A.    Recours au tribunal pour juger les instances introduites en vertu de la partie I et de la partie II de la Loi

Les juges et les juges de paix de la Cour de justice de l’Ontario sont habilités à juger toutes les infractions régies par la Loi, mais ce sont les juges de paix qui président pratiquement toutes les affaires d’infractions provinciales nécessitant un arbitrage[260]. Cela représente assurément un volume de travail significatif pour les tribunaux et la grande majorité semble porter sur des infractions mineures. Étant donné le volume et la nature de ces affaires et les coûts associés, nous cherchons à examiner si le transfert de la résolution de nombre de ces infractions sous le coup d’un système de SAP ne favoriserait pas davantage l’administration de la justice et l’utilisation efficace des ressources judiciaires.

Comme nous l’avons noté précédemment, les tribunaux reçoivent généralement chaque année 2,1 millions de mises en accusation fondées sur les parties I et III de la Loi, réparties comme suit : environ 90 % (1,9 million) correspondent à la partie I et environ 10 % (170 000) à la partie III. De façon constante en 2007, 2008 et 2009, environ 80 % des instances fondées sur la partie I correspondent à des mises en accusation en vertu du Code de la route ou de ses règlements[261]. 

Bien que les données provinciales sur le nombre d’infractions de stationnement régies par la partie II, reçues par les tribunaux, ne soient pas disponibles, nous savons qu’il s’agit de chiffres importants. En 2009, rien qu’à Toronto, 2,8 millions de procès-verbaux d’infractions de stationnement ont été délivrés[262]. Les estimations relatives à d’autres grandes municipalités de l’Ontario révèlent que des centaines de milliers d’infractions de stationnement sont reçues chaque année par les tribunaux[263].

Ce qui importe pour notre analyse, c’est l’importance du temps passé par les tribunaux pour régler ces affaires régies par la Loi. Les données provinciales sur les heures de fonctionnement des tribunaux en 2009 montrent que les juges de paix ont passé un total de 57 576 heures sur des affaires régies par la Loi, parmi lesquelles :

·   58 % (33 358 heures) ont été consacrées à présider des procès sur des affaires des parties I et II;

·   26 % (15 088 heures) ont été consacrées à présider des procès sur des affaires des parties III;

·   16 % (9 129 heures) ont été consacrées à d’autres questions régies par la Loi (p. ex. motions, absence de réponse).

Ainsi, ces chiffres montrent clairement que la majorité du temps consacré par les juges de paix sur les affaires régies par la Loi porte sur les infractions de stationnement et les infractions de la partie I[264].

Nous n’avons pas pu obtenir de données sur les coûts engendrés par l’administration des tribunaux pour les affaires régies par la Loi en Ontario, mais on estime qu’il s’agit d’un montant important. Le ministère du Procureur général ne possède pas ces données et chaque municipalité calcule ces coûts différemment. Toutefois, si l’on examine une nouvelle fois les données de Toronto, on estime que 50 millions de dollars sont dépensés chaque année pour l’administration des tribunaux pour les affaires régies par la Loi[265]. Les dépenses annuelles du ministère du Procureur général en ce qui concerne les juges de paix sont évaluées à 45,4 millions de dollars. Si l’on se base sur le nombre d’heures consacrées par les juges de paix à présider des procès d’affaires régies par les parties I et II, on estime qu’un montant de 9,2 millions de dollars de dépenses pour les juges de paix est consacré à l’audience de ces infractions de moindre gravité. Les coûts additionnels liés à l’administration des tribunaux pour la Loi supportés par les municipalités comprendraient le coût pour les installations, les poursuivants, le personnel de tribunal et l’administration connexe (p. ex. le matériel de bureau pour le personnel de tribunal). Au vu de ces coûts, la question suivante se pose : ne faudrait-il pas rendre disponible un forum moins onéreux, mais tout aussi équitable pour l’arbitrage de ces infractions, à l’instar du système de SAP. Une telle transition pourrait en outre favoriser un plus grand respect pour le système judiciaire, dans la mesure où les juges nommés se consacreraient davantage à présider des affaires plus graves.

 

B. Introduction sur les sanctions administratives pécuniaires

Les systèmes de sanctions administratives pécuniaires (SAP) (également appelées « pénalités administratives ») permettent l’imposition de sanctions pécuniaires par un organisme de réglementation pour une contravention à une Loi, à un règlement ou à un règlement administratif. L’organisme de réglementation rend une SAP après avoir mis à jour un événement illégal et cette SAP est exigible sous réserve uniquement des droits d’examen prévus dans le système de SAP. On peut distinguer l’amende de la sanction administrative pécuniaire en ceci que l’amende fait référence à une sanction pécuniaire d’ordre pénal ou quasi pénal, payable uniquement après admission de culpabilité ou déclaration de culpabilité par un tribunal. À l’inverse, une SAP« ne contient pas d’élément criminel et vise uniquement à traduire la violation d’une loi ou d’une règle qui porte en elle-même une sanction monétaire »[266]. (Traduction libre) Il s’agit d’une peine réglementaire imposée pour favoriser la conformité à un modèle réglementaire donné et elle « n’est pas considérée comme une punition criminelle, car elle est principalement imposée en vue de compenser l’état de la nuisance commise à son encontre, et non de punir une activité moralement mauvaise »[267]. (Traduction libre)

Lorsqu’une SAP est autorisée, on peut souvent avoir recours à un examen. Le type d’examen dépendra du système de SAP. Très souvent, la décision de l’organisme de réglementation d’imposer une SAP est soumise uniquement à un examen administratif mené par une personne ou un organisme désigné[268], même si l’on a parfois le droit de faire appel de la sanction devant un tribunal[269]. Comme pour toutes les décisions rendues par des organes administratifs, les décisions prises dans le cadre d’un système de SAP sont soumises à un examen judiciaire devant la Cour supérieure de justice[270].

Le système de SAP décrit dans la Loi de 2001 sur les municipalités[271] est particulièrement intéressant. Le 1er janvier 2007, l’article 102.1 a été ajouté à la Loi de 2001 sur les municipalités par la Loi modifiant diverses lois en ce qui concerne les municipalités[272] adoptée en 2006. Cet article donne aux municipalités l’autorité globale d’exiger qu’une personne paie une pénalité administrative si elle est convaincue que celle-ci n’a pas observé un règlement municipal sur le stationnement, l’immobilisation ou l’arrêt de véhicules[273].  Il incombe à la municipalité de décider si elle crée un système de SAP pour les infractions de stationnement. Si tel est le cas, le régime fondé par la Loi sur les infractions provinciales ne s’applique plus[274].

Il est important de noter que l’établissement de ce pouvoir (ainsi que le pouvoir pour l’application d’un système de permis établi par une municipalité en vertu de l’alinéa 151(1)g) de la Loi de 2001 sur les municipalités) commence par : « Sans préjudice de la portée générale des articles 9, 10 et 11 ». Ces dispositions confèrent de vastes pouvoirs aux municipalités. En conséquence, il a été avancé que le pouvoir d’établir un système municipal de pénalités administratives n’est pas limité aux questions de stationnement et de permis, mais peut potentiellement s’appliquer à tous les règlements administratifs relatifs aux services et aux choses qu’une municipalité est autorisée à fournir en vertu des larges pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi de 2001 sur les municipalités.

Certaines municipalités ont créé des systèmes de SAP pour gérer les contraventions créées par d’autres types de règlements municipaux passés conformément à la Loi de 2001 sur les municipalités[275]. Pour l’application de la législation sur le stationnement, seule la ville de Vaughan a mis en place un système de SAP, au moment de la rédaction du présent rapport. Néanmoins, la ville d’Oshawa vient d’approuver un système semblable pour les infractions de stationnement devant être instauré début 2011[276].

Le recours aux systèmes de SAP à d’autres fins semble augmenter de façon constante en Ontario et ailleurs au Canada[277]. Vingt-et-une lois en Ontario établissent divers systèmes de sanctions administratives. D’autres termes peuvent être parfois utilisés pour désigner les SAP. L’article 182.1 de la Loi sur la protection de l’environnement, par exemple, prévoit des « pénalités environnementales » et il s’agit d’un des systèmes de SAP les mieux connus en Ontario[278]. La Loi de 2006 sur Metrolinx permet aussi à des règlements administratifs de mettre en place un système de « frais administratifs » pour les systèmes de transports régionaux (comme GO Transit) lorsqu’une personne contrevient aux règlements en ce qui concerne le paiement de tarifs par les passagers ou l’arrêt, l’immobilisation ou le stationnement de véhicules sur certains biens-fonds[279]. Les règlements de la Loi prévoient des exigences administratives et procédurales pour tout règlement administratif sur les frais administratifs, exigences qui sont similaires à celles des règlements de la Loi de 2001 sur les municipalités (p. ex. avis donné à la personne, examen de la pénalité par un agent d’examen, suivi d’un examen par l’agent enquêteur)[280].

Aux États-Unis, l’application administrative de la sanction relative aux procès-verbaux d’infractions de stationnement est très courante. Le tableau à l’annexe B suggère que des systèmes d’audience administrative sont aussi fréquents que le recours aux tribunaux pour l’application des sanctions d’infractions de stationnement dans le pays. Nombre de ces systèmes ont été mis en place depuis un certain temps. La ville de New York a transféré l’application des sanctions liées aux infractions de stationnement de ses tribunaux judiciaires à ses tribunaux administratifs dans les années 1970[281]. À Chicago, le Department of Administrative Hearings est entré en vigueur en 1997, mais dès 1990, la ville avait décriminalisé les infractions de stationnement et le Department of Revenue avait commencé à tenir des procès administratifs pour diverses affaires, y compris les affaires de stationnement. Aujourd’hui, c’est le Vehicle Hearings Department de Chicago qui gère les affaires de stationnement et d’équipement de véhicules[282]. 

 

C.                 Les SAP comme solution par rapport au système régi par la Loi

Étant donné le volume d’infractions mineures régies par les parties I et II de la Loi que juge la Cour de justice de l’Ontario, le coût d’administration des tribunaux concernés et l’augmentation du recours aux systèmes de SAP au Canada et ailleurs, il convient de se demander si le régime fondé sur la Loi en Ontario ne devrait pas s’appuyer davantage sur les SAP comme solution de rechange par rapport aux instances menées au tribunal. Autre élément clé à prendre en compte : le respect de notre système judiciaire est-il favorisé lorsque les ressources des tribunaux sont employées pour juger des infractions particulièrement mineures. Nous avons d’abord examiné les questions générales suivantes avant de chercher à évaluer si les SAP devraient servir à l’application de sanctions pour certaines infractions faisant actuellement l’objet d’instances introduites en vertu de la Loi : 

  • les arguments stratégiques favorables et défavorables aux SAP en général;
  • le système de SAP pour les infractions de stationnement en vertu de la Loi de 2001 sur les municipalités et son utilisation dans la ville de Vaughan;
  • l’application de la Charte à un système de SAP;
  • l’obligation d’équité d’un système de SAP.

Nous avons conclu en faisant part de recommandations pour la réforme.
 

1. Arguments stratégiques généraux favorables et défavorables aux SAP

Nos recommandations mettent l’accent sur l’utilisation de systèmes de SAP pour les infractions de stationnement ou d’autres infractions mineures, mais nous commencerons par procéder à un résumé des arguments généraux favorables et défavorables à de tels systèmes. 

De nombreux spécialistes pratiques et théoriques pensent que les SAP constituent l’option la plus efficace par rapport aux procédures judiciaires[283]. Même si de nombreux systèmes de SAP assurent des degrés très différents de protection procédurale, cette dernière est généralement moindre et les systèmes sont plus informels que les procédures de tribunal. Dans le cadre de poursuites intentées en vertu de la Loi, des règles de tribunal formelles doivent être suivies, la défense et les poursuivants doivent préparer leurs arguments et leurs témoins et une divulgation détaillée des renseignements peut être exigée. Ces caractéristiques ne s’appliquent pas à la plupart des systèmes de SAP. La norme en matière de preuve requise dans le cadre des SAP est souvent inférieure à celle requise dans une poursuite réglementaire ordinaire, ce qui peut éliminer beaucoup des problèmes auxquels on se retrouve généralement confronté dans le cadre d’un procès. Par exemple, l’article 182.1 de la Loi sur la protection de l’environnement établit que l’obligation de payer une pénalité environnementale n’est pas soumise aux arguments de défense suivants : prudence raisonnable ou croyance raisonnable à l’existence de faits erronés. Par conséquent, les pénalités administratives sont généralement perçues comme une option plus rapide et moins coûteuse que les procédures au tribunal[284].

