A.                Principes fondateurs du cadre de réforme de la Loi

Lors de son adoption en 1979, la Loi avait pour objectif de créer un code de procédure pour la poursuite des infractions provinciales, distinct de la procédure appliquée aux infractions criminelles[191]. Pourtant, au vu de notre présentation sur l’historique de la Loi dans le chapitre II du présent rapport, il est évident que d’autres principes plus fondamentaux ont été à la base de la nouvelle Loi. La proportionnalité, l’efficacité et l’équité ont servi de points d’appui à la création de la Loi et nous sommes d’avis que ces principes doivent continuer à guider la future réforme. L’accès à la justice et la jurisprudence réglementaire contemporaine fondée sur le concept de pyramide réglementaire sont d’autres éléments à prendre en compte pour la réforme de la Loi. L’ensemble de ces principes et de ces considérations forment ce que nous appelons le cadre de réforme de la Loi. 

 

1.     Proportionnalité

Le principe de proportionnalité reste un élément clé de la réforme de la Loi, comme c’était le cas lors de son adoption. Drinkwalter et Ewart, dans leur ouvrage de 1980, Ontario Provincial Offences Procedure, décrivent comment les procédures en application de l’ancienne Summary Convictions Act qui régissait la poursuite des infractions provinciales « restaient totalement inadaptées au caractère réglementaire mineur de la plupart des infractions provinciales »[192]. (Traduction libre) L’Assemblée législative de l’Ontario a réagi en créant la nouvelle Loi sur les infractions provinciales qui a établi un « cadre procédural adapté » et qui « représent[ait] du début à la fin une tentative visant à faire en sorte que chaque article corresponde à la nature des infractions qu’il régit »[193]. « Un des principaux changements procéduraux qu’a apporté la Loi porte sur la création de deux volets distincts, un pour les infractions mineures et l’autre pour les infractions plus graves. » (Traduction libre)  

Voici ce que déclarait alors l’ancien procureur général de l’Ontario :

De nombreuses personnes vivant en Ontario trouvent que la procédure qui régit actuellement la poursuite des infractions provinciales est déroutante, onéreuse, chronophage et tout à fait disproportionnée par rapport à la gravité de ces infractions. La Loi sur les infractions provinciales qui est proposée vient parer à cette situation en créant un code de procédure clair et indépendant afin de simplifier les procédures, d’éliminer les détails techniques, d’améliorer les droits et protections inscrits dans les procédures et de supprimer les retards en ce qui concerne l’affirmation des droits et la conclusion des poursuites[194]. (Traduction libre)

Sans nul doute, la proportionnalité de la procédure en accord avec la gravité de l’infraction provinciale constituait un objectif fondamental de la Loi en 1979 et devrait rester un principe directeur pour toute réforme à venir de la Loi. Le bon sens ordonne un rapport proportionnel entre la gravité ou la complexité d’une infraction et la procédure mise en place pour sa résolution. Cela n’est pas unique à la réforme sur les infractions provinciales. La proportionnalité de la procédure est également un facteur clé de la réforme des systèmes de justice civile et familiale[195]. Étant donné le grand nombre d’infractions provinciales, la gamme de sanctions possibles qui s’étend d’amendes négligeables d’un montant inférieur à 100 $ à des peines d’emprisonnement et la complexité accrue de certaines affaires, qui peuvent impliquer des experts et des milliers de documents, la proportionnalité reste un principe pertinent dans le cadre de la réforme de la Loi.

 

2.     Efficacité et administration de la justice

Des millions d’infractions sont traitées chaque année dans le cadre de la procédure prescrite par la Loi. Pour cette seule raison, l’efficacité se doit d’être une priorité du cadre de réforme de la Loi. En effet, il s’agissait déjà d’un facteur clé au moment de l’adoption de la Loi. Voici ce que déclarait l’ancien juge en chef adjoint McKinnon dans R. c. Jamieson :

La Loi sur les infractions provinciales n’est pas conçue pour être un piège pour les personnes peu qualifiées ou non vigilantes, mais plutôt […] pour être un moyen peu coûteux et efficace de gérer les infractions mineures dans la plupart des cas[196]. (Traduction libre)

