalité morale, de conditions visant la réparation et la réadaptation. Un tel pouvoir est nécessaire si l’on veut que les objectifs et principes de détermination de la peine recommandés soient mis en œuvre par le tribunal. En outre, la Loi devrait prévoir le pouvoir général du tribunal à imposer d’autres conditions innovantes, telles que celles énoncées par le paragraphe 732.1(3.1) g) du Code criminel, qui soient de nature à favoriser l’atteinte des objectifs visés par la loi qui crée l’infraction[479]. 

Il convient de remarquer que nombre d’organisations qui enfreignent les normes de réglementation peuvent être exploitées par une personne physique, une société en nom collectif ou une organisation avec un nom d’entreprise enregistrée, sans que l’organisation ne soit une entité dotée de la personne morale. Pour ce type d’organisations, les conditions de probation indiquées ci-dessus pourraient tout autant promouvoir la conformité et il n’y a aucune raison, selon nous, qu’elles ne respectent pas les règles uniquement parce que l’organisation a choisi de ne pas se doter de la personnalité morale. C’est vraisemblablement la raison pour laquelle les dispositions du Code criminel visent une « organisation », un terme très général incluant les organismes dotés ou non de la personnalité morale, ainsi que d’autres associations de personnes[480]. Nous n’adopterions pas la définition très large d’organisation retenue par le Code criminel, étant donné le vaste champ d’application possible. En revanche, nous recommandons que des conditions probatoires similaires à celles énoncées par le paragraphe 732.1(3.1) soient à la disposition du tribunal au moment où il doit décider de la peine à infliger à une entreprise ou toute autre organisation commerciale, qu’elle soit ou non dotée de la personnalité morale. 

Une autre question est de savoir si la Loi devrait énumérer les facteurs dont le tribunal doit tenir compte lorsqu’il cherche à punir une entreprise, ou toute autre organisation commerciale, après avoir examiné les principes de réparation, de réadaptation et de dissuasion. L’alinéa 106(4) b) de la loi de la Colombie-Britannique intitulée Public Health Act prévoit que le juge qui prononce la peine peut infliger une sanction aux fins de punition si « des circonstances aggravantes suffisantes justifient que le délinquant soit puni pour l’infraction commise » (traduction libre). La Loi ne précise toutefois pas la liste des facteurs aggravants. À titre de comparaison l’article 718.21 du Code criminel énumère les éléments dont le tribunal doit tenir compte pour infliger une peine à une organisation, mais la liste inclut tant les facteurs aggravants (p. ex. le degré de complexité des préparatifs reliés à l’infraction) que les facteurs atténuants (p. ex. les mesures prises en vue de réduire la probabilité qu’elle commette d’autres infractions). Par conséquent, le système ne se greffe pas facilement sur le modèle de détermination de la peine que nous proposons dans le cadre de la Loi sur les infractions provinciales.  

À notre avis, il y a de bonnes raisons de prescrire une liste non exhaustive de facteurs pouvant justifier une sanction visant la punition ou la dénonciation. Tout d’abord, la liste signalera aux entreprises et autres organisations commerciales le type de comportement susceptible de donner lieu à une sanction punitive. Elle renforcera également le pouvoir du tribunal à prononcer une réponse punitive dans les cas appropriés. Enfin, elle répondra aux attentes croissantes du public en faveur d’une plus grande responsabilisation des entreprises et organisations commerciales pour les actes commis de façon éhontée[481] en leur montrant qu’elles seront punies lorsque certains facteurs aggravants sont établis. 