On a également défendu l’idée qu’un système d’application de la loi qui s’appuie sur les SAP est plus efficace qu’un système dépendant exclusivement des poursuites réglementaires ou criminelles. Le coût, la complexité et le temps demandé qui sont liés à ces poursuites peuvent dissuader les organismes de réglementation d’exécuter la sanction d’une infraction, ce qui serait à l’origine d’un « déficit de conformité », selon l’expression de Richard Macrory (Traduction libre) – à savoir l’échec de mise en œuvre de mesures d’application de la loi pour répondre à des défauts de conformité avérés en raison d’un manque de ressources pour appliquer la loi de manière efficace[285]. Macrory reconnaît qu’il est difficile d’évaluer le niveau général d’observation des normes de réglementation du fait du manque de preuves concrètes. Cependant, 60 % des répondants à son étude estimaient que le système alors en place au Royaume-Uni pour exécuter la loi en réponse aux infractions était inadapté et 66 % étaient favorables à un usage renforcé des SAP[286]. 

Une étude menée par le professeur R.M. Brown a examiné les enquêtes réalisées par les responsables de la réglementation en Colombie-Britannique et aux États-Unis qui utilisent les SAP afin d’appliquer les normes de santé et de sécurité au travail. Il les a ensuite comparées aux enquêtes effectuées par le ministère du Travail de l’Ontario relativement à l’application de la Loi sur la santé et la sécurité au travail par le biais de poursuites intentées en vertu de la Loi sur les infractions provinciales. Dans son étude, il a conclu qu’il y a une plus grande probabilité d’applications de pénalités relatives à la violation de normes lorsque l’on a recours aux SAP plutôt qu’aux poursuites. Afin d’expliquer pourquoi l’application de la loi dans le cadre d’un système de SAP est plus efficace, l’étude fait valoir le coût de l’arbitrage du tribunal, le travail demandé dans la préparation d’une poursuite, la difficulté qu’impose la garantie d’une déclaration de culpabilité et le retard des décisions judiciaires[287]. Brown poursuit son argumentaire en affirmant que la certitude d’une sanction a une incidence plus grande sur la conformité que la sévérité de ladite sanction[288]. De ce fait, on pourrait arguer qu’à défaut d’être la modalité exclusive d’application de la loi, les SAP devraient au moins faire partie de l’arsenal des organismes de réglementation. Dans ce cas, on peut penser que les taux de conformité devraient être meilleurs que dans le cadre de systèmes se fondant uniquement sur les poursuites.

De plus, les systèmes de SAP disposent souvent de décideurs qui ont l’expertise qui manque généralement aux tribunaux et par conséquent, des décideurs administratifs sont peut-être mieux équipés pour veiller à ce que les objectifs de la réglementation soient atteints. Par exemple, dans les affaires de protection environnementale, les membres de tribunaux spécialistes de l’environnement possèdent ou acquièrent l’expertise technique et scientifique nécessaire à l’atteinte des objectifs de la réglementation[289].

Toutefois, la Law Reform Commission of Saskatchewan (commission de réforme du droit de la Saskatchewan) a déterminé un certain nombre de sujets de préoccupation concernant les caractéristiques de certains systèmes de SAP. En effet, elle a exprimé une certaine gêne à l’égard du fait que les responsables de la réglementation enquêtent sur les infractions, puis décident de tout examen sur les SAP résultant des violations mises en évidence[290]. L’obligation d’équité nécessite un décideur impartial et indépendant. Elle impose également qu’une personne ait la possibilité de présenter son cas et de répondre aux preuves et arguments avancés par d’autres[291]. Selon la Law Reform Commission of Saskatchewan, dans de nombreux contextes administratifs, les fonctions d’enquête et d’arbitrage du décideur ne sont pas séparées, sans que l’on fasse pour autant appel à un arbitre indépendant. Pourtant, de nombreux systèmes de SAP de la Saskatchewan ne prévoient pas de droit inscrit dans la loi de faire appel devant un tribunal ou de disposer d’un autre examen effectué par un décideur indépendant[292]. Comme nous l’évoquerons dans la présentation sur les systèmes de SAP pour les infractions de stationnement, les protections législatives établies dans les règlements et règlements administratifs municipaux de la Loi de 2001 sur les municipalités répondent à ces préoccupations en matière d’obligation d’équité.

Une autre crainte relative aux SAP est que l’on occulte alors l’utilisation d’autres modalités d’application de la loi. Les poursuites restent un processus précieux dans la pyramide réglementaire. Pour autant, les organismes de réglementation pourraient s’appuyer excessivement sur les SAP et ne pas prendre la peine de procéder à des poursuites plus lourdes, coûteuses et complexes. Cette préoccupation n’est pas sans fondement. L’étude de Brown a révélé que les deux organismes de réglementation qui disposaient de la possibilité d’utiliser les SAP et de procéder à des poursuites s’appuyaient presque exclusivement sur les SAP. Après avoir examiné l’Occupational Health Safety and Health Administration (OSHA) aux États-Unis, l’auteur a découvert que même dans le cas d’infractions délibérées ayant engendré le décès, l’OSHA préférait recourir aux SAP plutôt qu’aux poursuites pénales et à leurs sanctions associées[293].

Des directives ou lignes directrices réglementaires pourraient être introduites pour répondre à cette crainte. La législation créatrice de l’infraction ou d’autres autorités peuvent préciser que les SAP ne sont pas disponibles pour certaines catégories d’infractions graves ou des politiques en matière d’application de la loi pourraient établir quand l’emploi des SAP est approprié et quand il convient d’intenter des poursuites[294]. En outre, l’attractivité du système de SAP inquiète également dans la mesure où les responsables de la réglementation pourraient ignorer totalement les outils disponibles au bas de la pyramide (comme les lettres d’avertissement) et choisir directement les SAP[295]. Même s’il peut s’agir d’un ajout utile à l’arsenal des organismes de réglementation, les SAP ne sont qu’une option et il devrait y avoir des lignes directrices pour déterminer quand il convient de les préférer aux autres modalités d’application de la loi.   

Un autre contributeur au projet s’est demandé si la véritable raison expliquant les SAP ne serait pas de contourner la décision dans l’affaire R. c. Sault Ste. Marie[296] selon laquelle il est plus approprié de traiter les infractions réglementaires comme des infractions de responsabilité stricte plutôt que comme des infractions de responsabilité absolue. Avec ce dernier type d’infractions, le moyen de défense de diligence raisonnable n’est pas valable et il suffit de prouver que l’infraction a eu lieu. En imposant une SAP lorsque l’on découvre une violation d’une norme de réglementation, l’affaire est alors plus ou moins réglée comme une infraction de responsabilité absolue s’il n’est pas possible de proposer un moyen de défense de diligence raisonnable lors d’un procès subséquent. En effet, le paragraphe 182.1(6) de la Loi sur la protection de l’environnement établit que l’obligation de payer une pénalité environnementale n’est pas soumise aux moyens de défense suivants : prudence raisonnable ou croyance raisonnable à l’existence de faits erronés. Si R. c. Sault Ste. Marie représentait une solution plus équitable que la responsabilité absolue, s’agit-il d’une bonne politique publique que de permettre aux autorités de contourner cette décision en désignant simplement l’infraction par un nom différent, en abaissant le montant de la pénalité, en confiant l’affaire à un organe d’arbitrage plutôt qu’à un tribunal et peut-être en caractérisant la sanction de « compensatoire » ou en utilisant une autre terminologie suggérant que la peine n’est pas vraiment une peine?

Il s’agirait sans doute d’un sujet de préoccupation particulièrement sensible pour les infractions pouvant être sanctionnées par des peines significatives, mais moins problématique pour les infractions mineures aujourd’hui réglées par un système de SAP. De fait, on pourrait avancer que la création d’un système de SAP pour des infractions mineures de responsabilité absolue constitue un prolongement logique et approprié du raisonnement suivi dans Sault Ste. Marie qui a abouti à l’adoption d’une approche différente face aux divers types d’infractions commises contre le bien-être public – celles qui ressemblent le moins à des vrais crimes et qui engendrent des pénalités modérées (c’est-à-dire les infractions de responsabilité absolue) ne doivent pas être traitées comme des vrais crimes demandant l’application des pleins droits de défense. En outre, depuis Sault Ste. Marie, les tribunaux ont envisagé des systèmes de SAP proposant des pénalités très importantes. Ces affaires semblent indiquer que le tribunal fait peu de cas des actes législatifs qui prévoient le transfert de certaines infractions traditionnelles dans le cadre d’un système de SAP sous réserve de la mise en place de certains garde-fous. Nous évoquerons la position des tribunaux en ce qui concerne d’autres systèmes de SAP dans la partie 3 de ce chapitre portant sur les aspects constitutionnels des SAP.

Enfin, les concepts de réglementation souple et de pyramide réglementaire offrent un argument convaincant en faveur d’un ensemble d’outils divers et flexibles à disposition des organismes de réglementation. Une poursuite pénale ou réglementaire n’est pas toujours la réponse adaptée à toutes les violations d’une loi réglementaire[297]. Il serait injuste de poursuivre par voie pénale une infraction mineure si l’on considère l’importante stigmatisation liée à une déclaration de culpabilité criminelle et les autres répercussions graves entraînées par une telle déclaration de culpabilité (p. ex. incidence sur la détention de permis professionnel ou capacité à exercer en tant que directeur de société)[298]. Dans ces circonstances, un système de SAP pourrait s’avérer un outil d’application de la loi plus efficace et plus adapté.

Notre examen des systèmes de SAP au Canada et à l’étranger et de la documentation sur leur efficacité et sur leurs avantages en tant qu’outil d’application de la loi met en évidence un plaidoyer convaincant en faveur d’une transition progressive vers un usage renforcé des SAP inscrit dans les lois créatrices d’infractions de l’Ontario. L’évaluation et l’énumération de toutes les infractions qui devraient être sanctionnées par les systèmes de SAP vont bien au-delà de la mission du présent rapport. Selon la nature de l’infraction et l’objectif de la loi créatrice de l’infraction, les SAP pourraient être un outil d’application de la loi exclusivement réservé à certaines contraventions ou simplement une modalité à disposition de l’organisme de réglementation lorsque des options moins sévères (comme les lettres d’avertissement) ou plus sévères (comme les poursuites et les suspensions de permis) ne sont ni efficaces, ni adaptées. 

Comme point de départ de la réforme, de solides arguments sont de prime abord favorables au fait de débarrasser les tribunaux des affaires d’infractions de stationnement de la partie II, lesquelles seraient réglées dans le cadre d’un système de SAP. Nous allons à présent évoquer ce transfert de la résolution des infractions de stationnement dans le cadre d’un régime de SAP, puis nous évaluerons si d’autres infractions mineures, notamment celles à l’égard du Code de la route, devraient également être assujetties à ce système.

 

2.     Le cas des SAP pour les infractions de stationnement dans toutes les municipalités de l’Ontario

a.         Aperçu des systèmes de SAP en application de la Loi de 2001 sur les municipalités

L’article 102.1 de la Loi de 2001 sur les municipalités donne aux municipalités l’autorité d’imposer une pénalité administrative si la municipalité est convaincue qu’une personne n’a pas observé un règlement municipal sur le stationnement, l’immobilisation ou l’arrêt de véhicules[299].  Si la municipalité choisit de mettre sur pied un tel système pour une infraction de stationnement, la Loi ne s’applique plus à cette infraction[300].

L’article 3 du Règlement 333/07 pris en application de la Loi de 2001 sur les municipalités (règlement sur les SAP) impose aux municipalités d’adopter un règlement municipal établissant un système de pénalités administratives si la municipalité doit exercer le pouvoir d’exiger qu’une personne paie une pénalité administrative pour stationnement, immobilisation ou arrêt de véhicules illégaux. Le règlement administratif municipal doit satisfaire aux exigences du Règlement 333/07.

Il s’agit d’une part de limites pécuniaires. L’article 6 fixe la limite d’une pénalité administrative établie dans un règlement municipal à 100 $ :

6. Le montant d’une pénalité administrative fixé par une municipalité ne doit être :

  a) ni de nature punitive;

b) ni supérieur au montant qui est raisonnablement nécessaire pour encourager l’observation d’un règlement municipal désigné;

c) ni supérieur à 100 $.

L’article 7 crée des règles relatives à l’administration d’un système de SAP en vue, semble-t-il, de prévenir l’ingérence politique afin que les décisions prises par les agents enquêteurs soient indépendantes :

7.   Une municipalité élabore des normes relatives à l’administration du système de pénalités administratives qui comprennent ce qui suit :

a) des politiques et des procédures pour empêcher l’ingérence politique dans l’administration du système;

b) des lignes directrices pour définir ce qui constitue un conflit d’intérêts relativement à l’administration du système, pour empêcher de tels conflits et pour y remédier, le cas échéant;

c) des politiques et des procédures en matière de gestion et d’information financières;

d) des procédures pour le dépôt et le traitement des plaintes du public portant sur l’administration du système.