Plus que leur seul volume, c’est la nature des affaires régies par la Loi qui demande la mise en place de procédures efficaces. La décision de 2003 de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire R. c. Felderhof évoquait à cet égard une Cour des infractions provinciales efficace et efficiente[197]. L’affaire portait sur la poursuite d’infractions commises en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières. La décision fait référence à la complexité accrue de certaines mises en accusation relatives à des infractions provinciales, à l’importance de traiter ces affaires de façon efficace et à la nécessité de modalités procédurales pour garantir l’efficacité de l’arbitrage : (Traduction libre)  

[40]         …  Jusqu’à tout récemment, un long procès durait une semaine, peut-être deux. De nos jours, il n’est plus rare que des procès se poursuivent pendant plusieurs mois, sinon des années. Au début du procès ou pendant son déroulement, l’avocat peut prendre des décisions qui le prolongent indûment ou l’entraînent vers une procédure presque impossible à gérer. …

[42]         Une « évolution des réalités sociales et matérielles » est que le contentieux, même à la Cour des infractions provinciales, est devenu plus complexe et demande des procès plus longs. Cela est dû en partie à une plus grande complexité de la société qui engendre des affaires telles que celle-ci, fondées sur des opérations commerciales délicates.  L’autre réalité à prendre en compte est l’incidence de la Charte des droits et des libertés. Il est possible que cette affaire ait également demandé du temps avant 1982.  Néanmoins, la Charte a introduit un autre degré de complexité.  …

 

[43]         De la même façon, demander à ce qu’un tribunal des infractions provinciales traite cette affaire délicate portant sur les règlements relatifs aux valeurs mobilières comme s’il ne s’agissait de rien de plus qu’une infraction de circulation nuirait gravement à l’efficacité de son fonctionnement. En conséquence de R. c. 974649 Ontario Inc., la Cour des infractions provinciales possède une vaste compétence réparatrice en vertu de la Charte. Il me semble que, par voie de conséquence nécessaire, elle doit donc disposer des modalités procédurales requises pour garantir son efficacité à mettre fin à toutes les demandes de réparation.[…] En effet, le pouvoir législatif a conféré au tribunal des infractions provinciales la compétence de décider ces affaires commerciales complexes, impliquant des centaines, voire des milliers de documents, et parfois des demandes de réparation délicates fondées sur la Charte.  De mon point de vue, le juge de première instance doit avoir l’autorité de contrôler la procédure dans son tribunal afin d’assurer un déroulement efficace du procès.  

Selon nous, l’efficacité du processus doit constituer une ligne directrice afin de pouvoir traiter non seulement les affaires simples et élémentaires fondées sur la Loi, mais également les affaires plus complexes et plus longues. Un code de procédure de la Loi ne fera pas avancer l’administration de la justice s’il n’est pas efficace.
 

 

3.     Équité

Le principe d’équité était profondément ancré dans la Loi à en juger par la prémisse selon laquelle « les infractions provinciales sont en substance quasi criminelles »[198]. Drinkwalter et Ewart ont écrit en 1979 que même pour les infractions faisant l’objet d’instances intentées selon le volet des infractions mineures (partie I), le droit à un procès restait absolu et sans réserve[199]. « [L]e principal défi dans la création d’un nouveau code de procédure [était] de se débarrasser du fardeau procédural tout en préservant et renforçant les droits procéduraux des accusés »[200]. (Traduction libre)   

Il est essentiel que l’équité de la procédure demeure une priorité dans la réforme de la Loi. Les processus proportionnels et efficaces pour la poursuite des infractions provinciales doivent toujours être mesurés à l’aune des considérations d’équité. Cependant, à nos yeux, le principe d’équité procédurale qui devrait être mis en œuvre pour de nombreuses infractions mineures ne nécessite peut-être pas aujourd’hui d’être autant étendu que ce qui avait pu être envisagé au moment de l’adoption de la Loi. On estimait alors que les instances introduites en vertu de la Loi visaient « clairement à imposer une sanction », point de vue qui sous-tendait l’idée que les infractions provinciales étaient quasi criminelles par nature[201]. (Traduction libre) Au vu des théories contemporaines sur le droit réglementaire et les objectifs en matière de détermination de la peine évoquées dans les chapitres suivants, la Commission du droit de l’Ontario se demande si l’objectif des poursuites actuelles intentées en application de la Loi est bien de punir. D’autres objectifs, tels que la persuasion et le respect des normes de réglementation par le biais de modalités non pénales, ou la justice réparatrice, sont peut-être plus efficaces aujourd’hui pour atteindre les objectifs de la réglementation visés dans les lois créatrices d’infractions. À cet égard, l’équité impose peut-être moins que toutes les garanties judiciaires des procès criminels. En d’autres termes, l’application de procédures propres aux procès criminels à toutes les audiences d’infractions réglementaires pourrait bien contrecarrer les objectifs majeurs de ces lois en matière de bien-être public et entraver ainsi de façon significative l’administration de la justice.

