Relativement peu de personnes sont arrêtées en raison d’infractions provinciales commises. Celles qui sont détenues ou mises en liberté sous caution chaque année pour des faits relevant de la Loi sont encore moins nombreuses. En 2009, sur les quelque 2,1 millions d’accusations relatives aux infractions provinciales reçues par les tribunaux au titre des parties I et III, il y a eu seulement 4 009 audiences pour la mise en liberté sous caution (soit 0,002 % de l’ensemble des accusations reçues). Dans le cadre de ces enquêtes, la mise en liberté sous caution a été refusée dans 426 cas impliquant des infractions de la partie III. Sur les 18 audiences pour la mise en liberté sous caution se rapportant à des infractions de la partie I, la mise en liberté sous caution n’a jamais été refusée[490]. Même si la mesure est peu fréquente, les principes de justice fondamentale commandent que « même une seule arrestation exige des mécanismes de mise en liberté »[491]. (Traduction libre) Nous passerons en revue les dispositions de la Loi relatives à l’arrestation et à la mise en liberté sous caution avant d’analyser deux aspects de la mise en liberté sous caution qui pourraient donner lieu à une réforme : (1) les motifs justifiant la détention d’une personne et (2) les conditions qu’un juge est autorisé à imposer lorsqu’il accorde une mise en liberté sous caution.      

La Loi ne prévoit pas de pouvoir général d’arrestation; une personne ne peut être arrêtée avant un procès que si la loi qui crée l’infraction autorise expressément l’arrestation[492]. À moins de disposition contraire dans la loi qui crée l’infraction, les dispositions de la Loi relatives à l’arrestation et à la mise en liberté sous caution ont vocation à s’appliquer. En général, un défendeur accusé sera mis en liberté par l’agent de police ayant procédé à son arrestation[493], l’agent responsable[494], ou un juge dans le cadre d’une audience pour la mise en liberté sous caution, dans un délai de 24 heures[495]. L’article 150 fixe les motifs de détention par un juge. D’après cet article, il apparaît clairement que « un défendeur qui est arrêté devrait être mis en liberté en attendant la décision relative à l’accusation, à moins que la détention soit nécessaire pour garantir la présence du défendeur au tribunal »[496]. (Traduction libre) Il incombe au poursuivant de démontrer pourquoi un défendeur arrêté devrait rester sous garde en attendant son procès[497]. Les conditions de la mise en liberté sont également prescrites, mais la liste est limitée et les conditions doivent être examinées séquentiellement[498]. Ce sont les articles 151 et 152 de la Loi qui énoncent les pouvoirs de révision et d’appel des décisions relatives à la détention. 

                                               

 

A.     Motifs de détention

L’article 150(4) autorise un juge à ordonner que le défendeur soit placé sous garde pour garantir sa comparution au tribunal, mais il n’autorise pas un juge à ordonner la détention d’une personne pour assurer la protection ou la sécurité du public. Voici ce que prévoit l’article :

 

150(4) Ordonnance de détention — Si le poursuivant expose les raisons qui justifient la détention du défendeur sous garde pour garantir sa comparution au tribunal, le juge ordonne que le défendeur soit détenu sous garde jusqu’à ce qu’il soit traité selon la loi.

 

C’est ce qui a été voulu initialement. En 1980, Douglas Drinkwalter et Douglas Ewart, deux rédacteurs de la Loi, écrivaient :

 

Les dispositions du Code criminel sur la mise en liberté doivent être suffisamment rigoureuses pour traiter les personnes qui compromettent ou risquent de compromettre la paix publique et l’intérêt du public […] Néanmoins, les personnes appréhendées pour des infractions provinciales sont dans une situation différente. Leur arrestation a pu être justifiée par l’un des motifs historiques de l’intérêt public, notamment la nécessité d’identifier correctement la personne accusée, d’obtenir et de préserver des preuves, ou de prévenir la poursuite de l’infraction ou d’infractions similaires. Cependant, ces préoccupations n’ont cours que pendant un certain laps de temps; par la suite, la seule question à se poser est de savoir si la personne comparaîtra à son procès[499]. (Traduction libre)