Pour l’instant, nous ne formulons pas de recommandations quant aux facteurs aggravants à inclure; nous préconisons simplement de rédiger une liste. Évoquant le type de facteurs aggravants susceptibles de mériter une réponse à caractère punitif, Mme Verhulst indique, à titre d’exemples, l’incapacité du délinquant à faire preuve de la prudence nécessaire alors qu’« il aurait été simple ou peu coûteux de le faire, ou les cas où les risques de préjudice étaient particulièrement élevés », « l’attitude de mépris ou d’obstruction vis-à-vis des agents chargés de la réglementation », en particulier « si des tentatives ont eu lieu pour faire disparaître l’infraction ou pour faire porter le blâme à quelqu’un d’autre »[482]. (Traduction libre) On peut également faire référence à l’article 718.21 du Code criminel qui, par exemple, prévoit comme facteur aggravant le fait que l’entreprise ait tenté de dissimuler des éléments d’actif, ou d’en convertir, afin de se montrer incapable de payer une amende ou d’effectuer une restitution. La jurisprudence sur la détermination de la peine dans le domaine des infractions provinciales donnera plus d’indications sur les autres facteurs aggravants justifiant une réponse punitive[483]. 

 

La CDO formule les recommandations suivantes :

24.       La Loi devrait être modifiée pour conférer des pouvoirs au tribunal afin qu’il puisse prononcer une ordonnance de probation à l’égard d’une entreprise ou de toute autre organisation commerciale, dotée ou non de la personnalité morale, assortie de conditions inspirées du paragraphe 732.1(3.1) du Code criminel portant sur les conditions de la probation dans le cas d’une organisation.  

25.       Le ministère du Procureur général, après avoir consulté le pouvoir judiciaire, les poursuivants, les avocats de la défense et les parajuristes, devrait établir une liste non exhaustive de facteurs aggravants à inclure dans la Loi pour que le tribunal puisse en tenir compte au moment de prononcer une sanction axée sur la punition ou la dénonciation à l’encontre d’une entreprise ou d’une organisation commerciale. Il peut s’agir du degré de planification relatif à la perpétration de l’infraction, des efforts déployés pour dissimuler délibérément l’infraction afin que les organes de réglementation ne la détectent pas ou le fait que la conformité aurait pu être atteinte à des coûts faibles ou inexistants.

 

 

F.   Réforme de la mise en liberté sous caution

1.   Dispositions générales de la Loi relatives à la mise en liberté sous caution

Relativement peu de personnes sont arrêtées en raison d’infractions provinciales commises. Celles qui sont détenues ou mises en liberté sous caution chaque année pour des faits relevant de la Loi sont encore moins nombreuses. En 2009, sur les quelque 2,1 millions d’accusations relatives aux infractions provinciales reçues par les tribunaux au titre des parties I et III, il y a eu seulement 4 009 audiences pour la mise en liberté sous caution (soit 0,002 % de l’ensemble des accusations reçues). Dans le cadre de ces enquêtes, la mise en liberté sous caution a été refusée dans 426 cas impliquant des infractions de la partie III. La mise en liberté sous caution a toujours été accordée pour les 18 audiences de mise en liberté sous caution se rapportant à des infractions de la partie I[484]. Même si la mesure est peu fréquente, les principes de justice fondamentale commandent que « même une seule arrestation exige des mécanismes de mise en liberté »[485]. (Traduction libre) Nous passerons en revue les dispositions de la Loi relatives à l’arrestation et à la mise en liberté sous caution avant d’analyser deux aspects de la mise en liberté sous caution qui pourraient donner lieu à une réforme : (1) les motifs justifiant la détention d’une personne et (2) les conditions qu’un juge est autorisé à imposer lorsqu’il accorde une mise en liberté sous caution.     

La Loi ne prévoit pas de pouvoir général d’arrestation; une personne ne peut être arrêtée avant un procès que si la loi qui crée l’infraction autorise expressément l’arrestation[486]. À moins de disposition contraire dans la loi qui crée l’infraction, les dispositions de la Loi relatives à l’arrestation et à la mise en liberté sous caution ont vocation à s’appliquer. En général, un défendeur accusé sera mis en liberté par l’agent de police ayant procédé à son arrestation[487], l’agent responsable[488], ou un juge dans le cadre d’une audience pour la mise en liberté sous caution, dans un délai de 24 heures[489]. L’article 150 fixe les motifs de détention par un juge. D’après cet article, il apparaît clairement que « un défendeur qui est arrêté devrait être mis en liberté en attendant la décision relative à l’accusation, à moins que la détention soit nécessaire pour garantir la présence du défendeur au tribunal »[490]. (Traduction libre) Il incombe au poursuivant de démontrer pourquoi un défendeur arrêté devrait rester sous garde en attendant son procès[491]. Les conditions de la mise en liberté sont également prescrites, mais la liste est limitée et les conditions doivent être examinées séquentiellement[492]. Ce sont les articles 151 et 152 de la Loi qui énoncent les pouvoirs de révision et d’appel des décisions relatives à la détention.                                               