Les tribunaux ont indiqué que les protections judiciaires prescrites par la Charte des droits et libertés peuvent être moins strictes ou ne pas s’appliquer aux instances réglementaires. Selon l’ouvrage de Archibald, Jull et Roach, « la Cour suprême du Canada a souvent accepté le principe que les réductions, dans le respect de la légalité, des exigences en matière de perquisition, de la présomption d’innocence et du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, vont de pair avec l’accomplissement des objectifs de la réglementation »[202]. (Traduction libre)  

Ainsi, dans R. c. Transport Robert (1973) Ltée, la Cour d’appel de l’Ontario a estimé que le droit relatif à la sécurité de la personne, auquel on ne peut porter atteinte qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale, inscrit à l’article 7 de la Charte, ne s’applique pas à la poursuite d’une infraction relative au détachement d’une roue de véhicule utilitaire. La Cour a distingué l’infraction d’un « vrai crime » et s’est plutôt basée sur la nature réglementaire de l’infraction (c’est-à-dire empêcher les conséquences néfastes d’une infraction) lorsqu’elle a conclu que la stigmatisation d’une déclaration de culpabilité ainsi que l’imposition éventuelle d’une amende de 50 000 $ ne suffisaient pas à mettre en avant les protections définies dans l’article 7[203].  

La Cour d’appel de l’Alberta a abouti à une conclusion similaire dans l’affaire Lavallée c. Alberta (Securities Commission), et a affirmé que les articles 7 et 11 de la Charte ne s’appliquaient pas aux instances introduites sur la base d’accusations d’infractions à la Securities Act de l’Alberta[204]. La preuve relative à l’activité illégale et frauduleuse présumée permettait l’imposition de sanctions administratives pécuniaires s’élevant à un maximum de 1 million de dollars par contravention. La cour a examiné la peine, son objectif et l’objet de la Securities Act quand elle a conclu que les appelants n’étaient pas accusés d’une « infraction » au sens de l’article 11 de la Charte car les conséquences éventuelles de la violation de la loi n’étaient pas pénales par nature. À l’inverse, la cour a conclu que l’objet de l’amende était de réglementer le comportement dans le secteur des valeurs boursières afin de mieux répondre aux objectifs de la législation correspondante, notamment la protection des investisseurs et du public. En conséquence, le droit d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable à l’issue d’un procès public et équitable, inscrit au paragraphe 11d) de la Charte, ne s’applique pas[205]. En ce qui concerne le droit de l’article 7 relatif à la sécurité de la personne, la Cour a estimé que l’imposition de la peine n’était pas comparable à la stigmatisation attachée à un procès criminel long et vexatoire et ne mettait par conséquent pas en jeu le droit prescrit par la Charte à l’article 7[206].

En revanche, on peut opposer ces affaires aux infractions où l’emprisonnement est admissible comme peine ou qui sont « pénales par nature ». Dans ces affaires, les protections judiciaires garanties par la Charte sont davantage susceptibles de s’appliquer. Par exemple, dans R. c. Pontes, la Cour suprême du Canada a déclaré : « […] une infraction de responsabilité absolue n’est pas susceptible de contrevenir à l’art. 7 de la Charte à moins qu’une peine d’emprisonnement ne soit prévue »[207]. De même, dans R. c. Jarvis, la Cour suprême a affirmé que lorsque l’examen d’une infraction réglementaire a pour objet prédominant d’établir la responsabilité pénale, toutes les garanties prévues par la Charte, pertinentes dans le contexte criminel, s’appliquent[208].

Quels que soient la peine imposée ou l’objet prédominant d’une infraction, il convient toujours de garantir un minimum d’équité procédurale. Le droit de connaître l’infraction dont on est accusé et d’être entendu par un décideur impartial fera partie des caractéristiques essentielles de toute réforme du code de procédure des infractions provinciales[209]. La notion d’équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas[210]. Plus important encore, toute procédure adoptée pour la poursuite des infractions provinciales ou l’exécution de la sanction doit être perçue comme équitable afin de conserver le respect du public à l’égard de la primauté du droit et de l’administration de la justice. Les gens pourraient être davantage disposés à obéir à la loi s’ils pensent être traités de façon équitable[211].