 

L’absence de motif de détention lié à la sécurité publique peut entraîner des absurdités. Dans R. c. Banka (1999), par exemple, le tribunal a été confronté à la question de la mise en liberté sous caution pour un défendeur poursuivi pour une infraction provinciale qui, en cas de récidive, aurait compromis la protection et la sécurité du public[500]. M. Banka avait été accusé de trois violations d’une ordonnance de ne pas faire prise en application de la Loi sur le droit de la famille, une ordonnance rendue lorsqu’une personne a « des motifs raisonnables de craindre pour sa sécurité personnelle ou pour celle de tout enfant confié à sa garde légitime[501] ». M. Banka avait récemment été déclaré coupable d’une infraction similaire. Le tribunal a décidé qu’il était hautement probable que, une fois mis en liberté, M. Banka commettrait à nouveau l’infraction. Dans ces circonstances, le juge a estimé que suivre l’article 150(4) de la Loi

 

…entraînerait des conséquences inacceptables et absurdes […]; pour le tribunal, ce serait discréditer l’administration de la justice que de fermer les yeux sur les aspects liés à la protection et à la prévention et d’ordonner la mise en liberté, uniquement à cause d’une lacune technique évidente de la part du législateur[502]. (Traduction libre)

 

Le tribunal a ordonné la détention sur la base de sa « compétence inhérente […] pour remédier aux erreurs de rédaction ou lacunes du législateur entraînant des conséquences qui ne peuvent pas avoir été voulues par le législateur »[503]. (Traduction libre)  

 

L’absence de motif de détention lié à la sécurité publique dans la Loi peut également donner lieu à des incohérences au sein même de la Loi. Il est curieux que l’alinéa 149(1)  iii) autorise un agent de police à ordonner la détention d’un défendeur pour prévenir la poursuite ou la répétition de l’infraction ou la perpétration d’une autre infraction mais qu’un juge ne soit pas autorisé à faire de même en application du paragraphe 150(4). 

 

Comme dans le cas des infractions provinciales de la Loi, l’application du droit de la mise en liberté sous caution aux infractions criminelles dépendait initialement de la probabilité qu’un accusé comparaîtrait au tribunal. Si pendant un temps cette considération a été le seul fondement de la détention d’une personne accusée, d’autres motifs de détention ont par la suite été reconnus[504]. L’article 515(10) du Code criminel prévoit trois motifs de détention : assurer la présence du prévenu au tribunal, pour la protection ou la sécurité du public, ou pour préserver la confiance du public à l’égard de l’administration de la justice. Voici ce que prévoit cet article :  

 

515(10) Motifs justifiant la détention — Pour l’application du présent article, la détention d’un prévenu sous garde n’est justifiée que dans l’un des cas suivants :

 

a) sa détention est nécessaire pour assurer sa présence au tribunal afin qu’il soit traité selon la loi;

 

b) sa détention est nécessaire pour la protection ou la sécurité du public, notamment celle des victimes et des témoins de l’infraction ou celle des personnes âgées de moins de dix-huit ans, eu égard aux circonstances, y compris toute probabilité marquée que le prévenu, s’il est mis en liberté, commettra une infraction criminelle ou nuira à l’administration de la justice;

 

c) sa détention est nécessaire pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice, compte tenu de toutes les circonstances, notamment les suivantes :

 

i) le fait que l’accusation paraît fondée,

 

ii) la gravité de l’infraction,

 

iii) les circonstances entourant sa perpétration, y compris l’usage d’une arme à feu,

 

iv) le fait que le prévenu encourt, en cas de condamnation, une longue peine d’emprisonnement ou, s’agissant d’une infraction mettant en jeu une arme à feu, une peine minimale d’emprisonnement d’au moins trois ans.