L’article 8 définit les exigences en matière de procédure auxquelles doit satisfaire un règlement municipal sur les pénalités administratives, permettant ainsi de résoudre les questions d’équité procédurale. L’article prévoit qu’une personne a le droit de recevoir l’avis de pénalité et de demander qu’un agent d’examen nommé à cette fin par la municipalité examine la pénalité administrative. Ce dernier peut annuler, confirmer ou modifier la pénalité. La personne peut alors demander un réexamen de la décision de l’agent d’examen par un agent enquêteur également nommé par la municipalité, lequel, après avoir donné à la personne l’occasion d’être entendue, peut annuler, confirmer ou modifier la pénalité de la même façon. Des procédures pour obtenir une prorogation du délai accordé pour payer une pénalité doivent être incluses dans tout règlement administratif municipal. La Loi sur l’exercice des compétences légales s’applique au réexamen effectué par l’agent enquêteur[301].

Les articles 9 et 10 décrivent les mécanismes d’exécution similaires à ceux mis en place pour le non-paiement d’amendes ordonnées par un tribunal jugeant les affaires fondées sur la Loi. En cas de défaut de paiement d’une pénalité, un certificat de défaut peut être déposé devant un tribunal civil compétent aux fins d’exécution[302]. En outre, la municipalité peut aviser le registrateur des véhicules automobiles du défaut de paiement et ce dernier doit alors refuser de valider ou de délivrer le certificat d’immatriculation du véhicule jusqu’au paiement de la pénalité[303]. L’emprisonnement n’est pas une mesure d’exécution autorisée pour le défaut de paiement d’une pénalité administrative et, comme nous l’avons mentionné précédemment, ledit règlement prévoit qu’aucune pénalité ne doit être de nature punitive.

 

b.         Expérience acquise dans la ville de Vaughan

Au moment de la rédaction du présent rapport, la ville de Vaughan est la seule municipalité à avoir adopté un règlement administratif créant un système de SAP pour les infractions de stationnement[304], lequel est entré en vigueur le 10 août 2009. Au lieu d’être examinés par la Cour de justice de l’Ontario, les quelque 40 000 procès-verbaux d’infractions de stationnement délivrés chaque année par la ville sont revus par un agent d’examen et par un agent enquêteur, si un réexamen est nécessaire.

La pénalité administrative ressemble à un procès-verbal d’infraction et le paragraphe 10.1(4) du règlement municipal établit qu’elle doit contenir les caractéristiques de la contravention, le montant de la pénalité, les renseignements indiquant comment demander un examen et une déclaration énonçant que la pénalité représente une dette contractée à l’égard de la ville à moins qu’elle ne soit annulée ou réduite conformément au processus d’examen. Si la personne qui reçoit la pénalité administrative souhaite un examen par un agent d’examen, elle doit appeler la ville afin de prendre rendez-vous, lequel est généralement fixé à une date dans les deux semaines suivant l’appel. Ensuite, la personne doit se rendre à un bureau municipal et fournir les pièces ou soumissions qu’elle souhaite présenter afin que l’agent d’examen prenne sa décision à ce moment-là. L’agent d’examen peut annuler, confirmer ou réduire la pénalité. Il peut également accorder une prorogation du délai de paiement sur la base de motifs définis dans le règlement municipal. Si la personne souhaite que l’affaire soit de nouveau examinée par un agent enquêteur, elle doit alors prendre rendez-vous et on lui fixera une date et une heure pour son audience auprès d’un agent enquêteur. Le deuxième examen a généralement lieu dans les cinq semaines suivant le premier.

Environ vingt audiences ont lieu tous les mardis. À cette occasion, la personne contestant la sanction administrative pécuniaire est présente, de même que l’agent enquêteur, un greffier établissant et tenant le dossier pendant l’audience et l’agent municipal d’exécution de la loi qui a rédigé le procès-verbal d’infraction. Il n’y a pas de poursuivant. La ville a contracté les services de deux agents enquêteurs, tous deux avec une formation juridique, et d’un juge à la retraite. La personne est assermentée, soumet les preuves et les présentations souhaitées. L’agent enquêteur fournit une décision écrite sur un formulaire préimprimé et explique généralement en quelques lignes les motifs de sa décision.

De même que l’agent d’examen, l’agent enquêteur peut confirmer, annuler ou réduire la pénalité administrative ou proroger le délai de paiement sur la base de motifs définis dans le règlement administratif. Ces motifs sont limités : il s’agit d’une part que la personne recevant la pénalité établisse, selon la prépondérance des probabilités, que le véhicule n’était ni stationné, ni immobilisé, ni arrêté comme le décrivait l’avis de pénalité. C’est extrêmement difficile à prouver, dans la mesure où les agents d’exécution de la loi de la ville de Vaughan prennent une photographie du véhicule au moment où ils délivrent la pénalité et que cette photographie est toujours soumise aux décideurs. D’autre part, le deuxième motif correspond aux difficultés excessives. Comme un auteur le fait remarquer, ces motifs limités suppriment efficacement une défense de diligence raisonnable et créent une infraction de responsabilité absolue[305].

Du point de vue des trois employés de la ville de Vaughan et de l’agent enquêteur avec lesquels la CDO s’est entretenue, le système de SAP pour les infractions de stationnement est un grand succès et a permis d’obtenir les avantages suivants :

·         Un règlement des affaires beaucoup plus rapide. Il faut généralement moins de deux mois pour qu’une affaire soit entendue par un agent d’examen et un agent enquêteur, comparé à environ 10 mois d’attente pour les audiences au tribunal. 

·         Moins de temps perdu par le public. Un temps fixe est désormais prévu pour une audience. Les citoyens n’ont pas à réserver beaucoup de temps en dehors de leur travail pour attendre au tribunal que leur affaire soit jugée.

·         Économies réalisées. Les audiences sont prévues pendant les quarts de travail réguliers des agents municipaux d’application de la loi et il n’est donc pas nécessaire de leur payer des heures supplémentaires. Lorsque les infractions de stationnement étaient jugées au tribunal, la ville devait souvent payer des heures supplémentaires à l’agent, dans la mesure où les horaires du tribunal n’étaient pas adaptés à ses heures de travail normales. Outre les économies sur la rémunération de l’agent municipal d’application de la loi, aucun poursuivant n’est présent à l’audience. 

·         Réduction générale des audiences. Le pourcentage des affaires passant devant un agent enquêteur est d’environ 1,5 % des procès-verbaux d’infraction délivrés, soit moins que les quelque 3,5 % contestés au tribunal. On peut supposer que moins d’audiences sont désormais demandées car les gens ne tirent plus profit du délai du système judiciaire ou du rejet éventuel de l’accusation du fait du retard ou de l’absence de l’agent ayant délivré le procès-verbal d’infraction.

·         Économies de temps pour les tribunaux des infractions provinciales et les poursuivants. Les infractions de stationnement occupaient du temps précieux pour le tribunal. Le procureur régional peut désormais utiliser ce temps pour amener plus rapidement devant le tribunal des dossiers plus graves. 

·         Satisfaction de l’opinion publique. Les employés de la ville de Vaughan et l’agent enquêteur ont estimé que les personnes demandant un examen étaient satisfaites du processus. Ils ont fait remarquer que, même si le système de SAP n’implique pas la même procédure que les poursuites fondées sur la Loi, les gens se voient encore accorder une audience équitable devant un décideur neutre disposant d’une formation juridique sur des questions sanctionnées par une peine de moins de 100 $ (la plupart, entre 25 et 35 $).

·         Coût peu important des agents enquêteurs. Du point de vue du coût, nous avons appris que les frais additionnels encourus par la ville de Vaughan pour les deux agents enquêteurs ne sont pas significatifs. Dans la mesure où un seul jour par semaine est consacré aux audiences, le coût annuel représenté par les deux agents enquêteurs est d’environ 13 000 $, montant qui est totalement couvert par les recettes issues des pénalités administratives. En outre, il n’y a plus de pertes de recettes dues au rejet d’infractions de stationnement ou aux décisions ne prévoyant pas le paiement d’une amende dans le cadre du système de procès au tribunal. Les recettes issues des pénalités de stationnement devraient être égales, voire supérieures à celles engendrées par le système fondé sur la Loi.

 

c.   Les systèmes de SAP pour les infractions de stationnement dans toutes les municipalités de l’Ontario

L’expérience très positive de Vaughan, même si elle n’est que d’un an, parle fortement en faveur de l’utilisation des sanctions administratives pécuniaires pour les infractions de stationnement dans les municipalités de l’Ontario. Certaines, comme la ville d’Oshawa, sont d’ailleurs en train de mettre en œuvre un système correspondant[306]. Cependant, certaines villes sont encore réticentes à adopter un tel système pour le moment en raison de préoccupations d’ordre juridique et fonctionnel.

Le premier argument contre un système de SAP pour les infractions de stationnement est que cela n’entraînerait pas de différence concrète par rapport au système fondé sur la Loi actuellement en place. Dans le cadre des deux systèmes, la personne recevant le procès-verbal d’infraction de stationnement peut payer la pénalité (ou l’amende fixée) ou demander une audience d’examen (ou un procès). Les données provinciales relatives au nombre de personnes payant volontairement les amendes plutôt que de demander un procès ne sont pas disponibles, mais si les données de Toronto sont représentatives des demandes de procès des autres villes, il semblerait que seulement 10 % des personnes faisant l’objet d’un procès-verbal d’infraction, voire moins, demandent à comparaître devant un tribunal[307]. Par conséquent, le seul véritable changement, à savoir la nature de l’audience, n’aurait une incidence que sur un petit pourcentage de cas. De même, certaines municipalités ont donné à leur personnel des lignes directrices afin d’annuler un procès-verbal d’infraction de stationnement sur la base de certains motifs restreints (p. ex. irrégularités sur le procès-verbal; présentation d’un permis de stationnement démontrant que le stationnement était légal)[308]. Il en va de même avec les agents d’examen dans le système de SAP. En outre, certaines municipalités ont déclaré qu’elles ne connaissaient pas de longs délais pour faire passer les infractions de stationnement devant les tribunaux d’infractions provinciales. De ce fait, un système de SAP n’offrirait que peu d’avantages concrets, excepté le fait que l’agent enquêteur serait un arbitre moins onéreux qu’un juge de paix.

Cet argument ne nous apparaît pas convaincant. Ce qui importe, c’est le nombre réel d’affaires qui finissent par être traitées au tribunal, le coût d’administration des tribunaux à cette fin et l’image donnée au public lorsqu’un représentant judiciaire juge de telles affaires et est par conséquent indisponible pour juger d’autres affaires plus graves qui sont en instance. Même si seulement 10 %, voire moins, des procès-verbaux d’infraction de stationnement peuvent finir en procès, cela représente en données brutes un nombre notable d’affaires qui s’appuient sur des ressources limitées. À Toronto en 2009, 129 932 procès sur des infractions de stationnement ont été jugés par des juges de paix, utilisant ainsi des ressources coûteuses en termes de poursuivants, de représentants judiciaires et de tribunal. Les coûts prennent en compte le personnel du tribunal, un poursuivant, les coûts des heures supplémentaires à payer aux agents d’exécution de la loi pour leur comparution, la sécurité de la salle de tribunal et le salaire annuel d’un juge de paix[309]. Des économies pourraient être obtenues dans le cadre d’un système de SAP où les agents enquêteurs sont payés moins que les juges de paix, où les poursuivants ne sont pas tenus d’assister aux audiences et où les audiences sont fixées à des horaires permettant au personnel d’exécution de la loi de se présenter sans que l’on doive leur payer des heures supplémentaires.

Même si l’on ne peut établir un argument décisif en ce qui concerne le coût, il y a quelque chose d’incontestablement disproportionné dans l’arbitrage d’infractions de stationnement par une autorité judiciaire dans une salle de tribunal. En Ontario, des arbitres non judiciaires décident d’affaires qui nous sont d’une importance fondamentale, telles que les violations des droits de la personne, de nos droits en tant que locataires, de notre droit à une aide sociale et de notre capacité à travailler et à détenir un permis pour une profession choisie. Pourtant, en vertu du système actuel régi par la Loi, il est possible qu’un procès devant un juge de paix soit tenu afin de juger une affaire de procès-verbal d’infraction de stationnement contesté d’une valeur de 30 $. Il existe des enjeux plus graves ayant des conséquences supérieures en matière de sécurité publique (p. ex. mise en liberté sous caution dans une affaire criminelle, infractions environnementales et infractions en matière de santé et de sécurité au travail) qui devraient avoir priorité sur des infractions de stationnement. Il nous semble que la règle de loi et l’administration de la justice s’en trouveraient davantage respectées si l’on réservait les ressources judiciaires et de tribunal à des affaires plus graves.