 

 

4.     Accès à la justice

Un quatrième point majeur qui sert de ligne directrice au cadre de réforme de la Loi est l’accès à la justice. Dans son sens le plus large, cela regroupe plusieurs composantes et les obstacles rencontrés peuvent être les suivants[212] :

  • Obstacles procéduraux qui empêchent un accès efficace et raisonnable aux instances devant les tribunaux. Il peut par exemple s’agir de règles de tribunal complexes ou d’un manque de renseignements simples et clairs sur les procédures des tribunaux.
  • Obstacles économiques tels que les frais de maintien des services d’un représentant juridique ou les procédures qui imposent de multiples comparutions inutiles au tribunal qui augmentent par là même les coûts.
  • Obstacles physiques qui empêchent l’accès physique au système de justice, comme des tribunaux inaccessibles ou des formulaires de justice auxquels ne peuvent accéder les personnes handicapées.
  • Obstacles culturels et linguistiques qui peuvent compromettre de façon disproportionnée l’accès de certains groupes au système juridique. Ainsi, les connaissances relatives à des systèmes juridiques autres que le système canadien peuvent avoir une incidence sur la façon dont notre système est perçu.
  • Autres obstacles qui empêchent certains groupes de participer à la réforme plus vaste du droit et de la justice sociale et économique. Il peut s’agir du manque d’éducation ou de sensibilisation concernant les moyens pour participer à l’élaboration et à la réforme du droit. 

L’accès à la justice doit entrer en ligne de compte dans toute réforme du système judiciaire relatif aux infractions provinciales. Le droit réglementaire a une incidence sur nos vies au quotidien. Le système judiciaire relatif aux infractions provinciales est le visage de la justice pour la plupart des Ontariennes et Ontariens et il doit par conséquent proposer des procédures simples, facilement compréhensibles et accessibles en ce qui concerne les infractions dont les citoyens ordinaires sont le plus souvent accusés. Sans un tel système, il y a un risque d’éloignement par rapport à la communauté qu’il sert et par là même, de perte de respect de cette même communauté. Pire, cela ne favorisera pas le respect de la règle de droit.
 

 

B.                Réglementation souple et pyramide réglementaire

Une réglementation souple et proportionnée constitue le dernier concept à prendre en compte pour le cadre de réforme de la Loi. Ce concept met en jeu une « pyramide réglementaire » qui suggère une réponse progressive lorsque les responsables de la réglementation repèrent une non-conformité aux normes réglementaires, plutôt que de lancer d’emblée des poursuites réglementaires entraînant de lourdes amendes comme premier moyen de réponse[213]. 

Nous reconnaissons que la pyramide réglementaire n’a pas une incidence directe sur le code de procédure propre aux poursuites relatives aux infractions réglementaires. Elle est davantage pertinente dans le cadre d’un examen critique portant sur la façon dont les responsables de la réglementation devraient mieux répondre aux infractions réglementaires qu’ils perçoivent. Comme il est décrit ci-dessous, les poursuites représentent seulement une réponse possible dans le cadre de la pyramide réglementaire et la Loi ne traite de la procédure que lorsqu’une décision d’intenter une poursuite a été prise. Néanmoins, la pyramide réglementaire peut être un outil instructif et utile pour les poursuivants lorsqu’ils décident de lancer ou non une poursuite, et surtout, en ce qui concerne notre propos, elle peut être pertinente pour les juges lorsqu’ils envisagent les options appropriées en matière de peine. 