 

Une totale correspondance entre la Loi et le Code criminel ne serait pas conforme à l’esprit de la Loi, laquelle a été conçue, au moins en partie, « pour arracher les infractions provinciales des griffes des règles de procédure du Code criminel et de son état d’esprit »[505]. Cependant, comme le prouve l’affaire Banka, la protection du public pourrait s’avérer un motif nécessaire pour refuser, dans certaines circonstances, la mise en liberté sous caution dans les affaires fondées sur la Loi.  

 

Pour ce qui est du troisième motif envisagé par le Code criminel, des affaires récentes ont porté sur la question de savoir si l’objectif de maintien de la confiance du public à l’égard de l’administration de la justice est un motif justifié de refus de mise en liberté[506]. Dans la jurisprudence de 2002, R. c. Hall[507], la Cour suprême invalidait une partie de l’alinéa 515(10) c) mais concluait que cette disposition n’était « ni superflue ni injustifiée »[508] étant donné que la confiance du public envers le système judiciaire est nécessaire au bon fonctionnement à la fois du système de mise en liberté sous caution et du système judiciaire pris dans son ensemble[509]. Même si la jurisprudence Hall fait encore autorité, les juges n’appliquent pas l’alinéa 515(10) c) modifié de la même façon. Si certains juges mettent l’accent sur le fait que la disposition ne devrait être utilisée que dans de rares cas[510], d’autres lui ont donné une interprétation plus large[511]. Il n’est pas nécessaire qu’un prévenu ait commis un crime particulier pour que l’alinéa 515(10) c) ait vocation à s’appliquer[512].

 

Si le maintien de la confiance du public à l’égard de l’administration de la justice constituera dans certains cas un motif valable de refus de mise en liberté dans le contexte criminel, il est difficile de concevoir des cas qui justifieraient l’application de ce principe dans le contexte des infractions provinciales. D’ailleurs, cette proposition n’a pas bénéficié d’un appui important dans le cadre des consultations de la CDO. L’application de l’alinéa 515(10) c) implique la considération des quatre facteurs énoncés, notamment la gravité de l’infraction, l’utilisation d’une arme à feu et le point de savoir si le prévenu encourt une longue peine d’emprisonnement. Ces motifs mettent en évidence les différences entre les infractions provinciales et les infractions criminelles et les limites d’une comparaison avec le Code criminel en matière de motifs de détention. À ce titre, selon nous, le motif de refus de mise en liberté tenant au « maintien de la confiance à l’égard de l’administration de la justice » ne devrait pas être étendu à la Loi.    

 

L’un des principes fondamentaux de toute réforme moderne du droit criminel est le principe de retenue[513]. L’équité commande que la détention avant procès ne soit imposée que lorsque c’est nécessaire[514]. Priver une personne accusée de sa liberté avant qu’elle ait été déclarée coupable est l’une des armes les plus brutales qu’un État puisse utiliser[515]. La détention préventive peut s’avérer plus dure que la détention qui suit le procès[516]. Il existe également une « relation gênante » entre la détention avant procès et l’issue du procès[517]. En outre, les systèmes de mise en liberté sous caution ont tendance à établir des discriminations et à désavantager les personnes sur la base de la race, de l’origine ethnique et du revenu[518]. Et surtout, la présomption d’innocence et le droit de ne pas se voir refuser une mesure raisonnable de mise en liberté sous caution sont des valeurs enchâssées dans les articles 11 d) et 11 e) de la Charte. Pour toutes ces raisons, nous préférons limiter les cas dans lesquels la mise en liberté sous caution peut être refusée à ceux pour lesquels la mesure est réellement nécessaire à la lumière de la nature et de la gravité des infractions provinciales, par rapport aux infractions criminelles.