Deuxième argument contre le système de SAP : il ne peut s’appliquer à des procès-verbaux d’infraction de stationnement délivrés conformément à un règlement administratif établissant un système de stationnement pour personnes handicapées[310]. En conséquence, certaines infractions de stationnement doivent toujours faire l’objet de poursuites dans des tribunaux d’infractions provinciales et il apparaît incongru d’avoir un système de SAP et un système fondé sur la Loi pour les infractions de stationnement – il conviendrait plutôt d’adopter un seul et unique système. Nous sommes d’accord sur ce point et nous recommandons donc l’inclusion de ces infractions dans un système de SAP. Là encore, si l’expérience de Toronto est représentative de celle de la province, uniquement 0,32 % de tous les procès-verbaux d’infraction de stationnement délivrés en 2009 portent sur le système de stationnement pour personnes handicapées[311]. Plus important, nous ne comprenons pas la raison stratégique sous-tendant l’exclusion des contraventions de stationnement pour personnes handicapées du système de SAP. Si un tel système permet d’offrir une modalité équitable, rapide et plus accessible pour régler les contraventions de stationnement contestées, nous ne voyons pas pourquoi les personnes qui demandent un examen de leur pénalité dans une infraction de stationnement pour personnes handicapées ne pourraient pas tout autant y avoir droit, et ce, notamment, si la personne ayant reçu le procès-verbal d’infraction est handicapée et avait adéquatement affiché un permis de stationnement pour personnes handicapées que l’agent responsable de la contravention n’avait pas vu.

Les amendes relatives au stationnement à une place réservée aux personnes handicapées peuvent être supérieures à la limite de 100 $ fixée pour les SAP et la raison de les exclure réside peut-être dans le fait que les amendes sont alors perçues comme étant « de nature punitive ». De ce fait, on peut faire valoir des arguments d’ordre constitutionnel prévoyant le procès de ces infractions devant un tribunal ou l’application des protections établies par la Charte. Comme nous l’évoquerons dans notre analyse constitutionnelle ci-dessous, les SAP s’élevant jusqu’à 1 million de dollars ne sont pas considérées comme contrevenant à la Charte. En conséquence, nous estimons que la limite devrait être augmentée ou que des exceptions devraient être inscrites afin que tous les procès-verbaux d’infractions commises à l’égard des règlements administratifs relatifs au stationnement, à l’immobilisation ou à l’arrêt de véhicules soient réglés dans le cadre d’un système de SAP. 

Une troisième raison s’opposant à un règlement de pénalités administratives comme celui de Vaughan est que des considérations uniques et diverses peuvent s’appliquer aux municipalités selon leur nature et leur taille. Par exemple, nous avons appris qu’à Toronto, un nombre important parmi les 2,4 millions de procès-verbaux d’infraction de stationnement sont délivrés aux camions postaux et à d’autres véhicules utilitaires qui doivent faire des arrêts réguliers dans les rues de la ville. Le conseil municipal attend actuellement un rapport sur cette question afin de pouvoir répondre adéquatement aux pressions contradictoires qui s’exercent pour à la fois faciliter les flux de circulation et permettre les livraisons dans certaines rues particulièrement encombrées[312]. Ce problème se retrouve probablement dans d’autres centres urbains de l’Ontario. Néanmoins, même s’il s’agit d’un enjeu réel, nous ne voyons pas en quoi il influe sur la décision d’adoption d’un système de SAP. Il pourrait être réglé par des modifications apportées aux règlements sur le stationnement, l’arrêt et l’immobilisation de véhicules, mais non en modifiant un règlement administratif établissant comment d’autres règlements précédents doivent être appliqués. 

Le volume des procès-verbaux d’infraction de stationnement délivrés et les coûts subséquents se reportant sur l’administration du système de SAP représentent une autre réalité unique s’appliquant aux centres urbains majeurs qu’il convient de prendre en considération. Les coûts pour la ville de Toronto devraient être bien supérieurs à ceux de la ville de Vaughan. Il faut également compter les coûts d’administration relatifs à la mise en place et au maintien du système de sanctions administratives pécuniaires. Cependant, les municipalités assument actuellement les coûts d’administration des tribunaux d’infractions provinciales en vertu d’ententes de transfert et il semblerait que ces coûts ne seraient pas forcément supérieurs, voire pourraient être réduits, dans le cadre d’un système de SAP.

D’un autre côté, des municipalités plus petites ont indiqué qu’elles n’avaient pas le volume de contraventions de stationnement nécessaires pour mettre en place un système séparé. Cependant, l’article 20 de la Loi de 2001 sur les municipalités permet aux municipalités de conclure une entente entre elles « […] en vue de prévoir conjointement, à leur profit mutuel, toute question qu’[elles] ont [toutes] le pouvoir de prévoir dans leurs propres limites ». En effet, des partenariats municipaux ont déjà été mis en place afin d’administrer les tribunaux d’infractions provinciales en vertu de la partie X de la Loi. Ces partenaires municipaux pourraient donc partager de même les coûts d’un système de SAP. Par conséquent, il est possible pour plusieurs municipalités de moindre taille de créer conjointement un système de SAP qu’elles partageront. Les avantages obtenus par la ville de Vaughan devraient être sérieusement pris en compte par toutes les municipalités. Il y a sans doute d’autres points particuliers à envisager pour chaque municipalité et nous leur recommandons d’évaluer attentivement la situation et de régler ces éventuels problèmes dans la perspective d’adopter un système de SAP pour toutes les infractions de stationnement.

La transition vers un tel système impose du temps qui devrait être accordé. Bien que toute date soit purement arbitraire, nous pensons que cette transition devrait avoir lieu dans un intervalle de deux ans et qu’une date précise devrait être décidée après avoir mené des consultations approfondies avec les municipalités. Un tel intervalle permettra aux municipalités de mettre soigneusement leur système en place et d’avoir l’avantage d’observer l’expérience accumulée par la ville de Vaughan (et d’autres municipalités comme la ville d’Oshawa qui va bientôt adopter un système de SAP). Les défis fonctionnels mineurs ne devraient pas servir de prétexte pour prolonger indûment la mise en œuvre d’un système de SAP. Au contraire, il convient de rechercher des solutions à ces difficultés et de les mettre en œuvre afin de pouvoir rediriger les ressources judiciaires à des affaires plus importantes.

Dernier point de préoccupation soulevé par certaines municipalités : la constitutionnalité de l’utilisation d’un système de SAP pour les infractions de stationnement. Si les infractions de stationnement sont des infractions auxquelles les protections prescrites par la Charte s’appliquent, alors un système de SAP qui impose une pénalité sans procès ou déclaration de culpabilité peut contrevenir à la Charte. Nous allons évoquer cette question dans la prochaine section et nous verrons qu’il y a de solides arguments soutenant la constitutionnalité d’un système de SAP comme celui utilisé par la ville de Vaughan.

 

3.     Aspects constitutionnels du système de SAP

a.   Principes de la Charte applicables à tous les systèmes de SAP

Une question cruciale est de savoir si la Charte s’applique au système de SAP. L’objectif d’une loi créatrice d’infraction, la nature et l’objet de la sanction et la nature de l’instance permettront de déterminer si la Charte s’applique à la procédure. Si les droits prescrits par la Charte s’appliquent, un système de SAP peut être considéré inconstitutionnel ou nécessiter l’ajout d’autres garde-fous procéduraux qui pourraient rendre les avantages d’un tel système négligeables. Les articles 7 et 11 sont les droits de la Charte que nous allons examiner et qui sont particulièrement pertinents.

Selon l’article 7 de la Charte :

Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. 

Dans R. c. Pontes, la Cour Suprême a affirmé que les infractions de responsabilité absolue qui pourraient éventuellement entraîner une peine d’emprisonnement contreviennent à l’article 7 de la Charte[313]. Par conséquent, un système de SAP qui prévoit l’emprisonnement comme sanction potentielle est tout à fait susceptible de contrevenir à l’article 7. Néanmoins, la plupart des membres de la Cour ont laissé la porte ouverte pour discuter à une autre occasion de la constitutionnalité d’une infraction de responsabilité absolue qui est punissable d’une amende avec possibilité d’emprisonnement en cas de non-paiement de cette amende lorsque la mesure législative prévoit que l’imposition et la perception d’une amende sont assujetties à une évaluation des ressources[314].

Si la pénalité n’est qu’une amende, la jurisprudence suggère que cela ne suffit pas à mettre en péril les droits prescrits par l’article 7. Dans R. c. Transport Robert (1973) Ltée[315], la Cour d’appel de l’Ontario a examiné la constitutionnalité de l’article 84.1 du Code de la route. Comme nous l’avons évoqué dans le chapitre I, cette affaire portait sur un défendeur accusé de conduire un véhicule utilitaire dont une roue s’était détachée sur la chaussée. Il s’agissait d’une infraction de responsabilité absolue, dans la mesure où le paragraphe 84.1(5) prévoit que la diligence raisonnable n’est pas un moyen de défense possible pour cette accusation. La peine maximale prévue était une amende de 50 000 $, mais le défendeur ne pouvait pas être passible d’une peine d’emprisonnement. La partie de la défense a argumenté que l’on contrevenait au droit de l’article 7 de la Charte relatif à la sécurité de la personne du fait des risques associés par l’imposition d’une amende importante et la stigmatisation liée à une déclaration de culpabilité.

La Cour a considéré la décision de la Cour suprême du Canada dans R. c. Blencoe qui a défini la portée du droit de l’article 7 relatif à la sécurité de la personne :

Dans Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission) […], le juge Bastarache a affirmé, au nom de la majorité que « [l]es atteintes de l’État à l’intégrité psychologique d’une personne ne font pas toutes intervenir l’art. 7. Lorsque l’intégrité psychologique d’une personne est en cause, la sécurité de la personne se limite à la “tension psychologique grave causée par l’État” ». Par conséquent, « [l]es formes que prend le préjudice psychologique causé par le gouvernement n’entraînent pas toutes automatiquement des violations de l’art. 7 ». De plus, il n’y a pas de « droit général à la dignité ou, plus précisément, [de] droit à la protection contre la stigmatisation » et « [l]a dignité et la réputation ne sont pas des droits distincts. La protection contre la stigmatisation ne l’est pas non plus »[316]. (Traduction libre)

La Cour a poursuivi en affirmant que malgré l’importance de l’amende, l’article 84.1 du Code de la route ne faisait pas intervenir les garanties de sécurité de la personne inscrites dans la Charte :

Néanmoins, nous ne sommes pas persuadés qu’une poursuite à l’égard de l’infraction commise inscrite à l’article 84.1 implique le type de tension psychologique exceptionnelle causée par l’État qui ferait valoir le droit de sécurité de la personne garanti dans l’article 7 de la Charte, et ce même pour un individu. L’infraction ne crée pas un vrai crime et, comme la plupart des infractions réglementaires, elle porte davantage sur les conséquences néfastes d’un comportement par ailleurs légal que sur une quelconque turpitude morale. […] L’infraction créée par l’article 84.1 est centrée sur les conséquences involontaires, mais néfastes, causées par une entreprise de véhicules utilitaires. Nous rejetons la proposition selon laquelle un défendeur accusé d’une telle infraction soit stigmatisé en tant que personne conduisant de manière délibérée, sans considération pour les risques extrêmes à la vie humaine engendrés par sa conduite. Au pire des cas, une déclaration de culpabilité pour cette infraction implique la négligence et comme l’infraction de publicité trompeuse dont a fait l’objet l’affaire Wholesale Travel, toute stigmatisation s’en trouve alors très fortement diminuée.

La stigmatisation réduite liée à l’infraction inscrite à l’article 84.1 n’est pas suffisante pour faire valoir le droit de sécurité de la personne prévu par l’article 7, et ce même si elle est associée à une éventuelle amende significative. Il ne s’agit tout simplement pas du type de tension psychologique grave causée par l’État que la sécurité de la personne entend couvrir. Il existe des différences qualitatives par rapport aux types de tension qui ont été reconnus dans les affaires faisant valoir ce droit[317]. (Traduction libre)

Dans une récente décision de la Cour d’appel de l’Alberta, Lavallée c. Alberta (Securities Commission)[318], la Cour a examiné un système de SAP dans le cadre de la Securities Act qui pourrait prévoir des pénalités s’élevant jusqu’à 1 million de dollars par contravention[319]. Les appelants ont fait valoir que les dispositions 29 e) et f) de la Securities Act étaient contraires aux articles 7 et 11 de la Charte, car elles avaient pour effet d’imposer à la Securities Commission de révéler toutes les preuves n’étant que vaguement pertinentes à l’affaire, et ce, quels que soient leur valeur probante, leur effet préjudiciable ou leur fiabilité. La Cour a désapprouvé l’interprétation ci-dessus des dispositions 29 e) et f), mais a établi que, même si elle était parvenue à une interprétation différente de ces deux dispositions, les articles 7 et 11 de la Charte ne sont pas applicables aux procédures administratives et ne protègent pas les droits économiques. En ce qui concerne l’article 7, la Cour a estimé que les conséquences de pénalités importantes n’étaient pas suffisantes pour faire valoir l’article 7.