 

2.  Motifs de détention

Le paragraphe 150(4) autorise un juge à ordonner que le défendeur soit placé sous garde pour garantir sa comparution au tribunal, mais il n’autorise pas un juge à ordonner la détention d’une personne pour assurer la protection ou la sécurité du public. Voici ce que prévoit l’article : 

150(4) Ordonnance de détention — Si le poursuivant expose les raisons qui justifient la détention du défendeur sous garde pour garantir sa comparution au tribunal, le juge ordonne que le défendeur soit détenu sous garde jusqu’à ce qu’il soit traité selon la loi. 

C’est ce qui a été voulu initialement. En 1980, M. Drinkwalter et M. Ewart, deux rédacteurs de la Loi, écrivaient :  

Les dispositions du Code criminel sur la mise en liberté doivent être suffisamment rigoureuses pour traiter les personnes qui compromettent ou risquent de compromettre la paix publique et l’intérêt du public […] Néanmoins, les personnes appréhendées pour des infractions provinciales sont dans une situation différente. Leur arrestation a pu être justifiée par l’un des motifs historiques de l’intérêt public, notamment la nécessité d’identifier correctement la personne accusée, d’obtenir et de préserver des preuves, ou de prévenir la poursuite de l’infraction ou d’infractions similaires. Cependant, ces préoccupations n’ont cours que pendant un certain laps de temps; par la suite, la seule question à se poser est de savoir si la personne comparaîtra à son procès[493]. (Traduction libre) 

L’absence de motif de détention lié à la sécurité publique peut entraîner des absurdités. Dans R. c. Banka (1999), par exemple, le tribunal a été confronté à la question de la mise en liberté sous caution pour un défendeur poursuivi pour une infraction provinciale qui, en cas de récidive, aurait compromis la protection et la sécurité du public[494]. M. Banka avait été accusé de trois violations d’une ordonnance de ne pas faire prise en application de la Loi sur le droit de la famille, une ordonnance rendue lorsqu’une personne a « des motifs raisonnables de craindre pour sa sécurité personnelle ou pour celle de tout enfant confié à sa garde légitime[495] ». M. Banka avait récemment été déclaré coupable d’une infraction similaire. Le tribunal a décidé qu’il était hautement probable que, une fois mis en liberté, M. Banka commettrait à nouveau l’infraction. Dans ces circonstances, le juge a estimé que suivre le paragraphe 150(4) de la Loi …entraînerait des conséquences inacceptables et absurdes […]; pour le tribunal, ce serait discréditer l’administration de la justice que de fermer les yeux sur les aspects liés à la protection et à la prévention et d’ordonner la mise en liberté, uniquement à cause d’une lacune technique évidente de la part du législateur[496]. (Traduction libre) 

Le tribunal a ordonné la détention sur la base de sa « compétence inhérente […] pour remédier aux erreurs de rédaction ou lacunes du législateur entraînant des conséquences qui ne peuvent pas avoir été voulues par le législateur »[497]. (Traduction libre)    

L’absence de motif de détention lié à la sécurité publique dans la Loi peut également donner lieu à des incohérences au sein même de la Loi. Il est curieux que l’alinéa 149(1)  iii) autorise un agent de police à ordonner la détention d’un défendeur pour prévenir la poursuite ou la répétition de l’infraction ou la perpétration d’une autre infraction mais qu’un juge ne soit pas autorisé à faire de même en application du paragraphe 150(4).  