 

Pourtant, comme le montre la jurisprudence Banka, certains comportements illégaux prohibés par des lois provinciales sont de nature à entraîner des risques réels pour la sécurité publique s’ils se répètent. Dans ces situations, il serait absurde d’ignorer l’intérêt public et de maintenir la présomption en faveur de la mise en liberté. Il convient de faire preuve de prudence lorsque l’on refuse la mise en liberté sous caution pour des motifs liés à la protection de la sécurité publique. La jurisprudence a circonscrit ce qui est ou non « nécessaire » pour la sécurité publique. La détention ne devrait pas être ordonnée pour la simple raison que la mesure est pratique et avantageuse[519]; le risque de récidive créant un risque pour la sécurité publique doit être réel. Il doit exister des « preuves suffisantes d’un danger clair et présent pour justifier une entrave à la liberté de la personne accusée » (Traduction libre) lorsque la culpabilité ou l’innocence de cette dernière n’a pas encore été déterminée[520]. Ces cas suggèrent que tout motif de détention avant procès dans le cadre de la Loi doit être limité. Ces motifs devraient être utilisés de façon parcimonieuse et uniquement lorsqu’ils sont nécessaires pour garantir la présence au tribunal ou assurer la protection ou la sécurité du public. On pourrait envisager d’indiquer dans la Loi les facteurs qu’un tribunal pourrait examiner pour décider s’il convient ou non de refuser la mise en liberté sous caution pour tout motif nouvellement proposé lié à la « sécurité publique ».

 

La CDO formule la recommandation suivante :

 

29.  La Loi devrait être modifiée pour permettre à un juge de refuser la mise en liberté sous caution lorsque la détention est nécessaire pour assurer la protection ou la sécurité du public, notamment toute victime ou tout témoin présumé, en tenant compte de l’ensemble des circonstances. Pour refuser la mise en liberté sous caution pour ce motif, le poursuivant doit démontrer un risque réel et substantiel que le défendeur commette une infraction grave qui entraînera un préjudice pour le public. 

 

30.  On devrait s’abstenir d’insérer dans la Loi le motif de refus de mise en liberté sous caution lié au « maintien de la confiance à l’égard de l’administration de la justice ».

 
 

 

B.    Conditions de la mise en liberté sous caution

 

Au moment de décider d’accorder ou non une mise en liberté sous caution, la capacité d’assortir la mesure de conditions peut être déterminante pour le juge. Comme l’explique un auteur, « ce qui peut faire pencher la décision en faveur du placement de la personne en détention préventive ou de la mise en liberté sous caution peut dépendre de l’aptitude du juge à assortir la mise en liberté sous caution de conditions intéressantes »[521]. (Traduction libre) Cependant, le pouvoir d’imposer des conditions aux termes de la Loi est très limité. 

 

L’alinéa 150(2) a) de la Loi permet au juge d’assortir la mise en liberté sous caution de conditions de façon générale, mais uniquement « pour garantir sa comparution au tribunal ». Les alinéas 150(2) b) et c) couvrent les infractions punissables d’une peine d’emprisonnement de douze mois ou plus, ou les cas dans lesquels le défendeur ne réside pas ordinairement en Ontario. Dans les deux situations, le tribunal peut exiger du défendeur qu’il consente devant un juge un engagement avec caution ou qu’il dépose auprès du juge une somme d’argent ou d’autres valeurs. Là encore, ces conditions ne peuvent être imposées que pour garantir la comparution du défendeur au tribunal.  

 

La jurisprudence R. c. Desroches[522], décision de la Cour de district de l’Ontario datant de 1986, a confirmé que le pouvoir d’assortir la mise en liberté sous caution de conditions est limité. Un homme avait été poursuivi pour avoir enfreint la Loi sur l’entrée sans autorisation. À titre de condition de la mise en liberté sous caution, un juge de paix avait interdit au défendeur l’accès à certains lieux. En appel, la cour avait confirmé que les conditions qui assortissent la mise en liberté sous caution visent uniquement à garantir la comparution du défendeur au tribunal. D’après la Cour, « aussi attrayante que puisse être la mesure dans certaines circonstances, le fait d’ordonner à une personne de se tenir à l’écart de certains lieux est une condition qui va clairement au-delà des pouvoirs accordés au juge par l’article 150(2) a) »[523]. (Traduction libre)    

 

Examinons, à titre de comparaison avec les dispositions de la Loi, ce que prévoit le Code criminel à propos des conditions de la mise en liberté sous caution. À l’instar de la Loi, le Code criminel aborde ces conditions avec précaution. Les ordonnances de mise en liberté sous caution doivent tenir compte du fait qu’elles sont prises préalablement à une déclaration de culpabilité. À ce titre, des dispositifs de contrôle doivent exister afin de prévenir des conditions qui empièteraient trop sur la liberté individuelle[524]. L’article 515(4) du Code criminel autorise un juge à choisir parmi 5 grands types de conditions de la mise en liberté sous caution et lui permet d’avoir recours à toute autre condition raisonnable qu’il juge opportune.       