Comme l’a indiqué le juge Bastarache au paragraphe 83 de la décision Blencoe, l’application du droit à la sécurité de la personne garanti par l’article 7 n’est déclenchée que dans des cas exceptionnels où l’État s’ingère dans des choix profondément intimes et personnels, des choix qui « pourraient difficilement inclure le genre de stress, d’angoisse et de stigmatisation qui résulte de procédures administratives ou civiles ».

Je conviens avec les juges en chambre que l’effet des conséquences potentielles sur les appelants n’est pas comparable au type de stigmatisation associée à un procès criminel interminable et vexatoire ou à des instances introduites pour retirer un enfant de sa prise en charge parentale. Les droits des appelants prescrits par l’article 7 ne sont pas engagés dans cette affaire[320]. (Traduction libre)

Il convient de noter que la demande d’autorisation d’appel de cette décision devant la Cour suprême du Canada a été rejetée[321].

En résumé, il semblerait que les systèmes de SAP prévoyant des pénalités purement monétaires, sans possibilité d’emprisonnement, sont peu susceptibles de faire intervenir l’article 7 de la Charte. Il est plus intéressant de s’interroger sur l’application éventuelle de l’article 11 de la Charte dans le cas d’imposition de sanctions administratives pécuniaires pour des violations à l’encontre d’activités réglementées.

Voici les parties de l’article 11 qui sont pertinentes à cette analyse :

                11. Tout inculpé a le droit : …

c)  de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même dans toute poursuite intentée contre lui pour l’infraction qu’on lui reproche;…

d) d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable;…

h) d’une part de ne pas être jugé de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement acquitté, d’autre part de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement déclaré coupable et puni;

La décision de la Cour suprême du Canada dans R. c. Wigglesworth sert de point de départ à notre analyse de l’article 11[322]. Le juge Wilson restreint l’application de l’article 11 aux affaires criminelles ou pénales et formule un critère pour déterminer si une instance est pénale ou criminelle. Selon Archibald, Jull et Roach, l’affaire Wigglesworth semble créer « deux niveaux distincts d’analyse pour procéder à cette détermination : 1) le critère de la “nature même” et 2) le critère de la “véritable conséquence pénale” »[323].  

Concernant le critère de la « nature même », voici ce que déclare le juge Wilson :

Il y a de nombreux exemples d’infractions qui sont de nature criminelle mais qui entraînent des conséquences relativement mineures par suite d’une déclaration de culpabilité. Les procédures relatives à ces infractions seraient néanmoins assujetties à la protection de l’art. 11 de la Charte. On ne peut sérieusement soutenir que du seul fait qu’une infraction mineure en matière de circulation entraîne une conséquence très négligeable, voire une légère amende seulement, cette infraction ne relève pas de l’art. 11. Il s’agit d’une procédure criminelle ou quasi criminelle. C’est le genre d’infraction qui, de par sa nature même, doit relever de l’art. 11[324].

La Cour définit ensuite le critère de la « nature même » et décrit les affaires qui relèvent de l’article 11 :

À mon avis, si une affaire en particulier est de nature publique et vise à promouvoir l’ordre et le bien-être publics dans une sphère d’activité publique, alors cette affaire est du genre de celles qui relèvent de l’art. 11[325].
 

La Cour évoque ensuite les instances auxquelles, de par leur nature, l’article 11 ne s’applique pas.

Il faut distinguer cela d’avec les affaires privées, internes ou disciplinaires qui sont de nature réglementaire, protectrice ou corrective et qui sont principalement destinées à maintenir la discipline, l’intégrité professionnelle ainsi que certaines normes professionnelles, ou à réglementer la conduite dans une sphère d’activité privée et limitée. . . . Les procédures de nature administrative engagées pour protéger le public conformément à la politique générale d’une loi ne sont pas non plus le genre de procédures relatives à une “infraction”, auxquelles s’applique l’art. 11[326].  

D’après le juge Wilson, même lorsqu’une instance satisfait au critère de la « nature même », elle ne serait assujettie à l’article 11 que si elle prévoit une véritable conséquence pénale qui entraînerait l’application de l’art. 11. Une véritable conséquence pénale entraînant l’application de l’article 11 est l’emprisonnement ou une amende qui par son importance « semblerait imposée dans le but de réparer le tort causé à la société en général plutôt que pour maintenir la discipline à l’intérieur d’une sphère d’activité limitée »[327].

De nombreux systèmes de SAP pourraient être classés comme systèmes de nature administrative mis en place pour la protection du public conformément à la politique d’une loi. Cette analyse selon le critère de la « nature même » a été explicitée par la Cour suprême du Canada dans la décision Martineau c. M.R.N[328]. Dans cette affaire, un agent des douanes a ordonné à M. Martineau de payer 315 458 $ en vertu de l’article 124 de la Loi sur les douanes. Cette procédure est largement connue sous le nom de « confiscation compensatoire ». Le montant de la demande correspondant à l’estimation de la valeur des biens qu’il avait supposément essayé d’exporter en faisant de fausses déclarations. M. Martineau a demandé que le ministre du Revenu national examine la décision de l’agent des douanes, mais le ministre a maintenu l’ordre de paiement. M. Martineau a alors fait appel de la décision du ministère par voie d’action, face à laquelle le ministre a déposé une requête pour interroger M. Martineau. 

M. Martineau s’est opposé à la requête pour le motif qu’elle irait à l’encontre de la protection contre l’auto-incrimination garantie par l’alinéa 11c) de la Charte. Voilà ce sur quoi la Cour suprême a dû trancher. Pour répondre à la question, la Cour a dû déterminer si M. Martineau avait été accusé d’une infraction. Après examen de sa décision dans l’affaire Wigglesworth, la Cour a établi qu’une distinction devait être établie entre les procédures pénales, d’une part et les procédures administratives, d’autre part, seules les premières entraînant l’application de l’article 11 de la Charte. Pour ce faire, la Cour a défini trois critères en vue de déterminer la nature d’une procédure[329].

Les objectifs de la Loi et de l’article en question constituent le premier critère. La Loi sur les douanes a pour objectifs de « régir, d’encadrer et de contrôler la circulation transfrontalière des personnes et des marchandises ». À cette fin, il est nécessaire de pouvoir assurer le respect des exigences en matière de déclaration prévues par la Loi sur les douanes, ce qui est l’objet de son article 124 en application duquel l’agent des douanes a rendu son ordonnance. La Cour comprend que cet examen porte non sur la nature de l’acte à l’origine des procédures, mais bien sur la nature des procédures elles-mêmes[330]. Par conséquent, il n’est pas pertinent pour la Cour de savoir que la sanction de la violation de la Loi sur les douanes aurait pu être exécutée par voie de poursuites, plutôt que par une réclamation par avis écrit, comme cela a été le cas dans l’affaire Martineau. 

Le deuxième critère est le but visé par la sanction. La Cour a indiqué que l’objet de la confiscation compensatoire n’est pas de punir le défendeur pour créer un effet dissuasif. De fait, il s’agit plutôt de garantir le respect de la Loi sur les douanes en donnant aux agents des douanes des moyens rapides et efficaces d’en assurer l’application. Cette modalité n’est pas conçue pour punir le contrevenant, même si la Cour concède toutefois que cela a pu avoir cet effet dans certains cas. Certes, la confiscation compensatoire peut avoir un effet dissuasif. Toutefois, les poursuites en responsabilité civile et les instances disciplinaires visent aussi à dissuader d’éventuels contrevenants et ne constituent pas pour autant des procédures criminelles[331]. Enfin, la Cour a affirmé que rien n’indiquait que la confiscation compensatoire avait pour objet de réparer un tort causé à la société. Elle a fait remarquer qu’à cet égard, l’article 124 ne tient aucunement compte des principes de responsabilité pénale et des principes de détermination de la peine[332].

Le dernier critère examine le processus de confiscation compensatoire. L’article 124 impose à un agent des douanes d’avoir des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction à une disposition de la Loi des douanes a été commise. Si tel est le cas et s’il a été établi qu’il serait difficile de saisir les marchandises en question, l’agent peut demander au contrevenant le montant égal à la valeur de ces biens. La personne qui reçoit l’avis de réclamation peut demander au ministre du Revenu national d’examiner la décision. Le ministre communique alors les motifs qui appuient la sanction appliquée et le présumé contrevenant dispose de 30 jours pour faire valoir ses prétentions et présenter sa preuve, par écrit, au ministre. Le ministre rend ensuite une décision concernant la demande d’examen, décision qui n’est pas soumise à réexamen sauf si la personne fait appel par voie d’action devant la Cour fédérale.  

La Cour a estimé que ce processus ne ressemble pas du tout à une procédure pénale. Personne n’est inculpé, personne n’est arrêté, personne n’est sommé de comparaître devant une cour de juridiction pénale et aucun casier judiciaire ne résulte de cette procédure. Au pire des cas, si la personne redevable épuise toutes les modalités d’appel et refuse toujours de payer, elle risque d’être contrainte civilement de le faire[333].

La Cour suprême a conclu que l’avis de confiscation compensatoire était de nature administrative, mais en faisant référence à sa décision dans Wigglesworth, elle a déclaré que dans les cas où il y a conflit entre le critère de la « nature même » et celui de la « véritable conséquence pénale », c’est ce dernier critère qui doit prévaloir. La Cour a alors examiné si l’avis de confiscation compensatoire avait une véritable conséquence pénale. Elle a noté que le contrevenant ne risquait pas d’être emprisonné, puis a examiné si le paiement exigé en vertu de l’article 124 de la Loi sur les douanes « [constituait] une amende qui, par son importance, est infligée dans le but de réparer le tort causé à la société en général plutôt que dans celui de maintenir l’efficacité des exigences douanières »[334]. 

La Cour a déclaré que, même si la somme de 315 458 $ réclamée est supérieure à l’amende maximale à laquelle un contrevenant serait exposé par une poursuite par voie sommaire, ce dernier, s’il avait été poursuivi par voie de mise en accusation, aurait été passible d’une amende maximale de 500 000 $. Qui plus est, dans un cas comme dans l’autre, l’amende doit tenir compte des facteurs et des principes qui régissent la détermination de la peine et est clairement de nature pénale. La confiscation compensatoire, en revanche, est de nature civile et purement économique et est déterminée par une simple formule mathématique. De plus, la Cour a ajouté que la réclamation ne stigmatise personne. Il n’y a aucun casier judiciaire, le but n’est pas de punir et les principes et facteurs entrant en jeu dans la détermination de la peine ne s’appliquent pas. La Cour a alors conclu que l’avis de confiscation compensatoire n’a pas entraîné de véritables conséquences pénales pour M. Martineau.

Revenons à l’affaire Lavallée jugée par la Cour d’appel de l’Alberta, car elle est très intéressante si l’on regarde le montant de la pénalité imposée. La Cour a appliqué la décision Wigglesworth pour déterminer si l’article 11 de la Charte s’appliquait au système de SAP créé par la Securities Act. Elle a estimé que les audiences administratives devant la Securities Commission relèvent généralement de la catégorie de « procédures administratives intentées pour la protection du public conformément à la politique d’une loi »[335]. La Cour a ainsi tenté de définir si, en dépit de leur nature, les procédures de la Securities Commission entraînaient de véritables conséquences pénales[336]. Les appelants ont soutenu qu’une amende pouvant s’élever à un maximum de 1 000 000 $ par contravention constitue une véritable conséquence, argument que la Cour d’appel a rejeté. Elle a en effet établi que l’objet de la sanction et de la Securities Act devait être pris en compte en plus de l’importance de la pénalité. La Securities Act a entre autres pour objectifs la « protection des investisseurs et du public, l’efficacité des marchés de capitaux et le fait d’assurer la confiance du public dans le système »[337]. Dans cette optique, l’importance de la sanction reflète l’intention du législateur visant à faire en sorte que les pénalités ne soient pas considérées simplement comme un autre coût à payer pour faire des affaires, sans qu’il n’y ait de véritables conséquences pénales. Enfin, la Cour d’appel a affirmé que la dissuasion générale est un facteur pertinent lorsque la Commission impose une sanction qui entend « protéger et prévenir »[338]. (Traduction libre)
 

b.         Application de la Charte à un système de SAP pour les infractions de stationnement

Selon nous, un système de SAP pour les infractions de stationnement similaire à celui adopté par la ville de Vaughan et autorisé en application de la Loi de 2001 sur les municipalités et de ses règlements n’entraînerait pas l’application des protections garanties dans les articles 7 et 11 de la Charte. Voici l’analyse que nous avons effectuée pour appuyer notre recommandation préconisant que toutes les municipalités mettent en œuvre un système de SAP pour les infractions de stationnement, lesquelles ne feraient plus l’objet de poursuites en vertu de la Loi sur les infractions provinciales.