Le concept de réglementation souple est né d’un débat relativement insatisfaisant concernant la déréglementation dans le secteur des affaires. D’une part, les hommes politiques proéminents des années 1980 et 1990 ont cherché à remplacer ce qui était perçu comme un contrôle gouvernemental excessif exercé par l’État-providence par une plus grande privatisation et une gouvernance fondée sur la « magie du marché » [214]. (Traduction libre) Le point de vue opposé est que la réglementation du gouvernement associée à une application stricte des lois par le biais de sanctions est nécessaire pour protéger les individus dans une société moderne. On ne peut se fier aux acteurs du secteur industriel privé, sans réglementation et application des normes de réglementation, pour protéger le public dans la mesure où ils s’intéressent uniquement aux bénéfices et non aux objectifs liés au bien-être public. Les personnes favorables à une forte réglementation et application de la loi (tant dans le contexte public que privé) pourraient ainsi pointer du doigt les incidents tragiques dus à l’insalubrité de l’eau potable à Walkerton, en Ontario, en 2000, et faire référence à l’enquête subséquente dans laquelle l’honorable juge O’Connor a établi que l’échec du gouvernement provincial à promulguer des règlements juridiquement contraignants a contribué à l’insalubrité de l’eau potable et aux maladies et décès qui ont suivi[215]. 

La réglementation souple et la pyramide réglementaire visent à transcender le débat « réglementation contre déréglementation ».

La souplesse de l’approche (en ce qui concerne la réglementation), proposée par Ayres et Braithwaite, prévoit un processus où les responsables de la réglementation s’appuient sur des stratégies basées sur la conformité et ont ensuite recours à des éléments de dissuasion plus punitifs lorsque le niveau désiré de conformité n’est pas atteint. Selon eux, il s’agit d’une option préférable aux positions soutenues soit par ceux qui pensent que « la persuasion douce fonctionne en garantissant la conformité des entreprises avec la loi » et ceux qui considèrent simplement que les entreprises ne respectent la législation que lorsque des sanctions sévères ont été appliquées[216]. (Traduction libre) 

La pyramide réglementaire offre un équilibre entre ceux qui pensent que la dissuasion par des sanctions sévères est la meilleure façon d’atteindre la conformité à la loi et ceux qui estiment que la persuasion douce est suffisante pour garantir la conformité. Au lieu de demander s’il vaut mieux punir ou persuader, la question est plutôt quand punir ou quand persuader[217]. À partir de la plupart de ses recherches empiriques sur ce qui motive les acteurs réglementés, John Braithwaite conclut que la punition comme première réponse peut souvent inhiber la conformité aux normes de réglementation, dans la mesure où elle insulte les acteurs réglementés et les démotive[218]. Cela favorise la rébellion personnelle et le risque d’une sous-culture de résistance du monde des affaires vis-à-vis de la réglementation[219].

Lorsque la punition, et non le dialogue, s’inscrit au premier plan des rencontres réglementaires, il est évident que, du point de vue psychologique, les gens trouveront cela humiliant, éprouveront du ressentiment et résisteront en adoptant des comportements qui incluent l’abandon de l’autoréglementation[220]. (Traduction libre)

Les auteurs Ayres and Braithwaite indiquent que les particuliers et les entreprises respectent souvent les règlements non par peur des sanctions, mais pour d’autres facteurs qui incitent à la conformité, y compris la perte de la réputation, le désir de faire ce qui est juste, d’être fidèle à son identité de citoyen respectueux des lois et de maintenir une image personnelle de responsabilité sociale[221]. Ils expliquent que ces facteurs de motivation devraient être la source de réponses initiales aux violations réglementaires qui soient proportionnées et personnalisées et favorisent la coopération et l’observation des lois, plutôt que les poursuites judiciaires entraînant l’imposition d’une amende standard. En outre, les poursuites pourraient au final n’entraîner aucun changement de comportement, ni favoriser l’observation des lois, notamment si l’amende pèse sur les consommateurs et n’est pas supportée par la partie réglementée.

Toutefois, le recours à la punition ne devrait pas être abandonné. Il faut le conserver en arrière-plan comme le bâton que l’on peut utiliser pour favoriser l’observation de la loi avec des sanctions moindres[222]. 

La persuasion est à la base de la pyramide réglementaire proposée par Ayres et Braithwaite. Plus on monte dans la pyramide, plus les outils utilisés par les responsables de la réglementation s’avèrent punitifs et exigeants. La persuasion devient une lettre d’avertissement qui elle-même peut se transformer en sanction civile, poursuite ou sanction pénale, suspension, voire révocation de permis. Le modèle se veut dynamique. Il ne devrait pas servir à déterminer à l’avance vers quel niveau les responsables de la réglementation devraient se tourner pour répondre à une infraction. On devrait partir, hypothétiquement, de la base de la pyramide, même si les circonstances pourraient exiger de commencer plus haut. Lorsque la personne réglementée ne répond pas à la persuasion, le responsable de la réglementation peut alors monter dans la pyramide jusqu’à atteindre le palier de « réforme et réparation »[223].   