 

515(4) Conditions autorisées — Le juge de paix peut ordonner, comme conditions […], que le prévenu fasse celle ou celles des choses suivantes que spécifie l’ordonnance : 

 

a) se présenter, aux moments indiqués dans l’ordonnance, à un agent de la paix ou à une autre personne désignés dans l’ordonnance;

 

b) rester dans la juridiction territoriale spécifiée dans l’ordonnance;

 

c) notifier à l’agent de la paix ou autre personne désignés en vertu de l’alinéa a) tout changement d’adresse, d’emploi ou d’occupation;

 

d) s’abstenir de communiquer, directement ou indirectement, avec toute personne — victime, témoin ou autre — identifiée dans l’ordonnance ou d’aller dans un lieu qui y est mentionné, si ce n’est en conformité avec les conditions qui y sont prévues et qu’il estime nécessaires;

 

e) lorsque le prévenu est détenteur d’un passeport, déposer son passeport ainsi que le spécifie l’ordonnance;

 

[…]

 

f) observer telles autres conditions raisonnables, spécifiées dans l’ordonnance, que le juge de paix estime opportunes.

 

L’article 515(4.1) autorise un juge à restreindre l’utilisation ou la possession de certains objets, des armes à feu, des substances explosives ou des armes à autorisation restreinte par exemple. Au-delà des conditions explicitement énoncées à l’article 515(4), il existe un certain nombre d’autres conditions telles que des conditions monétaires, un couvre-feu, l’obligation de consulter un médecin, des conditions relatives à la consommation de médicaments contrôlés ou d’alcool ou l’obligation d’avoir en permanence avec soi une pièce d’identité ou les documents autorisant la libération[525]. On pense également à d’autres conditions moins fréquemment utilisées comme l’interdiction de posséder un téléphone cellulaire ou d’utiliser un ordinateur ou l’interdiction d’assister à un match de football (soccer)[526].

 

La Charte et la jurisprudence fixent des limites aux conditions dont le juge peut assortir la mise en liberté sous caution. L’alinéa 11 e) exige que toute condition imposée soit raisonnable[527]. Des cas antérieurs à la Charte ont porté sur la notion de condition raisonnable. Premièrement, les conditions doivent être en rapport avec l’infraction dont la personne est accusée ou le contexte dans lequel la personne a été accusée[528]. Les conditions doivent être « utilisables » et ne doivent pas être sévères au point d’être équivalentes à une ordonnance de détention[529]. Elles ne doivent pas être trop vagues ou avoir une portée trop générale au point de manquer de certitude[530]. Enfin, les conditions doivent être en rapport avec les motifs de libération et de détention précisés par le législateur[531]. En d’autres termes, elles doivent être liées aux objectifs de la mise en liberté sous caution et ne doivent pas être utilisées comme une forme de punition sommaire servant à montrer au défendeur que le tribunal « prend les choses au sérieux »[532].