Tout d’abord, l’application des droits prévus à l’article 7 exige que les intérêts d’une personne en ce qui concerne sa vie, sa liberté ou sa sécurité soient en jeu. Cela ne semble pas être le cas si l’on considère la nature de la sanction autorisée dans le cadre des règlements de la Loi de 2001 sur les municipalités. D’une part, l’emprisonnement n’est pas une peine autorisée. D’autre part, la sanction monétaire ne peut ni être de nature punitive, ni être supérieure au montant qui est raisonnablement nécessaire pour encourager l’observation d’un règlement municipal et ne peut en aucun cas dépasser 100 $[339]. Il suffit simplement de considérer l’amende de 50 000 $ dans l’affaire Transport Robert ou la pénalité de 1 000 000 $ dans l’affaire Lavallée, sanctions qui, dans les deux cas, n’entraînaient pas, selon la Cour, le niveau de stigmatisation nécessaire pour faire valoir les droits prescrits par l’article 7 et de les comparer avec la pénalité de 100 $ prévue pour une infraction de stationnement pour appuyer l’idée qu’il est peu probable qu’une telle pénalité engage les droits de l’article 7[340]. Au fil du temps, on peut s’attendre à des augmentations modérées et progressives de ce maximum de 100 $. Mais les décisions dans les affaires Transport Robert et Lavallée, associées à l’objectif de promotion de l’observation des règlements administratifs sur le stationnement, laissent à penser que des hausses raisonnables de la pénalité maximale de 100 $ ne seraient pas non plus assujetties à l’application de l’article 7. 

La Cour suprême dans R. c. Pontes a laissé la question ouverte quant à savoir si la possibilité d’emprisonnement en cas de défaut de paiement d’une amende pouvait faire intervenir l’application du droit prévu par l’article 7[341] et par conséquent, nous examinons si l’emprisonnement représente une option si une personne refuse de payer une SAP. Dans R. c. Bowman, la Cour de justice de l’Ontario a estimé que la possibilité d’emprisonnement pour un procès-verbal d’infraction de stationnement impayé dans le cadre du système régi par la Loi était trop isolée pour déclencher l’application des protections de l’article 7[342]. La Cour a noté que l’emprisonnement n’est pas une sanction directe engendrée par une déclaration de culpabilité dans le cas d’une infraction de stationnement; elle est seulement possible après une nouvelle audience devant un représentant judiciaire et, même dans ce cas, il s’agit d’une lointaine possibilité, dans la mesure où il faut pouvoir démontrer que la personne est capable de payer l’amende, mais refuse de la payer et que l’emprisonnement n’est pas contraire à l’intérêt public[343]. (Comme nous l’avons fait remarquer précédemment, l’emprisonnement pour défaut de paiement d’une amende n’est pas aujourd’hui réellement disponible en Ontario, car le paragraphe 165(3) exclut cette option en matière d’application de la loi lorsque les municipalités ont conclu une entente de transfert avec la province. Ces ententes sont désormais en place dans l’ensemble de l’Ontario et par conséquent, l’emprisonnement en cas d’amendes impayées est indisponible en tant que modalité d’exécution pour les municipalités. De fait, ces dernières années, personne n’a été emprisonné en raison du non-paiement d’une amende, selon les données du ministère du Procureur général pour 2007 et 2008[344].)

De même, si l’emprisonnement peut survenir dans le cadre du système de SAP pour les infractions de stationnement, il semblerait qu’il s’agisse d’une option très improbable qui n’est pas directement liée à la pénalité. L’article 9 du règlement permet aux municipalités de déposer un certificat de défaut auprès de la Cour des petites créances ou auprès de la Cour supérieure de justice, lorsqu’une amende n’est pas payée, et le certificat sera alors réputé être une ordonnance de ce tribunal aux fins d’exécution. On peut avancer que, si une personne venait à refuser de respecter les procédures d’application de la loi dans ces tribunaux (p. ex. refus de participer à un examen du débiteur en vertu du jugement ou de répondre à une question pertinente), elle pourrait être incarcérée pour outrage à la cour après un autre procès relatif à l’outrage devant un juge[345]. Cependant, une telle peine d’emprisonnement ferait suite non pas au défaut de paiement de la pénalité, mais au refus de respecter les ordonnances des tribunaux et cela vaudrait pour toute procédure civile d’application de la loi[346].

L’affaire London (City) c. Polewsky est également instructive[347]. La Cour d’appel de l’Ontario a examiné si le risque potentiel d’emprisonnement issu de procédures en cas de défaut en application de l’article 69 de la Loi pourrait provoquer l’application des droits de l’article 7 de la Charte dans l’instance initiale régie par la Loi. Après avoir noté que l’article 69 prévoit des procédures en cas de défaut distinctes du procès initial de l’infraction provinciale et qu’il exige également une évaluation de la capacité de la personne à payer l’amende, la cour a déclaré que le risque d’emprisonnement en cas de défaut était suffisamment improbable pour ne pas engager l’application du droit à la liberté de l’article 7. De la même façon, dans le cadre du système de SAP autorisé par le règlement pris en application de la Loi de 2001 sur les municipalités, l’exécution d’un certificat de défaut aurait lieu dans le cadre d’une procédure distincte dans un tribunal civil. En outre, l’article 8 du règlement impose aux municipalités d’établir des procédures pour autoriser une personne à être dispensée du paiement de la totalité ou d’une partie d’une pénalité administrative si le fait d’exiger le paiement venait à lui causer un préjudice indu. Cela réduit également la perspective de l’exécution d’une pénalité contre une personne incapable de la payer. Pour ces motifs, nous pensons que la possibilité d’emprisonnement dans le cadre du système de SAP est suffisamment lointaine pour ne pas faire intervenir les protections de la liberté prévues par l’article 7, car seule une instance distincte intentée pour outrage au tribunal pourrait entraîner cette peine. 

Examinons à présent si les droits de l’article 11 seraient impliqués. L’article 11 s’applique uniquement aux procédures pénales et non aux procédures administratives. Afin de déterminer si un système de SAP pour des infractions de stationnement représente une procédure criminelle (pénale) ou administrative, nous nous référons aux trois critères définis dans Martineau. 

Le premier est l’objectif de la loi et du règlement en jeu. Le paragraphe 3(2) du règlement décrit comme suit le but d’un système de pénalités administratives :

Le système de pénalités administratives qu’établit la municipalité a pour objet de l’aider à réglementer le débit de la circulation et l’utilisation des biens-fonds, y compris les voies publiques, en encourageant l’observation de ses règlements municipaux sur le stationnement, l’immobilisation ou l’arrêt de véhicules. 

L’objet de cette loi est davantage réglementaire que pénal. Le système de SAP cherche à promouvoir l’observation des règlements de stationnement qui existent afin de réglementer les flux de circulation et l’utilisation des biens-fonds. L’accent est mis sur le respect de la loi et sur la prévention de conséquences néfastes, plutôt que sur la sanction de comportement passé[348]. On peut en déduire que le système de SAP est conçu pour dissuader le stationnement illégal, mais cela ne signifie pas qu’un tel système a un objectif d’ordre pénal. Dans Martineau, le juge Fish a indiqué que « les poursuites en responsabilité civile et les instances disciplinaires visent aussi à dissuader d’éventuels contrevenants [, mais] ne constituent pas pour autant des procédures criminelles »[349]. 

Le deuxième critère est le but visé par la sanction. De même que dans l’analyse menée dans Martineau, l’objet de la pénalité administrative est bien ici de garantir le respect des règlements administratifs de stationnement en donnant aux agents municipaux responsables de l’application de la loi des moyens rapides et efficaces pour ce faire. Le système de sanctions administratives pécuniaires (SAP) n’est pas conçu pour punir une personne qui contrevient au règlement; de fait, ledit règlement exige que toute pénalité imposée ne soit pas de nature punitive. La sanction dispose d’une limite relativement basse fixée à 100 $ et on pourrait faire valoir qu’il faudrait une pénalité bien plus sévère pour atteindre un objectif d’ordre pénal. Enfin, le règlement n’oblige pas de prendre en compte les principes de responsabilité pénale et de détermination de la peine avant de délivrer une SAP. La ville fixe le montant de la pénalité avant que n’ait lieu l’infraction et le montant ne change pas en fonction de la répétition de l’infraction ou d’autres facteurs relatifs à ceux qui contreviennent aux règlements[350].

Le dernier critère porte sur la procédure des SAP en elle-même. En vertu du règlement, une SAP peut être délivrée si un véhicule est stationné, immobilisé ou arrêté en contravention d’un règlement administratif municipal désigné. Le propriétaire doit recevoir l’avis de pénalité et être informé de son droit à demander un examen par un agent d’examen et par un agent enquêteur. Seul l’agent enquêteur doit tenir une audience et la Loi sur l’exercice des compétences légales s’applique aux tribunaux administratifs et non aux tribunaux judiciaires. Les règles relatives aux preuves pour les tribunaux administratifs qui sont inscrites dans cette Loi se distinguent de celles qui s’appliquent aux instances dans les tribunaux judiciaires. Par exemple, un agent enquêteur peut admettre une preuve testimoniale, même si le témoignage n’a pas lieu sous serment ou solennellement, et peut accepter toutes les preuves pertinentes à moins qu’un témoignage ou un document soit inadmissible en raison d’un privilège prévu par la législation sur les preuves ou par une disposition législative[351]. La décision de l’agent enquêteur est définitive et ne peut faire l’objet d’un appel. 

Comme dans Martineau, ce processus se rapproche bien plus d’une audience administrative que d’une instance judiciaire d’ordre pénal. Personne n’est inculpé, aucune dénonciation n’est déposée, personne n’est arrêté, personne n’est sommé de comparaître devant une cour de juridiction pénale. Aucun casier judiciaire ne résulte d’une pénalité administrative et au pire des cas, si la personne refuse de payer, une instance civile risque d’être introduite et le registrateur des véhicules automobiles peut refuser de valider ou de délivrer le certificat d’immatriculation du véhicule.    

Sur la base des trois critères définis dans Martineau, il y a tout lieu de penser qu’un système de SAP comme celui utilisé à Vaughan est de nature administrative et non criminelle ou pénale. Cette analyse peut être supplantée par l’analyse relative aux véritables conséquences pénales. L’amende maximale qui peut être imposée en vertu du règlement est de 100 $ et il est clairement établi que le montant exigé en deçà de ce plafond ne peut être de nature punitive, ni excéder le montant qui est raisonnablement nécessaire pour encourager l’observation d’un règlement municipal désigné. Étant donné ces limites, ce système correspond, semble-t-il, bien plus à une sanction en vue de favoriser le respect des règlements administratifs sur le stationnement, l’immobilisation et l’arrêt de véhicules qu’à une sanction imposée en vue de réparer un tort causé à la société dans son ensemble. En effet, on pourrait avancer que la limite de 100 $ pourrait passer à au moins 500 $ (voire plus au fil du temps), afin qu’elle couvre les pénalités imposées en vue de favoriser l’observation des règlements relatifs au stationnement pour personnes handicapées[352]. Nous nous permettons cette remarque, au vu de la propension de la Cour à estimer que des SAP bien plus importantes n’engendrent pas l’application des protections de la Charte (par exemple, dans l’affaire Lavallée). Nous pensons également que des pénalités plus sévères pourraient bien être nécessaires afin de promouvoir l’observation des règlements relatifs au stationnement pour personnes handicapées, étant donné le fort intérêt social à pouvoir offrir aux personnes handicapées des places de stationnement adaptées.

En conclusion, il nous semble que le système de sanctions administratives pécuniaires prescrit dans le cadre de la Loi de 2001 sur les municipalités et de ses règlements en vue d’assurer l’application des règlements administratifs municipaux sur le stationnement ne contrevient pas aux articles 7 et 11 de la Charte. Notre point de vue est renforcé par le fait que des systèmes de SAP sont déjà en place en Ontario dans le cadre de plusieurs autres contextes et dans diverses municipalités, que le gouvernement a dûment examiné et analysé leur constitutionnalité avant de les déployer dans la province et que divers tribunaux ont par la suite confirmé ces systèmes. Comme l’analyse ci-dessus le démontre, nous incitons vivement à déterminer les préoccupations en matière constitutionnelle qui pourraient être liées au règlement administratif modèle sur les SAP pour les infractions de stationnement, pris en application de la Loi de 2001 sur les municipalités. Selon nous, ces préoccupations ne devraient pas servir de prétexte pour retarder la mise en œuvre à l’échelle provinciale d’un régime de SAP pour les infractions de stationnement. 

 

4.     Obligation d’équité d’un système de SAP

L’obligation d’équité dans la procédure s’applique à une décision administrative qui touche « les droits, privilèges ou biens d’une personne »[353]. Par conséquent, lorsqu’un responsable de la réglementation impose une pénalité administrative, il faut faire en sorte d’accorder à ceux qui sont soumis à la pénalité un certain degré d’équité procédurale. La Cour supérieure de justice a compétence pour examiner sur le plan judiciaire la procédure utilisée par un organe administratif et peut rendre diverses ordonnances afin de garantir le niveau de procédure approprié.