Comme dans le cas des infractions provinciales de la Loi, l’application du droit de la mise en liberté sous caution aux infractions criminelles dépendait initialement de la probabilité qu’un accusé comparaîtrait au tribunal. Si pendant un temps cette considération a été le seul fondement de la détention d’une personne accusée, d’autres motifs de détention ont par la suite été reconnus[498]. Le paragraphe 515(10) du Code criminel prévoit trois motifs de détention : assurer la présence du prévenu au tribunal, pour la protection ou la sécurité du public, ou pour préserver la confiance du public à l’égard de l’administration de la justice. Voici ce que prévoit cet article :   

515(10) Motifs justifiant la détention — Pour l’application du présent article, la détention d’un prévenu sous garde n’est justifiée que dans l’un des cas suivants :  

a) sa détention est nécessaire pour assurer sa présence au tribunal afin qu’il soit traité selon la loi;

b) sa détention est nécessaire pour la protection ou la sécurité du public, notamment celle des victimes et des témoins de l’infraction ou celle des personnes âgées de moins de dix-huit ans, eu égard aux circonstances, y compris toute probabilité marquée que le prévenu, s’il est mis en liberté, commettra une infraction criminelle ou nuira à l’administration de la justice; 

c) sa détention est nécessaire pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice, compte tenu de toutes les circonstances, notamment les suivantes :

i) le fait que l’accusation paraît fondée, 

ii) la gravité de l’infraction,

iii) les circonstances entourant sa perpétration, y compris l’usage d’une arme à feu,  

iv) le fait que le prévenu encourt, en cas de condamnation, une longue peine d’emprisonnement ou, s’agissant d’une infraction mettant en jeu une arme à feu, une peine minimale d’emprisonnement d’au moins trois ans. 

Une totale correspondance entre la Loi et le Code criminel ne serait pas conforme à l’esprit de la Loi, laquelle a été conçue, au moins en partie, « pour arracher les infractions provinciales des griffes des règles de procédure du Code criminel et de son état d’esprit »[499]. Cependant, comme le prouve l’affaire Banka, la protection du public pourrait s’avérer un motif nécessaire pour refuser, dans certaines circonstances, la mise en liberté sous caution dans les affaires fondées sur la Loi.   

Pour ce qui est du troisième motif envisagé par le Code criminel, des affaires récentes ont porté sur la question de savoir si l’objectif de maintien de la confiance du public à l’égard de l’administration de la justice est un motif justifié de refus de mise en liberté[500]. Dans la jurisprudence de 2002, R. c. Hall[501], la Cour suprême invalidait une partie de l’alinéa 515(10) c) mais concluait que cette disposition n’était « ni superflue ni injustifiée »[502] étant donné que la confiance du public envers le système judiciaire est nécessaire au bon fonctionnement à la fois du système de mise en liberté sous caution et du système judiciaire pris dans son ensemble[503]. Même si la jurisprudence Hall fait encore autorité, les juges n’appliquent pas l’alinéa 515(10) c) modifié de la même façon. Si certains juges mettent l’accent sur le fait que la disposition ne devrait être utilisée que dans de rares cas[504], d’autres lui ont donné une interprétation plus large[505]. Il n’est pas nécessaire qu’un prévenu ait commis un crime particulier pour que l’alinéa 515(10) c) ait vocation à s’appliquer[506]. 

Si le maintien de la confiance du public à l’égard de l’administration de la justice constituera dans certains cas un motif valable de refus de mise en liberté dans le contexte criminel, il est difficile de concevoir des cas qui justifieraient l’application de ce principe dans le contexte des infractions provinciales. D’ailleurs, cette proposition n’a pas bénéficié d’un appui important dans le cadre des consultations de la CDO. L’application de l’alinéa 515(10) c) implique la considération des quatre facteurs énoncés, notamment la gravité de l’infraction, l’utilisation d’une arme à feu et le point de savoir si le prévenu encourt une longue peine d’emprisonnement. Ces motifs mettent en évidence les différences entre les infractions provinciales et les infractions criminelles et les limites d’une comparaison avec le Code criminel en matière de motifs de détention. Selon nous, le motif de refus de mise en liberté tenant au « maintien de la confiance à l’égard de l’administration de la justice » ne devrait pas être étendu à la Loi.   