 

Lorsqu’un défendeur est accusé simultanément d’infractions criminelles et d’infractions provinciales, les conditions de la mise en liberté sous caution prévues par la Loi deviennent plus compliquées à imposer. Dans ces circonstances, la mise en liberté sous caution doit être envisagée et ordonnée sous deux formes de mise en liberté distinctes[533]. Ceci donne lieu à des problèmes juridictionnels et à d’autres types de problèmes[534]. À cet égard, d’après la Commission de réforme du droit du Canada, « il faut également promouvoir l’efficacité, en particulier lorsque l’efficacité ne serait pas de nature à compromettre gravement l’équité mais plutôt à l’encourager ». (Traduction libre) À cette fin, la CDO recommande qu’un seul niveau de juridiction ait toute compétence et tout pouvoir pour prendre des décisions relatives à la mise en liberté provisoire ou à la détention pour les deux types d’infractions[535]. Par ailleurs, à tout le moins, toute condition supplémentaire assortissant une mise en liberté sous caution au titre d’infractions provinciales doit également se conformer à celles déjà ordonnées pour les infractions criminelles.

 

La CDO a entendu de nombreuses personnes partisanes d’un recours des juges à des conditions plus raisonnables lorsque cela s’avère nécessaire. Parmi les conditions spécifiques proposées, on peut citer : s’abstenir de commettre la même infraction ou une infraction similaire, l’interdiction de conduire, des ordonnances de non-communication stipulant que le défendeur s’abstienne d’entrer en contact avec des témoins ou des victimes de l’infraction, et des ordonnances de non-communication limitant les contacts autorisés entre le défendeur et un codéfendeur. Les interdictions liées à l’utilisation d’un véhicule à moteur sont délicates car les tribunaux ont pu considérer ces types de conditions comme des « mesures punitives »[536]. Ces conditions ne devraient être imposées que dans des circonstances limitées, par exemple lorsque le défendeur qui attend son procès a des antécédents de conduite en état d’ivresse, d’exécution de manœuvres périlleuses ou de conduite pendant une période de suspension du permis de conduire[537]. Les ordonnances visant à limiter les contacts devraient être utilisées avec parcimonie car elles risquent de rompre temporairement les contacts avec les membres de la famille et de compromettre les préparatifs légitimes en vue du procès[538]. Il convient également de veiller à ce que les conditions soient en rapport avec les circonstances dans lesquelles la mise en liberté sous caution a été accordée ou refusée et qu’elles ne s’apparentent pas à une ordonnance de probation.  

 

Le pouvoir limité des juges d’assortir la mise en liberté sous caution de conditions en attendant l’appel est une autre source de préoccupation. L’article 110 de la Loi prévoit qu’une personne qui a été déclarée coupable et placée sous garde peut être libérée sous caution en attendant l’appel; dans ce cas « le juge d’appel peut ordonner sa mise en liberté assortie des conditions énoncées au paragraphe 150 (2) »[539]; en d’autres termes, on retrouve les mêmes conditions limitées applicables à la mise en liberté postérieure à l’arrestation. Lorsqu’une personne est déclarée coupable d’une infraction provinciale grave et qu’elle a été placée sous garde, il existe des arguments plus convaincants en faveur de conditions visant à protéger la sécurité publique ou d’autres conditions entourant la mise en liberté sous caution. On pense aux conditions interdisant au défendeur de commettre la même infraction ou une infraction semblable ou lui interdisant de se trouver en certains lieux.

 

Parallèlement à cela, l’utilité globale des conditions assortissant la mise en liberté provisoire a été remise en question[540]. Il ne fait aucun doute que l’exécution d’un certain nombre de types de conditions peut s’avérer problématique[541]. Par ailleurs il existe toujours un risque d’assister à une utilisation excessive ou à une « institutionnalisation » de certaines conditions, comme l’ont expliqué des chercheurs britanniques[542]. Le fait d’autoriser le tribunal à assortir la mise en liberté sous caution de conditions supplémentaires raisonnables, directement liées à l’accusation et aux circonstances dans lesquelles la mise en liberté a été accordée ou refusée, peut permettre de trouver des solutions de rechange efficaces à la détention provisoire. Nous recommandons que ces questions soient approfondies.  

 

La CDO formule la recommandation suivante :

 

31. Le ministère du Procureur général, en concertation avec le pouvoir judiciaire, les poursuivants municipaux, les avocats de la défense et les parajuristes, devrait étudier d’autres conditions de mise en liberté sous caution à ajouter à la Loi.

 
 

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