A. Problématique de la violence à l’égard des femmes

La violence à l’égard des femmes[2] constitue un problème social sérieux et bien enraciné dans toutes les collectivités ontariennes et canadiennes et ailleurs dans le monde. Comme l’indiquait Amnistie Internationale dans sa campagne « Halte à la violence contre les femmes » :

[TRADUCTION] C’est une des violations des droits de la personne les plus omniprésentes au monde. C’est la violation la plus souvent ignorée. Chaque jour, chaque minute, des femmes et des filles, partout à travers le monde, sont agressées, menacées, violées, mutilées, tuées.[3]

La réalité de cette violence est souvent négligée ou ignorée, même si, dans les faits, alors que les taux de criminalité canadiens ont généralement tendance à décliner, celui de violence à l’égard des femmes reste constant et tend même à augmenter.[4]

La relation entre violence à l’égard des femmes et droit est évidente, et ce, surtout, mais non exclusivement, en droit criminel et en droit de la famille, où des questions se posent tous les jours à ce sujet. Il est cependant essentiel d’être sensible au fait que cette problématique peut surgir dans de nombreux domaines du droit et selon des angles que ne comprennent pas nécessairement les juristes qui ne pratiquent pas dans les domaines « habitués » à la question.

 

B. Nécessité d’inclure la problématique de la violence à l’égard des femmes dans les programmes de droit

En 1992, trois juristes experts ont préparé un dossier détaillé sur la violence conjugale dans le cadre d’un colloque de la DGCFO. Au cours des vingt dernières années, un certain nombre de recommandations ont été émises pour traiter du sujet dans les facultés de droit ontariennes. Dans un cadre plus large, notre compréhension de la fréquence du phénomène s’est améliorée. Pourtant, aucun effort systématique n’a été déployé pour proposer de la documentation à jour, même si (que les juristes le réalisent ou non) les questions de violence familiale se posent en pratique dans presque tous les domaines du droit. Les spécialistes du droit des sociétés, de la faillite, de la responsabilité délictuelle ou du droit des biens, les avocats de la défense ou en droit de la famille représentent régulièrement des victimes de violence familiale ou leurs agresseurs. Les juges des tribunaux criminels et civils siègent dans de nombreux dossiers où la violence familiale est une question en litige vivement contestée ou un problème sous-jacent. La compréhension des questions juridiques relatives à ce phénomème s’avère une composante essentielle du bagage des avocats et des juges et de la compétence même de la profession juridique dans son ensemble.[5]

Comme le mentionne le rapport de 1997 de la commission relative à la violence familiale de l’American Bar Association (la « commission de l’ABA ») :

[TRADUCTION] La profession juridique a un rôle de premier ordre à jouer dans l’élaboration et la mise en œuvre de réponses collectives coordonnées à la violence familiale. Pour y parvenir cependant, les programmes des facultés de droit doivent faire en sorte que les étudiants – qui peuvent devenir des procureurs de la poursuite ou de la défense, des avocats en droit de la famille, des avocats généralistes, des dirigeants d’entreprises, des législateurs, des lobbyistes, des analystes stratégiques ou des juges – acquièrent une connaissance adéquate des questions qui se posent en matière de violence familiale.[6]

Il faut trouver une façon de s’assurer que tous les étudiants auront accès à des cours traitant de violence à l’égard des femmes, car ils seront tous, quelle que soit leur carrière, inévitablement confrontés à un(e) client(e) ou à un dossier qui les amènera à traiter de violence à l’égard des femmes. Comme le conclue l’ABA :

[TRADUCTION] Enseigner les tenants et aboutissants de la violence familiale aux étudiants en droit devrait faire partie intégrante de la formation juridique, plutôt qu’une spécialité que n’enseignent que les professeurs spécialistes en la matière. Le fait de soulever des questions à cet égard permet aux étudiants de participer au débat de fond sur le rôle que joue le droit dans le façonnement des politiques sociales. La diversité des approches proposées quant aux aspects criminels, civils ou fédéraux du droit de la violence familiale permet aux étudiants de s’intéresser à une variété de points de vue d’un bout à l’autre du spectre politique.[7]

En d’autres mots, l’enseignement en matière de violence à l’égard des femmes doit devenir un sujet omniprésent dans les facultés de droit, et non quelque chose que les étudiants peuvent éviter parce qu’ils croient qu’ils n’en ont pas besoin. Ces derniers doivent plutôt comprendre que des questions relatives à la violence à l’égard des femmes peuvent se poser dans presque tous les domaines du droit et que les femmes victimes de violence et les hommes qui en commettent peuvent devenir leurs clients quel que soit le mandat qu’on leur confie.

Au cours des dernières années, en Ontario, en grande partie grâce aux recommandations des coroners et du Comité d’examen des décès dus à la violence familiale (CEDDVF),[8] certaines démarches ont été entreprises pour aborder la question dans les programmes de formation juridique continue des avocats en exercice, mais, jusqu’à maintenant, le sujet n’a pas été formellement intégré au programme d’enseignement des facultés de droit.

Déjà, en 1999, des recommandations furent émises pour que la violence familiale soit traitée dans les facultés de droit ontariennes. Le comité mixte de la violence familiale écrivait ce qui suit :

[TRADUCTION] L’Association des doyens des facultés de droit et l’Association canadienne des professeurs de droit devraient travailler de concert en vue d’assurer que la formation des étudiants en matière de violence familiale est adéquate. Nous recommandons que cette formation fasse partie du programme d’études de base.[9]

D’autres recommandations ont été émises depuis cette époque. Les différents rapports du CEDDVF comprennent des recommandations générales qui portent sur l’importance de former les professionnels qui entrent en contact avec des victimes et des agresseurs (comme les avocats et les juges) au sujet de la dynamique de la violence familiale, afin qu’ils y réagissent de façon appropriée (2007, 2009, 2010) et plus spécifiquement qu’ils utilisent certains des dossiers du CEDDVF à titre de matériel pédagogique dans les facultés de droit (2010).[10]

Dans son rapport de recherche de 2008, Luke’s Place Support and Resource Centre for Women and Children recommande au gouvernement de travailler avec les facultés de droit pour créer des contenus cohérents dans les cours de droit de la famille, ou un cours consacré à la violence à l’égard des femmes.[11]

Le rapport final du Conseil consultatif de lutte contre la violence familiale[12] contient un certain nombre de recommandations de réforme des réponses juridiques à la violence à l’égard des femmes, y compris la suivante, qui vise la formation des avocats :

[TRADUCTION] S’inspirer des travaux du gouvernement de l’Ontario et des écoles professionnelles pour s’assurer que tous les étudiants en droit étudient la problématique de la violence à l’égard des femmes, soit dans des cours consacrés ou dans le cadre d’autres cours comme le droit de la famille, le droit criminel ou le droit de la preuve.[13]

Bien qu’il n’y ait eu aucune approche coordonnée d’intégration de la problématique de la violence à l’égard des femmes au programme d’études des facultés de droit, certaines facultés et quelques professeurs présentent ce sujet à leurs étudiants, surtout en droit criminel et en droit de la famille. La violence à l’égard des femmes est également abordée en droit des contrats, en responsabilité délictuelle et dans d’autres matières, ainsi que dans des cours spécialisés des cycles supérieurs.

Des étudiants peuvent aussi se familiariser avec cette problématique dans des cliniques juridiques étudiantes, lors de stages externes dans des cliniques communautaires spécialisées comme la Barbra Schlifer Commemorative Clinic à Toronto, ou par le biais de programmes d’études indépendants spécialisés.

 

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