L’un des principes fondamentaux de toute réforme moderne du droit criminel est le principe de retenue[507]. L’équité commande que la détention avant procès ne soit imposée que lorsque c’est nécessaire[508]. Priver une personne accusée de sa liberté avant qu’elle ait été déclarée coupable est l’une des armes les plus brutales qu’un État puisse utiliser[509]. La détention préventive peut s’avérer plus dure que la détention qui suit le procès[510]. En outre, les systèmes de mise en liberté sous caution ont tendance à établir des discriminations et à désavantager les personnes sur la base de la race, de l’origine ethnique et du revenu[511]. Et surtout, la présomption d’innocence et le droit de ne pas se voir refuser une mesure raisonnable de mise en liberté sous caution sont des valeurs enchâssées dans les articles 11 d) et 11 e) de la Charte. Pour toutes ces raisons, nous préférons limiter les cas dans lesquels la mise en liberté sous caution peut être refusée à ceux pour lesquels la mesure est réellement nécessaire à la lumière de la nature et de la gravité des infractions provinciales, par rapport aux infractions criminelles.  

Pourtant, comme le montre la jurisprudence Banka, certains comportements illégaux prohibés par des lois provinciales sont de nature à entraîner des risques réels pour la sécurité publique s’ils se répètent. Dans ces situations, il serait absurde d’ignorer l’intérêt public et de maintenir la présomption en faveur de la mise en liberté. Il convient de faire preuve de prudence lorsque l’on refuse la mise en liberté sous caution pour des motifs liés à la protection de la sécurité publique. La jurisprudence a circonscrit ce qui est ou non « nécessaire » pour la sécurité publique. La détention ne devrait pas être ordonnée pour la simple raison que la mesure est pratique et avantageuse[512]; le risque de récidive créant un risque pour la sécurité publique doit être réel. Il doit exister des « preuves suffisantes d’un danger clair et présent pour justifier une entrave à la liberté de la personne accusée » (Traduction libre) lorsque la culpabilité ou l’innocence de cette dernière n’a pas encore été déterminée[513]. Ces cas suggèrent que tout motif de détention avant procès dans le cadre de la Loi doit être limité. Ces motifs devraient être utilisés de façon parcimonieuse et uniquement lorsqu’ils sont nécessaires pour garantir la présence au tribunal ou assurer la protection ou la sécurité du public. On pourrait envisager d’indiquer dans la Loi les facteurs qu’un tribunal pourrait examiner pour décider s’il convient ou non de refuser la mise en liberté sous caution pour tout motif nouvellement proposé lié à la « sécurité publique ».

 

La CDO formule la recommandation suivante : 

26.                  La Loi devrait être modifiée pour permettre à un juge de refuser la mise en liberté sous caution lorsque la détention est nécessaire pour assurer la protection ou la sécurité du public, notamment toute victime ou tout témoin présumé, en tenant compte de l’ensemble des circonstances. Néanmoins, la CDO recommande que la mise en liberté sous caution ne puisse pas être refusée pour ce motif que dans des circonstances très restreintes; le poursuivant doit démontrer un risque réel et substantiel que le défendeur commette une infraction grave qui entraînera un préjudice pour le public.

 
 

 

3. Conditions de la mise en liberté sous caution

Au moment de décider d’accorder ou non une mise en liberté sous caution, la capacité d’assortir la mesure de conditions peut être déterminante pour le juge. Comme l’explique un auteur, « ce qui peut faire pencher la décision en faveur du placement de la personne en détention préventive ou de la mise en liberté sous caution peut dépendre de l’aptitude du juge à assortir la mise en liberté sous caution de conditions intéressantes »[514]. (Traduction libre) Cependant, le pouvoir d’imposer des conditions aux termes de la Loi est très limité. 

L’alinéa 150(2) a) de la Loi permet au juge d’assortir la mise en liberté sous caution de conditions de façon générale, mais uniquement « pour garantir sa comparution au tribunal ». Les alinéas 150(2) b) et c) couvrent les infractions punissables d’une peine d’emprisonnement de douze mois ou plus, ou les cas dans lesquels le défendeur ne réside pas ordinairement en Ontario. Dans les deux situations, le tribunal peut exiger du défendeur qu’il consente devant un juge un engagement avec caution ou qu’il dépose auprès du juge une somme d’argent ou d’autres valeurs. Là encore, ces conditions ne peuvent être imposées que pour garantir la comparution du défendeur au tribunal.   

