A.        Dédommagement


L’un des principaux objectifs de la responsabilité civile délictuelle est d’indemniser les plaignants pour le préjudice ou la perte qu’ils ont subi(e) du fait de fautes commises par autrui. En common law, les dommages-intérêts délictuels visent à dédommager la victime pour son préjudice. Lorsqu’une faute cause un préjudice, des dommages ou une perte, le but d’allouer des dommages-intérêts est d’exiger du défendeur qu’il prenne en charge les dépenses nécessaires au dédommagement du plaignant. Il convient de garder ce principe à l’esprit lorsqu’on évalue les différentes voies envisageables en vue d’une réforme. En outre, l’objectif de dédommagement doit être envisagé au regard d’autres considérations de principe, tel que l’équité, tel qu’abordé ci-après.

 

B.        Dissuasion


Il y a deux moyens de concevoir la question de la dissuasion lorsqu’on aborde la responsabilité professionnelle : (1) dissuader l’auteur d’un méfait spécifique de commettre d’autres fautes et d’infliger un préjudice supplémentaire (dissuasion spécifique) et dissuader les membres de professions libérales de façon plus générale de commettre des fautes (dissuasion générale); et (2) dissuader les membres de professions libérales de se livrer à des activités pour lesquelles le risque de voir leur responsabilité engagée est trop élevé. La première vision de la dissuasion, qui revient à encourager les comportements respectueux de la loi, est l’une des principales raisons d’être de la responsabilité civile. La responsabilité civile ou l’exécution privée est une mesure forte pour inciter les membres de professions libérales tels que les vérificateurs, les dirigeants et les avocats à respecter leurs obligations légales ou contractuelles envers les sociétés et les autres parties prenantes. Pour que la dissuasion soit efficace, la menace de responsabilité doit être crédible et substantielle. Lorsque le risque de procédure est diminué, négligeable financièrement ou inférieur au retour attendu de l’acceptation ou de la participation active à une certaine conception de la gestion des gains, alors la menace est réduite. 

 

À l’opposé, si le risque de responsabilité illimitée est trop élevé, par exemple dans le cas d’un régime de responsabilité solidaire illimité, cela peut décourager des professionnels qualifiés de proposer leurs services. Ce régime peut se traduire par une diminution de la qualité des services professionnels et nuire à la fonction de garde-fou de la responsabilisation des sociétés. La diminution du nombre de cabinets de vérificateurs canadiens peut être un indicateur de ce type de dissuasion. Ainsi, en 2001, il y avait 400 cabinets de vérificateurs de sociétés ouvertes au Canada. En 2008, ce chiffre a été ramené à 230[24]. L’Institut Canadien des Comptables Agréés a récemment réalisé un sondage auprès de plus de 1 700 cabinets de taille petite ou moyenne et de professionnels exerçant à titre individuel. Il ressort notamment de ce sondage que 73 p. 100 des répondants étaient confrontés à une augmentation modérée à significative de leurs coûts d’assurance de responsabilité depuis cinq ans, tandis que 64 p. 100 des répondants déclaraient qu’ils étaient dissuadés d’accepter des missions de certification. Cinquante-huit pour cent ont dit que la crise de la responsabilité contribuait à rendre l’accès aux services de certification plus difficiles pour les clients[25].

 

C.        Équité


Comme dans le cas de la dissuasion, il y a deux moyens de concevoir la question de l’équité lorsqu’on aborde la responsabilité professionnelle : (1) l’équité du point de vue du plaignant; et (2) l’équité du point de vue du défendeur. Le type de régime préférable est radicalement différent selon que l’on met l’accent sur le plaignant ou sur le défendeur. L’un des arguments centraux en faveur de la responsabilité solidaire se base sur l’équité pour le plaignant. Si au moins deux personnes sont la cause d’un préjudice financier ou d’une perte financière subi(e) par une autre, elles doivent être tenues responsables des conséquences. Il serait inéquitable pour le plaignant de faire porter sur lui le risque de l’incapacité du défendeur à payer les dommages-intérêts. Ce risque devrait être assumé par le ou les défendeurs qui ont causé la perte financière ou le préjudice financier au plaignant.