En gros, l’obligation d’équité dans la procédure inclut certaines mesures relatives aux droits procéduraux suivants : a) donner à la personne un avis indiquant que ses droits, privilèges ou biens pourraient être touchés, avec suffisamment de renseignements pour qu’elle puisse répondre; b) accorder à la personne l’occasion d’être entendue dans le cadre d’un témoignage oral ou écrit et de présenter des observations devant le décideur avant qu’une décision ne soit prise; c) garantir l’impartialité du décideur qui prendra des décisions sans crainte raisonnable de partialité et d) garantir le droit à avoir connaissance de la décision, et dans certains cas, des motifs qui la sous-tendent.

Le concept d’équité dans la procédure est variable et dépend du contexte de chaque affaire[354]. Dans Baker c. Canada, la Cour suprême du Canada a affirmé que le contenu de la notion d’équité procédurale est tributaire du type de droit considéré et des circonstances de chaque cas. La Cour a énuméré cinq facteurs qui influent sur le contenu de cette obligation[355]. Sous-tendant ces facteurs, il y a

« [l’idée que] les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur »[356].

Nous allons évoquer brièvement chaque facteur, relativement au système de SAP pour les infractions de stationnement dans le cadre du règlement sur les SAP pris en application de la Loi de 2001 sur les municipalités et du règlement administratif de la Ville de Vaughan.

(i) La nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir

Ce facteur examine dans quelle mesure le processus administratif se rapproche d’un processus judiciaire. Plus les deux procédures se ressemblent et plus il est probable que les protections procédurales garanties lors de procès seront nécessaires.

La procédure des SAP est très différente de la procédure suivie dans un tribunal d’infractions provinciales : les agents enquêteurs ne sont pas des juges; la première étape de l’examen par un agent d’examen ressemble plus à une réunion qu’à une audience, la procédure n’est pas contradictoire dans la mesure où il n’y a pas de poursuivant; la personne recevant le procès-verbal d’infraction a l’occasion d’être entendue lors d’une réunion avec l’agent d’examen, puis, devant l’agent enquêteur, mais les règles strictes relatives aux preuves qui sont appliquées dans un tribunal n’ont pas cours devant un agent enquêteur; la question lors de l’audience n’est pas de savoir si une « amende » devrait être imposée, mais si la « pénalité » devrait être modifiée ou annulée ou si une prorogation du délai de paiement devrait être accordée. Dans l’ensemble, le processus d’audience prévu dans le système de SAP est bien plus proche d’une audience administrative que d’une audience judiciaire.

(ii) La nature du régime législatif                                   

Selon le paragraphe 3(2) du règlement sur les pénalités administratives, l’objet d’un tel système est d’aider les municipalités à réglementer « le débit de la circulation et l’utilisation des biens-fonds, y compris les voies publiques, en encourageant l’observation » de leurs règlements municipaux sur le stationnement[357]. Le but visé n’est pas de punir, ce qui suggère des protections procédurales plus importantes. En outre, il existe deux niveaux d’examen de la décision initiale d’imposer une pénalité – premier examen par un agent d’examen, puis réexamen par un agent enquêteur – ce qui garantit encore plus la protection procédurale.

 

(iii) L’importance de la décision pour les personnes visées 

L’importance de la décision pour les personnes visées est un facteur déterminant en ce qui concerne le contenu de la notion d’équité procédurale. Par rapport aux autres intérêts en jeu dans des audiences administratives ou judiciaires, on ne peut pas dire qu’une pénalité maximale de 100 $ représente un enjeu d’une importance significative imposant un procès en règle. De plus, les procédures d’examen sont conçues pour évaluer si l’amende engendrerait des difficultés excessives et si l’on peut accorder une prorogation du délai de paiement. Lorsque la personne refuse de payer, le registrateur des véhicules automobiles peut refuser de valider ou de délivrer le certificat d’immatriculation du véhicule jusqu’à paiement de la pénalité. Même dans ce cas, cela reste des conséquences relativement mineures et facilement réparables qui ne se comparent en rien aux intérêts majeurs généralement en jeu lors d’instances de justice civile, familiale ou pénale. 

 

(iv)  Les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision 

Dans certains cas, les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision peuvent déterminer le contenu de l’obligation d’équité procédurale. Par exemple, une personne s’attend légitimement à pouvoir présenter des arguments par oral devant un décideur impartial, ce qui peut définir le type d’audience prévue. Cependant, une attente légitime peut uniquement générer des droits en matière de procédure et non des droits fondamentaux[358]. Nous n’avons pas entendu parler de déclarations faites par la ville de Vaughan qui créeraient des attentes en matière de procédure dépassant ce qui est défini dans le règlement sur les SAP et qui pourraient alors engendrer l’application d’autres protections procédurales basées sur des attentes légitimes.

D’aucuns pourraient affirmer que les personnes devant payer une SAP pour une infraction de stationnement l’assimileraient à un procès-verbal classique, du fait de leur expérience passée. Ces contrevenants pourraient alors s’attendre à ce que certains processus continuent d’être appliqués, notamment les lignes directrices d’annulation des procès-verbaux d’infraction de stationnement délivrés au personnel de la ville de Toronto indiquant quand les procès-verbaux de stationnement peuvent être annulés sans comparution devant un juge[359]. Ces lignes directrices indiquent de nombreuses situations dans lesquelles un procès-verbal de stationnement peut être annulé par voie administrative, par exemple, lorsqu’il présente des renseignements inexacts ou manquants ou lorsqu’une personne présente un permis prouvant qu’elle est autorisée à stationner[360]. Bien que cet argument soit recevable, une approche plus rationnelle serait de continuer d’adopter ces lignes directrices relatives à l’annulation comme motifs sur lesquels un agent d’examen peut annuler une SAP.

 

(v) Les choix de procédure que l’organisme fait lui-même   

Un cinquième facteur pour évaluer le contenu de l’obligation d’équité correspond au respect du choix de procédure adopté par l’organisme lui-même. Le règlement sur les SAP prévoit les composantes principales en matière de procédure d’un règlement administratif municipal à cet égard pour les infractions de stationnement, et il ne reste que peu de place pour déroger à la procédure prescrite. Il n’est donc pas étonnant de respecter le choix de quelques détails procéduraux supplémentaires établis par les règlements municipaux sur le système de SAP.

Au vu de l’analyse ci-dessus, nous pensons que le contenu de l’obligation d’équité procédurale dans un système de SAP pour les infractions de stationnement devrait être moindre que ce que l’on attend d’un procès en bonne et due forme impliquant des droits et intérêts bien plus importants. Le système de SAP utilisé dans la ville de Vaughan, qui se fonde largement sur les exigences prévues dans le règlement sur les SAP, comprend des protections procédurales majeures, qui, selon nous, sont suffisantes au vu des intérêts en jeu et de la nature et de l’objet d’un tel système pour les infractions de stationnement. Il s’agit, entre autres, des protections suivantes :

  • l’avis de pénalité avec les détails de la contravention et les renseignements pour savoir comment exercer son droit à un examen;
  • le droit à ce qu’un agent d’examen examine la pénalité lors d’une réunion;
  • le droit à ce qu’un agent enquêteur réexamine la pénalité lors d’une audience;
  • l’occasion de présenter par oral des observations devant l’agent enquêteur;
  • toutes les protections procédurales définies dans la Loi sur l’exercice des compétences légales[361]. (Traduction libre)
     

En ce qui concerne l’indépendance du décideur et la protection contre une crainte raisonnable de partialité, le règlement administratif de la ville de Vaughan no 157-2009 interdit l’ingérence dans les décisions prises par les agents d’examen ou par les agents enquêteurs :

6.                Personne n’essaiera, directement ou indirectement, de communiquer avec un agent d’examen ou un agent enquêteur en vue de les influencer concernant la décision d’une question conforme à la délégation de l’autorité de la décision dans le cadre d’une procédure qui est ou sera pendante devant l’agent d’examen ou l’agent enquêteur, à l’exception des personnes autorisées à être entendues dans le cadre de la procédure ou de l’avocat ou du parajuriste titulaire d’un permis qui représente la personne faisant l’objet de la procédure, et uniquement en la présence de cette personne, de son avocat ou de son parajuriste pendant l’audience soulevant la question en jeu. Le non-respect du présent article constitue une infraction.           

Enfin, le règlement sur les pénalités administratives impose que la nomination d’un agent enquêteur respecte les lignes directrices relatives au conflit d’intérêts[362]. Le règlement administratif de la Ville de Vaughan établit que les membres du conseil municipal et les proches sont inadmissibles à une nomination en tant qu’agent d’examen ou agent enquêteur[363]. Il semblerait que ce règlement administratif mette en place des protections suffisantes pour assurer une prise de décisions autonome par l’agent d’examen ou l’agent enquêteur.

 

 

5.     Utilisation d’un système de SAP pour les infractions mineures en vertu de la partie I

Quatre-vingts pour cent des mises en accusation en vertu de la partie I portent sur des infractions au Code de la route ou à ses règlements, ce qui représente environ 1,6 million de mises en accusation chaque année qui occupent approximativement 30 000 heures de travail des juges de paix. De nombreuses infractions seraient considérées comme mineures. Elles prennent énormément de ressources judiciaires (tribunaux et juges) qui pourraient très bien être consacrées à des infractions plus graves. De plus, même si nous avons mis en évidence les infractions mineures au Code de la route, il y a d’autres lois provinciales pour lesquelles un système de SAP pourrait être approprié. Par exemple, la Loi de 1992 sur le code du bâtiment[364] est mise en application à l’échelle municipale. Elle prévoit un système d’ordonnances administratives avec les droits correspondants d’examen et d’appel. Un système de sanctions administratives est un prolongement naturel de ces systèmes existants pour favoriser l’observation de la loi avant d’engager une poursuite intentée en vertu de la Loi ou éventuellement à la place d’une telle procédure. L’utilisation actuelle des représentants judiciaires pour régler ces infractions mineures ne favorise peut-être pas le respect de l’administration de la justice. Pour ces raisons, entre autres, Archibald, Jull et Roach estiment que les infractions mineures d’excès de vitesse devraient également ne plus être traitées par les tribunaux d’infractions provinciales et être réglées par un régime de SAP : 

La question des ressources laisse penser que nous ne devrions pas du tout avoir recours aux tribunaux pour des infractions provinciales mineures. Les infractions de vitesse mineures se prêtent parfaitement aux sanctions administratives pécuniaires. À notre avis, le règlement des infractions de vitesse mineures dans des tribunaux présidés par des juges de paix ne fait guère de sens. En outre, cette façon de faire ne cadre pas très bien avec la tendance constatée dans d’autres domaines tels que l’environnement[365]. (Traduction libre)

Les arguments juridiques, politiques et constitutionnels relatifs aux systèmes de SAP pour le stationnement seraient pertinents pour analyser si les infractions mineures de la partie I devraient également relever d’un régime de SAP. Cela étant dit, il convient de porter une attention particulière à divers enjeux supplémentaires d’ordre juridique, politique et opérationnel avant de transférer la résolution des infractions mineures, y compris celles commises à l’encontre du Code de la route dans le cadre d’un système de SAP. Il s’agit des facteurs suivants :

·         Quelles infractions? Il y a des centaines d’infractions mineures au Code de la route et beaucoup d’autres infractions mineures créées par d’autres lois qui pourraient éventuellement être soumises à un système de SAP. Il faudra évaluer quelles infractions disposeront des caractéristiques pour relever d’un système de SAP, et aux fins d’uniformité, cette décision devrait reposer sur une justification et sur un critère seuil appliqué de façon constante.

·         Quand imposer une SAP ou engager des poursuites? Certaines infractions pourraient être considérées mineures dans certaines circonstances (p. ex. conduire sans permis, car le conducteur a oublié son permis à son domicile), mais plus graves dans d’autres situations (p. ex. conduire sans permis, car il a été précédemment révoqué par le registrateur des véhicules automobiles en raison de condamnations antérieures). L’agent d’application de la loi aurait-il la compétence de délivrer une SAP ou de choisir une poursuite intentée en vertu de la Loi?

·         Nature de l’infraction – responsabilité absolue contre responsabilité stricte. Les infractions qui sont à présent des infractions de responsabilité stricte deviendraient-elles dans les faits des infractions de responsabilité absolue si un régime de SAP en assurait l’application. Un moyen de défense de diligence raisonnable serait-il disponible pour certaines infractions devant un agent enquêteur dans le cadre d’un système de SAP ou serait-il expressément exclu par une loi comme c’est le cas pour les pénalités environnementales prévues par la Loi sur la protection de l’environnement? Si le moyen de défense de diligence raisonnable devait être maintenu, serait-il possible de préciser ce moyen de défense dans les lignes directrices utilisées par un agent enquêteur, lesquelles pourraient également être mises à disposition du public?