La jurisprudence R. c. Desroches[515], décision de la Cour de district de l’Ontario datant de 1986, a confirmé que le pouvoir d’assortir la mise en liberté sous caution de conditions est limité. Un homme avait été poursuivi pour avoir enfreint la Loi sur l’entrée sans autorisation. À titre de condition de la mise en liberté sous caution, un juge de paix avait interdit au défendeur l’accès à certains lieux. En appel, la cour avait confirmé que les conditions qui assortissent la mise en liberté sous caution visent uniquement à garantir la comparution du défendeur au tribunal. D’après la Cour, « aussi attrayante que puisse être la mesure dans certaines circonstances, le fait d’ordonner à une personne de se tenir à l’écart de certains lieux est une condition qui va clairement au-delà des pouvoirs accordés au juge par l’alinéa 150(2) a) »[516]. (Traduction libre)      

Examinons, à titre de comparaison avec les dispositions de la Loi, ce que prévoit le Code criminel à propos des conditions de la mise en liberté sous caution. À l’instar de la Loi, le Code criminel aborde ces conditions avec précaution. Les ordonnances de mise en liberté sous caution doivent tenir compte du fait qu’elles sont prises préalablement à une déclaration de culpabilité. À ce titre, des dispositifs de contrôle doivent exister afin de prévenir des conditions qui empièteraient trop sur la liberté individuelle[517]. Le paragraphe 515(4) du Code criminel autorise un juge à choisir parmi 5 grands types de conditions de la mise en liberté sous caution et lui permet d’avoir recours à toute autre condition raisonnable qu’il juge opportune.       

515(4) Conditions autorisées — Le juge de paix peut ordonner, comme conditions […], que le prévenu fasse celle ou celles des choses suivantes que spécifie l’ordonnance :  

a) se présenter, aux moments indiqués dans l’ordonnance, à un agent de la paix ou à une autre personne désignés dans l’ordonnance;

b) rester dans la juridiction territoriale spécifiée dans l’ordonnance;

c) notifier à l’agent de la paix ou autre personne désignés en vertu de l’alinéa a) tout changement d’adresse, d’emploi ou d’occupation;

d) s’abstenir de communiquer, directement ou indirectement, avec toute personne — victime, témoin ou autre — identifiée dans l’ordonnance ou d’aller dans un lieu qui y est mentionné, si ce n’est en conformité avec les conditions qui y sont prévues et qu’il estime nécessaires;

e) lorsque le prévenu est détenteur d’un passeport, déposer son passeport ainsi que le spécifie l’ordonnance; […] 

f) observer telles autres conditions raisonnables, spécifiées dans l’ordonnance, que le juge de paix estime opportunes. 

Le paragraphe 515(4.1) autorise un juge à restreindre l’utilisation ou la possession de certains objets, des armes à feu, des substances explosives ou des armes à autorisation restreinte par exemple. Au-delà des conditions explicitement énoncées dans ce paragraphe, il existe un certain nombre d’autres conditions telles que des conditions monétaires, un couvre-feu, l’obligation de consulter un médecin, des conditions relatives à la consommation de médicaments contrôlés ou d’alcool ou l’obligation d’avoir en permanence avec soi une pièce d’identité ou les documents autorisant la libération[518]. On pense également à d’autres conditions moins fréquemment utilisées comme l’interdiction de posséder un téléphone cellulaire ou d’utiliser un ordinateur ou l’interdiction d’assister à un match de football (soccer)[519]. 

La Charte et la jurisprudence fixent des limites aux conditions dont le juge peut assortir la mise en liberté sous caution. L’alinéa 11 e) exige que toute condition imposée soit raisonnable[520]. Des cas antérieurs à la Charte ont porté sur la notion de condition raisonnable. Premièrement, les conditions doivent être en rapport avec l’infraction dont la personne est accusée ou le contexte dans lequel la personne a été accusée[521]. Les conditions doivent être « utilisables » et ne doivent pas être sévères au point d’être équivalentes à une ordonnance de détention[522]. Elles ne doivent pas être trop vagues ou avoir une portée trop générale au point de manquer de certitude[523]. Enfin, les conditions doivent être en rapport avec les motifs de libération et de détention précisés par le législateur[524]. En d’autres termes, elles doivent être liées aux objectifs de la mise en liberté sous caution et ne doivent pas être utilisées comme une forme de punition sommaire servant à montrer au défendeur que le tribunal « prend les choses au sérieux »[525].  