 

À l’opposé, l’argument principal en faveur de la responsabilité proportionnelle est aussi fondé sur l’équité, mais cette fois-ci l’équité du point de vue des défendeurs. On soutient qu’il est injuste qu’un défendeur dont le degré de responsabilité est mineur par rapport à celui des autres défendeurs soit tenu d’indemniser intégralement le plaignant en cas d’insolvabilité ou d’indisponibilité des autres défendeurs. En théorie, le défendeur qui est le moins à blâmer peut se faire dédommager par les défendeurs qui sont les plus à blâmer. Dans la pratique, toutefois, en particulier lorsqu’il s’agit de professionnels assurés, le premier défendeur doit payer la part du lion de la responsabilité lorsque les autres défendeurs sont insolvables ou indisponibles.

 

Nombre de participants à la table ronde ont soulevé la question de l’équité comme un facteur devant déterminer le régime à adopter. Les professionnels de la vérification ont fait valoir que l’équité exige qu’on renonce à la responsabilité solidaire pour adopter un autre régime qui limite leur responsabilité à la perte qu’ils ont effectivement causée, par opposition à celle causée par d’autres codéfendeurs. Ils ont également indiqué qu’un régime de responsabilité plus juste rendrait l’Ontario plus concurrentiel. À l’inverse, les avocats des plaignants ont suggéré qu’il serait injuste d’exiger des plaignants qu’ils demandent réparation à chaque défendeur individuellement dans le cadre d’une procédure basée sur leur part dans le préjudice subi. Cette question sera étudiée dans le projet de rapport rédigé par la CDO et les commentaires sur la question de l’équité, des deux parties en jeu, et des justifications des différents régimes sont les bienvenus.

 

D.        Coût
 

Le coût est un autre facteur à envisager et cet aspect a été soulevé à plusieurs reprises à la table ronde. Certains régimes de responsabilité risquent d’augmenter le coût global des procès si les plaignants doivent engager plusieurs procès ou des procès longs. De même, les coûts peuvent être augmentés pour tenir compte des primes d’assurance et peuvent avoir des répercussions sur le prix des services professionnels.

 

 

E.        Certitude
 

Certains types de régimes de responsabilité, la responsabilité plafonnée par exemple, procurent une plus grande certitude en matière de quote-part des dommages-intérêts qu’un codéfendeur devra assumer si les autres codéfendeurs sont insolvables, ont une capacité financière limitée ou sont indisponibles.

 

F.         Concurrence pour les capitaux
 

Une autre considération de principe concerne l’éventuel transfert de capitaux vers d’autres compétences permettant un recouvrement plus avantageux. Plutôt que de se focaliser sur le risque pour les prestataires de services, un participant à la table ronde, mettant en avant le point de vue des investisseurs institutionnels, mettait l’accent sur le risque pour les fournisseurs de capitaux. Il a été suggéré de ne pas perdre de vue la possibilité d’un transfert de capitaux vers d’autres marchés permettant un recouvrement plus avantageux. Par exemple, si une société canadienne est intercotée à la bourse de New York, cet investisseur institutionnel sera plus enclin à échanger ses titres à la bourse de New York car les États-Unis permettent un recouvrement plus complet et plus facile. En d’autres termes, si des régimes de responsabilité étrangers sont plus favorables, les investisseurs transfèreront leurs avoirs vers ces compétences pour tirer parti de ces régimes.

 

 

Comment doit-on équilibrer les principes de dédommagement, de dissuasion et d’équité et quels sont les principes prioritaires lorsqu’on envisage les différents modèles de responsabilité? 

Y a-t-il d’autres considérations de principe à considérer pour déterminer le modèle de responsabilité approprié?  

Quel est le lien entre les modèles de responsabilité et les normes de responsabilité de fond (comme l’obligation de diligence)?

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