·         La pénalité et les aspects constitutionnels. La pénalité proposée envisage-t-elle l’emprisonnement ou une autre pénalité de nature punitive? Le montant de toute pénalité ne devrait pas être de nature punitive; si c’était le cas, les droits prévus par la Charte pourraient être invoqués.

·         Autres questions juridiques et politiques. Par exemple, comment un agent enquêteur dans le cadre d’un système de SAP pourrait-il gérer une arrestation ou une perquisition illégale survenant pendant la perpétration d’une infraction fondée sur la partie I ou pendant l’enquête à cet égard, et quelle autorité possèderait-il pour exercer une compétence réparatrice? De même, les gens seraient-ils encore disposés à observer des normes réglementaires importantes s’ils savent que les seules conséquences possibles sont une pénalité pécuniaire et non une sanction potentiellement plus sévère qui pourrait uniquement être rendue par un juge de la Cour de justice de l’Ontario (p. ex. probation, révocation de permis)? 

·         Problèmes en matière de mise en œuvre. Le volume des affaires serait significatif et les municipalités auraient à élaborer et à mettre en œuvre des structures appropriées, ainsi qu’à assurer la dotation en personnel pour gérer le volume de cas prévu. Les infrastructures appropriées en matière de TI devraient également être en place pour permettre une déclaration adaptée aux organismes gouvernementaux et aux ministères aux fins d’application de la loi (p. ex. registrateur des véhicules automobiles).

·         Création de deux systèmes distincts. Si un système de SAP pour certaines infractions mineures est créé, alors que le système actuel de la Loi reste maintenu pour d’autres infractions, il y aurait alors deux systèmes distincts. Il est peut-être possible de réaliser des économies d’échelle en conservant un seul système pour toutes les infractions de la partie I et de la partie III, plutôt qu’en créant un nouveau système séparé pour uniquement certaines infractions mineures.    

Le seul volume des infractions de la partie I et le temps consacré à leur règlement nécessitent un examen plus approfondi. Nous pensons que ce système pourrait tirer parti de l’analyse menée par le gouvernement de l’Ontario sur les infractions provinciales mineures, notamment celles au Code de la route, qui devraient relever d’un système de SAP après avoir correctement pris en compte toutes les questions juridiques, politiques et opérationnelles.

 

 

6.     Utilisation d’un système de SAP pour l’application de la loi relative au stationnement par les communautés de Premières nations

Une autre option éventuelle de réforme a été présentée à la CDO pratiquement à la fin de ce rapport préliminaire. Nous la présentons ici rapidement, mais il s’agit d’un point qui nécessite un plus ample examen.

Les communautés de Premières nations ne sont pas considérées comme une « municipalité » selon la définition fournie dans le cadre de la Loi de 2001 sur les municipalités. Par conséquent, elles n’ont pas le pouvoir de mettre en place un système de SAP ou de recouvrer les pénalités afin d’assurer l’application des règlements administratifs dans les communautés des Premières nations. En application de la Loi sur les Indiens à l’échelle fédérale, les communautés des Premières nations ont le pouvoir d’établir des règlements administratifs, régissant une grande variété d’affaires, notamment la réglementation de la circulation[366].  Toutefois, il nous a été indiqué que les problèmes juridictionnels et une procédure inefficace en matière de poursuites rendent inutile ce pouvoir de créer des règlements administratifs dans pratiquement toutes les communautés des Premières nations[367]. 

À première vue, il semble qu’il s’agisse d’une option de réforme potentiellement valable, dans la mesure où il n’y aurait pas de raison de traiter l’application des règlements administratifs sur la circulation par des communautés des Premières nations différemment des règlements d’une municipalité. Cependant, nous n’avons pas eu suffisamment de temps pour consulter ou évaluer de façon exhaustive les conséquences juridiques et politiques de cette possibilité de réforme, ce qui devrait selon nous être effectué par le gouvernement de l’Ontario en consultation avec les communautés des Premières nations en Ontario.

 

 

D.                Conclusions et recommandations

Le recours à des sanctions administratives pécuniaires comme solution de rechange face aux poursuites intentées contre les 1,9 million d’infractions provinciales de moindre gravité relevant de la partie I est un sujet qui mériterait qu’un rapport propre lui soit consacré. Cependant, nous avons cherché des avis et mené une recherche et une analyse pour recommander des réformes discrètes, mais majeures qui verraient une utilisation plus importante des SAP comme mécanisme exclusif d’application de la loi pour les infractions de stationnement.

Comme point de départ de la réforme, il existe de prime abord des arguments solides étayant l’idée que des économies importantes de temps et d’argent pourraient être obtenues en excluant toutes les infractions de stationnement de la partie II du système fondé sur la Loi sur les infractions provinciales et en les transférant dans le cadre d’un système de SAP prévu par chaque municipalité. Même si l’on ne peut établir un argument décisif en ce qui concerne les économies de coût ou si l’on n’accepte pas cet argument, il y a quelque chose d’incontestablement disproportionné dans l’utilisation des juges de paix et des ressources limitées des tribunaux pour ces affaires d’ordre particulièrement mineur. Nous pensons que l’utilisation des SAP, basée sur le modèle adopté par la ville de Vaughan, offre un mécanisme équitable et équilibré pour examiner les pénalités administratives, système qui ne contreviendrait pas à la Charte. Le système de SAP est également plus accessible et devrait être mis à disposition pour assurer l’application des règlements administratifs relatifs au stationnement pour personnes handicapées. Plus important encore, nous pensons que la règle de loi et l’administration de la justice feraient l’objet d’un plus grand respect si les ressources en matière de juges et de tribunaux étaient réservées à la poursuite d’infractions provinciales plus graves.

Selon nous, la transition de toutes les infractions de stationnement fondées sur la partie II vers un système de SAP dans toutes les municipalités de l’Ontario devrait être menée à bien en deux ans, après plus ample consultation des municipalités et des ministères gouvernementaux pertinents. Pendant nos consultations sur cet enjeu, nous avons été informés de problèmes très concrets de mise en œuvre, notamment, au niveau du temps nécessaire pour mettre en place une infrastructure en matière de TI pour permettre aux municipalités d’informer le registrateur des véhicules automobiles en cas de non-paiement d’une SAP. Le pouvoir du registrateur de ne pas valider ou délivrer un certificat d’immatriculation jusqu’à paiement de la pénalité constitue un outil important et efficace d’application de la loi[368]. La ville d’Oshawa nous a indiqué que, d’après son expérience, des travaux considérables étaient nécessaires pour établir une infrastructure adaptée en matière de TI qui permettrait un système de déclaration directe du non-paiement d’une SAP au ministère des Transports (MTO). En règle générale, le ministère du Procureur général assure l’entretien de l’infrastructure des TI qui permettrait ce système de déclaration directe auprès du registrateur des véhicules automobiles. Le ministère des Transports ne dispose pas encore de cette structure pour permettre aux municipalités de déclarer directement le défaut de paiement des SAP. Elles doivent pour le moment passer par le ministère du Procureur général, qui à son tour, informe le ministère des Transports. À titre provisoire, la ville d’Oshawa prévoit conclure une entente temporaire tripartite avec le ministère du Procureur général et le ministère des Transports selon laquelle les systèmes de la ville pourront communiquer avec le ministère des Transports par l’entremise du système de TI du ministère du Procureur général. De plus, nous avons entendu dire que le ministère des Transports élabore actuellement sa propre infrastructure de TI qui permettrait aux municipalités d’effectuer leurs déclarations directement.

Il ne fait aucun doute qu’il existe un réel enjeu en matière de mise en œuvre, mais nous maintenons qu’une transition vers un système de SAP pour les infractions de stationnement pour toutes les municipalités ne devrait pas être retardée et devrait être menée à bien en deux ans. Selon nous, deux ans constituent un délai raisonnable et suffisant pour élaborer et mettre en place une infrastructure de TI permettant un système de déclaration directe entre les municipalités et le ministère des Transports, notamment au vu des travaux et des concertations sur cette question qui ont eu lieu jusqu’à présent. Si un délai raisonnable n’est pas fixé, il se peut que la transition ne se fasse jamais et nous pensons qu’elle doit avoir lieu en temps opportun afin de pouvoir rediriger rapidement les ressources en termes de juges et de tribunaux vers des affaires plus graves. En outre, certaines municipalités ont déjà déployé des systèmes de SAP pour assurer l’application de règlements administratifs sur le stationnement et autres, et il faut tirer parti de leurs expériences et de leurs meilleures pratiques pour parvenir à dépasser tout autre obstacle opérationnel.  

En ce qui concerne l’application de systèmes de SAP à d’autres infractions mineures faisant actuellement l’objet de poursuites intentées en vertu de la partie I, notamment les infractions mineures au Code de la route, il nous semble qu’il existe à première vue de solides arguments venant appuyer cette idée, sous réserve de l’examen de plusieurs considérations clés d’ordre juridique, politique et opérationnel.

Au vu de ces conclusions, nous effectuons les recommandations suivantes.

 

La CDO formule les recommandations suivantes : 

12. Dans un intervalle de deux ans, des modifications devraient être apportées à la Loi afin de supprimer les poursuites des infractions de stationnement fondées sur la partie II au sein de la Cour de justice de l’Ontario.

13. Dans un intervalle de deux ans, chaque municipalité (ou conjointement avec d’autres municipalités ou partenaires municipaux) devrait adopter et mettre en place un règlement administratif relatif aux pénalités administratives en vue d’assurer l’application des règlements relatifs au stationnement, à l’immobilisation ou à l’arrêt de véhicules, y compris des règlements concernant le stationnement pour personnes handicapées.  

14. Le Règlement de l’Ontario 333/07 pris en application de la Loi de 2001 sur les municipalités devrait être modifié pour autoriser des pénalités administratives en vue d’assurer l’application des règlements administratifs établissant les systèmes de stationnement pour personnes handicapées.
 
15. La limite pécuniaire de 100 $ pour les pénalités administratives, prescrite dans l’article 6 du Règlement de l’Ontario 333/07 devrait être augmentée à 500 $ ou à un autre montant nécessaire, pour que les systèmes de SAP puissent assurer l’application des règlements administratifs établissant les systèmes de stationnement pour personnes handicapées. 

16. Les municipalités et ministères pertinents, notamment le ministère des Transports, devraient immédiatement évaluer les défis opérationnels que pose la mise en œuvre réussie d’un système de SAP pour l’application de la législation sur le stationnement (par exemple, l’infrastructure requise en matière de TI) et élaborer un plan d’action pour résoudre ces problèmes en l’espace de deux ans. Des consultations avec les municipalités qui ont d’ores et déjà mis en œuvre un système de SAP pourraient aider à relever ces défis opérationnels. 

17. Le gouvernement de l’Ontario devrait mener un examen des infractions provinciales mineures faisant plus généralement l’objet d’instances introduites en vertu de la partie I, notamment, les infractions mineures au Code de la route actuellement poursuivies en vertu de la partie I, afin de déterminer quelles infractions pourraient le mieux relever d’un système de SAP. Cet examen devrait prendre en compte, entre autres considérations juridiques, politiques et opérationnelles :

  • déterminer les infractions les plus courantes, actuellement poursuivies dans le cadre de la partie I, leur volume et les ressources nécessaires connexes (en matière de juges et de tribunaux) pour régler ces infractions, comparativement à un régime de SAP;
  • évaluer l’efficacité des régimes de SAP pour les autres infractions mineures;
  • définir la nature des infractions (p. ex. savoir s’il s’agit d’une infraction de responsabilité stricte ou absolue) et la possibilité ou la nécessité de maintenir une défense de diligence raisonnable dans le cadre d’un système de SAP au moyen de lignes directrices appropriées adressées à l’agent enquêteur administratif;
  • examiner le projet de pénalités en vertu d’un régime de SAP et déterminer si elles seraient de nature punitive et entraîneraient une possibilité d’emprisonnement;
     
    déterminer si les circonstances éventuelles engendrant l’infraction pourraient éventuellement susciter des allégations de contravention aux droits prescrits par la Charte ou à d’autres droits, et si tel est le cas, comment ces allégations pourraient être gérées dans le cadre d’un régime de SAP;
  • déterminer les problèmes opérationnels qui entraveraient la capacité à mener à bien la transition de la résolution d’infractions vers un système de SAP;
  • définir les mérites du maintien de deux systèmes séparés et distincts pour la résolution des mêmes infractions provinciales qui sont actuellement poursuivies en vertu de la partie I (à savoir, un système de SAP et un système judiciaire fondé sur la Loi).

18. En consultation avec les communautés des Premières nations, le gouvernement de l’Ontario devrait prendre en considération les répercussions juridiques et politiques de l’élargissement de la définition de « municipalité » prescrite dans la Loi de 2001 sur les municipalités afin de permettre d’assurer l’application de règlements administratifs adoptés par un groupe de Premières nations en vertu de la loi fédérale intitulée Loi sur les Indiens par un régime de sanctions administratives pécuniaires.

 
 

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