Lorsqu’un défendeur est accusé simultanément d’infractions criminelles et d’infractions provinciales, les conditions de la mise en liberté sous caution prévues par la Loi deviennent plus compliquées à imposer. Dans ces circonstances, la mise en liberté sous caution doit être envisagée et ordonnée sous deux formes de mise en liberté distinctes[526]. Ceci donne lieu à des problèmes juridictionnels et à d’autres types de problèmes[527]. À cet égard, d’après la Commission de réforme du droit du Canada, « il faut également promouvoir l’efficacité, en particulier lorsque l’efficacité ne serait pas de nature à compromettre gravement l’équité mais plutôt à l’encourager ». (Traduction libre) À cette fin, la CDO recommande qu’un seul niveau de juridiction ait toute compétence et tout pouvoir pour prendre des décisions relatives à la mise en liberté provisoire ou à la détention pour les deux types d’infractions[528]. Par ailleurs, à tout le moins, toute condition supplémentaire assortissant une mise en liberté sous caution au titre d’infractions provinciales doit également se conformer à celles déjà ordonnées pour les infractions criminelles.  

La CDO a entendu de nombreuses personnes partisanes d’un recours des juges à des conditions plus raisonnables lorsque cela s’avère nécessaire. Parmi les conditions spécifiques proposées, on peut citer : s’abstenir de commettre la même infraction ou une infraction similaire, l’interdiction de conduire, des ordonnances de non-communication stipulant que le défendeur s’abstienne d’entrer en contact avec des témoins ou des victimes de l’infraction, et des ordonnances de non-communication limitant les contacts autorisés entre le défendeur et un codéfendeur. Les interdictions liées à l’utilisation d’un véhicule à moteur sont délicates car les tribunaux ont pu considérer ces types de conditions comme des « mesures punitives »[529]. Ces conditions ne devraient être imposées que dans des circonstances limitées, par exemple lorsque le défendeur qui attend son procès a des antécédents de conduite en état d’ivresse, d’exécution de manœuvres périlleuses ou de conduite pendant une période de suspension du permis de conduire[530]. Les ordonnances visant à limiter les contacts devraient être utilisées avec parcimonie car elles risquent de rompre temporairement les contacts avec les membres de la famille et de compromettre les préparatifs légitimes en vue du procès[531]. Il convient également de veiller à ce que les conditions soient en rapport avec les circonstances dans lesquelles la mise en liberté sous caution a été accordée ou refusée et qu’elles ne s’apparentent pas à une ordonnance de probation.  

Le pouvoir limité des juges d’assortir la mise en liberté sous caution de conditions en attendant l’appel est une autre source de préoccupation. L’article 110 de la Loi prévoit qu’une personne qui a été déclarée coupable et placée sous garde peut être libérée sous caution en attendant l’appel; dans ce cas « le juge d’appel peut ordonner sa mise en liberté assortie des conditions énoncées au paragraphe 150 (2) »[532]; en d’autres termes, on retrouve les mêmes conditions limitées applicables à la mise en liberté postérieure à l’arrestation. Lorsqu’une personne est déclarée coupable d’une infraction provinciale grave et qu’elle a été placée sous garde, il existe des arguments plus convaincants en faveur de conditions visant à protéger la sécurité publique ou d’autres conditions entourant la mise en liberté sous caution. On pense aux conditions interdisant au défendeur de commettre la même infraction ou une infraction semblable ou lui interdisant de se trouver en certains lieux. 