En Ontario, Archibald, Jull et Roach ont poursuivi les travaux de Ayres et Braithwaite. Ils placent également l’autoréglementation et la persuasion en bas de la pyramide, mais prévoient en outre un rôle précoce pour la justice réparatrice ou corrective dans certains cas de violations de la réglementation[224]. À cet égard, ils se sont appuyés sur la définition formulée par la Cour suprême du Canada dans un contexte criminel :

En termes généraux, la justice corrective peut se définir comme une conception de la réponse au crime selon laquelle, tout étant interrelié, le crime vient rompre l’harmonie qui existait avant sa perpétration, ou du moins l’harmonie souhaitée. L’adéquation d’une sanction donnée est alors largement déterminée par les besoins des victimes et de la communauté, ainsi que par ceux du délinquant. L’accent est mis sur les êtres humains touchés de près par le crime[225].  

En cas d’échec de la persuasion et de la justice réparatrice, Archibald, Jull et Roach proposent les lettres d’avertissement. Si ces lettres restent suivies par une non-conformité, le prochain niveau est le volet de justice civile ou administrative qui inclut des actions civiles visant l’obtention d’une indemnisation et de l’internalisation des coûts. Les sanctions administratives pécuniaires (SAP) semblent faire partie de ce niveau. Le niveau suivant est la poursuite réglementaire pour laquelle la Loi entre en jeu. La dissuasion est alors généralement l’objectif recherché. Les défendeurs sont poursuivis, mais peuvent éviter d’être déclarés coupables en établissant qu’ils ont fait preuve de diligence raisonnable, mettant en œuvre des garde-fous que tout défendeur raisonnable aurait déployés pour éviter que se produise l’acte interdit[226]. Tout en haut de la pyramide, se trouvent enfin les sanctions criminelles et la suspension de permis temporaire ou permanente[227]. 

Braithwaite estime que la pyramide est efficace si l’on se base sur l’expérience acquise par les organismes de réglementation du secteur des affaires dans le monde entier[228]. Les preuves empiriques montrent que la persuasion peut marcher à certains moments et pas à d’autres, mais il en va de même pour la punition. De plus, la faveur hypothétique accordée à la persuasion implique que l’on commence par l’option la moins onéreuse et la plus respectueuse. Si l’on utilise d’abord des moyens de persuasion, il est davantage probable que les moyens de coercition éventuels apparaissent équitables et légitimes par les personnes réglementées ou tout du moins, par les tiers. Cela peut aussi permettre d’éviter pour certains cas la réponse traditionnelle fondée sur les poursuites, ce qui réduit les coûts généraux engendrés par les tribunaux et les poursuites et limite le délai associé aux instances judiciaires[229].   

La CDO soutient la réglementation réactive et la notion d’un ensemble de modalités adaptées et souples pour les responsables de la réglementation afin de promouvoir le respect des normes de réglementation. La recherche pluridisciplinaire menée par Braithwaite et d’autres[230] est très intéressante et amène des solutions créatives pour favoriser le respect des normes de réglementation qui n’existent pas beaucoup dans le paysage canadien du droit réglementaire.  

Comme nous l’avons mentionné précédemment, la pyramide réglementaire est davantage pertinente dans le cadre d’une analyse générale sur la façon dont les responsables de la réglementation peuvent promouvoir au mieux le respect des normes de réglementation, plutôt que vis-à-vis de la question du code de procédure des poursuites d’infractions. Cependant, ce concept a une certaine application en ce qui concerne l’examen des modalités de détermination de la peine à disposition d’un juge à l’étape de la pyramide relative à la poursuite réglementaire. Il remet en effet en cause le paradigme général amende-dissuasion comme réponse standard pour la plupart des poursuites réglementaires et ouvre la porte à des outils plus efficaces en matière de peine permettant de mieux favoriser l’observation des objectifs réglementaires à l’avenir. Comme nous l’évoquons dans le chapitre VI sur la réforme de la détermination de la peine, l’usage étendu de la probation, la possibilité de rendre des ordonnances de restitution et d’indemnisation et la possibilité d’ordonner un vérificateur intégré en vue de contrôler le respect des lois sont quelques-unes des options qui correspondent aux concepts de réglementation souple et de pyramide réglementaire.

 

 

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