Parallèlement à cela, l’utilité globale des conditions assortissant la mise en liberté provisoire a été remise en question[533]. Il ne fait aucun doute que l’exécution d’un certain nombre de types de conditions peut s’avérer problématique[534]. Par ailleurs il existe toujours un risque d’assister à une utilisation excessive ou à une « institutionnalisation » de certaines conditions, comme l’ont expliqué des chercheurs britanniques[535]. Le fait d’autoriser le tribunal à assortir la mise en liberté sous caution de conditions supplémentaires raisonnables, directement liées à l’accusation et aux circonstances dans lesquelles la mise en liberté a été accordée ou refusée, peut permettre de trouver des solutions de rechange efficaces à la détention provisoire. Il s’agit de points de préoccupation importants et nous recommandons que ces questions soient approfondies. Nous recommandons en outre de publier des lignes directrices pour faciliter l’application des nouvelles conditions associées à la mise en liberté sous caution qui seront créées, en vue de promouvoir leur bon usage et de prévenir les abus. Enfin, il conviendra de procéder à un examen de l’application de ces nouvelles conditions de mise en liberté sous caution dans les cinq ans qui suivront leur introduction.

 

La CDO formule la recommandation suivante : 

27.       Le ministère du Procureur général, en concertation avec le pouvoir judiciaire, les poursuivants municipaux, les avocats de la défense, les parajuristes, ainsi que les organismes communautaires et juridiques pertinents devrait :  

a.      étudier et envisager d’autres conditions de mise en liberté sous caution à ajouter à la Loi;

b.      élaborer des lignes directrices judiciaires pour promouvoir, avant l’introduction de toute nouvelle condition de mise en liberté sous caution, leur utilisation par les tribunaux conformément aux principes définis dans le cadre de réforme de la Loi;

c.       examiner l’utilisation des nouvelles conditions de mise en liberté sous caution dans les cinq ans suivant leur introduction pour vérifier qu’il n’y a pas d’abus ou d’utilisation inappropriée qui viendrait indument entraver les libertés d’un défendeur avant son procès.

 
 

 

4.     Réformes de la procédure de mise en liberté sous caution

Nous avons également été informés que la procédure de mise en liberté sous caution prévue dans la Loi n’a pas tenu compte des récentes modifications en la matière qui ont été apportées dans le Code criminel. Par exemple, un juge peut délivrer une ordonnance interdisant la publication d’une preuve lors d’une audience de droit pénal de mise en liberté sous caution[536]. Il existe également un article qui interdit que le défendeur subisse un contre-interrogatoire concernant les circonstances de l’infraction faisant l’objet de l’audience de mise en liberté sous caution[537]. Ces modifications pourraient bien être utiles à la Loi.

Un examen détaillé de la procédure de mise en liberté sous caution de la Loi n’est pas l’objet du présent rapport. Toutefois, les réformes de la procédure de mise en liberté sous caution dans le droit pénal nous donnent l’occasion d’examiner si des réformes similaires ou autres devraient être adoptées en ce qui concerne les procédures régies par la Loi. Cela ne signifie pas que la Loi devrait nécessairement adopter la procédure de mise en liberté sous caution décrite dans le Code criminel; les différences existant entre les infractions criminelles et réglementaires au niveau de leur nature et de la procédure régissant leur sanction peuvent imposer une procédure différente en matière de mise en liberté sous caution. En effet, l’application des principes en vertu du cadre de réforme de la Loi peut dicter une procédure différente au niveau de la mise en liberté sous caution. Il serait bon qu’un nouvel organe investi du pouvoir de codifier la procédure régissant les infractions provinciales puisse procéder à un examen relatif à la procédure de mise en liberté sous caution.

 

La CDO formule la recommandation suivante :

28.       Le ministère du Procureur général ou l’organe en charge de l’élaboration du nouveau code de procédure de la Loi mis à jour devrait envisager l’actuelle procédure de mise en liberté sous caution de la Loi et évaluer si cette procédure pourrait tirer parti de modifications après avoir examiné les modifications apportées en la matière dans le Code criminel et tout autre élément pertinent, y compris les principes s’inscrivant dans le cadre de réforme de la Loi. Toute nouvelle procédure de mise en liberté sous caution devrait être codifiée dans le nouveau code de procédure de la Loi.

 

 

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